M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing.

M. Daniel Chasseing. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, avant toute chose, j’aimerais remercier le groupe CRCE d’attirer l’attention du Sénat et du Gouvernement sur la question de la pédopsychiatrie en France.

Nous devons être attentifs aux difficultés d’accès aux soins pour les enfants et les adolescents atteints de troubles psychiatriques. La pédopsychiatrie souffre du numerus clausus, trop bas, mais aussi d’une crise des vocations, comme en témoignent les nombreux postes vacants. Et ce sont les patients vivants dans les territoires ruraux qui sont les plus pénalisés.

Ce débat est l’occasion de soulever un problème de santé publique majeur, que notre groupe a déjà évoqué lors de l’examen de l’article 25 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 sur la réforme de la psychiatrie. Le Gouvernement souhaite réformer et renforcer la psychiatrie dès 2020, ce que nous saluons ; nous devons agir ensemble, parlementaires et Gouvernement, pour trouver des réponses d’urgence comme de long terme à ce secteur en difficulté.

Un million de jeunes sont confrontés, chaque année, à des problèmes de santé mentale. Nous le savons, dans ce domaine, plus la prise en charge est précoce, c’est-à-dire dans les cinq premières années de développement de la maladie, plus les chances de guérison sans séquelles sont élevées.

Or, faute de pédopsychiatres disponibles, les délais de prise en charge sont de plus en plus longs. Dans de nombreux départements, les services n’ont plus les moyens d’assurer leurs missions, il est très souvent impossible d’avoir une consultation ou même, pour un médecin généraliste, un avis téléphonique en urgence.

Une situation de souffrance psychique prolongée peut favoriser l’apparition de pathologies psychiatriques, durables si elles ne sont pas surveillées et prises en charge. Nous savons également que certains troubles rencontrés au cours des premiers âges de la vie peuvent réémerger au moment de l’adolescence ou lors de périodes de rupture. Nous devons répondre à toutes les situations, tout en étant réactifs dans la prise en charge des cas urgents.

La société évolue rapidement et nous observons l’apparition de nouveaux besoins en réponse à ces évolutions. Nous le constatons en milieu scolaire, avec des problèmes récurrents de phobie, d’addiction, de trouble de l’apprentissage et de harcèlement, problèmes qui sont accentués par l’essor des réseaux sociaux. Nous avons soulevé ce problème lors de l’examen de la proposition de loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet. Chaque année, 700 000 élèves en sont victimes dans le cadre scolaire et un grand nombre de pathologies se développe du fait de l’insuffisance de réaction de la part des adultes et des pouvoirs publics. « Je suis responsable de ce qui arrive à autrui », écrivait Emmanuel Levinas ; nous devons sûrement nous inspirer davantage de cette phrase.

Les attentes sont très fortes en matière d’efficacité de la prise en charge. Nous devons tout faire pour protéger et soigner les plus jeunes afin de préserver leur développement et leur intégration ultérieure dans la vie active. Selon l’OMS (Organisation mondiale de la santé), 50 % des maladies psychiatriques de l’adulte apparaissent avant 16 ans.

Aussi, la première priorité est la nécessité d’intervenir au stade le plus précoce, lorsque les chances de rémission et la réponse aux traitements sont les meilleures.

La loi de financement de la sécurité sociale pour 2020, qui prévoit un examen systématiquement des enfants lors de leur entrée en centre départemental de l’enfance, va dans le bon sens, notamment pour les mineurs non accompagnés (MNA). Il s’agit aussi d’éviter les complications liées à l’absence de traitement qui influencent à long terme le parcours de l’enfant. Soigner le plus tôt possible, c’est aussi prévenir les risques d’isolement, de décrochage scolaire et d’addiction.

La deuxième priorité, c’est la continuité des soins, souvent absente faute de moyens et de liens, pourtant indispensables, entre la pédopsychiatrie et le médico-social. Dans les familles d’accueil et surtout dans les maisons d’enfants à caractère social (MECS), où se retrouvent les enfants après le centre départemental de l’enfance, le personnel doit avoir rapidement accès aux pédopsychiatres, car un enfant avec des troubles du comportement ou violent peut déstabiliser un établissement et user complètement l’équipe éducative.

