compte rendu intégral

Présidence de M. Vincent Delahaye

vice-président

Secrétaires :

Mme Jacky Deromedi,

Mme Annie Guillemot.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Communication d’un avis sur un projet de nomination

M. le président. En application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission des affaires économiques a émis, lors de sa réunion de ce jour, un avis favorable – huit voix pour, aucune voix contre, cinq bulletins blancs – à la reconduction de M. Jean-Bernard Lévy dans les fonctions de président-directeur général d’Électricité de France.

3

 
Dossier législatif : proposition de loi relative au droit de résiliation sans frais de contrats de complémentaire santé
Discussion générale (suite)

Droit de résiliation sans frais de contrats de complémentaire santé

Discussion en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe La République En Marche, de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, après engagement de la procédure accélérée, relative au droit de résiliation sans frais de contrats de complémentaire santé (proposition n° 417, texte de la commission n° 441, rapport n° 440).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative au droit de résiliation sans frais de contrats de complémentaire santé
Demande de priorité

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi examinée aujourd’hui répond à un objectif dont on ne peut douter de l’intérêt, puisqu’il s’agit de faciliter les démarches des administrés et d’agir pour leur pouvoir d’achat.

Cette possibilité est attendue par nos concitoyens, qui souhaitent obtenir davantage de souplesse et ainsi pouvoir résilier leur contrat de complémentaire santé sans frais et à tout moment au terme de la première année de souscription.

Il s’agit de mesures à la fois pragmatiques et concrètes, qui s’inscrivent dans la continuité de la faculté, offerte aux assurés par la loi relative à la consommation de 2014, de résilier leur contrat d’assurance automobile ou emprunteur à l’expiration d’un délai d’un an à compter de la première souscription.

Je ne puis que regretter le sort réservé à ce texte en commission : les principales dispositions ont été supprimées, sur la base d’arguments dont j’aurai l’occasion de discuter du bien-fondé.

Avant d’aborder le contenu de cette proposition de loi, je reviendrai un instant sur le contexte dans lequel elle s’inscrit, car l’on ne peut faire abstraction du moment que nous vivons.

Au mois de décembre dernier, après avoir annoncé un premier ensemble de mesures destinées à soutenir le pouvoir d’achat des Français, dispositions approuvées par la Haute Assemblée, le Président de la République a réuni à l’Élysée les représentants des mutuelles, des assureurs et des instituts de prévoyance. Comme aux grandes entreprises et aux banques, il leur a demandé de prendre part à la mobilisation pour l’urgence économique et sociale. Les dépenses de complémentaires santé font en effet partie des dépenses dites « contraintes », celles auxquelles les ménages ne peuvent échapper.

Les organismes complémentaires ont répondu à cet appel et se sont engagés à prendre des mesures pour le pouvoir d’achat des assurés : la hausse des tarifs prévue en 2019 pour les contrats d’entrée de gamme devra être neutralisée, et les organismes complémentaires s’engageront dans un travail commun pour faire évoluer à la baisse les frais de gestion, qui représentent environ 20 % des cotisations collectées.

En outre, l’une des propositions qu’a évoquées le Président de la République et que traduit cette proposition de loi est de faciliter les conditions de résiliation, donc de laisser plus de liberté aux ménages et de réduire les tarifs des complémentaires en faisant davantage jouer la concurrence.

Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai entendu les critiques qui ont été émises en commission et qui ne manqueront pas de s’exprimer au cours de ce débat, lors de l’examen des amendements de rétablissement. Ainsi, comme j’ai pu le faire à l’Assemblée nationale, je saisis l’occasion qui m’est offerte de m’exprimer à la tribune pour éclairer le débat et répondre à certaines idées reçues qui circulent sur ce texte.

Tout d’abord, cette proposition de loi ne va pas augmenter le coût des primes. Au contraire, le renforcement de la concurrence qu’elle permettra va inciter les complémentaires à les diminuer, notamment en réduisant leurs frais de fonctionnement, afin d’attirer ou de garder des assurés. C’est la raison pour laquelle, selon un récent sondage mené par l’Institut français d’opinion publique, l’IFOP, les Français se prononcent très clairement pour cette mesure : au total, les avis favorables avoisinent les 94 %.

