compte rendu intégral

Présidence de M. Vincent Delahaye

vice-président

Secrétaires :

M. Yves Daudigny,

M. Joël Guerriau.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 12 décembre 2019 a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

Décès d’un ancien sénateur

M. le président. Mes chers collègues, j’ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Jean-Claude Carle, qui fut sénateur de la Haute-Savoie de 1995 à 2018.

3

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour un rappel au règlement.

Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, ce rappel au règlement se fonde sur l’article 29 du règlement du Sénat.

Je souhaite appeler l’attention de la Haute Assemblée sur une situation qui me semble tout à fait intenable : les autorités israéliennes viennent d’interdire l’entrée de Jérusalem et de Bethléem aux chrétiens de Gaza. Et alors que des colloques sont organisés de-ci de-là sur la protection des chrétiens d’Orient, absolument rien n’est dit sur cette situation totalement anormale.

Les chrétiens de Gaza se trouvaient déjà dans une situation extrêmement difficile, qui est liée à la situation de Gaza dans son ensemble ; ils sont maintenant discriminés ! Ils ne pourront aller ni à Jérusalem ni à Bethléem pour prier. Si l’on ajoute à cela les travaux menés dans ce que l’on appelle le tunnel de Tsahal à Jérusalem, qui toucheront les immeubles des Églises chrétiennes, la situation est vraiment très grave. Et elle est complètement d’actualité, Noël ayant lieu dans quelques jours.

Nous serions bien inspirés, dans le cadre de la défense des chrétiens d’Orient et de leur protection, d’adopter une motion sur cette situation, pour essayer d’y mettre un terme. (Marques dapprobation sur les travées du groupe CRCE.)

M. le président. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, ma chère collègue.

4

Application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution et mandat des membres de la Hadopi

Adoption en procédure accélérée d’un projet de loi organique dans le texte de la commission et d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié

 
 
 

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi organique et du projet de loi relatifs à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution et prorogeant le mandat des membres de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (projets nos 120 et 119, textes de la commission nos 195 et 196, rapport n° 194, avis n° 183).

Il a été décidé que ces deux textes feraient l’objet d’une discussion générale commune.

Dans la discussion générale commune, la parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Cédric O, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie et des finances et du ministre de laction et des comptes publics, chargé du numérique. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureux d’être aujourd’hui devant vous pour vous présenter le projet de loi organique et le projet de loi modifiant les lois organique et ordinaire relatives à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution.

Le projet de loi ordinaire proroge en outre le mandat des membres de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi).

Il s’agit, pour l’essentiel, de tirer les conséquences de diverses dispositions législatives adoptées récemment, afin de permettre au Parlement de continuer d’exercer son contrôle sur le pouvoir de nomination du Président de la République prévu à l’article 13, alinéa 5, de la Constitution. En effet, en vertu de cet article, le Président de la République nomme « aux emplois civils et militaires de l’État ».

La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a complété cet article d’un cinquième alinéa renvoyant au législateur organique la détermination des « emplois ou fonctions […] pour lesquels, en raison de leur importance pour la garantie des droits et libertés ou la vie économique et sociale de la Nation, le pouvoir de nomination du Président de la République s’exerce après avis public de la commission permanente compétente de chaque assemblée ».

Ce droit de veto sur certaines nominations décidées par le chef de l’État est une avancée démocratique majeure, pour laquelle il faut rendre hommage au Constituant de 2008 et au législateur organique de 2010.

Il est désormais bien ancré dans notre Ve République que les nominations par décret du Président de la République à des emplois se caractérisant par leur importance, soit pour la garantie des droits et libertés, soit pour la vie économique et sociale, doivent faire l’objet d’un avis préalable des commissions permanentes compétentes des deux assemblées parlementaires. Cette nomination ne peut se faire que lorsque l’addition des votes négatifs dans chaque commission représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions.

Au fil du temps, le législateur organique a eu à compléter la liste prévue par l’article 13, alinéa 5, de la Constitution. Aujourd’hui, ce sont 52 autorités administratives indépendantes (AAI), établissements publics ou entreprises publiques dont les principaux responsables font désormais l’objet d’un tel contrôle parlementaire. Loin d’être une formalité, ces auditions sont un temps politique et, même si le droit de veto n’a jamais encore été mis en œuvre, elles sont l’occasion pour les commissions d’examiner les compétences des personnes proposées.

