M. Ronan Dantec. Absolument !

M. Roland Courteau. Le terme « dérogation » était devenu le maître mot du texte élaboré par la majorité sénatoriale. Ces dérogations faisaient perdre tout son sens à ce texte en le dénaturant et en en brouillant le signal. Je ne les cite pas, chacun ici les connaît, mais elles furent autant de contresens regrettables, qui m’ont fait dire une fois de plus que le signal donné par le Sénat n’était pas bon du tout.

Le groupe société et républicain a donc fait connaître son désaccord avec la majorité sénatoriale. Pourtant, très sincèrement, j’avais un temps espéré qu’il pourrait y avoir un consensus national concernant la transition énergétique et la sortie des énergies fossiles,…

Mme Élisabeth Lamure, rapporteur. Nous aussi !

M. Roland Courteau. … donc que nous pourrions aboutir à un compromis en matière de lutte contre le changement climatique.

Je pensais naïvement qu’après la Charte de l’environnement inscrivant le principe de précaution dans la Constitution sous Chirac, après le Grenelle de l’environnement sous Sarkozy, après la loi de transition énergétique de 2015, le succès de la COP21 et de l’accord de Paris sous Hollande, nous pouvions forger, sous Macron, ici, au Sénat, une majorité d’idées en faveur de la sortie des énergies fossiles. C’était une erreur ! Certes, sur les principes, tout le monde est d’accord, mais sur les principes seulement.

Or, face au dérèglement climatique, il n’est plus question d’attendre, de reporter, d’hésiter, de tergiverser, car le temps joue contre nous. Je pensais que seul Donald Trump ne l’avait pas compris. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Élisabeth Lamure, rapporteur. C’est excessif !

Mme Sophie Primas. Il ne faut pas exagérer !

M. Roland Courteau. Bref, nous soutenons le présent texte issu de l’Assemblée nationale, car notre ligne doit être claire et dépourvue d’ambiguïté.

Ce texte est loin de se réduire à un symbole. D’ailleurs, s’il n’avait été que symbolique, comme certains l’affirment, et s’il n’avait été qu’une coquille vide, comme d’autres l’ont laissé entendre, pourquoi la majorité sénatoriale l’aurait-elle vidé de sa portée et de son sens en de nombreux points ?

Gardons-nous d’oublier, mes chers collègues, que l’objectif de l’accord de Paris est bien de sortir des énergies fossiles. Ce texte prévoit d’organiser cette sortie de manière progressive, en douceur, sur deux décennies, mais fermement et de manière irréversible.

Ce texte doit être effectivement le symbole d’une France qui tient ses engagements dans son combat contre le dérèglement climatique, qui reste à l’avant-garde en ce domaine, et donc en situation d’entraîner d’autres pays dans la seule voie qui vaille, celle de la neutralité carbone.

Bref, nous approuvons le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale et nous soutenons votre action en ce domaine, monsieur le ministre d’État.

Il est vraiment dommage que la commission des affaires économiques ait proposé d’évacuer ce texte au travers de la question préalable, nous empêchant ainsi de le retravailler et de nous donner une chance, aussi petite soit-elle, d’aboutir, par une majorité d’idées, à un texte consensuel.

Franchement, au lendemain du sommet sur le climat qui a eu lieu sur l’île Seguin, et auquel j’ai assisté,…

Mme Sophie Primas. Vous en avez de la chance !

M. Roland Courteau. … tenter d’aboutir à un consensus ici au Sénat n’aurait pas manqué de panache ni d’utilité !

Mais, qui sait, peut-être n’est-il pas encore trop tard… Il est toujours permis de rêver ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe La République En Marche et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Bignon.

M. Jérôme Bignon. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, madame la rapporteur, mes chers collègues, l’échec de la commission mixte paritaire nous conduit à nous exprimer une seconde fois sur ce projet de loi mettant fin à la recherche et à l’exploitation des hydrocarbures.

C’est une malheureuse occasion dont notre assemblée doit se saisir pour tenter d’enrichir ce texte essentiel pour l’avenir de la France et de la planète.

La réforme de notre politique énergétique est en effet un acte fort de notre politique environnementale. Le Gouvernement veut s’engager en ce sens et il recueille en conséquence tous nos encouragements.