D’ailleurs, la mise en œuvre de mesures similaires dans d’autres secteurs de l’assurance ne s’est pas traduite par des hausses de primes, au contraire. Par exemple, la mise en œuvre de la résiliation annuelle des contrats d’assurance emprunteur depuis le 1er janvier 2018 a conduit certains organismes à diminuer leurs primes de 30 %.

Ensuite, cette mesure ne va pas favoriser les comportements opportunistes. En effet, elle ne permet de résilier un contrat d’assurance complémentaire santé qu’au terme d’un délai d’un an. Un assuré qui souhaiterait souscrire une complémentaire santé avant un acte médical programmé, puis s’en défaire après cet acte, ne pourrait donc pas mettre ses desseins à exécution.

De surcroît, cette mesure ne va pas déstabiliser le marché. Elle favorisera la mobilité des assurés qui souhaitent changer de complémentaire santé. Néanmoins, d’un point de vue global, elle ne modifiera pas drastiquement la situation actuelle, car une résiliation annuelle est déjà possible. Dès lors, chacun peut changer de contrat chaque année. J’ajoute que, au titre de la loi Hamon de 2014, l’on n’a pas identifié d’effet déstabilisateur.

Enfin, cette mesure ne va pas entraîner une démutualisation des risques au détriment des personnes âgées. Les garanties en termes de mutualisation seront inchangées, y compris en faveur des plus vulnérables : les mutuelles et les autres organismes proposant des contrats responsables, qui constituent la quasi-totalité des contrats, ne peuvent recueillir d’informations médicales auprès de leurs membres, ni fixer de cotisations en fonction de l’état de santé des assurés.

Le risque de démutualisation avait déjà été brandi lors de la discussion de la loi Hamon, notamment pour ce qui concerne l’assurance emprunteur. Or il ne s’est pas concrétisé : les tarifs ont fortement diminué à l’avantage de tous, y compris des personnes en risque aggravé de santé.

Ainsi, cette mesure sera favorable à tous les assurés, en particulier les personnes âgées, pour qui les conditions actuelles de résiliation, du fait de leur nature restrictive, sont très défavorables. Ce sont elles qui sont le plus soumises aux augmentations brusques de cotisations des contrats individuels ; et, pour les personnes âgées, qui sont rarement familiarisées aux nouvelles technologies, il peut être difficile de trouver un nouveau contrat dans le délai de vingt jours impartis.

À mes yeux, cette proposition de loi ne traduit pas la moindre défiance quant au rôle des complémentaires santé dans notre système de santé. Bien au contraire – j’ai souvent l’occasion de le dire –, je salue le travail mené en commun avec les organismes complémentaires depuis ma prise de fonctions. Ce travail conjoint a donné lieu à des avancées majeures ; je pense à la réforme du 100 % santé, qui a été construite en lien étroit avec l’ensemble des acteurs, et en particulier avec les fédérations d’organismes complémentaires.

Monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, même si son objet peut paraître circonscrit, cette proposition de loi est d’une grande importance : c’est une mesure concrète, qui, en levant les obstacles actuels au changement de complémentaire santé, aura un réel impact sur le quotidien des Français.

Le Gouvernement reste parfaitement favorable à la proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale. Je vous proposerai donc, dans quelques instants, une série d’amendements visant à rétablir les articles supprimés ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – Mme Élisabeth Doineau applaudit également.)

M. Michel Amiel, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’assurance maladie complémentaire couvre plus de 95 % de la population française et finance 13 % de notre dépense de santé, représentant ainsi 36 milliards d’euros de cotisations collectées.

Essentielle pour l’accès aux soins, cette protection constitue un poste de dépense lourd pour les ménages, comme pour les entreprises qui participent au financement de la couverture collective, désormais généralisée, de leurs salariés.

Les organismes privés qui opèrent pour l’essentiel sur ce secteur ont fait face ces dernières années à d’importantes mutations. Ils sont encore appelés à s’adapter, notamment pour contribuer aux efforts en faveur du pouvoir d’achat des Français, comme le Président de la République le leur a demandé dans le cadre du suivi de la réforme du reste à charge zéro.

