M. le président. La parole est à M. André Gattolin.

M. André Gattolin. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le Conseil européen qui s’est tenu la semaine dernière était le premier depuis le renouvellement des principales institutions de l’Union européenne. Pour Charles Michel, le nouveau président du Conseil européen, cette première réunion, essentiellement consacrée aux enjeux climatiques et au prochain cadre financier pluriannuel, ne sera à coup sûr pas la dernière, tant les points de désaccord entre États membres sont encore nombreux et délicats à arbitrer.

On peut bien sûr se féliciter de ce que les dirigeants européens aient approuvé l’objectif de rendre l’Union européenne neutre pour le climat d’ici à 2050, même si la Pologne estime, à ce stade, qu’elle ne peut s’engager à mettre en œuvre cet objectif.

Le Pacte vert présenté par la nouvelle Commission, qui porte sur un investissement de 1 000 milliards d’euros, devrait être le principal levier de cet ambitieux projet qui ferait de l’Union européenne le seul grand acteur mondial à se conformer strictement aux accords de Paris sur le climat.

Après la piètre COP25 qui se déroulait en parallèle à Madrid, il est bon que l’Union ait, lors de ce Conseil européen, affirmé ses ambitions climatiques et esquissé les moyens envisagés pour leur donner une portée concrète. Mais, là encore, des objectifs proclamés à leur atteinte, la route risque d’être longue et parsemée d’embûches.

La première d’entre elles concerne l’adoption du prochain cadre financier pluriannuel de l’Union. La Commission souhaite qu’à terme 25 % de ce budget soit consacré à la transition écologique. Elle a raison d’affirmer que l’objectif climatique est transversal à tous les secteurs d’activité et que toutes les politiques de l’Union devront contribuer à l’effort.

Pour autant, même échelonnée sur plusieurs années, la mutation risque d’être rude et se heurtera à coup sûr à nombre de réticences, d’autant que le cadre financier présenté par la présidence finlandaise quelques jours avant la tenue du Conseil européen est très loin d’avoir fait l’unanimité. C’était bien évidemment prévisible. C’est en effet le sort attendu de tout « texte martyr » que de subir le martyre. Or la proposition finlandaise était bel et bien un texte martyr, et il eût été étonnant que ses arbitrages assez abrupts entre les différentes politiques de l’Union obtinssent l’assentiment des États membres. En la matière, le président Charles Michel aura, il le sait, encore beaucoup à faire dans les mois à venir pour accorder les violons avant d’entendre retentir une triomphale Ode à la joie au dernier étage du Berlaymont…

Mais, au-delà des détails, il ne faut pas manquer de lire dans cette proposition de la présidence finlandaise plusieurs messages forts à l’endroit des États membres et des autres institutions de l’Union européenne.

Le premier message, c’est que le Conseil n’est pas prêt à procéder à une augmentation très substantielle du budget de l’Union. Avec 1 087 milliards d’euros proposés pour le cadre financier pluriannuel 2021-2027, l’Union à vingt-sept entend rester au même niveau budgétaire que l’Union à vingt-huit au cours du CFP précédent, soit bien en deçà des propositions de la Commission européenne, et plus encore de celles du Parlement européen. On peut le regretter, mais, en matière d’élargissement du budget européen, il en va, à notre sens, probablement de même qu’en matière d’élargissement tout court de l’Union : il convient de s’assurer du bon fonctionnement et de l’équité des procédures aujourd’hui à l’œuvre avant de se lancer tête baissée dans l’aventure.

Pour pallier le départ du Royaume-Uni, les pays contributeurs nets vont devoir mettre encore un peu plus la main à la poche, et cette solidarité budgétaire entre États membres doit s’accompagner d’une solidarité politique de la part des États bénéficiaires, en matière de respect tant des engagements pris dans les domaines de la lutte contre la corruption et de l’indépendance de la justice que des normes sociales et environnementales de l’Union.

