M. le président. Veuillez conclure, monsieur le ministre !

M. Stéphane Travert, ministre. Nous veillerons à prévoir, ensemble, les mesures d’accompagnement, avant de transmettre à la Commission européenne ces mesures pour approbation. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)

M. le président. La parole est à M. François Bonhomme, pour la réplique.

M. François Bonhomme. Monsieur le ministre, votre réponse est technique, mais, en fin de compte, elle est dilatoire.

Je sais bien que vous avez hérité d’une situation difficile avec le projet de carte de votre prédécesseur Le Foll, qui est parti en rase campagne. (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.) Il n’en reste pas moins que, aujourd’hui, les 5 000 euros ou 7 000 euros d’aide que perçoivent ces agriculteurs constituent leur reste à vivre ! Si vous les leur retirez, vous les condamnez.

Le critère ultime qui doit prévaloir pour l’élaboration de cette carte, c’est tout de même le maintien de ces aides, dont la suppression se révélerait mortelle pour les agriculteurs.

Ce week-end, j’ai vu la préfète de Loire-Atlantique aller à la rencontre de zadistes victorieux après le renoncement du Gouvernement de poursuivre le projet de Notre-Dame-des-Landes. Le comité d’accueil qui l’attendait, goguenard, a donné lieu à un tableau assez ironique, des zadistes se déculottant sur son passage. Voilà un aveu d’impuissance de l’État !

Puisqu’il est question de l’État et de sa responsabilité, faites-en sorte, monsieur le ministre, eu égard à nos éleveurs qui ne veulent pas mourir, que l’État – passez-moi l’expression – préfère le cul des vaches à celui des zadistes. Défendez vos agriculteurs ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.

Je rappelle que la prochaine séance de questions d’actualité au Gouvernement aura lieu le mardi 6 février 2018, à seize heures quarante-cinq.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures quinze, sous la présidence de M. Thani Mohamed Soilihi.)

PRÉSIDENCE DE M. Thani Mohamed Soilihi

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

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Décès d’un ancien sénateur

M. le président. J’ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Claude Prouvoyeur, qui fut sénateur du Nord de 1983 à 1992.

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Dossier législatif : proposition de loi portant création d'un fonds d'indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques
Discussion générale (suite)

Fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques

Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe socialiste et républicain, de la proposition de loi portant création d’un fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques, présentée par Mme Nicole Bonnefoy et les membres du groupe socialiste et républicain (proposition n° 792 [2015-2016], texte de la commission n° 237, rapport n° 236).

Dans la discussion générale, la parole est à Nicole Bonnefoy, auteur de la proposition de loi.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi portant création d'un fonds d'indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques
Article 1er

Mme Nicole Bonnefoy, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le vice-président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, en 2012, j’ai eu l’honneur d’être nommée rapporteur de la mission commune d’information sénatoriale sur les pesticides et leurs conséquences sur la santé et l’environnement.

La mission, alors présidée par Sophie Primas, et constituée de vingt-cinq autres sénateurs représentant chacun des groupes politiques et chacune des commissions permanentes, a auditionné plus de 200 personnes, effectué de nombreux déplacements et fait un rapport comportant une centaine de propositions ayant pour objet d’améliorer la prise en compte sanitaire des conséquences de l’utilisation massive des pesticides dans notre pays. Chose suffisamment rare pour être soulignée, ce rapport fut alors adopté par le Sénat à l’unanimité.

Depuis, un nombre important de recommandations ont été traduites dans la loi, parmi lesquelles l’instauration d’un suivi des produits pesticides après leur mise sur le marché ; l’interdiction de l’utilisation des pesticides dans les collectivités ; l’interdiction de leur vente aux particuliers ; la mise en place du dispositif de phytopharmacovigilance, lequel permet d’instaurer une veille sanitaire dans tout le pays et de faire progresser l’évaluation des risques, des maladies et des produits mis sur le marché ; l’introduction dans notre droit de l’action de groupe en matière environnementale ; l’interdiction progressive des néonicotinoïdes ; ou encore l’interdiction des épandages aériens.

Je tiens à souligner que le travail collectif effectué par notre assemblée, dans le cadre de la mission et lors des discussions parlementaires qui ont suivi, a grandement contribué à tous ces progrès.

