PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Gaudin

vice-président

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, à quelques semaines de l’élection présidentielle, il est regrettable de débattre d’un texte portant sur des questions aussi importantes pour notre droit pénal.

Il est en effet peu probable que cette proposition de loi, signée par la majorité sénatoriale, soit examinée à l’Assemblée nationale d’ici à la fin du mois de février, et il s’agit clairement pour la droite sénatoriale de « prendre un peu d’avance, dans l’éventualité d’une alternance »,…

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Exactement !

Mme Cécile Cukierman. … pour reprendre les propos du président de la commission des lois lors de la présentation du rapport.

Cette proposition de loi est d’autant plus regrettable qu’elle est inscrite à l’ordre du jour du Sénat alors même que les conclusions de la mission pluripartisane pour « un véritable redressement de la justice », conduite par la commission des lois depuis juillet 2016, n’ont pas encore été rendues.

Comme l’ont souligné nos collègues dans l’exposé de leur motion tendant à opposer la question préalable, on peut en effet s’interroger sur le bien-fondé et la pertinence d’une telle mission, dès lors que ses conclusions sont tirées avant l’heure par une grande partie du groupe Les Républicains.

Ces conclusions ne sont au demeurant pas anodines, porteuses d’une conception de la politique pénale d’une droite dure que, bien entendu, nous ne partageons pas.

La volonté affichée de ce texte est – déjà, ai-je envie de dire – d’effacer ce qui a été fait, notamment en supprimant les mesures principales de la loi Taubira du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales.

Ainsi, le cœur du texte repose sur le rétablissement des peines planchers et la suppression de la contrainte pénale et de la libération sous contrainte, deux mesures pourtant destinées à encadrer davantage les condamnés et préparer leur réinsertion pour lutter contre la récidive.

Par ailleurs, le quantum de peines aménageables est réduit, la compétence des juges de l’application des peines, limitée. Le texte développe également le recours aux procédures automatiques comme l’amende forfaitaire pour les délits correctionnels.

Enfin, au-delà d’une volonté affichée de répression systématique, le texte traduit un mouvement de fond qui tend à évincer le juge du débat pénal ou, à défaut, à contraindre le contenu de ses décisions en battant en brèche le principe d’individualisation des peines, sans bien sûr aucune garantie corrélative d’indépendance des parquets.

L’Union syndicale des magistrats a dénoncé devant la commission des lois les ressorts « démagogiques » d’un texte « à visée incarcératrice ».

Étant donné l’importance des mesures envisagées, nous nous étonnons que cette proposition de loi n’ait pas été soumise pour avis au Conseil d’État avant son examen en commission, comme le prévoit l’article 39, alinéa 5, de la Constitution, introduit par la révision constitutionnelle de 2008 portée par MM. Sarkozy et Fillon…

En tout état de cause, nous avons demandé au président du Sénat de bien vouloir mettre en œuvre cette disposition importante de notre Constitution à l’occasion de l’examen de cette proposition de loi, par courrier qui lui a été transmis hier.

Le travail du rapporteur François Pillet sur ce texte est révélateur des difficultés qu’il pose. Plusieurs propositions qui présentaient un caractère inconstitutionnel ont été supprimées ou modifiées pour entrer en conformité avec nos principes constitutionnels et fondamentaux applicables en matière de droit pénal, notamment celui de l’individualisation des peines.

Cependant, l’esprit du texte reste le même. Il s’agit, comme l’a dénoncé le Syndicat de la magistrature, « d’une nouvelle tentative pour introduire dans notre arsenal judiciaire des dispositions sécuritaires visant à incarcérer toujours plus ». En témoigne la volonté de créer de nouveaux « centres de rétention pénitentiaire » pour les détenus de brève durée.