Pour répondre à ces besoins, nous devons développer des équipes mobiles de psychiatrie et de pédopsychiatrie, en particulier en zone rurale. La télémédecine pourrait dans ce cas jouer un rôle important, notamment dans les maisons de l’enfance.

Ces équipes mobiles pluridisciplinaires gérées par l’agence régionale de santé (ARS) comporteraient à la fois des infirmiers, des psychologues et des pédopsychiatres. Elles apporteraient un renfort ponctuel à l’équipe en place au sein du lieu de prise en charge du mineur. Ces équipes se déplaceraient également au domicile pour faciliter l’accès aux soins. Leur intervention paraît pertinente durant les périodes de crise pour être une alternative à l’hospitalisation, assurer une continuité des soins après stabilisation de l’état du patient et faciliter son retour dans la structure médico-sociale ou au sein de sa famille.

Monsieur le secrétaire d’État, je suis convaincu que les équipes mobiles de pédopsychiatrie contribueraient à améliorer considérablement la prise en charge des patients et le bon fonctionnement des établissements, centres départementaux de l’enfance ou maisons de l’enfance à caractère social. Avez-vous, dans le cadre du projet de rénovation et de développement de la psychiatrie, la volonté de mettre en place ces dispositifs, notamment en milieu rural ? Souhaitez-vous les généraliser ? (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDSE, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Sylviane Noël. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Sylviane Noël. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, postes vacants, personnels en sous-effectif permanent, crédits en berne… Des mots durs qui font directement écho à la crise historique que vit la pédopsychiatrie depuis une dizaine d’années dans notre pays. Pourtant, il n’y a jamais eu autant de demandes de soins en raison d’une grande précocité des troubles, mais aussi du climat socio-environnemental.

En 2018, ce sont 700 000 enfants et adolescents qui ont été pris en charge par les centres de soins spécialisés dédiés à la pédopsychiatrie. L’activité des centres a ainsi augmenté de 60 % entre 1996 et 2006, et de 16 % entre 2006 et 2017. Le nombre de patients suivis est en hausse de 14 %.

Parallèlement, le fonctionnement de ces structures se voit de plus en plus menacé par une pénurie de professionnels : près de 16 % des postes de pédopsychiatres sont vacants. Pour cause, être aujourd’hui praticien hospitalier en pédopsychiatrie, c’est être constamment accablé de travail et isolé, et ne pas être rémunéré à la hauteur de son engagement.

En 2016, la densité de pédopsychiatres était de 4 praticiens pour 100 000 habitants âgés de 0 à 20 ans, faisant de la France le pays européen le plus pauvre en ce domaine.

Pour illustrer mon propos, je vous parlerai de la situation de mon département, la Haute-Savoie, où le secteur ne déroge malheureusement pas à la règle du sous-effectif et où le problème se révèle encore plus aigu qu’ailleurs. En effet, les directeurs des établissements hauts-savoyards connaissent d’autant plus de difficultés de recrutement que le coût de la vie est élevé sur notre territoire et que la concurrence avec la Suisse voisine, où les salaires sont multipliés par deux, voire trois, est forte. Le dynamisme de la progression démographique du département aggrave encore cette situation.

La saturation des structures atteint aujourd’hui un niveau critique : les patients doivent désormais attendre plusieurs jours, voire plusieurs mois, avant d’être accueillis ou transférés dans d’autres services.

Cela peut avoir des conséquences dramatiques. J’ai, à cet instant, une pensée émue pour un jeune Haut-Savoyard décédé récemment lors d’un accident de montagne en pleine crise de schizophrénie, alors que ses appels à l’aide étaient restés lettre morte faute de place disponible auprès de psychiatres de ville débordés et de centres médico-psychologiques parfois purement et simplement dépourvus de psychiatres.

Par manque de places dans ces établissements, les patients sont le plus souvent placés en pédiatrie, côtoyant ainsi d’autres malades n’ayant pas de pathologie psychiatrique et mobilisant du personnel soignant déjà bien occupé et pas forcément formé pour une prise en charge adéquate de ces cas lourds.