C’est là le deuxième message adressé par la présidence finlandaise en cette fin de mandat : celui de la conditionnalité de l’attribution de certains fonds européens, en particulier dans le domaine de la politique de cohésion, au respect effectif de certains principes fondamentaux de l’État de droit et de la lutte contre le détournement des aides allouées.

Certains pays bénéficiaires nets, qui réclament une augmentation importante du budget européen, sont ici très directement visés. La solidarité des régions riches de l’Union envers celles qui le sont moins fait partie des principes fondamentaux de l’Union. Mais, il faut le dire très clairement, il ne s’agit en rien d’un droit de tirage automatique, sans exigence quant au respect des engagements pris en contrepartie par les pays bénéficiaires. Il est bon de le rappeler, l’Union européenne n’a pas qu’un objet économique ; elle est également une communauté de valeurs et de pratiques entre des pays aux règles démocratiques qui s’engagent à respecter et à faire vivre l’État de droit. Ce principe de conditionnalité et de vérification systématique du respect effectif des conditions fixées commence enfin à entrer dans les mœurs des instances de l’Union ; c’est là une très bonne chose.

Le troisième message fort du Conseil s’adresse à une partie des États les plus prospères de l’Union : il annonce sa volonté d’en finir avec l’incongruité que constituent les « rabais sur le rabais », qui font que certains pays compensent moins qu’ils ne le devraient le fameux rabais accordé dans les années quatre-vingt au Royaume-Uni sur sa contribution nationale au budget de l’Union.

Avec la mise en œuvre du Brexit, entérinée par les élections du 12 décembre dernier, ce système complexe de compensation n’a plus de raison d’être. Parce que ces États devront mécaniquement contribuer davantage au budget de l’Union, cela les rend évidemment peu enclins à accepter de dépasser le niveau de 1,07 % du RNB proposé par la Finlande pour le prochain cadre financier pluriannuel.

C’est là précisément que la question du futur cadre budgétaire européen croise celle de la conférence sur l’avenir de l’Europe qui s’ouvrira au printemps prochain. Ce n’est pas seulement le financement effectif du Pacte vert qui est en cause ; c’est aussi celui des nouvelles politiques voulues par la nouvelle Commission, en matière tant de sécurité et de défense que de politique spatiale ou d’investissements dans les nouvelles technologies. Force est de reconnaître qu’aujourd’hui le compte n’y est pas.

Le Président de la République, mais aussi Paolo Gentiloni, le nouveau commissaire à l’économie, et quelques autres ont récemment suggéré d’assouplir les règles de Maastricht en matière de déficit autorisé des États s’agissant d’investissements stratégiques en matière de transition énergétique. Compte tenu du fait que l’Union semble ne pas être en mesure d’augmenter substantiellement son budget, s’agit-il là, madame la secrétaire d’État, d’une alternative envisagée, qui consisterait à s’appuyer sur une action coordonnée de plusieurs États européens à travers leurs budgets et sur une politique de la concurrence moins dogmatique pour donner à notre continent les moyens de relever les défis du futur qui semblent désormais avoir été clairement identifiés par la nouvelle Commission ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants et RDSE. – M. le président de la commission des affaires européennes et Mme Michèle Vullien applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent.

M. Pierre Laurent. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, six mois après les élections européennes, nous aurions pu nous attendre à des annonces politiques fortes lors de ce premier Conseil européen depuis la nomination de la nouvelle Commission, d’autant qu’il faisait suite au sommet de l’OTAN et était concomitant avec la COP25, extrêmement décevante, et le mouvement social contre la réforme des retraites en France, observé partout en Europe. Il intervenait en outre au lendemain de la victoire électorale de Boris Johnson au Royaume-Uni, dont je m’étonne d’ailleurs que certains ici semblent se réjouir. Il ne suffit pas que la situation soit plus claire pour que tout aille mieux. C’est tout de même un petit Trump qui vient de remporter les élections à Londres ; je ne pense pas que ce soit une très bonne nouvelle…

Au regard des enjeux, le dernier Conseil européen a été bien terne. Manifestement, il n’y a pas qu’à l’OTAN que l’encéphalogramme est désespérément plat ! (M. André Gattolin sourit.)