Cette vision du tout-répressif et l’aggravation des sanctions pénales pour la « petite délinquance » sont inadmissibles lorsqu’on lui oppose la « grande délinquance », financière par exemple, qui est pour sa part rarement sanctionnée par des peines de prison effectives en raison de multiples dispositions législatives ou réglementaires qui permettent d’y échapper. Ainsi, certains et certaines parviennent à échapper à toute sanction et conservent un casier judiciaire tout à fait vierge, alors qu’ils encourent jusqu’à 15 000 euros d’amende et un an de prison. Et dans ce cas, mes chers collègues, on ne vous entend guère vous émouvoir sur l’absence de fermeté et de sévérité de la justice.

Pourtant, d’autres solutions que la création de nouveaux centres pénitentiaires existent pour lutter contre la surpopulation carcérale, comme faire de la détention provisoire une exception, et non la règle !

« C’est comme si la pire des situations devait peser sur des personnes n’ayant pas, ou pas encore, été condamnées », explique à ce sujet Jean-René Lecerf, qui préside la commission du Livre blanc sur l’immobilier pénitentiaire que vous avez installée la semaine dernière, monsieur le garde des sceaux.

Ceux qui partagent les valeurs du progrès doivent avoir le courage de réaffirmer que la prison n’est pas la seule solution.

Chacun ici dénonce le taux de récidive. Vous savez tous qu’il est de notre responsabilité de préciser les conditions de l’emprisonnement, y compris pour les délits mineurs. Notre attitude n’est pas laxiste, elle vise l’efficacité en dehors de l’émotion et de la démagogie. Donner la priorité aux peines alternatives, réorienter les peines vers la réinsertion, c’est une nécessité pour les victimes comme pour les coupables.

En définitive, pour tendre vers une justice pénale efficace et humaine, il faudrait lancer un vaste chantier de réflexion et d’enquête sur les peines : leur sens, leur échelle et leurs modalités. Peut-être qu’il faudrait s’inspirer de ce qui a été fait en la matière depuis un certain nombre d’années dans les pays scandinaves, où le droit pénal est très avancé, comme en Norvège, où la criminalité est plutôt basse avec des taux de récidive très satisfaisants, à mettre en lien avec un traitement humain et individualisé des prisonniers.

Mais il n’y a guère de mystère : la Norvège consacre à la justice cinq fois plus de moyens que la France lorsqu’on les rapporte au nombre d’habitants.

Cela nous ramène inlassablement à la question des moyens indigents de notre justice. Inutile de multiplier les textes, la justice pénale de notre pays ne sera efficace et humaine que lorsque ses moyens seront revalorisés et les magistrats augmentés. C’est pourtant tout le contraire que laissent présager les importantes suppressions de postes de fonctionnaires annoncées par celui qui est encore le candidat à l’élection présidentielle des Républicains.

Sans surprise, et comme nous l’avons déjà dit en commission, nous ne voterons pas ce texte antinomique avec notre conception de la justice. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur la plupart des travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, il me semble opportun de considérer ce texte comme inopportun !

J’ai le plus grand respect pour nos collègues François-Noël Buffet et François Pillet, mais, en l’occurrence, oserais-je dire qu’ils sont en service commandé, avec de surcroît une merveilleuse répartition des tâches, l’un essayant d’aller au maximum et l’autre actionnant le frein pour essayer de faire passer une proposition de loi qui s’apparente à bien des égards à un texte d’opportunité électorale, ce dont personne ne doute dans cette assemblée.

Soyons clairs : si vous gagnez l’élection, vous ferez pire ! Et si vous la perdez, nous ferons autre chose…

C’est d’autant plus dommage, monsieur le président de la commission des lois, que vous poursuivez une mission tout à fait intéressante et utile sur le redressement de la justice. Quelle cohérence peut-il y avoir entre cette mission et un texte comme celui-ci ? La seule explication, c’est que vous voulez essayer d’en tirer un profit médiatique à proximité de l’échéance électorale présidentielle.

Je ne crois pas qu’il soit bon que les responsables politiques et les médias continuent d’intenter un procès injuste à la justice de notre pays, en particulier à la Cour de cassation. Si la justice, à en croire les sondages, n’est pas majoritairement appréciée de nos concitoyens, est-ce la faute des magistrats ou des responsables politiques de toutes tendances et des médias ?

