M. Bernard Buis. Ces réserves formulées, nous nous abstiendrons a priori sur ces textes modifiés, mais nous attendons les discussions pour valider notre position définitive. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, avant d’évoquer le contenu du projet de loi ordinaire et du projet de loi organique, je tiens à rappeler que notre groupe est opposé à l’article 13 de la Constitution dans sa rédaction actuelle.

Cet article, qui est issu de la révision constitutionnelle de 2008, organise le contrôle du Parlement sur certaines nominations du Président de la République ; au total, 54 postes sont concernés. Il conviendrait plutôt de dire en fait qu’il organise le non-contrôle ou le laisser-faire, tant les conditions permettant au Parlement de s’opposer éventuellement à une nomination sont dissuasives. En effet, à l’instar du référendum d’initiative populaire, également instauré en 2008, ce nouveau droit est extrêmement difficile à mettre en œuvre, tant il comporte de chausse-trapes.

Je rappelle, mes chers collègues, que le texte initial ayant abouti à la révision de 2008 était plus intéressant d’un point de vue démocratique. L’article 4 du projet de loi constitutionnelle n° 820 indiquait : « Le pouvoir de nomination du Président de la République s’exerce après avis d’une commission constituée de membres des deux assemblées du Parlement ».

La version finale de l’article 13 est bien différente, il faut le rappeler, afin de bien mettre en évidence le contresens démocratique : « Le pouvoir de nomination du Président de la République s’exerce après avis public de la commission permanente compétente de chaque assemblée. » À ce stade, il ne s’agit que d’un simple avis, nullement impératif.

L’article prévoit ensuite : « Le Président de la République ne peut procéder à une nomination lorsque l’addition des votes négatifs dans chaque commission représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions ».

Pour obtenir le rejet d’une nomination, les votes négatifs doivent représenter trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions des deux assemblées. Cette majorité qualifiée rend de toute évidence une telle issue impossible, ou presque, car elle contraint la majorité et l’opposition à être d’accord.

Si l’inverse était vrai, si une majorité des trois cinquièmes était requise pour qu’une nomination soit approuvée, un véritable consensus serait alors exigé et l’opposition aurait un réel pouvoir de contrôle. Nous avions, comme d’autres, proposé un tel dispositif en 2008, mais il a été refusé.

Ce rappel était nécessaire pour souligner l’inanité de l’exercice législatif que le Gouvernement nous propose aujourd’hui.

Peut-on cautionner plus longtemps un tel dispositif, qui, de fait, permet au chef de l’État d’avoir quasiment les mains libres en matière de nomination ? Nous ne le pensons pas.

Un véritable pouvoir de contrôle, assorti de moyens d’influer sur la réalité et d’une véritable transparence, est devenu un impératif démocratique, tant la critique contre les institutions devient forte, comme nous pouvons le noter à l’occasion de la désastreuse affaire Delevoye.

Comment ne pas faire le lien entre ces remarques et la légèreté, pour ne pas dire le peu de respect, qui conduit le Gouvernement à proposer d’adapter la liste prévue par la loi organique, afin de prendre en compte la nouvelle gouvernance de la SNCF à la suite de la modification de ses statuts ? En effet, cela a été dit, cette nouvelle gouvernance est prévue dans une ordonnance, laquelle n’a pas encore été ratifiée.

M. Mandelli, rapporteur pour avis, l’a indiqué clairement en commission : « Les dispositions relatives à la nouvelle gouvernance du groupe ont été précisées dans une ordonnance de juin 2019, qui n’a pas été ratifiée par le Parlement et qui fait par ailleurs l’objet de nombreuses réserves. Je constate donc qu’il nous est aujourd’hui demandé de nous prononcer sur des textes entérinant des choix sur lesquels nous n’avons pas eu l’occasion de débattre ».

Si cette remarque est judicieuse, je rappellerai néanmoins que nous sommes bien souvent seuls sur les travées du groupe CRCE à contester la multiplication du recours à la pratique des ordonnances !

