M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’adaptation des règles électorales aux difficultés ou évolutions constatées lors de leur mise en œuvre est toujours utile pour la vitalité démocratique. Lorsque les fonctions électives sont fragilisées, comme on le constate aujourd’hui, cette adaptation devient impérative.

En ce sens, l’initiative de notre collègue Alain Richard, prise à la suite de la publication, en février dernier, des observations du Conseil constitutionnel relatives aux élections législatives des 11 et 18 juin 2017, est particulièrement bienvenue. Il faut d’ailleurs souligner sa grande réactivité. Les membres du groupe du RDSE regrettent que le pouvoir réglementaire ne mette pas autant d’ardeur à prendre des décrets d’application une fois la loi adoptée !

L’ensemble des modifications proposées, qu’il s’agisse de la simplification des règles comptables s’appliquant aux candidats, de la clarification des règles de propagande électorale ou encore de l’adaptation du point de départ des décisions d’inéligibilité aux réalités des procédures contentieuses, nous semblent aller dans le bon sens. Les amendements introduits par notre rapporteur modifient certains points techniques des deux propositions de loi, sans en trahir l’esprit. C’est pourquoi nous sommes a priori favorables à leur adoption.

En effet, chacun conviendra ici que l’annulation d’une élection par le juge n’est jamais satisfaisante, laissant planer une ombre de discrédit sur l’ensemble des élus. Pour autant, cette initiative rappelle à nos concitoyens que les candidats à une élection s’exposent à une grande insécurité juridique, du fait de la complexité des règles électorales, mais aussi de l’incertitude liée à l’issue du scrutin, conditionnant les obligations qui leur seront applicables.

C’est, par exemple, le cas des règles de contrôle des comptes de campagne. Dès lors qu’une dérogation existe au-dessous du seuil de 1 %, selon les règles actuelles, on comprend que des petits candidats, ayant peu d’espoir sur l’issue du scrutin, ne prennent pas toutes les précautions nécessaires pour se mettre en règle, tant ces régularisations comportent un coût non négligeable.

D’autres notions, aux contours mal définis, car strictement jurisprudentiels, comme celle de « dépense électorale », rendent plus incertaine leur aptitude à se conformer aux règles en vigueur. Notre collègue Josiane Costes a d’ailleurs déposé des amendements de clarification en ce sens.

Ainsi, les irrégularités constatées par le juge sont moins révélatrices de la faible moralité des candidats que de la complexité des règles applicables.

Certains vont même jusqu’à considérer que ces règles forment une barrière d’entrée décourageante pour les candidats les moins bien conseillés, et qu’elles accaparent une partie du temps qu’ils pourraient mettre utilement à profit pour l’élaboration de propositions au contact de leurs électeurs. Elles sont cependant incontournables dans le cadre d’un financement en majorité public de la vie politique française, dès lors que tout engagement de deniers publics doit être justifié.

Leur renforcement, depuis 1995, a d’ailleurs pour objectif d’assainir le financement de notre vie démocratique et de prévenir l’influence de puissances financières ou étrangères sur l’issue des suffrages. De nombreux États européens disposent d’ailleurs d’une législation comparable et ont été amenés à en renforcer la transparence, sous l’influence notable du Conseil de l’Europe.

Toutefois, plusieurs voix s’élèvent contre le régime de financement actuel, pour proposer des systèmes alternatifs comme, par exemple, la création d’une « banque de la démocratie » ou le passage à un financement strictement privé et transparent comme au Royaume-Uni. A contrario, d’autres proposent le renforcement du financement public, avec un rapprochement de l’encadrement des dons des particuliers, considérant que, dans leur écrasante majorité, les Français n’ont pas les moyens de donner 7 500 euros à la formation politique de leur choix.

Une réflexion globale sur le sujet, monsieur le ministre, pourrait s’engager en parallèle de la réforme des institutions en cours de préparation. Ce questionnement est légitime, car, comme l’estiment certains économistes, le financement de la vie politique coûterait 32 euros par an à chaque Français, par le biais des impôts.

