M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé du numérique. Monsieur le sénateur, je vous remercie de votre question. Celle-ci renvoie à l’équilibre, que nous avons déjà évoqué tout à l’heure, entre la liberté dont doivent disposer les entreprises pour développer ces technologies et la nécessité d’en contrôler les impacts.

Vous avez parlé des technologies de boîtes noires, de deep learning, qui peuvent avoir des conséquences importantes, en créant notamment des discriminations et des biais, et se révéler dangereuses si elles sont appliquées à certains secteurs.

Nous n’avons pas apporté de réponse précise à ce problème pour le moment. Cela fera partie des recommandations que l’État défendra dans le cadre de la stratégie qui sera définie. Cependant, dès aujourd’hui, dans les applications essentielles et dans les applications sensibles, nos régulateurs existants sont extrêmement actifs et nos capacités à réguler extrêmement fortes.

Ainsi, des procédures de certification et une protection des boîtes noires qui peuvent être utilisées, notamment dans les réseaux ou dans les infrastructures stratégiques, existent d'ores et déjà.

Des procédures de certification ont également été définies pour l’usage de cette technologie dans la santé : aujourd’hui, un algorithme d’assistance à la décision médicale ne peut être mis en œuvre dans un hôpital sans être piloté dans le cadre de la mise en place d’un outil ou d’un dispositif de santé.

Pour ce qui concerne les transports, aucun véhicule fonctionnant à l’intelligence artificielle n’est mis en circulation aujourd’hui s’il ne continue pas à se développer.

À titre personnel – cela peut être soumis à débat –, je ne crois pas qu’il faille une institution unique qui régulerait l’intégralité des dispositifs de l’intelligence artificielle, mais que tous les experts actuels de la certification et de la garantie de la sécurité de nos citoyens doivent intégrer celle-ci dans leurs domaines de compétence respectifs. Cela vaut pour le régulateur de santé comme pour celui des transports, du renseignement, de nos réseaux de télécommunications… Cet effort doit nécessairement déboucher sur une amélioration de l’expertise de nos fonctionnaires et de nos agents.

Cela pose une autre grande question : forme-t-on, recrute-t-on et parvient-on à garder sur notre territoire suffisamment d’experts pour porter ces sujets ? En effet, l’un des plus grands dangers est que nous n’arrivions pas à nous doter des experts dont nous avons besoin et que les institutions qui ont la responsabilité de contrôler n’en aient pas la compétence – au premier sens du terme, à savoir la compétence technique.

C’est aujourd'hui un véritable enjeu, que nous envisageons aussi comme une responsabilité.

M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain.

M. Jérôme Durain. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la diversité des interventions de ce jour témoigne de l’utilité de ce débat. Elle atteste aussi de l’étendue des activités en mesure d’être changées par l’intelligence artificielle.

Ma question concerne plus précisément la justice. S’il faut sans doute se garder d’une vision prophétique telle que celle que l’on peut trouver dans l’univers de Philip K. Dick avec Minority Report, les legaltechs ont commencé à développer ce que l’on appelle communément un champ de « justice prédictive ».

Dans le débat public, les premiers échos ont résonné autour d’une étude universitaire britannique menée sur les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme. Un outil créé pour l’occasion a défini des modèles de jugement et a pris des décisions similaires à celles de la CEDH dans 79 % des cas qui lui ont été soumis. Certains y ont vu la possibilité que des robots remplacent un jour les juges ou les avocats. En réalité, il pourrait davantage s’agir d’un outil permettant de rationaliser certaines étapes de la saisine, un outil utile aux justiciables, aux avocats comme aux juges, et finalement pas si éloigné de nos anciennes bases de données.

Pour certains champs très engorgés de la justice, cette justice prédictive permettrait sans doute de favoriser des accords à l’amiable plutôt que des procédures longues et coûteuses dont l’intelligence artificielle prédirait qu’elles trouveraient une issue facile à deviner.