M. le garde des sceaux connaît mieux que personne les problèmes de la justice, puisque, dès son arrivée, il a dressé un constat ferme, clair et qui n’incitait pas forcément à l’optimisme.

Le premier problème de la justice, pour nos concitoyens, c’est d’abord le problème des délais : de nombreuses années s’écoulent avant qu’une affaire n’aboutisse. Mais cela n’empêche pas d’ajouter constamment de nouveaux délais, souvent différents d’ailleurs et, comble de l’incohérence, de vouloir doubler ou tripler les délais de prescription.

Le deuxième problème, certainement le plus important, est celui des moyens au quotidien. Nous le répétons à longueur de séance chaque fois que nous débattons de la justice : le nombre de magistrats et de greffiers, les moyens techniques et financiers sont insuffisants ; la situation de nombre de nos greffes est strictement catastrophique, de même que les conditions d’accès à la justice pénale pour nos concitoyens les plus défavorisés. Ce n’est pas de la faute des magistrats, mais de notre faute à tous !

Une autre difficulté, unanimement reconnue, tient à l’avalanche de textes nouveaux qui changent constamment la législation pénale au gré des quinquennats successifs. Depuis une dizaine d’années, reconnaissons-le, on fait fort ! Nous nous souvenons des lois sécuritaires sous le quinquennat de M. Sarkozy, y compris d’un certain nombre de textes en matière pénale ayant trait aux morsures de chiens… Sous l’actuel quinquennat, monsieur le garde des sceaux, nous n’avons pas été très brillants non plus, ce qui complique le travail des magistrats et nuit à la lisibilité de la justice.

Il faut arrêter de faire constamment des lois pénales qui modifient les incriminations et les sanctions au gré des poussées médiatiques d’un certain nombre de médias nationaux. Les magistrats et les citoyens n’y comprennent plus rien et je crois qu’il faut davantage faire confiance aux magistrats.

Certes, dans toute corporation, il peut y avoir des erreurs. On peut également estimer, à juste titre, que certains syndicats devraient parfois être plus silencieux. Il n’en demeure pas moins qu’il faut globalement faire confiance à nos magistrats.

Le procès en laxisme est injuste à l’heure où nos prisons sont pleines, dans des conditions d’ailleurs indignes d’un pays démocratique.

Sur la question de l’échelle des peines et de la simplification des procédures, nous sommes, j’en suis certain, tous d’accord.

En outre, à quoi bon prononcer des peines si elles ne sont pas exécutées ? (M. le garde des sceaux opine.) Il est absurde de condamner une personne à trois ans de prison ferme pour être certain qu’elle reste au moins détenue quelques mois. (M. le garde des sceaux opine de nouveau.)

Les mauvais remèdes comme la déjudiciarisation sont aussi un vrai problème. À quand la sanction par ordinateur, sans respect de l’individualisation de peine ?

Monsieur le président de la commission des lois, dans ce texte, il y avait manifestement plusieurs mesures peu conformes à la Constitution qui auraient justifié que vous appliquiez la jurisprudence que vous avez appliquée sur la Corse !

En conclusion, je crois que la justice mérite mieux. Elle mérite une loi de programmation préparée autour d’un large consensus politique, en concertation avec ceux qui la rendent, c’est-à-dire les magistrats. (Applaudissements sur les travées du RDSE. – MM. Jean-Pierre Sueur et Yves Détraigne applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.

M. Yves Détraigne. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous sommes encore en début d’année et voilà déjà un nouveau texte qui réforme la justice. Et il ne manquera pas d’en venir d’autres après les élections !

