M. Julien Bargeton. C’est à peine caricatural !

M. Jean-Louis Tourenne. L’aide à la réinsertion sociale des anciens migrants et les moyens affectés à l’accompagnement des femmes en sortie de prostitution sont en nouvelle décroissance, loin des déclarations sur la volonté de les aider à sortir de l’enfer.

M. le président. Il faut vraiment conclure, mon cher collègue !

M. Jean-Louis Tourenne. En cinq ans, les revenus du capital pour les actionnaires de Renault ont augmenté de 106 % quand les salaires des employés progressaient seulement de 3 %. Chez Faurecia, c’est 316,7 % d’augmentation pour les actionnaires et 2 % de diminution pour les salariés !

Pour Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie…

M. le président. Je suis désolé, votre temps de parole est écoulé !

M. Jean-Louis Tourenne. Je pensais sincèrement disposer d’une minute supplémentaire, veuillez m’en excuser… (Sourires. - Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

M. le président. La parole est à M. Guillaume Arnell.

M. Guillaume Arnell. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le 9 juillet 1849, Victor Hugo déclarait : « Détruire la misère ! Oui, cela est possible. Les législateurs et les gouvernants doivent y songer sans cesse, car, en pareille matière, tant que le possible n’est pas fait, le devoir n’est pas rempli. »

Aussi, je me félicite que le budget pour 2020 de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » augmente de 6,7 % par rapport à 2019. Cela représente en effet près de 1,6 milliard d’euros de crédits supplémentaires et un total de 25,5 milliards d’euros en faveur des plus vulnérables et des plus démunis.

Cette hausse est essentiellement due à l’augmentation exponentielle des dépenses de prime d’activité et d’allocation aux adultes handicapés, qui figurent parmi les trois principales dépenses sociales financées par la mission, avec les mesures de protection juridique des majeurs. Elles représentent à elles seules plus de 80 % des crédits de la mission en 2020, soit 20,7 milliards d’euros.

La prime d’activité et l’AAH constituent des acquis sociaux à pérenniser. Aussi, je ne peux que saluer l’augmentation du budget qui leur est alloué. Pour autant, à l’instar des rapporteurs spéciaux, je regrette que cette hausse s’accompagne « de discrets coups de rabot touchant les plus fragiles ».

Enfin, la protection juridique des majeurs est en hausse. Les crédits alloués à cette action s’élèvent à 688,4 millions d’euros, soit une augmentation d’environ 3 % par rapport à 2019 due à l’augmentation continue du nombre de mesures.

Ces crédits financent près de 497 000 mesures de protection – tutelles, curatelles ou sauvegardes de justice –, contre 484 656 en 2019, confiées à des mandataires judiciaires à la protection des majeurs. Ils financent également l’information et le soutien aux tuteurs familiaux.

On compte aujourd’hui 730 000 majeurs protégés, et ce nombre est voué à augmenter chaque année, car il existe de nombreux territoires – je pense particulièrement à Saint-Martin – où toutes les familles n’ont pas pris l’habitude de saisir le juge des tutelles.

Il est donc indispensable de flécher des crédits sur l’information aux familles, tout en ayant conscience que cela augmentera mécaniquement le nombre de majeurs protégés et donc le volume de crédits engagés par l’État.

En dehors de ces trois grandes dépenses sociales, la mission en intègre d’autres, tout aussi importantes.

Je pense bien sûr à la nouvelle stratégie interministérielle de lutte contre la pauvreté. Récemment, l’Insee fixait le taux de pauvreté pour 2018 à 14,7 % de la population, soit une hausse de 0,6 point par rapport à 2017. Cela porte à 9,3 millions le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté.

Aussi, je salue la montée en charge de cette mission, qui s’appuie sur une approche contractuelle avec les départements, véritables chefs de file en matière d’action sociale dans les territoires.

