M. le président. Il faut conclure !

M. Michel Raison, rapporteur. Je conclus, monsieur le président.

Il s’agit, par ce geste fort de la commission des affaires économiques, qui vous propose d’adopter une motion tendant à opposer la question préalable, mes chers collègues, de signifier au Gouvernement et à sa majorité qu’il est plus que temps de répondre au désarroi de nos agriculteurs. Nous ne nous arrêterons du reste pas là, car nous créerons prochainement un groupe de suivi au sein de la commission.

M. Jacques Grosperrin. Très bonne idée !

M. Michel Raison, rapporteur. C’est en effet le travail du législateur de suivre l’application des textes et d’en faire l’évaluation. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – Mmes Nicole Bonnefoy et Nelly Tocqueville applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteur de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi a connu un cheminement assez inédit.

Sur la forme, en début de première lecture au Sénat, nous avons engagé avec vous, monsieur le ministre, un dialogue qui m’a semblé constructif. Vous étiez, comme nous tous, soucieux d’avancer dans le sens des solutions et des perspectives esquissées par les États généraux de l’alimentation. Mais, rapidement, cette bonne volonté s’est heurtée à l’intransigeance, puis aux revirements, d’une majorité gouvernementale qui s’est elle-même désavouée en revenant en CMP sur les positions qu’elle avait adoptées en première lecture. La navette parlementaire, en ce qui concerne l’Assemblée nationale, a donc fonctionné à l’envers, en marche arrière…

Sur le fond, les divergences se sont accentuées pour aboutir, à l’issue de la deuxième lecture à l’Assemblée nationale, à un texte qui alourdit dangereusement la charge des agriculteurs, mais aussi celle des industriels et des collectivités chargées de la restauration publique, aggravant les difficultés qu’il était censé corriger.

L’échec de la commission mixte paritaire sur une disposition pourtant votée à l’identique dans les deux assemblées est injustifiable. La deuxième lecture à l’Assemblée nationale, au cours de laquelle les députés ont ajouté de nouveaux points de désaccord, au mépris de nos institutions, a confirmé cette volonté de refuser le dialogue, volonté préjudiciable au texte et qui trahit les engagements pris lors des États généraux de l’alimentation.

Est-il besoin de rappeler que le revenu agricole, ce sont des prix, bien sûr, mais aussi des charges ? Or, non seulement la mécanique prévue au titre Ier n’améliorera pas le prix payé au producteur, mais le titre II ajoute de nouvelles charges.

C’est particulièrement vrai en matière de produits phytopharmaceutiques. Chacun, ici et ailleurs, est convaincu de la nécessité de limiter l’usage de ces produits, à commencer par l’agriculteur lui-même : il en connaît le coût et les risques, auxquels il est le premier exposé. Mais n’oublions pas que la France est un des pays au monde qui en utilise le moins à l’hectare : moins que les principaux producteurs européens et mondiaux. Les mesures imposées, comme l’interdiction des remises, rabais et ristournes, pèseront lourdement sur les charges des agriculteurs, sans pour autant assurer une réelle réduction de l’usage des produits phytosanitaires.

Ce texte fait craindre une déstabilisation d’un système vertueux de maîtrise des usages mis en place dernièrement dans le cadre des certificats d’économies de produits phytopharmaceutiques – les CEPP –, puisqu’en séparant tout conseil de la vente de produits phytosanitaires, il fait courir le risque qu’il n’y ait plus de conseil du tout.

L’obligation, introduite en nouvelle lecture, de signer des chartes départementales avec les riverains pour définir des zones de non-traitement contraint, elle aussi, de façon inopportune, alors que de nombreuses démarches adaptées et fondées sur le volontariat se diffusent déjà sur tout le territoire.

Ces décisions sont stigmatisantes et culpabilisantes. Elles sont en contradiction totale avec l’esprit de responsabilisation qui a prévalu lors des États généraux de l’alimentation. Sur ces questions, le dogmatisme l’a emporté, sans considération pour les agriculteurs, sans prise en compte des réalités auxquelles ils sont confrontés, voire de leur sécurité.