J’ai recensé les textes consacrés à la justice depuis une douzaine d’années : nous en sommes à une vingtaine – j’en ai communiqué la liste précise au président de la commission des lois. Ce constat est alarmant…

Car, pour bien fonctionner, la justice a d’abord besoin de stabilité et de moyens. Or, en France, elle ne dispose d’aucun des deux. Il n’est pas un chef de cour ou de juridiction qui ne s’en plaigne. Comme moi, vous avez, j’imagine, mes chers collègues, assisté ces derniers jours à des audiences de rentrée. Et cette année, comme les précédentes, le message est le même : les magistrats n’ont pas les moyens d’exercer correctement leur mission. Notre justice est toujours insuffisamment dotée, eu égard à ses besoins et à la comparaison de son budget avec celui des pays voisins. Certes, nos systèmes judiciaires sont différents, et il faut se méfier des comparaisons. Malgré tout, quelle que soit la méthode utilisée, nous sommes toujours les bons derniers des pays occidentaux.

La loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, dont j’ai été le rapporteur pour le Sénat, devrait améliorer quelque peu cette situation en déjudiciarisant certaines procédures, notamment avec la sanction systématique de certaines infractions routières par une amende forfaitaire ou l’instauration du divorce par consentement mutuel sans juge.

Mais, parallèlement, d’autres réformes récentes accroissent les tâches des juridictions. Ainsi, depuis l’entrée en vigueur de la loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers, les contestations des placements en centre de rétention administrative passent du juge administratif au juge judiciaire, en l’occurrence le juge des libertés et de la détention.

Évidemment, si les questions budgétaires ne doivent pas nous interdire de réfléchir à des pistes d’amélioration, la question des moyens doit rester une préoccupation permanente, afin que telle ou telle mesure nouvelle ne vienne pas aggraver une situation qui, dans la plupart des juridictions, est déjà plus que préoccupante.

Le texte qui nous est présenté aujourd’hui est ambitieux, puisqu’il aborde presque tous les aspects de la politique pénale, depuis les mesures alternatives aux poursuites jusqu’à l’application des peines.

Certaines de ses propositions sont la reprise de critiques anciennes formulées par notre commission. On peut citer la contrainte pénale, dont nous avions dit à l’époque qu’elle serait inutile et inefficace.

Les faits nous ont donné raison, puisque, notre rapporteur l’a rappelé, les magistrats, parfaitement familiers du sursis avec mise à l’épreuve, ne se sont absolument pas approprié ce nouvel outil, quasi similaire, dont ils ne voient pas l’intérêt.

Les statistiques parlent d’elles-mêmes : depuis 2014, 2 000 mesures de contrainte pénale ont été ordonnées, contre 80 000 sursis avec mise à l’épreuve. Y renoncer aujourd’hui serait donc une mesure de bon sens.

Je partage, avec notre rapporteur, le souci de renforcer l’effectivité de l’exécution des peines. Celle-ci est absolument essentielle pour la crédibilité de la réponse pénale. Comment justifier une exécution des peines plusieurs mois, voire un an après leur prononcé ? Nos concitoyens, confrontés à cette réalité, en sont ulcérés et ils ont raison.

Cette proposition contient plusieurs dispositions qui concourent à améliorer l’exécution des peines ; nous les soutenons.

La proposition de loi comprend également plusieurs mesures de simplification procédurale : lecture de décision de renvoi devant la cour d’assises, possibilité pour les enquêteurs d’avoir un support papier lors de leurs auditions… Ces mesures vont dans le bon sens et participent à la bonne administration de la justice.

Je tiens, enfin, à saluer le travail réalisé par notre collègue François Pillet sur ce texte. Comme d’habitude, il s’est montré précis, vigilant et constructif.

Il a proposé, à juste titre, à notre commission de ne pas retenir plusieurs dispositions du texte initial qui lui paraissaient inopportunes, voire contre-productives. Suivant ses conseils, nous avons ainsi supprimé les articles 1er et 2, considérant notamment que l’automatisation de l’engagement des poursuites en cas d’échec d’une mesure alternative, contraire au principe d’opportunité des poursuites, risquait d’avoir des effets contre-productifs et de réduire le taux de réponse pénale.

