M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. L’avis est également défavorable, pour les raisons indiquées par M. le rapporteur. De surcroît, l’emploi des termes : « en particulier » rendrait la phrase incorrecte : on n’exerce pas un respect. Si l’on tenait à utiliser cette locution, il conviendrait de récrire la phrase, ce qui nous conduirait à sortir du champ de la transposition de la directive.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 83 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L’amendement n° 9 est présenté par MM. Bocquet, Collombat et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

L’amendement n° 45 est présenté par MM. J. Bigot, Leconte et Kanner, Mme de la Gontrie, MM. Durain, Sueur, Assouline et Courteau, Mmes Taillé-Polian, Lienemann et les membres du groupe socialiste et républicain.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Après l’alinéa 31

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« …° Pour exercer toute activité d’enseignement et de recherche par des enseignants et enseignants-chercheurs, sous quelque forme et sur quelque support que ce soit ;

La parole est à Mme Michelle Gréaume, pour présenter l’amendement n° 9.

Mme Michelle Gréaume. Il s’agit de faire en sorte que le secret des affaires ne puisse être invoqué de manière constante pour déclencher des procédures à l’endroit d’un certain nombre de personnes.

Tout notre débat sur cette partie du texte concerne la question de la primauté du secret des affaires sur toute autre considération.

À la vérité, ce débat pourrait prendre une mauvaise tournure si nous retenions le pire pour ce qui est du droit des affaires et le pire pour le reste, c’est-à-dire la restriction des droits fondamentaux.

Concernant la liberté d’informer, je rappellerai les termes de l’article 11 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne :

« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontières.

« 2. La liberté des médias et leur pluralisme sont respectés. »

Quant à l’article 13 de la Charte, il est encore plus explicite : « Les arts et la recherche scientifique sont libres. La liberté académique est respectée. » On ne saurait être plus clair.

La liberté académique, c’est le respect du travail des chercheurs scientifiques, qui ne sont pas a priori soumis à une forme d’obligation de résultat et n’ont donc surtout pas de comptes à rendre au nom de je ne sais quelle logique commerciale et mercantile.

Au travers de cet amendement que nous vous invitons à adopter, mes chers collègues, il s’agit par exemple, en dernière instance, d’éviter des procédures qui pourraient, si nous n’y prenions garde, nous priver de la possibilité de connaître des désordres sanitaires causés par certaines spécialités pharmaceutiques aux effets indésirables.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour présenter l’amendement n° 45.

M. Jean-Yves Leconte. Cet amendement concerne la protection de la recherche dans le cadre du secret des affaires.

M. le rapporteur a exprimé à plusieurs reprises, lors de nos travaux en commission, son incompréhension de voir évoquer le cas des chercheurs à l’occasion de l’examen du présent texte.

Pourtant, le fait que le considérant 1 de la directive fasse référence aux organismes de recherche témoigne de l’importance accordée au sujet : « les entreprises comme les organismes de recherche non commerciaux investissent dans l’obtention, le développement et l’utilisation de savoir-faire et d’informations qui constituent la monnaie de l’économie de la connaissance et qui confèrent un avantage concurrentiel ».

Les organismes de recherche, eu égard à leurs travaux en matière de développement et d’utilisation des savoir-faire, s’inscrivent sans débat possible dans le périmètre du secret des affaires.

La question qui se pose au législateur est celle de l’articulation entre ces deux acteurs, car s’ils interviennent dans un même champ, ils n’œuvrent pas au titre des mêmes intérêts, au point que, de plus en plus souvent, les chercheurs ou les enseignants-chercheurs font l’objet d’actions en justice en raison de leurs activités, celles-ci, d’intérêt public, pouvant entrer en contradiction avec les intérêts privés des entreprises.

C’est pourquoi nous proposons que le secret des affaires ne soit pas opposable aux activités d’enseignement et de recherche.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Je ne vois toujours pas pourquoi les enseignants-chercheurs et les enseignants bénéficieraient d’un régime dérogatoire spécifique au regard du secret des affaires. La directive ne prévoit rien de tel, comme en témoigne d’ailleurs votre citation, monsieur Leconte : elle vise les organismes de recherche, absolument pas les organismes d’enseignement, non plus que les enseignants ou les chercheurs en tant que personnes.