Néanmoins, la nécessité de simplification et d’adaptation du code électoral à l’évolution des attentes de nos concitoyens dépasse les seules dispositions du texte adopté par la commission des lois, comme en témoigne le grand nombre d’amendements déposés pour la séance.

C’est peut-être le seul regret que nous exprimons à ce stade : la grande réactivité de notre collègue ne nous permet pas de conduire un travail de toilettage plus approfondi.

Cette initiative aurait par exemple pu être l’occasion d’analyser les défauts de l’encadrement du cumul des mandats, en particulier le sort des suppléants : aucune disposition n’a été prévue pour que ceux-ci retrouvent leurs fonctions initiales à la fin de leur suppléance.

Les amendements de notre collègue Jean-Pierre Corbisez visent également à alerter sur les « candidats TGV », c’est-à-dire ceux qui participent à des élections sur des territoires avec lesquels ils n’ont aucun lien effectif ou affectif. Le phénomène est actuellement rendu possible par la trop grande panoplie des pièces admises pour prouver sa résidence dans une commune par les services de l’État.

Cette remarque me permet de rappeler les défaillances du contrôle préfectoral sur l’organisation des élections, problème sur lequel le groupe du RDSE a déjà insisté par le passé. Tant que ce contrôle ne sera pas renforcé, il sera plus difficile de faire respecter les décisions d’inéligibilité ou la suspension du droit de vote pour les personnes dont l’altération de l’entendement a été reconnue par une décision d’incapacité.

Enfin, lors de l’examen de ce texte, certains amendements pourraient nous faire revenir sur notre position favorable s’ils étaient adoptés. Je pense par exemple à celui qui a pour objet de modifier la règle de découpage des circonscriptions électorales, amendement rejeté en commission. Nous restons en effet favorables à ce que ces dernières restent découpées à partir de la population, et non du nombre d’électeurs. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. André Gattolin applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Françoise Gatel. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

Mme Françoise Gatel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après la fin des années quatre-vingt, marquées par ce que l’on a appelé des « affaires politico-financières », c’est-à-dire des financements occultes et des fraudes, les années quatre-vingt-dix ont constitué un tournant ; plusieurs textes successifs sont venus organiser de manière stricte les règles de financement de la vie politique, notamment des campagnes électorales.

Je salue la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui. Elle découle d’observations du Conseil constitutionnel. Elle vise à clarifier en apportant de la cohérence aux dispositions du droit électoral, notamment celles qui concernent les comptes de campagne et la propagande électorale.

L’agrégat de dispositions pour le moins sédimentées au sein du code électoral, modifiées au fil du temps sans véritable réflexion globale, a affaibli la lisibilité et la cohérence des procédures électorales. En effet, depuis 2011, sept lois ont modifié le chapitre relatif au financement et au plafonnement des dépenses électorales. Les démarches administratives complexes créées par cet enchevêtrement juridique posent d’autant plus problème que le nombre de candidats ayant dû déposer un compte de campagne est en hausse notable. De ce fait – cela a été rappelé –, le risque de contentieux s’est accru, et les instances chargées du contrôle sont en surrégime.

Je salue ainsi la proposition du rapporteur dispensant les candidats ayant obtenu moins de 5 % des suffrages et dont les recettes et dépenses n’excèdent pas un certain montant de recourir à un expert-comptable. Une telle obligation peut en effet se révéler inutile et excessivement coûteuse, sans être systématiquement source de clarté supplémentaire…

Le texte apporte plus de lisibilité en harmonisant les règles d’inéligibilité pour les candidats aux élections municipales, départementales ou régionales. Il reviendra au juge de prononcer l’inéligibilité lorsque les comptes seront rejetés « à bon droit », en cas de manquement d’une particulière gravité ou de volonté de frauder. Il ne s’agit donc plus d’une obligation. Cette marge d’appréciation permettra ainsi au juge de ne pas prononcer l’inéligibilité pour des erreurs vénielles.

