M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, cette proposition de loi mentionne un terme qui est pour moi au cœur de la mission de cohésion des territoires et au cœur de l’action des membres du Gouvernement comme des parlementaires : « bien vivre ensemble ».

Or le bien vivre ensemble est souvent plus compliqué dans certains territoires et dans certains quartiers, qui souffrent de problèmes de sécurité, de difficultés économiques et sociales, et souvent du sentiment que les pouvoirs publics ont abandonné leurs habitants.

Ces derniers aspirent à la sécurité et à la tranquillité, encore plus quand ils sont chez eux. Ils désirent une vie paisible où les nuisances et les violences, notamment celles qui sont liées aux trafics de drogue, ne viennent pas dégrader leur immeuble, leur cadre de vie et toute l’image des quartiers dans lesquels ils vivent.

La proposition de Mme Primas vise à faire adopter des dispositions destinées à assurer cette sécurité et cette tranquillité aux locataires du parc social, pour ce qui concerne l’article 1er, et à tous les locataires pour ce qui concerne l’article 2. Elle reprend le contenu des articles 91 et 121 du projet de loi ÉLAN dans la version définitivement adoptée par le Parlement. J’insiste sur ce point : ce sont des mesures que le législateur a déjà adoptées et que le Conseil constitutionnel a écartées pour des raisons de procédure.

Je tiens à profiter de l’occasion qui m’est donnée pour saluer très chaleureusement et amicalement M. le ministre Jacques Mézard et rendre hommage au travail effectué par Mmes Sophie Primas et Dominique Estrosi Sassone, dans le cadre des débats très constructifs que nous avons eus sur le projet de loi ÉLAN et qui ont conduit à un vote conclusif en commission mixte paritaire.

L’article 1er, qui reprend l’article 91 de la loi ÉLAN, tend à simplifier l’activité des bailleurs sociaux à l’échelle de leur parc, et à assurer une plus grande efficacité de l’intervention des forces de l’ordre au service de la sécurité des habitants, qui sont les premiers à pâtir de l’insécurité. Comme nous l’avons déjà longuement évoqué lors des précédents débats, les bailleurs pourront autoriser de façon permanente les forces de l’ordre à accéder aux parties communes de l’immeuble, au lieu d’avoir à renouveler périodiquement une telle autorisation.

L’article 2 de la proposition de loi, qui reprend l’article 121 du projet de loi ÉLAN, s’inscrit dans le même état d’esprit. Bien sûr, l’occupation des parties communes, qui empêche de circuler librement, était déjà sanctionnée par la loi. Cet article vise à ajouter trois dispositions au droit existant. D’abord, il tend à élargir le champ d’application : il s’agit de viser non seulement l’entrave à l’accès ou à la libre circulation, mais aussi l’occupation, qui nuit à la tranquillité des lieux. Ensuite, ce délit pourra faire l’objet non plus de six mois, mais d’un an d’emprisonnement en cas de voies de fait ou de menaces. Enfin, une peine complémentaire interdisant de paraître dans les lieux de l’infraction est instaurée, dans la limite de trois ans.

Le II de l’article 121 du projet de loi ÉLAN, c’est-à-dire de l’article 2 de cette proposition de loi, concerne les conditions de résiliation des baux, là encore en lien avec l’occupation paisible des locaux.

Par ailleurs, trois amendements ont été déposés, par M. Grand et par M. Richard. Ils reprennent, là encore, des dispositions adoptées dans le cadre de la loi ÉLAN et écartées par le Conseil constitutionnel. Elles concernent l’accès des huissiers aux boîtes aux lettres, élément ô combien important pour lutter contre le fléau de l’expulsion d’un certain nombre d’occupants qui n’auraient pas fait l’objet d’un accompagnement suffisant ou spécifique de la part de l’ensemble des personnes intervenant dans les procédures en question. Elles concernent également l’accès des agents assermentés du service municipal ou départemental du logement aux parties communes des immeubles, pour faire des vérifications relevant de leur ressort, ainsi que l’accès des agents de l’INSEE aux boîtes aux lettres, notamment dans le cadre des recensements.

La première disposition permettra d’améliorer la prévention des expulsions locatives, raison pour laquelle nous l’avions acceptée au cours des débats sur le projet de loi ÉLAN ; la deuxième, de mieux contrôler le respect de la réglementation des locations touristiques, qui constitue aujourd’hui un vrai sujet au regard du parc disponible pour nos concitoyens ; et la troisième, de faciliter les enquêtes de l’INSEE.