Je maintiens ce que j’ai dit ce matin en commission lorsque nous avons abordé l’examen de ces amendements : je ne vois pas pourquoi nous devrions instaurer un régime dérogatoire pour des enseignants-chercheurs qui, par principe, par fonction, par nature, ne sont pas et n’ont pas à être détenteurs d’un secret des affaires.

L’exception prévue par la directive pour les lanceurs d’alerte s’applique quel que soit le métier exercé par ceux-ci, et elle concerne donc, en particulier, les enseignants-chercheurs.

La commission est défavorable à ces deux amendements.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Avis défavorable également.

Pour compléter les propos de M. le rapporteur, j’indique que les enseignants-chercheurs pourront invoquer l’exercice de leur liberté d’expression, dont la protection est prévue à l’article L. 151-7 nouveau du code de commerce, s’ils sont attraits devant une juridiction pour atteinte à un secret des affaires.

Je rappelle par ailleurs que les enseignants-chercheurs bénéficient d’une véritable protection, de niveau constitutionnel, de leur liberté et de leur indépendance.

L’ensemble de ces éléments devrait être de nature à rassurer les auteurs de ces deux amendements, qui me semblent satisfaits.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.

M. Jean-Yves Leconte. La recherche doit être intégrée dans le champ des dérogations prévues. À côté de la liberté d’information, de la liberté d’expression, il me semble important de maintenir dans notre pays la liberté d’innover, la liberté de chercher, la liberté d’évoquer les sujets de recherche.

C’est au nom de la liberté d’innover que nous voterons l’amendement n° 45.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Sueur. Madame la ministre, vos propos sur les garanties qui s’appliquent aux universitaires et aux chercheurs scientifiques plaident en faveur de cet amendement.

Monsieur le rapporteur, vous avez dit qu’il n’y avait aucune raison que les universitaires soient exclus du dispositif et bénéficient d’une dérogation. Franchement, je ne comprends pas pourquoi il y aurait une dérogation pour les organes de presse et pas pour les chercheurs. Vous savez très bien que des enseignants-chercheurs travaillent sur les sujets économiques, ce qui les conduit à s’intéresser de très près à l’activité des entreprises. Si l’on met une barrière à la recherche, en particulier en sciences sociales ou en économie, on portera atteinte à la liberté de la recherche dans ce pays. C’est pourquoi cet amendement me semble vraiment justifié.

M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.

M. Pierre Ouzoulias. Ce sujet est absolument essentiel.

Aujourd’hui, quand un enseignant-chercheur donne un sujet de thèse à un étudiant, il ne se demande pas si les résultats de ces travaux pourraient conduire une entreprise à engager des poursuites au titre du secret des affaires. Si l’on n’exclut pas les enseignants-chercheurs du champ d’application de ce texte, ils se trouveront obligés, demain, de saisir les services juridiques de leur université afin qu’ils déterminent si, le cas échéant, leurs travaux ne seraient pas susceptibles d’engager la responsabilité juridique de celle-ci. Cela va très loin ! Il s’agirait d’une restriction fondamentale du domaine de la recherche. Adopter ces amendements est indispensable pour préserver la recherche sur le vivant naturel et sur le vivant social.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Quelque chose m’échappe. Un étudiant ou un chercheur…

M. Jean-Pierre Sueur. Un chercheur !

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. M. Ouzoulias a aussi parlé des étudiants, mon cher collègue.

Un étudiant ou un chercheur, disais-je, aurait-il donc accès, du fait de ses travaux, au secret des affaires d’une entreprise ? Au regard de la définition qu’en donne la directive, qui sera bientôt transposée dans notre code de commerce, il apparaît que le secret des affaires n’est accessible qu’à des administrations, à des journalistes ou à des lanceurs d’alerte enquêtant sur des actes illicites ou malveillants commis par des entreprises.