Ces auditions sont publiques et font l’objet d’un avis public : elles permettent de lancer le mandat de la personne désignée, de lui donner un élan particulier avec une légitimité particulière.

Des réformes importantes adoptées ces derniers mois requièrent d’actualiser les lois organique et ordinaire de 2010.

Les textes que le Gouvernement vous a présentés, mesdames, messieurs les sénateurs, tirent la conséquence de la loi du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire, qui transforme au 1er janvier 2020 le groupe public ferroviaire constitué de trois établissements publics industriels et commerciaux, ou EPIC, en groupe public unifié composé de la société nationale SNCF et de ses filiales directes et indirectes, notamment SNCF Voyageurs et SNCF Réseau. À ce propos, des désaccords subsistent encore sur la gouvernance de l’ensemble, comment ont semblé le montrer vos débats en commission.

Vous le savez, l’ambition de la loi Nouveau pacte ferroviaire était de normaliser la gouvernance du groupe SNCF. Elle le fait, notamment, en ne prévoyant aucune disposition, dans la loi elle-même ou dans l’ordonnance prise sur son fondement, qui fige le cumul ou la dissociation des fonctions de président et de directeur général pour la SNCF ou pour SNCF Réseau.

C’est pourquoi prévoir la nomination par décret de trois ou quatre dirigeants d’un même groupe, ce que le texte que vous avez adopté en commission prévoit, me semble-t-il, ne semble pas nécessairement de nature à normaliser l’entreprise.

J’ajoute que cette solution est contraire au droit commun des sociétés à participation publique, qui prévoit que seul le directeur général ou, lorsque les fonctions ne sont pas dissociées – cela pourra très bien être le cas à la SNCF –, le président-directeur général d’une société détenue directement à plus de 50 % par l’État, est nommé par décret du Président de la République.

Les ajouts de la commission des lois du Sénat sont probablement motivés par la volonté de garantir l’indépendance du gestionnaire d’infrastructure.

Certes, nous partageons cette volonté, mais l’ordonnance prise sur le fondement de la loi Nouveau pacte ferroviaire répond déjà à ces inquiétudes, en prévoyant que la nomination, le renouvellement et la révocation du directeur général de SNCF Réseau resteront soumis à l’avis conforme de l’Autorité de régulation des transports (ART), spécifiquement chargée de la régulation du secteur.

Je tiens d’ailleurs à signaler que le président du directoire de Réseau de transport d’électricité (RTE) n’est pas non plus nommé par décret du Président de la République et qu’il n’est pas auditionné par les assemblées.

En revanche, sa candidature est bien « validée » en amont par le régulateur, la Commission de régulation de l’énergie (CRE), ce qui a toujours été considéré comme suffisant sur le plan juridique pour assurer l’indépendance de la société à l’égard de la société mère EDF. Nous aurons l’occasion de revenir sur ces questions lors de la discussion des amendements.

Les textes que nous examinons tirent également la conséquence de la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite « loi Pacte », qui prévoit la privatisation de la Française des jeux (FDJ). Cette privatisation est désormais effective ; du reste, elle a été un grand succès populaire. L’argent issu de cette privatisation servira à alimenter le fonds pour l’innovation et l’industrie, qui investira dans la durée dans des technologies de rupture, comme l’intelligence artificielle ou la nanoélectronique.

Ces textes tirent également la conséquence de l’ordonnance du 2 octobre 2019 réformant la régulation des jeux d’argent et de hasard, qui met en place une nouvelle autorité administrative indépendante de régulation du secteur des jeux, l’Autorité nationale des jeux (ANJ). Celle-ci reprend l’intégralité des missions de l’ancienne Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL), en étendant son domaine de compétence à l’ensemble du secteur des jeux d’argent et de hasard, à l’exception des casinos.

Ces textes tirent aussi la conséquence de l’ordonnance du 24 juillet 2019 relative au régulateur des redevances aéroportuaires, qui remplace l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer) par l’Autorité de régulation des transports (ART).

Ils prolongent également les mandats des six membres de la Hadopi, afin d’anticiper les conséquences du projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère numérique, qui entend fusionner le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) et la Hadopi d’ici au mois de janvier 2021 en un futur organe unique, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), aux compétences plus étendues.

