M. Bruno Le Maire, ministre. Cet amendement va me valoir, j’imagine, un succès d’estime dans cette enceinte (Rires.), puisqu’il vise à rétablir l’autorisation de transfert au secteur privé de la majorité du capital de la Française des jeux. Après avoir passé un peu de temps sur Aéroports de Paris et sur l’encadrement d’une privatisation dont le Sénat ne veut pas, nous allons maintenant avoir une discussion sur le rétablissement d’une privatisation dont le Sénat voudra peut-être. Je ne préjuge pas la décision de la Haute Assemblée, même si la commission spéciale a rejeté cette perspective.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission spéciale ?

M. Jean-François Husson, rapporteur. Vous le savez, monsieur le ministre, les inquiétudes sont fortes devant le projet de privatisation de la Française des jeux, ou FDJ, entreprise historique très ancrée dans nos territoires. Ce projet pose, entre autres enjeux, un problème de santé publique.

En commission spéciale, nous avons relevé une forme d’impréparation de l’opération que vous nous présentez. Nous pensons que le Gouvernement n’est pas véritablement prêt à solliciter du Parlement l’autorisation de privatiser la Française des jeux. Il faut savoir que l’Assemblée nationale a délibéré voilà déjà quatre mois, et quand je vois le peu d’éléments qui nous sont fournis, je n’ose pas croire que vous puissiez demander à la représentation nationale de se prononcer dans le cadre de l’examen d’un texte en procédure accélérée sur le sujet. En plus, le périmètre des droits exclusifs confiés à l’opérateur n’est pas clairement défini. Il demeure également de l’imprécision sur la régulation, de même que sur la fiscalité, mais, à ce sujet, nous allons pouvoir débattre d’un amendement.

À ce stade, comment la chambre haute pourrait-elle se prononcer de manière éclairée ? J’ai eu l’occasion de le dire, l’objectif n’est pas de proposer de délibérer, faute de texte, les yeux bandés. Il n’est pas davantage de faire un chèque en blanc ou un chèque en bois !

Monsieur le ministre, conformément à la position exprimée par la commission spéciale, j’émets un avis défavorable sur votre amendement.

Mme la présidente. La parole à M. Martial Bourquin, pour explication de vote.

M. Martial Bourquin. Comme le rapporteur, nous sommes opposés à la privatisation pour deux raisons essentielles.

Première raison, la lutte contre les addictions, le blanchiment et la fraude. Sur ces questions, à nos yeux très importantes, le Gouvernement n’a pas donné de réponse satisfaisante.

Seconde raison, la Française des jeux aide à financer les infrastructures sportives. Certes, le Gouvernement nous a assuré s’entourer de toutes les garanties pour que cette aide se poursuive, mais nous pensons que cette grande entreprise, qui produit beaucoup de dividendes, doit rester dans le giron public.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre Monier, pour explication de vote.

Mme Marie-Pierre Monier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux attirer votre attention sur une autre problématique que poserait la privatisation de cette entreprise publique et que de nombreux défenseurs du patrimoine souhaitent souligner. La semaine dernière, lors de l’audition de M. Bern par la commission de la culture, nous avons évoqué l’incertitude sur le devenir du loto du patrimoine organisé par la Française des jeux et sur la part qui reviendrait au financement du patrimoine si cette privatisation était retenue.

Ce loto du patrimoine, qui constitue une innovation très attendue par le secteur du patrimoine et les associations de sauvegarde de ce dernier, destinée à financer le patrimoine rural et de proximité, reprend d’ailleurs une proposition contenue dans un rapport sénatorial assez ancien.

Fort de son succès, il a été décidé de le renouveler cette année. Pour la première édition, en date de 2018, sur les 15 euros que vaut un ticket à gratter, 1,04 revenait à l’État et 1,5 était destiné à la Fondation du patrimoine. Après la privatisation, de telles opérations seront-elles encore possibles ? Aucune garantie n’est apportée quant à la répartition des sommes qui seront affectées au secteur patrimonial lors de futures éditions.

