compte rendu intégral

Présidence de M. Thani Mohamed Soilihi

vice-président

Secrétaires :

Mme Françoise Gatel,

M. Dominique de Legge.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour un rappel au règlement.

Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, mon intervention se fonde sur l’article 29 de notre règlement.

Cela n’a échappé à personne : la situation en milieu carcéral se dégrade de jour en jour. La sécurité du personnel pénitentiaire est en jeu, et la surpopulation carcérale est en cause. Les problèmes se stratifient depuis de nombreuses années, mais l’on ne peut plus continuer à mettre la poussière sous le tapis : il faut trouver une solution.

Aussi, le moment est venu d’inscrire à l’ordre du jour du Sénat un débat relatif à la politique pénitentiaire. D’ailleurs, il y a bien longtemps que nous appelons de nos vœux une telle discussion.

À une situation extrêmement dégradée vient s’ajouter aujourd’hui l’arrivée fracassante de nouveaux détenus de plus en plus radicalisés, confrontés à d’autres, radicalisés depuis longtemps.

Voilà au moins quinze ans que Farhad Khosrokhavar alerte l’opinion sur ce sujet et que, de notre côté, nous multiplions rapports et missions, mais rien ne se fait.

C’est la raison pour laquelle, par ce rappel au règlement, monsieur le président, je demande qu’un débat consacré à cette question soit inscrit à l’ordre du jour de la Haute Assemblée.

M. le président. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, ma chère collègue.

3

Conventions internationales

Adoption en procédure d’examen simplifié de quatre projets de loi dans les textes de la commission

M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen de quatre projets de loi tendant à autoriser la ratification ou l’approbation de conventions internationales.

Pour ces quatre projets de loi, la conférence des présidents a retenu la procédure d’examen simplifié.

Je vais donc les mettre successivement aux voix.

projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le gouvernement de la république française et le gouvernement de la république du chili relatif à l’emploi rémunéré des personnes à charge des agents des missions officielles de chaque état dans l’autre et de l’accord entre le gouvernement de la république française et le gouvernement de l’état plurinational de bolivie relatif à l’emploi salarié des membres des familles des agents des missions officielles de chaque état dans l’autre

 
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Chili relatif à l'emploi rémunéré des personnes à charge des agents des missions officielles de chaque État dans l'autre et de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l'État plurinational de Bolivie relatif à l'emploi salarié des membres des familles des agents des missions officielles de chaque État dans l'autre
Article 2 (début)

Article 1er

Est autorisée l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Chili relatif à l’emploi rémunéré des personnes à charge des agents des missions officielles de chaque État dans l’autre, signé à Paris le 8 juin 2015, et dont le texte est annexé à la présente loi.

Article 1er
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Chili relatif à l'emploi rémunéré des personnes à charge des agents des missions officielles de chaque État dans l'autre et de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l'État plurinational de Bolivie relatif à l'emploi salarié des membres des familles des agents des missions officielles de chaque État dans l'autre
Article 2 (fin)

Article 2

Est autorisée l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l’État Plurinational de Bolivie relatif à l’emploi salarié des membres des familles des agents des missions officielles de chaque État dans l’autre, signé à Paris le 9 novembre 2015, et dont le texte est annexé à la présente loi.

M. le président. Je mets aux voix le texte adopté par la commission sur le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République du Chili relatif à l’emploi rémunéré des personnes à charge des agents des missions officielles de chaque État dans l’autre et de l’accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de l’État plurinational de Bolivie relatif à l’emploi salarié des membres des familles des agents des missions officielles de chaque État dans l’autre (projet n° 164, texte de la commission n° 221, rapport n° 220).

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l’adoption de ce texte.

(Le projet de loi est adopté.)

