M. Jean Louis Masson. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les eurocrates et les europhiles ont tendance à donner systématiquement des leçons de démocratie. À les écouter, on a l’impression qu’ils ont le monopole du respect de la démocratie et de la volonté populaire, et que ceux qui ne sont pas des eurocrates ou des europhiles bafouent tous les principes de la pseudo bonne démocratie européenne !

Pour moi, la véritable démocratie, la démocratie honnête, c’est d’abord de respecter la volonté du peuple, laquelle s’exprime dans les urnes. Et le meilleur moyen pour que cette volonté s’exprime est de demander au peuple de se prononcer dans les urnes par référendum.

Les eurocrates et les europhiles ont peur des référendums, car ils ont peur de la volonté du peuple, et veulent imposer leur propre vision en passant au-dessus de sa tête et de ce qu’il souhaite.

J’avais trouvé absolument scandaleuse l’attitude du président Sarkozy,…

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Ce n’est pas bien ! (Sourires.)

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. C’est une fixation ! La deuxième fois en un jour…

M. Jean Louis Masson. Et encore, je suis gentil avec lui ! Il a en effet bafoué le résultat du référendum par lequel le peuple français s’était prononcé de manière très claire.

Sarkozy a changé trois virgules en disant : je propose finalement le traité de Lisbonne, mais on ne va pas refaire un référendum ; on va plutôt passer au-dessus de la tête du peuple et faire voter le Parlement.

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. C’était efficace !

M. Jean Louis Masson. C’est une honte pour la démocratie ! Ce qui se passe actuellement en Grande-Bretagne, c’est exactement la même chose : le peuple anglais, le peuple de Grande-Bretagne, s’est exprimé en faveur du Brexit…

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Sarkozy était plus expéditif…

M. Jean Louis Masson. Il y a ici des gens qui sont pour ou contre le Brexit, mais vous pourriez au moins me respecter !

Les Anglais s’étaient donc prononcés.

M. André Gattolin. Les Britanniques !

M. Jean Louis Masson. Or, tant au niveau de l’Union européenne que parmi ceux qui ont été battus à l’issue du référendum, on a essayé de bafouer ce que le peuple anglais avait exprimé !

Les députés anglais qui avaient été désavoués – personne en effet ne s’attendait à un tel résultat ! – ont essayé de contourner le système en bloquant la mise en œuvre dudit résultat. Et au sein de l’Union européenne, on a fait tout ce que l’on a pu pour apporter de l’eau au moulin du blocage de la concrétisation du Brexit.

Mme la présidente. Il faut conclure !

M. Jean Louis Masson. Je l’ai déjà dit à cette tribune, mais malheureusement j’ai très peu de temps de parole…

Mme la présidente. Il est de trois minutes et vous le dépassez de trente secondes…

M. Jean Louis Masson. C’est moi qui en ai le moins parmi tous les intervenants !

Mme la présidente. Il faut vraiment vous interrompre !

M. Jean Louis Masson. Je reviendrai ! Si on ne peut plus parler…

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Laurent.

M. Pierre Laurent. Que retenir du Conseil européen des 17 et 18 octobre ? En vérité, on ne sait plus par quelle impasse commencer tant la construction européenne s’enfonce un peu plus chaque jour dans la crise !

Première impasse, ce n’est pas très original, le Brexit.

On nous annonçait la sortie du tunnel des négociations à l’issue du Conseil, mais Boris Johnson a été une nouvelle fois battu aux Communes samedi. L’homme méprise tellement son Parlement qu’il tente depuis un nouveau passage en force, non sans avoir adressé au Conseil européen, dimanche, plusieurs lettres au nom du Royaume-Uni, disant une chose – la décision du Parlement – et son contraire – sa propre position.

Au-delà du feuilleton dont il devient hasardeux de prédire la date de fin, il convient surtout de retenir la détermination de Boris Johnson à obtenir une sortie qui lui laisse le plus de marge possible pour jouer demain la concurrence et le dumping social. Les travaillistes et les syndicalistes britanniques demandent d’ailleurs que le paquet législatif qui accompagnera le Brexit leur soit communiqué.