L’urgence à agir fait l’unanimité parmi la communauté scientifique. Je pense encore à l’appel des 15 000 experts mondiaux à la une du journal Le Monde voilà quelques jours. Cela a été dit à plusieurs reprises en première lecture : notre planète se meurt… La dernière fois que la Terre a connu de telles teneurs en CO2, c’était il y a 3 ou 5 millions d’années. Des efforts ont été entrepris depuis plusieurs années, mais les engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre sont évidemment insuffisants pour tenir le cap de la limitation de l’augmentation des températures d’ici à 2100.

Face à ce constat terrible, les velléités de certains dirigeants étrangers freinent l’engagement international à lutter contre le changement climatique. L’ombre de l’échec du protocole de Kyoto plane sur l’accord de Paris. L’agrégat des engagements internationaux nous inscrit aujourd’hui dans une trajectoire d’élévation de la température de 3,5°C à 4°C d’ici à 2100.

En outre, l’annonce du président Trump résonne encore comme un coup de semonce terrible dans le ciel des relations internationales.

Pour autant, nous ne pouvons pas nous résoudre à baisser les bras. Tout au contraire, cet isolationnisme américain, qui n’est pas aussi total qu’on le croit – Dieu soit loué ! –, doit nous conduire à porter internationalement le flambeau du développement durable.

Le président Chirac avait été l’un des premiers à le dire au début des années deux mille, à Johannesburg, faisant de la France un acteur primordial de la protection de l’environnement. Il nous revient de nous saisir de cet héritage et de mener l’engagement international à préserver la planète.

Le Président de la République veut, avec vous, monsieur le ministre d’État, faire de la France un chef de file de la lutte contre le changement climatique. Nous éprouvons une grande fierté à soutenir cet engagement. Tel était l’objectif de sa déclaration de l’été dernier : Make our planet great again !

Oui, faisons de cette planète un endroit meilleur. Ce projet de loi est la première pierre de cet édifice. Le Président l’a posée. À nous, parlementaires, d’y apposer le ciment nécessaire pour renforcer cette structure et en faire une fondation durable de notre politique environnementale.

Permettez-moi, à cette occasion, de glisser quelques mots sur l’indispensable transversalité de nos politiques.

Il est nécessaire que le souci de l’environnement intègre toutes nos politiques publiques. Je sais que vous partagez ce point de vue, monsieur le ministre d’État, et j’espère que vous aurez l’occasion, dans les mois qui viennent, d’échanger avec vos collègues ministres à Bercy pour que le projet de budget pour 2019 intègre le respect des objectifs du développement durable dans les bleus budgétaires de l’administration. Il ne doit pas y avoir, d’un côté, les objectifs du développement durable et, de l’autre, le budget. Il doit y avoir une perméabilité entre les deux et nous devons disposer d’indicateurs pour pouvoir le vérifier.

Quel sens y aurait-il à obtenir un résultat en 2030 et à mener par ailleurs une politique budgétaire opposée aux engagements que nous avons pris à l’ONU ?

À l’Assemblée nationale, nos collègues députés ont pointé du doigt les dérogations multiples qui affaiblissaient, voire annihilaient l’esprit de ce texte. Notre groupe s’était abstenu en première lecture, regrettant en effet l’ajout d’une liste interminable de dispositions dérogatoires.

Nous savons ici que le travail des deux chambres consiste à améliorer de façon coopérative les textes, en proposant, à tour de rôle, des ajouts ambitieux pour parvenir à un texte adoptable et responsable. Cela n’a pas été le cas, et nous le regrettons.

De manière générale, notre groupe veut cesser d’opposer écologie et économie.

Le ministre de la transition écologique et énergétique que vous êtes l’a rappelé à l’occasion de l’ouverture du One Planet Summit, la semaine dernière : ces deux mots ont la même racine grecque, oikos, le foyer. Ce qui est bon pour notre planète est bon pour notre économie !

Si les engagements que nous prenons aujourd’hui nous paraissent coûteux, voire douloureux pour certains, ils représentent un investissement pour l’avenir, à l’horizon 2040. Il faut donc préparer notre société aux enjeux économiques de demain, en adoptant les contours de cette révolution de l’énergie.

Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, nous aurions aimé reprendre le débat avec le souci d’accompagner ce puissant et symbolique message de la France pour concrétiser l’accord de Paris. Il ne s’agissait pas de résoudre tous les problèmes, mais d’envoyer un message au monde. Vous ne voulez manifestement pas l’envoyer, mes chers collègues.