À Madrid, la COP25 n’a pas permis d’avancer sur la question climatique, alors que les scientifiques s’affolent. Mais à Bruxelles, c’est, paraît-il, la mobilisation générale autour de l’objectif de la neutralité carbone en 2050. Tant mieux, mais il ne faut pas en rester aux effets d’annonce.

Le communiqué final du Conseil européen annonce la mobilisation par la Banque européenne d’investissement (BEI) de 1 000 milliards d’euros et la création d’un fonds pour la transition juste doté de 100 milliards d’euros, mais pour quoi faire exactement ? À quoi et à qui va servir cet argent ? Sur quels critères les fonds seront-ils accordés ? Pour quels projets ? Sous le contrôle de qui ? S’il s’agit de financer les mêmes stratégies d’entreprise, le même modèle de développement économique et social au service des mêmes exigences de rentabilité qu’aujourd’hui, c’est-à-dire de prétendument « verdir » le même système, on aboutira aux mêmes résultats ! On nous parle de transition juste : une transition juste, c’est une transition écologique et sociale réductrice d’inégalités ! Où sont les critères sociaux et écologiques nouveaux ? Qui les définit et contrôle leur respect ? Nous n’avons pas de réponse à ces questions.

Le fonds de transition juste servira-t-il à financer de grands projets publics, par exemple des infrastructures ferroviaires publiques, fret et voyageurs, avec les emplois nécessaires à la clé ? C’est indispensable pour réduire les émissions de carbone dues à un trafic routier en pleine explosion en Europe à cause des libéralisations liées à la mise en œuvre des paquets ferroviaires, qui sont en vérité des paquets antiferroviaires. Continuera-t-on au contraire à encourager la guerre concurrentielle dans ce secteur, à fonds perdu pour l’intérêt public ? En clair, va-t-on financer la SNCF ou d’autres compagnies ferroviaires publiques et des coopérations publiques utiles à tous en Europe, ou les grandes multinationales de la logistique et des plateformes comme Amazon ?

Il n’y a pas de transition juste sans nouveaux critères de financement. Le fonds de transition juste doit être géré de manière transparente. À cet égard, quel mécanisme précis de transparence le Gouvernement est-il prêt à mettre en place pour les projets qui seront financés en France avec cet argent ?

Concernant les questions de défense, le sommet de l’OTAN qui a précédé le Conseil européen n’a levé aucune des contradictions stratégiques qui mettent en péril la sécurité des Européens.

Ainsi, le Président de la République déclare vouloir tout à la fois renouer le dialogue avec la Russie et européaniser l’OTAN en faisant de la défense européenne son pilier européen, alors même que la déclaration finale du sommet de l’OTAN désigne la Russie comme la principale menace. Comment allons-nous régler cette contradiction ?

Le président Macron a organisé, et c’est une bonne chose, la relance du processus de Minsk. De premiers signaux positifs sont envoyés. Pourquoi ne pas poursuivre dans cette voie ? Pourquoi continuer à soutenir la stratégie de la tension de l’OTAN à l’égard de la Russie et une politique de sanctions qui ne donne pas de résultats ?

De même, ceux qui prônent au Conseil européen la fermeté à l’égard de la Turquie sur la question chypriote sont les mêmes qui signent une déclaration finale, au sommet de l’OTAN, avec la Turquie, alors que l’accord entre la Turquie et la Libye pose de très sérieux problèmes à deux États membres de l’Union européenne : la Grèce et Chypre.

Allons-nous continuer à accompagner, au nom de l’OTAN, la montée des dépenses militaires en Europe au profit des industries de défense et des programmes d’armement américains tout en soutenant, au nom du développement du Fonds européen de la défense, la création d’un marché européen des équipements de défense « ouvert et compétitif », comme l’indique la lettre de mission de Thierry Breton à la Commission ? En agissant ainsi, nous perdrons sur les deux tableaux.