Je partage le souhait des deux commissions d’adapter le contrôle de la gouvernance de la SNCF. Je m’interroge toutefois sur vos motivations profondes, mes chers collègues, car l’un de vos premiers soucis semble être d’écarter toute gêne dans la mise en œuvre de la politique d’ouverture à la concurrence.

Cette remarque vaut également pour la Hadopi. Dans ce cas également, on nous propose de légiférer alors qu’un texte est en cours d’élaboration. La virtualité devient une composante de notre travail de législateur !

Enfin, nous comprenons qu’il soit logique de ne plus contrôler la gouvernance de la Française des jeux, qui vient d’être privatisée. Toutefois, monsieur le secrétaire d’État, l’État étant appelé à jouer un rôle important dans l’organisation de la Française des jeux, n’était-il pas justifié de conserver un contrôle sur sa gouvernance ?

Quel symbole tout de même ! Cette disposition montre bien le dessaisissement de la Nation. Le Parlement ne contrôlera plus la nomination des dirigeants de la FDJ. Le marché s’en chargera bien évidemment, avec ses propres objectifs.

Ces projets de loi organique et ordinaire sont donc loin d’être anecdotiques. Ils sont dans l’air du temps – un air assez mauvais. L’heure est à la mise à l’écart du Parlement, à une présidence de la République toute-puissante, à un marché profitant à plein régime de ces défaillances démocratiques.

Pour toutes ces raisons, malgré tel ou tel aménagement proposé par les commissions, qui peut avoir son utilité, nous en sommes conscients, nous voterons contre ces projets de loi, sur leur principe, lequel sera, à n’en pas douter, clairement réaffirmé par l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

M. le président. La parole est à M. Alain Marc. (MM. Jean-Pierre Decool et Philippe Bonnecarrère applaudissent.)

M. Alain Marc. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les deux textes que nous examinons cet après-midi prévoient d’actualiser la liste des nominations par le Président de la République qui sont soumises à l’avis préalable des commissions parlementaires et à prolonger le mandat de six membres de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet.

Depuis la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République, le Parlement dispose d’un pouvoir de veto sur certaines nominations effectuées par le Président de la République « en raison de leur importance pour la garantie des droits et libertés ou la vie économique et sociale de la Nation », comme le prévoit le cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution.

Ces nominations sont soumises à l’avis préalable des commissions compétentes de chaque assemblée. Le Président de la République doit y renoncer lorsque l’addition des votes négatifs représente, au total, au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés.

Cette procédure de contrôle repose sur deux piliers juridiques : la loi organique du 23 juillet 2010, qui dresse la liste des 54 emplois concernés, et la loi ordinaire de la même date, qui précise la procédure applicable, ainsi que les commissions compétentes.

Un tel contrôle parlementaire apparaît indispensable. En effet, l’avis préalable des commissions parlementaires présente un double intérêt. D’une part, il renforce le contrôle des nominations par le Président de la République ; d’autre part, il garantit la transparence de ces nominations, notamment grâce à l’audition des candidats pressentis.

Si la liste des emplois relevant du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution a été modifiée à treize reprises depuis 2009, elle n’a toutefois jamais fait l’objet d’un toilettage complet de la part du législateur.

Le projet de loi organique et le projet de loi ordinaire qui nous sont soumis aujourd’hui visent à actualiser cette liste, notamment pour tirer les conséquences de mesures prises par des ordonnances récentes.

Les mandats de six membres de la Hadopi seraient prolongés jusqu’au 25 janvier 2021, dont ceux du président du collège et de la présidente de la commission de protection des droits. Le Gouvernement ne souhaite pas nommer de nouveaux membres d’ici à cette date, alors que le futur projet de loi sur l’audiovisuel devrait prévoir la fusion de la Hadopi et du Conseil supérieur de l’audiovisuel.

Si le projet de loi organique et le projet de loi ordinaire sont présentés comme des textes de coordination, ils soulèvent toutefois une difficulté de fond, car ils conduisent à un léger recul du contrôle parlementaire sur les nominations aux emplois publics. Cette question a encore fait l’objet de discussions en commission des lois ce matin.