La FDJ participe au financement de plusieurs secteurs, notamment, comme l’a dit mon collègue, celui du sport, mais aussi celui du patrimoine via des taxes affectées provenant des mises des joueurs. Cette implication singulière est particulièrement importante.

Monsieur le ministre, comment comptez-vous garantir que le nouvel investisseur privé accordera au patrimoine et au sport une attention aussi forte que la Française des jeux, contrôlée par l’État ? Si l’État n’est plus majoritaire, il n’y aura plus les mêmes marges de manœuvre ni des moyens de pression comparables pour défendre les secteurs que la FDJ finance actuellement et pour lesquels, on le sait, les pouvoirs publics se désengagent de plus en plus, faute de budget suffisant.

Il convient donc de ne pas remettre en cause les différentes ressources financières affectées au patrimoine et de ne pas porter un mauvais coup à la nécessaire régulation républicaine des jeux d’argent.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Primas, pour explication de vote.

Mme Sophie Primas. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vais m’exprimer en mon nom propre et pas comme membre de mon groupe ou en ma qualité de présidente de la commission des affaires économiques.

Monsieur le ministre, au risque de vous surprendre, je veux vous dire que cette privatisation de la Française des jeux ne me choque pas. J’y serais même plutôt favorable, car il me semble que les systèmes de régulation dont vous nous avez parlé en commission prennent notamment en compte les problèmes de santé et d’addiction.

Je ne fais pas de confusion entre les dividendes et la fiscalité des jeux, ce n’est pas tout à fait la même chose. Si mes informations sont bonnes, ce sont pratiquement 3,5 milliards d’euros qui viennent chaque année alimenter le budget de l’État au titre de la fiscalité des jeux. Je crois que cela continuera.

En revanche, si je ne suis pas d’accord pour adopter aujourd’hui cette privatisation, c’est parce que je n’ai pas d’informations exactes sur les conditions de cession de la Française des jeux. Je n’ai pas eu de réponse à la question que j’ai posée en commission sur les problèmes d’équité entre les différents types de jeux qui existent en France – le PMU et d’autres jeux, y compris les jeux en ligne. Je suis confortée dans mon interrogation par le dépôt d’un amendement relatif à la fiscalité de ces jeux. En effet, cette proposition ne me semble pas remplir les conditions d’équité entre la Française des jeux et les autres types de jeux qui me paraissent – pardonnez-moi l’expression – habiller la mariée.

Nous manquons, à mon sens, de précisions pour pouvoir donner en toute connaissance de cause, un quitus sur la privatisation. Toutefois, comme vous l’avez compris, je ne demande qu’à être convaincue !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Michel Houllegatte, pour explication de vote.

M. Jean-Michel Houllegatte. Madame la présidente, monsieur le ministre, chers collègues, je veux attirer votre attention sur un autre point qui mérite notre vigilance et qui résulterait de la privatisation de la Française des jeux, notamment du point de vue de nos territoires.

En effet, la Française des jeux prend appui sur un réseau de plus de 30 000 points de vente, qui sont des bars, des tabacs, des magasins de journaux. Répartis sur plus de 11 000 communes, ils constituent, pour bon nombre d’entre eux, le dernier commerce en milieu rural.

La Française des jeux mobilise annuellement plus de 780 millions d’euros pour rétribuer les détaillants, ce qui représente un complément de chiffre d’affaires de plus de 25 000 euros par point de vente et par an, une somme qui contribue largement à la viabilité de ces petits commerces.

Les relations entre la Française des jeux et ses détaillants reposent sur une base contractuelle qui permet une rétribution à hauteur d’un taux d’environ 5,5 % sur le chiffre d’affaires des jeux. Ces relations sont à la fois bonnes et fragiles, car la stratégie repose sur des points de vente physiques et sur une forte implication des revendeurs.

Qu’en serait-il demain ? La future gouvernance n’aurait-elle pas, pour maximiser ses bénéfices, tendance à durcir ses relations avec les buralistes ? Le développement des nouvelles technologies ne va-t-il pas favoriser le recours à des jeux dématérialisés qui sont très lucratifs ?

