M. le président. J’associe à ces remerciements les vice-présidents de notre assemblée, qui ont été très sollicités, ainsi que nos collaborateurs au plateau.

La parole est à M. le rapporteur général.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Il n’y aura dans mon propos aucune explication sur les amendements. Je veux simplement remercier à mon tour les vice-présidents du Sénat qui se sont succédé au fauteuil de la présidence tout au long de nos débats, tous ceux de nos collègues qui ont participé à nos travaux, qu’ils soient rapporteurs spéciaux, rapporteurs généraux ou rapporteurs pour avis, et le Gouvernement, dont les membres se sont succédé au banc, sauf pendant une demi-heure… Je me félicite que nos débats se soient tenus dans une certaine sincérité.

Je remarquerai simplement, sans revenir sur le fond de la discussion, que certains des amendements ont été adoptés à l’unanimité. Je pense, par exemple, à l’amendement ayant pour objet la responsabilité solidaire des plateformes dans le paiement de la TVA. J’ai la conviction que, lorsque le Sénat adopte des dispositions à l’unanimité, il fait avancer le débat ; très souvent, il est alors précurseur en la matière.

Merci donc à tous pour la qualité de ces débats ; nous avons bien fait, monsieur le président, d’aller au bout de l’examen de ce projet de loi de finances. (Applaudissements sur la plupart des travées.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Olivier Dussopt, secrétaire dÉtat auprès du ministre de laction et des comptes publics. Je souhaite moi aussi m’associer aux remerciements adressés par M. le président de la commission des finances et M. le rapporteur général à l’ensemble des sénatrices et des sénateurs qui ont participé aux débats budgétaires.

La contribution des uns et des autres a été essentielle. Elle a certes mis au jour des différences, mais elle a aussi montré des convergences non seulement entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, mais aussi avec le texte que vous proposait le Gouvernement. Il est évident – vous le savez toutes et tous – que le projet de loi de finances que vous venez d’adopter comporte un certain nombre de nuances, de divergences avec les priorités retenues par le Gouvernement et, à l’Assemblée nationale, par la majorité présidentielle.

Je ne forme qu’un vœu, celui que la suite de la procédure parlementaire permette d’aplanir le plus grand nombre de différences possible entre nous, de surmonter et de résorber le plus grand nombre d’écarts possible entre les versions de ce texte. Ainsi, le débat parlementaire permettra au Gouvernement et aux deux chambres de trouver un maximum de points de convergence. Merci encore pour votre travail ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste. – M. Didier Guillaume applaudit également.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux. Nous les reprendrons à dix-neuf heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures quarante, est reprise à dix-neuf heures, sous la présidence de M. Thani Mohamed Soilihi.)

PRÉSIDENCE DE M. Thani Mohamed Soilihi

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2018
 

3

Décès d’un ancien sénateur

M. le président. J’ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Gilbert Chabroux, qui fut sénateur du Rhône de 1995 à 2004.

4

Modification de l’ordre du jour

M. le président. Mes chers collègues, par lettre en date de ce jour, le Gouvernement a demandé de compléter l’ordre du jour du lundi 18 décembre par l’inscription de la proposition de loi relative à l’exercice des compétences des collectivités territoriales dans le domaine de la gestion des milieux aquatiques et de la prévention des inondations, initialement prévue le mardi 19 décembre, et de compléter l’ordre du jour du mercredi 20 décembre par l’inscription, sous réserve de leur dépôt, des conclusions de la commission mixte paritaire sur cette proposition de loi.

Le Gouvernement a également demandé de compléter l’ordre du jour du mardi 19 décembre par l’examen du projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans le domaine de la sécurité, initialement prévu le lundi 18 décembre.

Acte est donné de ces demandes.

5

Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 14 et 15 décembre 2017

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 14 et 15 décembre 2017.

Dans le débat, la parole est à Mme la ministre.

Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est la première fois que je participe à ce débat préalable à la réunion du Conseil européen. Je suis heureuse de pouvoir bénéficier de vos remarques, qui nous aideront à préparer au mieux cette échéance importante.

Je commencerai par ce qui sera le dossier central de ces deux jours de Conseil européen : le Brexit.

Les chefs d’État ou de gouvernement devront se prononcer sur la recommandation de la Commission européenne de passer à la deuxième phase des négociations avec le Royaume-Uni, de façon de commencer à négocier le cadre de nos relations futures.