Deux mesures en témoignent .

L’usage des drones en terrain dangereux sera réservé à l’épandage des seuls produits autorisés en agriculture biologique ou dans le cadre d’une exploitation certifiée sur le plan environnemental, au mépris de la sécurité des autres agriculteurs, soumis aux mêmes risques. Quant à la création du fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques, que le Sénat, je le rappelle, avait adoptée à l’unanimité sur proposition de Nicole Bonnefoy, elle est écartée dans l’attente d’un nouveau rapport – le dernier datant de janvier 2018 –, alors qu’il y a urgence à agir. À l’heure où la justice américaine condamne Monsanto, il y a de quoi s’interroger sur ce report décidé par les élus du « nouveau monde » !

Les agriculteurs ne sont pas les seuls affectés par l’inflation des contraintes introduites dans la seconde partie du texte.

Les gestionnaires de services de restauration collective publique, et donc les collectivités, devront faire face, « dans le même temps », à l’obligation d’améliorer la qualité des repas servis, de proposer au moins un menu végétarien par semaine – mesure pourtant rejetée par les deux assemblées en première lecture – et de renouveler tout le matériel de cantine dès 2020, pour se conformer à l’interdiction des ustensiles en plastique les plus divers, y compris lorsqu’ils ne sont pas à usage unique, comme les boîtes ou les plateaux-repas. Je rappelle que l’objectif prioritaire affiché était de lutter contre l’usage d’ustensiles en plastique jetables !

Cette nouvelle interdiction, ajoutée au détour de la deuxième lecture, sans aucune évaluation de son impact et sans lien avec le texte, vaut pour la restauration collective, mais aussi pour tous les autres usages, qu’il s’agisse de restauration commerciale, de livraison de repas ou de distribution alimentaire et non alimentaire. Tous ces secteurs vont devoir réinvestir dans l’urgence. Les usagers paieront la facture, et que dire des industries françaises et des emplois dont l’existence est menacée à brève échéance ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.) Il est irresponsable de légiférer dans de telles conditions, sans étude d’impact, sans considération des conséquences concrètes, de l’explosion des coûts et des suppressions d’emplois.

Tout laisse à penser, mes chers collègues, que la majorité gouvernementale n’acceptera pas plus, en nouvelle lecture, ce qu’elle a rejeté lors de la première, et qu’elle confirmera le durcissement du texte.

Devant l’inflation des contraintes nouvelles, sans rapport avec le projet initial, la présentation d’une motion tendant à opposer la question préalable s’impose. Il s’agit, pour nous, de marquer notre désaccord, tant sur la méthode que sur le fond, face à un texte qui débouche sur un échec et ne répond pas aux espoirs suscités par les États généraux de l’alimentation.

Cependant notre travail ne s’arrêtera pas là. Il se poursuivra par la constitution d’un groupe de suivi et se prolongera, dès après le vote du texte définitif, par une saisine du Conseil constitutionnel sur les dispositions évoquées qui sont contraires à notre Constitution. J’appelle chacun d’entre vous, mes chers collègues, à la cosigner. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Pierre Médevielle, rapporteur pour avis de la commission de laménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur les conditions dans lesquelles s’est déroulée la CMP, dont l’échec nous conduit à siéger aujourd’hui. Les rapporteurs de la commission des affaires économiques les ont clairement exposées, et je partage pleinement leur avis et leur sentiment de gâchis !

Je souhaiterais concentrer mon propos sur quelques sujets dont nous nous étions saisis en première lecture.

