M. le président. La parole est à M. Michel Canevet.

M. Michel Canevet. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mes chers collègues, comme vous, madame la secrétaire d’État, le groupe Union Centriste se réjouit de l’ouverture, ce soir, sur l’initiative de notre collègue Jérôme Durain, de ce débat sur les questions environnementales.

Comment resterait-on insensible lorsqu’une ONG comme le WWF annonce que, en cinquante ans, 60 % des vertébrés auraient disparu de la planète ? Nous sommes bien entendu tous attachés à ce que notre planète soit un lieu où l’on puisse bien vivre, préservé des risques environnementaux.

Cela dit, il nous incombe de regarder de près la proposition de loi qui nous est présentée par nos collègues du groupe socialiste. Celle-ci appelle un certain nombre d’observations. Si nous sommes tous d’accord pour agir, la question des modalités de cette action reste ouverte. Il faut s’assurer, en particulier, que les rédactions retenues soient telles que l’on puisse réellement s’appuyer sur elles pour conduire des actions, et que nos compatriotes – je veux dire l’ensemble de ceux qui entreprennent – ne soient pas laissés dans le doute ou mis en difficulté dès lors que leur bonne volonté ne serait pas mise en cause.

J’ai par exemple lu attentivement la définition du mot « écocide » donnée dans le Larousse : « destruction totale d’un milieu naturel ». Telle n’est pas tout à fait la rédaction retenue dans le présent texte. Il semble au groupe Union Centriste que cette rédaction contient un certain nombre d’imprécisions et pâtit d’un manque de clarté qui risquerait d’avoir des effets extrêmement néfastes.

C’est pourquoi nous devons être particulièrement mesurés. De ce point de vue, la proposition de notre rapporteur, qui suggère de laisser la réflexion se poursuivre sur ce sujet, nous semble empreinte de bon sens, car, si nous partageons tous l’objectif des auteurs de ce texte, il faut néanmoins que la terminologie employée soit la plus précise possible et prête le moins possible à contestation.

Prenons des exemples qui nous aideront à circonscrire de manière concrète les conséquences possibles de l’adoption d’un tel texte.

Imaginez ainsi, mes chers collègues, les conséquences, pour nos amis des montagnes, de la construction d’un barrage : celle-ci perturbe l’écosystème de manière extrêmement forte. Ceux qui sont pour les énergies renouvelables trouveront un tel projet tout à fait nécessaire et indispensable ; ceux qui sont attachés à la préservation du milieu naturel et à la biodiversité, et qui veillent à ce que rien ne se passe dans notre pays, argueront au contraire du fait que la construction du barrage, par les effets qu’elle risque d’avoir sur l’écosystème, est particulièrement préjudiciable à l’environnement, et pourrait donc, à ce titre, être reconnue comme un écocide, ce qui ne manque pas de nous interpeller.

Autre exemple : le propriétaire d’un boisement décide de l’abattre – dans un boisement, il y a bien sûr de la vie. Tous ceux qui sont attachés au bois vont manifester leur mécontentement ; ceux qui sont pour le renouvellement forestier ou qui plaident pour qu’une partie de ces terrains soient destinés à l’alimentation humaine trouveront au contraire positive la destruction du boisement. Dans quel sens, alors, faudra-t-il interpréter les textes ? On voit bien le problème.

Quant aux questions maritimes, en tant que Breton, élu du Finistère, j’y suis particulièrement sensible. Nous avons connu de nombreuses catastrophes maritimes : je pense au naufrage du Boehlen, en 1976 ; à celui de l’Amoco Cadiz, en 1978, au large de Ploudalmézeau, qui a beaucoup marqué les esprits, via notamment le combat de notre ancien collègue sénateur Alphonse Arzel pour obtenir juste réparation ; à celui de l’Erika, en 1999 ; à celui du Prestige, au large du cap Finisterre, en Espagne, en 2002. Vient de s’ajouter à cette liste, tout récemment, le Grande America. Tous ces navires opéraient dans des eaux internationales. Le problème n’est donc pas franco-français ; il est international.