Les textes dont nous discutons sont essentiellement techniques, de conséquence juridique et d’application pratique.

Je note avec plaisir que la commission des lois du Sénat a approuvé les dispositions des projets de loi initiaux. Elle les a même enrichis, soucieuse de bonne légistique et de cohérence juridique.

Elle a aussi fait preuve d’une certaine constance dans ses convictions, en demandant l’ajout du président de la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) à la liste prévue dans la loi organique de 2010.

À notre sens, cet ajout n’est pas justifié, la CADA ne satisfaisant pas au critère de « l’importance pour la garantie des droits et libertés ou la vie économique et sociale de la Nation », du fait de son rôle presque exclusivement consultatif. De même, l’ajout du directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) ne nous paraît pas opportun, cet organisme ayant également un rôle consultatif important.

Le Gouvernement est en revanche pleinement favorable aux autres amendements adoptés par la commission des lois du Sénat.

Je me réjouis des discussions que nous allons avoir sur ces sujets, qui témoignent de la vigueur de notre démocratie et de l’équilibre, toujours changeant, toujours vivant, que celle-ci a su trouver entre deux de ses pouvoirs. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Yves Détraigne, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la commission des lois a examiné ce projet de loi organique et ce projet de loi ordinaire le 11 décembre dernier. Ils abordent deux sujets distincts : le mandat des membres de la Hadopi et le contrôle, par les commissions parlementaires, des nominations du Président de la République.

Initialement, le Gouvernement présentait ces textes comme un travail d’actualisation, voire de coordination. Le diable se cache toutefois dans les détails, et la commission des lois a adopté treize amendements, afin de corriger certaines maladresses. Elle a surtout rappelé son attachement au contrôle parlementaire sur les nominations aux emplois publics.

Le Gouvernement souhaite prolonger le mandat de six membres de la Hadopi pour une durée d’un an ou de six mois. Il ne veut pas nommer de nouveaux membres, alors que la Haute Autorité devrait fusionner avec le CSA le 25 janvier 2021.

Le Gouvernement souhaite également que l’actuel président de la Hadopi continue son travail de préfiguration, pour bien préparer cette fusion. La commission des lois ne s’est pas opposée à cette disposition, dont la portée reste limitée. L’examen de l’amendement de notre collègue David Assouline permettra d’en débattre de manière plus approfondie.

J’en viens à la procédure prévue au cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution. Créée par la révision constitutionnelle de 2008, elle permet au Parlement de bloquer une nomination du Président de la République lorsque l’addition des votes négatifs dans les commissions compétentes représente, au total, au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés ; c’est ce que l’on appelle parfois les « trois cinquièmes négatifs ».

Cette procédure concerne aujourd’hui 54 emplois, qui présentent une « importance particulière pour les droits et libertés ou pour la vie économique et sociale de la Nation ». Comme l’avait souligné Jean-Jacques Hyest, ancien président de la commission des lois du Sénat, elle permet d’écarter des candidatures de complaisance et de renforcer la transparence des nominations, notamment grâce à l’audition des candidats pressentis.

Depuis 2011, le Parlement s’est exprimé à 110 reprises sur des nominations envisagées par le Président de la République. Il n’a jamais mis en œuvre son pouvoir de veto, ce qui a d’ailleurs conduit le groupe de travail du Sénat sur la révision constitutionnelle à proposer une modification des règles de blocage.

À six reprises, l’une des commissions compétentes a formulé un avis négatif, marquant son désaccord sur le projet de nomination. Je rappelle notamment l’opposition du Sénat à la nomination d’un membre du Conseil supérieur de la magistrature, le CSM, qui souhaitait, à titre temporaire, cumuler cette fonction avec celle d’ambassadeur de France à Madrid… La plupart d’entre nous s’en souviennent, c’est assez récent.

Le dernier exemple date de la semaine dernière. La commission des affaires économiques du Sénat s’est opposée à la nomination du directeur général de l’Office national des forêts. Il s’en est fallu d’une seule voix pour bloquer la nomination !

Avec ces projets de loi, le Gouvernement propose d’actualiser la liste des nominations soumises à l’avis préalable des commissions parlementaires.