Concernant tout d’abord l’article 11 ter, je regrette fortement que l’Assemblée nationale soit allée plus loin qu’en première lecture, notamment sur la question de l’utilisation par la restauration collective scolaire des contenants alimentaires de cuisson, de réchauffe et de service en matière plastique. En les interdisant purement et simplement au 1er janvier 2025, ou au 1er janvier 2028 pour les collectivités de moins de 2 000 habitants, elle adopte une méthode qui me semble tant intellectuellement insuffisante que trop radicale. Intellectuellement insuffisante, car s’il est avéré que ces contenants sont nocifs, pourquoi attendre 2025 pour les interdire ? Trop radicale, dans la mesure où nous n’avons pas, à ce jour, la preuve de leur nocivité, ni celle de l’innocuité des contenants qui viendront les remplacer.

Quant à l’interdiction des bouteilles d’eau plate en plastique dans la restauration collective scolaire, mon sentiment est que nous devrons réfléchir de manière beaucoup plus approfondie et globale – et moins « au coup par coup » – aux problèmes immenses que la production de ce plastique pose aujourd’hui dans le monde.

Je me réjouis en revanche que l’Assemblée nationale ait conservé l’interdiction, dès 2020, des pailles et des bâtonnets mélangeurs en plastique pour boissons, que nous avions adoptée au Sénat. Je suis par contre réservé sur l’extension, à mon sens un peu trop générale, de cette interdiction aux couverts, piques à steak, couvercles à verre jetables, plateaux-repas, pots à glace, saladiers et boîtes en plastique.

Je regrette que l’Assemblée nationale ait supprimé, sur votre initiative, monsieur le ministre, l’article 11 quater A, qui avait été introduit par le Sénat et visait à permettre aux parlementaires de saisir l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES, de manière encadrée. Que craigniez-vous donc de la représentation nationale, monsieur le ministre, quand les associations peuvent déjà bénéficier de cette expertise de qualité ?

J’en viens maintenant aux dispositions relatives aux produits phytopharmaceutiques. Sur ce sujet, notre commission avait défendu une position pragmatique, pour répondre aux inquiétudes de nos concitoyens sur les risques sanitaires et environnementaux associés à ces produits, tout en cherchant des solutions de nature à préserver l’activité des agriculteurs.

Je regrette vivement que l’Assemblée nationale ait systématiquement fait le choix de rétablir les dispositions qu’elle avait adoptées en première lecture, sans aucun égard pour les améliorations objectives que nous avions apportées au texte. Je pense notamment aux articles 14, 14 bis et 15 traitant des pratiques commerciales relatives aux produits phytopharmaceutiques et biocides, pour lesquels notre commission avait proposé des solutions particulièrement équilibrées.

À l’article 14 septies, l’Assemblée nationale a inséré une disposition nouvelle relative à l’utilisation de produits phytopharmaceutiques à proximité des zones habitées, qui reprend partiellement la proposition défendue par notre commission en première lecture, privilégiant une concertation préalable avant d’éventuelles restrictions administratives. Toutefois, la rédaction adoptée vise l’intégralité du territoire national, alors que notre commission proposait de mettre à disposition des acteurs de terrain un outil mobilisable selon les circonstances locales.

Enfin, je regrette profondément la suppression de fait de l’article 14 sexies A, inséré sur l’initiative de notre collègue Nicole Bonnefoy et créant un fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques. Cet article avait été adopté par notre assemblée à l’unanimité en séance plénière, à l’issue d’un scrutin public, et nous nous étions félicités sur toutes les travées de cette avancée significative. La majorité à l’Assemblée nationale et le Gouvernement n’ont proposé, comme seule solution, que la production d’un énième rapport sur le sujet, avec un vague objectif de création d’un tel fonds à l’horizon 2020, dépourvu de toute valeur juridique. Cette décision constitue un vrai recul, monsieur le ministre, mais soyez certain que le Sénat continuera à se mobiliser pour trouver une vraie solution à ce grave problème.