Les progrès effectués sont très significatifs. Nous serons extrêmement attentifs à ce que nos priorités politiques soient pleinement prises en compte dans les lignes directrices que le Conseil européen adoptera le 15 décembre, puis dans le mandat de négociation révisé qui sera confié à Michel Barnier, si possible en mars 2018.

Sur les droits des citoyens, les négociateurs ont considérablement progressé. Tous les citoyens européens arrivés au Royaume-Uni – parmi lesquels 300 000 Français – ainsi que les citoyens britanniques arrivés dans l’Union européenne avant le retrait britannique pourront continuer à y résider, travailler et étudier comme aujourd’hui, notamment les infirmières et les médecins, dont les qualifications professionnelles resteront reconnues. Les membres de leurs familles conserveront leur droit à rejoindre leurs proches dans le futur, s’ils ne vivent pas aujourd’hui déjà au Royaume-Uni. Les citoyens européens conserveront leur droit aux soins de santé, à la retraite et aux prestations de sécurité sociale.

Un des enjeux majeurs de la négociation est de s’assurer du plein respect de ces droits, ce qui suppose que la Cour de justice de l’Union européenne puisse jouer son rôle. Le recours à une question préjudicielle devant la Cour de justice de l’Union européenne sera possible pendant huit ans. D’ici à la transcription juridique du rapport conjoint dans l’accord de retrait, nous veillerons à maximiser les garanties dont pourront bénéficier les citoyens européens pour le plein respect de leurs droits.

S’agissant de l’Irlande, la solution trouvée pose des principes, comme l’absence de frontière physique sur l’île d’Irlande et, le cas échéant, un « alignement » du Royaume-Uni sur le marché intérieur et l’union douanière dans les secteurs nécessaires à la bonne coopération entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande. Le fait que cela convienne à la fois au Royaume-Uni et à l’Irlande est très positif, mais nous serons bien entendu extrêmement vigilants pour nous assurer du respect de l’intégrité du marché intérieur et de l’union douanière.

Sur le règlement financier, le résultat est très satisfaisant. En effet, la quasi-totalité des dépenses qui doivent être prises en charge par le Royaume-Uni le seront : contribution au budget européen jusqu’en 2020, reste à liquider, passifs, retraite des fonctionnaires, etc.

La discussion portera aussi sur les autres sujets de la première phase, qui sont parfois très importants, comme les marchés publics, la négociation du cadre des relations futures entre l’Union européenne et le Royaume-Uni ou encore la période de transition. Cette dernière doit être limitée dans le temps et fondée sur des principes simples, tels que l’application par le Royaume-Uni de toutes les règles européennes, en dehors de toute participation de Londres aux institutions.

Le maintien de l’unité des Vingt-Sept sera plus que jamais déterminant. Nous n’avons pas encore fait le plus dur ; en réalité, seul le plus facile est derrière nous !

J’évoquerai plus rapidement les autres thèmes ; nous pourrons y revenir si vous le souhaitez.

Le Conseil européen fera le point sur les avancées de l’Europe de la défense et, notamment, sur le lancement par le Conseil « Affaires étrangères », hier, de la coopération structurée permanente, qui rassemble désormais vingt-cinq États membres. C’est une véritable avancée. Nous sommes parvenus à un niveau d’ambition tout à fait acceptable.

Au-delà, nous voulons accélérer le lancement du Programme européen de développement industriel dans le domaine de la défense, qui doit pouvoir financer de premiers projets capacitaires dès le début de 2019 ; nous souhaitons également progresser sur le fonds européen de défense. Le Conseil européen devrait y revenir dès juin 2018 pour conserver la dynamique actuelle.

Le thème des migrations sera traité lors du dîner des chefs d’État ou de gouvernement, dans le cadre des réflexions sur l’avenir de l’Europe. Le contexte préélectoral en Italie n’a en effet pas permis de prévoir des conclusions écrites du Conseil sur le sujet, mais nous souhaitons aboutir sur la réforme du régime européen de l’asile au premier semestre de 2018. Nous avons déjà progressé, à la fois sur le système d’entrée-sortie, ou EES, qui a été approuvé par les colégislateurs le 20 novembre, et sur le système européen d’information et d’autorisation concernant les voyages, ou ETIAS, sur lequel un accord politique devrait être trouvé d’ici à la fin de l’année.