Certaines dispositions ne soulèvent aucune difficulté, notamment pour changer le nom de l’Arafer, cette instance s’appelant désormais Autorité de régulation des transports. La commission a d’ailleurs poursuivi cet effort de coordination, notamment en actualisant le nom de l’Arcep, l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse.

Le Gouvernement propose également de supprimer le poste de P-DG de la Française des jeux de la liste de l’article 13 de la Constitution.

Nous gardons tous en mémoire l’opposition qu’a exprimée le Sénat sur le projet de privatisation de la société. Il s’agit toutefois, en l’espèce, de tirer les conséquences juridiques de ce processus. Depuis le mois de novembre dernier, le capital de la FDJ appartient en majorité au secteur privé. Son P-DG ne peut donc plus être nommé par le Président de la République. Nous y reviendrons tout à l’heure lors de l’examen d’un amendement de Jean-Yves Leconte.

Au-delà de ces aspects techniques, les textes du Gouvernement soulèvent un problème de méthode et un problème de fond, qui dépassent un simple exercice de toilettage.

Sur le plan de la méthode, nous sommes invités à tirer les conséquences de trois ordonnances qui n’ont pas encore été ratifiées, sur des sujets aussi importants que la police des jeux ou l’organisation du réseau de transport. Alors qu’elle réorganise entièrement la SNCF, l’ordonnance du 3 juin 2019 n’a toujours pas été ratifiée, plus de six mois après sa publication. J’espère que le Gouvernement sera capable de s’engager sur un calendrier de ratification, ce qu’il n’a toujours pas fait !

Sur le fond, les projets de loi initiaux conduisaient à un recul, même léger, du contrôle parlementaire sur les nominations aux emplois publics. La commission des lois n’a pas accepté cette évolution, qui serait allée à rebours des efforts accomplis depuis 2009 pour renforcer cette procédure de contrôle et élargir son périmètre.

Je remercie la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable et son rapporteur, Didier Mandelli, de l’attention portée à la gouvernance de la SNCF.

Pour la première fois depuis 2010, le Parlement aurait perdu tout droit de regard sur la gouvernance du gestionnaire de l’infrastructure ferroviaire, SNCF Réseau, ce qui n’était pas acceptable. SNCF Réseau doit, au contraire, bénéficier de garanties d’indépendance suffisantes, pour éviter toute discrimination entre les entreprises de transport, dont SNCF Voyageurs.

En conséquence, le texte de la commission soumet au cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution le président du conseil d’administration et le directeur général de la société nationale SNCF, mais également celui de SNCF Réseau.

Dans la même logique, la commission des lois a ajouté deux fonctions à la liste des nominations soumises à l’avis préalable des commissions parlementaires : le président de la Commission d’accès aux documents administratifs et le directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration. Nous avons travaillé de conserve avec Jean-Yves Leconte pour obtenir ce résultat, qui me semble très satisfaisant.

La mission de l’OFII en matière d’accueil des demandeurs d’asile et des immigrés s’est fortement affirmée au cours des dernières années.

Pour la seule année 2018, l’OFII a organisé le premier accueil de 109 783 demandeurs d’asile. Il a également conclu 97 940 contrats d’intégration républicaine, qui permettent aux étrangers d’accéder à des formations linguistiques, donc de mieux s’intégrer à la société française.

L’importance de la CADA n’est plus à démontrer. Cette instance joue un rôle essentiel dans la garantie, pour chaque citoyen, d’accéder aux documents administratifs. La loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique a même étendu ses missions, lesquelles couvrent désormais la publication en open data des documents administratifs et la réutilisation d’informations publiques.

Le Sénat a toujours été très attentif au bon fonctionnement de la CADA, comme le montre le rapport d’information de 2014 de notre ancienne collègue Corinne Bouchoux, fait au nom de la mission commune d’information sur l’accès aux documents administratifs et aux données publiques, que présidait à l’époque Jean-Jacques Hyest.

Nous souhaitons donc vous interpeller, monsieur le secrétaire d’État, sur la situation de cette autorité administrative indépendante, qui n’arrive plus à faire face au volume et à la complexité des demandes reçues.

En 2018, la CADA a été saisie de 5 867 demandes d’avis. En moyenne, chaque dossier a été traité en 128 jours, alors que la loi fixe un délai théorique de 30 jours. Une fois la décision de la CADA rendue, les citoyens doivent encore attendre deux mois pour obtenir une réponse de l’administration et, le cas échéant, pour se porter devant le tribunal administratif. C’est un véritable labyrinthe !