Il nous semble donc, au sein du groupe Union Centriste, que l’approche qui doit prévaloir sur ces questions maritimes est une approche internationale ou, a minima, européenne. À ce titre, cher Jérôme Durain, la période est particulièrement favorable, puisque des élections auront lieu très prochainement pour élire nos collègues députés européens. Voilà donc un sujet dont ils pourraient utilement se saisir. J’ai en effet la conviction, comme tous les membres de mon groupe, que l’Europe peut être un très bon vecteur pour mettre en œuvre des mesures partagées par tous et véritablement protectrices pour tout le monde, évitant tout décalage entre ce qui se passe en France et ce qui se passe ailleurs.

Certains souhaitent que nous soyons en avance sur tout ; je l’entends. Mais j’ai plutôt, quant à moi, la conviction – je la partage, encore une fois, avec les membres de mon groupe – qu’un arsenal juridique doit être mis en place au niveau européen. Un tel arsenal existe déjà, d’ailleurs, au niveau national : je rappelle que les crimes écologiques sont punis par l’article 421-6 du code pénal de vingt ans de réclusion criminelle et de 350 000 euros d’amende ; peut-être estime-t-on que ce dernier chiffre est insuffisant ? Il faut, le cas échéant, l’augmenter, ce qui peut se faire très facilement.

Les élections européennes me semblent donc le meilleur moment pour avancer sur ce sujet, et je ne doute pas que la COP15 et les différents événements ou rassemblements intergouvernementaux que Mme la secrétaire d’État a évoqués et auxquels prendra part le Gouvernement seront aussi l’occasion d’élaborer une définition beaucoup plus précise de l’écocide et de trouver l’arsenal répressif adapté aux risques effectivement encourus et aux dégâts effectivement observés. Un tel arsenal devrait avoir une vertu préventive, c’est-à-dire empêcher les méfaits commis à l’encontre de notre milieu naturel, auquel nous sommes particulièrement attachés.

Les sénateurs du groupe Union Centriste, tout en appréciant l’ouverture d’un tel débat, trouvent le sujet encore insuffisamment mature et comptent sur la sagesse du Sénat pour travailler à cette maturation. (Applaudissements au banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. Alain Marc.

M. Alain Marc. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons ce soir tend à insérer dans le code pénal trois nouveaux articles afin de réprimer le crime d’écocide, la provocation au crime d’écocide ainsi que la participation à un groupement ou à une entente en vue de préparer un écocide ou une provocation à un écocide.

Il s’agit ainsi, en particulier, d’introduire au sein du code pénal un nouvel article 230-1, qui définirait le crime d’écocide. La définition proposée s’inspire de celle qui figure à l’article 211-1 du code pénal relatif au génocide.

Le crime d’écocide serait constitué par « le fait, en exécution d’une action concertée tendant à la destruction ou à la dégradation totale ou partielle d’un écosystème, en temps de paix comme en temps de guerre, de porter atteinte de façon grave et durable à l’environnement et aux conditions d’existence d’une population ».

Ce crime serait puni de vingt ans de réclusion criminelle et de 7,5 millions d’euros d’amende. Des peines complémentaires pourraient également être prononcées par la cour d’assises. Les mêmes peines seraient prévues pour les deux autres incriminations pénales, sauf dans l’hypothèse où la provocation à l’écocide n’aurait pas été suivie d’effet, le quantum de la peine se trouvant alors réduit.

Pourraient être poursuivies des personnes physiques ou des personnes morales, de grandes entreprises par exemple ; dans cette dernière hypothèse, une peine d’amende, éventuellement assortie de peines complémentaires, serait encourue.

Conformément aux articles 113-2 et suivants du code pénal, ces peines pourraient être prononcées en cas d’infraction commise sur le territoire de la République, mais aussi en cas d’infraction commise par des ressortissants français en dehors du territoire.

En outre, par analogie avec le génocide, le crime d’écocide serait imprescriptible.