Écoutons les générations qui viennent, ne nous résignons pas à défendre la vieille économie et admettons que le monde change ! Ce n’est pas une insulte, mes chers collègues, c’est un conseil d’ami, un appel vibrant et profond d’une personne convaincue que des changements sont à l’œuvre.

Ne passons pas à côté de cette opportunité. Notre pays a été si souvent à l’avant-garde de positions fortes en matière de libertés, de droits de l’homme ou d’égalité que nous serions bien inspirés aujourd’hui de reprendre notre bâton de pèlerin pour prendre la tête du débat sur la transition énergétique. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe socialiste et républicain, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe La République En Marche et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

Mme la présidente. La parole est à M. Joël Labbé.

M. Joël Labbé. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, je reprendrai la conclusion de notre collègue Jérôme Bignon : le monde change et va changer de façon accélérée. C’est une nécessité que nous devons considérer positivement.

Aujourd’hui, nous examinons en nouvelle lecture le projet de loi visant à mettre fin à la recherche d’hydrocarbures sur le territoire national après 2040. Enfin un texte qui se préoccupe du moyen et du long terme, alors que nous sommes trop souvent, ici comme dans d’autres instances, prisonniers du court-termisme !

Nous avons largement débattu de ce projet de loi en première lecture, notamment de sa portée « symbolique », puisque 1 % seulement des hydrocarbures consommés en France sont extraits sur le territoire.

Cette loi prend toutefois son véritable sens si on la considère comme le point de départ d’une véritable transition énergétique.

Il faut abandonner les énergies fossiles, décarboner notre économie, investir massivement dans les énergies renouvelables et dans les économies d’énergie, opérer la transition agricole, rémunérer les services écosystémiques et climatiques, mettre en œuvre le « 4 pour 1 000 »…

Nous devons aussi progresser sur les agrocarburants, afin que le changement d’affectation des sols, y compris indirect, soit pris en compte dans l’évaluation du bilan environnemental. Nous devons absolument laisser 80 % des réserves d’hydrocarbures dans le sous-sol si nous voulons avoir une chance d’éviter la catastrophe climatique.

La France doit montrer l’exemple et doit en être fière. Nous pouvons être leaders dans la lutte contre le bouleversement climatique. Ne laissons pas passer cette opportunité !

Si le Sénat, en première lecture, a contribué à enrichir ce texte en consolidant des mécanismes essentiels pour la transition, dans le même temps, la majorité de notre assemblée a vidé de sa substance le principe de l’arrêt de l’exploitation des hydrocarbures en 2040, en prévoyant des exceptions trop larges qui permettent à tous les exploitants de poursuivre l’extraction, notamment à travers le renforcement du droit de suite, inscrit dans le code minier, mais aussi avec la possibilité offerte aux exploitants de gisements de demander des dérogations allant au-delà de 2040 afin d’assurer « une rémunération normale des capitaux immobilisés compte tenu des risques inhérents à ces activités ». C’est l’un des éléments de dérégulation incompréhensibles issus des discussions au Sénat.

L’Assemblée nationale est évidemment revenue à un texte légèrement plus ambitieux, sans être dogmatique.

Cela a conduit la majorité de la commission des affaires économiques à adopter une motion préalable qui nous privera certainement de l’examen du texte dans le détail, ce que nous regrettons vivement !

Ce projet de loi est le premier marqueur de la politique de transition que vous avez voulue, monsieur le ministre d’État. Bien au-delà du symbole, c’est un signal fort adressé à la suite de sommets mondiaux de plus en plus alarmistes quant à notre capacité à réagir.

C’est aussi un texte qui donne sa vraie place au politique face aux intérêts économiques et financiers. La majorité sénatoriale a remanié le texte à la grande satisfaction des industriels du secteur pétrolier et gazier. La question de l’urgence climatique se pose pourtant comme une priorité essentielle : tout récemment, le climatologue Jean Jouzel a affirmé qu’il ne nous restait que trois ans pour inverser la courbe des émissions de gaz à effet de serre et espérer rester en dessous de la barre des 2°C.

Nous aurons des positions bien plus fortes encore à prendre dans un avenir proche. J’espère vivement que la majorité de la Haute Assemblée fera, elle aussi, sa transition, car nous savons qu’elle se soucie tout autant que nous de l’avenir des générations futures. Nous souhaitons que le Sénat joue pleinement son rôle d’assemblée de sages.