M. Jean-Yves Leconte. Un chercheur peut trouver…

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Je n’ai jamais entendu parler d’une thèse ou d’un travail de recherche nécessitant l’accès à un secret d’affaires d’une entreprise. Quelle entreprise serait assez « cinglée » pour confier à un chercheur ses secrets de fabrication ou lui dévoiler ses algorithmes, au risque d’affaiblir sa position par rapport à ses concurrents ? Ouvrir l’accès à l’algorithme de Deezer, par exemple, ne ferait de toute façon pas avancer d’un iota la recherche.

Ce que vous dites n’a donc aucun sens ! On introduit vraiment beaucoup de confusion dans cette discussion.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 9 et 45.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi de sept amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

Les amendements nos 53 et 58 sont identiques.

L’amendement n° 53 est présenté par M. Mohamed Soilihi et les membres du groupe La République En Marche.

L’amendement n° 58 est présenté par le Gouvernement.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Alinéas 32 et 33

Remplacer ces alinéas par un alinéa ainsi rédigé :

« 2° Pour révéler, dans le but de protéger l’intérêt général et de bonne foi, une activité illégale, une faute ou un comportement répréhensible, y compris lors de l’exercice du droit d’alerte tel que défini par l’article 6 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique ;

La parole est à M. Arnaud de Belenet, pour présenter l’amendement n° 53.

M. Arnaud de Belenet. Nous proposons de rétablir la rédaction de l’article L. 151-6 du code de commerce, telle qu’issue des travaux de l’Assemblée nationale, concernant l’exception à la protection du secret des affaires au profit des lanceurs d’alerte.

La rédaction de cet article élaborée par la commission des lois du Sénat distingue deux régimes de protection des lanceurs d’alerte, au risque de restreindre le champ d’application de l’exception.

En revanche, la locution « y compris » figurant dans la rédaction de l’Assemblée nationale permet d’associer les deux définitions de manière cumulative, et ainsi d’assurer une meilleure protection des lanceurs d’alerte.

Par ailleurs, l’article 5 de la directive, d’application stricte, définit le lanceur d’alerte de manière plus large que l’article 6 de la loi de 2016. Ainsi, la rédaction des alinéas 32 et 33 de l’article 1er proposée par la commission des lois du Sénat n’est, hélas, pas conforme à celle de la directive.

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, pour présenter l’amendement n° 58.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. L’exception à la protection du secret des affaires qui est instituée au bénéfice des lanceurs d’alerte a suscité des débats assez vifs à l’Assemblée nationale. Au nom du Gouvernement, je souhaite revenir au texte issu des travaux de cette assemblée.

Je tiens d’abord à réaffirmer que l’article 5 de la directive définit plus largement le lanceur d’alerte que l’article 6 de la loi Sapin II, ce que traduisait justement la locution « y compris » figurant dans le texte voté par l’Assemblée nationale.

Les lanceurs d’alerte au sens de la loi de 2016 bénéficient bien de la dérogation prévue par la directive. Or la distinction opérée par le texte de la commission des lois du Sénat peut laisser entendre que tel ne serait pas le cas.

Je relève par ailleurs que le texte élaboré par la commission des lois du Sénat renvoie non seulement à l’article 6 de la loi Sapin II, mais également à l’ensemble des dispositions de cette loi relatives au droit d’alerte. Cela induit que l’exception à la protection du secret des affaires ne serait effective qu’en cas de respect de la procédure d’alerte, condition qui n’est pas prévue par la directive, ce qui tend donc à restreindre le champ de l’exception.

Je rappelle enfin que l’article 5 de la directive est d’interprétation stricte, de sorte que la rédaction des 2° et 2° bis de l’article L. 151-7 du code de commerce proposée par la commission ne me semble pas conforme à celle-ci.

Je propose donc de rétablir le texte de l’Assemblée nationale.

M. le président. L’amendement n° 11, présenté par MM. Bocquet, Collombat et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Alinéa 32

Supprimer les mots :

de bonne foi

La parole est à M. Éric Bocquet.

