M. David Assouline. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis. Je pourrai voter l’amendement du Gouvernement, à condition de le sous-amender : comme chacun d’entre vous, mes chers collègues, j’ai une longue liste de monuments à restaurer vite et bien dans mon département et qui mériteraient une dérogation…

Plus sérieusement, si l’article 9 provoque un tel rejet, monsieur le ministre, c’est parce que son dispositif n’est pas précis. Le seul cas que vous citez, c’est celui de l’Inrap. Le plus drôle, c’est l’argument relatif à la possibilité pour l’État de renoncer à l’installation de bâches publicitaires : depuis quand est-il besoin de prendre des ordonnances pour renoncer à une faculté ? Que je sache, ce n’est pas parce que le code du patrimoine prévoit la possibilité d’installer une bâche publicitaire pour financer les travaux de restauration qu’on est obligé de le faire…

Nous avons besoin de connaître précisément les cas de dérogation. Si vous visez l’Inrap, il faut l’écrire ! À ce stade, vous nous demandez une espèce de chèque en blanc. Au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, l’habilitation est manifestement trop large.

En conclusion, je voterai contre l’amendement du Gouvernement.

M. le président. La parole est à M. François Bonhomme, pour explication de vote.

M. François Bonhomme. Monsieur le ministre, cet amendement visant à rétablir la dérogation me semble emblématique de la position d’aventurier équilibriste dans laquelle vous vous trouvez depuis que le Président de la République a fixé un délai de cinq ans pour restaurer la cathédrale Notre-Dame de Paris.

Cet article confirme qu’aucune circonstance ne saurait justifier une loi d’exception. Par le passé, des chantiers de grande ampleur, comme celui de la cathédrale de Strasbourg, ont été menés sans s’affranchir des règles. On ne sait toujours pas pourquoi vous avez souhaité que l’État se soustraie aux règles qu’il impose à tous les citoyens. Ces règles sont des protections ; s’en affranchir représente un véritable danger et constitue un fâcheux précédent au regard des futures opérations de rénovation et de reconstruction.

Vous êtes resté sourd aux interpellations de tous ceux qu’inquiète votre volonté de passer outre le code du patrimoine, le code de l’urbanisme, le code de l’environnement, le code de la construction et de l’habitation, le code de la commande publique, le code général de la propriété des personnes publiques, au seul motif d’accélérer la restauration pour tenir les délais présidentiels. Le calendrier de la restauration a été calé sur les jeux Olympiques de 2024, sans que l’on comprenne pourquoi. Aucune échéance n’a jamais été imposée pour la construction d’un monument ! Peut-être le Président de la République a-t-il cédé à l’émotion, oubliant au passage que le temps du patrimoine n’est pas celui des hommes.

La méthode, quant à elle, est pour le moins cavalière et trompeuse pour le Parlement. J’ai ainsi appris vendredi dernier, à l’occasion de l’attribution du prix Pritzker, que le Président de la République souhaitait désormais que le concours d’architecture soit étendu aux abords, c’est-à-dire, excusez du peu, au parvis, au jardin, au square… Vous cherchez donc à étendre le champ des dérogations prévues pour la cathédrale elle-même aux abords de celle-ci, en vous affranchissant, le cas échéant, des règles relatives à l’archéologie préventive. Il s’agit là d’une attitude désinvolte, d’une démarche « précipitée et indécente », a dit Alexandre Gady, spécialiste de l’architecture, traduisant un besoin infantile que l’on rencontre parfois chez certains dirigeants, pourtant démocratiques, de laisser une marque derrière eux, marque qui peut se transformer en stigmate une ou deux générations plus tard.

Votre attitude me paraît contradictoire avec votre intention déclarée de conforter l’unité nationale qui s’était fait jour dans les heures ayant suivi l’incendie. Malheureusement, vous faites prendre un risque à notre pays avec cette loi d’exception, car vous n’avez pas le droit à l’erreur au regard d’un tel enjeu. Il ne reste plus qu’à allumer un cierge en priant pour que ce risque ne se réalise pas !