En définitive, nous ne pouvons que déplorer le manque d’ouverture de la majorité gouvernementale sur de nombreux sujets. Nous espérions le maintien de davantage d’améliorations concrètes apportées par le Sénat, ce qui aurait permis de renforcer un texte peu ambitieux depuis l’origine. Faute de moyens et de mesures d’accompagnement suffisants, cette loi ne contribuera que de façon très modeste à la transition vers un modèle d’agriculture plus durable. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – Mme Nicole Bonnefoy applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous nous retrouvons donc pour examiner en nouvelle lecture le projet de loi ÉGALIM, dont l’objet premier, après les États généraux de l’alimentation, était de rééquilibrer le partage de valeur dans les filières agricoles. Il s’agissait de répondre à une question simple : les agriculteurs pourront-ils enfin vivre décemment de leur travail ? Il semble, malheureusement, que la réponse à cette question soit négative, surtout après l’examen en deuxième lecture du texte par l’Assemblée nationale : le débat et la position du Gouvernement nous ont éloignés de cet objectif.

Aujourd’hui, nous ne pouvons que constater cet échec. Encore une fois, l’urgence que connaît le monde paysan n’est pas traitée de manière satisfaisante, et nous continuerons, au travers de débats, de missions d’information, à faire le constat d’un monde agricole qui se meurt. Car, ne nous y trompons pas, ce projet de loi sans saveur ne pose en aucun cas les bases d’un revenu paysan, alors même que cet élément apparaissait comme prioritaire à l’issue des États généraux de l’alimentation…

Le rétropédalage du Président de la République et du Gouvernement remet en cause une transition agricole que tout le monde semblait vouloir. Je dis bien « semblait », car comme l’a souligné mon ami André Chassaigne lors de son intervention dans la discussion générale à l’Assemblée nationale, le « verbatim » des discours de la majorité présidentielle a grandement évolué et montre une dilution des engagements.

Concernant l’article 1er, tout d’abord, le Président avait affirmé, dans son discours de Rungis, qu’« afin de permettre aux agriculteurs de peser dans les négociations, des indicateurs de marché, des coûts de production et des contrats types par filière doivent être définis ». Aujourd’hui, le verbe « devoir » est remplacé, dans le texte que nous étudions, par le verbe « pouvoir » : nous y lisons en effet que les organisations interprofessionnelles « peuvent » élaborer ou diffuser ces indicateurs, qui « peuvent » servir d’indicateurs de référence, et qu’elles « peuvent », le cas échéant, s’appuyer sur l’observatoire. On en conviendra, entre « devoir » et « pouvoir », le champ des possibles est immense !

Alors que les paysans ont besoin d’être protégés des griffes d’un modèle économique qui les tue un peu plus chaque jour, l’État refuse de s’immiscer dans la construction des prix. Pour les syndicats – y compris la FNSEA –, « en envoyant aux acteurs économiques des injonctions à faire, l’État leur renvoie la responsabilité et refuse d’assumer son rôle de régulateur ».

Ainsi, rien dans ce texte ne permettra la mise en place d’un prix plancher d’achat défini collectivement et prenant directement en compte les coûts de production régionaux. L’interdiction de la revente à perte et la définition d’un prix abusivement bas, ainsi que la prise en compte du revenu paysan dans la construction des indicateurs, ont été systématiquement rejetées. Il en est de même du déclenchement d’un encadrement des marges de la distribution en cas de crise. Que dire aussi du silence qui entoure la question du foncier agricole, en dépit du caractère fondamental de ce sujet ?

De plus, si la commission d’enquête chargée de tirer les enseignements de l’affaire Lactalis recommande aux pouvoirs publics de mieux encadrer et de contraindre davantage les acteurs économiques en matière de sécurité sanitaire, il doit en être de même en ce qui concerne l’équilibre des relations commerciales. En effet, ces mêmes acteurs, de l’industrie à la distribution, ne s’embarrasseront pas de scrupules dans la recherche de la maximisation de leurs profits, qu’il s’agisse de la sécurité alimentaire ou des relations commerciales, au détriment des paysans et des citoyens. Compter sur une responsabilisation des différents acteurs est illusoire. Les agriculteurs n’y croient plus, tant la discussion interprofessionnelle est tronquée du fait du déséquilibre des forces en présence, et ce n’est pas le seul médiateur qui pourra inverser la tendance ; nous le savons toutes et tous.