Plus généralement, il a su éviter les a priori et les caricatures. Non, il ne faut pas laisser penser que certaines mesures de ce texte constitueraient une forme de défiance vis-à-vis des juges. Grâce aux modifications de notre rapporteur, que ce soit pour les peines planchers, la révocation du sursis ou la réduction des peines, le dernier mot reviendra toujours au juge.

Malgré les réserves que j’ai exprimées en introduction, notamment sur la surabondance de textes, et la nécessité absolue de s’attaquer prioritairement au renforcement des moyens matériels et humains de la justice, nous voterons ce texte amendé par notre commission des lois.

Pour être cohérents, pour que ce ne soit pas un simple texte de plus sur la justice, nous serons attentifs à ses évolutions dans le cadre de la navette, mais surtout au corollaire budgétaire qui l’accompagnera, et qui sera sans doute de la responsabilité de la prochaine majorité. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)

Mme Patricia Morhet-Richaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour examiner la proposition de loi visant à renforcer l’efficacité de la justice pénale – sujet ô combien important, alors que la violence est omniprésente et au moment où le sentiment d’impunité gagne dans l’opinion publique !

Il faut dire que les différentes réformes mises en œuvre par le Gouvernement – par exemple, la suppression de la contrainte pénale – ont contribué à alimenter le débat sur une justice à deux vitesses, dont le point d’orgue est atteint avec la question des peines d’emprisonnement ferme de moins de deux ans qui, dans la plupart des cas, ne sont pas exécutées.

C’est pourquoi, alors que se multiplient les actes délictueux et que la délinquance, en particulier les violences contre les personnes et les cambriolages, augmente sensiblement, nous ne pouvons que nous féliciter de l’initiative de nos collègues François-Noël Buffet et Bruno Retailleau.

En effet, la justice est en crise et elle va mal. Les tribunaux sont engorgés, les procédures, longues, compliquées, reportées, et bon nombre de peines, non exécutées !

Pourtant, l’accès au droit est un pilier essentiel de toute démocratie et c’est la raison pour laquelle la justice doit être indépendante, efficace et accessible à tous.

L’accumulation des lois désoriente les justiciables, l’instabilité de la législation complexifie la tâche des professionnels du droit et la surtransposition des directives européennes entraîne un surcoût financier.

Si, en France, « nul n’est censé ignorer la loi », il faut bien reconnaître que peu la maîtrisent. Cette situation contribue à un sentiment d’insécurité de la part de nos concitoyens et alimente une forme de défiance à l’égard de l’institution judiciaire.

Pour corriger cette situation et garantir une justice indépendante et juste, nous devons veiller à une stabilisation législative. Ce domaine n’échappe pas à une nécessaire réforme et les axes retenus par ce texte vont dans le bon sens.

En effet, renforcer l’efficacité des poursuites pénales, renforcer l’effectivité des alternatives aux poursuites et renforcer le contenu de la réponse pénale constituent autant de mesures qui sont de nature à corriger l’image trop laxiste de l’appareil répressif et font apparaître la sanction plus clairement. Ainsi, les délinquants ne pourront plus échapper aux sanctions et les décisions auront valeur d’exemplarité.

Je me félicite également du renforcement de la protection des mineurs et du renforcement de la lutte contre le terrorisme. Là encore, ce sont des mesures qui complètent efficacement l’arsenal judiciaire et concourent à la sécurisation des populations, notamment des plus fragiles comme les mineurs. La nouvelle rédaction de la contrainte morale dans la qualification des infractions sexuelles était attendue depuis longtemps.

Tout ce qui peut restaurer l’effectivité de l’exécution de la peine doit être mis en œuvre par le législateur. Il est essentiel de redonner leur valeur d’exemplarité aux décisions de justice et du sens aux peines prononcées.

Le nombre de peines de prison ferme non exécutées oscille actuellement entre 80 000 et 100 000. Par l’effet des réductions de peines automatiques et des mesures d’aménagement, la durée des peines exécutées est fortement réduite.

