M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

M. Loïc Hervé. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, madame le rapporteur, chère collègue auteur de la proposition de loi, mes chers collègues, je qualifierais volontiers le texte que nous examinons aujourd’hui de pragmatique. Je tiens d’ailleurs à saluer, dans cette perspective, le travail de notre rapporteur Josiane Costes, qui a dû affronter de nombreuses résistances et réticences au changement.

Ce texte est pragmatique, car il est nécessaire.

En effet, si les fonctionnaires demeurent essentiels à l’organisation de notre pays et si nous sommes favorables au principe de mieux contrôler les pratiques en vigueur et à la surveillance accrue des conflits d’intérêts éventuels, nous restons tout de même vigilants : cela ne doit pas être l’occasion de donner satisfaction à ceux qui cherchent à tout prix des boucs émissaires. Nous, qui vivons parfois les affres de l’antiparlementarisme, devons y être particulièrement vigilants !

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Très bien !

M. Loïc Hervé. Ce texte est également nécessaire, car il constitue une forme de préambule. En effet, les annonces du Gouvernement sur le programme « Action publique 2022 » ont fait couler beaucoup d’encre et il est désormais certain que nous aurons à débattre, dans les mois à venir, d’une réforme globale du statut de fonctionnaire. Nous aurons donc l’occasion de parler à nouveau de ces questions.

Lors de l’annonce de ce programme, le Premier ministre, Édouard Philippe, accompagné de Gérald Darmanin, ministre de l’action et des comptes publics, et de vous-même, monsieur le secrétaire d’État, a dévoilé les quatre piliers sur lesquels la réforme de la fonction publique devrait reposer. Je ne reviendrai aujourd’hui que sur un seul de ces points, celui qui est lié directement à l’objet de la présente proposition de loi.

Le Gouvernement prévoit, selon ses mots, de banaliser le recours aux contractuels dans la fonction publique. Si l’objectif principal est de contourner le statut de fonctionnaire, jugé trop rigide, le Gouvernement invoque aussi, pour justifier ce recours aux contractuels, le besoin d’assurer la mobilité de l’ensemble des fonctionnaires, qui ne sont chaque année que 4 % à changer de poste.

Plus encore, il y a des disparités flagrantes entre les corps de l’État et, surtout, entre les catégories de fonctionnaires. De fait, les hauts fonctionnaires, la fameuse catégorie A+, jouissent de possibilités que n’ont pas les autres catégories. Alors que les allers et retours avec le privé sont possibles de manière large et facile pour les uns, il n’y a que contrôle strict et encadrement lourd pour les autres.

Au regard de la fonction publique dans son ensemble, les hauts fonctionnaires ont une mobilité sans égale. C’est du reste ce qui justifie que cette proposition de loi s’intéresse particulièrement à eux.

Aussi essentielle que soit cette mobilité, il ne faut pas avoir peur de dire qu’il existe des abus : ils sont honteux, en particulier dans ces situations, puisqu’il s’agit du service de l’État, et constituent autant d’affronts pour les corps auxquels ces fonctionnaires appartiennent. Oui, nous devons lutter contre les abus, car ils desservent la fonction publique, ternissent l’image du service public et poussent nos concitoyens à la défiance.

Ne vous méprenez pas sur mon propos ! Il ne s’agit pas ici de couvrir d’opprobre ceux qui, au service de l’État et de nos concitoyens, remplissent chaque jour des fonctions éminemment importantes. Sans ces hauts fonctionnaires, notre service public ne serait pas. Il s’agit donc de dénoncer les situations singulièrement anormales, que nous ne devrions plus tolérer.

J’évoquais à l’instant une mobilité sans égale pour les hauts fonctionnaires par rapport aux autres catégories. Ne nous trompons pas, là non plus, sur les conséquences de ce que l’on appelle familièrement le « pantouflage » ! La mobilité est un élément essentiel du fonctionnement des grands corps de l’État. En renouvelant des effectifs peu mobiles, elle permet de placer les personnes les plus compétentes aux postes les plus adéquats. En cela, elle est saine et mérite d’être encouragée sans tabou.

