M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque discussion comprend le temps d’intervention générale et celui de l’explication de vote.

Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de dix minutes pour intervenir.

Dans la suite de la discussion, la parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon intervention portera essentiellement sur le programme 216, « Conduite et pilotage des politiques de l’intérieur », et spécifiquement sur l’action n° 10, qui concerne la lutte contre la radicalisation.

Les occasions de faire un petit point sur ces programmes sont trop rares ; nous allons donc en profiter.

C’est depuis 2014 que je travaille sur toutes ces questions. Grâce au groupe Union centriste, nous avons obtenu en juin 2014 la constitution d’une commission d’enquête sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe, soit, monsieur le ministre, six mois avant Charlie et l’Hypercacher.

Depuis lors, le nombre de radicalisés n’a fait qu’augmenter : un peu plus de 20 400 personnes sont inscrites au fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste, ou FSPRT ; plus de 10 000 personnes sont considérées comme actives après avoir fait l’objet d’un signalement ; plus de 3 500 sont en veille, c’est-à-dire que, momentanément, leurs « signalements ne suscitent plus d’inquiétude et ne nécessitent plus de surveillance active ». On a vu ce à quoi a abouti, à plusieurs reprises, l’abandon de certaines mesures de surveillance active, même s’il est vrai qu’on ne peut surveiller tout le monde. Plus de 4 000 dossiers sont clos.

La Commission nationale de l’informatique et des libertés conserve les fiches des « inactifs » pendant cinq ans, mais la place Beauvau précise que « les signalements abusifs ou erronés d’individus qui n’ont jamais été radicalisés ne sont pas conservés dans le fichier ». Voilà une bonne nouvelle !

Ce qui est indéniable, c’est que la menace terroriste demeure. S’y ajoute le problème des « revenants ». On compte aujourd’hui 450 prisonniers jugés pour terrorisme qui seront libérés avant la fin de 2019 ; 351 revenants, dont 269 majeurs et 82 mineurs. Les institutions pénitentiaires, dont nous examinerons les crédits demain, sont confrontées à des difficultés. Au 13 novembre, les prisons françaises comptaient 1 704 détenus radicalisés.

Dans leur rapport rendu l’an dernier au nom de la mission d’information créée par la commission des lois du Sénat sur le modèle des « missions flash », Catherine Troendlé et Esther Benbassa avait souligné les défaillances de la politique de lutte contre la radicalisation.

Monsieur le ministre, ma question est la suivante : 70 millions d’euros, c’est bien, mais comment contrôlez-vous aujourd’hui les associations chargées de lutter contre la radicalisation ? Lors de l’examen de la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, Catherine Troendlé et moi-même avions fait voter un amendement tendant à rendre obligatoire le contrôle des associations ou fondations ayant pour objet la prévention et la lutte contre la radicalisation, à la fois dans leurs compétences et dans leurs financements. Avez-vous pu mettre en place des politiques transversales d’évaluation de ces associations ? En connaissez-vous le nombre ? Les financements ? Avez-vous dressé un état des lieux ?

La mission d’information avait titré son rapport : Tâtonnements et impasses des politiques de « déradicalisation » - Bilan détape. Pourriez-vous faire un point rapide sur ce sujet, qui concerne la mission que nous examinons ce soir ?

Ce sujet est très important. Bernard Cazeneuve, à qui j’avais demandé de pouvoir réaliser un audit, m’avait dit qu’il ouvrirait ses bureaux et ses dossiers. Aussi, je vous pose la question, monsieur le ministre : serait-il possible de constituer un groupe de travail sur le suivi de la radicalisation, parce que je n’ai pas du tout le sentiment, malheureusement, que l’affaire soit totalement close ? Il faut que nous disposions de procédures de suivi fiables.

J’utiliserai la minute qui me reste pour vous parler de la fraude documentaire, sujet qui n’a rien à voir avec le précédent, mais qui relève de la présente mission.

Monsieur le ministre, on compte 1,8 million de faux numéros INSEE, qui correspondent à autant de « Sésame, paie-moi ! » En 2010, une fraude massive à l’immatriculation a été découverte, les fraudeurs obtenant extrêmement facilement un numéro d’inscription au répertoire, le NIR – autrement dit, le numéro de sécurité sociale –, sur la base de faux documents. Si vous êtes né à l’étranger, que vous soyez français ou de nationalité étrangère, ce numéro de sécurité sociale vous est attribué manuellement, et il permet donc des fraudes massives sur la base, donc, de faux documents.