Face à une hausse continue de l’activité du service, les horaires des soignants sont constamment allongés ; un tiers d’entre eux a un salaire inférieur à la moyenne régionale. Découragés, ils finissent par quitter la discipline, brisant ainsi à contrecœur la chaîne des soins, laissant les malades et les familles démunis.

Les financements ne sont pas à la hauteur des ambitions affichées par l’État : en Haute-Savoie, le montant de la dotation annuelle de fonctionnement des établissements publics est inférieur à la moyenne régionale. Lorsque le montant moyen de cette dotation est de 132 euros par habitant en Auvergne-Rhône-Alpes, il est de 81 euros dans mon département et il tombe même à 66 euros aux abords du Léman.

Face à tous ces griefs, le Président de la République a récemment affiché son ambition de redonner une perspective à la pédopsychiatrie en France. En Haute-Savoie, comme partout dans l’Hexagone, nous avons besoin de savoir quelles mesures concrètes le Gouvernement compte mettre en place pour renforcer les pôles pédopsychiatriques. Quels moyens financiers pourront leur être accordés dans les années à venir, eu égard notamment à leur spécificité frontalière ? L’enjeu est de taille et mérite toute notre attention. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE et Les Indépendants.)

M. le président. La parole est à M. Michel Raison. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et Les Indépendants.)

M. Michel Raison. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, mon intervention est nourrie par ma mission d’administrateur de l’association hospitalière de Bourgogne-Franche-Comté, qui représente 2 000 salariés, mais aussi, et surtout, par les constats tirés de mes contacts avec les soignants des services de pédopsychiatrie confrontés à des cas concrets.

Je leur ai communiqué les conclusions du rapport de nos collègues Alain Milon et Michel Amiel présenté au début de 2017. Ce retour sur nos travaux passés s’est révélé à la fois satisfaisant et préoccupant.

Satisfaisant, tout d’abord, parce que le diagnostic était fidèle à la dure réalité vécue par les services de pédopsychiatrie. De l’avis des personnels, la grande majorité des 52 propositions est utile et pertinente pour engager des actions sérieuses permettant de sauver cette discipline, mais ces propositions ont-elles été entendues et appliquées ? C’est là que le bât blesse ! Et c’est là que la situation est préoccupante.

Nous manquons de pédopsychiatres un peu partout sur le territoire national. Dans certaines facultés de médecine, il n’y a même plus de professeurs dans cette spécialité. Ces derniers représentent 0,73 % de l’ensemble des professeurs de médecine. On continue de mal diagnostiquer les troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent. L’offre de soins et de prise en charge est insuffisante ou inadaptée par manque de moyens et de cohérence dans la politique menée.

Sans « sur-psychiatriser », le repérage et la détection sont pourtant indispensables pour réduire, voire faire disparaître, les troubles des enfants qui doivent être pris en charge, comme dans les autres pathologies, suffisamment tôt. Cette absence de prise en charge précoce en pédopsychiatrie ou en psychologie est une perte de chance. Il ne faut toutefois pas confondre les difficultés psychologiques avec les pathologies psychiatriques.

Je veux tirer un signal d’alarme sur la nécessité d’assurer un repérage des plus précoce chez l’enfant. Les spécialistes rencontrent trop de jeunes adultes en soins sans consentement ; c’est tout simplement un marqueur des échecs antérieurs.

On continue également avec des entrées dans le parcours de soins qui, trop souvent, relèvent plus du hasard que de la cohérence. Il s’agit là d’associer étroitement l’ensemble des intervenants. Je pense évidemment à la famille que l’on ne doit pas négliger, à l’éducation nationale et son service santé, aux centres médico-psycho-pédagogiques et à la protection judiciaire de la jeunesse. L’objectif est d’œuvrer dans un ensemble multidisciplinaire à la gestion individuelle de cas particuliers.

Si ces volontés communes existent souvent, elles se heurtent, monsieur le secrétaire d’État, au manque de moyens humains et financiers.

En Bourgogne-Franche-Comté, l’urgence dure depuis trente ans. Les listes d’attente s’allongent de jour en jour, semaine après semaine, et les services n’ont plus les moyens d’assurer leurs missions, faute de places ou de lits disponibles pour répondre aux demandes d’hospitalisation des familles, des écoles ou de l’aide sociale à l’enfance.