Mais les magistrats peuvent parfois faire preuve d’une rigueur excessive dans leur interprétation. Nous nous souvenons tous de collègues de bonne foi déclarés inéligibles pour avoir procédé à une avance de certaines menues dépenses de campagne alors qu’ils ne pouvaient pas faire autrement.

Aujourd’hui, l’inéligibilité, lorsqu’elle est prononcée, peut avoir des répercussions variables, donc inéquitables. Elle prend effet à partir de la décision du juge. Or, pour la même élection, le délai d’instruction varie d’un dossier à l’autre, a fortiori avec l’engorgement lié à la hausse des contentieux. Ainsi, un candidat dont le dossier aura été instruit très rapidement pourra avoir la possibilité de se présenter au scrutin suivant, ce qui n’est pas le cas de celui dont le jugement ne sera prononcé que quelques mois plus tard.

Je salue donc la proposition du rapporteur visant à moduler la durée de l’inéligibilité, notamment au regard du calendrier électoral, afin de garantir une équité entre deux ou plusieurs candidats en situation similaire.

Une autre incohérence existe à ce jour. Il est possible de faire une réunion publique la veille de l’élection jusqu’à minuit, mais pas de distribuer le moindre document de propagande : c’est interdit dès l’avant-veille. La proposition de loi revient utilement sur une telle incohérence pour harmoniser et simplifier les délais.

Par ailleurs, la standardisation des bulletins de vote, sans photo ni nom d’une tierce personne, nous semble aller dans le bon sens, afin d’éviter d’induire les électeurs en erreur, parfois d’une manière lourde, mais peu visible.

Vous l’avez compris, le groupe Union Centriste estime que les dispositions de cette proposition de loi sont positives, car elles réduisent les incohérences et des complexités inutiles. Il votera en faveur de ce texte, en formulant toutefois un vœu : si je salue la réactivité et la célérité de l’auteur de cette proposition de loi et l’enthousiasme du Gouvernement, je pense que nous pourrions nous inspirer plus souvent d’une telle réactivité et célérité dans la fabrique de la loi ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche.)

M. le président. La parole est à M. Alain Marc.

M. Alain Marc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le code électoral, qui fut créé en 1956, a été conçu comme un instrument de clarification à destination des électeurs et des candidats. Réunissant les modes de scrutin des élections locales et parlementaires, il s’est substitué à plus de quatre-vingt-dix textes éparpillés et sans cohérence.

Sa structure n’a pas été revue depuis, malgré les tentatives de la Commission supérieure de codification, à la fin des années 2000. En outre, la présence de dispositions de valeur organique exclut tout recours aux ordonnances, outil privilégié pour créer de nouveaux codes ou les réorganiser.

Le code électoral rassemble ainsi des articles récents, en voie de sédimentation, et des dispositions très anciennes, comme celle qui renvoie encore aux lois fondatrices de la IIIe République.

Sans revoir l’ensemble de ce code, les deux textes de notre collègue Alain Richard ont deux objectifs : d’une part, ils clarifient le contrôle des comptes de campagne et les règles d’inéligibilité ; d’autre part, ils encadrent mieux la propagande électorale, ainsi que les opérations de vote. Ils s’inspirent directement des observations formulées par le Conseil constitutionnel sur les élections législatives de 2017. Toutefois, ils concernent l’ensemble des élections, y compris les élections locales.

Je me réjouis tout particulièrement des efforts de clarification de ces textes, qui ont été enrichis par la suite en commission des lois par diverses mesures d’ordre technique.

J’en viens au contrôle des dépenses électorales. La commission n’a pas souhaité modifier le périmètre des comptes de campagne, craignant de fragiliser les contrôles de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, la CNCCFP. Je me félicite qu’elle ait privilégié d’autres mesures pour alléger les démarches administratives des candidats, comme l’élargissement de la dispense de recourir à un expert-comptable.

