M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d’État auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la problématique des déserts médicaux est éminemment complexe. Tout au long du quinquennat, nous avons eu l’occasion de débattre, dans cet hémicycle, de cette question centrale, qui – reconnaissons-le ! – dépasse largement les clivages partisans habituels.

Oui, les Français sont inquiets de voir leur médecin de famille vieillir, de ne pas savoir si celui-ci trouvera un successeur ou à l’idée de ne pas trouver un praticien qui accepte de les prendre comme patients, par exemple lorsqu’ils changent de résidence. Ils sont aussi inquiets face au parcours du combattant qu’il faut parfois accomplir pour obtenir un rendez-vous chez un spécialiste.

Ces enjeux sont devenus une préoccupation majeure pour nos concitoyens et une priorité pour le Gouvernement.

C’est pourquoi, au nom du Gouvernement, je veux remercier le groupe de l’UDI-UC d’avoir inscrit ce débat à l’ordre du jour de votre assemblée et d’avoir choisi de mettre en avant un aspect concret, pragmatique, dans la réponse à apporter pour lutter contre les déserts médicaux : la place et le rôle qu’ont à jouer les professions paramédicales.

Notre système de santé est fort de la synergie qui existe entre ses professionnels et que le Gouvernement a pour ambition de renforcer encore, en donnant à chacun des acteurs les moyens d’exercer son métier et de s’épanouir. La ministre des affaires sociales et de la santé, Marisol Touraine, porte cette ambition au bénéfice des professionnels, qui doivent être reconnus, mais aussi à celui des patients.

Nous le savons tous, la problématique de l’accès aux soins va bien au-delà de la question des consultations médicales. Aujourd’hui, le vieillissement de la population, le développement des maladies chroniques, la complexité des prises en charge nous imposent de faire évoluer notre vision de l’accès aux soins.

Plus que jamais, l’ensemble des professionnels de santé doit travailler en équipe, organiser des parcours de soins, développer des approches globales afin d’assurer au patient qu’il reçoit les bons soins, par les bons professionnels, au bon moment, y compris lorsque le patient est en situation dite complexe ou de handicap ou qu’il se trouve en perte d’autonomie.

C’est pour répondre à cet enjeu que le Gouvernement agit depuis 2012. Réduire les inégalités territoriales de santé a été l’une des grandes priorités de l’action de la ministre des affaires sociales et de la santé, Marisol Touraine. Nous avons agi non seulement pour mieux répartir l’ensemble des professionnels, mais aussi pour réorganiser le système de soins.

D’abord, nous avons renforcé le travail d’équipe : dès la formation, nous avons développé cette culture. Vous le savez, les professions de santé s’apprennent sur les lieux du futur exercice. Un enseignement exclusivement hospitalier est un frein à la naissance de vocations pour l’exercice en ambulatoire, encore plus dans les déserts médicaux.

M. Jean Desessard. Absolument !

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. C’est pourquoi la loi de modernisation de notre système de santé a permis d’élargir les lieux pouvant être agréés comme terrains de stage. Désormais, un infirmier, un pédicure-podologue ou un kinésithérapeute peut réaliser une partie de sa formation dans des maisons de santé pluriprofessionnelles, des centres de santé ou des cabinets de professionnels libéraux.

Pour mieux accompagner au quotidien chaque professionnel de santé, qu’il soit médical ou paramédical, je vous rappelle aussi qu’un portail d’accompagnement des professionnels de santé a été ouvert dans chaque région, afin d’apporter aux jeunes et aux professionnels toutes les informations pratiques sur la formation, l’installation et les aides proposées, ainsi que sur les conditions d’exercice.

Je veux ensuite, évidemment, évoquer les maisons de santé pluriprofessionnelles. L’étude de l’IRDES, l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé, conduite en 2014, a clairement montré que l’implantation des maisons de santé permettait de maintenir et même de développer l’offre de soins dans les territoires à dominante rurale, plus fragiles.

Ces structures regroupées, qui associent des professions médicales et paramédicales autour d’un même projet de santé, dans un même lieu, ont fait la preuve de leur attractivité. Nous voyons bien qu’elles correspondent fortement aux attentes des patients, en regroupant tous les professionnels sur un seul site et en garantissant ainsi une meilleure continuité des soins.