La proposition de loi défendue à l’Assemblée nationale par le président du groupe La République En Marche s’inscrit dans ce contexte. Sans engager de révolution, elle suscite des réactions marquées, ce qui a conduit notre commission à en rejeter le dispositif central, en adoptant des amendements de nos collègues Philippe Mouiller et Jean-Marie Morisset.

Le but initial de ce texte est clairement circonscrit : permettre aux assurés de résilier à tout moment leur contrat de complémentaire santé, après la première année de souscription. C’est, non pas une nouveauté, mais une souplesse donnée aux ménages comme aux entreprises.

La possibilité de résilier un contrat d’assurance, y compris en santé, est en effet déjà ouverte, à chaque échéance annuelle. Ce droit n’est pas virtuel : au total, quelque 15 % à 20 % des assurés s’en saisissent.

Au surplus, cette mesure s’inscrit dans une tendance générale : la loi Hamon de 2014 a ouvert un droit à résiliation infra-annuelle pour les assurances auto et habitation. Dans un autre domaine, celui de l’assurance emprunteur, notre collègue Martial Bourquin a été à l’initiative d’une mesure visant à faciliter les résiliations de contrat.

Dans chacun des cas, ces évolutions ont répondu à deux ambitions légitimes : premièrement, simplifier la vie des assurés ; deuxièmement, accentuer la concurrence sur le marché, au bénéfice in fine d’une meilleure protection des assurés.

Le texte transmis au Sénat s’inscrit dans la droite ligne de ces mesures. Toutefois, il suscite des débats vifs et des réactions contrastées.

M. Michel Amiel, rapporteur. Les principaux acteurs, mutuelles et institutions de prévoyance, se sont opposés à une mesure qui, selon eux, bouleverse inutilement les organismes, dans un environnement qui a déjà connu d’importantes restructurations.

Du fait de la particularité de l’assurance en santé, ils craignent que le nomadisme n’entraîne des comportements opportunistes ou consuméristes susceptibles de porter atteinte aux mécanismes de mutualisation et de solidarité, au détriment des assurés les plus fragiles, notamment les plus âgés.

La santé n’est pas un bien comme un autre. Nous en sommes tous intimement convaincus. Pour autant, faut-il voir dans l’assouplissement du droit à résiliation dont il est question un risque majeur de déstabilisation du secteur ?

M. Michel Amiel, rapporteur. Mes chers collègues, à titre personnel, permettez-moi d’en douter.

Après avoir écouté les arguments des uns et des autres, il m’a semblé que ce texte méritait une analyse plus nuancée.

En toute honnêteté, il serait excessif de lui imputer une diminution significative des tarifs, que certains espèrent, ou une explosion des frais de gestion, que d’autres redoutent. Même si elle porte sur un domaine tout à fait différent, la loi Hamon n’a pas eu de tel effet sur le secteur des assurances dommages, et nul ne songe aujourd’hui à revenir sur cette avancée.

Si la santé n’est pas un bien comme les autres, le secteur de l’assurance complémentaire est bel et bien un marché. Ce simple constat n’emporte aucun jugement de valeur ; mais, au Sénat, nous sommes nombreux à régulièrement pointer du doigt l’insuffisante efficience de ses opérateurs, en appelant à une modération de leurs frais de gestion ou à une plus grande transparence.

À mon sens, ce texte pourrait apporter une pierre à l’édifice : il contribuerait à créer les conditions d’un marché plus fluide, et les opérateurs auraient intérêt à proposer de meilleures garanties, au meilleur tarif.

Néanmoins, au terme d’un large débat, la commission des affaires sociales a considéré que les dispositions introduites par ce texte soulevaient plus d’interrogations qu’elles n’apportaient de réponses. Elle a donc supprimé les articles 1er, 2, 3 et 4 ouvrant la voie à la résiliation infra-annuelle des contrats santé proposés par les sociétés d’assurances, les institutions de prévoyance et les mutuelles.

Vous comprendrez que je regrette, à titre personnel, cette position. Néanmoins, au cours du débat, nous aurons l’occasion de revenir sur ces sujets, qui appellent – j’en conviens – des clarifications.

J’en viens aux autres articles du texte transmis par l’Assemblée nationale.