La commission des lois a également veillé à assurer une certaine équité entre les candidats déclarés inéligibles sans modifier le point de départ de l’inéligibilité. Ainsi, le juge électoral serait invité à moduler la durée des inéligibilités prononcées, afin que les candidats ayant commis des irrégularités comparables soient déclarés inéligibles pour les mêmes échéances électorales ; cela a été très bien souligné par le rapporteur.

En matière de propagande, la commission a admis l’interdiction d’organiser des réunions électorales la veille de l’élection, et plus seulement le jour du scrutin, notamment pour répondre au risque de contentieux et sécuriser la campagne des candidats. Je salue cette disposition, car la possibilité de faire campagne jusqu’au samedi soir constitue un vrai nid à contentieux. Beaucoup de candidats ont ainsi été piégés alors qu’ils étaient de bonne foi. La commission a également facilité la tenue de réunions électorales pour les Français établis hors de France.

Elle a aussi clarifié les règles de propagande pour les élections sénatoriales, corrigeant une imprécision du code électoral. Elle a ainsi prohibé toute propagande électorale la veille de ces élections et a interdit à un candidat de porter en fin de campagne à la connaissance du public un élément nouveau auquel ses adversaires ne seraient pas en mesure de répondre.

De même, elle a interdit les publicités à caractère commercial dans les six mois qui précèdent le scrutin. Elle a mieux encadré le contenu des bulletins de vote, notamment pour interdire l’apposition d’une photographie et la mention d’une tierce personne.

Enfin, la commission des lois a inscrit dans le code électoral la tradition républicaine selon laquelle les règles électorales ne sont pas modifiées dans l’année qui précède le scrutin.

Tendant à clarifier le code électoral, à mieux l’encadrer et à le sécuriser, les deux textes que nous examinons font œuvre utile. Aussi, mon groupe les votera. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Di Folco. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Catherine Di Folco. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les deux propositions de loi en discussion visent à rénover plusieurs aspects du droit électoral.

Cette initiative correspond à un besoin bien identifié de clarification, d’actualisation et de lisibilité de la norme électorale. La commission des lois du Sénat l’avait déjà souligné en 2011, dans un rapport d’information relatif à l’évolution de la législation applicable aux campagnes électorales déposé, entre autres, par nos collègues Jean-Pierre Vial et Yves Détraigne.

Il est vrai que, par leur technicité et leur champ restreint, les détails de la loi électorale ne sont pas de prime abord les sujets qui font l’objet de grands débats parmi nos concitoyens. Néanmoins, cette norme est essentielle au bon fonctionnement de la démocratie. Une loi électorale claire, équitable et efficace renforce la confiance des citoyens envers leurs élus et le processus démocratique dans son ensemble.

C’est aussi dans cet esprit que la codification des normes électorales a été effectuée en 1956. Ces normes ont beaucoup évolué depuis lors, ce qui rend tout à fait légitime un effort de mise à jour. C’est donc avec une attention toute particulière que nous examinons les deux propositions de loi, qui œuvrent en ce sens.

La diversité des enjeux pratiques, juridiques et démocratiques abordés n’en fait pas pour autant un inventaire à la Prévert. Ces textes portent sur des questions importantes : dépenses électorales, règles d’inéligibilité et propagande électorale.

D’une part, la proposition de loi organique concerne tout particulièrement l’inéligibilité des parlementaires nationaux et les questions financières. Elle simplifie certaines rédactions et renforce l’importance de la notion de « volonté de fraude ou de manquement d’une particulière gravité aux règles de financement des campagnes électorales ». Des amendements de la commission ont également remanié un dispositif destiné à permettre au juge de moduler la durée des inéligibilités en fonction du calendrier électoral, afin de faire en sorte que les durées variables des procédures ne conduisent pas à des inégalités entre candidats justiciables ; tout cela a été fort bien expliqué.