Nous regrettons aussi que ce texte, de manière grossière, dresse les agriculteurs contre les consommateurs, alors même que la révolution que doit connaître le monde agricole profitera à tous.

Comment accepter le refus de l’étiquetage, qui renforcera la traçabilité et mettra en valeur les modes de production vertueux ? Comment accepter le refus d’inscrire dans la loi l’interdiction du glyphosate, dont on connaît la nocivité pour les agriculteurs et les consommateurs ? Malgré la remise en cause pure et simple du principe de précaution par le rapporteur en première lecture, nous ne pouvons minimiser la condamnation de Monsanto par la justice américaine cet été.

Ce projet de loi ne fait qu’illustrer, une fois de plus, les stratégies de communication du Gouvernement, les promesses trahies, ainsi que la frilosité de la majorité sénatoriale, pour ne pas dire son entêtement à ne pas prendre la mesure des défis climatiques, écologiques et sanitaires auxquels doivent faire face nos agriculteurs.

C’est un énorme gâchis, tant pour la première partie du texte que pour la seconde. Nous n’attendions pas grand-chose de la CMP, si ce n’est un peu de respect pour les travaux du Sénat, qui avaient permis, notamment pour la première partie, quelques avancées… Nous nous abstiendrons sur la motion présentée par la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Franck Montaugé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la nouvelle lecture de ce texte par l’Assemblée nationale a été à l’image de la CMP, où aucune discussion n’a été possible, malgré nos propositions et notre volonté de compromis au bénéfice premier des agriculteurs et des consommateurs, comme si les bonnes idées, les propositions originales, justes, pragmatiques, en phase avec les attentes de la société en matière de qualité et du monde paysan en termes de partage de la valeur, ne pouvaient émaner que du Gouvernement et de sa majorité à l’Assemblée nationale. Comme s’il fallait démontrer que la Haute Assemblée est inutile, voire gênante, elle qui représente au Parlement les territoires, sources par excellence de nos productions nourricières de base !

En définitive, cette conception pour le moins restrictive du dialogue aboutit à un texte plat, sans souffle, qui ne réglera rien ou presque. C’est une occasion manquée de répondre au malaise et à la déconsidération que ressentent les agriculteurs.

Que restera-t-il des États généraux de l’alimentation, dont l’organisation était une bonne idée au départ ? Une loi, qui ne règle rien avec certitude pour les agriculteurs ; des plans de filière, en réalité davantage tournés vers la transformation et l’aval que vers la production…

En examinant le texte qui nous a été soumis en nouvelle lecture, nous avons le sentiment de ne pas avoir été entendus sur l’essentiel.

Nous n’avons pas été entendus sur les mécanismes de définition de la juste valeur économique qui doit être reconnue aux producteurs. Nous voulions que ces indicateurs soient validés par l’Observatoire de la formation des prix et des marges et que cet organisme public puisse en proposer lorsque les interprofessions ne le font pas. En définitive, les interprofessions agricoles seront à l’initiative de ces indicateurs, mais, en cas d’échec des négociations, il reviendra à la grande distribution et aux industriels d’en établir. Une fois de plus, ce sera le pot de terre contre le pot de fer, et rien n’aura donc changé !

Nous n’avons pas plus été suivis sur l’instauration du fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques – Nicole Bonnefoy y reviendra – ni sur la traçabilité des produits, exigence pourtant croissante des consommateurs.

Vous nous direz peut-être, monsieur le ministre, pourquoi vous n’avez pas retenu notre amendement visant à mieux informer le consommateur ou l’acheteur, par un étiquetage clarifié, sur le pays où le raisin a été récolté et vinifié. C’est une demande récurrente des viticulteurs de France.