Face à ces interrogations, le maintien de la gouvernance de la Française des jeux dans le giron public me semble être une garantie en termes d’aménagement du territoire pour continuer à conforter la présence de ces points de vente, notamment en milieu rural.

Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote.

M. Fabien Gay. Nous partageons, quant à nous, l’avis défavorable de la commission sur cet amendement, et ce pour plusieurs raisons. Je rassure M. le ministre sur le fait que nous faisons nous aussi la différence entre fiscalité et dividendes. Cette privatisation n’aura évidemment pas d’incidence sur les recettes fiscales qui continueront, quoi qu’il arrive, à rentrer dans les caisses de l’État.

Si nous nous opposons à cet amendement, c’est d’abord pour lutter contre l’addiction, point sur lequel un certain nombre de nos collègues sont revenus. Ce phénomène est indéniable, monsieur le ministre, surtout quand on voit l’agressivité des paris en ligne et des opérateurs privés. Si demain, la Française des jeux venait à être privatisée, nous pourrions nous trouver confrontés, sinon à des scènes de western, un mot que je n’ai pas envie d’employer de nouveau, en tout cas à des difficultés ; je pense notamment au jeune public exposé aux paris en ligne.

Je ne reviendrai pas sur une autre raison de notre opposition à cet amendement, relative à des questions d’infrastructures évoquées par un certain nombre de mes collègues. On pourrait aussi parler de la filière équine.

Troisième sujet d’opposition à cet amendement, le seul opérateur privé est actuellement l’association des ex-Gueules cassées, titulaire d’un contrat et actionnaire aux alentours de 9,23 %. Elle a dit craindre de voir ses dividendes baisser dans le cadre d’une probable privatisation. Nous soutenons évidemment cette association d’anciens combattants qui a un rayonnement certain. La question n’est donc pas anodine. Faute d’avoir rencontré les anciens combattants, nous avons lu que cette privatisation suscite chez eux une très vive inquiétude.

Pour toutes ces raisons et pour bien d’autres encore, nous ne voterons pas, monsieur le ministre, votre amendement tendant à réintroduire la privatisation de la Française des jeux.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Pierre Vogel, pour explication de vote.

M. Jean Pierre Vogel. Monsieur le ministre, je veux vous faire part de mes craintes au sujet du GIE PMU dans l’hypothèse de la privatisation de la Française des jeux. Je suis d’autant plus inquiet qu’il n’y a strictement aucune étude d’impact, notamment sur les risques de cannibalisation de la Française des jeux par rapport au PMU.

On le sait, le GIE PMU a déjà perdu depuis huit ans environ 1 milliard d’euros d’enjeux au profit de la Française des jeux. Or il reverse à peu près 800 millions d’euros par an à la filière équine. Et il existe 9 000 points de vente physiques, qui sont d’ailleurs les mêmes pour le PMU et la Française des jeux. Il faut le savoir, la rémunération n’est pas du tout la même pour les buralistes selon les produits. Si ceux-ci concernent la FDJ, les commerçants perçoivent une rémunération quasiment deux fois et demie supérieure à celle qu’ils touchent pour les produits afférents au PMU.

Le risque est d’autant plus réel qu’il serait envisagé d’accorder aux buralistes des droits de souscription préférentiels au capital de la Française des jeux si cette entreprise était privatisée. Dans cette situation nouvelle, cette société conduirait naturellement une politique beaucoup plus agressive au détriment du GIE PMU et de toute la filière équine qui maille l’ensemble de nos territoires ruraux.

Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Durain, pour explication de vote.

M. Jérôme Durain. Le jeu d’argent justifie la prudence. Évidemment, quand on est parieur, cela va de soi, mais cette question concerne tous ceux qui s’y intéressent.

Je suis satisfait que la commission spéciale ait choisi de s’opposer à cette privatisation et je partage les réserves de ceux qui se sont exprimés dans le même sens.