Article 2 (début)
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Chili relatif à l'emploi rémunéré des personnes à charge des agents des missions officielles de chaque État dans l'autre et de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l'État plurinational de Bolivie relatif à l'emploi salarié des membres des familles des agents des missions officielles de chaque État dans l'autre
 

projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le gouvernement de la république française et le gouvernement de la république du congo relatif à l’activité professionnelle salariée des personnes à charge des agents des missions officielles de chaque état dans l’autre, de l’accord entre le gouvernement de la république française et le gouvernement de la république d’équateur sur l’emploi salarié des personnes à charge des membres des missions officielles, et de l’accord entre le gouvernement de la république française et le gouvernement de la république du pérou relatif à l’activité rémunérée des membres des familles des agents des missions officielles de chaque état dans l’autre

 
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Congo relatif à l'activité professionnelle salariée des personnes à charge des agents des missions officielles de chaque État dans l'autre, de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République d'Équateur sur l'emploi salarié des personnes à charge des membres des missions officielles, et  de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Pérou relatif à l'activité rémunérée des membres des familles des agents des missions officielles de chaque État dans l'autre
Article 2

Article 1er

Est autorisée l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Congo relatif à l’activité professionnelle salariée des personnes à charge des agents des missions officielles de chaque État dans l’autre, signé à Brazzaville le 26 février 2016, et dont le texte est annexé à la présente loi.

Article 1er
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Congo relatif à l'activité professionnelle salariée des personnes à charge des agents des missions officielles de chaque État dans l'autre, de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République d'Équateur sur l'emploi salarié des personnes à charge des membres des missions officielles, et  de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Pérou relatif à l'activité rémunérée des membres des familles des agents des missions officielles de chaque État dans l'autre
Article 3 (début)

Article 2

Est autorisée l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République d’Équateur sur l’emploi salarié des personnes à charge des membres des missions officielles, signé à Quito le 1er avril 2016, et dont le texte est annexé à la présente loi.

Article 2
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Congo relatif à l'activité professionnelle salariée des personnes à charge des agents des missions officielles de chaque État dans l'autre, de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République d'Équateur sur l'emploi salarié des personnes à charge des membres des missions officielles, et  de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Pérou relatif à l'activité rémunérée des membres des familles des agents des missions officielles de chaque État dans l'autre
Article 3 (fin)

Article 3

Est autorisée l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Pérou relatif à l’activité rémunérée des membres des familles des agents des missions officielles de chaque État dans l’autre, signé à Lima le 14 avril 2016, et dont le texte est annexé à la présente loi.

M. le président. Je mets aux voix le texte adopté par la commission sur le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République du Congo relatif à l’activité professionnelle salariée des personnes à charge des agents des missions officielles de chaque État dans l’autre, de l’accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République d’Équateur sur l’emploi salarié des personnes à charge des membres des missions officielles, et de l’accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République du Pérou relatif à l’activité rémunérée des membres des familles des agents des missions officielles de chaque État dans l’autre (projet n° 66, texte de la commission n° 222, rapport n° 220).

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l’adoption de ce texte.

(Le projet de loi est adopté.)

Article 3 (début)
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Congo relatif à l'activité professionnelle salariée des personnes à charge des agents des missions officielles de chaque État dans l'autre, de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République d'Équateur sur l'emploi salarié des personnes à charge des membres des missions officielles, et  de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Pérou relatif à l'activité rémunérée des membres des familles des agents des missions officielles de chaque État dans l'autre
 

projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le gouvernement de la république française et le gouvernement de la principauté d’andorre relatif à la coopération transfrontalière en matière policière et douanière

 
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté d'Andorre relatif à la coopération transfrontalière en matière policière et douanière
Article unique (fin)

Article unique

Est autorisée l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté d’Andorre relatif à la coopération transfrontalière en matière policière et douanière, signé à Paris le 17 mars 2014, et dont le texte est annexé à la présente loi.

M. le président. Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’approbation de l’accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la principauté d’Andorre relatif à la coopération transfrontalière en matière policière et douanière (projet n° 185, texte de la commission n° 225, rapport n° 223).

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l’adoption de ce texte.

(Le projet de loi est adopté définitivement.)