La législation sur les relations entre coopératives et associés coopérateurs, que nous souhaitions discuter au Parlement, a été renvoyée à des ordonnances, tout comme la réforme des seuils de revente à perte.

En première lecture au Sénat, 15 de nos amendements, sur 140, avaient été adoptés. La plupart d’entre eux ont été rejetés par l’Assemblée nationale.

En définitive, pour le titre Ier, nous en restons à des aménagements de lois votées précédemment : rien de plus, rien de moins !

De plus, nous craignons que les hypothétiques bénéfices apportés par le présent texte ne soient annihilés par la baisse annoncée du budget de la PAC. Sur ce sujet, nos inquiétudes restent vives.

S’agissant du titre II, les déceptions sont grandes au regard de la nécessité de prendre en compte les attentes fortes de la société.

Je note comme un fait positif, malgré tout, que, contre l’avis du Gouvernement, les députés aient introduit dans le texte notre proposition de mener une étude de la définition et de la mise en œuvre d’une prestation pour services environnementaux rendus par l’agriculture à la société. Nous en reparlerons à propos de la PAC, mais il est grand temps que l’agriculture soit reconnue pour ses externalités positives, pour sa contribution au règlement des grandes questions de société, la transition climatique n’étant pas la moindre d’entre elles.

A contrario, quelle déception que, une fois de plus, le Gouvernement et la majorité de l’Assemblée nationale n’aient pas voulu entendre la détresse des éleveurs des zones défavorisées, où l’exclusion du dispositif des indemnités compensatoires de handicaps naturels, les ICHN, va condamner l’élevage sur des territoires ancestraux de polyculture-élevage. C’est un pur déni de réalité, qui affaiblit économiquement des territoires déjà en difficulté et qui renforce le sentiment des citoyens d’être abandonnés par la République.

À la quasi-unanimité de ses membres, le Sénat demandait que le Gouvernement étudie aussi la possibilité de mettre en place, pour ces territoires, des zones intermédiaires spécifiques, comparables aux zones de piémont. Nous n’avons pas été entendus, et je vous renouvelle, monsieur le ministre, notre invitation à venir vous rendre compte de la réalité du terrain et de la dimension sociale du problème.

Sur le fond, le texte qui nous est soumis aujourd’hui en nouvelle lecture reste très décevant. Il est bien en deçà du minimum que les agriculteurs étaient en droit d’attendre. Il n’améliorera pas significativement leur revenu. Il ne répondra pas non plus aux attentes sociétales de nos concitoyens en matière de qualité, de traçabilité et de sécurité de l’alimentation.

Sur la forme, les débats en CMP ont démontré l’absence de volonté de dialogue constructif avec le Sénat de la part du Gouvernement. C’est une belle occasion ratée, qui engendrera de la déception dans les campagnes, ou pire… Nous attendons de voir comment le Gouvernement défendra l’agriculture française dans la perspective de la nouvelle PAC. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Decool. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)

M. Jean-Pierre Decool. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, je tiens à remercier personnellement les excellents rapporteurs de ce projet de loi, Michel Raison, Anne-Catherine Loisier et Pierre Médevielle, ainsi que tous ceux d’entre nous qui ont pris part au travail réalisé en commission et en séance.

L’agriculture et l’alimentation doivent être l’affaire de tous. La discussion de ce projet de loi s’annonçait, après les États généraux de l’alimentation, dans un esprit de dialogue et de conciliation. Parce qu’elle concerne plus d’un million d’agriculteurs qui animent nos campagnes, et chaque Français qui en bénéficie, la valorisation du monde agricole et de la ruralité dans son ensemble est une question vitale pour la France.

Concernant ce projet de loi, les principaux objectifs fixés par le Gouvernement étaient de garantir la souveraineté alimentaire de la France et d’assurer à chacun l’accès à une alimentation saine et durable. Le texte, que nous avons longuement examiné, est le premier jalon de la mise en œuvre de sa stratégie agricole.