Au 1er janvier 2017, 68 432 personnes étaient détenues en France. Parmi elles, combien de récidivistes ? La réhabilitation des peines planchers pour des délits supérieurs à cinq ans de prison, tout comme la suppression de l’automaticité des réductions de peines sont des signes forts adressés à tous ceux qui ont un sentiment d’impunité.

Actuellement, 19 498 personnes non encore jugées ou dont la peine est frappée d’appel sont incarcérées.

La création de centres de rétention pénitentiaire à sécurité adaptée pour les détenus qui présentent une faible dangerosité et un risque d’évasion limité est un moyen efficace de lutter contre la surpopulation carcérale. Dans certaines maisons d’arrêt, le taux d’occupation moyen atteint 137 %. La détention provisoire ne cesse d’augmenter et le programme de construction de 10 000 à 16 000 places, annoncé par M. le ministre, ne résoudra pas, à lui seul, ce problème. Même si la détention doit être dissuasive, elle doit être digne et humaine.

Au-delà du sujet de l’immobilier pénitentiaire se pose le problème des procédures. Elles sont de plus en plus complexes et contraintes par la faiblesse des moyens et par des possibilités limitées.

Il faut bien avouer que la justice pénale peine à remplir sa mission. C’est pourquoi il est nécessaire de restaurer sa lisibilité et sa crédibilité.

Cette proposition de loi va donc dans le bon sens. Je voudrais d’ailleurs saluer le travail de notre collègue François Pillet, rapporteur de la commission des lois – commission présidée notre collègue Philippe Bas –, qui permet à ce texte de gagner en lisibilité et de tendre vers un objectif de confiance rétablie.

Les articles qui la constituent répondent, d’une part, à l’exigence d’efficacité et, d’autre part, aux besoins des acteurs de la chaîne judiciaire pour agir plus sereinement.

Dans le contexte actuel, nous ne pouvons que nous réjouir des dispositions permettant de préciser l’intelligence avec une puissance étrangère et de compléter le délit d’entreprise individuelle terroriste.

Cette réforme de la procédure pénale doit aider la justice à être plus simple, plus efficace, plus indépendante.

Je voudrais terminer mon propos en rendant hommage au travail effectué par tous les maillons de la chaîne que constitue la justice française : leur tâche est importante et chaque échelon est précieux.

Pour toutes ces raisons, je suis bien entendu favorable à cette proposition de loi, que je voterai. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ainsi qu’au banc des commissions. – M. Jean-François Longeot applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. François Bonhomme. (M. Cyril Pellevat applaudit.)

M. François Bonhomme. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, la justice est malade et le malade est sous respiration artificielle ! Rarement autant d’experts et d’acteurs de la justice n’auront partagé ce constat.

L’intérêt de l’initiative sénatoriale que nous examinons aujourd’hui est d’appréhender la question du bon fonctionnement de la justice dans sa globalité et du point de vue de son efficacité. Sa vertu consiste à faire des propositions pour chacun des maillons de la procédure pénale, afin que les décisions de justice soient mieux admises, comprises et, surtout, appliquées.

Chacun des six chapitres de la proposition de loi correspond à une étape de la procédure pénale : renforcer l’effectivité des alternatives aux poursuites ; renforcer l’efficacité des poursuites pénales et la capacité du procureur de la République à agir plus en amont dans la procédure ; renforcer le contenu de la réponse pénale ; restaurer l’efficacité de l’exécution de la peine prononcée ; renforcer la lutte contre le terrorisme ; renforcer la protection des mineurs.

Concernant le chapitre IV visant à restaurer l’effectivité de l’exécution des peines, l’article 21 supprime la contrainte pénale, issue de la loi Taubira, et la libération sous contrainte, afin de restituer son efficience au sursis avec mise à l’épreuve instauré en 1958.

Monsieur le garde des sceaux, vous avez présenté – je vous le rappelle – un rapport sur la surpopulation carcérale depuis une trentaine d’années. Il pointe un doublement du nombre de personnes incarcérées sur cette période – elles étaient près de 69 000 au 1er août 2016 – et impute ce phénomène à plusieurs facteurs, parmi lesquels l’augmentation du nombre de peines d’emprisonnement prononcées.