D’autre part, la proposition de loi ordinaire s’inscrit dans la même logique de consolidation et de simplification du droit électoral. Tout comme la proposition de loi organique, elle contient des mesures relatives au financement des campagnes électorales. Sans revenir sur l’ensemble des dispositions, parfois relativement techniques, je mentionne l’élargissement de la dispense d’expertise-comptable aux candidats ayant obtenu moins de 5 % des voix et l’harmonisation du délai d’instruction devant la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques.

D’autres dispositions concernant la propagande électorale et les opérations de vote viennent également corriger certaines incohérences et lacunes.

Ainsi, il résulte d’une loi de 1881 que des réunions électorales peuvent encore se tenir la veille du scrutin à l’exclusion de toute autre manifestation ou distribution de matériel de propagande. L’article 4 de la proposition de loi aligne ce régime sur celui des autres formes de propagande, tandis que l’article 5 explicite les dispositions du code électoral relatives au contenu à inscrire, et à ne pas inscrire, sur les bulletins de vote. Dans cette même logique, l’article 5 bis, ajouté par la commission, clarifie certaines règles de propagande plus spécifiques aux élections sénatoriales, pour lesquelles un certain risque de contentieux a pu être identifié.

Enfin, le texte propose également de consacrer au plan législatif le principe de stabilité du droit électoral durant l’année précédant le scrutin. Ce principe, qui relevait jusqu’ici de la tradition républicaine, s’appliquerait à l’ensemble des élections, à l’exception de l’élection présidentielle.

Toutes ces mesures reflètent un travail fouillé et sérieux de clarification et de simplification. Ces textes devraient contribuer à une plus grande clarté du droit électoral tout en le consolidant là où se trouvaient des lacunes.

En œuvrant ainsi à l’amélioration de la qualité de la norme électorale, le Sénat inscrit également son action en cohérence avec les préconisations et la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Ce dernier avait en effet évoqué en 2017 la modulation de la durée des inéligibilités, afin de limiter les inégalités entre candidats.

En conclusion, le groupe Les Républicains votera en faveur de ces deux textes, qui présentent des ajouts globalement utiles à notre droit électoral. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe La République En Marche et au banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cela a été dit, mais répétons-le : il s’agit d’une proposition de loi qui clarifie et simplifie le droit électoral. Elle ne peut donc qu’être soutenue.

M. Pierre-Yves Collombat. Premier exemple de simplification : la dispense de l’obligation de dépôt d’un compte de campagne pour les candidats ayant obtenu moins de 1 % des suffrages. Je défendrai un amendement tendant à étendre cette disposition aux candidats qui, ayant obtenu moins de 5 % des suffrages, n’ont ni bénéficié de dons ni engagé beaucoup de frais au cours de leur campagne. Il s’agit d’éviter les manœuvres de dispersion. On peut très bien n’avoir aucune chance d’être élu et empêcher, par des manipulations, d’autres de l’être…

M. André Gattolin. C’est vrai !

M. Pierre-Yves Collombat. Faute d’électeurs, il faut avoir de l’argent. En réglant le problème, nous pourrons limiter les dégâts.

Un autre exemple de simplification et clarification est beaucoup plus intéressant et important pour moi : la suppression de l’automaticité de la peine d’inéligibilité qui existe actuellement pour certains types de manquements seulement. N’en déplaise aux moralistes impénitents, cette disposition me semble d’autant plus judicieuse que l’évaluation des comptes de campagne est loin d’être une science exacte, comme on va le voir.

D’abord, le volume des dossiers à examiner dans le temps d’examen imposé ne met pas la CNCCFP à l’abri des erreurs et des approximations hâtives. Ainsi, lors des élections législatives de 2017, elle a dû contrôler 5 427 comptes de campagne en l’espace de six mois, l’examen des cas ayant fait l’objet d’une saisine du juge électoral étant traité en deux mois.

Les délais d’instruction sont donc réduits. En plus, il faut respecter le principe du contradictoire : les candidats mis en cause doivent pouvoir répondre aux observations de la CNCCFP.

