M. le président. La parole est à M. Philippe Adnot.

M. Philippe Adnot. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, j’ai une double incompréhension.

Votre texte, monsieur le ministre d’État, notamment son article 1er, a un mauvais bilan écologique – cela a déjà été dit très clairement ; je n’y reviens donc pas. Il a également un mauvais bilan économique : il va juste alourdir, pendant une vingtaine d’années, le déficit de notre commerce extérieur, plaie de notre pays qui nous prive des moyens de conduire des bonnes politiques. Il a en outre un mauvais bilan en termes d’emplois. On connaît le nombre de chômeurs ; or c’est un texte gouvernemental qui va accroître encore un peu plus le nombre d’emplois qui vont être supprimés.

Monsieur le ministre d’État, vous nous aviez habitués à plus de talent pour trouver des solutions innovantes. Ce texte est purement dogmatique, c’est seulement un geste, histoire de dire qu’on a fait quelque chose, alors que, en réalité, on ne fait rien. Moi, je suis prêt à me battre à vos côtés, aux côtés de tous ceux qui le veulent, en faveur des énergies renouvelables, et de toutes les innovations en la matière – et Dieu sait s’il y en a ! Je suis aussi prêt à me battre pour le maintien d’une filière que je continue de considérer comme environnementalement bonne, à savoir la filière nucléaire. Nous avons beaucoup de choses à faire bien plus utiles que de voter ce texte qui n’est qu’un geste.

Mes chers collègues de la commission, vous avez repris tous les arguments que j’avais développés dans mes amendements. Vous les avez fait figurer dans votre communiqué de presse, mais vous n’avez pas eu le courage d’en tirer les conséquences. Or quand un texte est mauvais, il est mauvais (M. Roland Courteau s’esclaffe.), et on ne le vote pas.

Mme Élisabeth Lamure, rapporteur. On peut l’améliorer !

M. Philippe Adnot. On peut améliorer les autres parties du texte, mais, l’article 1er, si l’on dit publiquement qu’il est mauvais, eh bien, on ne le vote pas !

Vous savez que j’ai beaucoup de sympathie pour vous et que je suis prêt à vous soutenir en beaucoup de circonstances, mais là, pour le coup, on ne va pas dans la bonne direction. Nous avons tellement à faire pour relever les défis qui nous attendent en matière de stockage d’énergie ou d’énergies renouvelables, par exemple.

N’ayant pu redéposer mes amendements en raison des conditions de délai, j’ai décidé de me rallier au texte proposé par mes amis Marnais. Si nous l’adoptons, cela reviendra à accorder à la commission ses aménagements et à faire en sorte que l’article 1er ne s’applique pas. Je vous remercie par avance, mes chers collègues, de nous soutenir. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Françoise Férat applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Joël Labbé.

M. Joël Labbé. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, écologiste rattaché au groupe du RDSE – et bien intégré en son sein, je tiens à le préciser –, c’est avec plaisir que j’interviens en son nom sur ce projet de loi mettant fin à la recherche ainsi qu’à l’exploitation des hydrocarbures. Ce texte nous permet de porter nos regards vers 2040, c’est-à-dire vers le moyen et le long terme. De tels textes sont trop rares.

Comme vous, monsieur le ministre d’État, je tiens à souligner combien il est symbolique que les Îles Fidji, directement menacées par le dérèglement climatique, président la COP23. Sur la seule année 2016, selon une étude publiée par Oxfam, 23,5 millions de personnes auront été déplacées. Et le phénomène va continuer !

Deux ans déjà se sont écoulés après l’accord historique de la COP21. N’oublions pas la barrière des 2 degrés qui va être difficile à tenir. Pour y parvenir, il est scientifiquement avéré que 80 % des ressources carbonées doivent rester dans le sous-sol. La bataille contre les émissions de carbone, loin d’être gagnée, est engagée. Nous avons le devoir de l’emporter !

Nous devons parvenir à stabiliser, puis à réduire rapidement, les émissions de gaz à effet de serre. Certains scientifiques estiment qu’il faudrait, pour avoir une chance de succès, atteindre l’inversion de la courbe dès 2020.