On peut s’interroger sur la nécessité d’introduire dans notre législation une nouvelle incrimination, de portée générale, alors que la France dispose déjà d’un arsenal très complet. Les sanctions administratives et pénales existantes permettent aux pouvoirs publics de réprimer l’ensemble des atteintes à l’environnement qui méritent d’être condamnées.

Je partage les conclusions de la rapporteure, notre collègue Marie Mercier, car nous disposons déjà de tout l’arsenal juridique nécessaire pour sanctionner efficacement les atteintes à l’environnement.

Il pourrait effectivement être intéressant, comme l’ont dit Marie Mercier, Mme la secrétaire d’État et d’autres orateurs, de négocier une convention internationale définissant un socle de sanctions, lesquelles seraient ensuite déclinées dans le droit national de chaque État partie, afin d’encourager ceux dont la législation environnementale est peu développée à se rapprocher des meilleurs standards. La France pourrait à cet égard prendre des initiatives au niveau diplomatique.

La sensibilité environnementale est aujourd’hui très prégnante, par le biais de l’école notamment. De nombreuses actions sont menées et le fait de mettre en œuvre de hauts standards en matière d’écologie peut constituer un facteur d’attractivité pour nos régions.

Il y a quelques instants, M. Canevet a pris pour exemple la création d’un barrage hydroélectrique. Si ce texte était adopté, on pourrait effectivement considérer un tel chantier comme un écocide, au motif qu’il porte atteinte à la biodiversité. Mais il est toujours possible de prévoir des mesures compensatoires. De plus, ce barrage permettra d’obtenir un peu plus d’énergie durable : il faut bien examiner les bénéfices et les coûts, surtout quand ces derniers peuvent être compensés.

Je préside, modestement, la commission des routes dans mon département de l’Aveyron : nous aménageons encore de nouvelles routes et, quand nous sommes obligés d’abattre quinze arbres, nous en replantons quarante ou cinquante, en tout cas beaucoup plus que le nombre d’arbres abattus ! À mon sens, nous devons faire preuve de beaucoup de mesure en la matière. Un tel effort est contraignant, mais il va dans le sens de l’attractivité de nos territoires.

Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la réflexion relative à l’écocide s’est surtout développée dans une perspective internationale ; et l’on voit difficilement comment cette réflexion de portée internationale s’articule avec l’initiative purement nationale qui nous est soumise.

Nous, Français, donnons beaucoup de leçons en matière d’écologie, mais nous représentons 1 % de la population mondiale !

Bien sûr, il faut montrer l’exemple…

M. Alain Marc. … et notre poids démographique ne nous exonère en rien,…

M. Olivier Jacquin. Eh bien, alors ?

M. Alain Marc. … mais, en même temps, soyons logiques et cohérents : travaillons à l’échelle internationale. C’est ainsi que nous pourrons prévenir les écocides.

Par ailleurs, l’introduction dans notre droit d’une nouvelle incrimination de portée générale, aux contours assez flous, ne semble pas s’imposer : notre arsenal législatif actuel permet de répondre à l’ensemble des situations visées.

Pour toutes ces raisons, et même s’ils comprennent les motifs invoqués, les membres du groupe Les Indépendants – République et Territoires ne voteront pas ce texte. (Applaudissements au banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.

M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mes chers collègues, ces dernières années, nous avons pu observer une véritable évolution dans la prise de conscience écologique, à l’échelon tant national qu’international.

En septembre dernier, ce sont des centaines de milliers de Français qui manifestaient pour lutter contre le changement climatique.

Le 8 octobre 2018, nous prenions connaissance du dernier rapport du GIEC, qui nous plaçait face à un diagnostic effrayant : notre planète connaît une hausse des températures de 1 degré depuis l’ère préindustrielle, et le réchauffement climatique progresse désormais de 0,2 degré par décennie. À ce rythme, la hausse de 1,5 degré pourrait être atteinte entre 2030 et 2052, avec des conséquences dramatiques pour les systèmes naturels et humains : dérèglements climatiques et multiplication des phénomènes météorologiques extrêmes ; fonte des glaces et, en conséquence, montée du niveau de la mer ; raréfaction des denrées alimentaires et de l’eau potable ; risques pour la santé ; développement de la pauvreté ; disparition d’écosystèmes entiers.

