M. le président. J’appelle en discussion les amendements tendant à insérer des articles additionnels qui sont rattachés pour leur examen aux crédits de la mission « Santé ».

État B
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2018
Solidarité, insertion et égalité des chances

Articles additionnels après l'article 62 bis

M. le président. L’amendement n° II–103 rectifié, présenté par Mme L. Darcos et M. Joyandet, est ainsi libellé :

I. – Après l’article 62 bis

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Dans les six mois suivant la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur les plans nationaux de santé publique. Il fournit les éléments d'information sur les modalités de leur financement et formule des propositions sur les moyens juridiques et budgétaires à mettre en œuvre afin de permettre aux organismes de recherche de bénéficier des ressources nécessaires à l'accomplissement des missions qui leur sont confiées par les ministères de la santé et de la recherche aux fins de prévenir les risques sanitaires et infectieux.

II. – En conséquence, faire précéder cet article d'un intitulé ainsi rédigé :

Santé

La parole est à Mme Laure Darcos.

Mme Laure Darcos. Mes chers collègues, je vais être un peu longue, mais j’estime qu’il vaut la peine que vous entendiez une explication détaillée de cet amendement.

L’État est censé jouer un rôle essentiel en matière de protection et de promotion de la santé, comme en témoignent les initiatives prises pour lutter contre la maladie de Lyme, ou encore pour mobiliser la recherche française dans le cadre de crises sanitaires mondiales telles que Zika ou Ebola.

Toutefois, au-delà des effets d’annonce, il nous faut nous interroger sur les moyens réellement alloués à nos chercheurs.

L’exemple de l’INSERM est éclairant à ce sujet. Cet institut de recherche s’est vu confier pas moins de neuf plans ou missions depuis 2014. Il a notamment été chargé du lancement du consortium REACTing, dont l’objet est de coordonner la recherche en cas d’émergence infectieuse. Il a également reçu la mission de piloter le plan France Médecine génomique 2025, sur le séquençage du génome humain, et de mettre en œuvre le volet « recherche » du plan Maladies neurodégénératives. L’INSERM a encore été sollicité pour le plan de lutte contre la maladie de Lyme, le Plan antibiorésistance et le plan Maladies rares III. Enfin, cet opérateur de recherche porte un projet pilote dans le cadre du plan Cancer, un autre concernant les déficiences intellectuelles ainsi qu’un projet relatif aux maladies fréquentes, comme le diabète.

Pour l’ensemble de ces missions, des financements des ministères de la santé et de la recherche étaient attendus. Malheureusement, ils ne sont pas au rendez-vous : pas un centime n’est disponible !

Dans son rapport spécial sur le projet de loi de finances pour 2017, notre ancien collègue Michel Berson relevait que 43 millions d’euros, correspondant au coût de ces nouveaux engagements, n’avaient toujours pas été versés.

Depuis, les financements nécessaires pour permettre à l’INSERM de répondre aux sollicitations de l’État dans les prochaines années ont dû être réévalués ; ils s’élèvent aujourd’hui à près de 50 millions d’euros.

De telles charges pèsent évidemment sur le budget des opérateurs publics de recherche, qui sont souvent conduits à devoir opérer des redéploiements internes, humains et matériels.

Une question se pose inévitablement au regard de cette situation : comment mobiliser et motiver des équipes sur le long terme et constituer des cohortes avec une telle absence de visibilité financière ?

L’amendement que nous vous proposons a donc pour objet de demander une évaluation précise des modalités de financement des plans de santé publique. Nous souhaitons également qu’au terme de cette évaluation des propositions soient formulées afin de lever l’ensemble des obstacles juridiques et budgétaires altérant la capacité d’intervention des opérateurs publics de recherche.

Outre Alain Joyandet, cosignataire de cet amendement, je veux également y associer Jean-François Rapin. (Applaudissements sur la plupart des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Joyandet, rapporteur spécial. Je ne suis pas, de manière générale, très favorable aux demandes de rapport. Néanmoins, j’estime que celui-ci serait très utile. Je suis cosignataire de cet amendement à titre personnel. Cela dit, la commission des finances a émis un avis favorable à son sujet.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Sophie Cluzel, secrétaire d’État. Madame la sénatrice, vous souhaitez que le Gouvernement remette au Parlement un rapport sur les plans nationaux de santé publique et, en particulier, sur le financement du volet « recherche » de ces plans.