Nous possédons déjà l’ensemble des technologies qui nous permettront de faire face aux enjeux : les énergies renouvelables et le développement des économies d’énergie, l’économie circulaire, les transports décarbonés… On en parle trop peu, car tout chez nous est segmenté, mais j’ajouterai aussi l’agriculture, dont l’impact carbone peut – et doit – devenir positif pour le climat. Sur ce dernier point, je vais être quelque peu hors sujet, tout en restant dans le sujet. (Sourires.)

Lors de l’examen du texte relatif à la transition énergétique, lequel portait aussi notre regard au-delà de la prochaine décennie, le groupe écologiste a introduit dans la stratégie bas-carbone la notion de 4 pour 1000 en agriculture, sur des bases scientifiques, devenue, lors de la COP21, un projet de recherche internationale.

Quel est ce mécanisme ? Si nous parvenons à accroître le stockage naturel du carbone atmosphérique dans les sols de seulement 4 pour 1000, soit 0,4 % par an, nous pouvons stocker l’équivalent carbone des émissions totales annuelles de l’Humanité. Il s’agit d’un levier extrêmement puissant permettant d’atteindre plus rapidement l’inversion de la courbe des émissions pendant la phase de transition qui nous conduira vers une économie décarbonée. Je souhaitais rappeler cette avancée, qui permet de considérer l’agriculture comme un atout dans la lutte contre le changement climatique et non plus comme un problème.

Cette initiative internationale, si elle est poursuivie et menée à son terme, doit permettre de concilier les objectifs de sécurité alimentaire – essentiels – et de lutte contre les changements climatiques en soutenant de meilleures pratiques agroécologiques, dont l’agriculture biologique, respectueuses des équilibres environnementaux, de la biodiversité et de la vie du sol, biomasse d’une extraordinaire richesse. Pour y parvenir, il faudra non seulement une directive européenne visant à la préservation des sols, mais aussi une convention internationale. Il faudra, enfin, sortir les productions alimentaires du grand marché mondial.

J’en viens au fond de ce texte, dont tout le monde souligne la portée symbolique, la France ne produisant que 1 % des hydrocarbures qu’elle consomme. Mais il s’agit ici de montrer l’exemple, et nous vous rejoignons, monsieur le ministre d’État, en renonçant à exploiter nos richesses énergétiques fossiles et en nous concentrant vers les ressources d’avenir.

Certains ont pointé une incohérence : si nous devons nous priver d’exploiter nos propres ressources et que, dans le même temps, nous importons des combustibles fossiles dont le bilan carbone est moins bon, nous aurons raté notre objectif. Il faudra donc être vigilant sur ces questions, notamment dans le cadre du CETA.

L’amendement de la commission du développement durable, qui visait à apporter une réponse à cette problématique n’a pas fait long feu lors de son examen en commission, ce matin. Nous pourrons toutefois en discuter de nouveau cet après-midi.

La version de ce texte issue des travaux de l’Assemblée nationale était très modérée ; celle de notre commission des affaires économiques est, hélas ! plus que timorée.

Je relèverai deux points majeurs : les importations d’hydrocarbures issus des sables bitumineux et celles de biocarburants issus de l’huile de palme dont l’effet sur le climat est trois fois pire que le gazole, issu du pétrole. Il va falloir apporter une réponse à ces deux questions.

J’espère, mes chers collègues, que nous saurons revenir à un texte plus ambitieux qui puisse servir d’exemple à travers le monde et renforcer la position de la France dans la diplomatie climatique, aujourd’hui toujours plus cruciale pour l’avenir de l’Humanité.

Notre groupe, après un riche débat ce matin, a décidé de s’abstenir à moins que nous soyons, avec mon collègue Ronan Dantec et nos autres collègues du RDSE, suffisamment vaillants pour faire adopter nos amendements et que la force de persuasion de M. le ministre d’État nous permette de l’emporter. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

M. le président. La parole est à M. Antoine Karam.

M. Antoine Karam. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, le projet de loi présenté devant notre assemblée vise à faire de la France une nation pionnière de la sortie des énergies fossiles. En pratique, ce texte permet aussi à l’État de sortir d’une forme de duplicité qui, s’agissant des demandes de permis, l’a souvent conduit à ne pas prendre de décisions, laissant les tribunaux le faire à sa place.