En 2016, à la suite d’une question d’actualité que j’avais posée, la secrétaire d’État qui m’avait répondu m’avait expliqué que 5 000 numéros avaient été radiés. Sur un total de 1,8 million, le compte n’y est pas !

Monsieur le ministre, avez-vous pris des mesures pour faire en sorte que cette fraude massive à l’immatriculation soit enfin jugulée ? Cette fraude entraîne un manque à gagner de plusieurs milliards d’euros pour nos services, nos départements, milliards qui pourraient être utilisés ailleurs et beaucoup plus efficacement.

M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus.

M. Emmanuel Capus. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur spécial, mes chers collègues, j’aurais moi aussi un ensemble de sujets passionnants à évoquer avec vous, mais je m’en tiendrai au strict cadre de cette mission.

Dotée de 2,8 milliards d’euros en crédits de paiement, la mission « Administration générale et territoriale de l’État » comprend trois programmes ayant des objectifs diversifiés et d’ampleur inégale : le programme 307, « Administration territoriale » ; le programme 232, « Vie politique, cultuelle et associative » ; le programme 216, « Conduite et pilotage des politiques de l’intérieur », programme « réservoir » qui finance les moyens généraux du ministère de l’intérieur et certaines de ses interventions.

La dotation en crédits de cette mission connaît une hausse de 3 % par rapport à la loi de finances pour 2018, soit 83 millions d’euros.

Ce n’est pas surprenant. En effet, l’année dernière, les crédits ouverts s’étaient inscrits en forte baisse après le calendrier électoral très dense de l’année 2017 et les mesures de revalorisation salariale alors mises en œuvre.

Je souhaiterais m’attarder surtout sur le programme 307, « Administration territoriale », qui rassemble les moyens des préfectures, hauts-commissariats et sous-préfectures de métropole et d’outre-mer. C’est un programme crucial pour la vie quotidienne des citoyens et des collectivités.

Nos préfectures ont connu une réforme importante avec le plan Préfectures nouvelle génération.

Mise en œuvre en 2016, cette réforme a produit ses effets les plus significatifs en 2017 et en 2018. Elle consiste en une réorganisation des services de délivrance de titres – carte nationale d’identité, passeport, permis de conduire –, afin de moderniser et de simplifier les procédures pour, normalement, améliorer la qualité du service rendu à l’usager.

Fondée sur la dématérialisation des procédures, cette réforme a entraîné une réduction très forte des effectifs des préfectures. Celles-ci ont connu la suppression de 1 300 équivalents temps plein entre 2016 et 2018. Au total, le réseau préfectoral aura perdu plus de 11 % de ses effectifs en dix ans ; c’est important.

Certes, cela représente la contribution du réseau territorial de l’État à la maîtrise de la dépense publique. Mais nous espérons qu’une telle réforme ne conduira pas à « casser » l’institution préfectorale, mission régalienne de l’État par excellence et lien direct avec les territoires.

Je tiens d’ailleurs ici à saluer la qualité des membres du corps préfectoral. En particulier, je salue le courage du préfet Bernard Gonzalez, qui n’a pas hésité, la semaine dernière, à aller négocier en personne la reddition d’un forcené qui menaçait de se faire sauter avec une grenade et une ceinture d’explosifs. Cela démontre la variété des missions du préfet.

Nous espérons également que la baisse des effectifs ne dégradera pas la qualité et la proximité du service rendu en préfecture.

Certains territoires très ruraux ne sont pas équipés d’infrastructures d’accès à internet et se trouvent parfois pénalisés, d’abord en étant éloignés des sous-préfectures où l’on pouvait obtenir la délivrance des titres, puis maintenant en étant dénués de réseau de connexion de qualité pour procéder aux démarches en ligne. La mise en œuvre de téléprocédures est une bonne chose, mais nous devons veiller à ce qu’elle ne soit pas, pour nos territoires, synonyme d’exclusion.

Enfin, nous espérons que cette diminution ne réduira pas les fonctions de conseil et d’ingénierie territoriale auprès des collectivités. L’État, au travers des préfectures, nous le savons bien, est un partenaire crucial des collectivités territoriales. Il faut qu’il conserve les moyens d’accompagner les petites communes. Il est encore trop tôt pour tirer les conséquences de cette réforme du réseau préfectoral ; il faudra en dresser un bilan l’année prochaine avec les services concernés, les collectivités et les usagers.

