M. le président. La discussion générale commune est close.

Nous passons à l’examen, dans le texte de la commission, du projet de loi organique.

projet de loi organique modifiant la loi organique n° 2010-837 du 23 juillet 2010 relative à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la constitution

 
Dossier législatif : projet de loi organique modifiant la loi organique n° 2010-837 du 23 juillet 2010 relative à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution
Article unique (début)

Article additionnel avant l’article unique

M. le président. L’amendement n° 3 rectifié, présenté par Mme M. Carrère, MM. Artano, Castelli, Collin et Corbisez, Mmes Costes et N. Delattre, MM. Gabouty, Gold, Guérini et Jeansannetas, Mme Jouve et MM. Requier et Roux, est ainsi libellé :

Avant l’article unique

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l’article 1er de la loi organique n° 2010-837 du 23 juillet 2010 relative à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, il est inséré un article 1… ainsi rédigé :

« Art. 1… – Ces emplois et fonctions s’exercent à temps plein. La liste exhaustive des emplois et fonctions préalablement occupés par la personne nominée est transmise aux commissions permanentes au moment de leur saisine pour avis. »

La parole est à Mme Maryse Carrère.

Mme Maryse Carrère. Comme nous venons de le souligner dans la discussion générale, le contrôle par les chambres du pouvoir de nomination du Président de la République est encore très timide depuis sa création en 2008.

Il nous paraît nécessaire de muscler la procédure d’avis devant nos chambres parlementaires, afin de s’assurer de la qualité des candidatures proposées aux fonctions déterminantes pour les droits et libertés de nos concitoyens et pour le bon fonctionnement de notre économie. Il s’agit de garantir que cette confirmation ne soit pas perçue comme une simple formalité par les personnes nommées, au point que certaines démissionnent parfois de leurs précédentes fonctions avant même d’avoir entendu l’avis des parlementaires !

Les textes sont assez laconiques. L’article 13 de la Constitution édicte seulement les règles de majorité avec une majorité de blocage de trois cinquièmes, ce que nous avons toujours contesté. L’article 5 de l’ordonnance de 1958 prévoit par ailleurs que le scrutin doit être dépouillé simultanément dans les assemblées. Faute de précision supplémentaire, c’est le Conseil d’État qui décide, comme lors du contentieux qui a opposé le président du Sénat et le Gouvernement en 2017 à propos de la Commission de contrôle du découpage électoral.

Nous sommes donc favorables à une codification et à un renforcement des règles relatives à de tels avis.

Or, compte tenu de problématiques déjà soulevées à maintes reprises, liées à la mobilité des hauts fonctionnaires, nous souhaiterions pour commencer inscrire dans la loi organique que l’audition conduite dans les chambres doit permettre de lever les risques du cumul ou de conflits d’activité, afin que les personnes nommées se dédient pleinement à leurs nouvelles fonctions, sans risque de conflit d’intérêts.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Yves Détraigne, rapporteur. Les emplois soumis au cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution sont très divers. Il est difficile d’en déceler l’ossature.

Certaines fonctions ne justifient pas la création d’un emploi à temps plein. Je pense par exemple à la présidence du Haut Conseil des biotechnologies ou à celle de la Commission de contrôle du découpage électoral, qui ne s’est plus réunie depuis 2009.

Par ailleurs, l’amendement est partiellement satisfait par le statut général des autorités administratives indépendantes, qui prévoit que les fonctions les plus importantes sont exercées à temps plein, à l’instar de la présidence de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse, l’Arcep.

En outre, les commissions reçoivent déjà le CV des candidats pressentis. Il n’y a pas besoin de l’inscrire dans la loi ; cela fonctionne déjà.

Enfin, le dispositif qu’il est proposé d’introduire dans le texte relève de la loi ordinaire, et non de la loi organique.

Pour toutes ces raisons, la commission sollicite le retrait de cet amendement. À défaut, l’avis serait défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Cédric O, secrétaire dÉtat. Comme M. le rapporteur l’a souligné, il serait excessif de prévoir systématiquement un emploi à temps plein – dans certains cas, ce ne serait pas justifié –, et les commissions reçoivent déjà le CV des personnes concernées. Il paraîtrait donc superfétatoire de prévoir la communication de leur poste précédent.