On continue aussi de délaisser la recherche en psychiatrie des mineurs. Dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020, le Gouvernement a baissé les dotations des associations de médecins psychiatres, dont le travail est pourtant essentiel en matière d’études épidémiologiques, d’évaluation des stratégies non médicamenteuses et de neuroscience.

De l’avis des professionnels eux-mêmes, la pédopsychiatrie et plus généralement la psychiatrie ont besoin d’une réflexion globale et d’une loi portant sur son fonctionnement, son financement et la formation des psychiatres et des pédopsychiatres. C’est le moment, monsieur le secrétaire d’État, de laisser votre nom à une loi… (Sourires.)

Le chantier est immense, mais des propositions ont été formulées par le Sénat il y a deux ans. Monsieur le secrétaire d’État, travaillez ces propositions. Faites confiance au Sénat pour mieux répondre au cri d’alarme poussé par les personnels soignants en pédopsychiatrie, qui sont complètement à bout de souffle ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE et Les Indépendants. – Mme Victoire Jasmin applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, permettez-moi de commencer mon propos en remerciant le groupe CRCE et Mme Cohen d’avoir bien voulu porter ce débat dans l’hémicycle sur la situation de la pédopsychiatrie en France. Je pense que nous partageons une partie des constats et j’aurai l’occasion d’y revenir.

Permettez-moi de commencer à mon tour par une citation : « La santé est un bien qu’il faut conquérir et conserver. Le bien-être n’est ni le confort ni le contraire de l’effort. Bien-être, c’est être bien. C’est un droit et un devoir, envers soi et envers les autres. »

Ces quelques mots, particulièrement justes et pertinents, figuraient en introduction du rapport que la professeure Marie-Rose Moro et l’inspecteur d’académie Jean-Louis Brison, missionnés par le gouvernement de l’époque, ont rendu fin 2016 sur le bien-être et la santé des jeunes après un important travail de réflexion et d’échanges avec l’ensemble des acteurs. Ils soulignaient ainsi la nécessité de faire de la santé mentale des enfants et des jeunes une priorité de l’action publique.

Vous avez été nombreux à le dire, les rapports de ces dernières années sur la psychiatrie des mineurs, particulièrement le travail de la mission sénatoriale de 2017 présidée par Alain Milon et dont le rapporteur était Michel Amiel, ont souligné la situation de grande fragilité de la pédopsychiatrie en France, marquée par une forte augmentation de la demande et une saturation des dispositifs de soins dans un contexte de démographie médicale préoccupante.

Comme cela a été souligné, notamment par Mme Cohen, certains départements sont dépourvus d’offre d’hospitalisation en pédopsychiatrie, tandis que dans d’autres territoires cette offre apparaît comme très insuffisante au regard des besoins observés.

Conscient de ces enjeux, le Gouvernement a lui-même engagé ces deux dernières années un travail d’analyse plus spécifique sur certains sujets pour améliorer le parcours de soins en santé mentale dans le respect des droits des enfants et de leurs familles. Je pense notamment aux missions conduites par l’inspection générale des affaires sociales sur les centres médico-psychologiques (CMP), les centres médico-psycho-pédagogiques (CMPP) et les centres d’action médico-sociale précoce.

En tant que secrétaire d’État auprès de la ministre Agnès Buzyn chargé plus spécifiquement de l’enfance, je me suis attelé, dès ma nomination et dans le prolongement des décisions prises par la ministre des solidarités et de la santé, à répondre aux attentes et aux besoins que vous avez été nombreux à rappeler. Et je dois vous avouer que, depuis un an, pas un déplacement dans les territoires, pas un rendez-vous avec une association ou des professionnels ne s’est conclu sans une interpellation sur la situation de la pédopsychiatrie dans notre pays.

S’agissant plus particulièrement de la protection de l’enfance, que vous avez été nombreux à évoquer, certaines études ont montré que 32 % des enfants qui relèvent de l’aide sociale à l’enfance ont des troubles psychiatriques, contre 2,6 % dans la population en général, que 26 % de ces enfants ont un père qui souffre d’addiction et que 16 % ont une mère qui est dans ce cas, quel que soit le type de l’addiction.