Ainsi, au total, 51 emplois resteraient soumis à l’avis préalable des commissions compétentes, contre 54 aujourd’hui. Cette évolution irait à rebours des efforts consentis depuis 2009 pour renforcer cette procédure de contrôle et élargir son périmètre.

Dans ce contexte, je me félicite donc que la commission des lois ait consolidé les dispositifs existants. Elle a notamment précisé que la prolongation des mandats des membres de la Hadopi concernerait les membres titulaires, mais également leurs suppléants.

Elle a également pris acte du changement de nom de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse et de la Banque publique d’investissement, Bpifrance, que chacun de vous connaît, mes chers collègues.

De même, je me félicite de l’initiative de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, qui a prévu de soumettre quatre dirigeants de la SNCF à la procédure prévue au cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution.

Dans le même esprit, je suis heureux que la commission des lois ait souhaité que le Parlement se prononce sur la nomination, par le Président de la République, du président de la commission d’accès aux documents administratifs, ainsi que du directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, dont la mission s’est fortement affirmée au cours des dernières années.

Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il apparaît particulièrement important de préserver le contrôle parlementaire sur certaines nominations aux emplois publics – certainement pas toutes, afin d’éviter les lourdeurs qui s’ensuivraient. Aussi, le groupe Les Indépendants votera en faveur de ces textes, tels qu’ils ont été modifiés et enrichis en commission.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.

M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons un projet de loi ordinaire et un projet de loi organique prévoyant de modifier la liste des nominations auxquelles procède le Président de la République, en application de l’alinéa 5 de l’article 13 de la Constitution.

Cette procédure de nomination, instaurée en 2008, a constitué une évolution, malgré les réserves qu’a exprimées notre collègue Éliane Assassi – avant cette date, les nominations n’étaient pas discutées au Parlement –, même s’il est difficile de parler d’un droit de veto. Il faut en effet qu’une candidature recueille plus de 60 % de votes négatifs au sein des deux commissions des deux assemblées pour que le Président de la République essuie un refus, ce qui, jusqu’à présent, ne s’est jamais produit, même si l’on n’est pas passé loin dans certains cas.

En tout état de cause, cette procédure est un moyen d’échanger avec le candidat, de connaître sa personnalité et ses orientations, et de renforcer le contrôle parlementaire, au moins lors des discussions. Cette procédure va donc dans le bon sens.

Cela étant, force est de constater que, dans la pratique, il est compliqué de dépasser 60 % d’avis négatifs, compte tenu de la composition du Sénat et de l’Assemblée nationale. La procédure mérite donc d’être revue. En effet, lorsque nous auditionnons une personnalité dont la nomination est proposée par le Président de la République, nos échanges ont plus à voir avec une conversation inspirée et sympathique qu’avec un réel contrôle.

À cet égard, je rappelle qu’il est arrivé qu’une personnalité dont la candidature avait été validée par la commission des lois n’occupe finalement pas le poste auquel elle était nommée à la suite des révélations d’un hebdomadaire paraissant le mercredi… Force est de reconnaître que nos contrôles ont une portée limitée.

De plus, les lois organique et ordinaire limitent les questions qu’il nous est possible de poser et l’obligation de répondre des personnes auditionnées.

Nous avons donc déposé des amendements tendant à faire évoluer cette pratique, afin que nos échanges avec les personnes auditionnées puissent être non pas une simple conversation, mais un véritable exercice de contrôle.

Je remercie le rapporteur de la commission des lois d’avoir permis une convergence de vue sur l’évolution de la liste des emplois publics soumis à cette procédure de nomination. Je pense ici au poste de président de la CADA et de directeur général de l’OFII.

La CADA, cela a été rappelé, est une instance particulièrement importante, qui assure la transparence des données de l’administration et met en œuvre l’open data. Elle est donc absolument indispensable pour établir la confiance entre le citoyen et l’administration.