La commission a maintenu l’article 3 bis, qui complète l’information relative au taux de redistribution des contrats. Dans le même souci de lisibilité, elle en a clarifié la portée. En outre, sur ma proposition, elle a supprimé deux articles, l’article 3 bis A et l’article 3 ter : leur portée effective n’a pas paru à la hauteur des enjeux auxquels ils font écho.

S’il est essentiel de sécuriser la mise en œuvre du tiers payant en cas d’un plus grand turnover des contrats, le déploiement de services numériques par les organismes complémentaires doit s’accompagner de l’équipement des professionnels et établissements de santé en outils adaptés. S’il procède d’une intention légitime, le suivi confié à l’Union nationale des organismes d’assurance maladie complémentaire, l’Unocam ne constitue pas une solution opérante. D’ailleurs, son rôle n’est pas de mener un tel travail.

De même, en supprimant la demande de rapport destinée à évaluer les progrès accomplis quant à la lisibilité des contrats, la commission n’a pas entendu remettre en cause l’impérieuse nécessité de traduire en actions concrètes les engagements pris en ce début d’année par les organismes complémentaires.

La complexité des garanties offertes, en partie inhérente à notre système, qui superpose deux niveaux de prise en charge, est un réel frein pour comparer les contrats et tarifs et permettre à la concurrence de s’exercer sainement. Toutefois, la commission a jugé qu’un rapport supplémentaire serait redondant. D’autres moyens de pression plus opérationnels sont à la main du pouvoir réglementaire, et pour cause, le principe de lisibilité des contrats santé est déjà inscrit dans la loi. La commission sera attentive à cette question.

Enfin, sur l’initiative de notre collègue Daniel Chasseing, la commission a adopté un article visant à proscrire les pratiques de remboursement différencié dans les réseaux de soins.

M. Michel Amiel, rapporteur. Le Sénat s’est déjà prononcé en ce sens lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Mes chers collègues, la commission a adopté la proposition de loi transmise par l’Assemblée nationale après l’avoir – c’est le moins que l’on puisse dire – substantiellement modifiée, en supprimant six articles sur sept et en ajoutant un nouvel article… Vous l’avez bien compris : je n’approuve pas l’ensemble de ces choix.

M. Loïc Hervé. Donc acte !

M. Michel Amiel, rapporteur. En conséquence, j’ai déposé divers amendements en mon nom personnel : il s’agit là d’une question de cohérence. Toutefois, en tant que rapporteur, je vous invite au nom de la commission à adopter ce texte ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – Mme Catherine Deroche applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny.

M. Yves Daudigny. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, après deux réunions de commission ayant abouti, de la part de la majorité du Sénat, à deux expressions contraires, nous ne savons plus très bien où nous en sommes…

M. Philippe Dallier. Si, si ! (Sourires.)

M. Yves Daudigny. Cher collègue, si vous le savez, tant mieux ! (Nouveaux sourires.)

M. Loïc Hervé. Maintenant que M. le rapporteur a parlé, tout est clair !

M. Yves Daudigny. La proposition de loi initiale vise à permettre aux assurés, particuliers comme entreprises, de résilier sans frais et à tout moment, après la première année de souscription, leur contrat de complémentaire santé, que celui-ci ait été signé avec une mutuelle, une assurance ou une institution de prévoyance.

Après des velléités de présentation, sans concertation préalable, d’un amendement au titre du projet de loi relatif à la croissance et à la transformation des entreprises, ou projet de loi Pacte, le Gouvernement a fait déposer une proposition de loi par le groupe majoritaire à l’Assemblée nationale. Ainsi, il s’est exonéré de toute étude d’impact. Or, pour éclairer nos débats, un tel document aurait été beaucoup plus utile que des sondages dépourvus de rigueur scientifique…

En résumé, cette proposition de loi apporte une mauvaise solution à un problème qui n’existe pas.

M. Yves Daudigny. Aujourd’hui, personne n’est prisonnier de sa complémentaire santé. Tout adhérent individuel peut en changer chaque année, sans frais ; et chacun doit en changer, toujours sans frais, lorsqu’il change d’employeur, quand il est couvert dans le cadre d’un contrat de groupe. Un an de réserve, d’une part ; un an de visibilité, un an de garanties pour l’assuré, d’autre part : tel est le modèle prudentiel français de gestion.