J’ai évidemment un regard particulièrement attentif sur la santé mentale de nos enfants protégés.

Plus globalement, la santé mentale de la population fait l’objet d’une attention toute particulière de la part du ministère des solidarités et de la santé.

Je me permets de rappeler à mon tour qu’un délégué ministériel, le professeur Frank Bellivier, a été nommé au printemps 2019 ; avec son équipe et les services compétents du ministère, il s’attache à travailler avec l’ensemble des acteurs du secteur et à aller à leur rencontre dans chaque région et chaque territoire de métropole et d’outre-mer. Vous pouvez compter sur son engagement pour apporter des solutions très concrètes et très opérationnelles, comme le montre notamment son parcours, aux enjeux qui ont été évoqués.

Madame Cohen, les moyens financiers exceptionnels pour renforcer l’offre de soins en santé mentale des enfants qui ont été alloués en fin d’année 2019 ne se limitent pas à quelques millions d’euros. Cette allocation fait suite à un appel à projets doté de 20 millions sur une enveloppe totale de 100 millions dédiés à la feuille de route Santé mentale et psychiatrie. Cet appel à projets a été lancé en juillet 2019 afin de renforcer les ressources de la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, notamment dans les départements non pourvus ou sous-dotés au regard des besoins de la population.

Il était demandé aux agences régionales de santé de faire remonter des projets concrets et rapidement opérationnels de création ou de renforcement de l’offre de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent sur les territoires, de la périnatalité à la transition vers la psychiatrie adulte.

Les nombreux projets remontés à la fin du mois de décembre, sauf erreur de ma part, ont fait l’objet d’une analyse par un comité d’experts de la discipline et 35 projets ont d’ores et déjà été retenus, témoignant du succès de l’appel à projets et de la forte mobilisation des acteurs de la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent dans les territoires.

Ces projets vont venir renforcer l’offre de pédopsychiatrie dans des territoires en grande difficulté, là aussi dès la périnatalité jusqu’à la fin de l’adolescence et la transition vers l’âge adulte. Ils portent sur la création de lits d’hospitalisation dans les départements qui en sont dépourvus, de places de crise ou post-crise, d’évaluation et de prise en charge des situations urgentes, ainsi que de places d’hospitalisation de jour et de nuit.

Le renforcement de l’offre ambulatoire est largement mis en avant au travers du renforcement des CMP et du développement d’équipes mobiles. Ainsi, l’appel à projets renforce, de manière structurante, l’offre en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, notamment, pour être encore plus précis, dans des départements très en difficulté, comme les Alpes-de-Haute-Provence, la Corrèze, la Creuse, les Côtes-d’Armor, l’Eure ou encore l’Indre. Non, monsieur Chasseing, les départements ruraux ne sont évidemment pas oubliés ; bien au contraire !

Pour parler encore de la Corrèze, sachez qu’un projet a été retenu, fondé sur trois centres hospitaliers, avec le développement de quatre typologies d’offres, dont une équipe pluridisciplinaire mobile interdépartementale. C’est donc un projet très concret.

La pédopsychiatrie et la périnatalité ont également constitué l’une des thématiques retenues pour 2019 dans le cadre du fonds d’innovation organisationnelle en psychiatrie, doté de 10 millions d’euros. Comme vous le savez probablement, ce fonds est destiné à valoriser de nouvelles pratiques organisationnelles. Il a fait l’objet d’un appel à projets national relayé, là aussi, au niveau régional par chaque ARS. Sur les 42 projets retenus, sachez que 19 ciblent plus spécifiquement le repérage et la prise en charge précoce de l’enfant et de l’adolescent – je rejoins évidemment ceux d’entre vous qui ont estimé que cette dimension était absolument fondamentale – et la psychiatrie périnatale.

Soyez convaincus qu’Agnès Buzyn et moi-même serons extrêmement attentifs à la concrétisation effective, cette année, de cette importante offre supplémentaire. Nous veillerons à poursuivre et à renforcer ces réponses et à soutenir de nouveaux projets. Je sais, mesdames, messieurs les sénateurs, qu’il en ira de même de votre côté.