Compte tenu de l’évolution du rôle que joue la CADA, du nombre et du type de questions qui lui sont posées, des échanges plus fournis avec le candidat à sa présidence, en particulier sur les orientations qu’il souhaite donner à cette institution, seraient justifiés. Il nous faudra revenir sur ce sujet, car l’évolution des demandes envoyées à la CADA suscite des interrogations.

Monsieur le secrétaire d’État, l’OFII n’est pas juste un organisme consultatif : il est essentiel pour l’accueil des demandeurs d’asile et pour notre politique d’intégration. Pour assurer une bonne mise en œuvre de cette politique, il est important que les commissions parlementaires concernées puissent avoir des échanges avec les personnes nommées à la tête de cette institution.

Logiquement – hélas ! –, le texte retire la Française des jeux de la liste des entreprises et des institutions dont les dirigeants sont soumis à cette procédure de nomination. À cet égard, je n’ai rien à ajouter à ce qu’a dit notre collègue Éliane Assassi. Comme elle, je déplore que l’intérêt privé prévale sur l’intérêt général.

Je rappelle que le Loto a été créé pour venir en aide financièrement aux invalides de guerre. Or ce n’est plus du tout la philosophie dans laquelle nous nous inscrivons aujourd’hui. Confier l’exercice d’un monopole à une entreprise privée et supprimer le contrôle de l’État sur la nomination de son dirigeant constituent tout de même une démission difficile à accepter. Nous avons donc déposé un amendement tendant à supprimer cette disposition.

Tout a été dit sur la gouvernance de la SNCF. Bien entendu, la nomination des dirigeants de SNCF Réseau, qui est essentiel pour l’aménagement du territoire et pour la transition écologique, mérite aussi des échanges directs avec le Parlement. Nous soutiendrons bien entendu les propositions de nos commissions sur ces questions.

Enfin, se pose une question démocratique : pourquoi ces textes nous sont-ils soumis aujourd’hui ? On nous propose de prendre en compte les conséquences d’ordonnances qui n’ont pas été ratifiées ou d’anticiper l’adoption d’un projet de loi qui n’a pas encore été discuté !

Je veux bien que l’on fasse preuve de pragmatisme et qu’on se dise que, finalement, tout cela sera sans grandes conséquences. Dans le cas de la Française des jeux, je le comprends, compte tenu ce qu’il s’est passé au Parlement, même si on le déplore – quand on est un groupe minoritaire, on sait jusqu’où on peut aller.

En revanche, préjuger du sort d’un projet de loi, même s’il s’agit en grande partie de transposer une directive européenne, ce n’est pas correct, monsieur le secrétaire d’État. Le Gouvernement a, à l’évidence, un problème d’agenda parlementaire.

Pourquoi nous soumettre aujourd’hui un texte visant à prolonger les mandats des membres de la Hadopi et avoir anticipé l’adoption par le Parlement de la fusion de la Hadopi et du CSA ? Pourquoi ne pas avoir plutôt procédé d’abord à la transposition de la directive européenne, ce qui aurait permis au Parlement de discuter ensuite de la fusion du CSA et de la Hadopi, avant de nous proposer de tirer les conséquences de cette fusion ?

Il y a donc bien, et M. le rapporteur l’a signalé, un réel problème démocratique. Monsieur le secrétaire d’État, il semblerait que le Gouvernement auquel vous appartenez considère que les assemblées sont des chambres d’enregistrement et que le dépôt d’un projet de loi en conseil des ministres vaut adoption par le Parlement !

M. Pierre Ouzoulias. Exactement !

M. Jean-Yves Leconte. Or, entre ces deux étapes, il convient tout de même de respecter certaines procédures.

M. Bruno Sido. C’est vrai !

M. Jean-Yves Leconte. De la même manière, vous pouvez être habilité à légiférer par ordonnances, monsieur le secrétaire d’État, mais vous ne pouvez pas nous demander de tirer les conséquences législatives d’une ordonnance n’ayant pas été ratifiée ! L’ordre n’est pas le bon…

La question qui se pose désormais est la suivante : doit-on faire preuve de pragmatisme et tirer les conséquences d’ordonnances qui ne renversent pas la République, ou rester ferme sur les principes ?