D’une certaine manière, nous sommes, en outre-mer, à l’avant-garde : nous constatons ces phénomènes en premier.

Cette prise de conscience de l’urgence climatique et environnementale face à laquelle nous nous trouvons est également la conséquence directe des scandales environnementaux qui ont fait l’actualité planétaire.

Les auteurs de cette proposition de loi, auxquels je tiens à rendre hommage, nous révèlent que la criminalité environnementale a tellement augmenté qu’elle est désormais classée au quatrième rang mondial des commerces illicites, après les stupéfiants, la contrefaçon et le trafic des êtres humains.

Face à cette hausse des infractions d’atteinte à l’environnement, le présent texte propose la création d’une nouvelle incrimination pénale : le crime d’écocide. Constituerait un écocide « le fait, en exécution d’une action concertée tendant à la destruction ou dégradation totale ou partielle d’un écosystème, en temps de paix comme en temps de guerre, de porter atteinte de façon grave et durable à l’environnement et aux conditions d’existence d’une population ».

Imprescriptible, ce crime serait puni de vingt ans de réclusion et de 7,5 millions d’euros d’amende.

La provocation au crime, ainsi que la participation à un groupement ou à une entente en vue de préparer un écocide ou sa provocation, seraient punies des mêmes peines, sauf si la provocation n’était pas suivie d’effet. Dans ce dernier cas, le quantum de peine serait plus faible : sept ans de prison et 100 000 euros d’amende.

Mes chers collègues, j’éprouve moi aussi, sans doute comme chacune et chacun d’entre nous, la préoccupation exprimée par les auteurs de cette proposition de loi : lutter plus efficacement contre les atteintes à l’environnement. Mais la rédaction retenue me semble soulever des difficultés juridiques majeures et présenter un risque important d’ineffectivité.

Madame la rapporteure, madame la secrétaire d’État, vous l’avez justement souligné : les termes de cette proposition de loi manquent de précision. Or l’impératif de clarté de la loi pénale est une exigence de valeur constitutionnelle, particulièrement lorsque la peine encourue est si élevée.

D’après ce texte, le crime d’écocide serait constitué dès lors qu’une action concertée « tendrait » à la destruction ou à la dégradation totale ou partielle d’un écosystème. S’agit-il d’une action qui a pour objectif de détruire un écosystème ou, au contraire, d’une action dont la conséquence en serait la destruction ? À ce titre, le caractère intentionnel est déterminant.

De la même manière, la notion d’écosystème n’est pas suffisamment définie. Peut-être aurait-il fallu renvoyer à des notions existant dans le code de l’environnement.

Il est également fait référence aux conséquences de cette infraction, à savoir l’atteinte grave et durable à l’environnement et aux conditions d’existence d’une population. Mais le caractère durable de cette atteinte s’entend-il par son irréversibilité ? De même, que vise-t-on par l’expression « conditions d’existence d’une population » ? S’agit-il de l’atteinte à la vie ou à l’intégrité de personnes, ou bien d’un risque ? Enfin, combien de personnes doivent-elles être atteintes pour que l’infraction soit constituée ?

Vous le voyez, un grand nombre d’interrogations essentielles se posent.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Exactement !

M. Thani Mohamed Soilihi. Au-delà des difficultés résultant de ces imprécisions, on peut s’interroger sur l’effectivité de la nouvelle répression créée. Les exemples du navire Probo Koala et de la société Texaco, cités dans l’exposé des motifs à l’appui d’une pénalisation en France, renvoient à des faits commis à l’étranger. Or – vous le savez –, en matière criminelle, pour que notre pays puisse se saisir de telles infractions, il faut que l’auteur ou la victime soit un Français ou qu’une convention internationale existe.