Mesdames, messieurs les sénateurs, afin de respecter la volonté du législateur, qui s’est exprimée dans le cadre d’une commission mixte paritaire conclusive sur le projet de loi ÉLAN, le Gouvernement émettra un avis favorable sur la proposition de loi de Mme Primas, ainsi que sur les trois amendements déposés par MM. Richard et Grand. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à Mme Annie Guillemot.

Mme Annie Guillemot. Monsieur le président, mes chers collègues, à la suite de l’arrêt du Conseil constitutionnel, qui a déclaré que dix-neuf articles de la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique étaient contraires à la Constitution, parce que dépourvus de lien même indirect avec les dispositions du projet de loi initial, nous débattons de nouveau aujourd’hui des articles 91 et 121 de la loi ÉLAN, qui touchent, il est vrai, à la vie quotidienne des habitants et à leur sécurité, première des libertés.

Les offices d’HLM sont en effet en attente de mesures plus adaptées à la situation à laquelle ils sont confrontés dans certaines résidences. Il est toutefois regrettable que les copropriétés privées, notamment dégradées, ne soient pas prises en considération, car ce problème s’y pose déjà fortement, dans des conditions différentes, compte tenu des spécificités du droit de la propriété. Il s’agit là d’un défi qu’il faudra aussi relever, en alliant, j’y reviendrai, répression et prévention.

L’article 1er, qui reprend l’article 91 de la loi ÉLAN, dispose que les organismes d’HLM accordent à la police nationale, à la gendarmerie, ainsi que, le cas échéant, à la police municipale une autorisation permanente de pénétrer dans les parties communes de leurs immeubles. Certes, l’article L. 126-1 du code de la construction et de l’habitation prévoit déjà un cadre légal d’intervention permanente, en précisant que « les propriétaires ou exploitants d’immeubles à usage d’habitation ou leurs représentants peuvent accorder à la police et à la gendarmerie nationales, ainsi que, le cas échéant, à la police municipale une autorisation permanente de pénétrer dans les parties communes de ces immeubles ». Toutefois, tous les maires le savent, le dispositif actuel oblige à renouveler l’autorisation tous les six mois en moyenne, et tous les ans dans les copropriétés privées dégradées.

Nous soutenons cette disposition, qui participe à la préservation de la tranquillité et de la sécurité de l’ensemble des résidents et constitue enfin une réponse simplifiée et opérationnelle.

L’article 2 comprend deux volets distincts. Le premier, relatif au délit d’occupation des halls d’immeuble, vise à modifier, en le complétant, le premier alinéa de l’article 121 relatif à l’occupation en réunion des parties communes nuisant à la tranquillité des lieux, à l’accès ainsi qu’à la libre circulation des personnes. Il tend ainsi à aggraver les peines encourues, qui passent de deux à six mois d’emprisonnement et de 3 750 euros à 7 500 euros d’amende. Enfin, il s’agit d’instaurer une peine complémentaire d’interdiction de paraître dans certains lieux, dans lesquels l’infraction a été commise, sans que la durée de cet interdit puisse excéder trois ans, disposition que nous soutiendrons également. Encore faudra-t-il, monsieur le ministre, que la police et la justice aient les moyens de faire respecter cette interdiction – c’est une ancienne maire qui vous parle !

Le second volet redéfinit le champ d’application de la clause résolutoire, qui est applicable en cas de non-paiement des loyers, charges et dépôt de garantie, de non-souscription d’assurance d’habitation ou, depuis la loi du 5 mars 2007 sur la prévention de la délinquance, de troubles anormaux du voisinage déjà constatés par une décision de justice passée en force de chose jugée.

En prévoyant d’étendre le champ d’application de la clause résolutoire au trafic de stupéfiants et en visant la section 4 du chapitre II du titre II du livre II du code pénal intitulée « Du trafic de stupéfiants », ce texte entend prendre en considération une catégorie beaucoup plus importante d’infractions telles que l’acquisition, la détention, la cession et le trafic de stupéfiants, rendant la possibilité d’une résiliation du bail beaucoup plus importante.