Parmi les plus anciennes institutions de notre État moderne, l’institution préfectorale a toujours fait la preuve de ses capacités d’adaptation au service des Français. Nous vous faisons confiance, monsieur le ministre, pour ne pas la casser.

Le groupe Les Indépendants votera donc les crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l’État » en signe de cette confiance. (MM. Jacques Mézard et Jean-Claude Requier applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Alain Richard.

M. Alain Richard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l’occasion de l’examen des crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l’État », nous pouvons faire quelques variations sur le thème bien connu et éprouvé des réformes structurelles.

Les réformes structurelles, tout le monde est pour. Quand on ne porte pas le fardeau d’être dans la majorité et de soutenir le Gouvernement, on est d’autant plus enclin à réclamer, dans l’abstrait, des réformes structurelles !

Il se trouve que le plan Préfectures nouvelle génération, d’ailleurs engagé par un gouvernement précédent, est une réforme structurelle. Il vise à recentrer sur des objectifs essentiels les missions des préfectures, à réorganiser les services autour de ces missions et à mettre en œuvre les moyens numériques permettant de les assurer plus efficacement.

Évidemment, une telle réforme dérange, fait maugréer et entraîne des mécontentements, pour certains temporairement justifiés. Mais quelqu’un réclame-t-il le rétablissement des préfectures ancienne génération ?

M. Pierre-Yves Collombat. Oui, moi ! (Sourires.)

M. Alain Richard. En posant cette question, je n’osais imaginer une réponse autre de la part de notre collègue Pierre-Yves Collombat !

M. François Bonhomme. Toujours est-il qu’elle peut s’entendre.

M. Alain Richard. Il faut bien quelqu’un pour jouer le rôle du nain Grincheux ! (Nouveaux sourires.)

M. Antoine Lefèvre. Reconnaissons, avec une certaine nostalgie, que le système ne fonctionnait pas si mal !

M. Alain Richard. Sommes-nous d’accord sur la délimitation des missions des préfectures telle qu’elle a été retenue ? À ce sujet, d’ailleurs, je souligne, comme notre collègue Nathalie Goulet, que la composante lutte contre la fraude doit être réellement prise au sérieux, car les fraudes documentaires sont un fléau grandissant.

Je défends cette réforme et estime qu’elle a été globalement bien menée. Du reste, tous les préfets rendent hommage à l’effort qu’elle a demandé aux agents préfectoraux, tant les anciennes méthodes s’en sont trouvées bouleversées. Cependant, force est de constater que la procédure de délivrance des cartes grises n’est pas une totale réussite ; on peut même dire que cela ne marche pas encore au mieux. J’ose espérer, monsieur le ministre, que vous avez une ou deux bonnes nouvelles à nous annoncer pour remédier à ces dysfonctionnements. Si vous pouvez dresser devant nous un bilan des retards qu’on continue à enregistrer, de leur évolution et de ce que vous anticipez pour l’année 2019 pour en revenir à un fonctionnement satisfaisant de ce service public, vous aurez contribué vous aussi à la réussite de cette réforme.

La transformation numérique en cours va entraîner des difficultés de transition et poser le problème de l’accès à internet de certaines catégories de personnes et de certains territoires. Observons néanmoins que cet accès est en pleine phase de développement dans les territoires les moins bien desservis et que les deux réformes, en quelque sorte, se soutiennent l’une l’autre.

Cette transformation numérique, je la mets en rapport avec la prochaine phase de la réforme, à savoir la concentration autour de l’équipe préfectorale du pilotage et de l’organisation de l’ensemble des services déconcentrés de l’État, en lieu et place de cette distinction datant de la première phase de déconcentration entamée voilà cinquante ans, avec, d’un côté, le réseau « Intérieur », et, de l’autre, les réseaux ministériels en silo.

Évidemment, la mise en commun de toute une série de capacités de service et de systèmes d’information permettra à l’État de devenir plus performant dans sa relation avec les collectivités, mais aussi plus largement avec les citoyens.

Avant de conclure, monsieur le ministre, je voudrais évoquer devant vous, en me faisant sans doute l’écho de nombreux collègues, la question de l’évolution des conditions d’emploi et du sens des missions de beaucoup de fonctionnaires de l’État déconcentré.

