M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Benjamin Griveaux, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux d’être ici et je crois que Muriel Pénicaud, ministre du travail, aurait également aimé participer à ces travaux. Elle a sans doute beaucoup à nous apprendre de son expérience, et elle aura assurément un rôle important à jouer dans les débats que nous aurons, dans les semaines et les mois qui viennent, sur cette question centrale de la participation et de l’intéressement.

Dans son entretien télévisé du 15 octobre, le Président de la République a rappelé que cette question ferait l’objet d’une grande réflexion dans le cadre du plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises, dont Bruno Le Maire et moi-même avons lancé les travaux lundi dernier, à l’hôtel des ministres de Bercy.

Pourquoi est-il utile de revisiter ces dispositifs ? Comme M. Decool l’a rappelé, quand un salarié sur deux seulement en bénéficie, seule la moitié du chemin a été parcourue, et il serait bon de couvrir la seconde moitié pour parvenir à l’objectif final.

Bien qu’elles aient un demi-siècle d’âge, ces mesures sont d’une étonnante modernité et correspondent, me semble-t-il, à la vision que nous avons de l’entreprise, sans doute même au-delà des diverses sensibilités politiques qui peuvent s’exprimer sur ces travées.

Nous sommes aujourd’hui dans une économie de l’innovation, de la compétence et du savoir qui ne coche plus les cases et n’épouse plus les codes de l’économie de rattrapage au sein de laquelle nous avons construit le rapport du capital au travail et la manière d’associer le plus efficacement possible les salariés à leur entreprise.

Selon moi, il y a trois enjeux importants dans ce débat.

Le premier, c’est celui de l’équité. Si l’on demande aux salariés d’accepter une plus grande part de risque dans un monde où les mutations économiques font qu’ils peuvent être soumis à des ruptures de carrière, et où la linéarité de l’exercice d’une profession dans un secteur d’activité ou dans une entreprise n’est plus la règle, il est équitable qu’ils puissent en même temps avoir leur part de la réussite de l’entreprise quand, par leur travail, ils font fructifier le capital de l’entreprise, que celle-ci se porte bien et que les résultats sont au rendez-vous. Cette part peut d’ailleurs être significative. En moyenne, elle s’élève autour de 2 500 euros par an, soit plus que l’équivalent d’un treizième mois pour de très nombreux salariés.

Le deuxième enjeu, c’est celui de l’efficacité économique. Efficacité pour l’entreprise tout d’abord, parce qu’il est évident que des salariés intéressés sont aussi des salariés plus motivés et plus productifs. Efficacité pour le pays ensuite, parce que l’épargne salariale, c’est un outil puissant pour le financement de l’économie, avec des encours qui s’élèvent aujourd’hui à 130 milliards d’euros, qui sont majoritairement investis en actions et qui viennent donc alimenter nos entreprises.

Le troisième enjeu, sans doute plus impalpable, et qui échappe peut-être au législateur, c’est celui de la bataille culturelle dans notre pays. Je considère qu’il est du rôle du législateur, du gouvernement, et peut-être même des formations politiques et du débat intellectuel de conduire cette bataille culturelle qui vise à réconcilier le capital et le travail.

Le projet présidentiel, dans sa dimension économique, porte cette réconciliation et c’est elle qui, je le crois sincèrement, a été engagée dans le cadre des ordonnances portant réforme du marché du travail et dans le projet de loi de finances dont nous allons débattre prochainement ici. En effet, si vous ne libérez pas le capital et les investissements, vous n’aurez pas de travail.

Cette bataille culturelle sera longue et difficile à conduire, parce que nous avons construit notre champ intellectuel sur cet antagonisme, dont je ne suis pas certain qu’il soit le plus profitable à notre économie. Il est donc heureux que ce débat puisse aussi nous permettre d’ouvrir un petit pan de cette bataille culturelle. Je me réjouis d’y participer à vos côtés aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)

M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled, pour la réplique.

M. Jean-Pierre Decool. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de l’attention que vous portez à l’endroit de ce dispositif éminemment humaniste qu’est la participation. C’est effectivement un dispositif ancien, mais visionnaire et ô combien moderne, que le général de Gaulle avait initié avec beaucoup de bon sens. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et sur des travées du groupe Union Centriste. – M. Bernard Fournier applaudit également.)