M. Bruno Sido. Très bien !

M. Jean-Yves Leconte. Quoi qu’il arrive, nous aurions préféré que vous ne préjugiez pas de l’avis du Parlement sur un certain nombre de textes.

Cela étant, compte tenu des apports du rapporteur sur ces textes, et vous pouvez l’en remercier, s’agissant en particulier de la CADA, de l’OFII, de la gouvernance de la SNCF et du contrôle parlementaire sur SNCF Réseau, nous voterons ces textes, tels qu’ils ont été modifiés par la commission, en espérant que le Sénat adoptera nos amendements visant à instaurer un contrôle un peu plus strict et précis des nominations et des auditions un peu plus incisives et exigeantes des candidats.

Enfin, je le répète, nous regrettons, monsieur le secrétaire d’État, que le Gouvernement préjuge du vote du Parlement en nous présentant ces textes avant ceux que nous venons d’évoquer. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR. – M. Bruno Sido applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère.

Mme Maryse Carrère. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en 2008, l’introduction d’un cinquième alinéa à l’article 13 de notre Constitution fut l’une des innovations destinées à « reparlementariser » nos institutions, selon l’expression du constitutionnaliste Jean Gicquel.

D’inspiration américaine, cette disposition visait à étendre le contrôle des assemblées à certaines nominations au sein de l’administration qui sont effectuées par le Président de la République « en raison de leur importance pour la garantie des droits et libertés ou la vie économique et sociale de la Nation ».

Ce contrôle a également été introduit au moment où l’activité administrative se recomposait. C’est en grande partie la conséquence de l’influence du droit de l’Union européenne, qui a entraîné la prolifération d’autorités de régulation du secteur économique, afin de réduire au strict minimum les interférences entre la sphère politique et la sphère économique, dans une stricte logique libérale.

Les pouvoirs autrefois dévolus à des services placés sous l’autorité de ministres sont donc à présent confiés à des autorités administratives à géométrie variable, qu’elles prennent la forme d’autorité administrative indépendante ou d’agence.

Comme l’avait noté notre ancien collègue Jacques Mézard dans un rapport qui continue de faire référence, leur indépendance à l’égard du politique varie d’une autorité à l’autre, malgré les tentatives de simplification. Dans tous les cas, elle soulève un problème de responsabilité et de faculté à rendre compte de ses actes devant les représentants de la Nation, comme autrefois les ministres sous l’autorité desquels ces actes étaient pris.

Dans ce contexte, il était devenu impératif d’associer le Parlement à ces nominations, ainsi qu’à celles aux fonctions de direction des autorités chargées de la défense des droits et libertés de nos concitoyens, afin qu’il puisse jouer son rôle de contre-pouvoir, même a minima.

Si les projets de loi qui nous sont aujourd’hui soumis visent essentiellement à actualiser la liste des emplois publics soumis à la procédure prévue à l’alinéa 5 de l’article 13, comme il est expliqué dans leurs exposés des motifs, il convient de ne pas perdre de vue l’esprit de ce dispositif.

Dans le détail, en effet, les dispositions proposées par le Gouvernement s’inscrivent dans la continuité de récentes réformes de différents secteurs économiques, anticipant même parfois leur entrée en vigueur. Les plus fins juristes de cette assemblée ont déjà évoqué les limites juridiques d’une telle impatience… Attention à ne pas réduire la ratification d’une ordonnance à une simple formalité ! Je n’y reviendrai pas.

Certaines des modifications proposées ont une faible portée et visent parfois à procéder à de simples coordinations. Je pense au remplacement de l’Arafer par la nouvelle Autorité de régulation des transports dans la liste par exemple…

Comme l’a souligné notre rapporteur, d’autres modifications sont plus problématiques, car elles réduisent le champ du contrôle exercé par le Parlement et s’inscrivent à rebours de l’Histoire.