Par comparaison avec les périodes antérieures, l’État est de moins en moins acteur et de plus en plus contrôleur, à tel point que, à bien des moments, il peut être perçu comme un État empêcheur.

Spécialement dans ses services extérieurs plutôt que dans ses services relevant de votre ministère, nombre d’agents ont quitté le service de l’État. Mais, globalement, puisque nous nous inscrivons dans une volonté de simplification et d’allégement normatifs, d’édification d’une société de confiance, il est important de rétablir dans la mission des services déconcentrés et des agents qui les animent une composante « conduite et accompagnement de projets », de soutien aux démarches territoriales. Ils ne doivent pas simplement s’en tenir à un rôle de gestion, de contrôle, de fixation de normes et de production de rapports généralement paralysants.

Moyennant quoi, les réformes en cours sont heureuses et les services font de leur mieux pour qu’elles réussissent. Il me revient, au nom de mon groupe, de faire preuve de la même sagesse que la commission des finances en préconisant l’adoption de ces crédits. (MM. Jacques Mézard, Jean-Claude Requier et Jean-Pierre Moga applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Éric Kerrouche.

M. Éric Kerrouche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la mission « Administration générale et territoriale de l’État » représente, cela a été dit, près de 3 milliards d’euros, soit une hausse de 3 % par rapport à 2018, et ce avant tout en raison des prochaines élections européennes. D’ailleurs, sans m’étendre davantage sur le sujet, je soulignerai que le contexte actuel des contrôles des comptes de campagne devrait inviter à interroger les prérogatives de la commission compétente en la matière.

Une fois neutralisée cette dépense du programme « Vie politique, cultuelle et associative », on observe une quasi-stabilité des crédits des autres missions : baisse de 2 % pour le programme « Administration territoriale » et hausse de 3,9 % pour le programme « Conduite et pilotage des politiques de l’intérieur », avec des transferts d’emplois d’un autre programme et des investissements comme la mise en œuvre du réseau radio du futur. On déplore de nouveau ici, malgré les explications qui avaient été fournies, la baisse des moyens du fonds interministériel de prévention de la délinquance.

Ces éléments confirment tout simplement le caractère non prioritaire de cette mission et, par conséquent, le choix d’une érosion inexorable des moyens consacrés à l’administration territoriale de l’État.

Ce mouvement de repli d’un État de proximité et progressivement « dématérialisé » interroge sur la doctrine territoriale de l’État et les missions du réseau des préfectures.

Sur cet État en peau de chagrin « dématérialisé », le plan Préfectures nouvelle génération, ou PPNG, avait repensé, je le rappelle, les modalités de délivrance des titres aux usagers en mettant en place une dématérialisation des procédures, avec comme bilan la suppression de 1 300 ETP entre 2016 et 2018 et de 200 autres à prévoir pour 2019.

Certes, la numérisation est nécessaire, je m’inscris dans la continuité de ce qui a déjà été dit, pour moderniser notre État, pour l’adapter à une transformation de l’environnement et sécuriser les titres. Cela étant, des difficultés techniques évidentes se sont manifestées dans la mise en œuvre de cette numérisation, peut-être en raison d’une phase d’expérimentation trop courte, ce qui a non seulement affecté la qualité du service rendu aux citoyens, mais a également terni l’image de l’État.

Les nombreux dysfonctionnements informatiques du système d’information des certificats d’immatriculation des véhicules et du site internet de l’Agence nationale des titres sécurisés, l’ANTS, ont conduit à une explosion du nombre d’appels à cette agence, des blocages de dossiers, avec des conséquences fâcheuses, notamment aux niveaux professionnel et personnel, et parfois, je le rappelle, la condamnation de l’État.

Des mesures d’adaptation ou correctives ont été apportées, comme le renfort de téléconseillers à l’ANTS, dont le nombre est passé de 48 en 2017 à 175 en 2018, avec l’effet réussi d’avoir impacté l’ambition de réduction budgétaire initiale.

La numérisation, c’est très bien ; faire l’impasse sur la fracture numérique, ça l’est légèrement moins.

S’il est nécessaire de prendre totalement en compte cette fracture et, pour rappeler ce joli terme d’« illectronisme », il faut néanmoins avoir conscience que la dématérialisation complète des services administratifs d’ici à 2022 posera des difficultés, notamment au regard du principe républicain d’égalité devant le service public.