J’approuve également l’argument de M. le rapporteur selon lequel le texte prévoit le renouvellement d’un certain nombre de fonctions relevant de l’article 13. Il ne s’agit pas en l’occurrence d’un débat de fond, qui pourrait être intéressant par ailleurs, sur la transparence et le contrôle du Gouvernement par le Parlement. Ce n’est tout simplement pas le bon texte pour introduire un tel amendement, me semble-t-il.

Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.

M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère, pour explication de vote.

Mme Maryse Carrère. Mon amendement est un amendement d’appel. À mon sens, il faudrait vraiment se pencher sur les missions de contrôle que nous pouvons avoir, afin que les assemblées parlementaires ne soient pas de simples chambres d’enregistrement.

Cela étant, je retire cet amendement, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 3 rectifié est retiré.

Article additionnel avant l'article unique - Amendement n° 3 rectifié
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Article unique (fin)

Article unique

Le tableau annexé à la loi organique n° 2010-837 du 23 juillet 2010 relative à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution est ainsi modifié :

1° La quatorzième ligne est ainsi rédigée :

 

« 

Autorité de régulation des transports

Présidence

 » ;

1° bis (nouveau) À la fin de la quinzième ligne de la première colonne, les mots : « et des postes » sont remplacés par les mots : « , des postes et de la distribution de la presse » ;

2° La seizième ligne est ainsi rédigée :

 

« 

Autorité nationale des jeux

Présidence

 » ;

2° bis (nouveau) Après la vingt-troisième ligne, est insérée une ligne ainsi rédigée :

 

« 

Commission d’accès aux documents administratifs

Présidence

 » ;

3° La trente-cinquième ligne est supprimée ;

3° bis (nouveau) Après la quarante-sixième ligne, est insérée une ligne ainsi rédigée :

 

« 

Office français de l’immigration et de l’intégration

Direction générale

 » ;

3° ter (nouveau) À la fin de la quarante-neuvième ligne de la première colonne, les mots : « BPI-Groupe » sont remplacés par le mot : « Bpifrance » ;

4° L’avant-dernière ligne est remplacée par deux lignes ainsi rédigées :

 

Société nationale SNCF

Présidence du conseil d’administration Direction générale

« 

Société SNCF Réseau

Présidence du conseil d’administration Direction générale

 ».

M. le président. L’amendement n° 2 rectifié, présenté par Mme M. Carrère, MM. Artano, Castelli, Collin et Corbisez, Mmes Costes et N. Delattre, MM. Gabouty, Gold, Guérini et Jeansannetas, Mme Jouve et MM. Léonhardt, Requier et Roux, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 2

Insérer deux alinéas ainsi rédigés :

…° Après la huitième ligne, est insérée une ligne ainsi rédigée :

« 

Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information

Direction générale

 » ;

La parole est à Mme Josiane Costes.

Mme Josiane Costes. Avec la multiplication des outils et des applications numériques, la cybersécurité concerne désormais tous les Français, sauf peut-être ceux qui vivent dans les zones blanches.

Parmi les failles les plus récentes, on a par exemple pu lire que La Poste avait « laissé 23 millions de données d’entreprises en accès libre », via la caisse en ligne Genius.

Ce problème touche également les particuliers. Récemment, le géant Samsung avait recommandé aux utilisateurs de certains de ses téléphones de supprimer leurs empreintes digitales. Et Google a révélé que les failles des iPhone de son concurrent Apple permettaient à des hackers d’accéder aux photos, géolocalisations et données de ses utilisateurs.

L’État est également concerné, puisque 2 000 comptes fiscaux de contribuables auraient été piratés. La protection des systèmes d’information est donc l’affaire de tous. Elle remplit les deux cas de figure prévus au cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution.

C’est pourquoi nous proposons que le directeur général de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information, l’Anssi, soit nommé selon ces modalités, afin que les parlementaires puissent s’assurer, avec le Premier ministre et le Président de la République, de la pertinence de son parcours et de son intégrité.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Yves Détraigne, rapporteur. Je comprends la logique de cet amendement : le directeur général de l’Anssi joue un rôle majeur dans la sécurité et la défense des systèmes d’information.