L’accord scellé in fine entre Boris Johnson et Michel Barnier a fait passer la question des droits sociaux de l’accord à la déclaration politique qui l’accompagne : un glissement qui offre toutes les marges au Premier ministre du Royaume-Uni pour s’en dégager le moment venu. C’est donc, à coup sûr, vers une sortie par le bas pour les droits sociaux que l’on se dirige.

Vous parlez d’un bon accord, madame la secrétaire d’État. Je pense, au contraire, que la crise du Brexit n’en a pas fini de rebondir, et que son coût politique sera très cher pour tous les Européens.

Mais l’impasse européenne n’est pas seulement britannique. Le ver est dans le fruit de l’Union. Ainsi, l’accord n’a pu être trouvé non plus entre les Vingt-Sept sur le cadre financier pluriannuel. Le maintien du montant de la PAC et le sens de sa réorientation donnent lieu à discussion, tout comme les fonds structurels, qui restent les principaux éléments de cohésion et de solidarité. La France, qui souhaite le maintien de ces politiques, plaide en même temps pour la montée en charge des dépenses militaires et de sécurité, sans obtenir d’accord sur l’augmentation du budget européen.

Au fond, le désaccord budgétaire ne fait que mettre en lumière l’absence croissante d’accord sur les objectifs communs de l’Union, et c’est ce qui fait problème.

Pendant ce temps, mais on en parle très peu, Christine Lagarde est confirmée nouvelle présidente de la Banque centrale européenne, la BCE, sans que soit remise à plat une seule seconde la mission de cette dernière. Pourtant, quoi de plus urgent dans cette situation d’impasse sociale, économique et politique que de réorienter les immenses richesses et le pouvoir de crédit de la BCE en ces temps de taux zéro vers la relance sociale et la transition écologique ? Or on préfère continuer comme avant !

Impasse, encore, quand il s’agit de la Syrie. L’Europe, c’est vrai, condamne l’offensive turque, et vous l’avez dit, madame la secrétaire d’État. Mais après ? Le Conseil européen a-t-il ouvert la voie à une offensive diplomatique commune d’ampleur pour mettre les Kurdes sous protection internationale ? Rien de cela ! A-t-il ouvert un débat sérieux sur l’horizon d’un nouveau système de sécurité collective émancipé de l’OTAN ? Non !

L’Europe, qui nourrit en son sein le processus d’élargissement de l’OTAN, est tétanisée par les décisions américaine et turque en Syrie. Et de quoi se félicite la France ? D’une réunion, qui se tiendrait prochainement à Londres, entre les trois Européens – Allemagne, Royaume-Uni, France – et le président turc… Un sommet entre Emmanuel Macron, Boris Johnson, Angela Merkel et Erdogan, cela fait rêver dans une perspective de paix ! Mais pour quoi faire ? Où est la vision commune, le projet qui nous guide ?

Décidément, de quelque côté que l’on se tourne, l’Europe est dans la crise et dans l’impasse.

Voilà dix ans, lorsque nous critiquions sévèrement les orientations qui nous ont menés jusque-là et que nous proposions des États généraux de la refondation européenne pour reconstruire de la solidarité, de l’harmonisation sociale vers le haut, de la transition vers un nouveau modèle, on nous traitait d’anti-européens. Mais aujourd’hui, qui sont les fossoyeurs de l’Union sinon les sourds d’alors ?

Repenser l’Europe est plus que jamais urgent, mais pas pour resservir les plats réchauffés d’hier. Les priorités et les urgences sont ailleurs.

Madame la secrétaire d’État, à quand un Conseil européen sur le dossier d’Alstom-General Electric, qui nous dit l’urgence d’une nouvelle politique industrielle et de son financement ?

À quand un Conseil européen sur l’accident ferroviaire des Ardennes, qui nous dit l’urgence d’une grande politique ferroviaire de service public en Europe, et non de sa déréglementation continue ?

À quand un Conseil européen qui traitera de la colère du monde agricole contre le CETA ?

À quand un Conseil européen qui parlera de la colère de nos communes, laquelle nous dit l’urgence d’une réorientation des fonds structurels vers le financement des services publics et des solidarités territoriales ?