La discussion portera sur les meilleures modalités d’action pour l’Union européenne, ainsi que sur le financement de la politique migratoire de l’Union européenne. Le président du Conseil européen a avancé l’idée de créer un instrument spécifique dans le cadre des prochaines perspectives budgétaires.

Nous voulons mobiliser l’ensemble de nos partenaires sur le plan politique comme du point de vue financier, en particulier sur la dimension externe des questions migratoires. La stabilisation du Sahel et celle de la Libye sont des priorités de premier rang. Le Président de la République organise d’ailleurs demain un sommet à cet effet autour du G5 Sahel.

Le sommet qui se tient aujourd’hui à propos du climat, le One Planet Summit, aura tout juste eu lieu ; nous aimerions à ce propos que le Conseil européen revienne, par exemple, sur la nécessité de renforcer les financements verts destinés à lutter contre le dérèglement climatique. L’Union européenne doit rester pleinement mobilisée pour faire appliquer l’accord de Paris, malgré la décision américaine de retrait. Cela suppose de conclure rapidement la négociation de l’ambitieux paquet énergie-climat 2030 que la Commission a proposé.

Sur les questions sociales, après le succès de la négociation au Conseil sur le détachement des travailleurs, nous voulons continuer à démontrer que l’Europe permet de converger vers le haut. Le Conseil européen saluera le Socle européen des droits sociaux, qui a été proclamé au sommet social de Göteborg du 17 novembre dernier. Il faudra à l’avenir renforcer les volets « jeunesse » ou « formation » de ce socle, mais aussi, et surtout, veiller à sa pleine mise en œuvre, en utilisant pour cela le semestre européen.

Dans le domaine de l’éducation et de la culture, le débat portera sur le projet d’universités européennes proposé par le Président de la République et sur la façon de s’y préparer. Il faudrait pour cela renforcer les partenariats entre universités et la connaissance des langues européennes ainsi que mettre en place un statut européen de l’étudiant. Nous voulons que le travail sur les universités soit lancé dès mai 2018, dans le cadre du processus de Bologne pour le supérieur et, s’agissant du secondaire, de ce que nous appelons le processus de la Sorbonne.

Les chefs d’État ou de gouvernement se retrouveront également à vingt-sept en formation « sommet zone euro ». La Commission a présenté, le 6 décembre dernier, ses idées pour l’approfondissement de la zone euro. Nous accueillons de façon très positive le démarrage de ce débat indispensable, même s’il n’est pas question d’aboutir à une décision en décembre. Les propositions de la Commission représentent un premier pas intéressant, mais nous souhaitons nous montrer plus ambitieux. Nous souhaitons notamment mettre en place une capacité budgétaire de la zone euro qui permette une véritable stabilisation contracyclique et une fonction d’investissements communs dans des politiques qui soutiennent la productivité en zone euro, qu’il s’agisse du capital humain ou des innovations de rupture.

Après avoir discuté avec de nombreux États membres et les institutions européennes, le Président de la République présentera à ses homologues ses propositions pour donner la parole aux citoyens sur l’Europe depuis le printemps jusqu’au début de novembre 2018. Notre objectif est d’écouter ce que les Européens ont à nous dire dans tous les pays qui souhaiteront participer à ces « consultations citoyennes ». Celles-ci supposent que nous nous mettions d’accord tant sur un même calendrier, notamment pour ne pas interférer avec la campagne pour les élections européennes de 2019, que sur des règles communes. Il faudrait en particulier que soit retenue une approche transpartisane.

Enfin, les chefs d’État ou de gouvernement évoqueront les dossiers internationaux les plus sensibles, notamment la situation au Proche-Orient après l’annonce par le Président Trump de la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël et du déménagement de l’ambassade américaine à Jérusalem. Vous n’ignorez pas, mesdames, messieurs les sénateurs, que le Président de la République et de très nombreux autres responsables ont indiqué que cette décision était regrettable et qu’ils ne l’approuvaient pas. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste. – Mme Fabienne Keller et MM. Jean-Yves Leconte et René-Paul Savary applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le prochain Conseil européen se déroulera dans un contexte de crise majeure de l’idée européenne ; la volonté du Royaume-Uni de quitter l’Union n’en est qu’un des symptômes. De traité en traité, d’élargissement en élargissement, de renoncement en renoncement, l’Europe tend à se réduire à ce par quoi elle a commencé : un marché, un espace économique au service de la libre circulation des produits. Nous éviterons au moins le retour à la Communauté européenne du charbon et de l’acier, l’Europe en produisant de moins en moins !