Toutefois, cet amendement nous paraît très fragile sur le plan constitutionnel. En effet, l’Anssi est un service national à compétence nationale rattaché au Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, donc au Premier ministre, qui, responsable de la défense nationale, est chargé de définir la politique gouvernementale en matière de sécurité. Il s’agit donc d’un service administratif, qui n’est pas couvert par le cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution.

Les dispositions de cet amendement soulèvent également un problème de principe. Le Président de la République nommerait un agent directement placé sous la hiérarchie du Premier ministre. Vous voyez que c’est un peu compliqué…

Pour toutes ces raisons, je demande le retrait de cet amendement, faute de quoi l’avis de la commission serait défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Cédric O, secrétaire dÉtat. L’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information est un service à compétence nationale rattaché à une administration centrale, le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, le SGDSN.

Il ne s’agit pas, comme les organismes mentionnés par l’article 13, d’un établissement public, d’une autorité administrative indépendante ou d’une autre personne morale non soumise à l’autorité hiérarchique directe du Gouvernement.

Le directeur général de l’Agence nationale de sécurité des systèmes d’information à rang de directeur d’administration centrale. Sa nomination relève donc du troisième alinéa de l’article 13 de la Constitution, procédure exclusive de celle qui est fixée au cinquième alinéa du même article. Elle est ainsi soumise, par un décret du 24 mai 2016, à une audition préalable par un comité d’audition qui rend un avis sur l’aptitude des candidats entendus à occuper l’emploi à pourvoir.

Le Gouvernement ne souhaite pas remettre en cause cette procédure particulière, qui s’applique à tous les directeurs d’administrations centrales.

J’émets donc un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Madame Costes, l’amendement n° 2 rectifié est-il maintenu ?

Mme Josiane Costes. Oui, je le maintiens, monsieur le président.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 2 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 6, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéas 7 et 8

Supprimer ces alinéas.

La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Cédric O, secrétaire dÉtat. L’emploi de président de la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) n’entre pas dans le périmètre de la procédure prévue au cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution. Son action vise principalement à faciliter l’accès aux documents administratifs.

La CADA rend presque exclusivement des avis, qui sont un préalable éventuel à la saisine du juge administratif. Cependant, elle ne dispose pas d’un pouvoir coercitif. Seul le juge administratif est compétent pour enjoindre à l’administration la communication d’un document. Son rôle consultatif, bien qu’incitatif à l’égard de l’administration, est limité dans sa portée. Le pouvoir de sanction dont elle a été récemment investie en cas de violation des règles de réutilisation des informations publiques n’est qu’accessoire à cette activité principale.

La cohérence des emplois et fonctions mentionnés par le cinquième alinéa de l’article 13 s’oppose dès lors à ce que le président de la CADA soit intégré à la liste des emplois et fonctions visés par cette procédure. C’est d’ailleurs la position qui a été retenue lors des débats parlementaires ayant précédé l’adoption de la loi du 20 janvier 2017 relative aux autorités administratives indépendantes et autorités publiques indépendantes : l’ajout de la présidence de la CADA avait alors été rejeté.

À nos yeux, aucune circonstance nouvelle ne justifie de revenir aujourd’hui sur une telle position. Le Gouvernement souhaite donc supprimer le président de la CADA de la liste des autorités soumises à cette procédure.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Yves Détraigne, rapporteur. Cet amendement ayant été déposé en fin de matinée aujourd’hui, la commission n’a pu se prononcer sur son contenu.

Toutefois, il est envisagé de revenir sur un apport de la commission.

Je suis étonné que le Gouvernement minimise le rôle de la CADA, qui joue un rôle majeur dans le droit d’accéder aux documents administratifs. L’argumentaire du Gouvernement relève d’ailleurs d’une interprétation erronée de l’article 13 de la Constitution, qui n’exclut pas les organes consultatifs. Ainsi, la Commission de contrôle du découpage électoral est déjà soumise à cette procédure, alors qu’elle se limite à rendre un avis public ; je renvoie le Gouvernement à l’article 25 de la Constitution.

Il me semble donc préférable que le Gouvernement retire son amendement. À défaut, mon avis serait défavorable.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.