M. le président. La parole est à Mme Angèle Préville, pour explication de vote.

Mme Angèle Préville. Qui n’a pas pleuré, le 15 avril dernier, sous le coup de l’émotion suscitée par l’incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris ? C’est l’esprit médiéval qui a percuté notre modernité. Péguy parlait de la droiture irréprochable des cathédrales, ces cathédrales qui escaladent le ciel, qui sont le triomphe du vide, qui réalisent ce rêve de faire entrer la lumière dans une architecture monumentale défiant les lois de la pesanteur. Elles sont l’aboutissement d’un travail qui a magnifié l’anonymat, les bâtisseurs étant inconnus. Pour reprendre les propos de Sylvain Tesson, aucune signature ne s’associe à leur édification, personne n’est à honorer.

Le symbole fort que constitue cet édifice ne doit pas être dévoyé, mais être respecté dans sa beauté. Sa beauté perdue, ce n’est pas seulement l’architecture, c’est aussi la forêt du bois de sa charpente. Notre-Dame, d’essence spirituelle, ne sera plus jamais aussi belle qu’elle l’était, puisqu’elle était le symbole de l’immuable depuis des siècles.

Les dérogations suscitent notre inquiétude. C’est pourquoi je forme le vœu qu’aucun nom d’architecte, connu ou pas, ne vienne « griffer » Notre-Dame de Paris. Nous sommes les dépositaires de ce monument, qui n’est pas un musée. Nous devons le transmettre aux générations qui viendront après nous. C’est pourquoi il ne saurait y avoir de dérogations. Notre patrimoine est respecté dans le monde. Nous savons le préserver, et ce depuis longtemps, selon des règles que nous nous sommes imposées. La valeur de cette restauration se mesurera au respect de ce que nous avons toujours fait.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Leleux, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Leleux. Monsieur le ministre, vous avez été un bon, un excellent parlementaire (Exclamations amusées.), extrêmement impliqué sur les sujets culturels, particulièrement attentif aux équilibres institutionnels et à ce que le Parlement puisse délibérer sans que le débat soit confisqué ; je me souviens que, en d’autres circonstances, vous avez plaidé la cause que nous plaidons aujourd’hui. Que feriez-vous si vous étiez encore parlementaire ? Je ne saurais répondre à cette question…

Le Parlement, vous le savez, est d’une manière générale très réticent à habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnances, a fortiori quand les ordonnances prévoient des dérogations aussi importantes aux codes du patrimoine, de l’urbanisme, de l’environnement, des marchés publics. Les parlementaires ne peuvent pas accepter d’aller aussi loin en matière de pouvoirs délégués au Gouvernement.

Comprenez la position de nos collègues qui vous demandent de retirer cet amendement. Rien ne justifie aujourd’hui d’autoriser de telles dérogations. Les règlements et la législation en vigueur permettent déjà d’aller vite.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 70.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. En conséquence, l’article 9 demeure supprimé.

Vote sur l’ensemble

Article 9 (supprimé)
Dossier législatif : projet de loi pour la conservation et la restauration  de la cathédrale Notre-Dame de Paris  et instituant une souscription nationale à cet effet
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. David Assouline, pour explication de vote.

M. David Assouline. Pour les sénateurs socialistes, le texte initial comportait plusieurs dispositions tout à fait inacceptables. L’article 9, en particulier, octroyait un blanc-seing au Gouvernement pour déroger par ordonnances, sans contrôle du Parlement, à l’ensemble des dispositions légales en matière de protection du patrimoine et de l’environnement et aux règles régissant les marchés publics, pour procéder aux travaux de rénovation de Notre-Dame. Le projet de loi initial permettait au Gouvernement de décider, quand bon lui semblerait, de la personne habilitée à gérer les fonds issus de la souscription nationale – l’État ou un établissement public restant à créer –, laissant ainsi planer le doute sur l’utilisation effective des deniers publics pour la restauration de la cathédrale.

L’adoption d’amendements issus tant du groupe socialiste et républicain que de la majorité sénatoriale, dès l’examen du texte en commission, a permis de clarifier le statut du futur établissement public. Il est désormais placé sous tutelle du ministère de la culture et son champ d’action est cantonné à la seule maîtrise d’ouvrage du chantier. Enfin, il est l’unique opérateur de gestion des fonds issus de la souscription.

Les sénateurs socialistes regrettent de n’avoir pu étendre l’objet de la souscription à l’aménagement des abords de Notre-Dame, afin que l’on puisse y accueillir les visiteurs, les fidèles et des expositions pendant la durée du chantier. Ils notent cependant que le ministre a évoqué la possibilité de trouver une rédaction propre à répondre à cette demande.