Depuis le « non » au traité constitutionnel européen (TCE), cela fait quinze ans que les Français attendent un grand débat sur l’Europe. Ils ne le voient jamais venir. Dans sa déclaration finale, le Conseil européen indique s’être « penché sur l’idée d’une conférence sur l’avenir de l’Europe, qui débuterait en 2020 et s’achèverait en 2022 ». Ne vous penchez pas trop, au risque de chuter ; agissez plutôt, en organisant un débat transparent devant les citoyens ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – M. le président de la commission des affaires européennes applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot.

Mme Colette Mélot. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ce Conseil européen, le dernier de 2019 et le premier des nouveaux visages européens, aura été marqué une nouvelle fois par le Royaume-Uni. La question du Brexit, ombre orageuse dans le ciel bruxellois depuis plusieurs mois, semble s’éclaircir, et 2020 pourrait bien être l’année du dénouement. Les Britanniques ont donné une large majorité à Boris Johnson, faisant le choix de rendre le Brexit réalité.

Ainsi, le 1er février prochain, nous pourrions n’être que vingt-sept. Je parle au conditionnel, car les Britanniques nous ont habitués à devoir nous méfier des affirmations les concernant. De nombreuses questions se poseront sur le futur de l’Irlande, celui de l’Écosse, si elle décidait de se tourner vers l’Europe, mais surtout celui de l’Union européenne. Le risque d’un Brexit dur n’est pas écarté.

Le Président de la République a été clair, évoquant le maintien d’une relation étroite, notamment en matière de commerce et de défense. Il a aussi rappelé que la protection et la garantie des intérêts européens sont une priorité. Par ailleurs, les conclusions du Conseil européen – je fais référence à l’article 50 – sont limpides : elles réaffirment la volonté d’aboutir à un « retrait ordonné » et à « des relations futures aussi étroites que possible ». Le Conseil a d’ailleurs chargé la Commission européenne de présenter un projet de mandat global. La nouvelle phase de négociations est cruciale pour nous tous.

Madame la secrétaire d’État, les lignes rouges européennes, qui ont été tenues jusque-là, seront-elles respectées sous ce mandat ? Pouvez-vous nous assurer que la volonté de nouer une relation étroite avec le Royaume-Uni ne nous empêchera pas de garder notre unité et de protéger nos intérêts face à ce pays allié qui souhaite tout de même se désolidariser d’une construction inédite au regard de l’histoire ?

Ce Conseil européen sera aussi à intégrer à l’échelle de l’histoire. La question du changement climatique a été mise à l’honneur. Nous ne pouvons que nous féliciter de l’obtention d’un accord sur l’objectif de la neutralité carbone de l’Union européenne en 2050, et ce dans la dernière semaine de la COP25 et de la présentation d’un new green deal ambitieux par la Commission européenne. Le calendrier proposé par cette dernière est exigeant et traduit la volonté d’aller dans le sens d’une transition juste, équitable, sociale et efficace. Nous serons attentifs aux propositions, notamment à celles qui seront formulées au mois de mars prochain au travers de la loi climatique.

Je tiens aussi à saluer le fait que l’objectif de la neutralité carbone en 2050 prenne en compte les questions sociales, mais également celle de la compétitivité de l’Union européenne. À ce propos, le mécanisme d’ajustement des émissions de carbone aux frontières est intéressant. Quelle est la position de la France sur ce sujet cher au Gouvernement ?

La question de la sécurité énergétique a aussi été abordée. Elle est essentielle. Nous croyons à un mix énergétique efficace et décarboné faisant toute leur place aux sources d’énergie renouvelables, ainsi qu’au nucléaire. Il y va de l’indépendance de l’Union européenne.