Le Gouvernement partage votre constat : différents plans de santé publique ont été annoncés au cours des dernières années sans que le financement des mesures prévues ait toujours été suffisamment identifié en amont, notamment pour celles qui concernent la recherche. Nous souhaitons donc que tout plan identifie désormais les opérateurs qui devront le mettre en œuvre et les ressources qu’ils pourront mobiliser.

Pour ce qui concerne la recherche, Mme la ministre des solidarités et de la santé souhaite créer un programme national de recherche en santé publique. Sa programmation sera concertée avec l’ensemble des ministères concernés, en particulier le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, et avec les principaux opérateurs de recherche. Ce programme devra reprendre, de façon transversale, des besoins de recherche identifiés dans les différents plans de santé publique. En revanche, seules pourront y figurer les actions de recherche dont les financements seront identifiés. On évitera ainsi une programmation hors-sol qui n’intègre pas la réalité des contraintes financières que connaissent les équipes de recherche.

La production d’un rapport n’est peut-être pas le meilleur moyen de faire progresser ce sujet. Au bénéfice des explications et des assurances que je viens de vous donner sur l’action du Gouvernement, je souhaiterais donc, madame la sénatrice, que vous acceptiez de retirer votre amendement, faute de quoi j’y serais défavorable.

M. le président. La parole est à M. Jean-François Rapin, pour explication de vote.

M. Jean-François Rapin. Cette question s’est posée, pour nous, quand Mme Darcos est venue exposer les principes de son amendement en commission des finances. En tant que rapporteur spécial pour la recherche, je l’ai auditionnée, et j’en ai conclu que son idée était bonne.

En effet, nous vivons un changement total de paradigme, dans tous les domaines. Mme Darcos, par cet amendement, nous pose la question suivante : peut-on considérer la recherche, aujourd’hui, comme un moyen très utile de faire de la prévention médicale ? Pour ma part, je crois que oui. Sincèrement, cette idée qui, au départ, ne faisait pas l’unanimité, et qui nous a demandé de la réflexion, est tout à fait intéressante. Peut-être pourrait-on, demain, financer à travers l’assurance maladie ou l’assurance sociale la recherche, dès lors qu’elle s’intéresse spécifiquement aux grandes pandémies ou, plus largement, à des maladies. Cette idée assez intéressante demande réflexion.

Il ne serait donc pas inutile, selon moi, de pouvoir bénéficier d’un rapport qui associerait le monde de la recherche, les autorités sanitaires et, en général, celles de la vie publique pour travailler sur cette question qui est, à mon sens, fondamentale. C’est pourquoi je soutiens, en tant que membre de la commission des finances, cet amendement.

M. le président. Madame Darcos, l’amendement n° II–103 rectifié est-il maintenu ?

Mme Laure Darcos. Madame la secrétaire d’État, à l’évidence, je suis touchée par vos arguments. Néanmoins, et bien qu’il s’agisse d’un amendement d’appel, je le maintiens. Certes, le rapport que je demande n’aurait évidemment plus d’objet si, avant la date de sa remise, une solution était trouvée ; on n’aurait plus, alors, besoin de cette étude.

Toutefois, comme l’a souligné Jean-François Rapin, et sans que vous en soyez responsable, nous avons vécu trop d’années d’insincérité budgétaire où des promesses vides ont été faites. Surtout, depuis quelques années, des associations ont été créées ; je pense notamment aux victimes de la maladie de Lyme, parce qu’on en parle beaucoup en ce moment. Ces associations espèrent un vaccin ; or on n’a pas pu encore organiser une seule étude de cohorte. Il y a urgence ; on ne peut pas attendre !

C’est pourquoi, pour ainsi dire, je maintiens la pression en maintenant mon amendement. Il faut que des décisions puissent être prises assez rapidement ; il existe encore des possibilités législatives pour le faire. Il s’agit vraiment d’un appel au secours, et je dirais presque qu’on a levé ici une sorte de mini-scandale d’État.

M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier, pour explication de vote.

M. Bernard Jomier. La question que vous posez, ma chère collègue, est réelle et va beaucoup plus loin que votre amendement. Je regrette d’ailleurs que vous paraissiez – je sais que tel n’est pas le cas – vous focaliser sur l’INSERM ; en l’occurrence, ce ne serait pas très adroit. (Mme Laure Darcos sourit.)