Partant de la même vision pragmatique, le législateur a voulu appliquer le principe d’ouverture des données publiques aux décisions de justice administrative et judiciaire dans la loi pour une République numérique. Puis, au printemps dernier, en partenariat avec le ministère de la justice, les cours d’appel de Rennes, en Ille-et-Vilaine, et de Douai, dans le Nord, avaient décidé d’expérimenter une solution de prévisibilité de la justice.

Cependant, la semaine dernière, des articles de presse se sont fait écho d’une réception très différenciée entre les cours d’appel de Rennes et de Douai sur ces expérimentations.

Monsieur le secrétaire d'État, pourriez-vous éclairer la représentation nationale sur la manière dont ces expérimentations progressent et nous rassurer sur la volonté continue du Gouvernement de poursuivre l’ouverture des données publiques ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé du numérique. Je vous remercie, monsieur le sénateur. En réalité, vous nous interrogez sur ce vers quoi nous voulons aller. Dans le cas de Minority Report, nous sommes au-delà de la justice prédictive : il s’agit de police prédictive et, même, de condamnation prédictive, puisque la peine est appliquée avant même que les faits se soient réalisés.

Les exemples que vous évoquez relèvent de l’assistance à la décision de justice. Plus spécifiquement, dans les expérimentations que vous mentionnez, les dispositifs ne participaient pas à la décision : ils étaient lancés parallèlement. Le juge comparait ensuite sa décision, prise suivant un protocole collégial, avec celle que la machine était capable de proposer, pour voir si celui-ci participait, ou non, à une meilleure justice au quotidien.

Vers quoi nous dirigeons-nous aujourd’hui ? Mme Belloubet a annoncé une stratégie pour la transformation de la justice, la simplification de la procédure civile, la simplification de la procédure pénale et la numérisation. Aujourd’hui, l’enjeu est plutôt d’assister le citoyen, les professionnels de justice, les greffiers et les juges dans le transfert, l’analyse et le traitement de la masse d’informations, plutôt que dans la prise de décision.

Quand bien même on en arriverait à l’assistance à la prise de décision, ce qui fait notre justice en France, ce qui fait notre droit, c’est la capacité à interpréter, à avoir une jurisprudence qui s’adapte à son temps, à un contexte – celui d’une affaire, mais aussi celui d’une vie. Contrairement à la caricature que l’on peut faire du droit, les juges ne sont pas des machines qui appliquent la loi de façon automatique. Les décisions ne résultent pas de 1 et de 0 ; c’est toujours une somme qui permet l’interprétation. Tant que l’on décidera que notre justice fonctionne ainsi, les outils doivent aider à travailler de la sorte.

Aujourd’hui, nous continuons à vouloir une justice où les hommes sont jugés par des hommes, et non par des machines, qui analysent la réalité en on et en off… Imaginez sinon, mesdames, messieurs les sénateurs, les lois qu’il faudrait écrire, en langage « machine », c’est-à-dire avec un vocabulaire standardisé, normalisé… (Sourires.) Ce n’est pas la société que nous avons souhaitée ; ce n’est pas ce vers quoi nous nous dirigeons.

Toutefois, dans des enquêtes financières, comme celles de l’Autorité de la concurrence, les juges disposent souvent aujourd'hui de plusieurs téraoctets de données, d’informations collectées massivement dans les entreprises. Ils doivent utiliser des technologies d’intelligence artificielle encore naissantes pour identifier, dans toutes ces données, celles qui pourraient être intéressantes pour prendre une décision de justice.

Le ministère de la justice dispose aujourd'hui d’une équipe qui travaille sur toutes ces technologies, de manière à rendre la justice plus innovante et les outils plus performants et plus utiles au quotidien pour les agents de la justice, à savoir les juges, les greffiers et tous ceux qui travaillent autour d’eux.

Nous avons un second projet, qui sera le plus important de ce quinquennat en termes de numérique et d’administration. Il s’agit de « justice.fr », portail de la justice et des justiciables, qui facilitera le suivi des affaires et permettra des échanges. Ainsi, le juge pourra interagir plus aisément avec les citoyens. Il s’agit là aussi d’un enjeu véritable. Cependant, il n’y a pas ici d’intelligence artificielle : il y a surtout une confiance dans l’outil.