Jean Jouzel fait partie de ces scientifiques éclairés qui quittent leurs études pour essayer de faire bouger les choses. Avec Pierre Larrouturou, il a lancé un appel à la signature d’un pacte finance-climat européen pour diviser par quatre les émissions de gaz à effet de serre en Europe, mais aussi dégonfler la bulle financière et créer plus de 5 millions d’emplois à l’échelle européenne, pour éviter que l’humanité ne se dirige sans réagir vers un chaos climatique.

Je conclurai en vous citant, monsieur le ministre d’État. La semaine dernière, vous avez déclaré : « Nous avons été capables de trouver 1 000 milliards d’euros pour sauver les banques, nous devons faire preuve d’autant d’audace pour sauver le climat et l’humanité ! » (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe socialiste et républicain, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe La République En Marche.)

Mme la présidente. La parole est à M. Frédéric Marchand.

M. Frédéric Marchand. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, madame la rapporteur, bon nombre de parlementaires, toutes formations politiques confondues, ont participé il y a quelques jours au One Planet Summit, dans une démarche d’adhésion totale.

L’une des tables rondes organisées avait pour titre : « Renforcer les politiques publiques pour la transition écologique et solidaire. » Chacun convient en effet que les gouvernements doivent jouer le rôle de garant des objectifs de l’accord de Paris.

Si la mobilisation de tous est nécessaire pour atteindre nos objectifs, les politiques publiques doivent accompagner et envoyer des signaux forts pour que l’ensemble des acteurs puissent transformer leurs modes de production et de consommation vers des solutions bas carbone.

À la lumière des impacts déjà ressentis du dérèglement climatique, il est indispensable de renforcer la résilience et l’adaptation pour protéger encore davantage les citoyens des événements climatiques extrêmes.

Les politiques publiques doivent intégrer l’horizon de long terme en fixant, par exemple, des objectifs de neutralité carbone. Pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, leur donner un prix est indispensable.

Enfin, la résilience et la capacité de nos infrastructures à faire face aux chocs liés au dérèglement climatique doivent être au cœur des préoccupations.

À ce titre, le gouvernement français s’est pleinement saisi du sujet et accélère la transition énergétique pour faire de l’accord de Paris une réalité pour tous les Français.

Oui, le changement climatique nous impose de nous rassembler, au-delà de toutes les barrières politiques, culturelles et sociales, pour faire face à cet enjeu. Nous nous devons de sceller cette cause commune, car le changement climatique ne connaît ni frontières ni clivages politiques, et nous n’avons plus que quelques années pour inverser la tendance.

Nous avons encore les moyens d’éviter le pire, mais cela demande une action résolue, car nous entrons dans une phase décisive. La réponse doit être à la hauteur des enjeux.

C’est dans cette optique qu’en novembre dernier, nous avons examiné un projet de loi mettant fin à la recherche ainsi qu’à l’exploitation des hydrocarbures conventionnels et non conventionnels et portant diverses dispositions relatives à l’énergie et à l’environnement.

Je ne reviens pas sur les diverses mesures contenues dans ce projet de loi, qui ont donné lieu, dans notre assemblée, à moult débats en commission et en séance publique, permettant de mesurer les fractures qui n’ont rien d’hydraulique entre les uns et les autres, sur un sujet qui aurait sans doute mérité mieux que certains des arguments que nous avons pu entendre et qui donnaient parfois l’impression que nous étions revenus à l’époque de la révolution industrielle.

Premier pays à traduire cet engagement dans une loi, la France peut se donner ainsi les moyens de sortir de manière irréversible de la production d’énergies fossiles. Fidèle à sa vocation universaliste, elle souhaite inciter les autres pays signataires de l’accord de Paris sur le climat à intensifier l’effort de lutte contre le réchauffement climatique.

Si notre assemblée a apporté des améliorations d’ordre technique qui ont été préservées, il est profondément regrettable que la majorité sénatoriale ait dénaturé ce projet de loi en adoptant une position pour le moins anachronique.

Alors que nous venons de vivre, la semaine dernière, quatre jours dédiés au climat avec comme point d’orgue le One Planet Summit, qui vise à verdir la finance et à accélérer la mobilisation des moyens financiers publics et privés, alors que les progressistes du monde entier se sont réunis à Paris, je déplore que la majorité de notre assemblée ait soutenu une vision passéiste et rétrograde de ce que doit être la transition énergétique.