M. Jean-Yves Leconte. Je suis également un peu étonné des arguments du Gouvernement.

Toute autorité administrative indépendante travaille sous le contrôle du juge. La manière dont on évacue ici la capacité de la CADA de rendre des avis qui mériteraient d’être suivis par l’administration me semble tout de même assez inquiétante. Mais elle est cohérente avec les refus que les administrations infligent à des citoyens ayant pourtant reçu des avis favorables de la CADA…

Quoi qu’il en soit, il n’est pas correct de minimiser le rôle de la CADA, voire de tenir un discours incitant presque les administrations à ne pas respecter ses avis. La CADA réalise un travail sérieux de transparence au bénéfice des citoyens.

Il est important de maintenir une telle disposition, qui a été introduite en commission par l’adoption d’un amendement.

M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, pour explication de vote.

M. Philippe Bonnecarrère. Il faut revenir au texte même de l’article 13 de la Constitution.

La transparence et le contrôle du Parlement sur les nominations du Président de la République concernent notamment les postes ayant une importance particulière pour la garantie des libertés publiques.

Or la CADA me paraît typiquement être un organisme concourant à la protection des libertés publiques. C’est une première raison pour soutenir la position de la commission.

J’en vois une deuxième. La situation de la CADA est paradoxale. Alors que celle-ci existe depuis plus de trente ans maintenant, le nombre de demandes qui lui sont adressées ne diminue pas ; il reste considérable. Cela montre bien que notre pays a, d’une manière ou d’une autre, un problème avec la transparence des données publiques. Sachant que les mêmes causes produisent les mêmes effets, je pense qu’il faut favoriser cette transparence.

J’ajouterai un dernier élément, sans entrer dans des considérations trop techniques. Par souci sans doute de précaution, l’exposé des motifs de l’amendement du Gouvernement fait référence au « pouvoir essentiellement consultatif » de la CADA.

Cela peut se discuter : la CADA a très clairement un rôle précontentieux. Surtout, je souhaite attirer l’attention du Gouvernement sur l’adverbe « essentiellement » : depuis une quinzaine d’années, dans le cas – bien particulier il est vrai – de réutilisation illégale de données publiques dont l’État a confié l’exploitation par voie de licence, la CADA dispose d’un pouvoir direct de sanction. Mais je préfère oublier cet élément technique : les deux arguments de fond sont évidemment bien plus importants.

M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.

M. Pierre Ouzoulias. Le rôle du Parlement est de contrôler les politiques publiques. Et quand des ministres refusent de nous envoyer des pièces nous permettant d’exercer un tel contrôle, nous, parlementaires, sommes obligés de nous adresser à la CADA, comme n’importe quel usager du service public.

Je l’ai fait très récemment. La CADA m’a répondu qu’elle aurait donné droit à ma demande et transmis le document sollicité si j’avais été un usager du service public… Mais comme je suis un parlementaire, elle ne l’a pas fait, se refusant d’arbitrer un conflit entre le Parlement et le Gouvernement.

Nous avons le sentiment que vous considérez déjà la CADA comme un organe totalement consultatif. C’est très regrettable. Je ne vois pas comment nous, parlementaires, allons pouvoir effectuer notre travail si l’on nous empêche d’accéder aux pièces des administrations.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 6.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 1, présenté par MM. Leconte et Jacques Bigot, Mme de la Gontrie, MM. Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche, Marie, Sueur, Sutour et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 9

Supprimer cet alinéa.

La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Cet amendement vise à inclure la nomination de la présidence-direction générale de la Française des jeux dans le périmètre de l’article 13 de la Constitution.

M. le rapporteur et M. le secrétaire d’État me répondront certainement que la Française des jeux est désormais une société à caractère privé. Ce à quoi je rétorque par avance que, dans une interview du 12 octobre dernier, M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances, déclarait à juste titre : « L’État continuera à agréer les dirigeants de l’entreprise ». C’est donc une entreprise privée d’un type particulier.

D’ailleurs, vous le savez, la Française des jeux continuera à servir les intérêts de l’État, notamment financiers et fiscaux. En effet, celui-ci conservera l’intégralité des recettes fiscales et sociales versées à la Française des jeux, soit la modique somme de 3,5 milliards d’euros.