M. le président. La parole est à M. Jacques Grosperrin.

M. Jacques Grosperrin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les nouvelles formes de technologies, permises par le développement de l’intelligence artificielle, agrémenteront demain le quotidien de chacun, en particulier celui de nos enfants. En effet, les jeunes générations vont grandir avec ces avancées technologiques et de nouveaux comportements et besoins vont apparaître.

Des informaticiens, ingénieurs, mathématiciens, voire philosophes vont être nécessaires pour répondre à cette demande.

La place de l’intelligence artificielle dans le système éducatif doit être anticipée, soit comme outil complémentaire pour les enseignants, soit comme matière d’enseignement ou de recherche. L’intelligence artificielle permettra donc un saut qualitatif pour aider les personnes en situation de handicap, en proposant des exercices de curiosité et de stratégie, mais aussi pour les élèves, en systématisant les chaînes d'apprentissage pour les exercices de mémoire.

Un professeur de mathématiques de ma belle ville de Besançon a mis en place un monitoring individuel d’apprentissage du calcul mental, le projet Mathador. L’intelligence artificielle est donc un outil formidable pour accompagner la dimension plus automatique ou systémique que celle, consciente, de l’éducation.

Il ne s'agit pas de céder aux sirènes d’un défi quantitatif, mais bien de s’attaquer au qualitatif. La pensée d’Edgar Morin résume cette problématique, car, pour lui, l’enjeu de l’éducation, eu égard à l’intelligence artificielle, n’est pas d’avoir un homme augmenté, mais un homme amélioré. Il y a donc un volet clé, c’est la question des algorithmes, de leur puissance et de leur périmètre d’action. On pourrait se demander quel algorithme en matière de formation ou quel algorithme éducatif se chargera d’éduquer les logiciels éducatifs… Bref, le plus puissant des algorithmes reste encore, pour longtemps j’espère, le cerveau animal et humain – je ne souscris pas à la notion de transhumanisme. Il y a un chaînon manquant, pour comprendre cette intelligence artificielle, c’est la pensée complexe.

Ma question portera sur la relation entre l’intelligence artificielle et l’éducation technologique et professionnelle, en particulier s’agissant de l’évolution des métiers répétitifs ou dont le périmètre des tâches peut être standardisé, qui aura bien évidemment des conséquences sur le marché du travail.

Quel est votre sentiment sur le devenir de ces métiers ? Enfin, comment promouvoir nos talents universitaires œuvrant dans cette exploration et les inciter à rester à l’université ? (MM. Jean-Paul Émorine, Jean-Claude Carle et Jackie Pierre applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé du numérique. Monsieur le sénateur, vous vous interrogez sur le pouvoir de l’intelligence artificielle au sein de l’éducation et sur la question plus spécifique des métiers manuels.

S’agissant de l’intelligence artificielle appliquée à l’éducation, vous avez raison, elle peut apporter, en termes purement et profondément qualitatifs, une adaptation et une personnalisation du contenu et des savoirs pédagogiques transmis à l’étudiant ou à l’élève, ce qui rejoint finalement la description de la mission du professeur ou de l’instituteur. Mais, aujourd'hui, celui-ci doit composer avec un monde de plus en plus ouvert et complexe, un nombre croissant d’enseignements à transmettre aux élèves et une grande hétérogénéité des niveaux. On démontre, aux États-Unis, mais aussi en Europe, comment certains dispositifs d’accompagnement permettent à l’enseignant d’identifier lui-même, pour chacun de ses élèves, les éléments sur lesquels il peut mieux l’accompagner ou aller plus loin.

Souvent, on oppose, d’un côté, un enseignement qui serait purement humain et, de l’autre, un enfant placé dans une bulle avec des lunettes connectées et un ordinateur qui adapterait ses savoirs et qui dirait à l’enfant tout ce qu’il doit faire. Entre les deux, il y a tout l’univers de ce que nous allons explorer dans les années à venir.