Nous ne pouvons que regretter que cet engagement majeur de neutralité carbone ne concerne pas la Pologne. Ce pays, gros émetteur de CO2, devrait s’attaquer réellement à sa propre transition. Ne serait-il pas plus efficace d’orienter les aides octroyées à la Pologne dans une perspective de transition énergétique respectueuse des volets sociaux et économiques, plutôt que de casser notre politique du consensus et de créer un précédent ? De mémoire récente, les mécanismes d’opt-out et les précédents n’ont pas vraiment prouvé leur efficacité au sein de l’Union européenne.

Enfin, viser la neutralité carbone suppose un budget. Or de budget, il a été peu question lors du sommet européen. Bien sûr, il y a eu des déclarations concernant la nécessité d’un budget solide pour assurer une transition efficace et équilibrée. Nous avons entendu affirmer une nouvelle fois que 25 % du prochain cadre financier pluriannuel devrait être consacré à la lutte contre le changement climatique, mais les discussions ont été remises à plus tard…

Nous l’avions noté avant le Conseil européen, le cadre de négociation du cadre financier pluriannuel proposé par la présidence finlandaise est loin de faire l’unanimité. Qu’il s’agisse des nouvelles ressources, de la question des rabais ou du pourcentage du revenu national brut alloué au budget européen, il semble que nous soyons encore loin d’un accord, malgré les efforts déjà fournis.

Je souhaite le rappeler encore aujourd’hui, nous approuvons les nouvelles orientations politiques de la Commission européenne et souhaitons qu’on leur affecte des moyens suffisants. Cependant, nous continuons à éprouver de vives inquiétudes quant aux politiques historiques, comme la PAC, dont les dotations, concernant notamment les aides directes et les dépenses de marchés, ne sont pas suffisantes. Madame la secrétaire d’État, pouvez-vous nous dire ce qu’il en est des négociations sur le budget de la PAC ? Vos objectifs concernant le premier pilier seront-ils tenus ?

Enfin, je souhaite saluer les discussions au sujet de la tenue d’une conférence sur l’avenir de l’Europe. L’après-Brexit et le début de la nouvelle mandature européenne sont propices à une grande réflexion sur notre système et sur notre avenir. Je forme le souhait qu’une consultation citoyenne soit engagée durant le processus. Une partie de l’avenir de l’Europe se jouera en 2020 sur les questions du budget et de la transition, ainsi que sur l’invention du futur. Soyons au rendez-vous ! (Applaudissements sur des travées des groupes RDSE et UC. – M. le président de la commission des affaires européennes applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-François Longeot. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Jean-François Longeot. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le Conseil européen qui vient de se conclure était stratégique à plusieurs égards. Il parachève une année marquée par les incertitudes du Brexit, par des élections européennes déstabilisant le statu quo institutionnel et par de fortes attentes quant à l’action de l’Union européenne. À ce titre, la France a joué un rôle moteur, illustrant bien une citation de Victor Hugo toujours d’actualité : « L’Europe ne peut être tranquille tant que la France n’est pas contente. »

En effet, cette année, sur de nombreux sujets, la France s’est distinguée par un positionnement singulier, qu’il s’agisse de défendre une souveraineté européenne à construire, de repenser une politique commune de concurrence obsolète ou bien d’interroger une stratégie d’élargissement qui ne peut pas constituer la seule perspective pour le voisinage de l’Union. Ce Conseil européen n’a pas fait exception à cet égard, et nous pouvons nous en féliciter.

J’aimerais tout d’abord insister sur l’importance de ce sommet. Avec une nouvelle équipe et l’esquisse de nouveaux projets ambitieux à court, moyen et long termes, l’Europe revient à un agenda positif, alors que celui de la précédente Commission avait été davantage dicté par les nombreuses crises qu’elle avait dû assumer. Au cœur de ce nouvel agenda réside l’objectif de faire de l’Union européenne le premier continent neutre en matière d’émissions de carbone en 2050. Je salue une telle ambition, reflétant un pouvoir d’initiative retrouvé, qui permettra à l’Europe – j’en suis sûr – d’orienter les grandes transformations que connaît notre monde.