De même, ils déplorent de n’avoir pu transformer en crédit d’impôt la réduction prévue pour les donateurs, afin que même les plus modestes d’entre eux, non assujettis à l’impôt, bénéficient d’un avantage fiscal.

Tel qu’il a été modifié par le Sénat, ce texte reste exceptionnel, mais il n’est plus d’exception. Ainsi, malgré nos motifs d’insatisfaction, nous le voterons.

M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.

M. Pierre Ouzoulias. Je salue le travail de fond tout à fait exemplaire accompli dans des délais particulièrement indécents par notre rapporteur pour rapprocher les points de vue et introduire dans le texte, tel qu’il nous parvenait de l’Assemblée nationale, des dispositions protégeant le patrimoine.

Néanmoins, notre groupe considère que ce texte d’exception est contraire à nos institutions, au rôle que le Parlement entend jouer dans notre démocratie. Parce que nous avons à l’égard de l’institution présidentielle des préventions anciennes, nous n’acceptons pas que le fait du prince puisse ainsi s’imposer à nous.

J’ai passé une grande partie de ma carrière de conservateur du patrimoine à défendre le ministère de la culture, les lois et les règlements protégeant le patrimoine face à des élus avec lesquels le dialogue était parfois très difficile. J’ai toujours apprécié la protection que ces lois apportaient au patrimoine, ainsi qu’aux agents du ministère de la culture.

Aujourd’hui, je ne saurais voter un texte qui déroge à ce qui a été au cœur de ma carrière de conservateur. Notre groupe votera contre ce projet de loi.

M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission de la culture.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture. Je veux remercier le rapporteur de la commission de la culture et le rapporteur pour avis de la commission des finances, qui ont accompli dans des délais extrêmement brefs un travail formidable, permettant à l’ensemble des groupes de se retrouver autour de quelques grands principes intangibles auxquels le Sénat est très attaché.

M. Leleux l’a rappelé, vous avez été parlementaire, monsieur le ministre. Vous comprenez donc dans quel état d’esprit nous pouvons nous trouver aujourd’hui, frustrés que nous sommes de ne pas avoir pu davantage contribuer à améliorer ce texte. Sur soixante-quinze amendements, seuls trois ont bénéficié de votre part d’un avis de sagesse ou favorable. L’un de ces amendements ayant reçu un avis favorable était relatif à la Commission nationale de l’architecture et du patrimoine, mais M. Leleux sait bien que celle-ci peut déjà s’autosaisir depuis la loi LCAP. Nous aurions vraiment aimé pouvoir progresser avec vous, monsieur le ministre, sur bien d’autres sujets.

Il n’y avait pas urgence. Très sincèrement, nous aurions pu prendre trois ou quatre semaines supplémentaires, après l’examen du projet de loi relatif à la distribution de la presse, pour travailler encore plus sérieusement : vous l’avez dit vous-même, monsieur le ministre, un certain nombre de questions ne sont pas réglées et il faut encore mûrir la réflexion, ne serait-ce que pour déterminer qui conduira les travaux, l’État ou le futur établissement public. On n’est pas plus avancé sur ce point ce soir.

Ce texte a échappé dans une très large mesure au ministère de la culture, ce n’est un secret pour personne. Notre souhait est que le ministère de la culture, dont nous fêtons cette année le soixantième anniversaire, continue à exercer ses prérogatives et soit fidèle à sa grande histoire. Je dois dire que nous sommes tout de même un peu inquiets quant à son avenir. Je n’imagine pas André Malraux s’effaçant devant un général, aussi éminent soit-il… (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble du projet de loi pour la conservation et la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris et instituant une souscription nationale à cet effet.

(Le projet de loi est adopté.)

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : projet de loi pour la conservation et la restauration  de la cathédrale Notre-Dame de Paris  et instituant une souscription nationale à cet effet
 

4

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mardi 28 mai 2019 :

À quatorze heures trente :

Débat sur l’avenir du cinéma français.

À seize heures quarante-cinq :

Questions d’actualité au Gouvernement.

À dix-sept heures quarante-cinq :

Débat sur l’avenir de l’enseignement professionnel.

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée le mardi 28 mai 2019, à une heure vingt-cinq.)

Direction des comptes rendus

ÉTIENNE BOULENGER