L’objet n’est donc pas ici, je le répète, de supprimer ou de porter atteinte à cette possibilité d’aller et venir entre le public et le privé, mais uniquement d’en éviter les dérives.

Plus encore, cette mobilité permet de répondre aux besoins de l’administration. De fait, il y a aujourd’hui un besoin croissant d’expertise technique, l’efficacité d’une administration ou d’une autorité publique dépendant aussi, et surtout, du degré de connaissance des secteurs sur lesquels elle travaille.

Prenons pour exemple l’Autorité des marchés financiers. L’État dispose de peu d’expertise particulière en la matière, ses fonctionnaires n’étant pas ou peu formés à ces problématiques. L’essentiel du secteur n’étant pas public, l’expérience de certains fonctionnaires dans les entreprises privées, puis leur retour dans l’administration entraînent de fait un gain en expertise comme en expérience. Un gain précieux, puisque, dans les secteurs qu’elle influence, voire qu’elle réglemente, notre administration ne peut être au niveau qu’en connaissant leurs rouages. Force est de constater que le pantouflage participe à cette connaissance, bien au-delà de cet exemple particulier.

En plus de participer à l’expertise nécessaire dans les hautes sphères de l’administration, il convient aussi de rappeler que la mobilité est une pratique encadrée. Contrairement à ce que certains laissent entendre, tout n’est pas permis. L’article 432–13 du code pénal prévoit en effet un délit de prise illégale d’intérêts. De plus, la commission de déontologie, visée par la présente proposition de loi, est d’ores et déjà chargée de vérifier qu’un agent de la fonction publique est légitime pour occuper les emplois privés auxquels il postule.

Malgré ces garde-fous, il y a – je l’ai déjà dit – des abus. Ils sont de deux types.

Le premier abus concerne une minorité de hauts fonctionnaires, qui ne respectent pas l’engagement décennal incombant aux élèves de l’École nationale d’administration, de l’École polytechnique ou de l’École normale supérieure. Le fonctionnaire qui, élève, a vu ses frais de scolarité pris en charge par l’État se doit au minimum de les rembourser s’il quitte l’administration prématurément.

Ces écoles, dont les concours d’entrée figurent parmi les plus difficiles de notre pays, n’ont pas vocation, à nos yeux, à former des cadres d’entreprises privées. Elles ont été créées pour démocratiser l’accès à la haute fonction publique ; il ne faut pas que cet objectif initial se perde.

Le second abus, bien plus grave, concerne les conflits d’intérêts, auxquels peuvent être confrontés les hauts fonctionnaires. Vous n’êtes pas, mes chers collègues, sans connaître la théorie de la capture, qui décrit schématiquement comment les moyens de réglementation et le pouvoir coercitif de l’État peuvent être utilisés et orientés afin de servir des intérêts privés. Avec la notion de « pantouflage », nous nous rapprochons de cette théorie de George Stigler. Effectivement, un fonctionnaire peut être tenté de favoriser une entreprise en vue d’un poste futur ou, une fois de retour dans l’administration, au nom de relations professionnelles passées. Ces situations ne devraient pas se produire, ne devraient plus se produire !

C’est pourquoi nous ne sommes pas opposés, sur le principe, à la présente proposition de loi et aux objectifs qu’elle cherche à atteindre.

Ce texte n’aborde que le seul aspect de la prévention des conflits d’intérêts. Il est vrai que la commission de déontologie de la fonction publique doit avoir les moyens de jouer pleinement le rôle qui lui était destiné lors de sa création en 1993. Mais ce n’est pas le seul moyen disponible pour contrôler le pantouflage et prévenir les conflits d’intérêts.

Peut-être aurait-il été plus constructif de réfléchir à un statut de la haute fonction publique – avant que le Gouvernement ne nous impose sa vision –, plutôt que de nous concentrer uniquement sur les modalités de contrôle. Des amendements vont en ce sens, nous en reparlerons dans la suite du débat.