Il est crucial de lutter contre le trafic de drogue, qui empoisonne la vie des habitants. Chacun a droit, quel que soit son quartier, à la sécurité. C’est ce que Valérie Létard et moi-même avions souligné dans notre rapport d’information sur l’application de la loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine. Nous avions insisté sur le fait que « la question de la tranquillité publique était prégnante et récurrente pour les habitants des quartiers prioritaires de la politique de la ville » et souligné la nécessité, pour les services de police et de la justice, d’« amplifier leurs actions pour assurer la tranquillité des habitants dans les quartiers ». En effet, on ne peut rien bâtir avec des habitants qui vivent dans l’insécurité. Dans toutes les tables rondes que nous avons organisées, monsieur le ministre, tous les participants nous ont parlé de la même chose !

Par ailleurs, cette proposition de loi prévoit expressément l’application rétroactive de la clause résolutoire pour trouble du voisinage, et notamment pour trafic de stupéfiants. Le sujet est délicat, chacun peut en convenir, et il concernera tous les bailleurs publics et privés, puisqu’il s’agit de modifier la loi du 6 juillet 1989 sur les rapports locatifs.

Observons en effet que le Conseil constitutionnel réaffirme régulièrement la protection dont doivent bénéficier les contrats légalement conclus. Celui-ci précise que « le législateur ne saurait porter aux contrats légalement conclus une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d’intérêt général suffisant sans méconnaître les exigences résultant des articles IV et XVI de la Déclaration de 1789 ». Chaque fois qu’il a accepté une dérogation, c’était en faveur de la personne.

En outre, il existe des mesures telles que les peines complémentaires, que le juge pénal peut appliquer, ou bien des mesures permettant de prononcer la résiliation judiciaire du bail pour trafic de stupéfiants dans le cadre d’une procédure au fond classique.

Ainsi, même si nous reconnaissons la nécessité de faire face à la situation que nous décrivent tant les bailleurs que les habitants, la rétroactivité nous paraît constituer un facteur de fragilisation du dispositif, lequel, du fait de sa nature, est déjà très sensible, en raison de son automaticité. C’est la raison pour laquelle nous avons déposé un amendement de suppression de l’alinéa 6 de l’article 2.

Vous l’aurez compris, le groupe socialiste et républicain partage les objectifs de cette proposition de loi, que sont notamment les indispensables droits à la sécurité, à la tranquillité publique, au libre accès, mais aussi à la libre circulation des personnes, autant d’éléments fondamentaux pour la vie quotidienne de chacune et chacun, dans le cadre des droits et devoirs pour tous.

Il nous semble cependant que la dernière disposition évoquée ne peut que fragiliser le dispositif actuel. Nous voulons insister sur la nécessité d’évaluer les crédits de droit commun. En effet, comment ne pas observer que la politique de prévention est en plein délitement, alors que, nous le savons tous, il s’agit d’un élément essentiel de la politique de sécurité et de tranquillité publique ?

Quel est le bilan de la police de sécurité du quotidien lancée voilà bientôt un an par le Gouvernement ? Elle devrait se déployer dans une soixantaine de quartiers de reconquête républicaine d’ici à la fin du quinquennat. Toutefois, nous l’observons d’ores et déjà, les élus sont de plus en plus sceptiques sur les gains qu’ils pourraient tirer de cette nouvelle forme de « police de proximité ». Ils sont aussi plus que circonspects quant à l’articulation de ce dispositif avec leurs polices municipales et craignent une recentralisation du partenariat local entre les mains des forces de l’État.

Nous souhaitons donc que la grande concertation, qui devrait s’ouvrir dans les prochaines semaines sur les bases du rapport parlementaire de M. Fauvergue et de Mme Thourot, permette de renouer avec une politique de prévention, qui, depuis plus d’un an, se fait attendre.

De même, nous espérons que la justice bénéficiera du déploiement de crédits de droit commun suffisants ; ceux-ci sont indispensables pour apporter les réponses rapides qui sont attendues par nos concitoyens, sachant que l’engagement, aujourd’hui – le même constat vaut pour les effectifs et les moyens alloués à la police –, n’est pas à la hauteur des besoins et des préoccupations légitimes des habitants.

C’est pourquoi, en l’état du texte, le groupe socialiste et républicain s’abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, Mme la présidente de la commission des affaires économiques, au galop, va ramener un cavalier à la maison. (Sourires.)