Pourquoi vendre un opérateur si différent par son histoire et ses produits ? La question des addictions et des intérêts d’ordre public a été mentionnée. On ne traite pas la Française des jeux comme n’importe quel autre opérateur économique ! Pourquoi vendre un opérateur qui est rentable ? Pourquoi vendre un opérateur qui joue un rôle encore plus important que les autres en matière de prévention ? Certains ont évoqué l’agressivité des acteurs en matière de paris en ligne notamment. Pourquoi vendre un opérateur, alors que rien dans la stratégie de la Française des jeux ne nécessite cette privatisation ?

Le principe de cette privatisation et la volonté du Gouvernement accréditent finalement la thèse de ceux qui craignent que le changement du business model de la Française des jeux ne conduise à une évolution vers un modèle un peu moins vertueux, tel que ceux qui existent dans d’autres pays voisins.

Le sujet revêt aussi un aspect fiscal. Au-delà de l’opposition générale à la privatisation, on a pu observer un certain flou dans la position de l’exécutif sur la fiscalité des jeux, ainsi que sur la régulation.

S’agissant de la fiscalité, de nombreux observateurs du secteur éprouvent des doutes. Les taxes sur les paris sportifs s’élèveraient à 62 % du produit brut des jeux, alors que l’État prélevait auparavant 9,3 % des mises. Ce n’est pas du tout un jeu à somme nulle ! Beaucoup craignent d’ailleurs que des opérateurs aujourd’hui rentables ne fassent faillite. Quel est le but ? S’agit-il de rendre plus présentable la corbeille de la mariée Française des jeux ?

J’en viens enfin à la régulation, qui est un sujet essentiel pour les motifs évoqués plus haut. Je ne comprends pas bien où veut en venir le Gouvernement. On nous vend une privatisation, mais si elle n’est pas accompagnée d’une remise à plat de la régulation par une autorité unique indépendante, du type de l’ARJEL, l’Autorité de régulation des jeux en ligne, dont on sait qu’elle fonctionne plutôt bien, on n’a pas la garantie d’une régulation saine et universelle.

En ultime argument, comme beaucoup d’autres ici, je ne suis pas tout à fait convaincu, en ma qualité de parlementaire, par le recours aux ordonnances.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian, pour explication de vote.

Mme Sophie Taillé-Polian. Monsieur le ministre, beaucoup ayant été dit sur le sujet, je ne serai pas très longue. Nous ne devons cependant pas oublier que le jeu n’est pas une marchandise comme les autres. Je veux revenir à mon tour sur la question des addictions.

L’Observatoire des jeux et de nombreuses associations qui œuvrent avec beaucoup de pugnacité contre les addictions nous alertent sur l’évolution du nombre de joueurs à risque excessif – 300 000 – et sur l’augmentation assez forte du nombre de joueurs à risque modéré. Ces joueurs ne compromettent pas l’équilibre de leur budget quotidien en jouant de façon pathologique, excessive, mais leur nombre augmente et atteindrait aujourd’hui 1 million dans notre pays, ce qui doit nous conduire à nous interroger.

Le devenir de la Française des jeux, la progression du chiffre d’affaires, en particulier, aura forcément des conséquences. On peut estimer qu’une progression du chiffre d’affaires de 1 % correspondra à plusieurs milliers de nouveaux joueurs pathologiques ou à risque modéré. Or la Française des jeux, acteur principal du secteur, représente 60 % du jeu problématique dans notre pays. Et ce jeu problématique a des coûts sociaux exorbitants.

Peut-être allons-nous obtenir de l’argent en privatisant, mais je crains que nous n’en dépensions bien davantage pour essayer de lutter contre les addictions. Il faut donc une politique publique de jeu responsable.

Il est quasiment certain qu’un actionnaire privé, tenté de maximiser sa rentabilité et ses dividendes, mènera une politique beaucoup plus agressive. Selon un exemple souvent cité, après avoir observé, en 2014, le caractère extrêmement addictif du jeu Rapido, la Française des jeux, consciente de l’incidence sur la santé publique, a décidé de le retirer. Un acteur privé ne réagira pas de la sorte.

Par conséquent, il y a là une mission d’intérêt général pour la puissance publique, et de ce point de vue, deux garanties valent mieux qu’une : une régulation externe, certes, mais aussi une régulation interne parce que la Française des jeux a un sens du service public et de l’intérêt général qui n’existe pas dans une entreprise privée.

Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier, pour explication de vote.

Mme Anne-Catherine Loisier. Monsieur le ministre, j’ai quelques questions à vous poser pour que le Sénat obtienne des éclaircissements sur la philosophie du Gouvernement concernant ces jeux pour lesquels il existe un monopole en vue de lutter contre l’addiction. Vous nous proposez aujourd’hui d’en ouvrir l’accès au privé de manière à libérer les capacités à s’ouvrir au monde extérieur et à accélérer sa montée en compétences. Quand on connaît les réalités du monde extérieur en matière de jeux, c’est un peu inquiétant !

De même, la fin de l’exposé des motifs de votre amendement mentionne : « la seule conséquence directe de la privatisation de la Française des jeux sera la perte, à hauteur de la part de capital cédée, du dividende perçu chaque année par l’État ».

C’est nier totalement la loi de 2010, qui soulignait les risques d’une déstabilisation économique des filières concernées, dont mon collègue Vogel a parlé, notamment les paris hippiques et le PMU.

Pour toutes ces raisons, monsieur le ministre, nous avons des motifs d’être inquiets quant à l’avenir des jeux, des filières et des emplois sur l’ensemble de nos territoires.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Bruno Le Maire, ministre. Il y a quelque chose d’un peu surprenant dans notre discussion !

Soit on estime que les jeux de hasard sont tellement dangereux qu’il faut un contrôle complet de l’État, position parfaitement cohérente. Cependant, dans ce cas, il faut proposer la nationalisation du PMU et des casinos, offrant des jeux de hasard, qui évoluent dans le secteur privé.

Soit on estime que ce qui compte, c’est avant tout la régulation de ces jeux, mais non leur gestion commerciale et on suit – c’était l’avis de Sophie Primas – l’orientation du Gouvernement, c’est-à-dire qu’on regarde d’un œil plutôt favorable cette logique : considérant que le PMU et les casinos sont privés, il n’y a aucune raison que l’État s’occupe de la commercialisation des jeux de hasard.

Telle est la position du Gouvernement et elle revient, comme dans toutes ces opérations, à remettre en cohérence le rôle de l’État dans la société et l’économie françaises.

J’estime, au plus profond de moi-même, qu’il ne revient pas à l’État de commercialiser les jeux de hasard. Et je continuerai de défendre jusqu’au bout cette position, comme j’ai considéré que le rôle de l’État n’est pas de s’occuper de boutiques, d’hôtels ou de développement international d’un aéroport dont les recettes constituent 73 % des revenus d’Aéroports de Paris.

Voilà la position claire et simple du Gouvernement.

En revanche, qu’il y ait un vrai sujet sur la régulation, le contrôle des jeux et l’addiction au jeu, j’en suis parfaitement d’accord et je partage tout ce qui a été dit sur l’ensemble des travées du Sénat. Oui, il faut lutter contre l’addiction au jeu !

La situation actuelle est-elle satisfaisante ? Non ! Le fait que l’État commercialise des jeux lui permet-il de mieux contrôler l’addiction au jeu ? Absolument pas ! Au contraire, on pourrait même trouver quelque peu malsain de voir un État juge et partie. Il a intérêt à la fois à commercialiser au maximum les jeux et à rendre les Français les plus addictifs possible aux jeux qu’il commercialise puisqu’il est acteur de cette commercialisation et que cela garantit la rentabilité de son activité !

Et puis, de l’autre côté, il se décale et il essaie de réguler et de contrôler le plus possible. Là encore, je pense que le Gouvernement a une position cohérente : si on veut lutter contre l’addiction au jeu, il ne faut pas que l’État soit juge et partie en la matière. Il faut qu’il régule, il ne faut pas qu’il commercialise.

Je vous invite à réfléchir à cet argument. Je pense que tous ceux qui, dans cette enceinte, sont attachés à l’État régulateur, comme je le suis, estimeront qu’il ne peut pas être celui qui commercialise et celui qui régule.