La confiance dans l’État et dans la fonction publique passe nécessairement par la prévention des conflits d’intérêts. Mais trop souvent, et à tort, les fonctionnaires sont désignés comme responsables des problèmes de notre pays. Les parlementaires sont aussi, parfois, victimes de ce phénomène… Nous appelons donc de nos vœux une réforme globale du statut de la fonction publique, qui inclurait la reconnaissance de la catégorie A+, tout en renforçant la déontologie de l’administration. C’est par là que passeront l’amélioration des services publics et le retour de la confiance des citoyens dans leurs administrations. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. Yves Bouloux applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot.

M. Jacques Bigot. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, chère collègue auteur, avec les membres de votre groupe, de cette proposition de loi, mes chers collègues, le groupe socialiste et républicain est extrêmement réservé à propos de ce texte, non pas sur la question de la lutte et de la prévention contre les conflits d’intérêts, mais sur l’opportunité de rajouter, aujourd’hui, une loi à la loi.

Monsieur le secrétaire d’État, je pense que nous devrions nous inspirer fortement de ce que le Conseil d’État vient de dire à votre gouvernement à propos du projet de loi pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif : un texte a déjà été adopté en mars 2016 sur le même sujet, vous n’avez pas eu le temps d’examiner comment il fonctionne et, déjà, vous voulez en faire un autre ! (M. Jean-Pierre Sueur s’exclame.)

Il en est de même pour la présente proposition de loi : a-t-on suffisamment fait le tour des difficultés d’application de la loi de 2013 pour aller aujourd’hui plus loin, la compléter et la renforcer ? Il me semble que ce n’est pas le sentiment de Mme la rapporteur, puisqu’elle a proposé de nuancer sensiblement l’esprit de la proposition initiale…

Sur ce sujet, comme sur d’autres, il est nécessaire de regarder comment les textes sont appliqués et ressentis.

Monsieur le secrétaire d’État, vous avez vous-même dénoncé, en un autre temps de votre vie politique, une telle précipitation : c’était au mois de juillet 2017, lorsque le Gouvernement, dont vous n’étiez pas encore membre, s’est précipité pour faire adopter une loi relative aux élus. Je rappelle que vous aviez alors soutenu une motion de renvoi en commission, en vous appuyant sur la rapidité de la procédure et le manque de temps. Vous aviez même fait grief à la commission des lois de l’Assemblée nationale d’avoir exclu du texte les propositions du Sénat relatives aux conflits d’intérêts dans la fonction publique – rappel qui doit ravir notre président de commission…

On le voit bien, il est indispensable, sur de tels sujets, de prendre le temps de la réflexion. C’est d’ailleurs ce qu’a fait l’Assemblée nationale : un rapport d’information vient d’être adopté, ce qui permet d’évaluer la situation et de mener des débats.

Le vrai sujet de la déontologie, c’est qu’elle appartient à un corps social, celui de la fonction publique. Nous avons fait le choix, en 2013, de laisser ce corps social s’occuper de la déontologie des fonctionnaires, y compris en ce qui concerne les départs. C’est notamment le rôle de la commission de déontologie mise en place auprès du Premier ministre. Il nous faut voir comment tout cela est appliqué.

La déontologie peut présenter le danger de n’être que l’exercice d’un corps social et de ne pas se pratiquer dans la transparence. Il peut alors y avoir, de la part de nos concitoyens, une revendication à ce sujet, menant à la conclusion qu’une commission interne à une administration ne suffit pas et que l’autorité responsable doit être indépendante. Mais à mon avis, cela ne doit pas se faire dans la précipitation, il faut d’abord s’assurer que la haute fonction publique n’est pas capable de gérer elle-même la question.

Le sujet reste éminemment compliqué, parce que extrêmement délicat. J’entends dire, y compris de la part de l’actuel président de la République, qui est membre de la haute fonction publique et a lui-même fait des « voyages » à l’extérieur, que cette possibilité de partir dans le privé, puis de revenir dans le public est une richesse. Certes, c’est une richesse, mais c’est souvent aussi, il ne faut pas le nier, un enrichissement personnel. (Sourires sur plusieurs travées. – M. le président de la commission des lois ainsi que M. le secrétaire dÉtat sourient également.)