Article unique (début)
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté d'Andorre relatif à la coopération transfrontalière en matière policière et douanière
 

projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le gouvernement de la république française et le gouvernement de la principauté d’andorre relatif à la coopération technique et à l’assistance mutuelle en matière de sécurité civile

 
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté d'Andorre relatif à la coopération technique et à l'assistance mutuelle en matière de sécurité civile
Article unique (fin)

Article unique

Est autorisée l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté d’Andorre relatif à la coopération technique et à l’assistance mutuelle en matière de sécurité civile et à l’intégration des équipes de secours andorranes dans les équipes de secours françaises lors de leurs interventions hors du territoire français en cas de catastrophes naturelles ou d’accidents technologiques majeurs, signé à Paris le 17 mars 2014, et dont le texte est annexé à la présente loi.

M. le président. Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’approbation de l’accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la principauté d’Andorre relatif à la coopération technique et à l’assistance mutuelle en matière de sécurité civile (projet n° 184, texte de la commission n° 224, rapport n° 223).

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l’adoption de ce texte.

(Le projet de loi est adopté définitivement.)

Article unique (début)
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté d'Andorre relatif à la coopération technique et à l'assistance mutuelle en matière de sécurité civile
 

4

 
Dossier législatif : proposition de loi permettant une bonne application du régime d'asile européen
Discussion générale (suite)

Application du régime d’asile européen

Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, permettant une bonne application du régime d’asile européen (proposition n° 149, texte de la commission n° 219, rapport n° 218).

Monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, pour votre bonne information quant à l’organisation de nos travaux, je vous indique que je devrai suspendre la séance un peu avant midi. Nous reprendrons nos travaux à quatorze heures trente.

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre d’État.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi permettant une bonne application du régime d'asile européen
Article 1er

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lintérieur. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, sur proposition de M. Jean-Luc Warsmann et de plusieurs membres du groupe UDI, Agir et Indépendants, l’Assemblée nationale a examiné et adopté après modifications, le 7 décembre dernier, la proposition de loi permettant une bonne application du régime d’asile européen, c’est-à-dire du cadre juridique qui permet l’application du règlement européen du 26 juin 2013, dit « règlement Dublin ».

Cette initiative législative est apparue particulièrement opportune aux yeux du Gouvernement, alors que plusieurs décisions de justice ont remis en cause la bonne application de ces mécanismes qui permettent d’organiser la répartition des demandes d’asile entre les pays de l’Union européenne.

Cette question est d’autant plus importante que, comme vous le savez, alors même que partout en Europe la demande d’asile est orientée à la baisse, la France fait face à une forte croissance, avec 100 000 demandes en 2017, soit une augmentation de 17 %, après des hausses de 6 % en 2016 et de 23 % en 2015. Et c’est sans compter les 85 000 personnes qui ont fait l’objet d’une décision de non-admission à nos frontières.

La demande d’asile est d’abord portée par des nationalités dont le besoin de protection n’est pas très élevé, à l’instar de l’Albanie ou des pays d’Afrique francophone, comme la Guinée ou la Côte d’Ivoire. Mais ce sont surtout les flux de rebond, c’est-à-dire les personnes ayant déjà demandé l’asile dans un autre pays européen et venant tenter leur chance dans l’Hexagone, qui alimentent cette hausse continue de la demande.

Jusqu’à une période récente, ces flux de rebond étaient très minoritaires : en 2016, ils représentaient seulement 11 % des demandes d’asile. Mais, depuis quelques mois, la donne a changé. En 2017, 36 % des demandes d’asile en France, soit 41 500 demandes, émanaient de personnes relevant de l’application du règlement Dublin. En Île-de-France, dans les Hauts-de-France, cette proportion a même atteint les 75 %.

À titre d’illustration, pour la seule année 2017, le nombre de personnes déboutées du droit d’asile en Allemagne s’est élevé à plus de 230 000, ce qui porte à 500 000 le nombre de déboutés en Allemagne au cours des trois dernières années. Or cette tendance devrait se poursuivre au vu du nombre considérable de personnes déboutées du droit d’asile en Europe, mais n’ayant fait l’objet d’aucune procédure d’éloignement.