Pourtant, le projet que vous avez présenté, monsieur le ministre d’État, est responsable, équilibré et porte l’ambition d’un texte fort, symbolique, engageant pour la France en matière de lutte contre le dérèglement climatique, tout en veillant à préserver nos territoires, nos entreprises et les sites industriels concernés et à les inscrire dans une vision d’avenir de la transition écologique et solidaire.

Réunie le 21 novembre dernier, la commission mixte paritaire a échoué à trouver un terrain d’entente et je rejoins mes collègues députés qui ont indiqué que « les sénateurs ont manifesté une incompréhension préoccupante des objectifs comme de la portée du texte ».

Mme Élisabeth Lamure, rapporteur. C’est excessif !

M. Frédéric Marchand. Sur un sujet qui concerne l’avenir de nos enfants et qui devrait être dénué de position idéologique, alors même qu’en 2002, au sommet de la Terre de Johannesburg, le président Jacques Chirac lançait une alerte climatique au monde en déclarant : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs », la majorité sénatoriale a choisi de fermer les yeux. (Mme Sophie Primas proteste.)

C’est une attitude dommageable, pour ne pas dire plus.

Arguer que le Sénat a défendu « une vision différente, à la fois pragmatique et ambitieuse, qui entend permettre le développement, chaque fois que c’est possible, de nos filières industrielles tout en accompagnant leur mutation pour réduire nos émissions » est un non-sens.

Vous entendre, madame la rapporteur, nous dire que « ce projet n’aura d’autre effet que de mettre fin au “produire en France” au prix d’une dégradation de notre balance commerciale et dans l’espoir d’un improbable signal envoyé au monde » est une aberration à nulle autre pareille. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Élisabeth Lamure, rapporteur. C’est la vérité, malheureusement !

M. Frédéric Marchand. Au lendemain de ce formidable sommet pour la planète, c’est une aberration politique qui montre à quel point notre assemblée peut être rétrograde et à rebours des défis de notre temps.

Cette aberration donne un signe on ne peut plus mauvais à l’opinion française, mais aussi au-delà, sur la façon dont le Sénat entrevoit l’avenir de la planète et des générations futures.

Oui, la portée de ce texte est d’abord et avant tout symbolique, mais chacun sait que l’on construit l’histoire avec des symboles. « Là où il y a une volonté, il y a un chemin », disait Lénine (Exclamations ironiques.), pourtant peu connu pour son tropisme sur la préservation de notre écosystème.

M. Fabien Gay. Il n’était pas le seul !

Mme Sophie Primas. Les bras m’en tombent !

M. Frédéric Marchand. De volonté, la majorité sénatoriale n’en a point. Quant au chemin, il reste celui des énergies fossiles et du statu quo, ce qui est un non-sens historique, une faute qui engage notre responsabilité collective et dont nous serons comptables, mes chers collègues.

Monsieur le ministre d’État, vous avez récemment déclaré : « Les énergies fossiles appartiennent au modèle énergétique et économique du passé. Elles ne sont plus la solution, elles sont le problème. Les politiques publiques ne doivent leur donner aucune perspective. »

Le groupe La République En Marche partage pleinement cette ambition et, pour cette seule raison, nous soutenons ce texte et voterons contre la question préalable !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Boyer.

M. Jean-Marc Boyer. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, le projet de loi mettant fin à la recherche et à l’exploitation d’hydrocarbures que nous examinons en nouvelle lecture aujourd’hui n’est pas très éloigné du texte qui nous a été soumis en première lecture.

À la suite de l’échec de la commission mixte paritaire, l’Assemblée nationale a en effet rétabli, à quelques mots près, la rédaction issue de ses travaux sur le volet « hydrocarbures », qui constitue le cœur de ce projet de loi.

Les députés n’ont pas tenu compte de nos critiques et des propositions que nous avions faites. Nous regrettons notamment qu’ils soient revenus sur une disposition introduite sur l’initiative de la commission des affaires économiques et de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat, qui visait à sanctuariser les activités de recherche publique sur les hydrocarbures. À notre sens, l’arrêt progressif de la production d’hydrocarbures ne doit pas conduire à cesser toute recherche dans notre sous-sol. Continuer à investir dans la recherche et la connaissance de notre sous-sol est essentiel. Il nous paraissait nécessaire que cela soit inscrit clairement dans la loi.