C’est pourquoi nous avons multiplié ce type de structures depuis 2012 : il existait alors 174 maisons de santé et il y en aura 1 200 à la fin de cette année.

Deuxième chantier d’importance, celui de la définition de parcours de soins, dans lesquels les professions paramédicales ont une place centrale. L’une des ambitions de la loi de modernisation de notre système de santé est de faciliter au quotidien les parcours de santé des patients, en organisant un premier recours efficace.

Ainsi, la mise en place d’équipes de soins primaires et des communautés professionnelles territoriales de santé doit permettre de faciliter les parcours de soins dans les zones à faible densité grâce à la coordination des professionnels de santé.

Concrètement, les communautés professionnelles territoriales de santé réunissent à l’échelle d’un bassin de vie les maisons de santé, les professionnels de santé de premier et second recours, les travailleurs sociaux et les professionnels médico-sociaux, afin d’assurer une meilleure coordination de leur action respective, de structurer des parcours de santé et d’améliorer la couverture des territoires par des équipes de soins primaires.

Pour prendre un exemple précis, nous savons que, pour éviter le recours à l’hospitalisation, la coordination des professionnels est un facteur clé dans l’amélioration de la prise en charge des personnes âgées. Une telle coordination autour d’un patient âgé n’est possible dans de bonnes conditions que si l’organisation des professions de santé sur un même territoire a été adaptée pour anticiper les situations de rupture.

C’est tout le sens du dispositif PAERPA, parcours de santé des personnes âgées, qui est expérimenté dans neuf territoires pilotes depuis 2014 et qui a été étendu à seize zones au mois de juin 2016. Ce dispositif s’adresse aux personnes âgées de 75 ans et plus, dont l’autonomie est susceptible de se dégrader pour des raisons d’ordre médical ou social.

Afin de préserver l’autonomie des personnes âgées, la démarche engagée dans le cadre du programme PAERPA renforce notamment la prise en charge à domicile, en s’appuyant sur tous les professionnels de soins primaires : médecins traitants, infirmiers, pharmaciens, masseurs-kinésithérapeutes et autres auxiliaires médicaux.

Si la coordination des professionnels de santé est un facteur essentiel d’une bonne prise en charge des patients sur l’ensemble du territoire et permet un parcours de soins plus lisible, les pratiques avancées doivent également se concrétiser dans le quotidien des patients.

Le développement de ces pratiques par des professions paramédicales est une réponse, qui peut être efficace, au manque de médecins dans certains territoires.

C’est le cas du dispositif ASALEE qui, grâce à la délégation de certains actes et à une coopération renforcée entre des médecins généralistes et des infirmiers de santé publique, améliore la qualité de la prise en charge des maladies chroniques hors de l’hôpital.

Développé initialement pour le diabète, ce dispositif s’étend désormais à la prise en charge cardio-vasculaire, au tabagisme et aux troubles cognitifs. L’infirmier ASALEE collabore, en moyenne, avec cinq à six médecins. La plupart de ces professionnels exercent en structure d’exercice regroupé – maison ou centre de santé –, d’autres en cabinet de groupe monoprofessionnel.

Ce dispositif est d’ores et déjà une réussite. Au mois de novembre 2015, 300 000 patients avaient bénéficié d’un suivi et d’éducation thérapeutique dans son cadre. À la fin de l’année 2016, 1 441 médecins travaillaient en collaboration avec l’un des 416 infirmières et infirmiers du programme.

Pour aller plus loin et renforcer le rôle des infirmiers comme professionnels de soins de premier recours, le ministère a engagé, en concertation avec les représentants de la profession, une actualisation du décret d’actes des infirmiers. Cette actualisation, attendue par les professionnels, constituera une étape très importante. Les discussions, qui ont commencé au début du mois de février, porteront notamment sur la possibilité d’étendre les compétences des infirmiers en matière de vaccination.

Je veux aussi citer en exemple le développement des pratiques avancées au sein de la filière visuelle. Nous le savons tous, cette dernière est marquée, sur l’ensemble du territoire, par des difficultés d’accès, notamment des délais d’attente trop longs. C’est pourquoi, avec la loi de modernisation de notre système de santé, Marisol Touraine a engagé des travaux visant à diversifier l’offre de soins ophtalmologiques et à proposer des solutions nouvelles dans les zones sous-denses.