M. Éric Bocquet. Je retire l’amendement, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 11 est retiré.

L’amendement n° 27 rectifié, présenté par Mmes Lienemann, Jasmin et Meunier, M. Mazuir, Mme G. Jourda, M. Tourenne, Mme de la Gontrie, M. Jomier, Mme Préville et M. Cabanel, est ainsi libellé :

Alinéa 32

Remplacer les mots :

ou d’un comportement répréhensible

par les mots :

, d’un comportement répréhensible ou d’une menace pour les droits humains et les libertés fondamentales

La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. La directive renvoie, notamment dans ses considérants et ses dérogations, à la complémentarité du droit de l’Union européenne et du droit national.

Or la France a adopté le 23 mars 2017 la loi sur le devoir de vigilance, dont l’objet est de prévenir, autant que possible, « les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes, ainsi que l’environnement » résultant des activités économiques au sein des chaînes de valeur.

Le texte que nous examinons ne saurait permettre aux entreprises de réduire la portée de l’obligation que leur impose cette loi en matière de publication et de transparence, ni de priver d’effectivité le dispositif de cette dernière, notamment en empêchant son utilisation par les personnes qu’il est censé protéger.

Le plan de vigilance est un instrument de garantie effective de droits fondamentaux, la valeur constitutionnelle des droits humains et des libertés fondamentales étant consacrée par l’alinéa 11 du Préambule de la Constitution de 1946, consacrant un droit à la santé et à la sécurité.

M. le président. L’amendement n° 70 rectifié, présenté par MM. Labbé, Arnell et Artano, Mme M. Carrère, M. Corbisez, Mme Costes, M. Dantec, Mme N. Delattre, M. Gold et Mme Laborde, est ainsi libellé :

Alinéa 32

Après le mot :

répréhensible

insérer les mots :

, d’une menace ou un préjudice pour l’intérêt général

La parole est à M. Joël Labbé.

M. Joël Labbé. Nous proposons de préciser que le secret des affaires n’est pas protégé dans le cas de la révélation d’une menace ou d’un préjudice pour l’intérêt général. Cet amendement vise ainsi à protéger les lanceurs d’alerte, notamment les personnes morales qui pourraient jouer ce rôle.

Le texte que nous examinons permettra au détenteur licite d’un secret d’agir en justice à l’encontre aussi bien d’une personne physique que d’une personne morale, par exemple une ONG. Il convient, dans l’esprit de la loi Sapin II, de faire en sorte que les personnes morales qui pourraient, en application de la future loi, faire l’objet de poursuites au titre de l’atteinte au secret des affaires, puissent bénéficier des mêmes exonérations que les personnes physiques lorsque l’intérêt général est en jeu. Les personnes morales, comme les ONG, ont tout leur rôle à jouer pour la protection de l’intérêt général.

M. le président. L’amendement n° 71 rectifié, présenté par MM. Labbé, Arnell et Artano, Mme M. Carrère, M. Corbisez, Mme Costes, M. Dantec, Mme N. Delattre, MM. Gabouty et Gold et Mme Laborde, est ainsi libellé :

Alinéa 32

Après le mot :

répréhensible

insérer les mots :

, d’une menace pour les droits humains et les libertés fondamentales

La parole est à M. Joël Labbé.

M. Joël Labbé. Cet amendement vise à concilier le secret des affaires et la loi sur le devoir de vigilance, adoptée le 23 mars 2017.

Cela est permis par la directive, qui renvoie, notamment dans ses considérants et ses dérogations, à la complémentarité du droit de l’Union et du droit national.

La loi sur le devoir de vigilance a pour objet de prévenir, autant que possible, « les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes, ainsi que l’environnement » résultant des activités économiques au sein des chaînes de valeur.

Cette loi a représenté une avancée essentielle pour notre pays ; elle est d’ailleurs aujourd’hui reprise en grande partie par un groupe intergouvernemental de travail mandaté par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU.

Le texte que nous examinons aujourd’hui ne doit pas permettre aux entreprises de réduire la portée de cette loi, notamment en matière de publication et de transparence, ou d’empêcher l’utilisation de son dispositif par les personnes qu’elle est censée protéger.

Si le secret des affaires doit être protégé, cela ne doit cependant pas conduire à remettre en cause la révélation d’une menace pour les droits humains et les libertés fondamentales.