Vous avez ensuite abordé le sujet des métiers manuels, monsieur le sénateur. Comme je l’ai souligné en introduction, j’ai la conviction que tous ces métiers à tâches répétitives qui ne nécessitent pas un art de la main, un art créatif du geste, vont disparaître. Il reste à savoir quand.

La question de la robotisation n’est pas nouvelle. Nous avons constaté son développement dans nos territoires au cours des quinze dernières années. Comment prépare-t-on nos économies à ces nouveaux emplois ? Comment prépare-t-on nos citoyens à ces nouvelles compétences ?

La question du rythme, en particulier, anime en permanence la ministre de l’enseignement supérieur et le ministre de l’éducation nationale. Transforme-t-on assez vite nos formations pour les adapter à ces évolutions ? N’a-t-on pas pris un peu de retard et ne forme-t-on pas trop de personnes à des métiers dont on sait qu’ils sont déjà dépassés ? On attend parfois près d'une dizaine d'années avant de fermer une formation et de mobiliser des moyens pour en ouvrir de nouvelles. Cette capacité d’adaptation sera essentielle pour éviter ces décalages.

M. Jacques Grosperrin. Merci, monsieur le secrétaire d’État !

M. le président. La parole est à M. Cédric Perrin.

M. Cédric Perrin. Monsieur le secrétaire d’État, je souhaite tout d’abord revenir sur vos propos relatifs à la DARPA, un point absolument fondamental, mais qui nécessitera sans aucun doute que nous changions un certain nombre de mentalités, car le taux d’échec dans la DARPA aux États-Unis est plus proche de 70 % à 80 % que de 50 %.

J’en viens maintenant à ma question. Comme beaucoup de mes collègues, j’ai parcouru le rapport très intéressant de Claude de Ganay et Dominique Gillot, qui ont eu le souci de faire partager les connaissances sur l’état de ces technologies, dont on parle beaucoup, mais dont le grand public, malheureusement, ne sait souvent pas grand-chose.

J’ai appris notamment qu’il fallait, en matière d’intelligence artificielle, distinguer les approches symboliques des approches connexionnistes. Parmi ces dernières, assez proches des apprentissages statistiques, l’apprentissage profond ou deep learning, évoqué tout à l’heure, est devenu dominant au cours des dernières décennies, en particulier au cours des quatre dernières années. Or ce type d’algorithmes pose de sérieuses questions.

D’une part, la transparence des algorithmes de deep learning est scientifiquement impossible à ce stade ; elle reste donc à construire.

D’autre part, les biais ou erreurs représentent un autre problème de ce type d'algorithmes, la question concernant davantage les données que les algorithmes eux-mêmes. Ces algorithmes reproduisent en effet les biais des données qu’ils traitent, en particulier toutes les discriminations qui existent dans nos sociétés tant qu’elles ne sont pas corrigées.

Monsieur le secrétaire d’État, quelles initiatives ou mesures le Gouvernement entend-il prendre pour prévenir et traiter ces deux difficultés ? La recherche fondamentale est concernée, mais pas seulement.

Plus largement, je m’interroge sur la gouvernance de notre politique publique en matière d’intelligence artificielle. Le précédent gouvernement avait annoncé, en mars 2017, une stratégie pour l’intelligence artificielle, appelée à l’époque « France IA », et vous avez récemment confié une mission à notre collègue député Cédric Villani.

Monsieur le secrétaire d’État, quelles suites seront données à la stratégie « France IA » ? Et qu’attendez-vous du rapport de Cédric Villani ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé du numérique. Vous avez, monsieur le sénateur, évoqué un élément essentiel, le deep learning. Selon cette méthode mathématique, l’ordinateur et l’humain qui le programme ne savent pas à l’avance ce que la machine va trouver ni de quelle manière elle va créer les mécanismes lui permettant de comprendre.