Les orthoptistes constituent les principaux acteurs de cette démarche, en coopération avec les ophtalmologues. Un contrat collectif, proposé aux structures de soins coordonnées – centres et maisons de santé –, permettra d’apporter un soutien financier pour investir dans du matériel, afin de permettre des consultations d’orthoptie réalisées sur délégation d’un ophtalmologiste. Cela permettra par exemple à l’orthoptiste d’effectuer le dépistage de la rétinopathie diabétique comme un bilan visuel.

Pour conclure sur la question des pratiques avancées des professions paramédicales, je vous indique également que la direction générale de l’offre de soins a constitué, à la fin de l’année 2016, un comité de pilotage, afin de clarifier le concept au regard de l’hétérogénéité des modèles étrangers, que vous avez, les uns et les autres, évoqués. Les travaux menés s’appuieront sur l’avis des professionnels et devraient permettre la rédaction des textes prévus par la loi de modernisation de 2016.

Je souhaite enfin vous donner quelques éléments sur des sujets qui ont été abordés au cours du débat.

Pour ce qui concerne les orthophonistes, sujet soulevé par Mme Cohen, Marisol Touraine a souhaité, en concertation avec les professionnels, rendre ce métier plus attractif. Une démarche a été engagée pour revaloriser, de manière globale, la filière de la rééducation à l’hôpital public.

Parmi les mesures proposées, on peut noter la possibilité d’exercer à temps non complet et de cumuler des activités, afin que, demain, les masseurs-kinésithérapeutes, les orthophonistes et les pédicures-podologues puissent conjuguer activité hospitalière et ambulatoire. Cela pourra résoudre un certain nombre de problèmes.

Marisol Touraine a également décidé d’octroyer une prime de 9 000 euros pour inciter à exercer dans un établissement d’un territoire présentant un risque de fragilisation de l’offre de soins, c’est-à-dire dans les zones sous-dotées. Cette mesure devrait d’abord concerner les masseurs-kinésithérapeutes et les orthophonistes.

Enfin, des négociations sont en cours pour revaloriser la filière des orthophonistes, la rémunération devrait de ce fait progresser de l’ordre de 17 %.

Je souhaite également dire quelques mots sur les sages-femmes. Ce point sort à proprement parler de notre débat, puisqu’il s’agit d’une profession médicale.

Cette profession a connu, ces dernières années, un élargissement considérable de ses missions. Une grande campagne de communication, lancée en 2016 par le ministère des affaires sociales et de la santé, a permis de faire connaître largement la diversité des missions des sages-femmes.

Aujourd’hui, ces professionnels participent au suivi gynécologique de prévention des femmes et peuvent prescrire une contraception. Ils participent également à l’activité obstétricale hors établissement de santé, notamment dans le cadre de l’expérimentation des maisons de naissance. Ils contribuent aux activités d’interruption volontaire de grossesse et peuvent désormais réaliser des IVG médicamenteuses. Ils peuvent procéder à des vaccinations, par exemple contre la rougeole ; cela concerne la mère, le nouveau-né, ainsi que les personnes vivant dans leur entourage. Ils interviennent dans la prescription de substituts nicotiniques à l’entourage de la femme et du nouveau-né.

Je note enfin que les sages-femmes peuvent exercer dans une pluralité de lieux, aspect qui entre pleinement dans notre sujet de ce soir.

En conclusion, mesdames et messieurs les sénateurs, l’augmentation de l’espérance de vie et la multiplication des patients atteints de pathologies multiples nécessitent, évidemment, des prises en charge pluriprofessionnelles. C’est pourquoi, plus que jamais, nous devons faire confiance à tous les professionnels de santé, sans exclusive, qu’ils soient médicaux ou paramédicaux. Chaque jour, ils font émerger de nouvelles idées grâce à leur pratique quotidienne.