M. Marc Daunis. Et dans la nuit !

M. Jacques Mézard. Au regard des débats qui ont émaillé la discussion de la loi ÉLAN, c’est là, me semble-t-il, une bonne chose, puisque nous étions, assemblées et Gouvernement, arrivés à un texte assez consensuel, qui permettait d’aller de l’avant sur un certain nombre de dossiers, dont celui-ci.

La question qui se pose, pour l’essentiel, est celle de la sécurité et de la tranquillité de nos concitoyens qui vivent dans ces copropriétés et dans les logements sociaux. Nous savons tous qu’il existe, malheureusement, nombre de situations absolument intolérables ; lorsque des habitants, des locataires, ne peuvent pas rentrer à leur domicile dans des conditions normales, lorsqu’ils sont confrontés – il faut le dire – à certains réseaux et comportements qui rendent au quotidien la vie dans ces immeubles difficile et qui sont sources de dérives pour certains des jeunes qui y habitent, il est non seulement utile, mais indispensable, de réagir.

Cette proposition de loi vise principalement deux objectifs.

Il s’agit en premier lieu de donner aux forces de l’ordre une autorisation permanente de pénétrer dans les parties communes – on voit bien, au regard de la réalité du terrain, qu’une telle autorisation est absolument indispensable.

Cette disposition doit permettre de faciliter le travail des forces de l’ordre, et aussi de leur rendre confiance – je ne ferai pas de digression sur la mise en œuvre de la politique de sécurité du quotidien, car ce n’est pas en quelques mois qu’on peut juger de l’utilité et de l’efficacité d’une telle politique, dont, en tout cas, l’essentiel de nos collègues élus locaux se rendent compte qu’elle est indispensable.

Nos forces de l’ordre, dans nos villes, dans nos quartiers, ressentent souvent de la lassitude eu égard à un certain nombre de situations dans lesquelles ils ont l’impression qu’ils ne peuvent de toute façon pas intervenir ou que, s’ils interviennent, aucune suite ne sera donnée. Cette réalité est absolument détestable à vivre au quotidien ; elle est détestable, aussi, du point de vue de l’utilisation de nos forces de l’ordre sur le terrain.

Cette disposition me paraît donc être un progrès.

Quant à l’article 2, il vise à préciser le délit d’occupation de halls d’immeubles et notamment à aggraver les sanctions. J’ai entendu, madame la présidente, qu’il s’agissait d’envoyer un signal. C’est toujours utile ! Mais ce qui est plus utile encore, c’est l’efficacité du signal.

En pratique, sur le terrain, la difficulté, s’agissant de ce type de délits, a jusqu’ici toujours résidé dans la caractérisation de l’infraction par ceux qui sont en charge d’y procéder.

Ce texte permet d’améliorer les choses, puisqu’il va, en la matière, dans le sens d’une plus grande précision. Pourquoi l’ancien texte n’avait-il donné lieu qu’à très peu de poursuites ? C’est justement l’impossibilité de caractériser l’infraction qui était en cause.

Cette disposition nous paraît donc utile elle aussi ; elle est assortie de peines complémentaires qui, dans certains cas, peuvent correspondre à un réel besoin : lorsque le délinquant est bien identifié, l’empêcher de revenir sur les lieux pendant plusieurs années paraît une peine complémentaire adaptée, sachant que cette peine ne serait pas obligatoire, mais à disposition du juge. Là encore, une telle mesure nous semble une bonne chose.

Reste, bien sûr, la question de la rétroactivité de la clause de résiliation de plein droit. Ayant toujours été, d’un point de vue tant juridique que politique, un grand défenseur de la non-rétroactivité, je pense malgré tout que, dans certains cas, il faut réussir à trouver un équilibre, c’est-à-dire, tout simplement, à utiliser le bon sens. En l’espèce, je pense que cet objectif est atteint.

Un mot sur les amendements déposés par le sénateur et ancien ministre Alain Richard et par le sénateur Jean-Pierre Grand. Bien sûr, notre groupe les soutiendra – qu’il soit nécessaire, par exemple, de permettre aux huissiers d’accéder aux lieux me paraît une évidence, sachant que d’autres peuvent y entrer en toute légalité. Une telle mesure sera utile, y compris pour certaines personnes qui, menacées de procédures, ne le savent souvent même pas, parce que les modalités de délivrance des actes posent problème.