En parallèle, la problématique des pesticides n’a cessé d’être confirmée et amplifiée. Outre la prise de conscience sociétale qui n’a fait que croître, je pense en particulier à la publication de plusieurs rapports ayant joué un rôle décisif dans la documentation et l’accréditation du problème.

Premier rapport : l’expertise collective publiée par l’INSERM, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, parue en 2013 et fondée sur une revue de la littérature scientifique internationale publiée sur trois décennies. Elle a mis en évidence des excès de risques liés à des expositions pour de nombreuses pathologies graves : plusieurs cancers – du sang, de la prostate, du cerveau, de la peau –, des troubles cognitifs et des maladies neurologiques – Parkinson, Alzheimer… –, des maladies respiratoires et des troubles de la reproduction et du développement. Enfin, l’étude insiste fortement sur les risques pour le développement de l’enfant liés aux expositions au cours de la petite enfance et des périodes prénatale et périnatale.

Deuxième rapport : celui de l’ANSES, notre agence nationale de sécurité sanitaire. Elle s’est penchée en 2016 sur les expositions professionnelles aux pesticides en agriculture. Alors que la consommation de pesticides est en progression constante, l’agence souligne que les données sur l’exposition aux pesticides sont « fragmentées » et « lacunaires ». Cette absence de transparence produit une « invisibilité des problèmes », un « relatif silence » sur les maladies professionnelles. Celui-ci s’explique entre autres éléments par les obstacles que rencontrent les malades qui souhaitent faire reconnaître leurs pathologies chroniques.

L’ANSES ajoute que les éléments fournis par les industriels avant la mise sur le marché d’un pesticide ne suffisent pas pour mesurer son degré de dangerosité. Les études ne sont en effet pas publiées dans des revues scientifiques. Elles ne reposent ni sur des statistiques agricoles, ni sur des enquêtes de terrain, ni sur les déclarations individuelles. Elles ne reflètent pas l’éventail des situations réelles.

Enfin, le dernier rapport en date sur ces questions a été publié en décembre 2017. Il achève de dresser un panorama éloquent de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques dans notre pays. Il s’agit du rapport des trois inspections générales des ministères de l’environnement, de la santé et de l’agriculture commandé par ce gouvernement.

Ce rapport rappelle les points suivants : l’ensemble des citoyens sont potentiellement exposés aux pesticides, la quasi-totalité des cours d’eau sont contaminés, de nombreuses substances parmi les plus nocives sont encore autorisées à la vente en raison des impérities du dispositif européen d’autorisation, le coût en Europe des conséquences pour la santé des pesticides, qui agissent comme des perturbateurs endocriniens, est estimé à 120 milliards d’euros.

L’inspection générale appelle à augmenter significativement l’effort financier en matière de recherche et à bâtir « un plan d’action visant à une sortie la plus rapide des produits phytos » puisque « l’objectif d’une diminution rapide de leur utilisation constitue désormais un impératif pour la protection de la population ».

C’est donc en toute logique que nous attendons du Gouvernement qu’il agisse conformément aux recommandations de ces divers rapports.

Je suis, madame la ministre, d’autant plus optimiste que j’ai en mémoire les propos tenus le 12 juillet 2017 par Nicolas Hulot venu présenter au Sénat les « objectifs du développement durable » de son gouvernement. Il a alors déclaré que la santé environnementale était une priorité gouvernementale. « J’ai à cœur, a-t-il dit, de protéger la santé des agriculteurs contre l’utilisation abusive d’intrants. Je connais suffisamment d’agriculteurs victimes de pathologies lourdes qui sont abandonnés par ceux qui sont censés les soutenir. » Je ne doute pas que Nicolas Hulot pensait alors en particulier au soutien de l’État et du Gouvernement.

Le texte que nous examinons aujourd’hui vise en premier lieu à protéger et à défendre les malades des pesticides, au premier rang desquels, j’y insiste, les agriculteurs. Trop souvent montrés du doigt pour l’utilisation de ces produits, ils sont les premiers et les plus nombreux à souffrir de leurs effets nocifs.

Les maladies liées aux expositions aux pesticides font l’objet d’un phénomène massif de sous-déclaration et, donc, de sous-reconnaissance. Dans son rapport de 2016, l’ANSES mettait en regard deux chiffres essentiels : d’une part, plus de 1 million de personnes sont professionnellement exposées en France aux pesticides ; d’autre part, entre 2002 et 2010, seulement 47 maladies professionnelles de ce type ont en tout et pour tout été reconnues.