À quand, tout simplement, des Conseils européens qui porteront sur les priorités des Européens, loin des débats actuels sur le colmatage des brèches d’une marchandisation capitaliste à bout de souffle ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Franck Menonville. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants.)

M. Franck Menonville. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, messieurs les présidents de commissions, mes chers collègues, en trois ans et demi, le Brexit a donné lieu à d’innombrables rebondissements. Après des jours et des nuits d’intenses négociations, les Britanniques et les Européens ont présenté un accord de retrait. Il a été qualifié de raisonnable, équilibré et respectueux des engagements européens, ce que nous continuons à croire.

La pression s’est alors reportée sur le Parlement britannique et les yeux se sont rivés sur le Palais de Westminster, qui n’avait pas siégé un samedi depuis la guerre des Malouines en 1982.

Les interrogations quant au vote du texte par le Royaume-Uni restaient entières. Et nous n’avons pas été déçus ! L’adoption de l’amendement Letwin décale le vote sur l’accord négocié deux jours avant par Boris Johnson et les Vingt-Sept…

L’Europe est une nouvelle fois plongée dans l’incertitude. Pas moins de trois lettres ont été envoyées ce week-end au président du Conseil européen pour demander un report de la date de sortie au 31 janvier 2020. Les Vingt-Sept vont devoir faire un choix à l’unanimité.

Le président Macron ainsi que le Gouvernement ont déjà fait savoir qu’un délai ne serait dans l’intérêt d’aucune partie. Nous nous associons pleinement à ces propos, à moins qu’un tel délai ne soit dûment motivé et réellement nécessaire. Nous avons donc besoin de signaux clairs de la part du Royaume-Uni, et cela semble survenir.

Les Européens méritent mieux que cette cacophonie qui n’a que trop duré. Le véritable enjeu demeure les relations futures avec le Royaume-Uni ; c’est pourquoi il faut privilégier un retrait négocié. Le Conseil européen de la semaine dernière a d’ailleurs apporté la preuve de la nécessité d’une Europe rassemblée et résolument tournée vers l’avenir. De nombreux sujets cruciaux sont à traiter, et demandent toute notre attention et notre engagement.

Permettez-moi d’évoquer en premier lieu le cadre financier pluriannuel qui nous engagera jusqu’en 2027. Nous attendons dans les prochaines semaines un cadre de négociations et des chiffres clairs de la part de la présidence finlandaise.

Nous avons noté les divergences entre les États membres et souhaitons que les futures négociations soient guidées par un souci d’avenir. L’Union européenne doit être ambitieuse ; cela passera par un budget tout aussi ambitieux et empreint de conditionnalité.

Comme l’a mis en évidence notre collègue Colette Mélot dans son excellent rapport sur les fonds européens, les États membres, et en particulier la France, devront améliorer leur système de mise en œuvre et de déploiement des fonds européens.

Je pense qu’il est temps aussi d’envisager le développement des ressources propres pour renforcer le budget.

Ce budget devra concilier le maintien de nos politiques historiques et vitales – l’indispensable PAC et la politique de cohésion –, tout en mobilisant les ressources nécessaires aux nouvelles orientations stratégiques : je veux parler de l’environnement, du numérique et, bien sûr, des enjeux de sécurité et de défense.

Madame la secrétaire d’État, comment comptez-vous soutenir efficacement la politique agricole commune et la politique de cohésion lors des négociations du cadre financier pluriannuel, qui s’annoncent tendues ?

Ce Conseil a également consacré la nomination de Mme Lagarde comme présidente de la Banque centrale européenne, ce qui est un honneur pour la France. Nous avons une confiance totale en elle pour mener à bien la lourde tâche qui lui a été confiée.

Cependant, concernant la nomination de notre commissaire européen, formons le souhait que la France propose rapidement une personnalité incontestée et expérimentée qui saura porter haut la voix de la France. Où en sommes-nous sur ce point, madame la secrétaire d’État ? Pouvez-vous nous préciser le calendrier de cette future nomination ?