Voilà les raisons pour lesquelles le groupe du RDSE votera en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Valérie Létard.

Mme Valérie Létard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre discussion porte sur les articles 91 et 121 de la loi ÉLAN, qui ont, donc, déjà été adoptés, mais qui ont été déclarés contraires à la Constitution par le Conseil constitutionnel, celui-ci estimant qu’ils n’avaient pas de lien, même indirect, avec les dispositions du projet de loi initial.

Au vu de l’importance de ces dispositions, qui ont « vocation à contribuer au bien vivre ensemble et à la préservation de la tranquillité et de la sécurité des locataires », je voudrais saluer l’initiative prise par la présidente de la commission des affaires économiques en déposant cette proposition de loi, dont les objectifs sont consensuels, sans attendre le dépôt d’un nouveau véhicule législatif en matière de logement. Je souscris pleinement aux deux articles de ce texte, que j’ai d’ailleurs cosigné, avec plusieurs membres du groupe Union Centriste.

Ce texte est important, car il met en avant deux problématiques essentielles de notre pacte social, à savoir, d’une part, la place de l’État, garant des droits et libertés, sur tous les territoires de la République, et, d’autre part, le vivre ensemble et le respect sur lesquels repose le bien-fondé dudit pacte.

Si ce texte interroge néanmoins, ce n’est pas tant du point de vue de son bien-fondé que de celui de la situation à laquelle, dans certains endroits, nous en sommes arrivés ; il interpelle également quant aux moyens à mettre en œuvre pour la réussite de cette ambition du « vivre ensemble, vivre en grand ».

J’évoquerai d’abord la place de l’État, et notamment des forces de l’ordre, sur tous les territoires de la République.

Avec ce texte, et notamment son article 1er, c’est la place des forces de l’ordre, donc la place de l’État, qui est mise en avant. Cet article prévoit en effet un accès permanent des forces de l’ordre aux parties communes des bâtiments du parc social ; il sera répondu à la demande des bailleurs sociaux, car les outils mis à leur disposition ne sont pas toujours satisfaisants pour maintenir de façon pérenne la tranquillité d’un immeuble.

Ainsi, l’article 1er donne une autorisation permanente à la police nationale, à la gendarmerie et à la police municipale de pénétrer dans les halls d’immeubles détenus par les bailleurs sociaux. Cette disposition existe déjà actuellement, mais son application est conditionnée à une demande de renouvellement des autorisations d’accès tous les six mois, ce qui, sans rendre le dispositif inopérant, le rend pour le moins complexe à mettre en œuvre, nécessitant régulièrement une nouvelle délibération de l’office.

Nous simplifions donc la procédure actuelle en posant le principe selon lequel les organismes d’HLM accordent aux forces de l’ordre une autorisation permanente de pénétrer dans les parties communes de leurs immeubles.

Des exemples, trop nombreux, ont été rappelés en commission pour évoquer l’absence de sécurité dans certains quartiers délaissés, non par manque de volonté, mais souvent par manque de moyens. Malgré la volonté des professionnels d’assurer la sécurité des populations, certaines zones de non-droit existent sur le territoire de notre République.

Or cet article 1er, s’il facilite évidemment la mise en œuvre des outils existants, en permettant la présence de forces de l’ordre dans les parties communes d’immeubles, ne répond pas pour autant à ce manque de moyens dédiés à la prévention de la délinquance par les professionnels de proximité. Il ne résoudra donc pas toutes les situations décrites au fil de nombreux exemples qui voient les policiers, en sous-effectif, cantonnés au commissariat en soirée.

Néanmoins, ces dispositions ont une véritable utilité pour la préservation de la tranquillité et de la sécurité des locataires, et sont très attendues par les bailleurs.

Dans le rapport que j’ai corédigé avec Annie Guillemot, et que celle-ci évoquait précédemment, sur l’évaluation de la loi Lamy, nous avions soulevé ces lacunes « présentielles » et évoqué la nécessité de la prise en compte globale de la situation. Nous proposions notamment de systématiser le recours au gardiennage, ainsi qu’à la médiation, pour agir en amont, et de donner à la politique de prévention les moyens d’être efficace. Tous les outils qui peuvent être mis en place pour la lutte contre les incivilités et les actions en faveur de la tranquillité publique doivent s’accompagner d’une réponse judiciaire rapide. Je défends l’idée d’un équilibre entre prévention, actions éducatives et effectivité des sanctions en cas d’infraction.