Au-delà de la théorie, ces professionnels sont demandeurs de solutions concrètes, palpables. C’est le sens du travail que nous avons engagé durant les cinq dernières années. Nous n’avons pas la prétention d’affirmer que tout est réglé,…

M. Jean Desessard. Vous voulez un quinquennat supplémentaire ? (Sourires.)

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d’État. … mais il faudra poursuivre en ce sens ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste. – M. Olivier Cigolotti applaudit également.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Quel rôle les professions paramédicales peuvent-elles jouer dans la lutte contre les déserts médicaux ? »

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Dépôt de rapports

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre :

- le rapport relatif à l’application de la loi organique n° 2013-906 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique ;

- le rapport relatif à l’application de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique ;

- le rapport relatif à la mise en œuvre de l’ensemble des dispositions relatives à la concertation et au dialogue social des militaires.

Acte est donné du dépôt de ces rapports.

Ils ont été transmis aux commissions permanentes compétentes.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt heures cinquante, est reprise à vingt-deux heures vingt.)

M. le président. La séance est reprise.

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Dossier législatif : proposition de loi visant à assurer la sincérité et la fiabilité des comptes des collectivités territoriales
Discussion générale (suite)

Sincérité et fiabilité des comptes des collectivités territoriales

Discussion d’une proposition de loi

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à assurer la sincérité et la fiabilité des comptes des collectivités territoriales
Demande de renvoi à la commission (début)

M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe de l’UDI-UC, la discussion de la proposition de loi visant à assurer la sincérité et la fiabilité des comptes des collectivités territoriales, présentée par M. Vincent Delahaye et plusieurs de ses collègues (proposition n° 131, rapport n° 411, résultat des travaux de la commission n° 412).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Vincent Delahaye, auteur de la proposition de loi.

M. Vincent Delahaye, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je constate que cette proposition de loi a déplacé les foules…

M. Charles Revet. Mais nous sommes là !

M. Vincent Delahaye. Si la quantité laisse à désirer, la qualité est là !

Aux termes de la Constitution, « Les comptes des administrations publiques sont réguliers et sincères. Ils donnent une image fidèle […] de leur situation financière. » La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, quant à elle, dispose : « La Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration. »

Pour garantir l’application de ces principes, le système mis en place dans notre pays me paraît efficace. Il repose sur le principe de la séparation des ordonnateurs et des comptables – dans les collectivités locales, l’ordonnateur, c’est-à-dire l’élu, décide de la dépense et le comptable en assure le paiement. Cette séparation me paraît un élément très fort, en termes de contrôle interne. En outre, depuis les lois de décentralisation, les élus ont acquis la liberté de gestion, un contrôle de légalité a posteriori a été prévu, ainsi qu’un contrôle par les chambres régionales des comptes, ou CRC, soit sur leur propre initiative, soit sur saisine du préfet.

Ce système présente donc de nombreuses vertus, mais il a aussi des limites, mises en évidence lors des derniers renouvellements des conseils départementaux et régionaux. Les anomalies relevées ne sont pas nombreuses, mais elles ont été abondamment commentées, notamment pour ce qui concerne l’ancienne région Poitou-Charentes et le département de l’Essonne.

Ces grandes collectivités ne font pas l’objet d’un contrôle annuel, ce qui peut surprendre, surtout si l’on compare leur situation à celle des grandes entreprises, qui ont des commissaires aux comptes et respectent des procédures de certification assez lourdes. Les grandes collectivités locales, dont le budget dépasse parfois le milliard d’euros, allant même jusqu’à 5 milliards d’euros, ne sont contrôlées a posteriori que tous les cinq ans ou six ans, donc avec un grand décalage dans le temps.

L’ancien président du conseil départemental de l’Essonne a reconnu que les comptes du département n’étaient pas tout à fait sincères et ne respectaient pas, notamment, le principe de l’annualité budgétaire, puisque le paiement de factures avait été reporté progressivement, au fil des ans, d’un exercice à l’autre. Le montant des arriérés s’élevait à 108 millions d’euros, sur un budget total d’environ un milliard d’euros, ce qui n’est pas normal. Pour sa défense, cet élu a invoqué l’argument classique selon lequel « tout le monde le fait ». Or ce n’est pas vrai, et heureusement ! Ce n’est pas ainsi que je gère la collectivité que je préside et je ne pense pas non plus que vous recourriez à de telles pratiques lorsque vous étiez maire, monsieur le secrétaire d’État, pas plus que nombre de nos collègues ne l’ont fait dans l’exercice de leurs mandats locaux.