Cette possibilité peut naturellement constituer une richesse en termes de formation, mais la lecture du rapport d’information de l’Assemblée nationale, que j’ai évoqué, révèle que l’essentiel des mouvements dans la haute fonction publique provient des départs dans le privé des membres du corps des ingénieurs des ponts, des eaux et des forêts et de celui de l’inspection générale des finances. On peut donc s’interroger.

Nos grandes écoles sont là – dit-on ! – pour former l’élite de la Nation, celle dont un certain nombre de nos concitoyens pensent peut-être, aujourd’hui, qu’elle gouverne plus la France que les élus eux-mêmes (M. Pierre-Yves Collombat renchérit. – M. Arnaud Bazin applaudit.), y compris les parlementaires – certains envisagent pourtant, au détour d’une réforme constitutionnelle, d’enlever à ces derniers encore un peu plus de pouvoir !

Mais posons-nous franchement la question : si quelqu’un choisit d’entrer dans l’une de ces grandes écoles, qui destinent leurs élèves à la fonction publique, ne doit-il pas avoir pour premier objectif de rester dans cette même fonction publique ? Si une personne choisit, à 20 ou 21 ans, de devenir fonctionnaire de cette manière, est-ce pour avoir un excellent diplôme et, ensuite, aller ailleurs pour très bien gagner sa vie ?

On le voit, la question va au-delà du seul sujet des conflits d’intérêts et il nous faudra bien l’aborder. Je cite un autre exemple, également tiré du rapport d’information de l’Assemblée nationale : qu’apporte à la fonction publique le recrutement, en 2016, du directeur général du Trésor comme managing partner au sein d’un fonds d’investissement ? Il a évidemment été choisi en raison de ses compétences, mais aussi de la connaissance qu’il pouvait avoir : les portes ouvertes, les réseaux, les modes de fonctionnement. Est-ce complètement normal ?

Ce n’est pas la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui qui va régler cette question ; même si des amendements sont adoptés, elle ne modifiera qu’à la marge les textes existants, qui permettent déjà de sanctionner d’éventuels conflits d’intérêts.

La déontologie est d’abord une affaire d’état d’esprit et c’est cet état d’esprit qui n’apparaît peut-être pas suffisant, aujourd’hui, dans la haute fonction publique.

Il n’est pas nécessairement mauvais de quitter, un temps, la fonction publique pour le secteur privé, mais à mes yeux, cela doit se faire dans l’idée d’acquérir de l’expérience pour le moment du retour et pas pour satisfaire des intérêts de carrière strictement personnels.

Ces mobilités sont utiles, elles peuvent certes entraîner des conflits d’intérêts, mais nul besoin d’ajouter des dispositions au droit pénal existant, si tant est que les fonctionnaires puissent acquérir, dès leur formation, le sens de la déontologie.

Il faut d’abord nourrir « l’état d’esprit » de la déontologie avant de penser à ajouter encore des articles à la loi, car nous risquons alors, comme le dit le Conseil d’État, de rendre le droit incompréhensible et inapplicable.

Pour cette raison, le groupe socialiste et républicain est très réservé sur cette proposition de loi. Nous attendons de voir ce qu’il en restera avant de nous prononcer, mais nous savons de toute façon, madame la rapporteur, qu’il en restera finalement fort peu… (Mme Angèle Préville, M. Jean-Pierre Sueur, Mme Michèle Vullien et M. Thani Mohamed Soilihi applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret.

M. Claude Malhuret. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mes chers collègues, notre pays peut compter sur une fonction publique de grande qualité, qui s’inscrit dans une tradition ancienne de probité. Je souhaite tout particulièrement, à cette tribune, en souligner l’excellence.