C’est le cas des nominations au sein de la SNCF, à la suite de la transformation du groupe national ferroviaire. Nous accueillons donc avec beaucoup de satisfaction les modifications introduites en commission, lesquelles visent à maintenir un droit de regard minimal des élus de la Nation sur le fonctionnement interne de ces structures d’intérêt national.

De la même manière, nous nous félicitons que la nomination du président de la CADA soit soumise à la procédure de l’article 13.

Nous souhaiterions par ailleurs ouvrir le débat sur deux questions.

Nous avons tout d’abord déposé un amendement visant à proposer l’intégration de la direction générale de l’Agence nationale pour la sécurité des systèmes d’information à la liste.

L’importance de la mission de cette autorité, tant pour la vie économique de la Nation que pour la garantie des droits et des libertés en ligne de nos concitoyens, ne fait aucun doute. L’Agence joue ainsi un rôle d’information auprès de nos entreprises, mais également de nos administrations, afin de les protéger de tentatives d’ingérence extérieures.

Pour que le Parlement puisse donner son avis sur la nomination de son directeur général, il faut modifier son mode de désignation. Alors qu’il est actuellement désigné par le Premier ministre, il faut qu’il soit désormais nommé par le Président de la République, toujours sur proposition du Premier ministre.

Nous souhaitons ensuite engager un débat sur la nature du contrôle exercé par nos commissions, afin de le rendre plus effectif. Il s’agit d’un vaste sujet, qui agite les théoriciens du droit, mais qui a également mobilisé le Conseil d’État, lequel a, en 2017, rejeté une requête du président du Sénat tendant à l’annulation d’une nomination. La décision des juges de la place du Palais royal contraint désormais les commissions parlementaires à se prononcer dans un délai raisonnable de huit jours.

Par ailleurs, le groupe du RDSE a déjà pris position en faveur d’une inversion de la règle d’opposition aux trois cinquièmes, mais il s’agit là d’un débat constitutionnel.

Pour ce qui nous concerne aujourd’hui, et dans la continuité de nos travaux précédents, nous proposons d’aborder ce sujet par la question du contenu du contrôle effectué, en prévoyant notamment, dans le projet de loi organique, que celui-ci a particulièrement pour objet de lutter contre les cumuls et de prévenir les conflits d’intérêts.

De façon générale, nous serons particulièrement attentifs à toutes les initiatives destinées à renforcer la qualité de ce contrôle, afin de le rapprocher davantage de celui effectué dans d’autres démocraties, comme les États-Unis. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Philippe Bonnecarrère. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous procédons aujourd’hui au toilettage de la loi organique relative à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution.

D’une certaine manière, il s’agit d’un débat original, car il est essentiellement technique, malgré de modestes aspects politiques. Telle est la règle du jeu : il arrive qu’il y ait un décalage entre le sujet inscrit à notre ordre du jour et les préoccupations qu’exprime au même moment l’ensemble de la société. Certains sujets importants doivent néanmoins être traités.

Pour en revenir aux textes inscrits à notre ordre du jour, notre groupe apprécie tout particulièrement les évolutions qui ont été permises par l’alinéa 5 de l’article 13 de la Constitution, lequel définit les conditions dans lesquelles le Président de la République procède à certaines nominations, après avis des assemblées, selon des modalités de majorité qui ont été rappelées.

Pour notre part, nous sommes bien sûr favorables à tout ce qui va dans le sens de la transparence du processus de nomination.

Cette procédure de nomination est un élément important du contrôle du Parlement et, plus généralement, une évolution de la société. Elle permet de vérifier les compétences des personnes nommées, mais aussi d’évaluer les missions qui leur sont confiées. Ceux qui ont participé à ce type d’auditions le savent – c’est le cas de la quasi-totalité d’entre nous –, elle permet surtout, au-delà de la question du CV, de vérifier la pertinence des objectifs des candidats au regard des enjeux à traiter.