Je souhaite aussi aborder le sujet essentiel de l’avenir et de la stratégie choisie. Pour assurer notre avenir, l’Union européenne doit être forte et s’imposer sur le plan international.

Enfin, l’Union européenne doit contribuer à la stabilisation du monde. Son ambition doit être plus grande, ses politiques et ses mécanismes mieux adaptés pour répondre de manière ordonnée et concrète. La crise turque est le parfait exemple que condamner les actions ne suffit pas : il faut agir, ensemble.

Toutefois, l’Europe ne pourra montrer la voie que si elle se réinvente. Le manque de consensus sur la question de l’élargissement le prouve. Il est important que l’Europe se renforce avant de s’élargir, notamment en matière institutionnelle.

Bien sûr, le processus d’adhésion doit être réformé, pour mieux répondre aux réalités actuelles de l’Union européenne, mais nous devons bien évidemment également tenir compte des efforts entrepris par l’Albanie et la Macédoine du Nord, afin de leur apporter une réponse concrète en mai prochain.

En conclusion, le mandat de la nouvelle Commission et du nouveau Parlement sera déterminant pour l’avenir de l’Europe. Nous devons tous en être conscients, car il est avant tout question de redonner à l’Union européenne sa place prépondérante sur la scène internationale. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants, LaREM, RDSE, UC et Les Républicains.)

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Allizard. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Pascal Allizard. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, messieurs les présidents de commission, mes chers collègues, depuis des mois, nous suivons la situation au Levant, en particulier l’engagement de nos forces contre l’État islamique. Si la France, avec d’autres, participe à la coalition contre Daech, il faut admettre qu’en réalité les Européens pèsent peu dans le contexte régional.

Il y a d’abord eu les Russes, qui ont su imposer leur présence au milieu du chaos sur le terrain et du vide diplomatique.

Aujourd’hui, le retrait américain et l’offensive turque illustrent encore le peu de prise de l’Europe sur le cours des événements. Depuis les guerres d’Afghanistan puis d’Irak, au coût financier et humain exorbitant, les États-Unis ne veulent plus se trouver enferrés dans de tels conflits, dans des régions qui, selon eux, seraient « par nature » instables. Quand le président Trump dit que « le job est fait », il s’en tient à Daech écrasé sous les bombes. Mais quid du sort des populations civiles ou des djihadistes prisonniers, notamment européens, qui pourraient revenir dans leurs pays d’origine ?

La Turquie, jadis bon élève de l’OTAN et un temps au seuil de l’Union européenne, joue désormais seule sa partition d’acteur régional et renvoie les Européens à leurs propres turpitudes, celles de notre incapacité collective à avoir su prévenir puis gérer la crise migratoire, conduisant à la conclusion d’un accord à haut risque. Ce pis-aller, trouvé en urgence, nous paralyse désormais, puisque les autorités turques agitent le spectre d’un flot migratoire régulièrement, à chaque mouvement d’humeur de l’Union européenne à leur endroit.

Par ailleurs, les tensions avec la Turquie ont aussi des développements en Méditerranée orientale, puisque Chypre se retrouve à nouveau aux prises avec les autorités turques dans un différend en matière d’espaces maritimes, exacerbé par la présence de gisements d’hydrocarbures dans ladite zone. Depuis quelques semaines, l’intrusion d’un navire de forage turc dans la zone économique exclusive chypriote contestée par la Turquie fait craindre une escalade régionale. La même situation était déjà survenue cet été, aboutissant à des réactions fermes de l’Union européenne, mais sans effet. Le Conseil, qui considère ces activités de forage comme « illégales », s’est entendu dernièrement sur la mise en place de mesures restrictives. La France, qui a des intérêts énergétiques dans la zone, a, semble-t-il, dépêché des moyens navals sur place. Quelle est la situation à ce stade ?