Mesdames, messieurs les sénateurs, cet accroissement important de la demande d’asile a conduit le Gouvernement à développer de manière substantielle nos capacités d’hébergement. Je rappelle à ce titre que les moyens budgétaires affectés à la mission « Immigration, asile et intégration » ont été augmentés de 26 % dans le cadre de la loi de finances pour 2018 : ainsi, nous porterons les capacités du dispositif national d’accueil à 88 000 places à l’horizon 2019, ce qui constituera une augmentation de près de 8 000 places en l’espace de trois ans.

Malgré ces efforts, notre système d’hébergement demeure au bord de l’embolie.

Pouvons-nous laisser perdurer une situation dans laquelle des milliers de personnes, dont la prise en charge relève pourtant d’autres États, viendraient menacer l’équilibre même de tout notre système ?

Chacun mesure que tout cela n’est pas viable.

La législation européenne doit être respectée.

Afin de remédier à ces difficultés, j’ai, dès ma prise de fonctions, demandé aux préfets d’appliquer strictement le règlement Dublin en procédant au transfert des personnes vers l’État membre responsable du traitement de leur demande d’asile.

En la matière, nous avons obtenu de vrais résultats, puisque le nombre de transferts Dublin a doublé par rapport à 2016, ce qui a permis, dans certains territoires, de soulager nos dispositifs d’hébergement et d’asile.

Or, depuis quelques mois, ces progrès significatifs, que nous avions obtenus au prix d’une implication forte de l’administration, se trouvent fragilisés par plusieurs décisions juridictionnelles.

Le 15 mars 2017, la Cour de justice de l’Union européenne, la CJUE, saisie d’une affaire qui ne concernait pas la France, mais la République tchèque, a invité tous les États membres de l’Union à définir dans leur loi nationale les critères objectifs fondant le « risque non négligeable de fuite » d’un étranger en procédure Dublin, et donc la possibilité d’un placement en rétention.

Sur le fondement de cet arrêt, la Cour de cassation a souligné, le 27 septembre dernier, que, si notre droit interne définit bien le « risque de fuite », il devait, pour autoriser le placement en rétention des personnes sous procédure Dublin, préciser ce qu’est le « risque non négligeable de fuite ».

Enfin, le 19 juillet 2017, le juge des référés du Conseil d’État a indiqué que le droit français ne permettait pas au préfet de placer en rétention un étranger soumis au règlement Dublin au cours de la phase de détermination de l’État responsable de sa demande d’asile.

L’effet pratique de ces différentes décisions de justice est d’interdire le placement en rétention de personnes relevant de la procédure Dublin.

Il convenait donc d’adopter de nouvelles dispositions législatives, car, sans placement en rétention, il ne peut y avoir d’efficacité de notre politique d’éloignement.

C’est pourquoi la proposition de loi déposée par les élus du groupe UDI, Agir et Indépendants de l’Assemblée nationale nous est apparue profondément utile. D’ailleurs, les députés en sont convenus en adoptant ce texte, qui vous est aujourd’hui soumis.

Pour répondre aux décisions de la CJUE et de la Cour de cassation, l’article 1er de la présente proposition de loi précise les conditions dans lesquelles un étranger faisant l’objet d’une décision de transfert ou d’une requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge en application du règlement Dublin peut être placé en rétention.

Ce placement ne pourra être décidé que pour prévenir un risque non négligeable de fuite, sur la base d’une évaluation individuelle prenant en compte l’état de vulnérabilité de l’intéressé, uniquement dans la mesure où le placement en rétention est proportionnel et si l’assignation à résidence ne peut être effectivement appliquée.

À cet effet, le texte définit ce qui caractérise un « risque non négligeable de fuite », par exemple le fait pour l’étranger de s’être déjà soustrait, dans un autre État membre, à l’application du règlement Dublin ; d’avoir déjà été débouté de sa demande d’asile ; de s’être soustrait à l’exécution d’une précédente mesure d’éloignement ; ou encore, pour se maintenir sur le territoire français, d’avoir contrefait, falsifié ou établi sous un autre nom que le sien un titre de séjour ou un document d’identité ou de voyage.