Par ailleurs, des mesures d’investissement social – petits-déjeuners gratuits à l’école, tarification sociale pour l’accès à la cantine, déploiement des points-conseil budget, etc. – continuent à être financées à hauteur de 44 millions d’euros.

Autre dispositif vital, l’aide alimentaire, qui a bénéficié à 5,5 millions de personnes en 2017. Alors que s’est ouverte, il y a trois jours, la trente-cinquième campagne d’hiver des Restos du cœur, je souhaiterais rendre hommage à l’ensemble des associations et des bénévoles qui œuvrent quotidiennement auprès des plus démunis. L’aide alimentaire offre une aide d’urgence, mais représente surtout le point de contact privilégié pour permettre un accompagnement vers l’autonomie.

Les crédits de l’action sociale s’élèvent à 74,5 millions d’euros, dont plus de la moitié – 40 millions d’euros – sont consacrés à la contribution de la France au Fonds européen d’aide aux plus démunis (FEAD), en complément de la contribution de l’Union européenne, qui s’élève à 75,6 millions d’euros.

Je souscris toutefois aux inquiétudes exprimées par les rapporteurs spéciaux sur la fragilisation du système d’aide alimentaire français en raison des difficultés de gestion liées au FEAD, qui font peser des risques de pertes budgétaires importantes sur la France.

Pour le reste, je relève, comme les rapporteurs, plusieurs points d’incertitude : la montée en charge particulièrement dynamique des dépenses de prime d’activité, qui a occasionné des difficultés de gestion dans les CAF, la mise en œuvre du revenu universel d’activité, dont le périmètre et le financement sont l’objet d’inquiétudes, ou encore la diminution des crédits affectés à la prévention des violences faites aux femmes.

S’agissant de ce dernier point, je m’interroge sur cette baisse, alors que 131 femmes ont été tuées en France depuis le début de l’année par leurs compagnons ou ex-compagnons. Ces chiffres sont terrifiants. Derrière ces statistiques, il y a des prénoms, des histoires, et surtout des vies anéanties.

Lundi dernier, en clôture du Grenelle contre les violences conjugales, le Premier ministre a annoncé 30 nouvelles mesures et la mobilisation de 361 millions d’euros dédiés exclusivement à la lutte contre les violences faites aux femmes. Je forme le vœu que ces mesures permettent une prise de conscience collective et provoquent un « électrochoc », pour reprendre le terme employé par le Premier ministre.

En conclusion, malgré les quelques réserves exprimées, le groupe du RDSE salue l’augmentation des crédits de cette mission et les approuvera.

M. le président. La parole est à M. Dominique Théophile.

M. Dominique Théophile. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les crédits présentés dans cette mission pour 2020 sont en hausse de plus de 6 % par rapport aux crédits ouverts en loi de finances initiale pour 2019, soit près de 1,8 milliard d’euros de crédits supplémentaires, même s’il faut tenir compte, entre-temps, des crédits ouverts dans le projet de loi de finances rectificative pour 2019, à hauteur de 839 millions d’euros.

Cette augmentation importante intervient après plusieurs hausses successives, qui ont vu les crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » augmenter de 30 % depuis le début du quinquennat.

Notons que les quatre programmes qui composent la mission sont en augmentation, pour s’établir à 11,9 milliards d’euros pour le programme 304, « Inclusion sociale et protection des personnes », 12,2 milliards d’euros pour le programme 157, « Handicap et dépendance », 30 millions d’euros pour le programme 137, « Égalité entre les femmes et les hommes », et 1,3 milliard d’euros pour le programme 124, « Conduite et soutien des politiques sanitaires, sociales, du sport, de la jeunesse et de la vie associative ».

Ce budget traduit la poursuite de plusieurs engagements forts du Gouvernement, notamment le soutien au pouvoir d’achat des travailleurs, grâce à une augmentation sans précédent de la prime d’activité, mais également la montée en puissance de la stratégie interministérielle de lutte contre la pauvreté, dont une partie des actions relève du programme 304, notamment la lutte contre les sorties sèches de l’aide sociale à l’enfance (ASE) ou les maraudes mixtes entre les pouvoirs publics et les acteurs associatifs.