L’ordinateur se comporte alors comme le cerveau d’un enfant : il va lui-même créer des liens symboliques entre les images et les données et tirer des conséquences entre les uns et les autres – par exemple, ces images me permettent de définir ce qu’est la couleur rouge, puis de comprendre in fine comment parvenir à ce type d’objets.

Toutefois, ce réseau, cette capacité à comprendre, cette intelligence artificielle que l’ordinateur va lui-même créer n’ont pas été codés « en dur », contrairement à un algorithme simple. Si la loi exigeait de rendre transparent un tel algorithme, il suffirait de dévoiler le code ayant permis de le construire. On sait quelles sont les données, quelles sont les règles, comment sont traitées les données et quelle est la sortie.

En revanche, si on demande de rendre transparent un algorithme de deep learning, on ne verra rien, ou peu de chose. En revanche, comme vous l’avez rappelé, on peut connaître les données qui ont été enseignées à l’ordinateur. L’un des grands dangers, c’est effectivement le biais. Si je communique l’intégralité des données de Twitter à un algorithme de ce type, et qu’ensuite je lui enseigne des concepts autour des personnes, des femmes, de l’homophobie ou de la haine, la machine va croire qu’il s’agit de sa nouvelle réalité, étant donné qu’il utilise les données d’un réseau dans lequel la parole haineuse ou biaisée est particulièrement surreprésentée.

Lorsque j’étais président du Conseil national du numérique, j’ai participé à une mission lancée par la précédente secrétaire d'État au numérique auprès de l’INRIA sur la transparence et la loyauté des plateformes et des algorithmes. Cette mission a débouché sur le dispositif TransAlgo, piloté par l’INRIA, qui propose des méthodes mathématiques et informatiques pour tester la loyauté des algorithmes sans avoir à examiner en détail l’intérieur du programme. On projette des données d’un côté, on regarde ce qui sort de l’autre, on le fait régulièrement dans le temps, on crée d’autres algorithmes qui absorbent les données entrantes et sortantes et on formule des hypothèses.

Si on souhaite exercer une surveillance politique de ces nouveaux algorithmes, il va falloir que l’on se dote de la capacité technologique et technique d’y parvenir.

La mission de l’INRIA constituait une première. Mais pour être de bons régulateurs dans les dix ans à venir, il va falloir être de sacrés bons techniciens et chercheurs. Il faudra donc que nous soyons tous, collectivement, élus, membres du gouvernement ou de l’administration, encore plus compétents.

En conclusion, nous devons nous mobiliser massivement autour de ces compétences. Nous devons amener les Français, dès leur plus jeune âge, à se poser la question de ces technologies, parce que nous n’avons rien à subir et que c’est nous qui devons décider de l’avenir de ces technologies.

Je vous donne rendez-vous dès le mois de janvier ou de février : l’État verbalisera une stratégie nationale autour de l’intelligence artificielle. Cédric Villani nous remettra ses recommandations. Nous pourrons nous appuyer aussi sur le rapport de Claude de Ganay et de Dominique Gillot et sur celui de la mission « France IA ».

Cette stratégie nationale sera ensuite présentée aux assemblées et je serais heureux de venir en débattre avec vous dans quelques mois. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe socialiste et républicain, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Intelligence artificielle, enjeux économiques et cadres légaux ».

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Participation dans l’entreprise, outil de croissance et perspectives

Débat organisé à la demande du groupe Les Indépendants – République et Territoires

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Indépendants - République et Territoires, sur le thème : « Participation dans l’entreprise, outil de croissance et perspectives ».

Je rappelle que l’auteur du débat disposera d’un temps de parole de dix minutes, y compris la réplique, puis le Gouvernement répondra.

Vont tout d’abord s’exprimer les orateurs du groupe qui a demandé ce débat.

Dans le débat, la parole est à M. Jean-Pierre Decool.

M. Jean-Pierre Decool, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite tout d’abord saluer l’initiative prise par le président Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants, d’aborder le sujet de la participation.