De manière très opportune, les députés ont souhaité apporter certaines précisions relatives à la définition de ce risque non négligeable de fuite. À titre d’exemple, si le fait pour l’étranger de dissimuler des éléments de son identité peut caractériser le risque de fuite, il a été ajouté que la circonstance tirée de ce que l’étranger ne peut justifier de la possession de documents d’identité ou de voyage en cours de validité ne peut suffire, à elle seule, à établir une telle dissimulation.

Mme Nathalie Goulet. Quand même…

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat. J’en viens au deuxième axe de cette proposition de loi.

L’article 1er transpose en droit interne la possibilité ouverte par l’article 28 du règlement Dublin de placer en rétention administrative un étranger pendant la phase de détermination de l’État responsable de la demande d’asile, ce qui répond à l’avis du Conseil d’État du mois de juillet dernier.

Cet article permet également d’étendre les critères d’appréciation du risque non négligeable de fuite lorsque le placement en rétention administrative intervient alors que l’étranger était assigné à résidence et qu’il n’a pas respecté les prescriptions de cette dernière.

Je tiens à préciser que des garanties complémentaires ont été apportées lors de l’examen par l’Assemblée nationale. Ainsi, un décret devra préciser les modalités de prise en compte de la vulnérabilité des « dublinés » et, le cas échéant, de leurs besoins particuliers.

De même, le présent texte indique désormais que l’étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à la détermination de l’État responsable de l’examen de sa demande d’asile et, le cas échéant, à l’exécution d’une décision de transfert.

Au-delà de nombreuses améliorations rédactionnelles et de précisions juridiques, votre commission des lois a, pour sa part, souhaité apporter des compléments au texte de cette proposition de loi. Je comprends les préoccupations que ces compléments traduisent, même si certains d’entre eux pourraient soit paraître éloignés de l’objet de la proposition de loi, soit être d’une efficacité relative.

Ainsi, votre commission a introduit un nouveau motif caractérisant le risque non négligeable de fuite applicable si l’étranger refuse de se soumettre au relevé de ses empreintes digitales ou s’il altère volontairement ces dernières pour empêcher leur enregistrement.

Pour ma part, je suis sensible au réel problème que pointe cette modification, problème qui, du reste, dépasse la seule question des étrangers soumis au règlement Dublin.

Actuellement, en effet, le refus pour l’étranger de se soumettre à une prise d’empreintes constitue un délit passible d’un an d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende. Toutefois, ces peines sont très peu appliquées ; elles sont donc dénuées de caractère dissuasif. Le Gouvernement a la volonté de remédier à cette situation. Il envisage de faire des propositions visant à rendre applicable à ce délit la peine d’interdiction du territoire français, dans le cadre du projet de loi Asile et immigration, lequel est actuellement soumis à l’examen du Conseil d’État.

Un autre complément est proposé par votre commission des lois : la réduction du délai de recours juridictionnel de la décision de transfert Dublin.

Actuellement, cette décision peut être contestée dans un délai de quinze jours devant le juge administratif. Votre commission des lois a prévu de ramener ce délai à sept jours, au motif que cette proposition est reprise par la Commission européenne dans son projet de refonte du règlement Dublin, lequel est en cours de discussion. Il s’agit évidemment d’une disposition sensible, mais le Gouvernement comprend le souci d’efficacité qui l’anime.

Votre commission des lois a par ailleurs prévu de porter de quatre à six jours la durée de validité des ordonnances prises par les juges des libertés et de la détention autorisant des visites domiciliaires chez les étrangers assignés à résidence.

Ces visites ont pour objet de s’assurer de la présence de l’étranger à son lieu d’assignation à résidence et de le conduire, le cas échéant, à ses rendez-vous administratifs.