Il arrive également qu’un dommage environnemental affecte plusieurs pays. Dans ce cas, quelle serait la juridiction compétente ?

Pour toutes ces raisons, il nous paraît indispensable qu’une réglementation internationale voie le jour, d’autant que notre arsenal législatif, tant pénal et administratif que civil, permet déjà de répondre à l’ensemble des situations rencontrées.

S’il ressort des discussions que les poursuites en matière de crimes environnementaux sont rares et que les sanctions sont légères, nous pourrions, comme le propose Mme la rapporteure, encourager les juridictions pénales à se saisir de cet enjeu, pour réfléchir à alourdir certaines peines de façon à les rendre plus dissuasives. La dernière loi de réforme de la justice, défendue par Mme la garde des sceaux, ouvre justement la possibilité de spécialiser certains tribunaux sur des contentieux techniques.

Pour conclure, les élus du groupe La République En Marche approuvent évidemment les intentions sur lesquelles se fonde cette proposition de loi et la volonté de lutter efficacement contre la criminalité environnementale.

L’inscription de ce texte à l’ordre du jour de notre assemblée a le mérite de prendre acte de la mobilisation de la société et de l’urgence à engager des discussions à l’échelle mondiale. Cher Jérôme Durain, je tiens à vous en remercier, ainsi que les membres du groupe auquel vous appartenez.

Pour ces raisons, tout en veillant à ce que notre pays engage une action dans le domaine diplomatique, nous nous abstiendrons sur ce texte.

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la rapporteure, mes chers collègues, le 14 mars 2019, les associations Greenpeace, Notre Affaire à Tous, la fondation Hulot et Oxfam attaquaient l’État français en justice afin que celui-ci respecte ses engagements climatiques. Cette action devant les tribunaux, intitulée « l’affaire du siècle », avait été précédée d’une pétition lancée le 17 décembre 2018 et signée par plus de 2 millions de nos concitoyens et concitoyennes.

La demande des citoyens et citoyennes se fait forte, et à raison. Les trafics d’espèces protégées ont fait de l’aéroport de Roissy une plaque tournante de la criminalité environnementale. L’utilisation abusive de produits phytosanitaires en faveur d’une agriculture productiviste détruit nos sols et provoque des maladies graves en milieu rural. Les exemples d’actes venant défigurer nos paysages et heurter irrémédiablement nos faunes et nos flores sont innombrables, et, tous conjugués, ils pourraient à terme entraîner la destruction de l’humanité. Aussi est-il nécessaire et urgent de reconnaître le crime d’écocide.

Vous le savez, étymologiquement, « écocide » signifie « tuer la maison ». Se rendre coupable d’un écocrime revient à attaquer la planète, notre foyer à tous. Mon propre parti, Europe Écologie Les Verts, EELV, appelle depuis plusieurs années de ses vœux un tel ajout dans notre législation. Nous ne pouvons donc que nous féliciter de l’initiative de notre collègue Jérôme Durain et du groupe socialiste et républicain, qui vient combler les lacunes du droit pénal environnemental français. En effet, à l’heure actuelle, il n’existe tout simplement pas d’échelle des peines en la matière.

Certes, des contraventions sont prévues pour répondre aux incivilités que commettent certains particuliers, en jetant des détritus ou en braconnant, de même qu’il existe des sanctions administratives à l’encontre de certaines entreprises coupables de délits polluants. Toutefois, parmi elles, le nombre de sociétés mises en demeure reste résiduel. Pour l’heure, il n’existe pas de réponse pénale adaptée à la criminalité industrielle des grandes entreprises, qui bénéficient de l’adage too big to fail.

Pour les catastrophes se déroulant sur notre territoire, comme le naufrage du Grande America en mars dernier, ce texte peut être utile. Il serait même salutaire.