Attardons-nous dans un premier temps sur la prime d’activité. Comme chacun le sait, celle-ci a été sensiblement revalorisée en décembre dernier pour répondre à la mobilisation des « gilets jaunes », à hauteur de 90 euros au niveau du SMIC. En 2020, les dépenses consacrées à la prime d’activité s’élèveront à 9,5 milliards d’euros, en hausse de 700 millions d’euros, le Gouvernement tenant compte des efforts que font les Françaises et les Français qui touchent un faible salaire.

En un an, le nombre d’allocataires a ainsi augmenté de 47 %, soit près de 1,25 million de nouveaux bénéficiaires de la prime de septembre 2018 à mars 2019. La réforme a permis d’augmenter les montants moyens de prime d’activité versés, et en même temps d’ouvrir le bénéfice de la prime d’activité à de nombreux foyers nouvellement éligibles.

En fin de compte, pour que le travail paye, l’augmentation peut aller jusqu’à 100 euros pour un salarié au SMIC, si l’on intègre la réévaluation du salaire minimum.

De même, la revalorisation de 40 euros par mois de l’allocation aux adultes handicapés, juste et nécessaire, permet à cette allocation de s’élever à 900 euros par mois depuis le 1er novembre.

La mission inclut aussi les crédits du programme 137, « Égalité entre les femmes et les hommes », érigée « grande cause du quinquennat » par le Président de la République. L’égalité entre les femmes et les hommes est appuyée dans ce programme, entre autres, par des actions d’accompagnement et de prise en charge des victimes de violences physiques et sexuelles, de prévention et de lutte contre la prostitution et la traite humaine ou encore de soutien à l’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle. En raison de l’importance de ces sujets, nous ne pouvons que nous réjouir de la « sanctuarisation » de ces crédits.

Avant de conclure, en s’appuyant sur le rapport de leur collègue Patricia Schillinger, rendu au Gouvernement le mois dernier, les sénateurs du groupe La République En Marche, souhaitent attirer votre attention, madame la secrétaire d’État, sur la précarité menstruelle, autrement dit les difficultés que les femmes en situation de précarité et de pauvreté éprouvent à se fournir en protections périodiques. Notre collègue a déjà soulevé le sujet l’an passé, tant pour l’Hexagone que pour les outre-mer, mais a finalement accepté de retirer son amendement à la suite de la proposition de mission que la ministre Agnès Buzyn lui avait faite ici même.

Cette mission ayant été réalisée avec pugnacité, nous proposons en toute logique de traduire ses propositions dans le présent projet de loi de finances, à travers l’amendement n° II-463, que nous présenterons bientôt.

Enfin, malgré toutes les augmentations précédemment citées, la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » fait l’effort de participer à la baisse du déficit public, grâce à la réduction de 11,75 % des dépenses de fonctionnement du programme 124 par rapport à 2019.

Le groupe La République en Marche votera bien évidemment les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)

M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus.

M. Emmanuel Capus. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous discutons ce soir des crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », dans le cadre du projet de loi de finances.

La solidarité, « la grande chose de la démocratie », pour reprendre le mot de Victor Hugo, occupe chaque année une place singulière dans les discussions budgétaires. C’est moins à cause des crédits qui lui sont consacrés, même s’ils sont importants, avec près de 25 milliards d’euros pour 2020, que parce qu’elle se trouve au fondement du modèle social français et règle les modalités du vivre ensemble.

Rien d’étonnant, donc, à ce que les crédits excèdent finalement ceux qui avaient été fixés initialement, car la solidarité se laisse mal encadrer par des prévisions trop rigides.

Ainsi, à périmètre constant, les crédits de la mission ont progressé de 6,7 % entre 2019 et 2020, soit une augmentation de 1,6 milliard d’euros. Ces crédits ont largement dépassé le plafond de dépense triennal fixé par la loi de programmation 2018-2022 à 22 milliards d’euros.

