compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

Mme Frédérique Espagnac,

M. Bruno Gilles.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à seize heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 6 juillet 2017 a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

Hommage à Robert-Paul Vigouroux, ancien sénateur

M. le président. Madame la garde des sceaux, mes chers collègues, c’est avec tristesse que nous avons appris hier le décès de notre ancien collègue Robert-Paul Vigouroux, qui fut sénateur des Bouches-du-Rhône de 1989 à 1998. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, se lèvent.)

Neurochirurgien au talent mondialement reconnu, il adhéra à la SFIO en 1964 et s’engagea dans la vie politique marseillaise aux côtés de Gaston Defferre. Il fut élu conseiller général en 1967 et entra au conseil municipal de Marseille en 1971.

Devenu maire de Marseille au décès de Gaston Defferre, en 1986, il fut brillamment réélu à l’occasion des élections municipales de 1989. Il fut, à la tête de la cité phocéenne, l’initiateur de plusieurs grands projets d’aménagement, notamment du vaste quartier Euroméditerranée.

Élu sénateur en 1989, il se rattacha au groupe socialiste, puis au groupe du RDSE. Il fut membre de la commission des affaires étrangères, puis de la commission des lois.

Au nom du Sénat, je veux assurer sa famille et ses proches, ainsi que ceux qui l’ont connu, au sein de cet hémicycle ou ailleurs, de nos pensées.

Je vous propose d’observer un moment de recueillement en sa mémoire. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mme la garde des sceaux, observent une minute de silence.)

3

Organisme extraparlementaire

M. le président. M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation de deux sénateurs appelés à siéger au sein de la commission nationale du patrimoine et de l’architecture.

Conformément à l’article 9 du règlement, la commission de la culture a été invitée à présenter des candidatures.

Les nominations au sein de cet organisme extraparlementaire auront lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l’article 9 du règlement.

4

Candidature à une commission

M. le président. J’informe le Sénat que le groupe socialiste et républicain a fait connaître à la présidence le nom de la candidate qu’il propose pour siéger à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, en remplacement de Mme Marie-Christine Blandin, démissionnaire.

Cette candidature a été publiée, et la nomination aura lieu conformément à l’article 8 du règlement.

5

Candidature à une délégation sénatoriale

M. le président. J’informe le Sénat que le groupe du RDSE a fait connaître à la présidence le nom de la candidate qu’il propose pour siéger à la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation en remplacement de M. Jacques Mézard, nommé ministre.

Cette candidature a été publiée et la nomination aura lieu conformément à l’article 8 du règlement.

6

Rétablissement de la confiance dans l'action publique

Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi et d'un projet de loi organique dans les textes de la commission

 
 
 

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, en procédure accélérée, du projet de loi rétablissant la confiance dans l’action publique (projet n° 581, texte de la commission n° 609, rapport n° 607, avis n° 602) et du projet de loi organique rétablissant la confiance dans l’action publique (projet n° 580, texte de la commission n° 608, rapport n° 607, avis n° 602).

Il a été décidé que ces deux textes feraient l’objet d’une discussion générale commune.

Dans la discussion générale commune, la parole est à Mme la garde des sceaux. (Applaudissements sur les travées du groupe La République en marche, du groupe socialiste et républicain et du RDSE, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains.)

Madame la garde des sceaux, nous vous accueillons avec plaisir, pour cette première prise de parole en séance publique au Sénat.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Je vous remercie, monsieur le président, de ces mots chaleureux. C’est effectivement une première pour moi ; il est toujours à la fois impressionnant et émouvant de se trouver au Sénat, devant la représentation nationale.

Monsieur le président, monsieur le président et rapporteur de la commission des lois, monsieur le rapporteur pour avis de la commission des finances, mesdames, messieurs les sénateurs, conformément à l’engagement pris devant les Français par le Président de la République, vous êtes aujourd’hui saisis d’une réforme très attendue, je crois, par nos concitoyens, et dont l’ambition est de rétablir la confiance dans l’action publique.

Dès son entrée en fonction, mon prédécesseur, M. François Bayrou, a préparé un projet de loi organique et un projet de loi ordinaire. Ces textes ont été présentés au conseil des ministres le 14 juin dernier et ont été déposés le même jour sur le bureau de votre assemblée.