Néanmoins, même si cette proposition de loi était adoptée, que pourrions-nous faire à l’échelle nationale si un nouveau Fukushima se produisait ? Que pourrions-nous faire contre le braconnage de masse des rhinocéros en Afrique, tués pour leurs cornes ? Comment pourrait-on sanctionner Bolsonaro, qui prévoit de bétonner l’Amazonie, poumon vert de la Terre ? Rien de bien concret.

Pour sauver l’environnement, la réponse devrait être transnationale et supranationale. L’écocide mériterait d’être traité au sein d’une chambre spécifique de la Cour pénale internationale, la CPI, comme ce fut envisagé, malheureusement sans succès, lors de la rédaction du statut de Rome en 1998, et comme le préconise d’ailleurs la rapporteure de la CPI dans un document de politique générale datant de 2016.

Cependant, compte tenu des obstacles politiques et de la difficile procédure de révision du statut de Rome, il est essentiel que les États incorporent le crime d’écocide dans leur arsenal juridique interne, afin de frayer la voie à une reconnaissance supranationale de cette criminalité.

Le Vietnam, qui a depuis longtemps adopté une législation en matière d’écocrime, a ainsi pu interdire, le mercredi 10 avril dernier, l’importation du glyphosate sur son sol. À l’instar des « tribunaux verts » en Inde et de diverses institutions spécifiques qui existent en Nouvelle-Zélande et au Chili, la France aurait tout à gagner à se doter de juridictions et d’un parquet spécialisés dans la lutte contre la criminalité environnementale.

Selon le dernier rapport du GIEC, nous n’avons plus que douze ans pour inverser la tendance, avant que les dégâts infligés à notre planète ne soient irréversibles. Les multinationales continuent d’agir en toute impunité : depuis 1999, l’entreprise Monsanto est au fait du caractère dangereux du glyphosate, mais elle n’a pas pour autant freiné ses activités. Si nous ne responsabilisons pas ces géants économiques, les générations futures en paieront le prix.

Le groupe CRCE soutiendra donc évidemment ce texte. Nous espérons que la droite sénatoriale en fera de même. Le centriste Jean-Louis Borloo disait : « Les climato-cyniques ne me font pas rire. » S’il faut être responsable, c’est maintenant ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain. – M. Joël Labbé applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Olivier Jacquin.

M. Olivier Jacquin. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, mes chers collègues, « en devenant le premier parlement à déclarer l’urgence climatique, nous pouvons déclencher une vague d’actions venues des parlements et gouvernements du monde entier ».

J’aurais dû citer cette phrase en anglais, et pour cause, elle a été prononcée hier au parlement britannique, qui devient le premier au monde à voter l’objectif d’urgence écologique et climatique, sur proposition des travaillistes. Peut-être pourrons-nous, ce soir, en dire autant.

C’est dans cet esprit que s’inscrit le présent texte, que le groupe socialiste et républicain est fier de vous présenter ce soir. Au nom de mes collègues et en mon nom personnel, je tiens à saluer notre collègue Jérôme Durain. Je le remercie de porter ce texte et de donner à notre chambre l’initiative de s’intéresser à ce sujet ô combien important, pour aujourd’hui comme pour demain.

Madame la secrétaire d’État, vous nous dites : « Pas ici, pas maintenant. » Mais le contexte actuel de prise de conscience collective face aux atteintes à l’environnement nous oblige à développer notre arsenal législatif, pour créer un véritable droit pénal environnemental. Vous l’avez d’ailleurs admis : pour l’heure, il n’existe pas de dispositif permettant de sanctionner à leur juste mesure les atteintes les plus graves à l’environnement.

Avec ce texte, vous pourrez apporter demain une bonne nouvelle à la réunion de l’IPBES, que vous avez citée trois fois dans votre intervention, d’autant que – vous en convenez – l’urgence climatique et environnementale est bien là.

Chers collègues, à la suite de Jérôme Durain, je répondrai à plusieurs interrogations et critiques.

Tout d’abord, selon l’objection formulée le plus fréquemment, nous proposerions un texte trop flou, potentiellement trop large, qui atteindrait éventuellement la liberté de nos entreprises.