Le budget consacré à cette mission est aussi porté par des dépenses fiscales dynamiques, qui ont augmenté de 20 % au cours des dix dernières années. Je pense notamment à l’abattement sur les pensions et au crédit d’impôt sur le revenu pour frais de garde. Ces dépenses fiscales poursuivent des objectifs louables. Elles soutiennent des politiques qui sont appréciées par nos concitoyens, car elles sont utiles pour la société.

Mais les dépenses fiscales ne sont pas les seules dépenses dynamiques de la mission. Certaines dépenses se caractérisent même par un dynamisme structurel : elles sont donc amenées à augmenter « par construction », et ce serait en écorner le principe que de chercher à en diminuer le montant.

C’est tout particulièrement le cas de l’allocation aux adultes handicapés, qui représente environ 40 % des crédits et plus de 10 milliards d’euros. Le vieillissement de la population et le recul de l’âge de départ à la retraite, d’une part, et le faible taux de sortie des allocataires de cette allocation, d’autre part, constituent deux facteurs qui orientent le montant de cette allocation à la hausse. Je salue la décision du Gouvernement d’en revaloriser le montant à taux plein à hauteur de 900 euros. Cette dépense de solidarité fait honneur à notre société et son augmentation nous oblige.

Cependant, toutes les dépenses intégrées dans la mission ne sont pas structurelles. D’autres sont plus conjoncturelles, mais non moins importantes en termes de montants. C’est le cas de la prime d’activité, qui devrait représenter, en 2020, près de 10 milliards d’euros et concerner un actif sur quatre. Les mesures annoncées par le Président de la République il y a un an y ont largement contribué. Le Sénat les a acceptées comme des mesures d’urgence, en faisant preuve de responsabilité, mais nous pouvons désormais nous interroger sur leur cohérence à long terme avec le projet politique du Gouvernement.

La hausse de la prime d’activité est emblématique de l’incertitude qui plane sans cesse au-dessus de cette mission : c’est sur elle que sont imputées les mesures onéreuses destinées à endiguer les colères populaires. Pour ainsi dire, l’instabilité y fait figure de constante… Pourtant, les résultats ne sont pas toujours à la hauteur des sommes engagées.

Cette incertitude pèse avant tout sur le budget de l’État. On l’a vu avec les mesures votées au cœur de la crise, en décembre 2018. On le pressent avec le futur revenu universel d’activité annoncé pour 2020 par le Président de la République. En effet, on ignore pour le moment la mécanique de ce dispositif, si bien qu’il semble impossible d’évaluer aujourd’hui le coût de cette mesure qui devrait pourtant voir le jour demain.

Je partage les deux interrogations soulevées par les rapporteurs spéciaux : l’AAH sera-t-elle absorbée par le dispositif ? Quel rôle pour les départements dans ce futur pilier des politiques de solidarité ?

L’incertitude pèse également sur les collectivités territoriales, madame la secrétaire d’État, singulièrement sur les départements qui traduisent notre modèle social sur le terrain.

Si la mise en place du revenu universel d’activité pose des questions quant au rôle des départements dans le futur, le sujet très sensible du financement des mineurs non accompagnés les préoccupe déjà grandement, et à raison. En effet, la hausse de 20 % des crédits qui y sont consacrés apparaît en décalage avec la réalité du terrain. Selon l’Assemblée des départements de France (ADF), il faudrait mobiliser au moins 2 milliards d’euros pour accueillir les quelque 32 000 individus concernés.

Les départements sont en première ligne et ils craignent que l’État ne se décharge sur eux. Nous espérons, madame la secrétaire d’État, que vous pourrez les rassurer à ce sujet, et nous avec.