Le Gouvernement partage, là aussi, le souci d’amélioration de l’efficacité de ce dispositif introduit dans notre droit par la loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France, même si cette proposition n’est pas directement en rapport avec la problématique des étrangers relevant de l’application du règlement Dublin.

Enfin, a été introduit dans la proposition de loi un article 3 visant à tirer les conséquences de la décision relative à la question prioritaire de constitutionnalité du 30 novembre 2017, par laquelle le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution, à compter du 30 juin 2018, les dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, le CESEDA, en vertu desquelles l’assignation à résidence des étrangers ayant été condamnés à la peine d’interdiction du territoire français, mais dont l’éloignement est impossible, n’était pas limitée dans le temps.

Le Gouvernement considère d’un œil positif cet ajout, qui comble un vide juridique et opérationnel, dans la mesure où la date du 30 juin 2018 approche à grands pas, même si cet article est lui aussi éloigné de l’objet de la présente proposition de loi.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement relève que, dans leur totalité, les apports voulus par les députés n’ont pas été remis en cause au terme de l’examen du texte par votre commission des lois, en particulier les compléments ou garanties supplémentaires qu’ils ont apportés.

L’analyse du texte élaboré par la commission conduit le Gouvernement à ne pas s’opposer aux ajouts décidés, même si je relève que certaines de ces questions seront traitées dans le cadre du projet de loi Asile et immigration.

Nous appelons donc la Haute Assemblée à voter cette proposition de loi dans les termes qui sont proposés par la commission des lois du Sénat.

Surtout, nous estimons désormais urgent de pouvoir disposer, dans les meilleurs délais, du cadre juridique adapté pour reprendre l’application du règlement Dublin, afin de retrouver notre capacité à procéder à des transferts d’étrangers vers les États responsables de l’examen de leur demande d’asile. Comme je l’ai dit en commençant, il s’agit là d’une problématique majeure dans le contexte migratoire que je vous ai exposé.

Je veux, mesdames, messieurs les sénateurs, vous remercier.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. François-Noël Buffet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, tout d’abord, je tiens à rappeler à cette tribune le caractère compréhensif du travail accompli par la commission des lois du Sénat sur le texte soumis à son examen.

J’ajoute que les points particuliers que nous avons relevés et fait évoluer sont, naturellement, en lien direct avec l’objet de cette proposition de loi.

De surcroît, nous avons bien conscience qu’il s’agit là d’un texte urgent.

Voici ce que déclare M. Pascal Brice, directeur général de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides : « L’OFPRA subit de plein fouet les failles du système européen de l’asile. »

Cette proposition de loi est courte, son objet est limité et son but est très clair. Il s’agit de résoudre un problème ponctuel, mais urgent : l’impossibilité de placer en rétention et de transférer efficacement les étrangers dont la demande d’asile relève d’un autre pays européen, en application du règlement Dublin.

Il est vrai que le régime d’asile européen commun repose sur un principe cardinal : un seul État est compétent pour l’examen d’une demande d’asile.

Ce principe a été mis en œuvre par plusieurs textes européens, le dernier en date étant le troisième règlement Dublin, de 2013. Il s’applique dans trente-deux États européens, et les deux objectifs qu’il vise sont complémentaires : premièrement, coordonner les politiques d’asile des États européens et s’assurer que toutes les demandes déposées soient effectivement examinées, en vertu du principe de non-refoulement de la convention de Genève ; deuxièmement, lutter contre un éventuel forum shopping, une course à l’État le plus favorable.

Pour déterminer l’État responsable de l’examen de la demande d’asile, huit critères hiérarchisés sont prévus. Ils prennent en compte la situation familiale du demandeur ainsi que son parcours personnel et migratoire.

En pratique, deux critères prédominent.

Tout d’abord, l’État responsable de la demande d’asile sera généralement celui qui a reçu la première demande d’asile ou celui dans lequel le demandeur a franchi irrégulièrement la frontière, terrestre, maritime ou aérienne, de l’espace européen Dublin. Concrètement, le système fonctionne principalement à partir des prises d’empreintes digitales des demandeurs, enregistrées dans la base de données EURODAC.