M. le président. L’amendement n° 10, présenté par MM. Bocquet, Collombat et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Alinéa 32

Après le mot :

répréhensible

insérer les mots :

, ainsi que pour la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale

La parole est à M. Éric Bocquet.

M. Éric Bocquet. Le secret des affaires présente peut-être une importance décisive en vue de complaire à certains groupes ou de renforcer l’attractivité de la place de Paris en matière économique, mais il ne peut décemment servir à masquer certaines turpitudes fiscales qui ont encore parfois cours dans notre pays et en Europe.

J’évoquerai à cet égard le dépôt récent, sur le bureau de l’Assemblée nationale, d’un projet de loi de lutte contre la fraude fiscale destiné, nous dit-on, à mettre les choses au clair sur ce sujet en déterminant plus précisément les sommes en jeu en matière de fraude, d’évasion et d’optimisation fiscales.

On le comprendra aisément, on ne peut que placer les lanceurs d’alerte en matière de fraude ou d’évasion fiscale hors du champ d’application du secret des affaires. Sans cela, nous n’aurions jamais eu vent des affaires Luxleaks, « Panama Papers » et autres, qui montrent à quel point certaines entreprises ont parfois pris de mauvaises habitudes en matière de fiscalité…

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur les amendements restant en discussion ?

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Les amendements identiques nos 53 et 58 ont pour objet de revenir à la rédaction de l’Assemblée nationale, qui faisait exception au secret des affaires dans le cas du signalement d’une faute, d’une activité illégale ou d’un comportement répréhensible, y compris pour l’exercice du droit d’alerte prévu par la loi Sapin II.

Manifestement, cette rédaction n’a pas été comprise. C’est pourquoi la commission des lois du Sénat a voulu clarifier les points suivants : deux régimes d’alerte coexistent, au moins dans l’attente de la directive annoncée sur les lanceurs d’alerte, et le dispositif de la loi Sapin II n’est en aucune manière remis en cause.

Dans tous les cas, le problème de l’articulation entre les deux régimes demeurera, et la proposition de loi n’esquisse même pas un début de solution, la transposition de la directive se faisant vraiment a minima sur cette question, par le recours à la locution « y compris », qui permet d’enchaîner l’un à l’autre.

La rédaction adoptée par la commission est conforme à la directive, dès lors qu’elle préserve, dans toute sa pureté, le droit d’alerte général et inconditionnel prévu par l’article 5 de la directive. En tout état de cause, il était parfaitement inutile de mentionner dans ce texte le droit d’alerte inscrit dans la loi Sapin II, car le secret des affaires ne lui est pas opposable, ce qui ressort clairement de sa lecture. Le problème est même venu du fait que l’on veuille mentionner la loi Sapin II dans cette proposition de loi.

En tout état de cause, je recommande à tous les lanceurs d’alerte potentiels d’utiliser la procédure de la loi Sapin II, car elle est plus protectrice pour eux que la formule quelque peu « hors-sol » de la directive.

En conclusion, la locution « y compris », dont la commission a souhaité la suppression, pouvant être interprétée à la fois comme exclusive ou inclusive, selon les personnes que j’ai auditionnées, ce qui introduit un doute, j’émets un avis de sagesse sur ces deux amendements.

Les amendements nos 27 rectifié, 70 rectifié, 71 rectifié et 10 visent en fait tous à étendre le champ du droit d’alerte prévu par la directive à d’autres matières : menace pour les droits de l’homme ou les libertés fondamentales, menace ou préjudice pour l’intérêt général, fraude fiscale. Le texte qui nous est soumis permet la révélation d’une faute, d’une activité illégale ou d’un comportement répréhensible. On peut très raisonnablement prétendre que la notion particulièrement extensive de comportement répréhensible recouvre déjà les matières évoquées par les auteurs des amendements, lesquels sont donc largement satisfaits par le texte.

C’est pourquoi la commission oppose un avis défavorable aux amendements nos 27 rectifié, 70 rectifié, 71 rectifié et 10.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. L’amendement n° 53 est identique à l’amendement n° 58, que j’ai présenté.