Débat interactif

M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat sous forme de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Les auteurs des questions disposent chacun de deux minutes, y compris pour la réplique.

Étant donné que nous sommes dans un horaire contraint d’une heure trente, je demande aux uns et aux autres de bien vouloir respecter le temps qui leur est imparti afin que chaque orateur puisse intervenir dans ce débat, et je les remercie.

Dans le débat interactif, la parole est à Mme Nathalie Delattre.

Mme Nathalie Delattre. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les dispositifs de participation et d’intéressement, enrichis ultérieurement par les outils d’épargne salariale, datent maintenant d’un demi-siècle. Ils demeurent aujourd’hui un vecteur essentiel de justice sociale, en permettant l’affectation d’une partie des résultats des entreprises à un complément de rémunération pour les salariés. Ils sont aussi considérés comme un facteur important de motivation et contribuent à la compétitivité des entreprises.

Si les sommes distribuées ou épargnées, qui représentaient 16,9 milliards d’euros en 2015, avec un montant moyen par salarié bénéficiaire de 2 422 euros, progressent de manière significative – de 5 % à 7 % entre 2014 et 2015 –, le nombre de salariés concernés a tendance, en valeur absolue ou en pourcentage, à stagner et même à diminuer. En 2015, 8,6 millions de salariés, représentant 54,9 % du secteur marchand non agricole, étaient couverts par ces dispositifs et 7 millions d’entre eux ont bénéficié effectivement d’une prime.

Si la part de l’épargne salariale progresse, l’ensemble du dispositif semble s’essouffler. Cette situation est pour partie la conséquence de la très forte augmentation du forfait social : la contribution patronale est passée de 2 % en 2009 à 20 % en 2012, et ce malgré l’institution de taux dérogatoires pour certaines catégories dans la loi du 6 août 2015, dite loi Macron.

Pour relancer ces dispositifs participatifs, il semblerait opportun de poursuivre les efforts engagés par la loi d’août 2015, en ramenant à un niveau moins dissuasif le montant du forfait social, en particulier pour les entreprises de moins de 50 salariés.

Monsieur le secrétaire d’État, le Gouvernement est-il prêt à s’engager dans cette voie ? (MM. Joël Labbé, Jean-Claude Requier, Daniel Chasseing et Philippe Bonnecarrère applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Benjamin Griveaux, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances. Madame la sénatrice, vous le savez, la mise en place de la participation n’est obligatoire qu’à partir de 50 salariés, mais les autres entreprises peuvent parfaitement le faire de manière facultative. Par ailleurs, les entreprises de toute taille peuvent négocier des accords d’intéressement.

Aujourd’hui, 16,5 % des employés des entreprises de moins de 50 salariés bénéficient d’au moins un dispositif d’épargne salariale, que ce soit la participation, l’intéressement ou un autre instrument. Ce n’est pas rien, mais, comme vous l’indiquiez, ce n’est pas suffisant. Je crois d’ailleurs que ce point sera le fil rouge de l’ensemble des questions débattues cet après-midi et il animera la préparation du plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises, le PACTE.

Je rappelle, en outre, que ce taux de couverture est beaucoup plus faible que pour les entreprises de 50 salariés et plus, qui atteint 87,4 %. Cela constitue manifestement une importante rupture d’équité, sujet que j’évoquais dans mon propos introductif.

Pour autant, des incitations sociales existent d’ores et déjà pour encourager les entreprises à recourir à ces dispositifs : ainsi, le forfait social, dont le taux normal est de 20 %, est réduit à 8 % pour les sommes versées au titre de la participation et de l’intéressement dans les entreprises de moins de 50 salariés qui concluent, pour la première fois – c’est le caractère incitatif de la mesure –, un accord de participation ou d’intéressement.

J’ai bien entendu votre démarche, madame la sénatrice, mais il faut savoir que ces incitations fiscales représentent un coût significatif pour les finances publiques : cette niche est estimée à environ 1,7 milliard d’euros, ce qui représente un montant important. Or, nous sommes plutôt dans une phase d’attrition des deniers publics ou, en tout cas, de gestion plus précautionneuse, que dans une période d’expansion… Nous n’écartons pas d’emblée d’avoir recours à ce dispositif, mais il faut bien avoir en tête les montants qu’il représente en termes de dépenses.