Ensuite, le règlement prévoit les modalités de transfert des étrangers « dublinés » vers l’État responsable du traitement de la demande. Faute de transfert après un certain délai, généralement fixé à six mois, l’État où se trouve l’étranger redevient responsable de l’examen de sa demande d’asile.

En France, en 2016, près de 26 000 procédures Dublin ont été engagées sur le territoire national, soit une multiplication par cinq du nombre des « dublinés » par rapport à l’année 2014. Sur les 14 000 procédures Dublin pour lesquelles la France a recueilli l’accord d’un autre État européen responsable de reprendre l’étranger pour examiner sa demande, seules environ 1 300 ont abouti à un transfert effectif. Le taux de transferts exécutés s’établit ainsi à 9 %, ce que l’on peut considérer comme dérisoire : c’est bien la preuve que le système ne fonctionne plus.

Il faut le dire : en pratique, le système est aujourd’hui à bout de souffle. Dublin fonctionne tant que les flux migratoires ne sont pas trop importants ; mais, en cas de crise migratoire, la difficulté est majeure.

D’après l’OFPRA, la France a enregistré 100 412 demandes d’asile en 2017. Signe de l’ampleur de la crise migratoire, ce nombre est en hausse de 17 % par rapport à 2016 et de 90 % par rapport à 2010.

L’ensemble des États « Dublin » connaissent des difficultés dans la mise en œuvre des procédures de réadmission. En 2016, 3 968 transferts ont été effectivement réalisés par l’Allemagne, sur 55 690 procédures engagées, contre 5 244 par la Suède, sur 12 118 procédures, et 61 par l’Italie, sur 14 229 procédures…

En réalité, plusieurs facteurs expliquent cet échec.

Tout d’abord, je pense au manque de solidarité entre les États : le système pèse particulièrement sur un nombre restreint d’États « périphériques » comme la Grèce, l’Italie, la Hongrie, la Bulgarie et la Roumanie, ce qui remet évidemment en cause sa soutenabilité.

Ensuite, je citerai les stratégies d’évitement des États et aux refus de recueil d’empreintes : seuls 23 % des franchissements irréguliers d’une frontière extérieure de l’Union européenne font l’objet d’un prélèvement d’empreintes digitales, ce qui, bien sûr, nuit gravement à l’efficacité de la base de données EURODAC.

Entre le 1er janvier et le 18 septembre 2017, sur 5 576 présentations à la borne EURODAC du Calaisis, 3 469 refus de prélèvement d’empreintes ont été enregistrés, ce qui représente à peu près 62 % de l’ensemble. Au total, 132 personnes ont été placées en garde à vue et aucune n’a été poursuivie pénalement.

En France, le problème s’est récemment trouvé renforcé par l’impossibilité juridique de placer en rétention les étrangers qui doivent être transférés en application du règlement Dublin : c’est bien là le problème !

Des jurisprudences récentes ont remis en cause tout placement en rétention d’étrangers « dublinés », rendant ainsi leur transfert quasi impossible.

Avons-nous mal anticipé ?

Dans tous les cas, il n’y a pas de rétention possible avant la décision de transfert : le Conseil d’État a jugé, en juillet 2017, que le droit français ne prévoyait pas le placement en rétention des étrangers sous procédure Dublin en amont de la décision de transfert, leur rétention étant seulement possible après notification de cette décision.

Il n’y a pas non plus de rétention après la décision de transfert. Depuis mars 2017, la CJUE n’autorise le placement en rétention des Dublinés après une décision de transfert que sous conditions : uniquement si le droit national de l’État précise, par des dispositions de portée générale, la définition du « risque non négligeable de fuite », qui justifie un placement en rétention. Un arrêt du 27 septembre 2017 de la Cour de cassation en a tiré les conséquences. Il constate que la France n’a pas défini spécifiquement ce « risque non négligeable de fuite » et interdit donc le placement en rétention des « dublinés ».

Naturellement, cette situation doit être réglée, car nous ne pouvons pas accepter le statu quo dans ces conditions.