Vous en conviendrez, la Guyane pâtit de cette duplicité depuis de nombreuses années. D’un côté, la majorité des demandes de permis restent sans réponse et, de l’autre, le décret censé transférer compétence en matière de titres miniers offshore à la collectivité territoriale se fait attendre depuis dix-sept ans, sans que les condamnations prononcées par le Conseil d’État soient prises en compte.

Dans ce contexte, vous comprendrez aisément que, en dépit d’une ambition partagée, mon collègue Georges Patient, sénateur de la Guyane, et moi-même portions des amendements visant à défendre les intérêts de notre territoire. En effet, comment expliquer aux Guyanais, en proie à des difficultés économiques et sociales profondes, qu’on leur interdit d’explorer leurs hydrocarbures, alors que chez nos voisins du Guyana, ExxonMobil annonce l’une des plus importantes découvertes d’hydrocarbures des dix dernières années. Imaginez un instant : si un tel projet venait à voir le jour en Guyane, comme le souhaite le géant américain, on parlerait d’un chiffre d’affaires potentiel de 100 milliards de dollars avec des retombées fiscales d’environ 420 millions de dollars par an pour la Guyane, et proches du milliard pour l’État.

Je pose donc une première question, soulevée implicitement par le Conseil d’État lui-même : quelles contreparties réelles la Guyane et les outre-mer en général retirent-ils de ce texte, symbole qu’ils vont pourtant payer au prix fort ? Hormis quelques dispositions concernant les îles Wallis-et-Futuna, je regrette qu’aucune mesure d’adaptation ne soit prévue pour les territoires ultramarins, malgré leur faible contribution au réchauffement climatique et des difficultés économiques réelles.

Certes, le Gouvernement a prolongé un permis d’exploration détenu par Total, avant de s’engager à prendre, d’ici à la fin de l’année, le décret tant attendu. Si je salue ces engagements, je crains néanmoins que nous soyons encore loin du compte, tant cette compétence ne sera plus qu’une coquille vide, une fois ce texte adopté.

Monsieur le ministre d’État, vous dites avoir prolongé ce permis au titre de droits acquis, mais qu’en est-il des droits retenus, littéralement pris en otage par les gouvernements successifs – de droite comme de gauche – préférant garder le silence pour entraîner des décisions implicites de rejet plutôt que de refuser expressément des demandes et d’avoir à les motiver ? À cet égard, le texte de la commission présente une avancée intéressante.

En descendant massivement dans la rue, les Guyanais ont voulu faire savoir à toute la France qu’il ne peut y avoir, dans notre République, d’un côté opulence et puissance et, de l’autre, un sentiment d’abandon et de soumission. Au-delà de l’exaspération, je vous demande d’entendre l’aspiration profonde portée lors de cette mobilisation historique, celle de faire des Guyanais les premiers acteurs de leur développement. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à M. Fabien Gay.

M. Fabien Gay. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, le mercredi 2 août dernier, l’Humanité avait consommé l’ensemble des ressources que la planète peut renouveler en une année. Le coût de cette surconsommation récurrente est déjà visible : pénuries en eau, désertification, déforestation ou encore disparition d’espèces. Vivre à crédit ne peut être que provisoire, parce que la nature n’est pas un gisement dans lequel nous pouvons puiser indéfiniment.

L’Accord de Paris a permis de définir une limite, celle des 2 degrés de hausse de température, comme un cap déterminant à ne pas dépasser pour éviter le déchaînement des éléments qui rendrait les conditions de vie difficiles et les changements irréversibles.

Ouragans, inondations, sécheresses, incendies : une séquence de catastrophes naturelles historiques, aggravées par le réchauffement climatique, frappe d’ores et déjà tous les continents. Pourtant, cette urgence climatique n’est pas partagée par tout le monde. Les climato-sceptiques remettent en cause les fondements du réchauffement climatique, quand certains grands groupes industriels ne se préoccupent souvent que de leur rentabilité financière à court terme, au détriment de la planète et de l’humain.

Ce projet de loi interroge plus largement sur notre société de demain. En 2050, si nous n’agissons pas, l’ONU prévoit le déplacement de 150 millions de réfugiés climatiques. Comment ferons-nous, alors, pour accueillir des millions de femmes et d’hommes et faire société commune, quand nous peinons aujourd’hui à accueillir quelques milliers de réfugiés dans la plus grande dignité ?