Cette proposition de loi visant à renforcer la prévention des conflits d’intérêts des hauts fonctionnaires lors de leur mobilité dans le secteur privé ne relève donc pas d’une quelconque culture du soupçon, d’autant plus que la déontologie et l’encadrement des conflits d’intérêts des fonctionnaires sont loin d’être des questions contemporaines.

Les évolutions législatives récentes ne constituent qu’une étape – assurément majeure – d’un processus ancien.

L’émergence de principes déontologiques est, d’un point de vue historique, concomitante de l’apparition d’une catégorie d’agents spécialisés au service de la Couronne. À titre d’exemple, l’ordonnance de Saint Louis sur la réforme de l’administration et de la police du Royaume consacrait déjà, en 1254, le principe d’intégrité des agents publics.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Bravo !

M. Claude Malhuret. De nos jours, la mobilité des fonctionnaires constitue un véritable outil de valorisation des carrières et des compétences. Pour cette raison, elle doit être encouragée, d’autant plus que la France souffre d’un manque d’attractivité.

Parallèlement, il est important de demeurer vigilant quant aux risques de conflits d’intérêts qui peuvent survenir en cas de « pantouflage ».

L’équilibre entre la double nécessité de favoriser la mobilité des fonctionnaires et d’éviter les situations de conflits d’intérêts doit être recherché. Si le dispositif légal actuel en matière de déontologie est abouti, notamment grâce aux dernières évolutions, il peut toutefois faire l’objet d’ajustements opérationnels.

C’est ce qui explique les initiatives déjà prises par le Sénat et le dépôt, par M. Jean-Claude Requier et plusieurs de nos collègues, de cette proposition de loi visant à renforcer la prévention des conflits d’intérêts liés à la mobilité des hauts fonctionnaires.

Si je souscris à l’objectif d’une prévention renforcée des conflits d’intérêts, ce texte appelle néanmoins un certain nombre de remarques.

Tout d’abord, il apparaît difficile de quantifier la mobilité des fonctionnaires vers le secteur privé en raison de l’absence, à la fois, de données et de définition de la haute fonction publique.

Ensuite, on peut regretter que ce texte arrive en examen, alors que la loi du 20 avril 2016 n’est pleinement applicable que depuis le 1er février 2017, date d’entrée en vigueur des derniers décrets d’application.

Enfin, plusieurs dispositions de la proposition de loi soulèvent des questions juridiques ou pratiques qui risqueraient de réduire l’attractivité de la fonction publique, sans pour autant permettre d’atteindre efficacement l’objectif recherché. Tel est le cas des articles 1er, 2, 3 et 6, que la commission des lois a supprimés sur l’initiative du rapporteur.

La commission a également modifié les articles 4, 5 et 7 pour en affiner le périmètre d’application ou en clarifier la rédaction. Elle a enfin introduit un article 4 bis tendant à rendre obligatoire la publication des avis de la commission de déontologie de la fonction publique, selon les modalités que celle-ci fixerait.

Je souhaite m’attarder sur cette disposition, car la question de la transparence est ici centrale.

Cette initiative répond à la préoccupation des administrations, qui regrettent la méconnaissance des avis de la commission de déontologie, n’en étant pas destinataires.

Par ailleurs, cette publicité permettra de s’aligner sur les pratiques existant, par exemple, au Conseil d’État, où les avis du collège de déontologie font l’objet d’une publication in extenso et dès leur délibération sur le site internet où ils sont anonymisés.

Enfin, je regrette que la transformation de la commission de déontologie en autorité indépendante n’ait pas été retenue. Plusieurs rapports relatifs à la déontologie dans la fonction publique, dont le récent rapport d’information des députés Matras et Marleix, préconisent une clarification du positionnement institutionnel de la commission de déontologie, qui est, pour l’heure, placée auprès du Premier ministre.

L’exigence d’indépendance inhérente à ses travaux et le fait que la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique soit devenue une autorité administrative indépendante en 2013 plaident pour ce changement de statut.