Tel est l’objet du présent texte : sécuriser nos procédures.

Cette proposition de loi émane de notre collègue député Jean-Luc Warsmann et entend répondre à ce problème juridique. Elle vise à sécuriser le placement en rétention des « dublinés » et à prévoir qu’il puisse, dans certains cas, intervenir dès le début de la procédure Dublin, sans que l’on doive attendre la notification de la décision de transfert.

Le texte transmis par l’Assemblée nationale prévoit ainsi onze critères alternatifs permettant, sauf circonstance particulière, de caractériser un « risque non négligeable de fuite ». Il simplifie également le régime d’assignation à résidence des « dublinés » et garantit leur droit à l’information.

La commission des lois du Sénat, qui s’est prononcée sur cette proposition de loi la semaine dernière, entend répondre aux demandes du terrain et combler rapidement ce vide juridique.

Je rappelle que les services de l’État sont aujourd’hui démunis face à l’augmentation du nombre de procédures Dublin et face à leur difficile mise en œuvre.

En outre, j’indique au Sénat qu’une délégation de la commission a visité le centre de rétention administrative de Lesquin. À cette occasion, nous avons rencontré les nombreux acteurs qui gèrent la politique migratoire dans le département du Nord : je parle des services préfectoraux, de la police aux frontières, des avocats, des magistrats et des associations.

Les problèmes rapportés étaient frappants : sur-sollicitation des personnels, complexité extrême des procédures, taux dérisoires d’exécution des mesures d’éloignement, hausse des comportements violents, alors qu’aucun migrant relevant des accords de Dublin ne se trouvait en centre de rétention, puisque c’est interdit.

La commission des lois, qui entend bien ces demandes, juge effectivement urgent de conforter et d’améliorer l’efficacité des procédures Dublin. Elle a ainsi adopté trois amendements.

Ils visent, le premier, à lutter plus efficacement contre les refus de prise d’empreintes digitales qui minent l’efficacité des procédures, le deuxième, à accélérer les procédures en réduisant de quinze à sept jours le délai de recours contre une décision de transfert, et, le troisième, à faciliter l’organisation des visites domiciliaires pour s’assurer de la présence d’un étranger assigné à résidence, sans avoir recours à la rétention.

En outre, la commission des lois a souhaité sécuriser, à l’article 3 du texte, les assignations à résidence des étrangers faisant l’objet d’une interdiction judiciaire du territoire – un aspect important de notre politique migratoire –, dont le régime a été fragilisé, fin 2017, par une décision du Conseil constitutionnel.

Il lui a semblé absolument nécessaire de contrôler la présence sur le territoire d’individus potentiellement dangereux qui, pour certains, ont été condamnés pour des actes de terrorisme. Il était important de régler ce problème juridique dès maintenant, car, sans faire offense à personne, nous ne sommes pas certains que le texte promis par le Gouvernement sur l’asile et l’immigration soit bien voté définitivement à la fin du mois de juin prochain. Pour des raisons pratiques, il m’a paru utile de profiter de l’occasion qui nous est offerte aujourd’hui pour garantir la sécurité de notre droit national, tout en restant dans la logique de ce texte.

L’objet limité de cette proposition de loi ne fait pas oublier la nécessité d’un débat plus large sur l’immigration et sur les procédures d’éloignement.

Lors de l’examen du prochain projet de loi, annoncé pour le printemps prochain, le Sénat veillera à ce que le Gouvernement reste suffisamment ambitieux pour traiter de l’ensemble de la question migratoire : simplifier substantiellement les procédures, assurer des moyens aux politiques d’asile et d’intégration, redoubler nos efforts diplomatiques pour rendre plus efficaces les expulsions et faire enfin aboutir la réforme du régime d’asile européen pour le rationaliser et pour prévoir davantage de solidarité entre les États membres.

La commission des lois partage les objectifs assignés à ce texte par le Gouvernement et a émis, à la majorité et non à l’unanimité, un avis favorable à son adoption. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)