J’ai aujourd’hui l’honneur de présenter devant vous, au nom du Gouvernement, ces deux textes.

La transparence, la probité des élus, l’exemplarité de leur comportement constituent une exigence sociale, politique et éthique fondamentale. Le respect de cette exigence a toujours constitué le fondement de la confiance que les citoyens éprouvent à l’égard de leurs gouvernants comme de tous ceux qui concourent à l’exercice de l’action publique.

Est-il nécessaire de rappeler que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 proclame, en son article XV, que « la Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration » ? Ce principe de confiance est donc ancré dans notre histoire depuis longtemps et, ces dernières années, beaucoup a été fait pour mieux répondre à des exigences nouvelles.

Plusieurs textes ont été adoptés sur ces sujets. Je me contenterai de les énumérer brièvement : les lois organique et ordinaire du 11 octobre 2013 relatives à la transparence de la vie publique, qui ont créé la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, la loi du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, qui a institué un procureur de la République financier, la loi du 20 avril 2016, qui a renforcé les obligations déontologiques des fonctionnaires et, plus récemment, la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, qui a notamment créé l’Agence française anticorruption.

Avant même l’adoption de ces lois, le Parlement avait de son propre chef, il faut le souligner, agi en la matière. Dès 2009, le Sénat s’est doté, sur l’initiative du président Larcher, d’un comité de déontologie parlementaire ; il a été suivi par l’Assemblée nationale, qui a institué un déontologue en 2011. De grands progrès ont donc été accomplis au cours des dernières années, c’est absolument indiscutable.

Néanmoins, beaucoup reste encore à faire pour restaurer cette confiance, nécessaire dans une démocratie, entre les citoyens et leurs représentants.

Je souhaite le dire d’emblée et être très claire sur les intentions du Gouvernement : il n’est aucunement question ici de stigmatiser le comportement de l’ensemble des élus locaux et nationaux, dont l’engagement exemplaire doit être sans cesse rappelé. Cela dit, nul ne peut le nier, certains agissements ou certaines pratiques, qui hier étaient acceptés, ne le sont plus désormais. L’exigence éthique dans la société est aujourd’hui, plus encore qu’hier, à l’ordre du jour.

La détermination de règles claires – non de principes moraux – est d’ailleurs l’une des meilleures garanties qui puissent être apportées aux élus, car elle permet de leur donner des repères face à des situations parfois extrêmement complexes.

Je suis convaincue que le rétablissement de cette confiance permettra aux citoyens d’apprécier l’engagement des élus sous son meilleur jour et leur volonté d’agir efficacement dans le sens de l’intérêt général sans compter leur temps ni leurs efforts. Je sais cela suffisamment pour pouvoir l’affirmer ici avec force.

C’est précisément pour cela que nous avons collectivement besoin d’un choc de confiance. En vous proposant ces dispositions, nous sommes fidèles à une histoire et à un projet, celui qui faisait dire à Jean Jaurès, dans son discours à la jeunesse, à Albi, en 1903, « Dans notre France moderne, qu’est-ce donc que la République ? C’est un grand acte de confiance ». Le mot était lâché…

Par cette réforme, le Gouvernement entend apporter une réponse globale, fondatrice, en proscrivant définitivement certaines pratiques, mais également en renforçant la transparence et le pluralisme de la vie politique.

Tout en édictant de nouvelles règles qui renforcent les garanties de probité et d’intégrité des élus et la prévention des conflits d’intérêts, répondant ainsi à un objectif d’intérêt général défini par le Conseil constitutionnel en 2013, cette réforme se veut également respectueuse de la séparation des pouvoirs, à commencer par l’autonomie des assemblées.

Elle répond à quelques principes simples : sanctionner plus sévèrement ceux qui manquent à la probité et éviter les conflits d’intérêts ; mettre fin à des pratiques qui ne sont plus acceptées par les citoyens ; renforcer les contrôles sur les comptes des partis, tout en leur offrant, ainsi qu’aux candidats, un accès plus facile au financement, un moyen de garantir la réalité du pluralisme.