Mes chers collègues, plusieurs membres de l’association Phyto-Victimes assistent aujourd’hui dans nos tribunes à notre débat. Je tiens ici à les saluer, ainsi que leur président, Paul François, et l’avocat Me Lafforgue, qui ont très largement contribué à l’écriture de ce texte.

Exploitant agricole, Paul François a été intoxiqué en 2004. Or le lien entre ses troubles et son exposition n’a été reconnu qu’en 2010. La plainte qu’il a déposée au civil en parallèle en 2007 a reçu un jugement favorable en 2012, lequel a été confirmé en appel en 2015, avant d’être annulé en 2017 en cassation. Près de quinze ans après son empoisonnement aigu, son état de santé s’est dégradé. Aucuns dommages et intérêts ne lui ont été versés et son parcours judiciaire va encore durer plusieurs années. Est-ce juste, madame la ministre ?

Je pense aussi aux salariés de la coopérative agricole Nutréa-Triskalia, que la mission avait rencontrés en 2012 et qui nous avaient profondément marqués. Gravement atteints, ils souffrent notamment d’hypersensibilité chimique multiple. Après plus de sept ans de procédures judiciaires pour faire reconnaître leur maladie professionnelle, plusieurs d’entre eux n’ont toujours rien obtenu, alors qu’ils ont, pour certains, perdu leur travail et sont arrivés au bout de leurs droits aux indemnités chômage. « Ce qui est important, c’est que nous soyons reconnus. De toute façon, notre vie est gâchée. » Tels sont les terribles mots d’un ex-salarié, Claude Le Guyader, qui était encore avant-hier devant la cour d’appel du tribunal des affaires sociales de Rennes pour obtenir cette reconnaissance aux côtés de son collègue Pascal Brigand. Est-ce juste, madame la ministre ?

Je pense encore aux innombrables victimes des épandages massifs de chlordécone et de paraquat, dont mon collègue Victorin Lurel parlera mieux que moi. Il est indispensable d’apporter une réponse juste aux terribles séquelles qui continuent d’affecter la Guadeloupe et la Martinique, à la suite des contaminations à ces substances, leur rémanence dans l’environnement étant de l’ordre de 600 ans et elles sont transmissibles de génération en génération. Est-ce juste, madame la ministre ?

Le texte en discussion aujourd’hui a dès lors vocation à faciliter le parcours de reconnaissance et d’indemnisation de ces malades afin de mettre un terme à cette autre injustice qui leur est faite : la longueur et la dureté des procédures.

Aussi, madame la ministre, mes chers collègues, c’est une loi juste, et il est de notre devoir d’adopter le texte et de le mettre en œuvre, au nom des victimes passées, présentes et à venir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – MM. Éric Gold et Guillaume Arnell applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Bernard Jomier, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi de commencer cette intervention par un double constat, dressé conjointement par trois corps d’inspection de l’État, dans un rapport rendu public le 19 janvier dernier. Je pense que nous pouvons tous ici le partager.

Ce rapport souligne tout d’abord que l’utilisation massive des pesticides constitue « un enjeu majeur de santé publique tant pour les applicateurs et leurs familles que pour les riverains et la population en général ». Ce constat n’est pas nouveau. La mission d’information menée en 2012, présidée par notre collègue Sophie Primas et dont la rapporteur était Nicole Bonnefoy, faisait déjà état d’une « urgence sanitaire » sous-évaluée, notamment au regard des données épidémiologiques.

Le rapport souligne en outre que « le degré de certitude d’ores et déjà acquis sur les effets des produits phytopharmaceutiques commande de prendre des mesures fortes et rapides, sauf à engager la responsabilité des pouvoirs publics ».

Le message est clair. Les études scientifiques soulignent en effet que l’exposition des travailleurs et de leurs familles à ces produits augmente de manière significative les risques de contracter certaines pathologies. En France, l’expertise collective de l’INSERM de 2013, fondée sur une revue de la littérature scientifique internationale publiée au cours des trente dernières années, met au jour plusieurs niveaux de présomption s’agissant du lien entre l’exposition aux pesticides et différentes pathologies : hémopathies malignes, tumeurs cérébrales, cancers cutanés, maladie de Parkinson, maladie d’Alzheimer, troubles cognitifs ou encore certains troubles de la reproduction et du développement. Elle insiste par ailleurs sur les expositions au cours de la période prénatale et périnatale, ainsi que pendant la petite enfance, qui semblent être particulièrement à risques pour le développement de l’enfant.