Les exemples que j’ai cités m’ont poussé à travailler avec des juristes sur une proposition de loi visant à améliorer la présentation des comptes, d’un point de vue à la fois préventif et dissuasif. Ce faisant, j’ai voulu m’inscrire dans la lignée des travaux engagés sous l’autorité de Philippe Séguin, mais qui n’avaient pas totalement abouti, et compléter le dispositif actuel en prévoyant que les chambres régionales des comptes réalisent chaque année un examen a posteriori limité des comptes des collectivités les plus importantes.

Évidemment, il ne s’agit pas de leur demander de contrôler les comptes de 49 000 ordonnateurs ! Seules les collectivités dont le budget dépasse 200 millions d’euros de recettes annuelles seraient soumises à un contrôle annuel – 200 collectivités sont concernées – ; quant aux collectivités dont le montant de recettes annuelles est situé entre 100 millions d’euros et 200 millions d’euros, le contrôle aurait lieu tous les deux ans – 110 collectivités sont concernées. Au total, seules 310 grandes collectivités verraient leurs comptes soumis à ce contrôle.

Ce volet préventif est complété par un volet dissuasif. Il s’agit de rendre obligatoire la transmission de toute irrégularité constatée par la chambre régionale des comptes à la Cour de discipline budgétaire et financière, d’élargir les compétences de cette juridiction et de prévoir des sanctions applicables en cas de manquement, avec des peines pécuniaires ou d’inéligibilité.

Telle est, en résumé, l’architecture de cette proposition de loi. Je tiens à remercier Mme Catherine Di Folco, rapporteur de ce texte, du travail d’audition qu’elle a réalisé, car il a permis de relever un certain nombre d’observations et de remarques auxquelles je souhaiterais rapidement répondre.

La première objection qui pourrait être opposée à cette proposition de loi consiste à rappeler que la loi NOTRe a prévu une expérimentation en matière de certification des comptes des collectivités territoriales. Dès cette année, 25 collectivités devraient se soumettre volontairement à cet exercice. Il me semble que l’application d’un dispositif aussi lourd et coûteux pour la collectivité locale n’est pas nécessaire. J’ai personnellement travaillé à la certification des comptes des entreprises et j’estime que cette procédure serait superflue, sachant notamment les qualités du système que j’ai rappelées au début de mon intervention.

Une autre objection consiste à rappeler que le respect du principe d’annualité pose problème non seulement pour les dépenses, mais aussi pour les produits. Par ailleurs, la fiabilité des comptes est également mise en défaut par l’insuffisance des amortissements ou des provisions. À mon sens, il convient de se concentrer sur les risques les plus importants. Très peu de collectivités ne consomment pas la totalité de leurs recettes de l’année, sinon c’est qu’elles disposent de recettes suffisamment confortables pour se permettre d’en oublier quelques-unes. En revanche, celles qui peuvent céder à la tentation de reporter quelques dépenses sur les exercices suivants sont plus nombreuses…

M. Jean Desessard. C’est pareil pour les entreprises !

M. Vincent Delahaye. Il faut donc se concentrer davantage sur ce risque qui me paraît majeur au regard de l’impératif de sincérité des comptes des collectivités locales.

On m’objectera également que les chambres régionales des comptes sont indépendantes et qu’elles déterminent elles-mêmes leur programme de travail. Certes, mais il me semble que le Parlement, qui représente le peuple, peut définir des priorités dans les contrôles à réaliser. En outre, le travail accompli dans le cadre du contrôle limité effectué chaque année, notamment sur le respect du principe d’annualité, ne serait plus à faire lors des contrôles plus approfondis réalisés tous les cinq ou six ans. Une fois les premiers contrôles limités effectués, ils seront assez faciles à reproduire les années suivantes, ce qui allégera également le travail.

J’ai indiqué précédemment que seules 310 grandes collectivités locales seraient concernées par cette proposition de loi. Sachant qu’il existe 18 chambres régionales des comptes, chacune se verrait attribuer en moyenne 17 dossiers. Évidemment, ces grandes collectivités ne sont pas réparties équitablement sur le territoire, certaines chambres régionales des comptes traiteraient donc plus de dossiers que d’autres. Peut-être conviendrait-il également de réfléchir aux moyens attribués à ces juridictions et à une modification de leur répartition ?