Ces éléments déjà évoqués au Sénat depuis plusieurs années corroborent assez nettement la nécessité d’une continuité présentielle et physique et l’importance de cet article 1er.

Les pouvoirs publics doivent donner aux services de police et de justice les moyens d’amplifier leurs efforts pour assurer la tranquillité des habitants dans les quartiers, mais les bailleurs ont également un rôle à jouer en la matière. Les bailleurs dont les locaux remplissent certaines conditions doivent en effet, en application de l’article L. 271-1 du code de la sécurité publique, prendre des mesures permettant d’assurer le gardiennage ou la surveillance afin « d’éviter les risques manifestes pour la sécurité et la tranquillité des locaux ».

Les bailleurs peuvent également recourir, en complément, à des agents de prévention et de médiation, ou à des correspondants de nuit. Ces mesures, complétées par celles que nous allons voter aujourd’hui, me semblent procéder d’une dynamique collective, susceptible de proposer un cadre global, de la prévention à l’effectivité de la réponse des forces de l’ordre et de la justice.

L’article 2 de ce texte a également toute son importance, car il a vocation à contribuer au bien vivre et, là encore, à la préservation de la tranquillité des résidents.

Cet article modifie le délit d’occupation de halls d’immeuble, créé en 2001 et complété en 2003. Devant la difficulté d’établir la preuve des éléments constitutifs de l’infraction, à savoir le fait d’empêcher délibérément la libre circulation des résidents ou l’accès aux dispositifs de sécurité, ces dispositions sont aujourd’hui jugées inefficaces et inapplicables.

Ainsi, l’article 2 vient compléter l’article L. 126-3 du code de la construction et de l’habitation avec un nouveau cas d’occupation abusive des parties communes d’immeubles, en incluant la nuisance à la tranquillité des lieux, et en aggravant les peines lorsque le délit d’occupation abusive est commis avec voies de fait et menaces.

Par ailleurs, cet article prévoit la résiliation automatique du bail en cas de condamnation pour trafic de drogue, et l’application rétroactive d’une clause permettant de résilier le bail automatiquement en cas de condamnation pour troubles de voisinage.

Ces mesures vont dans le bon sens, et nous devrions, à notre niveau, mener une réflexion en vue de les étendre au parc privé – cette question a d’ailleurs été évoquée en commission. Cette réflexion pourrait s’inscrire dans le cadre plus général du traitement des copropriétés dégradées – ce sujet-là mérite aussi, évidemment, d’être pris en considération.

Lors de nos déplacements, en 2017, nous avons été frappées, avec Annie Guillemot, de constater combien la question de la tranquillité était prégnante et récurrente pour les habitants des quartiers, partout où nous sommes passées, au nord comme au sud, à l’est comme à l’ouest : il s’agissait vraiment d’un sujet absolument récurrent.

Je souhaite, à ce titre, mentionner la proposition de loi qui nous avait été présentée par notre collègue Vincent Delahaye concernant les rodéos sauvages, texte désormais en vigueur, depuis l’été dernier. Ce texte vient lui aussi compléter l’ensemble des dispositifs existants ; il était très attendu dans les quartiers.

Si l’Assemblée nationale nous suit et adopte rapidement cette proposition de loi, ces dispositifs pourront enfin être inscrits dans la loi, après plusieurs tentatives – le Parlement avait déjà travaillé sur ce sujet et adopté des mesures quasi identiques dans le cadre de la loi relative à l’égalité et à la citoyenneté.

Nous abordons, je l’espère, l’acte final qui permettra la mise en œuvre de ces mesures utiles et attendues.

Le groupe Union Centriste appelle de ses vœux la mise en œuvre effective de ces dispositions, accompagnée de la mobilisation de moyens supplémentaires et d’une vision globale susceptible de donner sens à l’ambition du « vivre ensemble, vivre en grand » ; car c’est bien par une approche globale – nous l’avons dit, toutes et tous, de façon insistante – que nous réussirons à donner à des quartiers qui, aujourd’hui, manquent parfois de sérénité la capacité à retrouver une cohésion et une vie agréable.

Nous voterons donc ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et sur des travées du groupe socialiste et républicain, ainsi quau banc des commissions.)