J’évoquais la prise de conscience collective qui nous conduit à cette réforme et je voudrais rendre hommage à votre commission des lois, de même qu’à son président-rapporteur, M. Philippe Bas, qui a montré ces derniers jours sa volonté de s’inscrire résolument dans cet esprit.

Mme Catherine Procaccia. C’est normal !

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Les travaux de votre commission des lois, comme ceux d’ailleurs de la commission des finances et de son rapporteur pour avis, Albéric de Montgolfier, ont été marqués par une démarche collective et par une grande richesse des débats, qui ne manqueront pas de caractériser également, j’en suis sûre, les échanges dans cet hémicycle.

Nous verrons que les voies que vous souhaitez emprunter se distinguent parfois de celles qui ont été tracées par le Gouvernement, mais nos perspectives convergent, et c’est bien là l’essentiel.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite maintenant vous présenter sommairement ces perspectives, ainsi que les grandes lignes de la réforme qui vous est soumise par le Gouvernement. Cette réforme porte sur trois axes ; elle s’attache à l’exercice du mandat parlementaire, elle renforce les règles de probité des acteurs, et elle conduit à une refonte des règles de financement de la vie politique.

Premier axe de la réforme, l’exercice du mandat parlementaire. La fonction parlementaire est, depuis longtemps, la plus noble qui soit, et parce qu’ils représentent le peuple, parce qu’ils incarnent la souveraineté nationale, les parlementaires sont tenus à un devoir d’exemplarité particulièrement exigeant.

M. Charles Revet. Ils l’ont toujours rempli !

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Vous devez pouvoir légiférer et contrôler l’action du Gouvernement en toute indépendance, sans subir en aucune manière le jeu des puissances ou des lobbies. Je sais combien vous êtes attachés à cette indépendance.

Les mesures applicables aux membres du Sénat et de l’Assemblée nationale sont donc au cœur des projets de loi et de loi organique. Elles ont été conçues – je le répète, parce que c’est important – dans le respect de la séparation des pouvoirs et de l’autonomie des assemblées, qui en découle.

Un renvoi au règlement des assemblées pour la mise en œuvre des dispositions a ainsi été prévu chaque fois que nécessaire, dans la limite du champ de compétence défini par le Conseil constitutionnel, à savoir l’organisation ou le fonctionnement des assemblées, la procédure législative et le contrôle de l’action du Gouvernement.

Votre commission a parfois adapté les dispositifs en prévoyant la compétence du bureau du Sénat ; le Gouvernement comprend les raisons qui peuvent dicter ce choix. Je précise en outre que, chaque fois que cela se justifiait, les mesures applicables aux parlementaires nationaux ont été étendues aux représentants français au Parlement européen.

Quatre aspects de l’exercice du mandat parlementaire sont traités : l’inéligibilité et l’incompatibilité, les conflits d’intérêts, l’indemnité représentative de frais de mandat, l’IRFM, et la réserve parlementaire.

Tout d'abord, de nouveaux cas d’inéligibilité et d’incompatibilité sont créés.

En premier lieu, les parlementaires dans l’incapacité de justifier qu’ils ont satisfait à leurs obligations fiscales ne pourront plus rester en fonction. Saisi par le bureau de l’assemblée, le Conseil constitutionnel pourra prononcer la démission d’office du parlementaire.

En second lieu, les incompatibilités relatives à l’activité de conseil sont renforcées et étendues. À l’heure actuelle, seule l’impossibilité pour un parlementaire de commencer, pendant son mandat, une activité de conseil existe. Cette interdiction ne s’applique d’ailleurs pas aux professions libérales réglementées, comme la profession d’avocat.

Cette disposition est apparue très insuffisante en raison des risques de conflits d’intérêts liés à ce type d’activité. Ce dispositif est donc complété selon trois axes complémentaires.

Tout d’abord, un parlementaire ne pourra commencer à exercer de telles activités pendant son mandat et devra cesser celles qui ont débuté au cours des douze mois précédant le début de son mandat. La dérogation qui s’applique pour les professions réglementées est par ailleurs supprimée.

Ensuite, les fonctions de direction exercées dans une société de conseil sont désormais prises en compte.