Relever ce défi nécessitera des efforts communs, consentis au travers d’une solidarité accrue. Ce sera une occasion idéale de réaliser un travail d’introspection.

D’une part, la solidarité sera essentielle au regard de la diversité des mix énergétiques, sachant que l’Union s’effectuera nécessairement dans la diversité. À ce titre, la défense de la transition écologique ne doit pas se réduire à des mesures punitives envers nos voisins de l’Est. Il s’agit de considérer l’effort de transition comme offrant de vraies perspectives, qui doivent être socialement justes, démocratiquement acceptables et territorialement différenciées.

D’autre part, les objectifs du new green deal imposent de « mettre en place un cadre facilitateur » comprenant « un soutien et des investissements adaptés ». À cet égard, je suis convaincu que faciliter les investissements dits « verts » doit se faire en permettant aux États membres de les extraire du pacte de stabilité et de croissance, comme l’a suggéré notamment le nouveau commissaire à l’économie, Paolo Gentiloni. Je partage pleinement cette position ; je l’ai d’ailleurs défendue au travers d’une proposition de résolution que j’ai déposée au Sénat le 10 septembre dernier.

Je tiens à saluer la prise en compte d’un critère climatique dans les accords commerciaux et la décision de l’Europe de ne plus contracter d’accords commerciaux avec des puissances qui ne sont pas signataires de l’accord de Paris.

L’agenda positif que j’évoquais précédemment permet de comprendre les tensions et les enjeux entourant le prochain cadre financier pluriannuel. Bruxelles, comme il est coutume de l’appeler, ne saurait faire plus avec moins. Les discussions portent à l’heure actuelle tant sur le niveau du budget que sur les arbitrages entre les politiques dites « historiques » et les politiques nouvelles, en matière climatique, numérique et de défense.

Madame la secrétaire d’État, si le Conseil européen n’a pas été l’occasion d’obtenir des avancées sur le sujet, permettez-moi de vous alerter sur les risques de ce futur budget. En effet, s’il est indéniable que le soutien à l’innovation et aux politiques numériques est indispensable, le futur budget, conjugué à la diminution des fonds destinés à l’agriculture et à la pêche, serait potentiellement susceptible de venir creuser les disparités régionales, alors même que l’on constate un écart économique de plus en plus important entre les capitales et les périphéries, en dépit des tentatives de réajustement.

Une nouvelle dynamique est insufflée à l’Europe. Nous ne pouvons que nous en réjouir. L’Europe ne souhaite plus se contenter de réagir aux crises ; elle veut dorénavant tracer sa propre trajectoire. Cela démontre que son histoire est celle d’un destin voulu. À la suite des élections européennes du mois de mai dernier, certains voient un Parlement divisé et fragmenté. Pour ma part, j’y vois un Parlement qui a démontré qu’il entendait, lui aussi, assumer un rôle actif et ne pas se contenter de celui de chambre d’enregistrement. Le Parlement européen restant la seule institution européenne directement élue par les citoyens, j’accueille une telle position avec bienveillance.

Toutefois, devant le constat d’une bataille institutionnelle, et alors que la nouvelle Commission européenne a pris ses fonctions avec un mois de retard, le Conseil souhaite repenser le processus des nominations à l’échelon européen. Il propose à ce titre d’organiser dès le mois de février 2020 une réflexion sur le fonctionnement des institutions : c’est la conférence sur l’avenir de l’Europe. Celle-ci serait en effet l’occasion de considérer la pertinence – ou pas – de listes transnationales pour les prochaines élections européennes, mais je ne suis pas persuadé que c’est avec un débat institutionnel que l’on redonnera à nos concitoyens goût à l’Europe et que l’on parviendra à mieux les associer à la vie de l’Union.