Surtout, le périmètre des dépenses électorales à prendre en compte est un casse-tête, un labyrinthe dans lequel se perdent beaucoup de candidats, malgré les trente pages du guide du candidat et du mandataire.

Ainsi, le déjeuner d’une équipe de campagne ne constitue pas une dépense électorale, car il n’a pas d’effet direct sur les électeurs. À l’inverse, si l’équipe de campagne invite un journaliste à sa table, la dépense doit être déclarée à la CNCCFP. (Sourires.)

Côté recettes, les « concours en nature » sont particulièrement difficiles à cerner. Les services rendus à titre gratuit par des militants ne sont pas intégrés au compte de campagne, mais il faut prendre en considération leurs frais de déplacement, ainsi que leur action lorsqu’elle est en « lien direct » avec leur activité professionnelle.

Autre problème : lorsqu’une entreprise casse ses prix, s’agit-il d’un simple rabais, alors légal, au profit d’un candidat ou d’un don d’une personne morale, ce qui est illégal ? La CNCCFP admet des rabais commerciaux allant jusqu’à 20 % du prix du marché. Mais comment calculer ce dernier, notamment dans le secteur de la communication ?

Lors d’une audition réalisée dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances pour 2019, le président de la CNCCFP m’a confirmé que le coût des prestations de communication évoluait substantiellement en fonction du moment de la campagne, du délai de livraison et des éventuelles économies d’échelle ; c’est le même problème s’agissant de l’évaluation des marges facturées par les « ensembliers » qui organisent les meetings tout en faisant appel à des centaines de sous-traitants dont les factures ne sont communiquées ni aux candidats ni à la Commission.

Lors de la dernière élection présidentielle, pour la première fois, la CNCCFP a eu recours à des experts – cela a été évoqué – pour évaluer les dépenses de campagne dans différents domaines : la seule chose sur laquelle ils se sont accordés, c’est qu’il était impossible de définir un prix du marché pour certaines prestations !

Je souhaite formuler une observation subsidiaire. Que se passerait-il si le rejet du compte de campagne du vainqueur de la présidentielle aboutissait à une saisine du procureur ? Réponse du Conseil constitutionnel en 1995 : quelle que soit la grosseur des irrégularités, il vaut mieux valider le compte sans aller plus loin. C’est donc le compte de Jacques Cheminade qui a été rejeté, avec ce que cela signifie d’ennuis pour lui ! Au cas où vous l’auriez oublié, mes chers collègues, le président du Conseil constitutionnel était Roland Dumas et le Président de la République élu était Jacques Chirac. Mais imagine-t-on l’effet politique de l’invalidation d’un Président confortablement élu et son remplacement par un candidat qui n’aurait pas rassemblé la majorité des voix ? En l’occurrence, sauf erreur de ma part, il se serait agi du candidat arrivé en troisième position, puisque le compte de campagne du candidat arrivé deuxième aurait lui aussi dû être rejeté. C’est politiquement invraisemblable !

Par ailleurs, la jurisprudence de la CNCCFP est aussi à géométrie variable. Ainsi, lors de l’audition évoquée précédemment, le président de la Commission a reconnu que celle-ci n’avait pas saisi le procureur de la République pour un candidat à l’élection présidentielle de 2012 dont le compte de campagne avait été rejeté pour dépassement du plafond des dépenses électorales. Pourtant, elle le fait dans d’autres circonstances…

Au final, la proposition d’Alain Richard me paraît donc sage. À la CNCCFP de juger de la régularité de comptes de campagne difficiles à établir avec certitude : elle le fait honnêtement, avec les moyens dont elle dispose et les risques inhérents à ce genre d’exercice. Au juge le pouvoir de décider si des suites pénales doivent être données aux infractions constatées et, si oui, lesquelles. Ce n’est que prudence et justice.

C’est pour cela que le groupe CRCE votera en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe La République En Marche.)