Le Défenseur des droits, qui a fait l’objet de plusieurs milliers de saisines sur le sujet, a dénoncé « les nombreuses atteintes aux droits d’usagers insuffisamment informés en amont de la réforme, trop peu accompagnés une fois celle-ci généralisée et dont les difficultés particulières [d’accès et de maîtrise d’internet] n’ont pas été prises en compte. » Pour rappel, 27 % des Français sont toujours sans accès à internet et 33 % maîtrisent peu cet outil.

Nous partageons bien entendu les inquiétudes du Défenseur des droits sur ces points. Sa suggestion d’introduire une clause de protection des usagers serait une bonne chose. C’est pourquoi nous proposerons d’amender les crédits de la mission.

Par ailleurs, quelle est la doctrine territoriale de l’État ? N’assiste-t-on pas à une inadéquation entre moyens et ambitions ?

La délivrance des titres sécurisés, au cœur du plan Préfectures nouvelle génération, amène à porter un débat de fond sur les missions de l’État dans les territoires. Alors que le PPNG visait à redéployer des emplois sur quelques priorités, les difficultés rencontrées ne l’ont pas permis. La Cour des comptes souligne surtout le renforcement d’autres missions : la lutte contre le terrorisme, la prévention de la radicalisation et la réforme du droit d’asile.

Dans la foulée du rapport Action publique 2022, le Premier ministre a signé deux circulaires pour donner un nouvel élan à la déconcentration, qui soit marqué par une volonté de proximité avec les citoyens et par un exercice des missions prioritairement au niveau départemental, voire infradépartemental.

Si l’on ne peut s’opposer à cet objectif, l’érosion progressive des moyens de l’administration territoriale laisse songeur quant à sa concrétisation, à plus forte raison avec la suppression annoncée de 50 000 postes de fonctionnaires dans le cadre d’Action publique 2022.

En outre, cette affirmation d’une nouvelle déconcentration pose la question de l’adaptation de l’État à l’organisation territoriale et décentralisée de la République, essentiellement sur deux points.

Le premier concerne le contrôle de légalité et l’ingénierie territoriale.

Le Gouvernement a affirmé sa volonté en matière d’ingénierie territoriale. Je pense, par exemple, à l’Agence nationale de la cohésion des territoires. Dans le même temps, la Cour des comptes estime « souhaitable » la fin de ces missions.

En matière de contrôle de légalité, on constate un resserrement du nombre d’actes à transmettre et, surtout, une priorisation des actes à contrôler, inégale entre les préfectures. Dans son rapport de 2016, la Cour des comptes relevait comme facteur explicatif le manque de temps et d’expertise des agents, lié à une perte d’effectif.

Le second point, enfin, porte sur les doublons entre l’État et les collectivités locales.

Le Premier ministre a demandé aux administrations de « clarifier le rôle de chacun et d’aller au bout du partage des compétences ». Or, pour reprendre une remarque de nos collègues Marie-Françoise Perol-Dumont et Éric Doligé, il y a une tendance quasi naturelle de l’administration déconcentrée à pratiquer l’interventionnisme « touche-à-tout » alors qu’elle n’en a plus les moyens.

Cette « clarification des missions » devait reposer, dès la rentrée de septembre 2018, sur une concertation pour une prise de décision à la fin de l’année. Espérons que le climat entre les élus locaux et le Gouvernement se réchauffe et que le mouvement de recentralisation qui est à l’œuvre depuis quelque temps laisse la place à un recentrage de l’État sur ses missions essentielles.

Pour conclure, je rappellerai juste que, depuis la loi du 28 pluviôse an VIII, date de la fondation de l’institution préfectorale, les préfectures et les sous-préfectures étaient avant tout des cuisinières et des drapeaux. En l’état actuel des choses, les cuisinières sont parties, et les drapeaux disparaissent peu à peu de la vie de nos concitoyens, alors même que ceux-ci les réclament comme nous le montre l’actualité.

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, d’un exercice à l’autre, les crédits de cette mission connaissent d’importantes variations conjoncturelles, rythmées notamment par le calendrier électoral. Ils retracent surtout des évolutions plus profondes, dont l’esprit semble partagé et perpétué par les gouvernements successifs.

Car, si les acronymes changent – RGPP, PMMS, RéATE et désormais PAP 2022 –, les mêmes logiques sont à l’œuvre. Les grandes orientations budgétaires ont été rappelées : les crédits totaux de la mission augmentent de 3 % pour atteindre 2,84 milliards d’euros.