Enfin, le groupe Les Indépendants se réjouit que le Gouvernement ait prévu de faire participer le ministère des solidarités et de la santé aux efforts de réduction de la dépense publique, notamment pour ce qui concerne la rationalisation des effectifs et de l’immobilier.

Vous l’aurez compris, notre groupe partage l’esprit d’une politique de solidarité davantage portée sur le travail. Cependant, certains points retiennent notre vigilance et nous veillerons à ce que les choix qui seront opérés l’année prochaine restent sur la ligne du sérieux budgétaire.

M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Doineau.

Mme Élisabeth Doineau. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, dans le discours qu’il a prononcé le 13 septembre 2018 pour lancer la stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté, le Président de la République a annoncé son intention de rénover en profondeur le système des minima sociaux afin de permettre une égalité des chances réelles pour nos concitoyens.

Cette priorité se traduit cette année par la progression de 6,7 % des crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ». Cette augmentation est portée par l’évolution de l’AAH, mais surtout par l’accélération de la revalorisation de la prime d’activité.

À l’issue de la concertation auprès du grand public relative au revenu universel d’activité, l’analyse parlementaire de cette mission budgétaire revêt un rôle plus que jamais central.

Le programme 157 « Handicap et dépendance » regroupe les crédits consacrés à l’AAH. Ils sont en hausse de 2,5 % par rapport à 2019, ce qui porte l’enveloppe à 12,2 milliards d’euros. Toutefois, le projet de loi de finances pour 2020 ne prévoit qu’une « augmentation maîtrisée » de 0,3 % de cette allocation. Il convient donc de rester vigilant sur ce point. En effet, il ne faudrait pas que cette sous-revalorisation devienne la norme et déclenche un décrochage du pouvoir d’achat de ces allocataires pour les années à venir.

Par nature, l’AAH emporte de nombreuses spécificités. Ainsi, nous sommes très réservés à l’égard de son absorption dans le futur revenu universel d’activité.

Concernant le programme 304 « Inclusion sociale et protection des personnes », il permet de mettre en œuvre la politique de lutte contre la pauvreté. Le projet de loi de finances pour 2020 prévoit d’affecter 9,5 milliards d’euros à la prime d’activité, soit une hausse de 10 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2019 et de 70 % par rapport à 2018.

Comme l’a souligné fort justement notre rapporteur pour avis, la prime d’activité est ainsi devenue une dépense majeure de soutien du pouvoir d’achat des travailleurs les plus modestes. De plus, l’augmentation de 52 % de son taux de recours est une très bonne nouvelle. Si nous souscrivons aux objectifs de simplification, le passage au revenu universel d’activité est censé se faire à enveloppe constante. Dès lors, cette hypothèse peut-elle être crédible, si elle s’accompagne d’une augmentation du taux de recours ?

Par ailleurs, cette ligne budgétaire traduit également votre ambition pour la mise en œuvre du plan de lutte contre la pauvreté. Cette stratégie inclut la création d’un service public pour l’insertion et vous lancez actuellement une expérimentation territoriale. Je salue cette initiative qui permet de tester en grandeur nature – et de corriger – un futur déploiement national. Cependant, les départements qui s’y engageront demandent à être rassurés sur un point : ces nouvelles dépenses doivent sortir des « accords de Cahors » qui limitent l’évolution des dépenses de fonctionnement à 1,2 % par an – un grand nombre de départements ont signé un tel contrat avec l’État. La dynamique des dépenses des départements n’a pas faibli et une expérimentation signifie de nouvelles charges qu’il faut exclure de ce contrat de maîtrise des dépenses.

S’agissant de la situation des mineurs non accompagnés, je réitère aujourd’hui ma demande d’une vraie prise en charge de cette compétence par l’État en raison des difficultés des départements à y répondre. En dépit de l’augmentation des crédits consacrés à l’accueil des mineurs, le problème réside plutôt dans le fait que les départements n’arrivent pas, d’une part, à proposer des solutions d’hébergement satisfaisantes pour ces jeunes et, d’autre part, à accompagner les psychotraumatismes subis par ces jeunes.