Madame la secrétaire d’État, pouvez-vous nous éclairer sur les enjeux de cette conférence, sur les ambitions du Gouvernement à cet égard et sur le rôle qui sera accordé aux parlementaires nationaux ? En raison de leur ancrage et de leur présence sur nos territoires, ceux-ci restent des relais indispensables pour vulgariser une telle conférence et inciter nos concitoyens à y participer pleinement. Je trouve d’ailleurs que les échanges sur les Conseils européens que nous avons ici au Sénat sont pertinents et constituent un bon début.

Si des progrès ont été observés s’agissant de la réforme de la zone euro, je partage le constat du Président de la République : le compte n’y est pas. La zone euro reste la première à avoir mis en commun la souveraineté monétaire de ses membres sans prévoir de moyens fiscaux intégrés permettant de répondre aux chocs qui l’affectent dans son ensemble. Nous avons, certes, mis en place un premier budget de convergence, ce qui était impensable voilà encore quelques mois, mais nous avons véritablement besoin d’un budget de stabilisation. À l’heure actuelle, la zone euro reste également celle qui investit le moins, malgré une épargne disponible importante.

Enfin, alors que l’Union a donné son feu vert à l’« Airbus des batteries », en autorisant sept États à subventionner à hauteur de 3,2 milliards d’euros le consortium de dix-sept entreprises créé pour l’occasion, quelles sont les ambitions du Gouvernement en matière de politique européenne de concurrence après le rejet regrettable, en février dernier, de la fusion entre le français Alstom et l’allemand Siemens ? (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Indépendants et RDSE, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – M. le président de la commission des affaires européennes applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Patricia Morhet-Richaud. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le Conseil européen qui s’est tenu la semaine dernière était un rendez-vous important. Son ordre du jour était dominé par deux sujets déterminants pour l’action de l’Union européenne : l’ambition climatique à l’horizon 2050 et les marges de manœuvre budgétaires jusqu’en 2027.

Cette réunion importante marque en outre le coup d’envoi du nouveau cycle institutionnel ouvert avec les élections européennes et la mise en place de la Commission von der Leyen.

Avant la tenue de ce sommet, la présidence finlandaise avait formulé le vœu que la nouvelle donne fasse « souffler un vent de fraîcheur » sur le Conseil, lui permettant ainsi de surmonter ses divergences, sur le plan tant climatique que budgétaire.

Mais l’événement le plus significatif du 12 décembre se déroulait davantage au Royaume-Uni qu’à Bruxelles. En effet, sauf énième rebondissement, la large victoire électorale des conservateurs ouvre enfin la voie à l’adoption de l’accord de retrait. Il ne s’agit en aucune manière d’un point final apporté au Brexit, eu égard à la nécessité de retisser les liens rompus avec le Royaume-Uni et de préserver autant que possible une relation stratégique, commerciale, sécuritaire et géopolitique vitale tant pour les Britanniques que pour les Européens. C’est finalement sur cet enjeu que portera la véritable négociation du Brexit, et ne nous y trompons pas : elle sera aussi exigeante que longue, certainement beaucoup plus longue que la période de transition définie par l’accord de retrait. Nous sommes donc loin d’en avoir fini avec le Brexit. Durant la nouvelle phase qui va s’ouvrir, les Européens devront veiller à demeurer aussi unis qu’ils l’ont été jusqu’à maintenant sous la conduite de Michel Barnier.

Les résultats du Conseil européen sont plutôt en demi-teinte.

Les conclusions concernant le cadre financier pluriannuel sont particulièrement laconiques : le Conseil européen « a débattu des principaux éléments du nouveau CFP » et « invite son président à faire avancer les négociations en vue de parvenir à un accord final ». Voilà tout ce qui ressort des discussions. Cela illustre à quel point les positions des uns et des autres restent figées.