M. le président. La parole est à Mme Chantal Deseyne. (M. Marc Laménie applaudit.)

Mme Chantal Deseyne. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les dispositifs de participation, d’intéressement et d’épargne salariale sont surtout présents dans les grandes ou moyennes entreprises. Seuls 17 % des salariés des entreprises de moins de 50 salariés sont concernés.

La volonté d’étendre cette « belle invention gaulliste », selon les termes mêmes du Président de la République, est un objectif louable. Ma question portera sur la méthode à employer.

Le Gouvernement semble vouloir donner un caractère obligatoire au mécanisme de la participation pour les entreprises de moins de 50 salariés, comme cela existe aujourd’hui pour celles qui sont au-dessus de ce seuil. Je ne pense pas qu’il faille privilégier cette voie coercitive.

Tout d’abord, comme l’a souligné la Confédération des petites et moyennes entreprises la semaine dernière, certaines sociétés ont du mal à faire des bénéfices. Et lorsque tout va bien, leur priorité est d’investir.

Ensuite, il serait contradictoire de renforcer les contraintes des petites et moyennes entreprises, après avoir prôné leur allégement. Le calcul de la participation, qui est complexe, nécessite le concours d’un expert-comptable, ce que l’on ne peut pas exiger d’un petit entrepreneur.

Enfin, cette piste entre en contradiction avec les conclusions du conseil d’orientation de la participation, de l’intéressement, de l’épargne salariale et de l’actionnariat salarié, le COPIESAS.

En 2014, son vice-président, Christophe Castaner, remettait un rapport au précédent gouvernement, comprenant 31 propositions pour une réforme de l’épargne salariale.

Il excluait précisément d’abaisser le seuil de 50 salariés, au-delà duquel la participation à l’épargne salariale est obligatoire.

Il privilégiait au contraire l’incitation, par exemple en exonérant de forfait social les petites et moyennes entreprises mettant en place, pour la première fois, un dispositif d’intéressement ou de participation. Si la loi dite Macron a bien réduit le taux de 20 % à 8 %, c’est une exonération totale que préconisait le COPIESAS.

Il envisageait aussi la création d’un nouveau support d’épargne pour ces entreprises, sous la forme d’un « livret E », leur permettant de conserver en trésorerie les sommes épargnées pendant cinq ans.

Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous donner votre sentiment sur l’obligation qui serait faite aux petites et moyennes entreprises de recourir à la participation et nous dire ce que vous pensez de ces propositions ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Benjamin Griveaux, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances. Madame la sénatrice, nous devrons en effet réfléchir à des moyens d’appropriation de ce sujet par les petites entreprises. Dans les grands groupes et les entreprises de taille importante, certes, la question n’est pas entièrement réglée, mais entre 80 % et 90 % de leurs salariés bénéficient aujourd’hui d’un mécanisme d’épargne salariale, participation, intéressement ou autre. La question se pose donc, au fond, pour les entreprises de moins de 50 salariés.

Pour ma part, je ne crois pas à la coercition, qui constitue une impasse et est contraire à la philosophie du projet porté par le Président de la République. Ce projet s’appuie plutôt sur l’idée d’une liberté encadrée, si vous me permettez cette expression. Nous parlions tout à l’heure des anciens et des modernes et, pour Benjamin Constant, la liberté des anciens ne contredit pas celle des modernes, mais elle permet son encadrement.

Faire bénéficier des dispositifs d’épargne salariale les salariés des très petites structures, par exemple celles qui n’emploient que quelques personnes, amène à se poser la question de la simplification et nous devons étudier des mécanismes allant dans ce sens pour éviter d’alourdir les procédures administratives.

Vous avez mentionné les travaux du COPIESAS, ils pourront naturellement être réexaminés dans le cadre des discussions qui seront conduites pour préparer le projet de loi que j’ai évoqué.

Je cite aussi une autre idée : associer les branches professionnelles afin qu’elles proposent des accords « clés en main » aux petites et moyennes entreprises pour leur éviter de mettre en œuvre une ingénierie comptable et administrative complexe. Cette idée de prévoir des mesures spécifiques pour les très petites entreprises dans les accords de branche s’inscrirait dans la logique des ordonnances « travail ». Ces entreprises pourraient ainsi bénéficier d’une boîte à outils – je n’aime pas bien cette expression –, qui leur permettrait de mettre en place des dispositifs d’épargne salariale.