Dans ces conditions, il nous paraît justifié que la nomination du dirigeant de la Française des jeux continue à relever de l’article 13 de la Constitution.

Au départ, la Française des jeux, c’était la loterie nationale. Elle a été créée après la Première Guerre mondiale. Les concitoyens qui achètent des billets de loterie nationale ne sont pas toujours les plus fortunés ; ce sont souvent des personnes de condition modeste, qui espèrent toucher un lot.

Il a donc été jugé sage que les revenus de la loterie nationale, devenue la Française des jeux – ces revenus sont toujours supérieurs aux gains des éventuels vainqueurs –, aient une vocation sociale. En l’occurrence, ils ont pu bénéficier aux fameuses « gueules cassées », ces victimes marquées dans leur chair par les combats menés durant la Première Guerre mondiale.

Vous pouvez estimer que tout cela est terminé, que nous sommes désormais dans une logique purement capitalistique et que les actionnaires font la loi. Pour notre part, nous considérons, pour les raisons que je viens d’indiquer, qu’il est en l’occurrence nécessaire de maintenir l’application de l’article 13 de la Constitution.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Yves Détraigne, rapporteur. La discussion de cet amendement permet de rappeler les réserves que le Sénat a exprimées s’agissant de la privatisation par ordonnance de la Française des jeux.

Toutefois, une telle proposition est contraire à la Constitution. Depuis son entrée en bourse, la Française des jeux est une entreprise privée. Or l’article 13 de la Constitution concerne uniquement les emplois publics, qu’ils soient civils ou militaires. Juridiquement, la nomination du P-DG d’une telle structure ne peut donc plus relever du Président de la République.

Comme je l’ai indiqué dans le rapport, l’État conservera malgré tout un droit de regard sur le fonctionnement de la Française des jeux. Mais il est impossible d’aller plus loin, pour les raisons que je viens d’indiquer.

La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Cédric O, secrétaire dÉtat. M. Sueur a fait une magnifique prolepse, devançant les objections qui lui seraient opposées. Afin de compléter l’argumentation qu’il a développée à la place du Gouvernement, je vais formuler d’autres objections, au-delà des considérations constitutionnelles.

Ainsi que M. Leconte l’a suggéré au cours de la discussion générale, il s’agit pour vous d’exprimer une position politique de cohérence avec votre opposition à la privatisation de la Française des jeux, plus que de défendre une modification à portée normative, puisque vous n’ignorez pas que se pose un problème constitutionnel.

D’ailleurs, indépendamment de ce problème constitutionnel, il serait tout de même quelque peu baroque que la nomination du dirigeant de la Française des jeux, organe qui vient d’être privatisé, relève de l’article 13 de la Constitution.

Dans ce cas, il faudrait étendre le dispositif à l’ensemble des entreprises dans le capital desquelles l’État détient une participation minoritaire, ce qui serait tout de même problématique. Il est vrai que l’État a le droit d’agréer les dirigeants de quelques entreprises très particulières, en raison de leur importance spécifique pour la santé publique ou la défense.

D’un point de vue politique, je note le succès de la privatisation auprès des petits porteurs ; un certain nombre de Français ont ainsi exprimé leur position sur celle-ci à cette occasion.

À l’origine, la loterie nationale devait effectivement bénéficier aux associations d’anciens combattants. Or, de mémoire, celles-ci détiennent aujourd’hui quelque 10 % du capital de la Française des jeux. Elles ont donc réalisé une belle opération financière lors de la privatisation. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes SOCR et CRCE.)

M. Martial Bourquin. C’est incroyable… Vive le privé !

M. Cédric O, secrétaire dÉtat. Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 1.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 4, présenté par MM. Assouline, Leconte et Jacques Bigot, Mme de la Gontrie, MM. Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche, Marie, Sueur, Sutour et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Cédric O, secrétaire dÉtat. L’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) est chargé, sur l’ensemble du territoire, du service public de l’accueil des étrangers titulaires pour la première fois d’un titre les autorisant à séjourner durablement en France. Il ne fait guère de doute que cet établissement public est un acteur essentiel en matière d’accueil des étrangers et d’asile.