Toujours est-il que la question du financement de la recherche, en particulier médicale, puisque c’est de cela qu’il s’agit ici, nous amène nécessairement à poser la question de la fiscalité en la matière. Dans notre pays, traditionnellement, ces financements relevaient quasi exclusivement de la sphère publique. Or, comme vous le notez, celle-ci a maintenant du mal à faire face à ces financements. La question se pose pour les instituts hospitalo-universitaires, les IHU : l’avenir d’un certain nombre d’entre eux est en cause, à l’heure même où une nouvelle génération d’IHU a été créée.

Le modèle anglo-saxon en la matière est fort différent du nôtre. Or j’ai le sentiment que nous sommes en train de quitter doucement notre modèle, ou du moins de l’euphémiser, sans qu’on nous dise vers quel autre modèle on se dirige. Cette question me paraît centrale ; elle doit être mise sur la table par la collectivité nationale.

Soyez assurée, ma chère collègue, que j’ai lu votre amendement plusieurs fois, et avec une grande attention, afin de comprendre si vous étiez vous aussi animée par la volonté de poser cette question dans son ensemble, et non pas seulement dans l’aspect particulier du financement de l’INSERM et de quelques autres programmes de recherche médicale, ce qui serait, si vous me pardonnez l’expression, regarder le problème par le petit bout de la lorgnette.

M. le président. La parole est à M. Jean-François Longeot, pour explication de vote.

M. Jean-François Longeot. Je voterai cet amendement, parce que son auteur a bien expliqué qu’il était important. Certes, comme M. le rapporteur spécial l’a dit, il n’est pas évident d’accepter toutes les demandes de rapport. Toutefois, celui-ci est nécessaire.

L’adopter permettrait aussi de lancer un appel : il faut se pencher sur certains sujets. Parmi eux, ma chère collègue, vous avez cité un très bon exemple : la maladie de Lyme. Il est selon moi impératif de mettre en place et de développer la recherche en la matière, au vu du retard que nous avons par rapport à certains pays. Je peux vous dire que les personnes confrontées à cette maladie réagissent sur ce sujet d’une façon complètement différente par rapport à ceux qui, sans remettre en cause cet amendement, s’interrogent du moins sur son utilité.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.

Mme Laurence Cohen. Notre groupe soutiendra lui aussi cet amendement. En effet, non seulement la question que pose Mme Darcos est extrêmement importante, mais – ne nous montrons pas hypocrites sur ce point – nous ne disposons pas non plus de bien des possibilités législatives pour progresser sur ce sujet au-delà d’une demande de rapport : l’article 40 de la Constitution constitue de ce point de vue un véritable couperet.

Mme Laurence Cohen. Alors, à chaque demande de rapport, nous entendons les mêmes arguments : encore un de plus ! Pourtant, Mme Darcos soulève ici une question qui est essentielle, notamment pour la santé. Il me semble donc important de disposer de données pour réfléchir ensemble et confronter des points de vue qui peuvent être divergents.

Notre groupe a plusieurs fois proposé de réfléchir à un grand pôle public du médicament et de la recherche. C’est une idée qui peut être mise en débat et qui peut évoluer. Pour ma part, je vois dans cette demande de rapport une ouverture vers des pistes de réflexion. En effet, de fait, la recherche ne se porte pas bien du tout. Quand nous avons affaire à des chercheurs, notamment dans le domaine médical, ils nous appellent souvent au secours pour bien des maladies. Voilà pourquoi, avec l’ensemble de mon groupe, je soutiendrai cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° II-103 rectifié.

(L’amendement est adopté.) (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Michèle Vullien et M. Olivier Cigolotti applaudissent également.)

M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 62 bis.

L’amendement n° II–206 rectifié bis, présenté par MM. Jomier, Cabanel, Courteau, Dagbert, Féraud, Fichet, Kanner, Kerrouche, Manable, Tissot et Vaugrenard et Mmes de la Gontrie, Espagnac, Féret, Ghali, Jasmin, Lienemann, Lubin, Meunier, Préville, Rossignol, Taillé-Polian et Van Heghe, est ainsi libellé :

Après l’article 62 bis

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. – Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur les conditions de mise en œuvre de l’intégration du dispositif d’aide médicale d’État au sein de l’assurance maladie et sur l’accès à une complémentaire santé pour les plus précaires.