Dans tous les cas, je partage avec vous le même intérêt pour les travaux du COPIESAS, ils ont été utiles et nous saurons bien évidemment faire appel à Christophe Castaner, qui a été vice-président de cette instance, pour qu’il nous rappelle les meilleures propositions de son rapport.

M. le président. La parole est à M. Dominique Théophile.

M. Dominique Théophile. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en France, la participation des salariés aux résultats de l’entreprise est une forme d’intéressement. Cette participation permet la redistribution d’une partie des bénéfices réalisés.

Selon la dernière étude de la direction de la recherche du ministère du travail, environ 8 millions de salariés sont concernés par ce dispositif. En 2015, seulement 55 % des salariés du privé avaient accès au système d’intéressement, de participation et d’épargne salariale. Près de 16 milliards d’euros leur ont été versés.

Le 15 octobre 2017, le chef de l’État a exprimé sa volonté d’améliorer cette belle invention gaulliste. Il souhaite lancer une grande réflexion sur l’entreprise, notamment en revisitant l’intéressement et la participation.

La philosophie que porte le projet économique et social d’Emmanuel Macron est maintenant bien connue. Le Président de la République veut transformer en profondeur le monde du travail et les relations entre salariés, entreprises et partenaires sociaux.

Sans attendre la future loi « entreprises », le Président a indiqué son cap. Je le cite : « L’entreprise, ça ne peut pas être simplement un rassemblement des actionnaires, notre code civil le définit comme cela. L’entreprise est un lieu, où des femmes et des hommes sont engagés. Certains mettent du capital, d’autres du travail. »

De son côté, le ministre de l’économie a expliqué que la participation, obligatoire dans les entreprises de plus de 50 salariés, pourrait être étendue aux petites et moyennes entreprises. « C’est une question de justice, une entreprise ne tourne pas toute seule », a-t-il indiqué.

Ma question est la suivante : pouvez-vous indiquer à la représentation nationale comment le Gouvernement pense mettre concrètement en œuvre la volonté du Président de la République ? Quels seront les grands axes de ce chantier, notamment pour les entreprises les plus fragiles ? Vous le savez, je viens d’une région où plus de 96 % des entreprises sont de très petite taille. Enfin, quel est le calendrier prévu pour cette réforme ? (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires. – Mme Victoire Jasmin applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Benjamin Griveaux, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances. Monsieur le sénateur, je suis confronté à une difficulté réelle : Bruno Le Maire et moi-même avons lancé, lundi dernier, il y a quarante-huit heures donc, une grande concertation sur ce sujet et les débats, qui ne manqueront pas d’être passionnés et passionnants, doivent durer sept semaines. Si je vous annonce d’ores et déjà ses résultats, j’aurai quelques problèmes…

Je souhaite cependant vous apporter quelques éléments de réponse. De mes années étudiantes et de mes cours de droit du travail et de droit des affaires, je retiens qu’une entreprise, c’est d’abord de l’affectio societatis. En cela, je pense partager votre sentiment, comme celui du Président de la République. Une entreprise va donc bien au-delà de la simple recherche de la rentabilité pour ses actionnaires. Plus généralement, cette idée peut également s’appliquer à toute aventure collective, à toute organisation humaine.

Pendant les sept semaines de débat, six groupes de travail se réuniront, dont l’un, qui regroupe les questions dont nous débattons aujourd’hui, sera animé par Stanislas Guerini, député de Paris, et Agnès Touraine, présidente de l’Institut français des administrateurs, qui connaît bien ces sujets. D’ailleurs, je profite de cette occasion pour inviter chacune et chacun d’entre vous à prendre l’attache de ce groupe s’il souhaite contribuer aux travaux.

En ce qui concerne le calendrier, les groupes auditionneront, jusqu’au 10 décembre, des personnalités diverses : gens issus des entreprises, parlementaires, représentants syndicaux ou de fédérations professionnelles… À cette date, ils devront présenter à Bruno Le Maire et à moi-même des pistes de propositions. Durant un mois, nous formaliserons ces propositions, puis, à partir de mi-janvier, nous lancerons une consultation publique en ligne, qui durera trois semaines. Chaque citoyen pourra ainsi apporter sa propre contribution. À l’issue de cette consultation, nous serons amenés à retenir certaines propositions et je vous indique que nous justifierons le fait d’en avoir retenu certaines et pas d’autres. Le travail législatif plus classique commencera ensuite, au printemps, avec la présentation d’un projet de loi.