J’ai donc déposé un amendement, avec mes collègues du groupe des Indépendants, visant à ériger la commission de déontologie de la fonction publique en autorité administrative indépendante. Cette transformation serait un premier pas vers une fusion avec la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, répondant ainsi à un souci de clarification et de simplification du cadre déontologique dans la sphère publique.

Avant de conclure, je souhaite saluer l’objectivité et l’impartialité du rapporteur, Josiane Costes, qui a guidé l’ensemble des travaux.

Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, si de nombreuses suppressions d’article ont été opérées au cours de l’examen par la commission des lois, en revanche, certaines avancées ne sont pas négligeables, comme la publication des avis de la commission de déontologie, ou l’extension de son contrôle au recrutement des secrétaires généraux et directeurs généraux des autorités administratives indépendantes ou des autorités publiques indépendantes, ainsi que vis-à-vis des fonctionnaires réintégrant le secteur public après un passage dans le secteur privé.

Aussi, pour ces raisons, le groupe des Indépendants votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et sur des travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à M. Marc Laménie. (M. le président de la commission des lois applaudit.)

M. Marc Laménie. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, madame le rapporteur, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord saluer les auteurs de cette proposition de loi visant à renforcer la prévention des conflits d’intérêts liés à la mobilité des hauts fonctionnaires. Il s’agit d’un sujet important, qui mérite une attention toute particulière.

Ce texte doit, à mon sens, être rapproché des projets de loi que nous avons examinés l’été dernier, en juillet et début août, en présence de Mme le garde des sceaux, sur la transparence de la vie politique. Beaucoup de sujets concernant députés et sénateurs avaient alors été évoqués : la réserve parlementaire, l’éthique, la morale, la transparence.

Je remercie les membres du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen de nous permettre de faire un tel parallèle avec les hauts fonctionnaires.

Nous sommes toutes et tous convaincus du dévouement de l’ensemble des serviteurs de l’État et nous connaissons aussi la complexité et l’ancienneté des questions qui sont ici soulevées.

Cette proposition de loi pose notamment la question de l’attractivité des trois fonctions publiques – fonction publique d’État, fonction publique hospitalière et fonction publique territoriale – de la mobilité et du lien avec les grandes écoles – l’ENA, l’École polytechnique, l’École nationale des Ponts et Chaussées –, l’Université… Ce ne sont pas des questions simples.

Je rappelle aussi que nombre de fonctionnaires et d’élus doivent, comme les parlementaires, transmettre à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique des déclarations liées à leur patrimoine et aux conflits d’intérêts.

La fonction publique est soumise à des règles de déontologie et à des valeurs éthiques et morales et il existe une instance spécifique, la commission de déontologie de la fonction publique. Je salue à nouveau, à cet instant de nos débats, le dévouement de l’ensemble des serviteurs de l’État comme des deux autres fonctions publiques.

Se pose aussi le problème de la rémunération des hauts fonctionnaires, qui ont parfois le sentiment d’une baisse d’attractivité de leurs carrières, ce qui peut expliquer le lien entre les secteurs public et privé.

Chaque année, au moment de l’examen du projet de loi de finances, nous voyons bien, avec mes collègues de la commission des finances, le niveau des moyens humains et les différences qui peuvent exister entre les ministères et entre les catégories de serviteurs de l’État, que ce soit dans l’éducation nationale, la préfectorale, la défense, la sécurité… En tant que représentants des territoires, nous regardons attentivement la mission « Administration générale et territoriale de l’État », qui concerne notamment les préfets et sous-préfets, mais la question est plus large.

Nous devons aussi prendre en compte le nombre de hauts fonctionnaires, rappelé par Mme le rapporteur – il est compris entre 12 000 et 34 000 agents et pourrait atteindre 100 000 en comptabilisant les maîtres de conférences –, ainsi que les missions de service public et l’intérêt général.

En ce qui concerne la déontologie, vous avez particulièrement insisté, monsieur le secrétaire d’État, sur les notions de confiance, d’intégrité et de probité, qui sont, en effet, des valeurs essentielles. Elles le sont d’ailleurs à tous les niveaux – élus comme fonctionnaires – et c’est pourquoi je me suis permis de faire le lien avec la loi sur la transparence de la vie politique.