Ce rapport établit notamment un état des lieux des dysfonctionnements dans l’accès des personnes aux dispositifs de l’aide médicale d’État, de la protection universelle maladie, et des complémentaires santé (aide à la complémentaire santé, couverture maladie universelle complémentaire). Il établit également une évaluation de l’impact de cette intégration en termes de coûts évités et/ou induits pour le système de santé et des propositions opérationnelles pour sa mise en œuvre effective ainsi que les mesures nécessaires pour garantir un accès effectif des personnes en situation de précarité sociale à une couverture maladie.

II. – En conséquence, faire précéder cet article d’un intitulé ainsi rédigé :

Santé

La parole est à M. Bernard Jomier.

M. Bernard Jomier. Cet amendement a pour objet l’évolution du dispositif de l’aide médicale d’État. Je prends note, avec déception, de la décision du Sénat sur ce sujet. Il n’est pas satisfaisant, à mes yeux, de couper ainsi les crédits de l’AME. La décision est ainsi renvoyée à l’Assemblée nationale qui – personne ne se fait d’illusion – les rétablira, ce qui est heureux, puisque les besoins auraient sinon dépassé les sommes prévues.

Néanmoins, je suis d’accord avec vous, mes chers collègues, quant à la nécessité de ne pas arrêter là le débat. Quel choix avons-nous donc ? Il faut simplement étudier des pistes de réforme de ce dispositif. Or quelle est la principale piste qui est aujourd’hui sur la table, qui est défendue par tous ceux qui s’intéressent à la santé publique, par l’Inspection générale des affaires sociales et par l’Inspection générale des finances ? C’est l’insertion du dispositif de l’AME au sein de l’assurance maladie. Tous estiment qu’il y aurait là un puits d’efficience et de rationalisation de la dépense, même sans toucher à l’essentiel du dispositif. L’Académie de médecine, elle aussi, dans un rapport très documenté et circonstancié adopté le 20 juin dernier, estime que l’insertion de l’AME dans l’assurance maladie permettrait d’améliorer l’efficacité du dispositif en termes de parcours de soins et de soins délivrés.

Pour ma part, je demande que le Gouvernement mette cette piste de réflexion sur la table et qu’il produise, là aussi, un rapport sur cette question pour que notre assemblée soit éclairée et que nous puissions prochainement revenir sur le sujet à partir d’éléments objectifs. Il s’agit de savoir quel impact la prise en charge du dispositif d’aide médicale d’État par l’assurance maladie aurait en termes de santé et de coût.

Ce n’est pas une révolution : telle était la situation, je le rappelle, jusqu’en 1993. De fait, ce dispositif a passé plus de temps au sein de l’assurance maladie qu’en dehors.

Je vous invite donc, mes chers collègues, à voter cet amendement pour que nous puissions, à partir de ce rapport, délibérer de nouveau sur cette question.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Joyandet, rapporteur spécial. La commission des finances souhaite plutôt recentrer l’AME et non l’élargir. Le fait de la noyer dans le reste de notre comptabilité ne serait pas une source de clarté et irait à l’encontre des amendements que nous avons votés il y a quelques instants. C’est pourquoi nous avons émis un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Sophie Cluzel, secrétaire d'État. Cet amendement a deux objets bien distincts : la couverture maladie des plus précaires et l’intégration de l’AME dans l’assurance maladie. Mon appréciation sera différente sur ces deux sujets.

S’agissant de l’accès effectif aux droits des personnes les plus précaires, un rapport d’information sur l’accès financier aux soins des personnes en situation de précarité est d’ores et déjà prévu à l’article 44 ter du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 et portera notamment sur les bénéficiaires de l’AME. Cette partie de l’amendement est donc satisfaite.

Concernant à présent l’intégration des bénéficiaires de l’AME à l’assurance maladie, je ne peux qu’être beaucoup plus réservée. L’AME et l’assurance maladie relèvent de deux logiques différentes.

L’AME vise à soigner des personnes démunies en situation irrégulière vivant sur notre territoire et relève à ce titre de l’action sociale et humanitaire financée par l’État.

Notre système de sécurité sociale est fondé, lui, sur des contributions obligatoires des assurés en contrepartie d’une couverture universelle face aux aléas de santé.