Un certain nombre de questions parfaitement légitimes m’ont été posées. Je remercie M. Gay de bien avoir fait la différence – il était important de le rappeler – entre les dividendes et les revenus fiscaux. Il est évident que ce qui compte dans la Française des jeux, ce ne sont pas les dividendes, lesquelles sont inférieurs à 100 millions d’euros, mais les revenus de la fiscalité qui sont supérieurs à 3 milliards d’euros. Comme ministre des finances, entre 100 millions d’euros et 3 milliards d’euros, j’ai toujours préféré les 3 milliards ! C’est ce qui fait l’intérêt de la Française des jeux pour les caisses de l’État et pour le Trésor public. De ce point de vue, comme vous le savez, les revenus de la fiscalité ne changent pas.

Certains m’ont interrogé sur les associations. Nous veillons, bien entendu, aux intérêts des associations d’anciens combattants, les Gueules cassées, et aux dividendes qui leur sont versés. C’est la raison pour laquelle l’État reste présent au capital de la Française des jeux. L’opération que nous vous proposons consiste à permettre à l’État de conserver 20 % dans le chiffre d’affaires de la société. Il serait actionnaire à hauteur d’environ 20 %, de façon à pouvoir pérenniser les dividendes de ces associations d’anciens combattants. C’est un engagement que nous prenons, qui est garanti par le maintien de la présence de l’État au conseil d’administration de la société.

S’agissant des buralistes, nous faisons évidemment très attention à eux. Ils ont un lien privilégié avec la Française des jeux, mais il n’est pas question de leur accorder des droits de succession préférentiels. Il y aura des droits de souscription auxquels ils pourront participer.

J’ai été interrogé sur le loto du patrimoine, question parfaitement justifiée, car les Français sont attachés à ce jeu, qui marche bien. Ils sont également attachés à Stéphane Bern ! Mieux vaut éviter de susciter des réactions trop vives chez Stéphane Bern – on sait qu’elles peuvent l’être. (Sourires.) Nous garantirons par la convention qui sera signée entre l’État et la future société d’exploitation de la Française des jeux la pérennisation des activités du loto du patrimoine. C’est un engagement que je prends devant vous et que je prendrai envers Stéphane Bern. Le loto du patrimoine est un succès auquel Stéphane Bern a contribué. Nous devons garantir noir sur blanc dans cette convention le maintien du loto du patrimoine.

Je rappelle d’ailleurs que le loto du patrimoine est également une bonne opération pour la Française des jeux et que le nouvel actionnaire aura tout intérêt à le maintenir. Je comprends tout à fait que vous vouliez des garanties supplémentaires. Elles figureront dans la convention qui sera signée, je le répète.

J’en viens à la prévention de l’addiction au jeu. Cette question, soulevée par un certain nombre d’entre vous, notamment par Mme Sophie Primas, est la plus importante, car personne n’a envie de voir se développer l’addiction au jeu, en particulier chez les jeunes, en France. Je suis tout aussi sensible que vous à ce sujet.

Vous me permettrez d’observer que la situation actuelle n’est pas satisfaisante, ce pour deux raisons. D’abord, parce qu’il y a plusieurs contrôles, ce qui n’est pas forcément la solution la plus efficace. Ensuite, parce que l’État est juge et partie. Il est totalement schizophrène parce qu’il a intérêt au développement des jeux et à des taux de retour aux joueurs qui soient satisfaisants et en même temps il faut qu’il régule et qu’il limite.

Nous, nous allons renforcer la régulation, d’abord, en assurant l’harmonisation. Aujourd’hui, vous avez, d’un côté, les casinos, les jeux en ligne, le PMU, qui sont des opérateurs privés, et, de l’autre côté, la Française des jeux. Avec notre proposition, tout le monde sera logé à la même enseigne. Vous aurez une seule régulation harmonisée des jeux de hasard en France.

Je rejoins l’argument exposé il y a quelques heures à propos d’Aéroports de Paris, mais cette fois, je le retourne : vous vouliez une régulation unique. Nous la créons pour la Française des jeux, de façon à la rendre plus efficace.