Comme vous l’avez souligné, monsieur le ministre d’État, votre projet de loi est un symbole en ce qu’il touche l’un des multiples aspects sur lesquels il faut agir pour sauver l’humain et la planète. Oui, l’action politique relève aussi du domaine symbolique !

Avec ce texte, nous pouvons envoyer un signal fort, celui d’une France qui prend ses responsabilités et qui, si elle saisit cette occasion, peut prendre la tête du combat inévitable contre le dérèglement climatique et pour la sauvegarde de notre planète. Dans ce cadre, il nous faut agir vite et fort, tant que la puissance publique et le pouvoir politique le peuvent encore.

Si l’on peut regretter que ce projet de loi ne traite que de la production d’hydrocarbures sur notre territoire, laquelle ne représente que 1 % de notre consommation nationale, et qu’il ne définisse rien sur nos importations et nos exportations, nous pensons malgré tout qu’il s’agit d’un texte important qui apporte une pierre à l’édifice.

Toutefois, un symbole qui n’est pas suivi d’actes politiques forts ne reste qu’un élément de communication. L’action isolée ne peut suffire, elle est comprise dans un modèle de société global. Le premier de ces actes consiste à refuser – c’est vital – le CETA (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – M. le ministre d’État opine.), cet accord de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne, qui va accroître la concurrence entre les secteurs agricoles, affaiblir les normes sanitaires et environnementales et entraver durablement nos politiques publiques.

Mme Éliane Assassi. Absolument !

M. Fabien Gay. Le CETA, s’il venait à être mis en œuvre, mettrait à bas le projet de loi que nous examinons aujourd’hui. Oui, il faut le dire avec force : le CETA n’est pas climato-compatible et aucun garde-fou, monsieur le ministre d’État, ne pourra entraver sa dangerosité !

Je vous fais donc une proposition, ainsi qu’à tous mes collègues ici présents : malgré nos différentes sensibilités, nous œuvrons autour de ce projet de loi dans un même objectif de préservation de la planète et nous œuvrons, de manière générale et chacun à notre manière et avec nos idées, pour les Françaises et les Français. Pourquoi ne pas mettre alors entre les mains du peuple tous les éléments de ce traité de libre-échange, initier de grands débats publics et donner la parole à nos concitoyens par référendum, en acceptant, cette fois-ci, leur décision ?

Ma deuxième proposition, c’est de systématiquement placer l’intérêt général, donc environnemental et social, avant les intérêts privés, partisans et financiers. Ce sera toujours le sens de nos amendements, car c’est ce qui anime nos combats politiques.

Je prends un seul exemple. La date butoir de 2040 pour le renouvellement des concessions, déjà très tardive à notre goût, fait l’objet de multiples dérogations, notamment si le concessionnaire justifie que la rémunération normale des capitaux n’est pas avérée. Une telle disposition fait primer la rentabilité sur l’exigence environnementale.

Oui, monsieur le ministre d’État, le capitalisme financiarisé et mondialisé tel que nous le connaissons aujourd’hui n’est pas, lui non plus, compatible avec les intérêts de l’humain et de la planète ! Il recherchera toujours la rentabilité immédiate et le profit à tout prix, au détriment de tout le reste.

J’en viens donc à mon dernier point. Ce projet de loi, vous l’avez dit, doit s’accompagner d’autres projets de loi, notamment sur la place faite aux énergies renouvelables, l’objectif étant d’atteindre la part de 30 % du mix énergétique. Pour ce faire, il faut un investissement public massif dans la formation et la recherche, car les emplois de demain sont là. Nous en récolterons les fruits dans vingt ou trente ans. La plateforme emplois-climat évalue à un million le nombre d’emplois dans ce domaine en 2020 si nous investissons aujourd’hui. Alors, chiche, faisons-le !

Je suis persuadé que le cerveau humain a la capacité d’imaginer un moyen d’utiliser efficacement l’énergie du soleil, qui nous envoie chaque jour 8 000 fois nos besoins énergétiques. On va me dire que tout cela coûte cher ! Je fais donc une proposition : pourquoi ne pas mobiliser 10 % des 300 milliards d’euros provenant de foyers français qui dorment dans les paradis fiscaux – c’est une révélation du Figaro du 30 septembre dernier –, soit 30 milliards d’euros, pour investir dans les énergies renouvelables, l’emploi et la formation ? (Eh oui ! sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.) Oui, il faut mobiliser l’argent qui dort tranquillement au soleil et ne profite qu’à quelques-uns, pour l’avenir de notre planète et pour l’Humanité ! Il faut donc des actes et, pour cela, il faut de la volonté politique.