Ce sujet correspond parfaitement aux valeurs que nous défendons. Avec mon collègue Dany Wattebled, je vous présenterai une première approche de ce dispositif ancien, aujourd’hui remis au goût du jour.

Lors de son intervention télévisée du 15 octobre 2017, le Président de la République a souhaité remettre sur la table des négociations la question de l’intéressement et de la participation des employés aux entreprises françaises. À ce titre, le Président a évoqué une « belle invention gaulliste ».

Ce thème, porté par des gouvernements successifs, est entré partiellement dans notre droit, y compris dans le code du travail.

Toutefois, si la participation financière est bien une réalité, à travers les multiples dispositifs d’épargne salariale, il en va différemment de l’autre participation, celle, plus diffuse, plus sociale que Charles de Gaulle évoquait dans son discours devant les mineurs de Saint-Étienne en 1948 : « Dans un même groupe d’entreprises, tous ceux qui en font partie, les chefs, les cadres, les ouvriers fixeraient ensemble entre égaux, avec arbitrage organisé, les conditions de leur travail. »

L’ordonnance du 17 août 1967 sur la participation des salariés aux fruits de l’expansion des entreprises n’est qu’un succédané de la pensée gaulliste. C’est une simple étape vers un ordre social nouveau, marqué, lui, par la triple répartition aux bénéfices, au capital et aux responsabilités.

En 2015, 8 millions de salariés ont eu accès à au moins un dispositif de participation, d’intéressement ou d’épargne salariale.

En effet, la participation est obligatoire pour les entreprises réalisant un bénéfice supérieur à 5 % de capitaux propres. Pour assurer son développement, les gouvernements précédents ont mis en place une exonération de certaines cotisations en cas de blocage des sommes. En contrepartie, à partir de 2008, certaines ont été soumises au forfait social.

La loi d’août 2005 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques a permis des avancées notables : une simplification, avec un renouvellement des modalités de reconduction tacite des accords d’intéressement ; un élargissement, avec le recours à la négociation de branche et la mise en place d’accords d’épargne salariale « clés en main » ; une réforme du financement des PME, avec une modulation à la baisse du forfait social.

Affirmer toutefois qu’environ la moitié des salariés bénéficient d’un type de participation financière, c’est reconnaître que la moitié reste à l’écart. Le bilan est donc en demi-teinte.

Les déblocages exceptionnels pratiqués dans le passé, dont le dernier sous la présidence de François Hollande, n’ont pas atteint les objectifs de relance et sont perçus comme une menace pour la situation financière des entreprises. Il ne faut pas pour autant baisser les bras.

Les maux sont connus et analysés de longue date : la faible connaissance par les salariés des dispositifs, la forte suspicion de fraude ou de détournement.

Dès lors, quelles perspectives pour cette belle idée gaulliste ? Est-ce l’extension de la participation obligatoire à toutes les entreprises sans seuil minimal ?

Dans son intervention, le chef de l’État semble vouloir construire un nouveau compromis social et politique. Mais que deviendra cette idée dans le futur projet de loi « Entreprises » porté par le ministre de l’économie en 2018 ?

La participation est, et doit être la composante principale de la stratégie financière et économique, mais ce débat est aussi l’occasion de garder vivantes ses origines intellectuelles, de rappeler que la participation, « grande question du – XXe – siècle », c’est d’abord la sauvegarde de l’homme. Il s’agit bien d’« un idéal, un élan, un espoir » permettant à l’homme, « bien qu’il soit pris dans les engrenages de la pensée mécanique », de voir « sa condition assurée » afin qu’il garde sa dignité et qu’« il exerce – enfin – ses responsabilités ».

Je laisse maintenant la parole à mon collègue Dany Wattebled, qui va évoquer la question de l’actionnariat salarial. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)

M. Michel Raison. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled.

M. Dany Wattebled, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ainsi que mon estimé collègue vous l’a présenté, le principe de la participation financière des salariés à l’entreprise assure une convergence des intérêts entre patronat et salariat.