Enfin, le contrôle par un parlementaire d’une société de conseil est également visé. En effet, un parlementaire qui détient une société de conseil peut être influencé par les intérêts de ses clients, comme s’il en était le dirigeant. Actuellement, le code électoral ne prévoit rien ; le projet de loi y remédie.

Le dispositif proposé par le Gouvernement en matière d’encadrement des activités de conseil assure une conciliation entre les objectifs d’intérêt général visés par le texte, tels que l’indépendance des élus ou la prévention des risques de conflits d’intérêts, et d’autres droits et libertés constitutionnellement garantis, en particulier la liberté d’entreprendre reconnue au parlementaire comme à tout citoyen. Les dispositions prévues devraient permettre d’éviter les écueils constitutionnels mis en évidence par la décision du Conseil constitutionnel du 9 octobre 2013, qui avait censuré une interdiction trop générale.

Deuxième aspect, ces nouvelles règles sont complétées par des dispositions renforçant la prévention des conflits d’intérêts.

Le choix assumé du Gouvernement est de retenir une définition de la notion de conflit d’intérêts moins englobante que celle qui figure dans les lois du 11 octobre 2013 et du 20 avril 2016. Ce choix est justifié par le souci de ne pas mettre les parlementaires exerçant d’autres responsabilités, notamment électives, les conduisant à assumer un autre intérêt public, par exemple local, dans l’impossibilité récurrente de participer aux travaux du Parlement.

Il reviendra à chaque assemblée de préciser les règles internes de prévention et de traitement de ces situations de conflits d’intérêts.

Troisième aspect, dans un souci de transparence concernant les frais engagés par les parlementaires dans l’exercice de leur mandat, le projet du Gouvernement a prévu que l’indemnité représentative de frais de mandat, l’IRFM, soit remplacée par un remboursement de ces frais, sur une base réelle et sur présentation de justificatifs.

La commission des lois a adopté un nouveau dispositif dont nous débattrons, le Gouvernement étant attaché à quelques principes simples et lisibles sur ce sujet : il appartient aux assemblées de définir les conditions et les plafonds de remboursement des frais de mandats ; les frais doivent naturellement être réellement exposés et faire l’objet de justificatifs ; ils doivent faire l’objet de remboursements et non d’une indemnisation a priori. Nous débattrons au cours des prochains jours de ces sujets.

Enfin, quatrième aspect, le projet de loi organique met fin à la pratique de la « réserve parlementaire », pratique contestée et qui répond à une logique contraire à l’article 40 de la Constitution,… (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains et du RDSE.)

M. Alain Fouché. Pas du tout !

M. Pierre-Yves Collombat. Ce n’est pas vrai !

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. … même si cela peut être présenté différemment. Nous pourrons en débattre.

La commission des lois a proposé un mécanisme de substitution. Le Gouvernement est ouvert à la discussion sur ce point, mais estime que ce débat doit avoir lieu en loi de finances, ce qui est naturel pour un dispositif de nature budgétaire.

Le deuxième axe de la réforme consiste à renforcer les règles de probité des acteurs politiques.

Premièrement, les obligations de transparence pesant sur le Président de la République sont renforcées. Chaque citoyen pourra juger de l’évolution de son patrimoine entre le début et la fin de son mandat, au regard de l’avis publié par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, la HATVP.

Deuxièmement, le projet de loi étend l’obligation pour les juridictions répressives, sauf décision spécialement motivée, de prononcer la peine complémentaire d’inéligibilité pour tout crime et pour une série d’infractions à la probité comme la corruption, le détournement de fonds publics ou encore la fraude électorale ou fiscale, dans le respect du principe de nécessité des peines garanti par l’article VIII de la Déclaration de 1789 et du principe d’individualisation des peines, qui en découle.

Seront ainsi écartées des fonctions électives les personnes qui ont démontré qu’elles ne remplissent plus les conditions de moralité essentielles à l’exercice d’un mandat électif.

Troisièmement, il sera désormais interdit au Président de la République, aux membres du Gouvernement, aux parlementaires et aux titulaires de fonctions exécutives locales d’employer des membres de leur famille proche comme collaborateurs.