Voilà ce que je pouvais vous dire sur le calendrier, sans déflorer ce que vont faire les groupes de travail.

M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin.

M. Dominique Watrin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais non pas élargir le sujet, mais le prendre dans toute sa dimension. À tous ceux qui veulent réaffirmer, à juste titre, la place des salariés dans l’entreprise et, comme l’a réaffirmé le porte-parole du Gouvernement, changer la gouvernance, nous répondons : Chiche ! Démocratisons les entreprises, accordons de nouveaux pouvoirs aux travailleurs !

En effet, le MEDEF et de nombreux patrons confondent allégrement l’entreprise et ses actionnaires, l’entreprise et son chef. Or, l’entreprise, c’est avant tout l’ensemble des travailleurs qui la compose. Ce sont eux qui la font vivre, qui créent les richesses.

À l’heure où l’exigence de démocratie est une aspiration largement partagée, l’entreprise reste largement une institution monarchique. Dès qu’il s’agit de l’entreprise, la démocratie est – malheureusement – un mot tabou.

Il est donc temps de faire prévaloir d’autres choix que ceux qui ont été faits jusqu’à présent. Par exemple, plutôt que de fusionner les instances représentatives du personnel, créons des droits nouveaux d’intervention et de décision dans la gestion des entreprises pour les salariés et leurs représentants.

Au lieu de réduire, comme l’ont fait les lois Macron et El Khomri, les pouvoirs du comité d’entreprise en cas de plan de sauvegarde de l’emploi, de licenciement et de restructuration économique, élargissons au contraire les droits d’intervention et de proposition des salariés et de leurs représentants. Pourquoi ne pas doter les comités d’entreprise d’un pouvoir effectif de contre-proposition économique ?

Et dans certains domaines, qui touchent directement à la vie des salariés, tels que le plan de formation, le recours aux emplois précaires et à la sous-traitance, les heures supplémentaires ou le temps partiel, pourquoi ne pas exiger un avis conforme du comité d’entreprise ?

Ces propos peuvent paraître un peu idéologiques, mais chaque fois que je me déplace dans mon département, par exemple dans une entreprise de la filière automobile ou de transformation des produits de la mer, je constate que le nombre d’intérimaires est supérieur à 50 % des effectifs. On touche là une question de dignité du salarié, qui affecte directement son projet de vie.

Plutôt que des mesures réglementaires, ne faudrait-il pas, pour régler ces questions, donner plus de pouvoirs aux représentants des salariés ? Qu’en pensez-vous ? (Mme Laurence Cohen applaudit.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Benjamin Griveaux, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances. Monsieur le sénateur, l’idéologie n’a évidemment pas sa place sur ces travées et l’on ne saurait vous en taxer… (Sourires sur plusieurs travées.)

Il est vrai que le terme de participation connaît une forme de polysémie et nous nous y intéressons plutôt aujourd’hui dans le sens de l’intéressement. Pour autant, la question que vous soulevez est une question importante.

La participation des salariés dans l’entreprise est reconnue de longue date en France. Des étapes ont été franchies et l’objectif général d’association des salariés à la création de valeur par l’entreprise prend aujourd’hui différentes formes : l’épargne salariale, via l’intéressement, la participation ou l’abondement, mais aussi le dialogue entre les salariés et les dirigeants. Ce dialogue aura lieu au sein des futurs comités sociaux et économiques, créés par les ordonnances « travail » et où les salariés seront associés à la création de valeur.

En ce qui concerne la représentation des salariés dans les organes de direction des entreprises, on peut citer plusieurs lois : la loi Fabius de février 2001 sur l’épargne salariale, la loi de modernisation sociale de janvier 2002, la loi de décembre 2006 pour le développement de la participation et de l’actionnariat salarié, ou encore la loi Rebsamen d’août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi. Elles ont renforcé de façon sensible les incitations à la représentation des salariés actionnaires dans les conseils d’administration ou dans les conseils de surveillance, puis ont rendu cette mesure obligatoire dans certaines entreprises. Ainsi, depuis 2006 – donc bien avant la loi Rebsamen –, tous les grands groupes ont des administrateurs salariés représentant les actionnaires salariés.