Je finis, comme c’est la coutume ici, par une citation. (Sourires sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.) Puisque nous fêtons aujourd'hui le centenaire de la révolution russe, permettez-moi de citer Lénine (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.) : « Là où il y a une volonté, il y a un chemin ». Croyez-le, monsieur le ministre d’État, il y a beaucoup de volonté au sein du groupe communiste républicain citoyen et écologiste pour trouver le chemin d’une société émancipée qui respecte l’homme et la planète ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Citer Lénine, c’est limite !

M. le président. La parole est à Mme Françoise Férat. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – M. René-Paul Savary applaudit également.)

Mme Françoise Férat. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, nous abordons l’examen de ce projet de loi, qui est l’une des premières mises en œuvre de l’accord de Paris sur le climat. Il affiche les ambitions de la France et des cosignataires en matière de transition énergétique et de lutte contre le changement climatique. Je partage ces ambitions.

Puisque la COP21, qui a entériné ce traité international, a eu lieu en France, puisque notre pays a toujours été à l’avant-garde des défis planétaires et universels, il est légitime qu’il soit l’un des premiers à se montrer exemplaire. Seulement, monsieur le ministre d’État, la France ne doit pas être la seule ! Comme pour ce qui concerne l’application des normes européennes, pour lesquelles le Président de la République ne souhaite pas de surtransposition, nous ne devons pas être en décalage avec nos concurrents mondiaux.

Dans votre message audiovisuel du 10 octobre dernier relatif à l’explication de ce projet de loi, vous estimiez que ce texte permettrait à la France d’« avoir une autorité pour peut-être » – peut-être ! – « convaincre d’autres partenaires de faire de même ». Souhaitons-le ! C’est une intention ambitieuse, et il faut en passer par là. Cependant, nous devons assurer en droit la compétitivité de notre économie et de nos entreprises. Parallèlement, il faudra également garantir notre approvisionnement en énergie. Je le rappelle, l’énergie constituera un défi fondamental de nos civilisations dans les prochaines décennies, avec l’eau et l’alimentation.

Je pense sincèrement, devant toutes ces préoccupations déterminantes pour l’avenir de la France, qu’il convient d’inscrire la réciprocité de la fin de l’exploitation des hydrocarbures dans la loi. Nous devons mettre un garde-fou nous permettant de prolonger l’exploitation si les autres pays ne nous suivent pas. Une telle volonté de réciprocité n’est qu’une application pure et simple de la hiérarchie des normes juridiques. En effet, l’article 55 de notre Constitution prévoit que « les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie. » C’est clair, notre droit constitutionnel exige que notre obligation soit tenue si les partenaires respectent leurs engagements.

Vous dites que l’année 2040 est proche. Estimez-vous que nous ne consommerons plus d’hydrocarbures en 2040 ? Ou plutôt que nous n’aurons pas à en importer ? Comme vous, je le souhaite. C’est d’ailleurs l’ambition que vous avez affichée avec la fin des véhicules thermiques. Toutefois, autant des alternatives existent pour l’automobile, avec l’électricité, l’hydrogène ou le biogaz, autant nous ne serons pas totalement sortis, en 2040, de l’ère des hydrocarbures, je le pense sincèrement, malgré les investissements en matière de transition énergétique que nous aurons pu faire et le développement exigé des énergies renouvelables : solaire, éolien, méthanisation. Nous utiliserons beaucoup moins d’hydrocarbures, mais nous en utiliserons encore. Dans certains secteurs, les palliatifs n’ont pas encore été trouvés. Par exemple, dans le domaine de l’aviation, il n’y a pas d’alternative au kérosène.

Vous avez recours à un argument très imagé et très symbolique : selon vous, lorsqu’on est passé de l’âge de pierre à l’âge du fer, ce n’était pas parce qu’il n’y avait plus de pierre, mais, parce que le fer, c’était mieux ! C’est partiellement vrai. En effet, entre l’âge de pierre et l’âge du fer, il y a eu l’âge de bronze, qui a duré environ deux mille ans, selon les régions du monde.