Dans l’esprit de certains des signataires du traité de Paris, cette première institution supranationale devait préparer l’avènement d’une fédération fondée sur une « communauté plus large et plus profonde », selon les mots de Robert Schuman, et favoriser in fine l’émergence d’une citoyenneté qui garantirait les principes fondamentaux de justice, de paix et des droits de l’homme.

Cet horizon d’attente généreux devient une utopie de plus en plus inaccessible quand l’Union renonce à défendre ces principes alors qu’ils ont été consacrés par les derniers traités. Notre conscience européenne et humaniste est blessée quand le gouvernement d’un État membre de l’Union tente de fermer une université qu’il ne contrôle pas, quand la liberté de la presse est bafouée, quand la séparation des pouvoirs est violée, quand les droits des oppositions ne sont pas respectés, quand les minorités sont désignées comme les boucs émissaires de pouvoirs de plus en plus personnels et, enfin, quand les femmes ne sont plus considérées que comme des corps servant à fabriquer du vivant.

Le Conseil de l’Europe, dans un rapport publié la semaine dernière, a dénoncé avec force les « restrictions rétrogrades » qui réduisent, dans un grand nombre de pays européens, l’accès à la contraception et à l’interruption volontaire de grossesse. Alors que les femmes, dans un mouvement planétaire de grande ampleur, ont dénoncé avec force le pouvoir de la domination masculine et toutes les formes de prédation sexuelle dont elles sont les victimes, il est urgent que l’Union, à son plus haut niveau, les entende et leur donne les moyens législatifs de se protéger et de se défendre.

Plus grave encore, en Europe, chaque jour, depuis trop longtemps, des femmes meurent sous les coups de leur conjoint. Ces crimes sont des atteintes insupportables aux valeurs de la démocratie européenne. La France s’honorerait de les dénoncer lors du Conseil européen à venir et de promouvoir un plan européen de lutte contre les violences faites aux femmes.

Cet ardent devoir s’imposerait d’autant plus à l’Union européenne qu’elle n’est pas inactive quand il s’agit d’imposer aux États membres leur conduite économique. Tout est possible quand il s’agit de faire respecter le dogme des 3 % du déficit public ! Plus généralement, pourquoi refuser des droits universels aux citoyennes et aux citoyens de l’Europe lorsque les marchandises, les capitaux et les opérations financières bénéficient de protections qui leur confèrent un statut transnational ?

Cette particulière mansuétude est coupable quand elle pousse les États à se condamner à l’impuissance face aux 1 000 milliards d’euros de fraude fiscale. Cette dernière n’est pas organisée uniquement à partir de pays dont l’Union européenne vient de dresser une liste bien indulgente : elle s’est installée au cœur de l’Europe et dresse les États les uns contre les autres, dans une course au moins-disant fiscal qui met en danger leur budget et celui de l’Union européenne.

Par pragmatisme et comme un pari, l’Europe a été construite autour d’un projet libéral. Le ver s’est tranquillement installé dans le fruit et a tellement prospéré qu’il l’a dévoré presque complètement, ne laissant aux peuples qu’un trognon indigeste de quotidiens toujours plus difficiles et des rêves d’une Europe dont l’économie servirait le progrès social.

Sans conscience pleine de ce qui est en jeu, madame la ministre, vous placez aujourd’hui vos espoirs dans un gouvernement économique de la zone euro, qui se situerait au-dessus de celui des parlements. Ce projet porte en germe un affaiblissement des États-nations, que vous continuez pourtant de considérer comme la base de l’organisation de l’Union européenne. Il est pourtant manifeste que le développement de l’ordo-libéralisme européen fragilise les États dans leurs missions de protection sociale, de redistribution de la richesse, notamment par le biais des services publics. Dépossédés de leur rôle de garant du contrat social, les États voient leurs prérogatives contestées par l’émergence d’entités régionales qui réclament toujours plus de pouvoirs et souhaitent maintenant dialoguer directement avec les institutions européennes, sans l’entremise des États.

Pour la Catalogne, le refus absolu d’une intermédiation oblige l’Union européenne à regarder avec beaucoup de mansuétude la dégradation des comptes publics de l’Espagne et son manquement aux critères de Maastricht. Quel paradoxe !