Il est proposé dans le rapport d’examiner la fin de cette distinction primordiale. Cette question étant lourde d’implications, l’on peut craindre que l’évolution suggérée n’aboutisse qu’à l’effet inverse de celui qui est escompté, en affaiblissant l’adhésion à notre système de protection sociale.

Le Gouvernement n’est donc pas favorable à cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° II-206 rectifié bis.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. Nous avons achevé l’examen des crédits de la mission « Santé ».

Solidarité, insertion et égalité des chances

Articles additionnels après l'article 62 bis
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2018
État B

M. le président. Le Sénat va examiner les crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » (et articles 63 et 64).

La parole est à M. le rapporteur spécial.

M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial de la commission des finances. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des finances, mes chers collègues, la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », qui porte les politiques publiques de solidarité et de cohésion sociale de l’État en faveur des personnes les plus fragiles, est dotée de 19,4 milliards d’euros de crédits de paiement en 2018. Ces crédits progressent ainsi de 8,7 % par rapport à 2017, soit une augmentation d’un peu plus de 1,5 milliard d’euros.

Cette augmentation est principalement due au dynamisme des dépenses d’intervention que sont la prime d’activité, l’allocation aux adultes handicapés, l’AAH, et les mesures de protection des majeurs, lesquelles représentent 80 % des crédits de la mission.

Malgré cette augmentation, permettez-moi de vous le dire, madame la secrétaire d’État, ce budget n’est pas à la hauteur des enjeux de la mission.

Tout d’abord, malgré la volonté louable de « sincérisation » des crédits, que nous constatons, après des années de sous-budgétisation, des risques de dépassement budgétaire sont à prévoir, en 2018, notamment pour la prime d’activité et l’allocation aux adultes handicapés. S’agissant de la prime d’activité, l’enveloppe budgétaire prévue pour 2018 est d’ores et déjà en deçà des dépenses exécutées sur 2017, alors que les bénéficiaires ne cessent d’augmenter. L’année 2018 ne dérogera malheureusement pas à la pratique des années précédentes d’ouvertures massives de crédits, en lois de finances rectificatives, pour faire face aux besoins de ces dispositifs.

Par ailleurs, nous déplorons une autre insuffisance de ce budget, la non-compensation des crédits issus de la réserve parlementaire, alors que 6,6 millions d’euros avaient été ouverts en 2017, à ce titre, sur la mission « Solidarité ». Il s’agit d’un « manque à financement » important notamment pour les associations d’aide alimentaire : les Restos du cœur ont ainsi bénéficié de près de 700 000 euros et la Banque alimentaire de près de 200 000 euros. C’est pourquoi la commission a adopté, sur mon initiative, un amendement visant à rétablir ces crédits, vitaux pour le tissu associatif.

En outre, alors que l’égalité entre les femmes et les hommes a été érigée au rang de grande cause nationale du quinquennat par le Président Macron, la légère augmentation du programme dédié à l’égalité entre les femmes et les hommes masque cependant des situations contrastées. Le budget pour 2018 est ainsi marqué par une baisse regrettable de 1,8 million d’euros de crédits liés à la lutte contre la prostitution ; cette baisse contrevient ainsi à l’application effective de la loi du 13 avril 2016 mettant en œuvre un parcours de sortie de la prostitution. Nous saluons donc la volonté de faire de ce programme une priorité politique, mais faut-il encore qu’elle se traduise par des actes. Je soutiendrai donc les amendements, déposés par nos collègues, visant à rétablir les crédits de l’action relative à la lutte contre la prostitution.

Par ailleurs, bien que des enveloppes « exceptionnelles » aient été prévues dans ce budget, elles paraissent insuffisantes pour couvrir les dépenses engagées. Il en est ainsi du fonds d’appui aux politiques d’insertion, le FAPI, doté de 50 millions d’euros seulement, et surtout du financement exceptionnel de 66,8 millions d’euros alloués aux départements au titre du remboursement de 30 % des dépenses d’aide sociale à l’enfance pour l’accueil des mineurs non accompagnés supplémentaires entre le 31 décembre 2016 et le 31 décembre 2017.

Les départements ne peuvent plus faire face à l’afflux croissant de ces mineurs non accompagnés, qui étaient, rappelons-le, 2 500 à la fin de l’année 2014, et dont le nombre est aujourd’hui estimé à 25 000.