Comme on pouvait le supposer, la boîte de négociation chiffrée proposée par la présidence finlandaise, en baisse de 50 milliards d’euros par rapport à la proposition de la Commission, n’a pas permis de rapprocher les points de vue. Les divers groupes d’États membres qui se sont constitués, et qui parfois s’entrecroisent, autour des grands enjeux de ce CFP ne semblent pas encore décidés à bouger. Dans ces conditions, on peut craindre que l’issue de la négociation ne permette pas à l’Union de disposer, à partir de 2021, d’un budget réellement à la hauteur de tous les objectifs.

Deux points me paraissent particulièrement inquiétants : d’une part, le niveau toujours insuffisant, malgré la revalorisation proposée pour le deuxième pilier, du budget de la PAC ; d’autre part, la baisse drastique envisagée de la dotation pour le Fonds européen de la défense.

Madame la secrétaire d’État, malgré une ambition vraisemblablement bridée, sur ces deux sujets, par une enveloppe globale contrainte, pensez-vous, au vu de vos discussions avec vos homologues, qu’une évolution favorable puisse être espérée d’ici à la fin du mois de février, échéance désormais envisagée pour un accord ?

Les conclusions du Conseil sont un peu plus loquaces concernant la question climatique. Néanmoins, la situation n’est pas si différente de celle du mois de juin, quand l’objectif de la neutralité carbone d’ici à 2050 n’avait pas pu être endossé en raison de l’opposition de quatre États membres particulièrement dépendants du charbon. Aujourd’hui, il n’en reste plus qu’un : la Pologne. Il est toutefois raisonnable d’espérer que des discussions plus approfondies sur le green deal présenté la semaine dernière, mais aussi sur le CFP, s’agissant notamment du fonds pour une transition juste, seront de nature à convaincre Varsovie de se joindre au reste de l’Union européenne.

Notre continent s’apprête donc à passer à la vitesse supérieure en matière climatique et à accélérer sa transition écologique. Après la définition des objectifs globaux, il convient désormais d’établir la stratégie.

Le changement climatique est clairement visible dans les Alpes et dans nos territoires de montagne. Les évolutions de paramètres climatiques ont de fortes incidences sur l’environnement physique, mais également sur le monde vivant et sur l’activité économique dans nos massifs.

Mais, en montagne comme ailleurs, si la transition écologique exige des efforts colossaux pour transformer en profondeur notre économie et l’ensemble de nos activités, elle doit constituer un véritable levier de développement. Dans le cas contraire, elle sera vouée à l’échec. Si elle est conçue ou même perçue comme punitive et simplement destinée à produire de nouvelles taxes, elle ne pourra que s’enliser. En revanche, si l’on parvient à mobiliser le génie européen pour concevoir et pour exploiter les technologies bas carbone de demain, la transition écologique réussira. Elle réussira si nous sommes en mesure d’en faire aussi un levier de création d’emplois et de valeur ajoutée.

Toute politique climatique ambitieuse devra donc nécessairement aller de pair avec une politique industrielle intelligente et ambitieuse qui prenne pleinement en compte toutes les réalités de l’économie du XXIe siècle.

Je le souligne une nouvelle fois, dans le cadre de la grande transformation de nos politiques publiques, nous aurons un impérieux besoin de conditions de concurrence équitables à l’échelle mondiale pour préserver notre compétitivité. Faire de l’Europe une île décarbonée au milieu d’un monde qui, lui, n’évoluerait pas ne serait cohérent ni économiquement ni écologiquement. L’introduction d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’Europe qui rééquilibrerait les conditions de l’échange international et découragerait les fuites de carbone, notamment via des délocalisations vers les pays moins exigeants en matière climatique, me paraît dès lors indispensable. Il faut mettre en place rapidement cet outil.

Si un certain consensus semble se dessiner en Europe sur la direction à prendre, le travail sur la manière d’atteindre les objectifs ne fait que commencer. Pour relever cet immense défi, gardons à l’esprit que si l’ambition est non plus une option, mais une nécessité, elle ne pourra se concrétiser qu’en combinant deux qualités aussi fondamentales que complémentaires des Européens : la créativité et le pragmatisme. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, Les Indépendants et RDSE.)