Une autre objection tient au risque de voir la Cour de discipline budgétaire et financière, qui est très peu saisie, submergée par les saisines. Je pense que cette prédiction ne se réalisera pas, parce que le fait que les fonctionnaires territoriaux ne puissent plus invoquer un ordre écrit pour se dédouaner contribuera à responsabiliser les services des collectivités locales. Il en résultera un renforcement des contrôles internes, dont l’effet préventif réduira le nombre d’anomalies constatées, déjà assez limité. Cet argument me semble donc pouvoir être facilement écarté.

Enfin, j’entends dire qu’il faut cesser d’imposer des contraintes supplémentaires aux élus. Sur la question précise de la sincérité des comptes, je suis en désaccord avec cette affirmation. En effet, les dérives d’un nombre très réduit de personnes déconsidèrent l’ensemble des élus et c’est à cette situation qu’il faut mettre fin.

Pour conclure, j’estime que cette proposition de loi soulève un véritable problème, limité quant au nombre de collectivités et d’élus concernés. Je souhaite que les objections qui vont être avancées par les différents intervenants puissent être prises en compte dans le cadre d’un travail complémentaire, que je suis prêt à réaliser avec Mme la rapporteur. Une fois que le rapport d’étape sur l’expérimentation de la certification des comptes aura été rendu en 2018, cette proposition de loi pourra être modifiée et revenir en discussion. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC. – MM. Jean Desessard et Charles Revet applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes saisis de la proposition de loi, présentée par M. Vincent Delahaye et plusieurs de ses collègues du groupe de l’UDI-UC, visant à assurer la sincérité et la fiabilité des comptes des collectivités territoriales.

Aux termes de l’article 47-2 de la Constitution, « Les comptes des administrations publiques sont réguliers et sincères. Ils donnent une image fidèle du résultat de leur gestion, de leur patrimoine et de leur situation financière. »

En pratique, il n’est pas aisé de répondre à cette exigence légitime et la fiabilité des comptes locaux reste perfectible, malgré l’implication constante des élus, des agents territoriaux, des comptables publics et des chambres régionales et territoriales des comptes.

La proposition de loi prévoit deux mesures distinctes : le renforcement des contrôles non juridictionnels des chambres régionales et territoriales des comptes, dans son volet préventif, et l’élargissement des compétences de la Cour de discipline budgétaire et financière, dans son volet répressif.

Ainsi, l’article 1er de ce texte tend à imposer un programme de contrôle de gestion aux chambres régionales et territoriales des comptes et à créer un nouveau « contrôle de l’annualité budgétaire ». Ces dispositions concerneraient environ 150 collectivités territoriales et établissements publics, disposant de recettes annuelles supérieures à 200 millions d’euros, et près de 400 collectivités territoriales ou établissements, disposant de recettes annuelles comprises entre 100 millions d’euros et 200 millions d’euros.

Le texte prévoit, en outre, une saisine automatique du ministère public près la Cour de discipline budgétaire et financière lorsque les CRC constatent, à l’occasion d’un contrôle de gestion ou d’un contrôle de l’annualité budgétaire, une des infractions sanctionnées par cette juridiction.

Cette proposition de loi tend ainsi à élargir les possibilités de sanction des élus locaux devant la Cour de discipline budgétaire et financière. Le droit applicable aux élus locaux serait aligné sur celui qui concerne les membres des cabinets ministériels ou les administrateurs des entreprises publiques. Les membres du Gouvernement, les administrateurs élus des organismes de protection sociale et les administrateurs et agents des associations de bienfaisance resteraient hors du champ de compétence de cette juridiction.

Enfin, l’article 1er vise également à supprimer le dispositif de l’« ordre écrit » pour les fonctionnaires ou agents des collectivités territoriales et des établissements publics locaux. Ce mécanisme resterait toutefois applicable aux membres des cabinets ministériels, aux fonctionnaires ou agents civils ou militaires de l’État, ainsi qu’aux représentants des organismes soumis au contrôle des juridictions financières.