Nous savons que, sur certains points fondamentaux, les connaissances scientifiques établies permettent de retenir un lien de causalité : au sein du régime agricole, les quinze tableaux de maladies professionnelles liées à l’exposition aux pesticides sont là pour nous le rappeler.

La proposition de loi déposée par notre collègue Nicole Bonnefoy s’inscrit dans le prolongement de ces constats et pose la question de la réparation des dommages. Elle prévoit, sous certaines conditions, l’indemnisation des préjudices résultant de l’exposition à des produits phytopharmaceutiques en allant au-delà de la simple réparation forfaitaire, que notre législation sociale limite aux victimes professionnelles.

Les professionnels du secteur agricole sont bien évidemment la première population concernée. Oui, cette proposition de loi est un texte de justice sociale que nous devons aux agriculteurs, au secteur agricole et au monde rural. Ainsi, les agriculteurs et l’ensemble des professionnels du secteur pourront accéder au dispositif d’indemnisation dès lors qu’ils auront préalablement obtenu la reconnaissance d’une pathologie d’origine professionnelle sur le fondement du système déjà existant des tableaux de maladies professionnelles. Au regard des dommages causés, qui dépassent largement le préjudice économique pour englober les préjudices extrapatrimoniaux, une telle avancée me paraît aller dans le sens de l’histoire de notre protection sociale.

Il en va de même de l’ouverture du dispositif aux victimes exposées en dehors du cadre professionnel et que l’on peut qualifier de « victimes environnementales ». Je pense notamment aux riverains de champs agricoles qui subissent les effets des épandages. La proposition de loi les inclut dans le dispositif. Elle couvre enfin les enfants atteints d’une pathologie occasionnée par l’exposition aux pesticides de l’un de leurs parents. Il s’agit ici de prendre en compte principalement les expositions in utero.

De manière générale, il est apparu au cours des auditions que j’ai menées que la volonté d’améliorer les règles d’indemnisation est accueillie très positivement. L’ANSES, en particulier, s’est montrée favorable à la recherche d’une plus grande équité dans la prise en charge des victimes. En effet, pourquoi les victimes de l’amiante, des irradiations dues aux essais nucléaires, de médicaments auraient-elles accès à une réparation intégrale alors que les agriculteurs victimes de produits phytopharmaceutiques sont limités à une réparation forfaitaire ? L’ANSES a également souligné l’avantage d’un tel dispositif, qui permet de limiter les inconvénients liés à une judiciarisation des demandes.

Les réserves formulées sur la proposition de loi dans sa rédaction initiale ont essentiellement porté sur deux points : d’une part, la gouvernance du fonds d’indemnisation et la procédure d’instruction, qu’il a donc fallu préciser ; d’autre part, le financement, sur lequel les avis sont partagés.

D’aucuns souhaiteraient que le financement soit entièrement étatique et craignent qu’une hausse de la taxe sur les produits phytopharmaceutiques ne soit répercutée sur le prix de vente. Compte tenu du chiffre d’affaires du secteur en France – plus de 2 milliards d’euros chaque année – et de la capacité de négociation des intermédiaires, il me semble que cette réserve peut être levée. J’ajoute que les règles de recevabilité financière auxquelles nous sommes soumis ne nous permettraient pas de prévoir une contribution de l’État au financement du fonds. Une telle initiative, madame la ministre, ne pourrait venir que du Gouvernement. Si la fiscalité déjà prélevée sur la vente des produits phytopharmaceutiques offre un montant d’amorçage raisonnable, les ressources du fonds, nous en convenons tous, devront nécessairement être revues.

La commission des affaires sociales a apporté plusieurs séries de précisions à la proposition de loi afin de parvenir à un encadrement juridique rigoureux, prudentiel et qui sera nécessairement appelé à évoluer.

L’article 1er définit le champ des personnes éligibles au dispositif d’indemnisation. Sa rédaction initiale ne permettait pas d’en cerner parfaitement les contours. C’est pourquoi la commission a renvoyé à un arrêté conjoint des ministres chargés de la santé et de l’agriculture le soin d’établir la liste des pathologies ouvrant droit à indemnisation pour les victimes non professionnelles.