Sur ce dernier point, il me semble urgent de multiplier les centres ressources permettant des prises en charge thérapeutiques, individuelles et collectives, ayant notamment recours à des compétences de psychocliniciens.

En réalité, les crédits proposés ne sont qu’une aide ponctuelle et ne répondent pas aux problèmes de fond.

Enfin, je regrette que le programme 137 relatif à l’égalité entre les femmes et les hommes soit reconduit en 2020 avec un montant similaire à celui de 2019. C’est pourquoi je soutiendrai l’amendement présenté par notre rapporteur pour avis, Philippe Mouiller, tendant à rétablir les crédits de ce programme à un niveau légèrement supérieur à celui de 2019.

Pour conclure, tout en espérant que le Gouvernement entendra ces points de vigilance, le groupe Union Centriste votera les crédits de cette mission.

M. le président. La parole est à Mme Michelle Gréaume.

Mme Michelle Gréaume. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, près de 15 % de la population française vit en dessous du seuil de pauvreté et ce chiffre est en augmentation. Un enfant sur cinq est victime de la pauvreté. La France, pourtant sixième puissance économique mondiale, est un pays, où les inégalités se creusent et où les pires injustices côtoient les fortunes les plus insolentes.

J’ai souhaité commencer ainsi mon propos, parce que le budget dont nous débattons aujourd’hui doit nécessairement s’apprécier au regard de ces chiffres qui sont autant de parcours de vie faits d’angoisses, de difficultés, de privations, de projets et d’ambitions refoulés, de peur de l’avenir…

C’est au regard de l’ampleur des urgences sociales et du chantier immense de l’égalité que nous pouvons faire la différence entre ce qui relève de l’aumône ou de la justice sociale, de la charité ou du respect de la dignité.

Manifestement, votre budget, au-delà des apparences, n’est pas à la hauteur de la situation et de ces exigences. Je prendrai trois exemples.

Vous vous félicitez d’abord de la revalorisation de la prime d’activité, alors que celle-ci n’est qu’un cache-misère social. Les « gilets jaunes », auxquels vous avez notamment répondu par cette prime, et plus globalement toutes les travailleuses et tous les travailleurs de ce pays ne demandent pas la charité, ils veulent simplement pouvoir vivre dignement de leur travail. Or des millions de travailleurs ne le peuvent pas du fait du niveau de leur salaire.

La vraie question est celle de l’augmentation du SMIC et des salaires. À l’inverse de ce qu’il faudrait faire, vous maintenez le SMIC à un niveau trop bas et vous soutenez les entreprises dans leur politique de régression salariale, en leur accordant des exonérations et allégements de cotisations sociales sur les bas salaires.

La prime d’activité, même revalorisée, est insuffisante pour augmenter significativement le pouvoir d’achat. Contrairement aux augmentations de salaire, elle ne concerne pas tout le monde, mais surtout, elle est financée par les salariés eux-mêmes ! C’est bien à ce tour de passe-passe que nous assistons, quand vous ne compensez pas le coût des exonérations de cotisations sociales pour la sécurité sociale.

Deuxième exemple : la revalorisation de l’AAH. Je souligne tout d’abord que la revalorisation à 900 euros par mois, montant qui reste en dessous du seuil de pauvreté, n’est pas une mesure exceptionnelle et qu’elle aurait dû être prise il y a déjà plusieurs années pour compenser l’augmentation du coût de la vie. Surtout, elle est en partie annulée par le durcissement des règles de calcul pour les personnes vivant en couple : 67 000 allocataires sont concernés. Nous tenons à réaffirmer notre opposition à la prise en compte des revenus du conjoint pour le calcul de l’AAH, comme nous l’avions signifié dans notre proposition de loi qui, malheureusement, n’a pas été adoptée.