M. le président. La parole est à M. Éric Kerrouche. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Éric Kerrouche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 1898, le député Charles Ferry pouvait s’exclamer : « Pourquoi, après cinquante ans d’exercice constant du droit électoral sous la forme actuelle, inventez-vous […] toutes ces chinoiseries ? »

Le code électoral, ce sont toutes ces « chinoiseries » qui permettent d’organiser la compétition politique et, en démocratie, de garantir l’expression libre du suffrage, consacrée par l’article 3 de la Constitution. Cette expression libre se fonde, bien entendu, sur les principes d’égalité devant le suffrage, à la fois des candidats et des électeurs, et de sincérité du scrutin, lequel renvoie notamment aux conditions de financement des partis politiques et des campagnes électorales.

Les deux textes que nous examinons aujourd’hui touchent donc à deux sujets d’autant plus fondamentaux qu’ils sont d’actualité : la démocratie et l’égalité. Ils s’appuient, comme cela a été dit, sur les observations du Conseil constitutionnel de 2017, qui reprennent d’ailleurs celles qui avaient été émises à l’occasion des élections législatives de 2012.

Ces textes ont par conséquent un double objectif : d’une part, clarifier le contrôle des dépenses électorales et les règles d’inéligibilité ; d’autre part, apporter des correctifs pour mieux encadrer la propagande électorale et les opérations de vote. Si nous souscrivons aux modifications proposées pour répondre à ce deuxième objectif, nous sommes beaucoup plus réservés sur celles qui sont relatives au prononcé de l’inéligibilité.

Il y a bien, dans ces propositions, des correctifs utiles en matière de propagande électorale et d’opérations de vote. Sans revenir dans le détail des dispositions présentées par ceux qui m’ont précédé à cette tribune, je veux évoquer la question du bulletin de vote et celle des instruments de propagande électorale, avec, probablement, un effet inattendu.

La clarification apportée à l’article 5 au sujet du contenu du bulletin de vote revêt une importance certaine. Entre 1848 et 1913, la normalisation des bulletins de vote et des instruments du vote a été une condition essentielle de la compétition équilibrée entre les différents candidats. Au début de la IIIe République, n’importe quel papier, par exemple du papier à lettres ou une feuille de cahier d’écolier, servait à confectionner un bulletin de vote. C’était aussi un moyen pour exprimer sa position sociale. Très vite, une standardisation a été instaurée, pas uniquement pour les bulletins de vote, mais pour l’ensemble des biens d’équipement politique : l’urne, l’isoloir, la feuille d’émargement, la disposition du bureau de vote, etc. Cette codification montre tout simplement l’effort de rationalisation de l’État au cours de l’histoire et une volonté de mettre en place des instruments privilégiant l’égalité démocratique.

La permanence de la possibilité de distinctions sur les bulletins nous semble donc problématique. Par ailleurs, elle ne participe pas à l’optimisation de la dépense publique, ce qui, historiquement, a été un motif pour l’État de standardisation, puisque le bulletin de vote est à sa charge.

Je veux signaler un autre point, probablement inattendu, à propos de la transposition dans le domaine législatif de la mention exclusive du nom du candidat, de son suppléant et du candidat pressenti pour présider l’organe délibérant concerné. Pour les établissements publics de coopération intercommunale, on arrive ainsi à une quasi-reconnaissance, peut-être indirecte, de l’élection du président ou de la présidente de l’intercommunalité au suffrage universel direct, puisque la faculté d’inscrire son nom sur le bulletin figure dans le texte. À titre personnel, j’y suis favorable. Mais je ne crois pas que c’était le motif d’une telle mesure…

Je veux à présent évoquer l’inéligibilité. Selon nous, la rédaction du texte restreint les possibilités de déclarer un candidat inéligible. Les modifications proposées nous semblent peu opportunes, sinon inutiles. Le droit en vigueur nous paraît suffisant.