Cette pratique acceptée hier ne l’est plus aujourd’hui. Cette interdiction est déjà prévue, pour ce qui concerne les collaborateurs du Président de la République et des membres du Gouvernement, par le décret du 14 juin 2017, conformément au principe de séparation des pouvoirs. Des dispositions du texte qui est soumis visent les parlementaires.

Enfin, troisième axe, la présente réforme procède également à une refonte importante des règles de financement de la vie politique.

Les partis politiques dépendent très largement du financement public. Néanmoins, les règles qui s’appliquent à eux n’offrent pas toutes les garanties contre les abus ou les dérives. Ces règles sont par ailleurs peu favorables au renouvellement de la vie politique et au pluralisme.

Il est donc proposé, tout d’abord, de renforcer le contrôle des comptes des partis politiques et des campagnes électorales, dans le respect des dispositions de l’article 4 de la Constitution, selon lequel « les partis et groupements politiques […] se forment et exercent leur activité librement. »

Ainsi, le mandataire financier du parti recueillera l’ensemble des ressources reçues par ce dernier et non plus seulement les dons. Les partis politiques devront tenir une comptabilité selon un règlement établi par l’Autorité des normes comptables. Cette comptabilité devra inclure les comptes de toutes les organisations territoriales du parti ou groupement, afin de permettre à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques de disposer d’un périmètre de contrôle consolidé.

La question se pose de savoir si ces obligations doivent être ou non étendues à tous les partis, même à ceux qui ne relèvent pas de la loi du 11 mars 1988. Votre commission des lois l’a souhaité, pour y intégrer les micropartis. Cette extension pose certaines difficultés, que nous évoquerons lors de l’examen de l’article concerné.

En outre, le financement des partis et des campagnes électorales sera mieux encadré en ce qui concerne les prêts des personnes physiques, afin d’éviter les dons déguisés. Une interdiction des prêts des personnes morales, y compris de droit étranger, à l’exception des partis et des établissements de crédit européens est également posée.

Toutefois, en contrepartie, l’accès au financement par les candidats et partis politiques sera amélioré grâce à la création d’un médiateur du crédit, que votre commission a souhaité désigner sous un autre titre. Nous y reviendrons.

Enfin, le Gouvernement souhaite la création d’une structure pérenne de financement, la banque de la démocratie, afin de remédier aux carences du financement bancaire privé. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances, rapporteur pour avis. À voir…

Mme Nicole Bricq. La commission l’a supprimée !

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Cette banque pourra se constituer sous la forme juridique d’un établissement doté de la personnalité morale, être adossée à un établissement de crédit existant ou prendre la forme d’un mécanisme de financement spécifique.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis. Cela mérite d’être précisé, car c’est un peu vague.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Une mission va être confiée en ce sens à l’Inspection générale des finances et l’Inspection générale de l’administration, pour étudier les conditions de mise en place de cette structure. Il semblerait que nous ayons là une divergence avec votre commission des lois.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis. Et avec celle des finances !

M. Roger Karoutchi. Cela fait beaucoup…

Mme Éliane Assassi. C’est bien dommage !

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, l’ensemble des dispositions que le Gouvernement soumet à votre examen entendent servir la démocratie, en lui apportant, je le répète, un surcroît de transparence, de justice et d’éthique.

Elles sont à la fois ambitieuses et équilibrées : ambitieuses, parce qu’elles s’attaquent aux vraies questions que se posent nos concitoyens depuis plusieurs années et singulièrement au cours des derniers mois ; équilibrées, parce qu’il s’agit non pas seulement de poser des interdits, mais aussi de consolider le pluralisme politique dans notre pays, la transparence de notre vie démocratique et, ainsi, la confiance de nos concitoyens dans les institutions et leurs représentants.

Comme vous le savez, ces mesures seront complétées par la réforme constitutionnelle annoncée par le Président de la République dans son discours au Congrès du Parlement, le 3 juillet dernier. Il s’agit donc ici du premier acte, inaugural, essentiel, de cette volonté de rétablir le lien de confiance entre les Français et leurs élus.

Dans les débats qui nous attendent, le Gouvernement sera naturellement attentif aux propositions de la Haute Assemblée. Il souhaite que cette réforme volontariste et souhaitée par les Français soit à la hauteur de leur attente.