Cette procédure intervient en parallèle des efforts effectués dans d’autres domaines. Selon moi, le niveau local et le niveau national ne peuvent être dissociés. Tout ce qui, à l’échelon local, permettra, par exemple, la certification des comptes des collectivités contribuera à la transparence.

Par ailleurs, le « toilettage » de la loi organique et de la loi ordinaire ne justifie pas de très longues considérations. Le nombre d’emplois visés au cinquième alinéa ne me paraît pas essentiel. Que la liste comprenne 51, 54 ou 56 emplois ne me paraît pas revêtir une valeur symbolique particulière.

En revanche, l’extension, proposée en commission des lois et par les rapporteurs pour avis, de la procédure de nomination aux dirigeants de la CADA et de l’OFII me paraît de bon sens, compte tenu de l’importance des fonctions qu’ils exercent, mais également de la nature mixte de leur activité, laquelle est à la fois technique et très politique.

La gestion des migrations dans notre pays et les conditions d’intégration des demandeurs d’asile ne sont pas de minces sujets. Il serait étonnant de les traiter uniquement comme des questions techniques. Il nous paraît donc rationnel d’appliquer aux dirigeants de ces structures la procédure prévue à l’alinéa 5 de l’article 13 de la Constitution.

Je ne partage pas l’enthousiasme de certains quant à l’ajout de l’Anssi, qui est un service du Premier ministre. Il me paraît quelque peu curieux d’imaginer la transformation d’une structure touchant à l’exercice de la souveraineté nationale en autorité administrative.

Ainsi que plusieurs collègues l’ont souligné, le véritable sujet pour nous réside dans l’inflation des AAI et dans le processus permanent d’« agencification » du fonctionnement de l’État.

Ce phénomène nous semble tout à fait regrettable. Tout d’abord, cela revient à ôter au Parlement une partie de ses compétences ; mais je ne souhaite pas me livrer à un plaidoyer pro domo ou à une défense de préoccupations corporatistes. D’ailleurs, une telle évolution est surtout dommageable pour le pays : elle nuit à la fois au principe de transparence et au sentiment qu’ont les citoyens d’influer sur le fonctionnement de la société. Quelle vision ces derniers peuvent-ils avoir du contrôle des processus de décision dans notre pays alors qu’il existe plus d’une quarantaine d’AAI et que les agences se multiplient ?

Il nous semble donc extrêmement utile de revenir sur une telle problématique. D’ailleurs, cela fonctionne dans les deux sens. Tout à l’heure, après l’examen du présent projet de loi organique, nous discuterons de la proposition de loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, et nous étendrons à cette occasion les missions d’une AAI, en l’occurrence le Conseil supérieur de l’audiovisuel.

De tels mouvements ne nous posent donc aucun problème, dès lors qu’il existe des contreparties et que l’on trouve un équilibre entre l’extension des fonctions de régulation confiées à telle ou telle agence et la réduction de leur nombre.

À l’heure où notre pays connaît des troubles, j’insiste sur l’importance de la confiance dans la parole publique : qu’il s’agisse des retraites ou d’autres sujets, c’est bien cela qui est en cause. Notre difficulté, y compris dans le cadre des discussions que nous, parlementaires, avons avec nos concitoyens, est de pouvoir apporter la démonstration que l’exemple vient d’en haut.

À mon sens, le Gouvernement devrait se saisir de la question des agences et des autorités administratives indépendantes. Le Parlement a attiré son attention sur le sujet à plusieurs reprises. Une rationalisation des AAI, une réduction de leur nombre et – parlons en toute franchise – une diminution des moyens qui leur sont affectés seraient, me semble-t-il, de nature à renforcer la lisibilité de l’action publique et la confiance envers la parole publique.

Pour le reste, les dispositions de toilettage qui figurent dans le présent projet de loi organique ne soulèvent aucune difficulté à nos yeux. C’est ce qui justifiera le vote favorable de notre groupe. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)