L’article 2 de la proposition de loi prévoit qu’un décret en Conseil d’État détermine les conditions dans lesquelles les personnes détentrices d’un mandat exécutif local peuvent s’assurer contre le risque de sanctions pécuniaires, sans toutefois préciser le mécanisme retenu.

La Cour de discipline budgétaire et financière pourrait également prononcer une peine d’inéligibilité contre les élus locaux ayant commis une des infractions prévues par le code des juridictions financières. Il s’agirait là d’un quatrième type d’inéligibilité. Cette disposition modifierait substantiellement l’office de cette juridiction qui ne prononce, en l’état du droit, que des sanctions pécuniaires.

Enfin, l’article 3 de la proposition de loi prévoit que, au plus tard un an après son entrée en vigueur, le Gouvernement remette au Parlement « un rapport mesurant l’impact » de ce contrôle.

Les questions soulevées par ce texte ne sont pas dénuées d’intérêt et il est sans doute nécessaire de poursuivre les efforts de fiabilisation des comptes locaux.

Depuis les années 1980, les règles budgétaires et comptables des collectivités territoriales ont été progressivement et utilement renforcées. Les procédures sont bien encadrées et divers contrôles sont exercés.

Ainsi, le comptable public réalise des contrôles internes. Il procède à des « contrôles comptables automatisés » et transmet à l’ordonnateur un « indice de qualité des comptes locaux ».

Les documents budgétaires et comptables sont, dès leur adoption, transmis au préfet du département qui peut lui aussi procéder à un contrôle budgétaire.

Les CRC exercent deux contrôles non juridictionnels, les contrôles budgétaires et les contrôles de gestion, qui peuvent les conduire à saisir le procureur de la République, le procureur général près la Cour des comptes et aussi le ministère public près la Cour de discipline budgétaire et financière.

Par ailleurs, un comité national relatif à la fiabilité des comptes publics locaux a été installé en 2010. Présidé par le directeur général des finances publiques, il élabore des guides pratiques consultables en ligne. En 2014, le Gouvernement, les présidents des associations d’élus et la Cour des comptes ont signé la charte nationale relative à la fiabilité des comptes locaux pour donner plus de visibilité aux travaux de ce comité.

Plus récemment, la loi NOTRe a renforcé les obligations budgétaires et comptables. Ainsi, son article 107 prévoit, par exemple, la présentation d’une étude d’impact financière pour « toute opération exceptionnelle d’investissement » et, pour les collectivités territoriales de plus de 3 500 habitants, la rédaction d’un rapport annuel sur les orientations budgétaires, les engagements pluriannuels envisagés et la structure de la dette.

Cette loi vise aussi à généraliser d’ici au mois d’août 2019 l’envoi dématérialisé des documents adressés au comptable public par les régions, les départements, les communes et les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre de plus de 10 000 habitants.

De plus, la loi a renforcé les contrôles budgétaires et de gestion des CRC en prévoyant la publicité immédiate des rapports de contrôle budgétaire rendus par les CRC, ainsi que l’obligation, pour les exécutifs locaux, de rédiger un rapport sur les mesures prises pour répondre aux recommandations adressées par les CRC.

Enfin, une expérimentation est également prévue par l’article 110 de cette même loi. Elle sera conduite entre 2017 et 2023 par la Cour des comptes, en lien avec les chambres régionales des comptes, et concernera 25 collectivités volontaires. Il s’agit d’expérimenter des « dispositifs destinés à assurer la régularité, la sincérité et la fidélité des comptes » et d’établir « les conditions préalables et nécessaires à la certification des comptes du secteur public local ». Les travaux commenceront en 2017. Un premier exercice de certification est prévu en 2020. Le Gouvernement établira un bilan d’étape en 2018, puis un bilan final en 2023.

Dans son rapport annuel sur les finances publiques locales de 2015, la Cour des comptes souligne que la fiabilité des comptes du secteur local reste « imparfaite ». Elle mentionne, à l’instar des auteurs de la proposition de loi, « le défaut ou l’insuffisance de rattachement des charges et des produits […] fréquemment constaté par les chambres régionales ».

D’autres difficultés sont aussi soulevées par la Cour des comptes : un amortissement insuffisant des immobilisations, des provisions pour risques et charges trop faibles, des informations lacunaires sur la structure de la dette, etc. Dans ce contexte, nous pouvons nous interroger sur l’articulation entre le contrôle de l’annualité budgétaire qui serait créé par l’adoption de la proposition de loi et l’expérimentation de la certification des comptes des collectivités territoriales.