J’en viens aux relations entre l’Union européenne et la Russie, que j’espère, dans notre intérêt partagé, voir prendre une tournure plus apaisée, car l’un des dangers pour l’Union européenne est la convergence sino-russe. La Russie bascule sur son versant asiatique en soignant sa relation avec la Chine, même si la sinisation en cours de l’orient russe inquiète Moscou. Au Forum sur les nouvelles routes de la soie, puis au Forum économique international de Saint-Pétersbourg, Russie et Chine ont montré leur entente. C’est aussi le cas au sein de l’Organisation de coopération de Shanghai, sur laquelle les deux pays ont pris le leadership. En septembre 2019, un exercice militaire russo-chinois à grande échelle s’est déroulé en Russie. De même, cet été, des patrouilles d’avions militaires chinois et russes ont été menées au large de la Corée du Sud et du Japon. Aujourd’hui, la base chinoise de Djibouti intéresse à l’évidence les Russes, comme, d’ailleurs, les bases russes de Méditerranée orientale suscitent l’intérêt des Chinois.

Le message adressé aux Américains comme aux Européens est clair. Cette convergence de deux États aux ambitions globales, jusqu’en Arctique et en Méditerranée, doit, me semble-t-il, inviter les Européens à une plus grande coopération pour desserrer l’étau qui se met en place.

Pour ce qui concerne la Chine, mes chers collègues, vous connaissez les enjeux, mais aussi les opportunités, pour l’Union européenne, des routes de la soie. Il faudra cependant que nous demeurions attentifs à la stratégie chinoise consistant à diviser l’Europe par le biais des relations bilatérales avec ses États membres.

Je note avec intérêt la récente signature d’un partenariat pour une connectivité durable et des infrastructures de qualité entre l’Union européenne et le Japon.

Un autre danger pour le vieux continent est la convergence turco-russe qui, au-delà de la seule Union européenne, inquiète également l’OTAN, en particulier depuis l’achat par Ankara de systèmes antiaériens S400 russes.

Enfin, madame la secrétaire d’État, je veux revenir sur les vides juridiques que vous avez évoqués et mis en cause. Je suis personnellement convaincu que les technocrates qualifient de « vides juridiques » les espaces de liberté laissés par le législateur. En démocratie, la liberté est le principe, quand l’interdiction ou la réglementation sont l’exception.

Je veux vous dire aussi que j’approuve votre position concernant les demandes d’élargissement de l’Union européenne.

Pour terminer, si nous ne prenons pas toute la mesure des événements qui se déroulent sous nos yeux, nous finirons, à n’en pas douter, comme de simples clients ou sous-traitants des Chinois ou des Américains, sous la pression permanente des Russes. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et LaREM.)

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Très juste !

Mme la présidente. La parole est à M. Didier Marie. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

M. Didier Marie. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, messieurs les présidents de commission, mes chers collègues, le Brexit a, une nouvelle fois, largement attiré l’attention des médias et occupé une part significative des discussions du dernier Conseil européen. Nombre de mes collègues viennent de s’exprimer à ce sujet.

On peut, à ce jour, se féliciter de la solidarité des Vingt-Sept. L’Union européenne a, il faut le dire, assumé ses responsabilités. Dans l’attente d’un éventuel dénouement, nous découvrons, chaque heure, une nouvelle subtilité de la créativité de la démocratie parlementaire britannique.

Plus sérieusement, nous souhaitons, madame la secrétaire d’État, que l’on sorte de cette situation d’incertitude, qui nuit à nos relations bilatérales, à nos entreprises et aux ressortissants de nos pays respectifs. Nous devons éviter un nouveau report et nous souhaitons que le Conseil et la Commission restent fermes sur la ligne adoptée jusqu’ici. À cet égard, nous soutenons votre position sur le sujet.

Mme Amélie de Montchalin, secrétaire dÉtat. Merci.

M. Didier Marie. Cette belle unanimité sur le Brexit ne peut, pour autant, être l’arbre qui cache la forêt.

En effet, madame la secrétaire d’État, la réunion du Conseil européen dont nous sommes invités à commenter les résultats me laisse inquiet, frappé par l’état de faiblesse de nos institutions européennes, alors que débutera, au 1er novembre prochain, une nouvelle mandature, qui devrait ouvrir un nouveau cycle européen.