La feuille de route Santé mentale et psychiatrie prévoit également de renforcer l’attractivité de la pédopsychiatrie en ville et à l’hôpital. C’est un aspect que nombre d’entre vous ont également évoqué. Ainsi que M. Iacovelli et Mme Doineau l’ont rappelé, 20 postes de chefs de clinique-assistants hospitaliers ont été créés en deux ans, avec un recrutement reposant, là aussi, sur un appel à projets conjoint entre le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation et le ministère des solidarités et de la santé. L’objectif, madame Cohen, est que chaque faculté de médecine soit couverte, à terme, par au moins un poste de professeur des universités-praticien hospitalier (PU-PH) de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent.

Le délégué ministériel Frank Bellivier travaille par ailleurs avec les acteurs à la refonte des autorisations et du modèle de financement de la psychiatrie, pour fluidifier les organisations et harmoniser au niveau national l’accompagnement de nos concitoyens. Cette tâche n’est pas encore achevée – je suis sûr que vous en mesurez l’ampleur.

J’insiste sur ces dimensions, car nous ne devons pas oublier – je sais que vous ne le faites pas – l’ensemble des professionnels qui accompagnent chaque jour les enfants et leurs parents, avec un engagement de chaque instant. Pour répondre directement à la question de Mme Doineau, les textes relatifs aux infirmiers en pratique avancée mention psychiatrie et santé mentale ont été publiés en août 2019. Les premiers étudiants infirmiers concernés ont d’ailleurs débuté leur formation à la dernière rentrée universitaire.

Par ailleurs, toutes les actions menées que je suis en train de détailler s’articulent directement au sein de la feuille de route globale du ministère et du secrétariat d’État chargé de la protection de l’enfance.

La Stratégie nationale de prévention et de protection de l’enfance, que j’ai présentée le 14 octobre 2019, inclut ainsi un volet important, en prévention – j’insiste sur ce terme et sur cette volonté d’intervenir le plus tôt possible, que je vous sais chère, mesdames, messieurs les sénateurs, notamment à vous, monsieur Tourenne – et en protection, sur la santé des enfants protégés.

Au titre de l’article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019, nous expérimentons, depuis l’année dernière, un parcours de soins coordonnés des enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance dans trois départements, la Loire-Atlantique, les Pyrénées-Atlantiques et la Haute-Vienne. Cette expérimentation va être étendue dès cette année, pour concerner dix territoires au total. Mon ambition, si elle se révèle concluante, est de pouvoir la généraliser le plus tôt possible.

Comme vous avez été plusieurs à le rappeler, nous avons par ailleurs inscrit dans la nouvelle loi de financement de la sécurité sociale, votée en décembre 2019, la création d’une consultation complexe – M. Chasseing y a fait référence – pour le bilan de santé des enfants confiés à leur entrée dans les dispositifs de protection de l’enfance.

En outre, Agnès Buzyn, Sophie Cluzel et moi-même renforcerons les réponses à destination des enfants dont les situations sont les plus complexes, ceux qui sont confrontés aux problématiques du handicap, du soin et de la protection de l’enfance, dans le cadre d’un partenariat renouvelé avec les départements. Je rappelle que ce sont non pas 15 %, mais plus de 25 % des enfants de l’aide sociale à l’enfance qui ont un dossier MDPH !

Vous le savez probablement mieux que moi, dans un pays qui aime bien fonctionner en silo, lorsque l’on se trouve au croisement de deux politiques publiques – en l’occurrence, le social et le médico-social –, on ne se trouve souvent nulle part.

C’est la raison pour laquelle nous avons pour ambition, dans le cadre de la Stratégie nationale de prévention et de protection de l’enfance, de créer des dispositifs d’intervention adaptés aux problématiques croisées de protection de l’enfance et du handicap, tels que des équipes mobiles, des places mixtes en internat, de Sessad (services d’éducation spéciale et de soins à domicile) ou encore d’accueil de jour sociothérapeutique. D’ailleurs, la création de cette offre nouvelle, afin de prendre en charge convenablement les enfants concernés, est l’un des volets obligatoires de la contractualisation proposée aux départements, à côté d’un investissement sur les protections maternelle et infantile.