Le sujet que vous ouvrez, monsieur le sénateur, ne fait pas partie des six chantiers identifiés dans le PACTE, ce qui ne veut pas dire qu’il est absent de la réflexion gouvernementale. Nous sommes tout à fait prêts à évoluer et, si vous souhaitez saisir le groupe de travail que j’évoquais tout à l’heure, vous en avez le loisir, mais cette question me semble hors du champ de ses réflexions à ce stade, car elle ne concerne pas uniquement la croissance et la transformation de l’entreprise, mais sa gouvernance elle-même.

M. le président. La parole est à M. Michel Canevet.

M. Michel Canevet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord remercier le groupe Les Indépendants – République et Territoires d’avoir demandé l’organisation de ce débat sur la participation.

Pour le groupe Union Centriste, il s’agit d’un sujet extrêmement important, car nous sommes particulièrement attachés au partage, entre l’ensemble des parties prenantes, du fruit de l’expansion des entreprises et de la valeur ajoutée. Comme cela a été rappelé par plusieurs orateurs, cette question est ancienne, puisque de premières mesures ont été introduites dans une ordonnance prise en 1959. Depuis lors, le dispositif n’a cessé de s’enrichir, par exemple avec l’intéressement, le développement des annexes au salaire, des mesures de prévention, ou encore la distribution d’actions.

Selon les statistiques, l’ensemble de ces dispositifs est plutôt dans une dynamique positive, puisque la participation a augmenté de l’ordre de 25 % entre 2000 et 2015 et l’intéressement de plus de 200 %.

Comme l’indiquait tout à l’heure Chantal Deseyne, ces dispositifs sont obligatoires dans les entreprises de plus de 50 salariés. De notre côté, nous sommes attachés à ce que, pour les petites entreprises, les moins de 50 salariés, il n’y ait pas de système obligatoire. Monsieur le secrétaire d’État, nous partageons donc totalement votre point de vue.

Nous devons aussi réfléchir à des dispositifs d’allégement de charges : il faudrait, par exemple, que le forfait social, qui est encore à 8 % pour les entreprises la première année, soit le moins élevé possible pour les petites et que celles-ci ne subissent pas de contrôles fiscaux de l’URSSAF à ce titre. Pour les grandes entreprises, il faut trouver les moyens d’assouplir l’utilisation de la participation par l’ensemble des salariés, afin qu’elle participe effectivement au pouvoir d’achat. (Mme Sylvie Vermeillet et M. Philippe Bonnecarrère applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Benjamin Griveaux, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances. Monsieur le sénateur, je crois que nous sommes tous d’accord pour considérer que la participation est un dispositif très lourd pour les petites entreprises, plus fragiles d’un point de vue financier que de grands groupes établis ou des entreprises qui comptent plusieurs centaines de salariés. On ne doit donc pas traiter de la même manière une très petite entreprise artisanale, ne comptant que quelques salariés, établie par exemple dans mon département natal, la Saône-et-Loire, et un groupe coté ou une entreprise industrielle de plusieurs milliers de salariés.

La mise en place de la participation représente une hausse du coût du travail. Or, vous aurez noté que le Gouvernement cherche à le réduire, je pense par exemple au basculement du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, en un allégement pérenne de charges – vous aurez à débattre très prochainement de cette question. Nous ne nous situons donc pas dans une logique d’alourdir le coût du travail, en particulier pour les très petites entreprises.

Par ailleurs, la mise en place de ce dispositif peut s’avérer très complexe pour l’employeur, qui doit négocier avec les salariés ou leurs représentants, puis rédiger un accord. Bref, cela demande de l’ingénierie administrative et sociale, dont certaines entreprises ne disposent pas en interne, ce qui peut entraîner un coût si elles se font aider. C’est pourquoi nous pouvons certainement partager l’idée, que j’avançais tout à l’heure, de proposer aux petites et moyennes entreprises des outils afin de les accompagner et de leur faciliter la vie.

Enfin, doper la participation implique aussi de réfléchir à des solutions de fond, par exemple la modernisation de sa formule légale de calcul. L’ancien a parfois du bon, mais cette formule n’a que peu varié depuis plusieurs décennies et mérite peut-être un certain dépoussiérage. Je pense que le groupe de travail du PACTE n’écartera pas cette piste d’emblée.