Madame la rapporteure, madame la secrétaire d’État, chers collègues Michel Canevet et Thani Mohamed Soilihi, j’ai bien entendu vos propos : vous saluez notre initiative, vous partagez notre intention, vous dites qu’elle est importante, qu’elle appelle des observations, qu’elle mériterait des précisions. Mais alors, amendez ! Amendez, de grâce, et avançons !

Mme Marie Mercier, rapporteur. On a bien essayé, mais il faudrait tout rebâtir…

M. Olivier Jacquin. Esther Benbassa l’a fait, tout comme Joël Labbé, et je les en remercie.

À mon sens, ces critiques sont une vue de l’esprit : notre texte vise spécifiquement les actes les plus graves, et les critères pour désigner un écocide y sont clairement délimités. Il s’agit d’une action concertée, qui tend à la destruction ou à la dégradation d’un écosystème et qui porte atteinte de façon grave et durable à l’environnement et aux conditions d’existence d’une population.

D’autres, au contraire, nous ont reproché de présenter un texte trop spécifique au vu de ces critères. Mais, comme l’a rappelé mon collègue Jérôme Durain, il s’agit de réunir au-delà des clivages politiques pour punir et dissuader les auteurs des atteintes les plus graves à l’environnement. Les entreprises ne sont d’ailleurs pas défavorables à une clarification de notre législation pour accroître la sécurité juridique et éviter des distorsions de concurrence.

Cher Michel Canevet, vous citez l’exemple des barrages. Bien sûr, la construction d’un barrage n’est pas un crime ; elle suit une procédure administrative rigoureuse, validée par l’intérêt général. Elle ne risque donc aucunement d’être considérée comme un écocide.

À ce titre, comme Mme la rapporteure l’a répété en commission, vous nous dites que l’arsenal législatif existant est suffisant. Certes, de nombreuses sanctions existent face à une multitude de possibilités d’atteintes à l’environnement et aux écosystèmes. Mais elles s’inscrivent dans une tradition de sanctions administratives, et ces dernières ne sont plus adaptées aux enjeux actuels ni à l’urgence qui se dessine de plus en plus clairement. Les mafias qui se constituent à l’échelle mondiale et qui font de la criminalité environnementale leur business constituent un phénomène nouveau, qui va de pair avec la mondialisation. Esther Benbassa l’a précisé, certains trafics ont pour plaque tournante la France, plus précisément l’aéroport de Roissy : nous sommes donc réellement concernés.

Or ces mafias ne sont pas du tout impressionnées par les peines existantes, tout comme certaines entreprises, qui, ne jurant que par la rentabilité, sont peu soucieuses de respecter la planète. Souvent, les peines en vigueur ne dépassent pas les 75 000 euros d’amende et les deux ans de prison : une bagatelle au vu des enjeux et des puissances financières dont il s’agit !

En outre, peu de moyens sont donnés aux juges pour mener les investigations nécessaires et faire respecter le droit environnemental. En définitive, l’on prononce souvent des peines alternatives. Quant au seuil permettant de pousser les investigations et de perquisitionner, il n’est valable que pour les faits punis d’au moins trois ans de prison.

Dans ces conditions, non seulement le présent texte aura un effet dissuasif, mais il pourra entraîner une véritable prise de conscience. Il nous permettra de mettre le pied à l’étrier pour une révision de la hiérarchie des sanctions et des peines face aux atteintes environnementales.

Notre droit – dois-je vous le rappeler ? – n’est devenu véritablement contraignant et efficace face aux marées noires que lorsque nous avons relevé le quantum des peines après le drame écologique de l’Erika en 1999. C’est alors que l’on a décidé d’imposer des doubles coques aux pétroliers.