Alors que le besoin de relance d’une Europe forte est de plus en plus prégnant, les dirigeants européens ont semblé paralysés par un manque de cohésion intérieure et la menace des défis extérieurs : mise en place laborieuse de la Commission, absence de politique étrangère, défaut d’entente sur les frontières de l’Europe, blocage du budget à long terme de l’Union européenne… Autant de dossiers que le Conseil européen, attentiste, n’a pas réussi à régler. Ses conclusions sont d’ailleurs anémiques, toute décision étant reportée, au mieux, au prochain Conseil, qui se réunira au mois de décembre.

Permettez-moi de m’arrêter sur quelques-uns de ces sujets. Ma première inquiétude concerne la capacité d’impulsion de la Commission européenne.

La présidente élue prendra ses fonctions dans quelques jours sans avoir bouclé sa Commission. Imposée par défaut par les dirigeants européens et mal élue par les députés, elle apparaît plus en situation de devoir plaire au Parlement et de complaire au Conseil que de tracer les lignes de force des politiques de l’Union européenne. Mme von der Leyen reconnaît elle-même être à la tête d’une Commission plus géopolitique que politique, composée de commissaires désignés pour répondre avant tout à des considérations nationales. La France, prise à son propre jeu, est d’ailleurs tombée dans ce piège.

La nouvelle configuration du Parlement européen ne devrait pas l’aider. Avec un Parlement sans majorité, celle-ci devant être bâtie au fil des textes, la Commission européenne risque d’abaisser par anticipation le degré d’ambition de ses propositions.

Le fragile équilibre du collège de la Commission, son organisation extrêmement pyramidale, la difficulté à discerner parfois les fonctions des uns et des autres risquent de concourir à la neutralisation des initiatives indispensables à la relance européenne. Le signal envoyé par le Conseil européen à son intention pourrait également réduire sa marge de manœuvre.

La France porte une part de responsabilité dans cette situation. L’Union européenne ne peut être le terrain de manœuvres incessantes et l’interventionnisme continuel du Président de la République ne peut que se retourner contre notre pays. L’exécutif doit respecter les rôles dévolus à chaque institution européenne. La Commission ne peut être le secrétariat du Conseil, encore moins celui des intérêts particuliers des États. L’indépendance du Parlement européen doit être respectée, le renforcement de son rôle doit être défendu, notamment à travers l’attribution d’un droit d’initiative propre. Nous avons tout intérêt à la défense de la démocratie parlementaire européenne, car c’est elle qui, dans l’équilibre des institutions, permet de faire primer les intérêts des citoyens européens sur les logiques nationales qui, actuellement, affaiblissent tant la Commission que le Conseil.

La France, au lieu de voir une crise institutionnelle là où le Parlement n’a fait qu’exercer ses prérogatives, serait mieux avisée de plaider efficacement pour un cadre financier ambitieux et un Green Deal européen à hauteur des défis de la transition écologique et de défendre le mieux-disant social européen.

Madame la secrétaire d’État, l’Europe est dans l’urgence. Alors que le populisme prospère, elle a besoin d’institutions fortes et d’un projet clair. En quoi la France y a-t-elle contribué ? Que comptent faire le Gouvernement et le Président de la République pour sortir de l’ornière dans laquelle l’Union européenne se trouve ?

Ma deuxième inquiétude concerne l’incapacité du Conseil européen, au-delà d’une condamnation de principe, à définir une position claire et ferme à l’égard de l’invasion par la Turquie du nord-est de la Syrie pour en chasser les Kurdes, abandonnés honteusement par la coalition internationale.

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. C’est vrai !

M. Didier Marie. Là où les Kurdes attendaient un soutien concret, le Conseil a acté son incapacité à peser sur la Turquie autrement que par l’adoption de « positions nationales concernant leur politique d’exportation d’armements » et par la mise en place – tenez-vous bien, mes chers collègues ! – d’un groupe de travail. Que dire d’un Haut Représentant qui affirme ne pas avoir de « pouvoirs magiques » ? Le Président de la République ne cesse de parler d’« autonomie stratégique européenne », mais en quoi celle-ci consiste-t-elle réellement ?