Cependant, il ne formule que des avis destinés au préfet et ne se prononce pas sur le droit au séjour en matière d’asile. Il exerce certaines de ses missions dans le cadre défini par le ministère chargé de l’asile ou pour le compte de ce dernier. Son rôle d’appui, de coordination et de consultation ne répond donc pas aux critères définis au cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution.

Le Gouvernement souhaite le maintien de la cohérence des dispositions constitutionnelles et demande donc le retrait de l’OFII de la liste visée dans le texte.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Yves Détraigne, rapporteur. La commission s’étonne d’un tel amendement : on ne peut pas soutenir que le rôle de l’OFII soit seulement consultatif ! Il ne nous paraît pas envisageable de minimiser ce rôle, surtout dans un contexte de pression migratoire.

Comme je l’ai rappelé lors de la discussion générale, l’OFII, c’est 110 000 demandeurs d’asile chaque année, 97 940 contrats d’intégration républicaine et 130 000 bénéficiaires de l’allocation pour demandeur d’asile (ADA). Son rôle est donc décisionnel.

L’Office gère par exemple l’hébergement directif des demandeurs d’asile, qui peut impliquer une mobilité vers une autre région, ainsi que le versement de l’ADA. Il organise les procédures de regroupement familial et le retour volontaire. Enfin, c’est l’OFII qui organise les visites médicales des étrangers en France, notamment lorsqu’ils demandent un titre de séjour.

L’OFII joue donc un rôle majeur, au même titre que l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, l’Ofpra. Il garantit les droits des ressortissants étrangers et doit relever à ce titre du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution. Je remercie d’ailleurs le groupe socialiste et républicain d’avoir soulevé cette question en commission.

Il me semble préférable que le Gouvernement retire son amendement. À défaut, l’avis de la commission serait très – j’y insiste – défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 4.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 5, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 14, tableau

Rédiger ainsi ce tableau :

4° La cinquante-deuxième ligne est remplacée par une ligne ainsi rédigée :

« 

Société nationale SNCF

Direction générale

 » ;

La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Cédric O, secrétaire dÉtat. Cet amendement a pour objet le processus de nomination du directeur général de SNCF Réseau.

Le Gouvernement propose de revenir au projet initial qui vous avait été soumis, mesdames, messieurs les sénateurs, en limitant la procédure prévue au cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution à la nomination du seul directeur général de la SNCF. En effet, nous ne souhaitons pas qu’elle s’applique au président de la SNCF et au directeur général de SNCF Réseau.

Plusieurs arguments motivent une telle disposition.

Durant la discussion générale, plusieurs intervenants ont évoqué la compatibilité avec la directive et le respect de l’indépendance du directeur général de SNCF Réseau. Je rappelle que le projet de loi organique a été soumis au Conseil d’État. Celui-ci n’y a pas vu de mise en danger de l’indépendance de SNCF Réseau au sein de la SNCF, et il a même considéré que le texte était compatible avec la directive européenne.

Par ailleurs, il me semble important de ne pas déroger au droit commun des sociétés à participation publique défini par l’ordonnance du 20 août 2014 : seul le dirigeant mandataire social d’une société détenue directement à plus de 50 % par l’État est nommé par décret du Président de la République.

Dans la volonté de normalisation, non pas de cette société, mais de sa gouvernance, et afin de permettre à la SNCF de fonctionner au mieux, il n’est pas souhaitable de maintenir une double légitimité à l’intérieur de la structure, à savoir celle du directeur général de la holding SNCF et celle du directeur général de SNCF Réseau.

L’indépendance du directeur général de SNCF Réseau au sein de la structure SNCF nous semble garantie dès lors que le régulateur, l’Autorité de régulation des transports (ART), émettra un avis conforme sur sa nomination.

J’ajoute qu’une autre entreprise, EDF, se trouve, mutatis mutandis, dans une situation comparable au regard du gestionnaire des réseaux RTE. La nomination du directeur général de RTE ne requiert pas une nomination du Président de la République, mais un avis conforme de la Commission de régulation de l’énergie. Ce modèle ayant montré ses preuves, il nous semble préférable de conserver ce processus de bonne gouvernance au sein de la SNCF et de SNCF Réseau.