En commission, nombre de collègues ont également mentionné les élus d’opposition, qui, dans leurs assemblées, ne parviennent pas à obtenir des documents dans les temps. De l’aveu même de son président, la CADA ne peut plus continuer ainsi. Son « stock d’affaires » s’élève actuellement à 1 800 dossiers, ce qui correspond à environ quatre mois d’activité.

Quelles solutions envisagez-vous, monsieur le secrétaire d’État, pour mettre fin à cette situation, alors que les citoyens sollicitent de plus en plus l’accès aux documents administratifs ? Il s’agit, vous l’aurez compris, d’un sujet essentiel pour le Sénat.

Plus globalement, nous regrettons l’attitude du Gouvernement qui a déposé tardivement sept amendements visant à revenir sur les amendements de la commission des lois. Une telle attitude ne semble pas respectueuse ni du Sénat ni du principe de contrôle parlementaire.

Mes chers collègues, sous réserve de ce point de vigilance, la commission des lois vous propose d’adopter le projet de loi organique et le projet de loi ordinaire, ainsi modifiés. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDSE, ainsi que sur des travées du groupe SOCR.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Didier Mandelli, rapporteur pour avis de la commission de laménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la réforme ferroviaire, que nous avons adoptée il y a près d’un an et demi, prévoit une évolution profonde de la gouvernance de la SNCF, qui passera au 1er janvier 2020 du statut de groupe public ferroviaire constitué d’EPIC à celui de groupe public unifié constitué de sociétés anonymes. Cette évolution doit être précisée par ordonnance.

Or cette ordonnance, publiée au mois de juin dernier, n’a pas été ratifiée par le Parlement, et aucun calendrier de ratification ne m’a été communiqué. Monsieur le secrétaire d’État, pourriez-vous nous en dire plus sur le calendrier de ratification envisagé ?

En outre, l’Autorité de régulation des transports a émis de sérieuses réserves sur son contenu, en particulier sur l’indépendance du gestionnaire d’infrastructure, SNCF Réseau. Elle a d’ailleurs réitéré ses craintes dans son récent avis sur les projets de décrets statutaires des sociétés du futur groupe public unifié.

Les projets de loi organique et ordinaire que nous examinons aujourd’hui entendent pourtant tirer les conséquences des dispositions de cette ordonnance.

Au-delà de cette méthode, que je qualifierais de discutable, ces textes conduiraient à affaiblir le contrôle parlementaire sur la nomination des dirigeants de la SNCF, puisqu’ils prévoient de remplacer les trois auditions actuellement prévues par une unique audition du directeur général de la société nationale SNCF maison mère. Or l’évolution de la gouvernance du groupe ne saurait justifier de restreindre ainsi le droit de regard du Parlement sur de telles nominations.

La commission de l’aménagement du territoire et du développement durable s’est saisie pour avis de ce texte et a entendu, avec l’avis favorable de la commission des lois, conforter le contrôle parlementaire sur la nomination des dirigeants de la SNCF, selon trois axes.

Tout d’abord, la commission a veillé à maintenir la procédure prévue à l’article 13 de la Constitution pour la nomination du dirigeant de SNCF Réseau, qui est prévue depuis 2010 et que le projet de loi organique tendait pourtant à supprimer.

Or avoir choisi de maintenir une structure verticalement intégrée justifie à plus forte raison d’encadrer la nomination du dirigeant de la société SNCF Réseau. Aussi, en raison du rôle central que jouera le gestionnaire d’infrastructure dans l’accès au réseau et a fortiori dans la perspective de l’ouverture à la concurrence, la commission a-t-elle été soucieuse de garantir l’audition de son directeur général par les commissions compétentes du Parlement.

Ensuite, étant donné que la possibilité sera laissée au conseil d’administration de la société mère et de la filiale SNCF Réseau de dissocier la direction générale de la présidence du conseil d’administration et en raison du rôle important que jouera le président du conseil d’administration dans chacune de ces sociétés, notre commission a souhaité les soumettre à la procédure prévue à l’article 13 de la Constitution.