Dans ces conditions, s’agit-il d’améliorer l’accès aux soins de nos concitoyens, de réduire les inégalités, en particulier liées à l’âge, de baisser les coûts de gestion, de renforcer les actions de prévention conduites par nombre de mutuelles, de réduire le nombre de personnes – elles sont, au total, 4 millions – qui n’ont pas de complémentaire santé ? Aucune de ces questions n’appelle, hélas ! de réponse positive. À ce titre, j’insisterai sur trois points.

Premièrement, les coûts de gestion des mutuelles – c’est bien de cela qu’il s’agit – peuvent être examinés en toute transparence. Les mutuelles, acteurs majeurs de l’économie sociale et solidaire, sont des sociétés de personnes à but non lucratif, ne rémunèrent pas d’actionnaires, sont gérées à l’équilibre conformément aux exigences prudentielles liées aux risques, mettent en œuvre des services qui accompagnent les adhérents tout au long de la vie et répartissent les risques entre les générations.

L’évolution des cotisations est liée à celle des prestations. Le taux de la taxe de solidarité additionnelle, ou TSA, a été porté de 2,5 % à 13,27 % entre 2008 et 2012, et il est majoré de 0,8 % en 2019 en substitution au forfait patientèle.

Entre 2010 et 2017, les cotisations ont augmenté de 21 %, cependant que les charges de prestations s’accroissaient de 19 %. La publicité et le marketing représentent 0,2 % du budget du mouvement mutualiste. Or l’adoption de la résiliation infra-annuelle ne pourrait qu’engendrer une hausse de ces frais de publicité, destinée à fidéliser les adhérents et à en conquérir de nouveaux. Sur ce sujet, madame la ministre, nous ne sommes donc pas d’accord.

Une augmentation des entrées et des sorties accroîtrait le volume et la complexité de la gestion administrative. En résulterait une hausse des coûts, au détriment des assurés. Il est tout de même paradoxal de regretter un régime où la concurrence règne, avec, pour conséquence, des frais de publicité jugés excessifs et, dans le même temps, de vouloir mettre en place les conditions d’une concurrence totalement dérégulée.

J’ajoute que, en 2017, les mutuelles ont été les seuls opérateurs du secteur de la complémentaire santé à baisser d’environ 2 % leurs frais de gestion. Comme le résume Jean-Paul Benoit, président de la fédération des mutuelles de France, « le marché libéral et la concurrence dans le domaine de la santé et de la protection sociale augmentent les coûts et multiplient les inégalités ».

Deuxièmement – ces considérations découlent directement des précédentes –, en réduisant la complémentaire santé à un bien de consommation courante, pour lequel la seule question qui vaille est le calcul des coûts et des avantages pour soi-même, et rien que pour soi-même, le présent texte heurte le pilier de notre système de protection sociale : la valeur de solidarité.

Cette proposition de loi profitera peut-être à des assurés solvables, plutôt jeunes, actifs, bien portants, à faible risque, dans une logique purement assurantielle. Mais, en encourageant l’individualisation des risques et en accentuant la segmentation des populations, elle déstabilisera le principe de mutualisation, sur lequel le modèle économique des mutuelles est assis. Elle fragilisera encore un peu plus les mécanismes de la solidarité intergénérationnelle.

La dimension d’engagement, qui suppose une durée minimale de souscription, s’en trouvera affectée, et l’assuré social deviendra une simple cible marketing. Les perdants seront les plus fragiles, en particulier les seniors,…

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. C’est déjà le cas !

M. Yves Daudigny. … qui sont les moins mobiles et les moins avertis. Couverts à 75 % par des mutuelles, ils bénéficient aujourd’hui de tarifs maîtrisés grâce aux mécanismes de solidarité que permet la mutualisation.

En revanche, les jeunes seront encore plus fortement encouragés à individualiser leurs risques en se tournant vers les propositions les moins chères. Mécaniquement, les seniors seront donc privés d’une péréquation de solidarité entre eux et les jeunes assurés, et leurs cotisations augmenteront inévitablement.