L’AAH est un droit individuel censé garantir l’autonomie de la personne en situation de handicap, quelle que soit sa situation familiale. La règle actuelle est non seulement pénalisante financièrement, mais très discutable sur le plan moral et humain. Elle est aussi parfois vécue de façon infamante par des personnes placées ainsi en situation de dépendance économique vis-à-vis de leur conjoint.

Sur la question de l’égalité entre les femmes et les hommes, c’est mon troisième point, la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » n’est pas au niveau.

La grande cause du quinquennat qu’est l’égalité entre les femmes et les hommes, en particulier la lutte contre les violences faites aux femmes, ne se traduit toujours pas budgétairement. Pis, les crédits pour le programme 137 sont en baisse, contrairement à ce que vous laissez entendre dans vos déclarations publiques. Votre gouvernement est loin d’être à la hauteur de la mobilisation exceptionnelle de nos concitoyennes et de nos concitoyens sur la question des violences faites aux femmes. Les associations sont extrêmement déçues à l’issue du Grenelle : beaucoup de bonnes intentions, certes, mais quels moyens humains et financiers pour les mettre en œuvre ?

C’est pourtant le cœur du sujet. Ce Grenelle ne doit pas être à l’image du mode opératoire de ce gouvernement : beaucoup de communication, mais très peu d’engagements et encore moins de résultats. Des résultats qui, ici, ne sont ni plus ni moins que des vies humaines à sauver, des femmes en danger auxquelles il faut porter assistance et qu’il faut protéger. Il est bon de se le rappeler en permanence.

Nos concitoyennes et nos concitoyens attendent beaucoup plus que des demi-mesures. Ils sauront le rappeler utilement dès le 5 décembre à l’occasion des grèves et manifestations contre la réforme des retraites.

Pour toutes ces raisons, le groupe CRCE ne votera pas les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR.)

M. le président. La parole est à Mme Chantal Deseyne. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Chantal Deseyne. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, s’il y a un domaine, où l’effort de la Nation ne doit pas faiblir, c’est bien celui de la solidarité.

Les crédits de cette mission augmentent de 6,7 %, augmentation qu’il faut ramener à 3,3 % pour tenir compte des crédits supplémentaires accordés par le projet de loi de finances rectificative. Cela reste néanmoins un bon chiffre qui permet d’accompagner le nombre croissant de bénéficiaires de l’allocation aux adultes handicapés et surtout de la prime d’activité – ces deux dispositifs ont été revalorisés l’année dernière conformément aux engagements présidentiels.

Le Gouvernement peut donc s’adresser un satisfecit, mais je relève que les rapporteurs spéciaux de la commission des finances et le rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales ont noté parallèlement des coups de rabot et de nombreuses incertitudes.

Leur analyse rejoint d’ailleurs les conclusions du portrait social de la France publié par l’Insee le 19 novembre dernier, selon lequel les augmentations de prestations sociales ont fait des gagnants, mais aussi des perdants. C’est toute l’ambiguïté de ce budget, où des mesures populaires voisinent avec des restrictions plus discrètes.

Tout d’abord, concernant l’AAH, je souscris bien évidemment à l’effort budgétaire consenti pour augmenter cette aide sur les deux années 2018 et 2019. Je rappellerai d’ailleurs que notre majorité avait fortement revalorisé l’AAH sur la période 2008-2012 – l’augmentation avait été de 25 %.

Cependant, comme je le disais, plusieurs mesures viennent neutraliser la portée de ces revalorisations.

Il s’agit en premier lieu de l’abaissement du plafond de ressources pour les couples percevant l’AAH ; cette mesure est justifiée par la volonté d’aligner leur régime sur celui des couples qui perçoivent le RSA. Un quart des allocataires de l’AAH vit en couple ; 40 % d’entre eux y perdront, soit environ 100 000 personnes. À l’image du rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, Philippe Mouiller, je déplore la brutalité de cet alignement par le bas de l’AAH.