Les amendements nos 27 rectifié et 71 rectifié visent à apporter une précision nouvelle sur l’objet de l’alerte, en indiquant qu’elle peut aussi porter sur une menace pour les droits humains ou les libertés fondamentales. Cette précision ne m’apparaît pas nécessaire, car l’alerte pourra porter sur un comportement qui, s’il n’est pas illégal, pourrait être à l’origine d’une menace ou d’un préjudice grave pour l’intérêt général, ce qui répond aux préoccupations des auteurs de ces amendements.

Par ailleurs, cette disposition ayant un objet limité aux conditions dans lesquelles s’applique l’exception prévue au bénéfice des lanceurs d’alerte en cas d’atteinte à un secret des affaires, elle n’aura pas d’incidence sur les mécanismes que les entreprises doivent mettre en œuvre dans le cadre de leur devoir de vigilance, en application de la loi du 23 mars 2017. Ces mécanismes sont en effet autonomes.

Le Gouvernement émet un avis défavorable sur les amendements nos 27 rectifié et 71 rectifié.

Concernant l’amendement n° 70 rectifié, présenté par M. Labbé, l’alerte qui ouvre droit à une dérogation à la protection du secret des affaires peut porter sur une activité illégale, une faute ou un comportement répréhensible. Cela signifie qu’elle peut être relative à des comportements qui, sans être illégaux, sont susceptibles de porter atteinte à l’intérêt général. Il ne fait ainsi aucun doute que les lanceurs d’alerte, au sens du droit interne, pourront invoquer la protection prévue à l’article L. 151-7 du code de commerce. Il me semble donc inutile d’indiquer expressément que l’objet de l’alerte peut porter sur une activité légale, ou encore sur des menaces ou des préjudices pour l’intérêt général.

L’avis est défavorable.

Enfin, je ne suis pas favorable à l’amendement n° 10, qui a pour objet d’indiquer expressément que la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales autorise l’obtention, l’utilisation ou la divulgation d’un secret des affaires. Il me semble que son adoption serait contre-productive, dans la mesure où elle nuirait à la bonne lisibilité de l’alinéa permettant aux lanceurs d’alerte de ne pas encourir de sanction pour avoir commis une atteinte au secret des affaires. Il est certain que l’objet de l’alerte peut concerner des faits de nature fiscale, et que leur révélation peut parfaitement contribuer à la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales. Il me semble donc inutile de l’inscrire expressément dans le texte, d’autant que la rédaction proposée pourrait être interprétée comme restreignant le champ de la mesure de protection pour les lanceurs d’alerte.

M. le président. Mes chers collègues, j’attire votre attention sur le fait que l’adoption des amendements identiques nos 53 et 58 rendrait sans objet les autres amendements faisant l’objet de la discussion commune.

Je mets aux voix les amendements identiques nos 53 et 58.

(Les amendements sont adoptés.)

M. le président. En conséquence, les amendements nos 27 rectifié, 70 rectifié, 71 rectifié et 10 n’ont plus d’objet.

Madame la ministre, mes chers collègues, nous avons déjà examiné près de la moitié des amendements déposés sur ce texte. Je suspendrai la séance à vingt heures ; elle reprendra à vingt et une heures trente, avec un débat d’une durée d’environ deux heures sur une déclaration du Gouvernement, suivi de la suite de la discussion de la présente proposition de loi.

Si nous maintenons le rythme actuel, nous pouvons en avoir terminé vers 1 heure du matin. Sinon, nous devrons reprendre cette discussion demain soir, après les questions d’actualité au Gouvernement et la nouvelle lecture du projet de loi relatif à la protection des données personnelles.

Je soumets ces éléments à votre réflexion…

Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 12, présenté par MM. Bocquet, Collombat et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

I. - Alinéa 36

Après le mot :

obtention

insérer les mots :

, l’utilisation et la divulgation

II - Alinéa 37

Rédiger ainsi cet alinéa :

« 2° La divulgation du secret des affaires par des salariés à leurs représentants est intervenue dans le cadre de l’exercice légitime de leurs fonctions.

La parole est à M. Éric Bocquet.