Le texte que nous examinons a au moins le mérite de faire des propositions pour que les choses avancent sur tous ces sujets.

Pour conclure, le groupe Les Républicains suivra la position du président de la commission des lois, Philippe Bas. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. le président de la commission des lois et M. Loïc Hervé applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.

M. Thani Mohamed Soilihi. Vous l’avez rappelé, madame la rapporteur, la France peut s’enorgueillir de pouvoir compter sur une fonction publique de grande qualité, dénombrant plus de 5 millions de fonctionnaires.

Parce qu’elle présente une utilité réelle pour les agents, notamment les hauts fonctionnaires, et leurs employeurs publics, la mobilité doit être encouragée.

À l’intérieur même de la fonction publique d’État, elle permet aux fonctionnaires de construire des trajectoires plus riches et d’acquérir une expertise sur des problématiques très diverses.

Entre le secteur public et le secteur privé, elle donne les outils pour appréhender de façon concrète les besoins des entreprises et des associations et participer ainsi efficacement à l’élaboration et à la mise en œuvre des politiques publiques.

Enfin, les échanges internationaux doivent occuper une place-clef dans la formation continue des hauts fonctionnaires, car ils permettent de décentrer le regard et d’évaluer l’efficacité de nos techniques administratives.

La connaissance, par ces hauts fonctionnaires, des différents versants de notre fonction publique, du fonctionnement tant des structures partenaires du secteur privé que des administrations étrangères est un gage d’efficacité.

Néanmoins, si l’État et l’opinion publique attendent de leurs hauts fonctionnaires que ceux-ci soient opérationnels, ils souhaitent avant tout qu’ils soient exemplaires. Notre action publique et, par extension, les agents publics qui la mettent en œuvre doivent être au-dessus de tout soupçon, surtout au regard de la défiance actuelle de nos concitoyens envers ceux qui exercent une activité publique.

C’est dans ce contexte que notre assemblée examine la présente proposition de loi, dont l’objectif est d’encadrer plus strictement la mobilité des hauts fonctionnaires entre fonction publique et secteur privé, en renforçant les mécanismes de prévention des conflits d’intérêts qui y sont liés, notamment en développant les compétences et les prérogatives de la commission de déontologie de la fonction publique.

Ce texte présente l’intérêt d’engager en séance publique un débat sur la haute fonction publique et la prévention des conflits d’intérêts, ainsi que sur l’équilibre délicat à trouver entre la nécessité d’encourager la mobilité et cet indispensable encadrement des conflits d’intérêts.

Néanmoins, cette proposition de loi me pose un réel problème de calendrier, car elle survient soit trop tard, soit trop tôt. Je m’explique : la loi « déontologie des fonctionnaires » du 20 avril 2016, qui a permis d’élargir le périmètre de compétences de la commission de déontologie, notamment à toutes les questions relatives aux conflits d’intérêts, et qui a rendu obligatoire la saisine de cette commission par l’agent public préalablement à l’exercice d’une activité extérieure, n’est applicable que depuis un peu plus d’un an. Elle n’a pas, pour l’heure, fait l’objet d’une évaluation mesurant l’efficacité des dispositifs qu’elle contient. Dès lors, il me paraît prématuré de légiférer de nouveau sur ce sujet.

Par ailleurs, le groupe du RDSE a présenté cette proposition de loi le 3 janvier dernier, soit moins d’un mois avant la remise du rapport de la mission de la commission des lois de l’Assemblée nationale portant sur la déontologie des fonctionnaires et l’encadrement des conflits d’intérêts, menée par les députés Fabien Matras et Olivier Marleix. Dans un esprit de respect des travaux engagés par chacune des chambres, il eût été préférable, me semble-t-il, d’attendre et de laisser l’initiative parlementaire à ceux qui avaient engagé publiquement ce travail dès le mois d’août 2017.