Nous le voyons au travers de vos références historiques, il a fallu une longue période de transition pour que l’homme, grâce à la technique, puisse battre le fer. Le symbole est fort, mais la temporalité est importante pour tendre vers une efficacité technologique. Car nous devons franchir des étapes.

Moi aussi, je peux avoir recours aux symboles, et notamment évoquer les bandes dessinées de mon enfance, dans lesquelles les voitures de l’an 2000 volaient. Nous en sommes loin !

En 2040, il est vraisemblable que nous continuerons à utiliser des hydrocarbures, car les techniques évoluent, mais pas aussi vite que nous l’imaginons. Pourquoi, dès lors, en importer – nous y serons en effet contraints ! –, dans la mesure où cela aura un impact carbone beaucoup plus important que la consommation d’hydrocarbures nationaux ?

Sur un plan environnemental, le pétrole produit en France permet, grâce à l’absence de transport, d’éviter l’émission de 100 000 tonnes de C02. Ainsi, une tonne de pétrole produite en France émet trois fois moins de C02 qu’une tonne importée.

De plus, en se privant de sa production nationale, la France favorisera plus encore l’importation de pétrole étranger, dont nous ne connaissons pas les conditions environnementales et sociétales d’extraction, contrairement à ce qui se passe dans notre pays. Nous bénéficions en effet d’un arsenal de normes et de contraintes permettant de protéger la biodiversité et les sols.

Quel mauvais bilan pour le climat, monsieur le ministre d’État ! En effet, si l’on regarde le projet de loi que vous présentez avec une vision basique, on s’aperçoit in fine que vous proposez non pas la fin des énergies fossiles, mais la fin de la production française.

Nous consommerons toujours des hydrocarbures, vraisemblablement moins, mais ils seront importés. La priorité, je le rappelle, est le combat contre le réchauffement climatique. Toutefois, ne l’oublions pas, ces exploitations engendrent des revenus financiers importants pour les collectivités et leurs habitants. Dans la Marne – permettez-moi en cet instant d’associer à mon propos mes collègues Yves Détraigne et René-Paul Savary –, où nous avons des idées, mais aussi un peu de pétrole, les ressources de la redevance communale et départementale des mines représentent chaque année 1,8 million d’euros. On pourrait additionner l’ensemble des départements impactés par cette législation.

Les installations en question assurent des centaines d’emplois directs et indirects et permettent des avancées scientifiques, notamment géologiques. Il s’agit de véritables écosystèmes industriels, qui se situent bien souvent dans des zones déjà touchées par la crise économique ou éloignées des zones d’emplois dynamiques.

Enfin, dans votre vidéo, vous parlez d’indépendance énergétique. Les hydrocarbures français apportent une réponse à une telle volonté, parallèlement au développement des énergies renouvelables.

Je partage vos objectifs en matière de baisse des émissions de C02 et de gaz à effet de serre ; je suis bien sûr favorable à la transition énergétique pour lutter contre le réchauffement climatique. Mais il faut trouver un équilibre dans le cadre d’un projet de loi, en prenant en compte un principe de réciprocité avec nos partenaires internationaux ; un principe de compétitivité des entreprises ; un principe d’écologie en consommant des hydrocarbures français, dont le bilan carbone est meilleur que les hydrocarbures importés ; un principe de réalité s’agissant de la temporalité de la fin des hydrocarbures et des alternatives possibles.

Nous sommes naturellement prêts à soutenir des mesures visant à lutter contre le réchauffement climatique. Mais telle n’est pas la question qui nous est posée aujourd’hui avec ce projet de loi. Nous disons « oui » à l’objectif, mais « non » à la méthode et ses conséquences.

Vous le verrez, monsieur le ministre d’État, les amendements que certains d’entre nous ont déposés ne sont pas radicaux. Ils visent plutôt à conserver l’objectif d’une sortie du recours aux énergies fossiles, mais en atténuant les conséquences économiques et sociales néfastes pour nos territoires. Soyez-y attentifs ! Notre groupe pourrait alors voter ce texte s’il est équilibré. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)