Dans le même temps, il y a effectivement lieu de s’interroger sur l’efficacité du dispositif de contrainte pénale, mis en place en 2014 par Mme Taubira – et avec quelle assurance…

Or, à la fin de 2016, le bilan de cette mesure phare de la réforme pénale s’avère bien sombre. Il faut l’admettre, ce dispositif n’a jamais véritablement pris. En deux ans, les juridictions ont prononcé 2 287 contraintes pénales, alors même que l’étude d’impact en prévoyait de 8 000 à 10 000 chaque année. Seuls vingt-quatre des 173 tribunaux de grande instance en ont prononcé la moitié.

C’est un euphémisme de dire que la contrainte pénale, qui ne représente que 0,35 % des peines, est peu prononcée. Et elle n’est assurément pas la martingale judiciaire que votre prédécesseur brandissait avec une certaine théâtralité. Pourtant, comme le rappelle la circulaire de politique pénale de juin 2016, l’instruction a été donnée aux parquets de requérir son prononcé, notamment à la place des peines courtes d’emprisonnement.

Quelles sont les raisons de l’échec de ce dispositif ? D’abord, son manque de crédibilité. Il correspond davantage à un habillage juridique, puisqu’il prend la forme d’une nouveauté, mais est similaire – en moins bien conçu ! – à d’autres peines qui existent depuis les années cinquante, notamment le sursis avec mise à l’épreuve, créé en 1958, qui a très largement les faveurs des juridictions répressives.

Finalement, la contrainte pénale se distingue difficilement, par son contenu, du sursis avec mise à l’épreuve. Dans les deux cas, les mesures contraignantes ont pour vocation de contribuer à l’insertion et au reclassement social de la personne condamnée. En outre, en cas de violation des obligations et interdictions imposées, la peine d’emprisonnement peut être prononcée.

Enfin, cette mesure nécessiterait une augmentation très significative du nombre de postes de travailleurs sociaux, notamment dans les services pénitentiaires d’insertion et de probation, les SPIP. En effet, pour que l’usage de la contrainte pénale produise les effets escomptés en matière de prévention de la récidive, la question des moyens alloués à ces services est évidemment essentielle. En moyenne, un conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation gère plus de cent dix dossiers !

La contrainte pénale fait directement concurrence aux autres peines en milieu ouvert. Or les magistrats n’optent pour une nouvelle peine que si elle est crédible, meilleure et différente des précédentes et si elle n’est pas inutilement compliquée.

C’est pourquoi cette nouvelle usine à gaz mérite d’être supprimée, tout comme la libération sous contrainte. Tel est l’objet de l’article 21. Toute mesure dans ce domaine doit s’appuyer sur la sanction et la responsabilité individuelle. Elle doit combiner prévention, dissuasion, sanction et réinsertion, mais doit être fondée sur l’efficacité, la rapidité et la fermeté.

Plus largement, le code de procédure pénale fait, aujourd’hui, de l’aménagement de la peine le principe et non l’exception. Il faut s’interroger sur ce point et inverser la logique, en réservant cette mesure aux seules peines de prison ferme de moins de six mois par le juge de l’application des peines.

Il s’agit donc de redonner toute sa place au sursis avec mise à l’épreuve, en renforçant l’efficacité du contrôle et de la prise en charge des personnes condamnées, sans pour autant grever davantage le budget. Pour ce faire, l’article 22 de la proposition de loi prévoit la réintroduction des délégués bénévoles à la probation qui, pour les dossiers les moins lourds, viendront alléger la charge des agents des services pénitentiaires d’insertion et de probation.

La justice est bien le maillon faible de la chaîne pénale, en particulier dans son volet relatif à l’exécution des peines. À n’en pas douter, c’est pourtant un enjeu majeur d’une bonne justice et c’est ce que nos concitoyens, confrontés à des dysfonctionnements répétés, attendent sans trop d’illusions… (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Gérard Roche et Olivier Cigolotti applaudissent également.)