De même, la disposition que nous avions adoptée pour garantir aux entreprises la possibilité de poursuivre leurs activités après 2040 afin de rentabiliser leurs investissements de prospection et d’exploitation, tout en dégageant un profit raisonnable, n’a pas été retenue par l’Assemblée nationale.

Nous relevons cependant que, sur les autres parties du texte, plus consensuelles, les députés ont conservé la plupart des apports techniques du Sénat. Nous pensons en particulier à l’extension de l’indemnisation des producteurs d’énergie éolienne maritime par le gestionnaire de réseau en cas d’avaries ou de dysfonctionnements, ou aux dispositions relatives à la qualité de l’air, sur lesquelles la commission de l’aménagement du territoire s’était saisie pour avis.

Ces apports ne suffisent cependant pas à rendre possible l’adoption de ce projet de loi en l’état. Les lacunes du texte que nous avions dénoncées lors de l’examen en première lecture demeurent entières.

Comme Élisabeth Lamure et moi-même l’avons rappelé à plusieurs reprises, nous ne nous opposons pas à l’objectif fixé par le Gouvernement de réduction de notre dépendance aux énergies fossiles. Mais tel n’est pas l’objet de ce texte, qui n’aura aucun effet sur notre consommation d’hydrocarbures, et donc sur nos émissions de CO2. Il ne répond aucunement aux objectifs ambitieux de réduction des émissions de gaz à effet de serre que notre pays s’est fixés dans le cadre de l’accord de Paris. Nous attendions plus du Gouvernement pour son premier texte en matière d’environnement et d’énergie !

Les mesures que contient ce projet de loi auraient dû être examinées dans le cadre d’un débat plus large sur la politique de transition énergétique à mener et sur l’évolution de notre mix énergétique à moyen et long terme. Elles auraient dû par conséquent s’accompagner de mesures relatives au développement des énergies renouvelables ou à la réduction de la consommation énergétique des particuliers et des entreprises pour former un « tout » cohérent.

Nous regrettons qu’en matière de transition énergétique, des débats aient lieu de manière fragmentée, avec des annonces qui se succèdent sur la rénovation thermique des bâtiments, sur la hausse de la fiscalité carbone ou encore sur le report de l’objectif de baisse de la part du nucléaire dans la production électrique à 50 %, sans que l’on dispose d’une vision globale sur la politique énergétique menée.

Or la clé d’une transition énergétique réussie, c’est un cap politique clair, une réglementation simple et lisible et des financements ambitieux.

Nous attendons donc du Gouvernement qu’il publie rapidement une nouvelle programmation pluriannuelle de l’énergie et qu’il prenne les mesures législatives, réglementaires et financières nécessaires pour favoriser la transition de notre modèle énergétique.

Nous pensons en particulier aux mesures à prendre pour faciliter la création de parcs solaires et éoliens terrestres et maritimes, qui pâtissent aujourd’hui de délais beaucoup trop longs de mise en œuvre.

De même, nous regrettons que l’interdiction de la production d’hydrocarbures n’ait pas été assortie d’une réflexion sur la qualité de nos importations d’hydrocarbures et sur la possibilité de différencier les hydrocarbures importés en fonction de leur bilan carbone sur l’ensemble de leur cycle de vie.

Avant de mettre fin à une production nationale d’hydrocarbures plus « propres » que les hydrocarbures importés, il aurait fallu se donner les moyens de substituer aux énergies fossiles des énergies moins carbonées.

Préparé et adopté dans la précipitation, ce projet de loi n’a pas laissé suffisamment de temps aux acteurs concernés pour mener à bien toute cette réflexion.

Bien sûr, le monde change ; nous le savons. Mais ne nous faites pas de procès d’intention et arrêtez de nous donner des leçons : nous partageons tous les mêmes objectifs, mais nous envisageons des voies différentes pour les atteindre.

Monsieur le ministre d’État, il n’y a pas, d’un côté, les gentils, vertueux et éclairés que vous seriez et, de l’autre, les méchants, irresponsables et pollueurs que nous serions.

Votre vision symbolique et notre vision réaliste auraient pu se retrouver, mais ce ne fut pas le cas en commission mixte paritaire face à l’intransigeance des députés incarnant le prétendu « nouveau monde ».

À notre sens, il s’agit avant tout d’un texte qui n’est pas à la hauteur des ambitions qu’il affiche. C’est pourquoi je voterai en faveur de l’adoption de la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)