Le président Bas s’est réjoui que les forces politiques du Sénat se soient fédérées pour travailler sur ces textes. Il faut effectivement s’en féliciter, car c’est par l’ardente fédération de toutes les volontés que nous pourrons progresser ensemble. (Applaudissements sur les travées du groupe La République en marche et du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, rapporteur. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, madame la garde des sceaux, je me réjouis que vous ayez précisé, en conclusion de votre propos, que le Gouvernement serait très attentif aux propositions du Sénat.

En effet, en vous écoutant et en examinant les amendements du Gouvernement, j’étais plutôt tenté de penser que le Gouvernement voulait, à peu de chose près, rétablir ses textes, un point c’est tout.

M. Éric Doligé. Comme avant ! Rien n’a changé.

M. Philippe Bas, rapporteur. Du coup, vous avez raison de nous dire que l’examen de ces textes permettra peut-être de rapprocher les points de vue, que vous avez présentés de manière quelque peu antagoniste au début de ce débat.

Madame la garde des sceaux, c’est un honneur pour le Sénat d’être saisi en premier de ces projets, annoncés comme très importants par le Président de la République et le Gouvernement. Le Sénat est naturellement disponible pour aller de l’avant dans ces domaines.

Au fond, dans la nouvelle configuration, il y a, d’un côté, des pouvoirs alignés – le Président de la République, le Gouvernement, la majorité à l’Assemblée nationale – et, de l’autre, deux pouvoirs qui ne le sont pas : le Conseil constitutionnel, que vous connaissez bien et dont chacun est attaché à l’indépendance et au rôle de régulation de la vie publique, et le Sénat.

Le Sénat, c’est nous. C’est une assemblée indépendante, dont dire qu’elle est constructive serait un pléonasme. Par hypothèse, le Sénat construit ! Il construit toujours, car il sait bien que son apport peut être repoussé par les pouvoirs alignés, qui sont autour du Président de la République comme la limaille de fer dans un champ magnétique en présence d’un aimant. Face à cette hyperpuissance du bloc majoritaire, le Sénat est là, qui veut agir comme chambre de réflexion et comme défenseur des principes fondamentaux de la Constitution et de la séparation des pouvoirs.

M. Charles Revet. C’est très important !

M. Philippe Bas, rapporteur. Tel est précisément son rôle historique. Il continuera bien évidemment à tenter de l'assumer du mieux qu’il le pourra sur ces textes ! Nous défendrons les droits fondamentaux de nos concitoyens, la séparation des pouvoirs et l’autonomie des deux assemblées (M. Pierre Charon approuve.), comme l’exige notre Constitution, dans l’intérêt même de la démocratie.

À cet égard, nous défendrons l’égalité de traitement des parlementaires et des membres du Gouvernement ou des responsables exécutifs.

Bien sûr, nous défendrons aussi notre propre travail, car, au fil des années, sous l’impulsion notamment de notre président, Gérard Larcher, nous avons pris de l’avance dans nombre des domaines qui font l’objet des dispositions des deux textes présentés par le Gouvernement.

Ainsi, en ce qui concerne les règles applicables à l’indemnité représentative de frais de mandat, nous avons tous dans notre poche le petit guide vert qui précise ce que nous avons le droit de faire et ce qui nous est interdit (M. le rapporteur brandit un fascicule de couleur verte.), le bureau du Sénat assurant le contrôle du respect de ces règles. Par ailleurs, vous avez mentionné l’existence de notre comité de déontologie, aujourd'hui présidé par François Pillet, après l’avoir été par Jean-Jacques Hyest.

Nous avons réglementé les emplois familiaux, pour en restreindre l’importance. Nous avons posé des règles pour l’accès au Sénat des représentants des lobbies et nous avons également défini un certain nombre d’obligations et de contraintes s’agissant du déport, quand l’un ou l’une d’entre nous peut avoir un intérêt, souvent très légitime, dans la solution que le Sénat est amené à apporter à un problème de législation.

C’est dire que le Sénat a de multiples raisons de s’engager dans la discussion de ces textes l’esprit serein et avec le souhait de converger vers le Gouvernement. Encore faut-il que celui-ci admette l’éventualité d’un apport de notre assemblée… De ce point de vue, vous nous avez annoncé que nous aurions la possibilité d’en discuter avec vous de manière approfondie dans cet hémicycle. Je souhaite que cette discussion, qui n’a pas encore eu lieu, soit féconde.