À l’heure de la réforme en profondeur de la gouvernance de l’entreprise, et à quelques jours des annonces du Président de la République, l’amélioration de ce type de dispositif est donc pleinement d’actualité.

Le principe de cette participation des salariés à la vie de l’entreprise à travers un mécanisme d’actionnariat salarial n’est pourtant pas une idée nouvelle.

Bien avant l’ordonnance gaullienne du 17 août 1967, la question de la participation financière des salariés au capital de l’entreprise avait été posée par une ordonnance du 7 janvier 1959.

Cette ordonnance est le premier texte législatif instituant, en France, une formule de participation financière. Elle incarnait parfaitement cette alliance du capital et du travail souhaitée par le général de Gaulle.

À partir des années soixante-dix, ce régime d’actionnariat salarial a connu une accélération par une série de lois plus ou moins complexes.

Ces lois ont mûri l’idée d’une participation actionnariale des salariés, tout en nourrissant un système complexe et pesant.

Les deux décennies suivantes ont d’ailleurs connu un véritable foisonnement de textes à ce sujet.

Dans une actualité politique plus récente et dans un souci de simplification de ces mécanismes, la loi Macron du 6 août 2015 a cherché à redynamiser ce dispositif à travers deux mesures : les attributions d’actions gratuites et les bons de souscription de parts de créateurs d’entreprise.

Il s’agit de revisiter le dispositif de l’actionnariat salarial avec des critères élargis et des méthodes remises à plat.

Toutes ces initiatives législatives ont conduit notre pays à devenir le champion européen de l’actionnariat salarial.

Ainsi, 76 % des entreprises françaises ont des plans d’actionnariat, contre une moyenne européenne de seulement 47 %. De même, 36 % des salariés français sont actionnaires de leur entreprise, contre une moyenne de 22 % en Europe.

Cette dynamique n’est pas seulement française ; elle s’observe également à l’échelle européenne.

Aujourd’hui, sur 2 335 entreprises européennes représentant 99 % de la capitalisation boursière, un tiers placent les salariés en position stratégique ou déterminante dans le contrôle du capital de leur entreprise.

Cette situation redonne donc le pouvoir aux salariés de participer directement à la gouvernance de l’entreprise. Elle leur permet aussi de se protéger contre la réorientation des activités entrepreneuriales ou une possible délocalisation vers un pays étranger.

Pourtant, un certain nombre de freins à l’actionnariat salarial persistent encore. On peut citer la complexité du dispositif, en raison d’un empilement d’ordonnances et de lois, ou encore l’instabilité fiscale, véritable obstacle à l’appropriation de cet outil par l’ensemble des entreprises.

Depuis des années, les précédents gouvernements ont privilégié des politiques de soutien à la consommation, plutôt que des incitations à l’actionnariat salarial et à l’épargne.

La hausse du forfait social depuis 2012 est le témoin de ce choix du court terme plutôt que de l’avenir. Il faut revenir sur ces mesures. Cette situation invite en effet à la plus grande prudence quant à la pérennité de ces mécanismes.

Si nous voulons simplifier les dispositifs de participation et tenir la promesse d’une revalorisation du travail des Français, alors des mesures énergiques doivent être rapidement prises à ce sujet.

Tenons l’engagement de faire payer le travail, ajoutons une ligne supplémentaire au bulletin de paye de nos concitoyens récapitulant leur participation au capital des entreprises. Il faut qu’à la fin du mois le salarié puisse évaluer son effort au regard de son salaire, de ses cotisations sociales et de sa participation financière à l’entreprise.

J’en viens à ma question, monsieur le secrétaire d’État. Le Président de la République a lancé un signal fort en évoquant la nécessité de repenser la participation financière des salariés à l’entreprise. C’est pourquoi le groupe Les Indépendants souhaite savoir quelles mesures concrètes le Gouvernement entend prendre pour défendre l’actionnariat salarial et lever les derniers freins à la mobilisation de cet outil. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Michel Canevet applaudit également.)