À l’article 2, la commission a précisé l’organisation du fonds d’indemnisation en prévoyant qu’il comprend un conseil de gestion dont la composition est fixée par décret et qu’il est représenté à l’égard des tiers par le directeur de la caisse centrale de la mutualité sociale agricole.

Sur la procédure d’examen des demandes, la commission a partagé l’avis général selon lequel faire reposer la charge de la preuve sur le demandeur rendrait le dispositif extrêmement complexe et, pour tout dire, très difficilement accessible. La jurisprudence récente dans le domaine de la santé reconnaît aujourd’hui que le doute scientifique ne fait pas nécessairement obstacle à la preuve requise du demandeur dès lors que celui-ci fait valoir un faisceau d’indices concordants sur les dommages causés par le produit. Nous avons donc jugé préférable de retenir une présomption de causalité. Une commission médicale indépendante serait chargée d’examiner les circonstances des expositions et de statuer sur leur lien avec la pathologie. C’est d’ailleurs le modèle des dispositions en vigueur pour le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante, le FIVA.

À l’article 4, la commission a porté de six à neuf mois le délai au terme duquel le fonds est tenu de présenter une offre d’indemnisation au demandeur.

L’article 7, qui prévoyait que le fonds serait financé notamment par une fraction de la taxe sur la vente de produits phytopharmaceutiques, dispose désormais que le produit de cette taxe sera affecté en priorité à l’ANSES et, pour le solde, au fonds d’indemnisation. Aujourd’hui, la taxe sur les produits phytopharmaceutiques, collectée par l’ANSES, permet de financer le dispositif de phytopharmacovigilance. Il est essentiel que celui-ci soit totalement préservé.

Enfin, au travers de l’article 9, la commission a renvoyé à un décret en Conseil d’État le soin de définir les modalités d’application de la loi et prévu une période transitoire durant laquelle le délai laissé au fonds pour présenter une offre est porté à douze mois au lieu de neuf. Il s’agit, sur ce point, de tenir compte des nécessaires contraintes liées à la phase d’installation et de montée en charge du fonds.

Telles sont, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les principales modifications apportées par la commission à la proposition de loi initiale.

Au cours de nos débats, je ne doute pas que certains souhaiteront insister sur l’encadrement plus étroit dont les produits phytopharmaceutiques ont progressivement fait l’objet au cours des dernières décennies. Je rappellerai simplement à ce stade que la nécessité de renforcer la prévention et la protection, constat sur lequel nous sommes tous d’accord, n’épuise en rien le sujet de la réparation lorsque des dommages ont été subis.

À cet égard, nous avons aujourd’hui acquis un niveau de connaissances suffisant pour ne pas différer notre travail de législateur au motif que ces connaissances sont encore en progrès. Il y va de notre responsabilité commune. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. Jean-François Longeot applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le président, monsieur le vice-président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous le savons, les scandales sanitaires sont au nombre des menaces qui pèsent le plus lourdement sur notre démocratie, tant ils entament la confiance des Français.

Votre proposition de loi vise à répondre à un impératif de santé publique et de reconnaissance du préjudice subi. Vous souhaitez créer un fonds assurant la réparation intégrale des victimes de pathologies liées aux produits phytopharmaceutiques, que leur exposition soit d’origine professionnelle ou environnementale. Ce fonds serait financé exclusivement par une taxe prélevée sur les produits concernés.

Votre texte, mesdames, messieurs les sénateurs, est empreint d’une noble intention, et je la comprends. Toutefois, la création d’un tel fonds d’indemnisation m’apparaît prématurée.

En effet, nous connaissons encore trop mal les risques sur la santé d’une exposition à un ou plusieurs produits phytopharmaceutiques. Les pathologies en question, vous le savez, peuvent avoir plusieurs causes. Aussi ne peuvent-elles être directement imputées, en tous les cas pour la majorité d’entre elles, aux seuls produits phytopharmaceutiques.

Ce dispositif renverserait la charge de la preuve. Ce serait alors au fonds de démontrer l’absence de lien direct et essentiel entre une pathologie et les expositions, dès lors que la victime alléguerait une exposition. Or, compte tenu de l’utilisation massive des pesticides, il convient de considérer que tout le monde est exposé : le champ des indemnisations s’étendrait aux victimes environnementales, et ce de façon difficilement contrôlable.