M. Simon Sutour. C’est vrai !

M. Pierre Ouzoulias. Les futures élections ne changeront rien à la crise catalane sans une volonté réelle du pouvoir central de trouver une solution négociée à la demande d’une plus large autonomie. Cette situation de blocage risque d’accroître la crise économique actuelle et d’imposer in fine à l’Europe d’intervenir tôt ou tard, dans une situation bien plus périlleuse.

D’autres forces centrifuges menacent l’équilibre institutionnel de l’Europe. En effet, comment sera-t-il possible de refuser à l’Écosse un statut particulier dans l’Union européenne, comme elle le souhaite, si celui-ci est accordé à l’Irlande du Nord, pour éviter l’instauration d’une frontière physique, qui ruinerait tous les efforts de paix entre les deux communautés ? La revendication écossaise n’est pas seulement nationale, elle est aussi sociale.

Ces deux exemples montrent bien que la crise de l’État-providence porte les germes d’un affaiblissement des États-nation et, dans un mouvement, incertain, l’essor de nouvelles entités qui réclament toute leur place dans l’Union européenne.

À plusieurs reprises, à propos de la crise catalane, il nous a été répondu que l’Union européenne se devait de ne traiter qu’avec les États. On nous opposait le contre-exemple théorique d’une relation directe entre la Corse et l’Union européenne. Or, depuis dimanche, l’île est administrée par une collectivité qui demande, grâce à la large majorité dont dispose son exécutif, le droit de légiférer et, si la France le lui concède, celui de négocier directement avec les institutions européennes leurs applications.

M. Simon Sutour. C’est le sens de l’histoire !

M. Pierre Ouzoulias. Un parallèle est ainsi établi entre la situation de la Corse et celle de la Catalogne et nous oblige à repenser totalement le projet européen.

L’intégration économique, de plus en plus poussée, soumet les États à des forces centrifuges incontrôlables. Nous avons le devoir de refonder la construction européenne sur ses bases humanistes, en accordant la priorité aux citoyennes, aux citoyens et à leurs droits sociaux. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à M. Claude Kern, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

M. Claude Kern. Comme vous l’avez exposé, madame la ministre, le programme du prochain Conseil européen ainsi que l’actualité internationale et européenne sont extrêmement denses. Permettez-moi, avant d’en venir à l’ordre du jour du Conseil européen, d’aborder quelques points d’actualité internationale qui sont de nature à nous inquiéter tous et dont les réponses doivent avoir une résonance européenne. Je pense en particulier à l’attitude et aux positionnements toujours plus belliqueux du Président Trump. Ses prises de position sont en effet de plus en plus inconséquentes.

Après la gradation des échanges avec la Corée du Nord, dont les réactions sont imprévisibles, après l’annonce de la sortie historique de l’accord de Paris sur le climat, mortifère pour la planète, c’est désormais au cœur du conflit israélo-palestinien que la diplomatie expéditive et irréfléchie du Président des États-Unis est en train de sévir. Au-delà du règlement d’un conflit qui ne supporte pas la simplification des enjeux – j’oserais dire, le simplisme des vues –, c’est toute la zone qui est fragilisée par la position américaine de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël.

Nous sommes au bord d’un embrasement dont je n’ose imaginer les conséquences internationales. Pour y répondre, la France doit avoir une voix forte, et je tiens à saluer la réaction du Président de la République, qui doit entraîner toute l’Union européenne. Notre histoire et nos origines mêmes nous poussent à être des artisans de paix.

Il n’y a pas d’autres solutions que la paix, il n’y a pas d’autre avenir possible. Pour cela, l’Union européenne doit être forte et unie. Nous devons rapidement renforcer notre diplomatie européenne et unifier nos positions. Cela implique aussi des visions communes en matière de défense. On le voit, notre allié historique américain choisit des chemins de plus en plus difficiles à suivre. Nous devons construire notre propre défense, et les États membres, au moins ceux qui le souhaitent, doivent pouvoir se fixer des objectifs en matière de stratégie et de budget européen.

M. Yvon Collin. Très bien !

M. Claude Kern. On évoque souvent l’idée que chaque État membre y consacre 2 % de son PIB. Il est possible aujourd’hui de convaincre nos amis européens d’être ambitieux en la matière, d’autant que la défense est le premier point du Conseil européen des 14 et 15 décembre.