Sur le fond, nous devons d'abord éviter que des personnes condamnées pour des manquements graves à la probité ou pour des crimes puissent siéger dans l’une ou l’autre des deux assemblées.

De ce point de vue, madame la garde des sceaux, le choix que vous avez effectué nous paraît convenir : le juge, qui est le garant des droits fondamentaux, se prononcera sur l’éventuelle inéligibilité des personnes condamnées à une peine pour manquement à la probité ou pour un crime, même bien longtemps après qu’elles ont purgé leur dette à l’égard de la société. Nous pensons que l’obligation d’un casier judiciaire vierge, qui a été repoussée par le Conseil constitutionnel, interrogeait gravement l’existence de la garantie du juge. Sa rétroactivité constituerait également une difficulté insurmontable.

En réalité, ce que l’on a maladroitement appelé, dans ce texte, le « quitus fiscal », lequel empêcherait un parlementaire de siéger s’il n’est pas en règle avec l’administration fiscale, n’en est pas un. C’est d'ailleurs heureux, car des centaines de milliers de Français peuvent avoir un litige tout à fait légitime avec l’administration fiscale sans pour autant être des fraudeurs.

Nous savons tous à quel point le code général des impôts est complexe et peut donner lieu à des interprétations contradictoires, si bien que vous avez limité cette exigence à l’obligation, pour le contribuable devenu parlementaire, de prouver qu’il a bien rempli ses déclarations et acquitté les impôts exigibles. Cette limitation me paraît très positive.

Le Sénat vous propose d’améliorer votre texte sur ce point, en prévoyant que toute erreur pourra être corrigée avant que le bureau de l’Assemblée nationale ne soit saisi. Il a aussi voulu que le bureau de l’Assemblée nationale ne soit pas une simple boîte aux lettres et que le Conseil constitutionnel ne soit pas réduit à une chambre d’enregistrement. Ces propositions nous semblent de nature à pouvoir être acceptées par le Gouvernement.

Nous avons traité de la question des intérêts, en demandant que les règles de déport appliquées aux parlementaires le soient aussi, en conseil des ministres, aux membres du Gouvernement.

Nous avons souhaité que les frais de mandat soient pris en charge par les assemblées sur la base de justificatifs, nous inspirant du système anglais, qui passe pour le plus rigoureux au monde. Ce faisant, nous avons essayé d’éviter l’excessive rigidité qui caractérisait votre texte.

Nous avons également voulu que les collaborateurs appartenant à la famille d’un parlementaire ne soient pas injustement pénalisés et qu’on leur laisse le temps de se retourner, de sorte qu’ils ne soient pas moins bien traités que n’importe quel salarié de France qui perd son emploi. Cela me paraît tout de même être la moindre des choses.

Nous proposons que les communes rurales, qui, avec les départements et les régions, ont perdu 9,6 milliards d’euros de dotations en trois ans, puissent continuer à bénéficier de fonds de l’État pour financer des projets signalés par les parlementaires, avec toutes les garanties de transparence voulues. Nous avions d'ailleurs déjà posé des règles en ce sens. Nous souhaitons évidemment que cette dotation de soutien à l’investissement des communes et de leurs groupements voie le jour, en évitant tous les abus auxquels donnaient lieu les financements d’associations qui, parfois, étaient de simples officines politiques.

Enfin, nous ne voulons pas donner au Gouvernement le pouvoir législatif de mettre en place une banque de la démocratie, dont vous nous dites vous-même, madame la garde des sceaux, que vous ne savez pas encore ce que vous voulez en faire, ni quelle serait sa configuration. Ce n’est pas acceptable !

L’article 38 de la Constitution exige que les modalités et les conditions de la délégation du pouvoir législatif au Gouvernement soient clairement définies. Or ce n’est absolument pas ce que fait le projet de loi. Lorsque nous vous avons entendu en audition, vous nous avez confié que vous hésitiez encore entre trois options et que vous alliez demander une étude préalable à l’Inspection générale des finances et à l’Inspection générale de l’administration.