Je voudrais évoquer, tout d’abord, le programme 232, « Vie politique, cultuelle et associative », doté de 207 millions d’euros, en particulier les crédits de l’action n° 02, Organisation des élections. Ces crédits étant directement corrélés au cycle électoral, leur augmentation de 81 millions d’euros est liée à la perspective des élections européennes de mai prochain.

Je profite de cette tribune pour rappeler, comme nous le faisons régulièrement, l’insuffisance de la subvention versée aux communes pour compenser les frais engendrés par l’organisation des élections. Peut-être serons-nous entendus une prochaine fois.

Je tiens également à rappeler l’opposition des membres du groupe du RDSE au projet de ne distribuer la propagande électorale que sous sa seule forme dématérialisée. Nous aurons l’occasion d’en reparler dans le cadre de la réforme institutionnelle, étant entendu que « l’illettrisme numérique » devient une véritable question à l’heure du tout-numérique.

Les autres actions de ce programme demeurent quant à elles stables, à l’exception de celle qui est destinée à financer la Commission nationale des comptes de campagnes et des financements politiques, en légère diminution et dont les ETP sont gelés. Cette évolution étonne, alors même que les prérogatives et points de vigilance de cette commission ont été accrus dans le cadre de la loi pour la confiance dans la vie politique.

Je ne m’attarderai pas sur le programme 216, dont les crédits bénéficient d’une hausse de 3,9 % et qui englobe l’administration centrale, la transformation numérique et les affaires immobilières.

J’en viens au principal programme de la mission, le programme 307, qui regroupe les moyens alloués au réseau préfectoral. Ses crédits sont en diminution de 2 %, à 1,66 milliard d’euros. La programmation à moyen terme de cette mission confirme un fléchissement continu, bien que, comme l’a rappelé M. le rapporteur spécial, cette trajectoire n’ait pas été totalement respectée.

Il en ressort que l’administration territoriale de l’État sera amenée, dans les prochaines années, à se réduire, encore et encore. Vous comprendrez que cela nous interroge, d’autant que, j’y insiste, nous tenons au réseau des préfectures et des sous-préfectures. Quand un nouveau sous-préfet arrive dans mon arrondissement, je lui dis : « Le seul moyen de défendre les sous-préfectures, c’est de faire travailler les sous-préfets. » (Rires.)

Sans surprise donc, si les crédits de personnels sur l’ensemble de la mission sont stables, ils sont en diminution de près de 32 millions d’euros dans le programme 307.

Ce projet de loi de finances marque ainsi l’aboutissement du plan Préfectures nouvelle génération, ou PPNG, engagé en 2016. Cette réforme d’envergure repose, en matière de délivrance des titres, sur deux piliers, à savoir la généralisation des procédures dématérialisées et une refonte des modalités de demande et d’instruction, via la création d’une cinquantaine de centres d’expertise, les CERT.

Dans son rapport pour avis, notre collègue Pierre-Yves Collombat met en lumière certains dysfonctionnements ayant occasionné d’importants délais de délivrance de titres – je pense bien sûr aux cartes grises. Ils ne sont pas nouveaux !

Il nous interroge aussi sur l’impact de ces réformes sur le service rendu à nos concitoyens et sur la nature même des relations entre le citoyen et l’administration.

Dissipons tout malentendu : oui, la dématérialisation des procédures constitue un outil privilégié de simplification des démarches pour la majorité des usagers. Elle est une véritable source d’optimisation du service public. Mais on peut s’inquiéter de l’accès équitable de tous les citoyens aux services de l’État ; je pense notamment aux populations fragiles, celles qui sont frappées par l’illettrisme numérique dont je parlais. Encore faut-il des réseaux pour que les ordinateurs fonctionnent.

À cet égard, le Défenseur des droits a relevé, dans sa décision de septembre, une série d’atteintes aux droits des usagers du service public. En attendant, le mouvement de réduction tendancielle des plafonds d’emplois se poursuit. Sur la période 2016-2018, le PPNG se traduit par la restitution de 1 300 ETP. Ces suppressions affectent principalement les échelons départemental et infradépartemental, accentuant le processus de lente dévitalisation de ce réseau et la régionalisation de l’administration.

Je conclus, monsieur le président, puisque mon temps est presque écoulé. En dépit des quelques réserves que je viens de présenter, les membres du groupe du RDSE voteront les crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l’État ». (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)