Malgré l’annonce du Premier ministre, fin octobre devant le congrès de l’Assemblée des départements de France, de prendre en charge, par l’État, les dépenses d’évaluation et de mise à l’abri en attendant cette évaluation, aucun crédit n’a été inscrit dans le budget à ce titre pour 2018. C’est une source d’inquiétude pour les départements, qui sont aujourd’hui dans une situation extrêmement difficile, subissant l’organisation de véritables « filières », et accueillant de plus en plus de personnes majeures, les conduisant à engager d’importantes dépenses d’évaluation.

Sur ce sujet, l’État doit, plus que jamais, prendre ses responsabilités et assumer ces dépenses qui relèvent de la politique nationale d’immigration. Nous attendons ainsi de la mission en cours sur le sujet qu’elle aboutisse à une clarification et à une traduction budgétaire rapides. Nous souhaiterions, à cet égard, madame la secrétaire d’État, connaître l’état d’avancement de cette mission.

Malgré ces insuffisances que je regrette, la commission des finances a décidé d’adopter ces crédits, puisqu’ils ont été rectifiés, pour partie, par trois amendements adoptés par la commission. (MM. Roger Karoutchi et Michel Forissier applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur spécial.

M. Éric Bocquet, rapporteur spécial de la commission des finances. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des finances, mes chers collègues, Arnaud Bazin a parfaitement souligné les insuffisances budgétaires dont souffre cette mission, mais il ne s’agit malheureusement pas des seules.

Madame la secrétaire d’État, la hausse des crédits de la mission s’avère, à l’analyse des crédits budgétaires, une véritable augmentation en trompe-l’œil.

Évoquons d’abord les revalorisations de la prime d’activité et de l’allocation aux adultes handicapés. Ces revalorisations – que nous saluons – masquent, en réalité, des réformes paramétriques constituant autant de mesures d’économie au détriment des populations les plus fragiles.

Ne pouvant revenir sur les revalorisations promises, lors de la campagne présidentielle, il semble, madame la secrétaire d’État, que le Gouvernement ait trouvé dans ces réformes paramétriques des moyens discrets d’économies budgétaires. Ces mesures sont d’autant plus regrettables qu’elles n’ont fait l’objet d’aucune concertation avec les acteurs concernés, et notamment les associations de personnes handicapées, qui nous ont exprimé leurs plus vives inquiétudes à ce sujet.

Ces mesures d’économies concernent les trois plus importantes dépenses sociales de la mission : la prime d’activité, l’AAH et la protection juridique de majeurs. Elles conduisent ainsi, de façon regrettable, à atténuer voire à neutraliser les effets des revalorisations annoncées.

Parmi ces réformes, je citerai l’exclusion, au 1er janvier 2018, des bénéficiaires de rentes AT-MP – accidents du travail-maladies professionnelles – et de pensions d’invalidité, de la prime d’activité. Cette mesure d’économie, justifiée par le Gouvernement par le faible nombre de bénéficiaires actuels, estimé à 10 000 personnes, est à la fois injuste et injustifiée, madame la secrétaire d’État. Injuste, car cette mesure touche encore une fois les plus fragiles et va à l’encontre de l’objectif essentiel d’intégration professionnelle des personnes en situation de handicap. Injustifiée, puisque, en réalité, ce sont non pas 10 000, mais 250 000 personnes qui seraient potentiellement concernées par ce dispositif, qui n’existe que depuis le 1er octobre 2016 et n’a fait l’objet d’aucune campagne d’information.

C’est pourquoi la commission des finances du Sénat, sur l’initiative de mon collègue Arnaud Bazin et moi-même, a adopté un amendement de suppression de l’article 63 rattaché à la mission qui porte cette mesure d’économie.

Cette discrète réforme de paramètre n’est malheureusement pas la seule.

Le Gouvernement prévoit également un rapprochement des règles de prise en compte des revenus d’un couple à l’AAH sur celles d’un couple au revenu de solidarité active, ou RSA, dès 2018 et, à compter de 2019, la disparition de l’un des deux compléments de ressources de l’AAH, complément d’un montant de 179 euros par mois. Il s’agit là d’un regrettable alignement par le bas de l’AAH conduit pas le Gouvernement qui, au nom de l’équité, ignore totalement les difficultés d’une personne en situation de handicap. Non, l’AAH n’est pas un minimum social comme les autres.