Par ailleurs, un tel dispositif d’indemnisation serait, à mes yeux, déresponsabilisant, en particulier vis-à-vis des industriels. Les effets sur la santé des expositions professionnelles aux produits phytopharmaceutiques font l’objet d’un consensus scientifique. Or votre texte s’engage sur la voie d’une indemnisation systématique, sans détermination préalable de responsabilité. (Mme Patricia Schillinger opine.) En outre, cette indemnisation serait financée exclusivement par le produit d’une taxe sur les produits phytopharmaceutiques. Malgré l’intention qui vous anime, les industriels bénéficieraient, de fait, d’une décharge de responsabilité individuelle contre une prise en charge mutualisée du risque.

Nous devons plutôt renforcer l’indemnisation dans le cadre du système des accidents du travail et des maladies professionnelles. Ce système facilite l’indemnisation des victimes concernées. En effet, lorsqu’une maladie est inscrite dans un tableau de maladies professionnelles et répond aux conditions prévues par ce tableau, elle est présumée d’origine professionnelle.

Qui plus est, pour les maladies n’étant pas inscrites dans les tableaux, une voie complémentaire de reconnaissance permet un examen, au cas par cas, des demandes par les comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles, les CRRMP.

Au total, pas moins de 700 maladies professionnelles, liées aux produits phytopharmaceutiques, sont reconnues dans ce cadre.

Cela étant, je suis évidemment consciente des limites de ce système d’indemnisation. En effet, comme vous le dites très justement, il ne permet pas à tous les travailleurs concernés d’être indemnisés de manière équitable.

Les tableaux de maladies professionnelles existants n’ont pas été actualisés au regard des connaissances scientifiques les plus récentes. Je pense en particulier à l’expertise collective de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale – INSERM – de 2013.

Quant aux maladies non inscrites dans les tableaux, les décisions rendues après avis des comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles sont hétérogènes, les connaissances scientifiques n’étant pas assez diffusées.

Afin de résoudre ces écueils, Mme la ministre du travail, M. le ministre de l’agriculture et moi-même demanderons aux commissions chargées d’élaborer ces tableaux d’améliorer l’indemnisation des travailleurs concernés. Précisément, des études devront être menées pour adapter les tableaux de maladies professionnelles à l’état actuel des connaissances scientifiques.

Toutefois, au-delà de l’indemnisation elle-même, la priorité ira à la prévention des effets des produits phytopharmaceutiques sur la santé. La feuille de route du Gouvernement, à la suite du rapport sur les produits phytosanitaires, doit renforcer l’effort de recherche afin de mieux connaître les liens entre pathologies et exposition, mais également de développer les actions de protection des travailleurs et des populations. Je pense en particulier aux publics les plus fragiles et les plus vulnérables, les enfants et les femmes enceintes.

Nous devons également étudier les conclusions du rapport de la mission diligentée auprès de l’inspection générale des affaires sociales, de l’inspection générale des finances et du conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux, rapport qui vient de m’être communiqué et qui étudie l’éventualité d’un dispositif d’indemnisation des victimes de produits phytopharmaceutiques. Nous avons besoin de temps pour analyser les conclusions de ce rapport, ainsi que les enjeux juridiques, financiers et sociaux de ses propositions.

Cela étant, ce rapport semble pointer l’absence de certitudes scientifiques sur le lien de causalité entre maladie et exposition à des substances nocives, ce qui, comme je le disais, constitue le principal obstacle à la reconnaissance des victimes environnementales.

Le rapport précise : « Devant cette difficulté de démonstration du lien de causalité pour un nombre de victimes important, l’amélioration du régime accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP) par extension du périmètre des maladies prises en charge, pour le rendre cohérent avec l’évolution des connaissances scientifiques, pourrait être une option possible. »

Par ailleurs, le plan santé au travail 3, élaboré par les partenaires sociaux, prévoit des actions de substitution de certains produits phytopharmaceutiques, ainsi qu’un travail sur le port d’équipements de protection pour les travailleurs.

Quant aux amendements visant à intégrer la problématique du chlordécone aux Antilles, je crains qu’ils n’engendrent une confusion avec le plan Écophyto…