Aussi ces dispositions s’opposent-elles, dans leur essence même, au modèle prudentiel français. Elles encouragent l’individualisation du droit au détriment de logiques collectives et universelles. Le risque de comportements opportunistes, consuméristes ou nomades sera bien sûr limité, mais non moins réel, quand une partie importante des frais de santé pris en charge par les complémentaires correspondent à des dépenses programmables.

Troisièmement, et enfin, cette proposition de loi, si elle est adoptée, sera un frein au développement du tiers payant. Grâce aux efforts de l’association Inter-AMC, créée en 2015 et regroupant tous les acteurs de la sphère complémentaire, quelque 83 % des assurés sont aujourd’hui couverts par des solutions techniques permettant aux professionnels de santé d’interroger en temps réel les droits et garanties des assurés. (M. le président de la commission manifeste son scepticisme.)

Ainsi, les organismes complémentaires sont prêts à donner aux professionnels de santé des garanties de paiement, sur présentation d’une carte de tiers payant. Avec la résiliation possible à tout moment, le risque d’indus deviendrait évidemment difficile à maîtriser.

C’est donc à raison que la commission des affaires sociales, le 10 avril dernier, a supprimé l’ensemble du texte issu de l’Assemblée nationale, à l’exception d’un article, l’article 3 bis, qui porte sur les informations données à l’assuré.

En cohérence avec les positions que nous avons suivies depuis qu’a commencé l’examen de cette proposition de loi, nous voterons contre les amendements visant à rétablir le texte initial ou à introduire une rédaction proche, sur lesquels notre commission a, de manière un peu étonnante, émis des avis favorables lors de sa seconde réunion, le 30 avril.

De plus, nous avons déposé un amendement de suppression de l’article 3 bis AA, introduit en commission, qui interdit de moduler les remboursements selon que l’assuré s’adresse ou non à un professionnel appartenant au réseau de santé de son organisme de complémentaire santé.

Je le rappelle rapidement : les réseaux de soins sont fondés sur des partenariats entre des mutuelles et des professionnels de santé qui s’engagent à respecter des critères de qualité précis et à modérer leurs tarifs. Leur objectif est de réduire le reste à charge des adhérents pour des prestations de santé coûteuses. Leur rôle a été souligné par l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, la Cour des comptes ou encore l’Autorité de la concurrence.

J’en conviens, la mise en œuvre du reste à charge zéro interrogera certainement la complémentarité avec la différenciation des remboursements. Mais rien ne justifie de revenir, au détour du présent texte, sur la loi Leroux qui fut, en 2013, totalement rédigée dans sa version définitive au Sénat.

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Ces dispositions ont été catastrophiques !

M. Yves Daudigny. Madame la ministre, mes chers collègues, en escomptant d’hypothétiques gains de pouvoir d’achat, vous privilégiez la sélection par le marché au risque d’une perte de qualité en matière de prise en charge. Voilà pourquoi nous ne vous suivrons pas.

Cela étant, je conclurai sur une note constructive. Pourquoi ne pas réfléchir à d’autres pistes, par exemple pour moduler par la fameuse TSA en fonction de l’âge des assurés ? Une telle mesure assurerait un réel gain de pouvoir d’achat aux retraités en réduisant leurs cotisations ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Artano. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)

M. Stéphane Artano. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, depuis 2010, les tarifs des complémentaires de santé augmentent de manière substantielle, et les frais de gestion représentent une part très importante des cotisations payées par les assurés.

Forts de ce constat, les auteurs de cette proposition de loi ont souhaité assouplir le droit de résiliation et permettre aux assurés de bénéficier d’une concurrence accrue. C’est de ce texte que nous sommes invités à débattre cet après-midi, et l’exercice – il faut le reconnaître – est cocasse : le 10 avril dernier, notre commission a rejeté le dispositif central de la proposition de loi et la quasi-totalité des autres articles adoptés par l’Assemblée nationale.

À l’évidence, cette proposition de loi suscite nombre d’interrogations et d’inquiétudes sans répondre à une quelconque logique partisane. Le RDSE est d’ailleurs divisé sur cette question – il n’est pas le seul groupe politique du Sénat placé dans cette situation,…