À ce stade, il semble préférable d’attendre le bilan d’étape de l’expérimentation de certification des comptes, dont la publication est prévue en 2018, pour se prononcer sur les avantages et inconvénients de chacune de ces procédures.

Par ailleurs, nous nous sommes posé des questions sur les moyens à mettre en œuvre.

Est-il opportun de fixer un programme de contrôle pour les collectivités territoriales dont les recettes dépassent 100 millions d’euros ? En effet, la liberté d’organisation laissée aux présidents des chambres régionales et territoriales des comptes constitue une garantie d’indépendance des juridictions financières et permet de concentrer les contrôles sur les comptes présentant le plus de risques de dérapage.

En outre, le renforcement des contrôles de gestion et la création du contrôle de l’annualité budgétaire pourraient représenter une charge supplémentaire non négligeable pour les CRC.

De même, l’augmentation du nombre de justiciables devant la Cour de discipline budgétaire et financière et la suppression de l’« ordre écrit » pour les fonctionnaires territoriaux conduiraient à repenser le fonctionnement de cette cour qui rend moins de dix arrêts par an et dispose de moyens très limités. Or, comme l’a souligné Michel Delebarre dans son avis budgétaire sur les juridictions administratives et financières, le législateur a d’ores et déjà confié de nouvelles missions aux juridictions financières sans prévoir de moyens supplémentaires. Il conviendrait par conséquent de mieux évaluer l’effet concret de la proposition de loi sur la charge de travail des personnels de l’ensemble des CRC et de la Cour de discipline budgétaire et financière.

De plus, des interrogations subsistent au sujet du rôle et des compétences de la Cour de discipline budgétaire et financière.

En 2009, le projet de loi portant réforme des juridictions financières, préparé sous l’égide de Philippe Séguin, visait déjà à étendre les hypothèses de responsabilité des élus locaux devant cette juridiction. Le dispositif proposé était toutefois plus encadré que celui que prévoit la présente proposition de loi : pour être sanctionnés, les élus locaux devaient avoir agi dans le cadre de leurs fonctions, avoir été informés de l’affaire et avoir donné l’instruction, quelle qu’en soit la forme, à un subordonné de commettre l’infraction. La commission des lois de l’Assemblée nationale avait étendu cette responsabilité financière aux ministres. Ce texte n’a jamais été inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.

Les élus locaux doivent-ils être poursuivis devant la Cour de discipline budgétaire et financière pour des erreurs formelles dans l’application du droit budgétaire et comptable ? Ne conviendrait-il pas de redéfinir les infractions concernées ? Pourquoi ne pas étendre cette responsabilité aux ministres ?

Enfin, il paraît difficile d’évaluer les conséquences de la suppression de l’« ordre écrit » pour les seuls fonctionnaires territoriaux. Pourquoi mettre en place un traitement différencié entre les fonctionnaires territoriaux, d’une part, et les fonctionnaires hospitaliers et de l’État, d’autre part, alors que nous venons d’adopter la loi relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires qui vise à harmoniser les principes applicables aux trois versants de la fonction publique ?

Peut-on modifier le périmètre des justiciables devant la Cour de discipline budgétaire et financière sans réformer, au préalable, le fonctionnement et le champ de compétence de cette juridiction ? Le projet de loi de 2009 prévoyait de supprimer cette juridiction, de transférer ses compétences à la Cour des comptes et de revoir l’ensemble des infractions sanctionnées. Plus récemment, M. Jean-Louis Nadal, président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, a souligné le manque de visibilité et d’efficacité de la Cour de discipline budgétaire et financière.

Au terme d’un débat nourri, la commission des lois a jugé nécessaire d’approfondir sa réflexion sur la meilleure façon de renforcer la fiabilité des comptes des collectivités territoriales et de l’étendre à des problématiques plus larges, comme les moyens alloués aux juridictions financières et le rôle de la Cour de discipline budgétaire et financière. En conséquence, elle a décidé de déposer une motion tendant au renvoi à la commission de la proposition de loi et n’a pas adopté le texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.)