Cela m’amène à aborder quelques autres sujets de l’ordre du jour du Conseil européen en lien avec l’avenir de l’Union européenne et sa refondation.

Tout d’abord, en matière de questions sociales et de luttes contre les pratiques illégales, il faut saluer l’initiative lancée par la France sur la révision de la directive dite « Travailleurs détachés ». C’est un marqueur fort. Aujourd’hui, la situation n’est convenable ni pour les salariés ni pour les entreprises, tant sont déséquilibrées les conditions de travail et de protection sociale. Nous devons aller vers plus de justice et d’équité ; c’est une condition pour conforter l’image d’une Europe protectrice de ses citoyens.

Dans le même ordre d’idées, le Conseil européen abordera les questions de transparence fiscale, d’échange d’informations et de lutte contre les paradis fiscaux. Dans ce domaine, deux champs d’action nous semblent possibles.

D’une part, il faut évoquer une nécessaire refonte des bases de la fiscalité des entreprises. La convergence fiscale doit être recherchée pour limiter le dumping entre les différents États membres.

D’autre part, il faut se lancer rapidement dans une lutte contre la fraude et l’optimisation fiscales, deux domaines où les frontières sont parfois fines. Lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2018, notre groupe a souhaité défendre un certain nombre d’amendements en la matière. Compte tenu de la nature du texte, ces amendements avaient un caractère national, mais leur vocation était bien européenne.

Nous savons bien qu’une partie des États membres ne souhaite pas évoluer sur ces sujets, alors qu’ils sont primordiaux. L’Union européenne doit nous permettre de nous protéger des stratégies fiscales et anticoncurrentielles de certaines multinationales, qui pénalisent les citoyens, mais aussi les autres entreprises, en particulier les petites et moyennes entreprises.

Ensuite, en matière de culture et d’éducation, et en tant que membre de la commission permanente compétente au sein de notre assemblée, je souhaite rappeler combien l’espace européen est une zone d’apprentissage et d’épanouissement pour les élèves et les étudiants. On dit souvent que le programme Erasmus est l’une des réalisations les plus concrètes de l’Union européenne, c’est une réalité. Étant élu d’une région située au cœur de l’Europe, à la frontière entre l’Allemagne et la France, je mesure régulièrement combien ces échanges sont enrichissants.

Nous pourrions cependant aller plus loin et mettre en œuvre ce qu’il est commun d’appeler un Erasmus de l’apprentissage, tel que le prévoit le député européen Jean Arthuis. Madame la ministre, où en sont les échanges sur ce sujet ? C’est une manière d’élargir le programme d’échanges, de le confirmer dans sa vocation européenne et de remettre enfin à l’honneur les formations par apprentissage, qui en ont besoin dans notre pays. Notre groupe vous accompagnera dans cette réforme.

Pour finir, j’aborderai naturellement la question du Brexit. Notre groupe l’a affirmé : l’avenir de l’Union européenne se joue en partie sur ce retrait, et nous ne pouvons laisser les Britanniques décider seuls de notre avenir en commun. Sur les modalités de cette sortie, il faut rester ferme : le Royaume-Uni doit comprendre qu’il doit consentir des sacrifices en sortant de l’Union européenne et qu’il ne peut plus bénéficier des avantages qu’il y a à être dedans à partir du moment où il est dehors. C’est un signe de justice pour les États membres restants et de réalisme pour le Royaume-Uni.

Un accord a été trouvé la semaine dernière. Il est le fruit des différents négociateurs qu’il faut saluer, notamment Michel Barnier, qui, voilà quelques jours, est venu faire le point sur son travail devant la commission des affaires européennes et la commission des affaires étrangères.

Madame la ministre, comment comptez-vous associer plus encore les parlements nationaux dans les évolutions à venir de l’Union européenne, compte tenu du départ des Britanniques, compte tenu des nécessaires et encore longues négociations avec ce pays ?

Vous l’aurez compris, madame la ministre, le groupe Union Centriste a beaucoup d’envies pour l’Union européenne. Il a envie de projets, d’ambitions, de concrétisations et de renaissance. Nous soutenons à cet égard sans réserve les démarches entreprises par le Président de la République pour refonder l’Europe et lui redonner tout son sens. Nous avons besoin d’Europe et, surtout, d’une Europe forte qui puisse jouer un rôle de pivot et de stabilisateur. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains et du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. Simon Sutour applaudit également.)