Deuxième coup de rabot, le complément de ressource en cas d’incapacité supérieure à 80 % disparaît pour les nouveaux allocataires. Les calculs montrent une perte pouvant s’élever à près de 180 euros pour les publics les plus précaires, soit entre 7 000 et 10 000 personnes.

Enfin, l’AAH n’est pas indexée sur l’inflation pour la seconde année consécutive. En 2020, elle ne sera revalorisée que de 0,3 %. Souhaitons que cette pratique de désindexation qui permet à l’État de faire des économies ne devienne pas systématique ! Je rappelle que, si l’AAH est de 900 euros depuis le 1er novembre 2019, le seuil de pauvreté est de 1 026 euros par mois. L’AAH se situe donc toujours sous ce seuil.

Au-delà de ce constat se pose la question de la place de l’AAH dans le futur dispositif du revenu universel d’activité. L’AAH a été créée spécifiquement par la loi de 2005 pour compenser le handicap et l’incapacité d’exercer une activité professionnelle, souvent de façon irréversible. Ce n’est donc pas un minimum social comme un autre.

Certes, le dispositif pourrait gagner en simplification, mais l’absence de visibilité de la réforme inquiète à juste titre les associations. Il vous appartiendra donc, madame la secrétaire d’État, de rassurer les personnes handicapées et leurs familles, comme vous avez pu le faire en partie en audition, en garantissant le maintien des moyens actuels et l’absence de condition d’activité.

De même que pour l’AAH, je relèverai quelques déséquilibres dans la répartition de la prime d’activité. Remplaçant l’ancienne prime pour l’emploi et le RSA activité, elle bénéficie largement de l’augmentation des crédits de la mission en raison d’une montée en charge rapide.

La revalorisation exceptionnelle de 90 euros est progressive, et non forfaitaire : les ménages travaillant le moins ou ayant les salaires les plus faibles n’en bénéficient pas. La part de foyers bénéficiaires, dont les revenus sont inférieurs à 1 000 euros, diminue également, elle passe de 41 % à 30 %. Globalement, le public éligible a été élargi au niveau des rémunérations les plus élevées parmi les bénéficiaires et majoritairement à des personnes seules.

Enfin, la prime d’activité connaît la même sous-revalorisation que l’AAH – 0,3 % – et n’est plus indexée sur l’inflation.

Si un effort est réellement fait en direction de l’AAH et de la prime d’activité, je pense que ces ajustements sont regrettables. Ils créent chez les publics concernés un sentiment d’injustice et d’engagements non tenus.

Concernant les autres programmes de la mission, je souhaiterais évoquer les crédits consacrés à l’égalité entre les femmes et les hommes. Ils sont simplement reconduits à l’identique cette année, alors qu’il faudrait mobiliser des financements pour suivre les orientations de cette grande cause nationale du quinquennat.

Cette semaine s’est achevé le Grenelle contre les violences conjugales. Cependant, les mesures envisagées – formation, création de postes d’intervenants sociaux, etc. – ne sont pas financées dans le présent projet de loi de finances. Par conséquent, pourriez-vous nous préciser, madame la secrétaire d’État, les modalités de financement qui sont prévues ?

Au sein du même programme, nos rapporteurs ont souligné que les crédits prévus pour l’aide financière à l’insertion sociale et professionnelle qui est versée dans le cadre de la sortie de la prostitution diminuent pour la deuxième année consécutive. Cette baisse importante – elle est de 40 % – est contradictoire avec l’ambition de départ de la loi du 13 avril 2016 et succède à une série de retards dans la mise en œuvre du dispositif.

Je soutiendrai donc l’amendement proposé par le rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, Philippe Mouiller, dont je salue la qualité du travail. J’espère, madame la secrétaire d’État, que vous y serez favorable.

Pour conclure, hormis ces réserves, le groupe Les Républicains constate l’évolution positive des crédits de la mission et sera donc favorable à leur adoption dans un souci de protection des populations les plus fragiles. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi quau banc des commissions.)