L’inéligibilité deviendrait facultative en toute hypothèse alors qu’elle est aujourd’hui automatique en cas de volonté de fraude et prononcée à des conditions plus strictes et plus difficiles à établir pour le juge. Il est proposé d’inscrire la mention : « en cas de volonté de fraude ou de manquement d’une particulière gravité » en préambule du nouveau régime de cette sanction. Il appartiendra donc demain au juge de prouver cette volonté de fraude ou de manquement d’une particulière gravité, alors qu’il n’a pas à le faire aujourd’hui. La constance de la jurisprudence démontre que les erreurs matérielles ne donnent pas lieu à une inéligibilité, et le juge a su mettre en place une proportionnalité de la sanction.

En vertu de la jurisprudence du Conseil d’État, pour apprécier s’il y a lieu de faire usage de la faculté de déclarer un candidat inéligible, il appartient au juge de l’élection de tenir compte de la nature de la règle méconnue, du caractère délibéré ou non du manquement, de l’existence éventuelle d’autres motifs d’irrégularité du compte et du montant des sommes en cause. Eu égard à cette jurisprudence, la proposition de loi constitue, selon nous, une remise en cause inutile des règles en matière de transparence et de financement de la vie politique.

Par ailleurs, si le Conseil constitutionnel a, certes, invité dans ses observations à une harmonisation des rédactions pour une meilleure lisibilité de la loi, il ne caractérise pas pour autant précisément celle-ci et ne semble pas proposer une harmonisation par le bas.

En outre, s’il s’orientait vers des dispositions moins répressives et une proportionnalité de la sanction dans ses précédentes observations, le Conseil constitutionnel a aussi proposé d’autres modalités de sa saisine par la CNCCFP, en s’appuyant sur une inversion du contentieux. Cette idée n’a pas été reprise par l’auteur de la proposition de loi. Pourtant, elle présentait à nos yeux l’avantage de la simplification.

Permettez-moi de m’étonner de cette proposition. En effet, si les candidats à une élection ne méritent aucun opprobre, ils ne doivent pas pour autant bénéficier de règles spécifiques.

À ce titre, la proposition nous surprend de la part d’un parti politique qui a fait de l’exemplarité des élus sa marque de fabrique, sinon un argument de campagne. Et un article de presse récent titrait : « Loi électorale : les sénateurs s’arrangent avec les préconisations du Conseil constitutionnel ».

S’il ne s’agit pas de verser dans une forme de démocratie d’opinion ou de conditionner nos décisions à leur retentissement médiatique, il convient de constater que cet article souligne l’effet amplificateur que peuvent avoir des dispositions qui, par ailleurs, n’apportent pas de plus-value particulière. En somme, le symbole est fort, mais sans commune mesure avec les dispositions proposées.

Pour conclure, si cette proposition de loi apporte, c’est vrai, des correctifs utiles, elle remet en question des règles de transparence et manque d’ambition sur la vie électorale et politique, alors même que le chef de l’État nous promet la mise en place d’un statut de l’élu.

On pourrait aussi regretter l’absence de traitement de l’« ivresse des sondages » qui s’est emparée de nous depuis plusieurs années, et qui contribue par trop à la fabrique de l’opinion.

On pourrait tout autant évoquer le financement de la démocratie, lequel reste profondément inégalitaire : la banque de la démocratie n’a finalement jamais vu le jour pour des motifs, il est vrai, soulignés par le Conseil d’État dans son avis sur le projet de loi qui l’a instaurée, ce qui n’a pas empêché le Gouvernement de faire légiférer le Parlement en la matière.

Les pouvoirs d’injonction du médiateur du crédit aux candidats et aux partis politiques restent, quant à eux, mineurs puisqu’ils avaient notamment été pensés par rapport à cette banque de la démocratie qui n’a pas été mise en place.

Pour toutes ces raisons, nous réservons notre vote à l’issue de l’examen de cette proposition de loi ; mais les articles relatifs à l’inéligibilité font, en tout état de cause, obstacle à un vote favorable de notre part. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)