Ne soyons pas, une fois encore, à la remorque des événements. Inscrivons-nous dans l’état d’urgence écologique que le Président de la République a décrété la semaine dernière, lors de sa conférence de presse. Madame la secrétaire d’État, avec ce texte, vous avez la possibilité de passer des discours aux actes et peut-être de prendre le contrepied des critiques récentes formulées, dans ce domaine, à l’encontre de votre gouvernement.

On nous dit également que ce ne serait ni le lieu ni le moment de mener ce travail, que la France ne doit pas être le gendarme du monde, que cette problématique ne peut être traitée qu’au niveau international. Mais, à propos des êtres humains, avons-nous besoin d’exemples franco-français pour que le génocide et le crime contre l’humanité soient lourdement punis dans notre droit pénal ?

En matière de protection de l’environnement et du climat, soyons courageux, comme la France a pu l’être en matière de consécration des droits de l’homme ! Soyons les Lumières de cette lutte contre la criminalité environnementale, ouvrons la voie à des changements aux niveaux européen et international.

Le Brésil avait une législation environnementale parmi les plus vertueuses au monde. Or le président Bolsonaro engage une politique de détricotage systématique de cet arsenal vert et prévoit de raser toute une partie du plus gros poumon de notre planète. Et je ne parle pas du président Trump, qui au nom des États-Unis, plus gros pollueur mondial, s’assoit sur les accords de Paris.

Cher Alain Marc, vous relevez que nous ne représentons que 1 % de la population mondiale. Un tel propos me désole… Ce n’est pas là l’image de la France rayonnante, que j’aime et que je défends, comme nombre de nos collègues.

Madame la secrétaire d’État, nous n’avons pas attendu l’existence d’un consensus européen pour être un des pays fers de lance sur d’autres sujets. Je pense notamment au début de taxation des GAFA, dont le Sénat débattra prochainement.

Plusieurs têtes de liste aux élections européennes, dont celle de la majorité gouvernementale, se prononcent en faveur de la taxation des transports aériens, dans la continuité de l’audacieuse législation suédoise, qui a évolué récemment. Or l’on nous disait que la convention de Chicago, signée en 1944, ne nous permettait pas de le faire ! Et, il y a à peine un mois, lors de l’examen du projet de loi relatif aux mobilités, la ministre des transports se prononçait contre cette mesure, lorsque certains d’entre nous l’évoquions.

Sous le dernier quinquennat, un pas en avant avait pourtant été fait au titre des responsabilités collectives en matière environnementale, avec la création du devoir de vigilance. Cette initiative a été lancée en 2017 par Dominique Potier, député de mon département, afin d’étendre la responsabilité des entreprises donneuses d’ordre. Aujourd’hui, elle est reprise par un grand nombre de pays.

Or, madame la secrétaire d’État, je vous rappelle votre pas en arrière au sujet du fonds d’indemnisation des victimes des produits phytosanitaires. À deux reprises, et à l’unanimité, le Sénat a voté la création de ce fonds, proposée par notre collègue Nicole Bonnefoy. Mais, par deux fois, vous avez refusé de l’inscrire, tout d’abord dans le projet de loi Égalim, il y a exactement un an, puis dans le dernier projet de loi de finances. Nous attendons toujours la traduction législative de ce dispositif.

N’attendons pas une décision internationale : prenez-en l’initiative, avec nous. Songez aux deux côtés de la pièce, que vous avez cités : celui des droits et celui des devoirs. L’urgence climatique exige que nous prenions, ici et maintenant, toute notre responsabilité, à notre échelle, pour reconnaître le crime d’écocide.

Madame la rapporteure, à juste titre, vous avez cité McLuhan : « Il n’y a pas de passagers sur le vaisseau Terre ; nous sommes tous des membres de l’équipage. » Dès lors, avançons ensemble en ce sens : c’est tout notre honneur d’être un pays fer de lance dans la lutte contre les atteintes infligées à l’environnement. Reconnaître le crime d’écocide, c’est se battre contre un possible écosuicide.

Avec « l’affaire du siècle », alors que des jeunes se mobilisent et marchent partout dans le monde pour le climat, la question environnementale est au cœur des débats.