Sachez que, sur les 80 millions d’euros prévus globalement dans le cadre de la stratégie pour 2020 afin de travailler d’ores et déjà dans trente départements dans le cadre de ce partenariat avec les conseils départementaux, 15 millions d’euros ont d’ores et déjà été fléchés sur la création de dispositifs au niveau de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie. C’est la première fois que cette ambition est aussi explicitement affirmée dans l’Ondam médico-social et c’est une première étape, car l’objectif, vous le savez, est de déployer les engagements de la Stratégie nationale sur l’ensemble du territoire d’ici à 2022.

J’ai insisté sur la notion de prévention. Je rebondirai sur vos remarques très pertinentes relatives au repérage précoce, en vous donnant quelques illustrations qui, me semble-t-il, répondent directement à vos interventions.

Ainsi que l’a notamment évoqué M. Iacovelli, le Président de la République nous a chargés, Agnès Buzyn et moi-même, de répondre à cet enjeu de société que constituent les 1 000 premiers jours de la vie de l’enfant.

Ce sujet est probablement l’une des illustrations les plus emblématiques d’un changement d’approche que nous souhaitons dans les politiques publiques, axé sur une dimension plus préventive que curative, et dépasse, à mon sens, tout clivage politique. Comme vous le savez, le prix Nobel d’économie James Heckman a démontré que le retour sur investissement de la prévention augmentait de façon exponentielle quand on intervenait le plus tôt possible.

Une commission d’experts, présidée par le neuropsychiatre Boris Cyrulnik, travaille depuis le mois de septembre dernier pour nous éclairer sur les fondamentaux scientifiques sur lesquels nous devons nous appuyer – le consensus scientifique nous semble important – et pour en dégager des recommandations de politiques publiques, que ce soit sur la nutrition, sur l’éveil de l’enfant, mais aussi sur le rôle des techniciens de l’intervention sociale et familiale (TISF), qu’a évoqués Mme Doineau. Ces travaux se réfèrent au rapport de Michèle Peyron sur les PMI et aux recommandations de Jacques Dayan. Ils s’intéressent aussi, madame Gréaume, à la question du dépistage prénatal.

Madame Cohen, vous avez, par ailleurs, rappelé l’importance du langage. Cet aspect fait également partie des réflexions. Vous avez fait référence aux orthophonistes et à leur rôle essentiel en matière de prévention. Nous partageons votre constat. Sachez que, sur ce sujet, nous avons lancé, avec la Caisse nationale d’assurance maladie et la Fédération nationale des orthophonistes, un partenariat de dépistage en petite section de maternelle sur trois bassins de vie pour la rentrée 2020, à titre expérimental.

Le repérage précoce est aussi au cœur de la Stratégie nationale pour l’autisme au sein des troubles du neuro-développement pour les années 2018-2022 que porte Sophie Cluzel, avec laquelle je travaille étroitement, et que met en œuvre la déléguée interministérielle, Claire Compagnon. Vous avez évoqué ce sujet, monsieur Rapin. Vous connaissez peut-être l’engagement qui était le mien, en tant que parlementaire, et qui reste le mien sur la question des troubles du spectre de l’autisme.

Le déploiement de plateformes d’orientation et de diagnostic autisme au sein des troubles neuro-développementaux pour la mise en œuvre du parcours de bilan et d’intervention précoce est l’un des chantiers majeurs de cette stratégie. Comme l’a déjà indiqué Sophie Cluzel, en 2020, 3 millions d’euros de crédits complémentaires à ceux qui étaient initialement prévus dans le cadre de la stratégie seront alloués aux ARS afin de renforcer le déploiement de ces plateformes. L’objectif, madame Cohen, est de déployer une plateforme par département.

Je n’entrerai pas dans le débat sur la psychanalyse et l’autisme que vous avez tenté d’engager, même si je dois avouer que cela me démange. (Sourires.) Toutefois, je veux rappeler les recommandations de bonnes pratiques formulées en 2005 par la Haute Autorité de santé, selon laquelle il n’était pas possible « de conclure à la pertinence des interventions fondées sur les approches psychanalytiques. »