Comment cette régulation va-t-elle fonctionner ? D’abord, elle reviendra à une autorité administrative indépendante de régulation et de surveillance des jeux d’argent et de hasard qui sera dotée d’une compétence générale sur les jeux en ligne, les jeux sous droits exclusifs de la Française des jeux et du PMU.

Cette autorité administrative indépendante aura vocation à contrôler les points de vente en second niveau. Ce sont les opérateurs qui contrôleront en premier niveau, mais au second niveau, cette autorité sera chargée de vérifier l’effectivité et la rigueur des contrôles assurés par les opérateurs. Elle disposera à cette fin de tous les rapports, de tous les résultats des inspections des points de vente. Elle devra informer les ministères compétents en cas d’abus ou de manquement des détaillants.

Je veux maintenant préciser un point essentiel à l’intention de Mme Primas. Les catégories de jeux et les gammes exploitables par les deux monopoles resteront déterminées par décret. Les gammes des taux de retour aux joueurs seront fixées par arrêté. Ce point est capital. Ce n’est pas le futur opérateur privé qui va déterminer les taux de retour aux joueurs qui définissent l’addiction. Il reviendra à un arrêté de définir ces taux de retour aux joueurs qui seront ensuite affectés jeu par jeu. L’autorité sera en outre compétente – c’est aussi un point absolument stratégique – pour déterminer les futurs jeux qui seront autorisés dans le respect des gammes définies par le pouvoir réglementaire.

Le pouvoir réglementaire continuera à définir les gammes de jeux autorisées, tandis que l’autorité administrative de contrôle déterminera les jeux autorisés dans la gamme définie par l’État en fonction du taux de retour aux joueurs déterminé par arrêté.

Vous le voyez donc, tout ce qui est conditionnalité de l’addiction, c’est-à-dire le taux de retour et le type de jeu, reste du domaine et de la compétence du secteur public. Tout ce qui est contrôle de cette régulation, bon fonctionnement des opérateurs et respect des règles relève du contrôle de cette autorité administrative indépendante.

Enfin, cette dernière a une compétence d’ensemble qui n’existe pas aujourd’hui. Il me semble que tout cela devrait être de nature à vous rassurer sur ces contrôles !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Louis Tourenne, pour explication de vote.

M. Jean-Louis Tourenne. Je veux faire quelques observations. D’abord, l’alibi de la simplification et de l’alignement sert souvent à justifier la dérégulation d’un certain nombre d’institutions. On invoque le fait que le PMU et les casinos sont du secteur privé pour en tirer la conséquence qu’il faut s’aligner. Le raisonnement me paraît un peu juste ! Il doit exister d’autres arguments pour justifier une telle décision : se contenter de dire qu’on veut procéder à l’alignement sans mesurer toutes les conséquences de l’opération me paraît un peu sommaire et insuffisant.

Imaginons qu’il y ait des inconvénients extrêmement graves. Le ferait-on quand même par pur désir d’alignement ?

Monsieur le ministre, vous nous dites – je pourrais vous rejoindre sur ce point – qu’il est délicat d’être juge et partie. On peut s’attarder un peu sur le sujet et convenir que ce n’est pas simple. Encore faudrait-il que vous nous affirmiez que l’État n’aura aucun intérêt à l’augmentation du chiffre d’affaires de la Française des jeux, ce qui pourrait être le cas avec une fiscalité proportionnelle au chiffre d’affaires.

Bref, l’État va tout de même rester juge et partie, ce qui est un peu gênant selon votre logique.

Vous nous apportez un certain nombre de garanties, mais elles ne sont qu’orales. La commission spéciale a tout de même considéré qu’il fallait une étude d’impact. Elle souligne la nécessité d’obtenir davantage de détails et de précisions pour éviter toutes les dérives actuelles et faire en sorte que l’addiction au jeu ne devienne pas une règle.

Je crois que la sagesse veut que l’on reporte au minimum la décision, reconnaissant que la mesure n’est pas mûre et qu’il nous faut davantage d’informations pour pouvoir prendre position en conscience et en connaissance de cause.