Tout d’abord, pour préserver la capacité de production de nos filières et garantir à la France sa souveraineté alimentaire, nous devons renverser la logique de construction des prix, favoriser le regroupement des producteurs, limiter les pratiques commerciales déloyales, telles que la revente à perte, en complément des initiatives législatives européennes.

Tout au long de l’examen du texte au Sénat, le groupe Les Indépendants – République et Territoires s’est mobilisé pour défendre un modèle agricole économiquement viable pour l’ensemble des acteurs et écologiquement responsable. L’un ne va pas sans l’autre.

Si l’agriculture française doit évoluer, nous devons veiller à accompagner chaque transition pour ne pas heurter une économie déjà fragile et très concurrentielle. Le titre Ier du projet de loi devait tout mettre en œuvre pour permettre aux agriculteurs de vivre décemment de leurs revenus : il s’agit d’une impérieuse nécessité.

À titre d’exemple, notre groupe avait proposé plusieurs orientations.

Tout d’abord, nous avions défendu les enjeux propres à la filière viticole, secteur économique majeur. Nous savons qu’il est le deuxième contributeur à la balance commerciale de la France, après l’aéronautique. Malheureusement, l’Assemblée nationale a décidé de revenir sur une mesure que nous croyons pourtant juste et efficace.

Le même sort a été réservé à l’amendement, adopté au Sénat de façon consensuelle, visant à lutter contre le « chantage à la collecte » du lait et le déréférencement des producteurs.

Dans un deuxième temps, il s’agissait d’assurer à chacun l’accès à une alimentation de qualité, respectueuse de la santé des consommateurs et de l’environnement.

Dans un climat consensuel, le Sénat avait rétabli l’objectif de 20 % de produits issus de l’agriculture biologique dans les repas de la restauration collective. Toutefois, il ne s’agit pas de sacrifier notre agriculture locale au profit d’une production certes sans pesticides, mais parcourant des milliers de kilomètres avant de parvenir dans nos assiettes. Aussi, en complément de cette mesure, avions-nous souhaité favoriser l’approvisionnement local dans la restauration scolaire, pour promouvoir l’ancrage territorial de l’alimentation. La promotion des circuits de proximité, prenant en considération le bilan carbone, est un objectif de la PAC depuis l’adoption, en juin dernier, de la proposition de résolution européenne sur l’avenir de la politique agricole commune.

Il s’agit, à la fois, d’une question de souveraineté alimentaire et d’une garantie de qualité au regard des législations agricoles des pays extérieurs.

L’accès à une alimentation saine nécessite une éducation suffisante du consommateur et une information lisible, fiable et accessible. Aussi ma collègue Colette Mélot a-t-elle défendu un amendement visant à rétablir à 2019 l’entrée en vigueur de l’obligation d’indication de l’origine du miel. C’était une mesure de bon sens !

Comme nous avons eu l’occasion de le dire en première lecture, nous pensons qu’il convient de clarifier l’étiquetage des denrées alimentaires contenant du minerai de viandes, qui représente plus de 15 % de la viande bovine commercialisée en France.

Enfin, l’agriculture étant un sujet éminemment européen, nous avons défendu une disposition visant à évaluer les engagements de la France concernant les finalités de sa politique européenne et internationale en faveur de l’agriculture et de l’alimentation.

Je regrette sincèrement l’échec de la commission mixte paritaire du 10 juillet dernier. Elle aurait pu permettre d’aboutir à un texte équilibré entre les deux assemblées. Nous ne pouvions pas faire l’impasse sur le dialogue s’agissant d’un projet de loi aussi important. Or la majorité des dispositions adoptées au Sénat, soutenues par l’ensemble des sensibilités politiques, ont été supprimées à l’Assemblée nationale, si bien que le texte que l’on nous soumet aujourd’hui est une copie presque conforme de celui que nous avons examiné voilà quelques mois.

Nous ne sommes pas dupes. Clemenceau disait que « le Sénat est la raison de la République » ; perdez la raison, et la République suivra ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)