Madame la secrétaire d’État, quelles initiatives concrètes la France compte-t-elle prendre pour contribuer à un sursaut de l’Union européenne à l’égard de la Turquie et, plus largement, à une recherche de cohésion en matière de politique étrangère ?

Ma troisième inquiétude concerne l’attentisme du Conseil face aux défis que nous devons relever et l’incapacité de l’Union à définir son projet pour les années à venir.

Concernant la question migratoire, si l’accord obtenu il y a quelques semaines entre quelques États membres sur un dispositif commun pour le débarquement des migrants secourus en mer est le bienvenu, il reste temporaire et repose sur une simple base volontaire. Face aux milliers de personnes qui tentent de franchir la Méditerranée et aux centaines de morts, nous avons déjà trop tergiversé. Il est plus que temps d’engager une réforme du règlement de Dublin, d’harmoniser les critères européens, de créer des centres de premier accueil sur tous les points d’arrivée, d’ouvrir d’autres voies légales d’immigration, plus sûres, plus respectueuses, y compris s’agissant des procédures de réinstallation.

Il est temps que les dirigeants européens traduisent concrètement leur indignation envers les pays d’où partent les embarcations par la solidarité envers les personnes qui les fuient.

L’Union européenne a de nombreux défis à relever. Elle ne pourra le faire sans un budget ambitieux. Or, là encore, les divergences nationales l’emportent, les États membres ayant une fois de plus bloqué les discussions.

Pour rappel, le Parlement européen a proposé, depuis novembre 2018, des dépenses globales à hauteur de 1,3 % du revenu national brut de l’Union, contre 1,11 %, taux recommandé par la Commission européenne. Un an après, qu’ont fait les États ? Rien. Pis, la Finlande propose désormais un taux entre 1,03 % et 1,08 %. Alors que la présidence finlandaise suggère également de réduire la taille des enveloppes destinées à la PAC, nous devons nous assurer que les nouvelles priorités stratégiques que sont la défense, les migrations et le climat soient développées et que les politiques traditionnelles soient confortées.

Par ailleurs, face à l’urgence environnementale, il est indispensable de mettre nos politiques européennes, comme la PAC, la politique de cohésion ou la recherche, au service de l’environnement et de la lutte contre le dérèglement climatique.

Si nous saluons la décision de nommer un vice-président exécutif qui sera chargé de mettre en place le Green Deal, tout reste néanmoins à bâtir concernant ce dernier : son volume, son champ, le choix du levier de financement, ses modalités.

Les premiers indices ne plaident pas, pour l’instant, en faveur d’un plan Climat qui permette de dégager 1 100 milliards d’euros par an, comme le prône la Cour des comptes européenne. Pour que les nouvelles priorités ne se fassent pas au détriment des politiques traditionnelles, ni la transition écologique au détriment de la justice sociale, de nouvelles ressources propres sont nécessaires.

Un retard du vote du budget 2021-2027 porterait préjudice à l’Europe. Un mauvais accord tout autant ! Dans ces conditions, et alors que M. Macron prétend ne pas être inquiet de l’absence de consensus, comment le Gouvernement entend-il peser pour que celui-ci soit trouvé dans les temps et qu’il soit à la hauteur des défis qui nous attendent ?

Pour conclure, madame la secrétaire d’État, nous ne pouvons plus demeurer dans l’expectative et rester bloqués par les logiques nationales. Il nous faut maintenant avancer pour consolider l’existant et bâtir des politiques nouvelles qui rétablissent la confiance dans l’Union européenne.

Les forces populistes, en réclamant des solutions nationales et un retour aux frontières, mènent l’Europe au bord de la fragmentation et du déclin. Pour les faire reculer, nous devons mettre un terme aux logiques technocratiques et budgétaires et redonner corps à l’idée européenne.

Quelles grandes orientations le Gouvernement entend-il porter pendant cette mandature pour donner à l’Europe les moyens de réussir ? L’Europe doit sortir de son inertie, dépasser ses blocages et s’élancer vers de nouveaux horizons. Pour cela, elle a besoin de la France. Nous attendons donc de l’exécutif des actes forts. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)