À ce titre, je rappelle les termes de l’exposé des motifs de la loi organique du 4 août 2014 relative à la nomination des dirigeants de la SNCF, texte déposé par les députés dans le cadre de l’examen du projet de loi portant réforme ferroviaire de 2014. En effet, ils sont toujours d’actualité :

« Il est impératif que les processus de nomination des dirigeants du futur groupe public ferroviaire continuent de se dérouler sous le regard des parlementaires. Nul ne comprendrait ni n’admettrait que la réforme soit l’occasion de soustraire ces personnalités à un contrôle qui constitue une avancée unanimement reconnue de la démocratie. »

Enfin, un amendement au projet de loi ordinaire vise à soumettre la nomination du président du conseil d’administration de la société SNCF Réseau à l’avis conforme de l’ART, alors que l’ordonnance ne réserve cette procédure qu’au directeur général ou, le cas échéant, au président-directeur général. Les choix en matière de gouvernance et les modalités de nomination des dirigeants du groupe contribuent en effet à garantir cette indépendance.

Aussi, dans le contexte de l’ouverture à la concurrence du transport national de voyageurs et alors même que le régulateur et les nouveaux entrants ont exprimé de vives inquiétudes, il est essentiel de veiller à garantir les conditions d’indépendance du gestionnaire d’infrastructure.

En conclusion, les amendements adoptés par la commission des lois, sur proposition de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, visent à renforcer le contrôle du Parlement et du régulateur sur les nominations des dirigeants du groupe public unifié. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Buis.

M. Bernard Buis. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes appelés aujourd’hui à légiférer sur un double sujet : d’une part, l’actualisation de la liste des nominations du Président de la République soumises à l’avis préalable des commissions parlementaires, conformément à la procédure dite « des trois cinquièmes négatifs », ce qui représente 54 emplois aujourd’hui ; d’autre part, la prorogation du mandat de six membres de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet.

Il est également procédé à des changements d’intitulé. Ainsi, l’Autorité de régulation des jeux en ligne devient l’Autorité nationale des jeux et l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières devient l’Autorité de régulation des transports.

Le rapporteur de la commission des lois du Sénat a fait œuvre utile, en premier lieu, en précisant que la prolongation des mandats des membres de la Hadopi concernerait les membres titulaires de cette instance, mais également leurs suppléants, en second lieu, en prenant acte du changement d’intitulé de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse, l’Arcep, et de la Banque publique d’investissement, ou Bpifrance.

La commission des lois a également souhaité intégrer le directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, ainsi que le président de la Commission d’accès aux documents administratifs à la liste des emplois concernés par cette procédure de contrôle.

Nous n’avons a priori aucun préjugé défavorable quant au nombre de désignations devant être opportunément soumises au contrôle du Parlement. Encore faut-il que l’OFII, en sa qualité d’organisme consultatif, s’inscrive, en droit, dans le champ de l’article 13 de la Constitution, ce dont nous pouvons légitimement douter.

Par ailleurs, l’effervescence suscitée par les modalités de nomination des dirigeants de la société nationale SNCF et de SNCF Réseau semble inversement proportionnelle à l’intérêt de cette affaire. En effet, en l’état, le régime commun des sociétés à participation publique prévoit que seul le mandataire social d’une société directement détenue à plus de 50 % par l’État est nommé par un décret du Président de la République.

Nous sommes également dubitatifs s’agissant de la réaction de principe consistant à dire que ce véhicule législatif préjugerait, en toute hypothèse, de processus de ratification ultérieurs : si nous en comprenons la rentabilité politique, la logique juridique semble nous échapper.

Politiquement, il peut être en effet avantageux de soupçonner autre chose qu’un texte de coordination. Juridiquement, en revanche, c’est sans doute un peu cavalier : les ordonnances, quoiqu’elles soient dépourvues de valeur législative, produisent d’ores et déjà leurs effets administratifs et sollicitent, par ce fait même, un certain nombre de coordinations. Il ne faut donc y voir aucun blanc-seing ou négation du contrôle parlementaire.

Au reste, les dispositions présentées dans ces projets de loi restent circonscrites à un champ normatif très limité et n’appellent pas d’observation particulière de notre part, exception faite, peut-être, de notre souhait de voir figurer, en bonne place, une réelle rationalisation de cette nébuleuse infiniment complexe que sont les autorités administratives indépendantes.