M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)

Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, notre société évolue – ce n’est pas un secret –, et de plus en plus vite. Face à ces évolutions, celles des dernières années et celles à venir, le projet de loi relatif à la bioéthique soumis à notre examen comporte des avancées majeures et un cadre nécessaire à leur inscription dans ce contexte sociétal.

Avant d’évoquer dans le détail certaines dispositions du texte de notre commission spéciale, je tiens à rappeler l’un des engagements forts d’Emmanuel Macron, alors candidat à la présidence de la République, concernant, en particulier, l’une des mesures phares de ce projet de loi : celui de reconnaître et de permettre à chacun de vivre sa vie de couple et ses responsabilités parentales et, pour ce faire, d’inclure pleinement l’ensemble des familles du pays, de plus en plus diverses, et ainsi de tenir compte du fait qu’il n’y a bel et bien pas un modèle unique qui représenterait la « vraie » famille.

Dit ainsi, cela paraît assez simple : « On le dit. On le fait. » Il n’en est rien. La volonté du Gouvernement depuis le début des travaux a été de tenir une ligne d’équilibre, sans brusquer les débats. En effet, il n’est nullement question de changer de boussole ni de rompre avec les trois principes qui fondent les lois bioéthiques françaises : la dignité, la liberté et la solidarité.

Dans un esprit constructif et respectueux des convictions de chacun, le texte s’est notamment appuyé sur les travaux des États généraux de la bioéthique de 2018, organisés par le Comité consultatif national d’éthique. Cette institution est des plus précieuses, tant sur le fond que pour son savoir-faire dans l’organisation de la concertation autour de ces sujets.

Le texte que nous examinons aujourd’hui est issu des travaux de notre commission spéciale. Je tiens avant tout à saluer le travail de son président et de nos quatre rapporteurs. Les auditions et les débats au sein de la commission, d’une grande qualité, se sont tenus dans le respect de la légitimité des divers points de vue exprimés.

Je souhaite également préciser que, sur bien des sujets abordés, les discussions au sein de notre groupe La République En Marche ont vu émerger des points de vue le plus souvent convergents, mais pas toujours. Loin de chercher à constituer un bloc monolithique, nous avons au contraire tenté, et je l’espère, réussi à laisser suffisamment de place au débat. J’insiste sur cette nécessité de prendre en compte les avis et sensibilités de chacun, tout en appréciant nos débats apaisés. C’est un cheminement commun qui nous a permis de mûrir nos réflexions.

Notre groupe soutiendra pour l’essentiel les évolutions prévues par le projet de loi initial, ce qui nous amènera, sur certains points, à soutenir des amendements de suppression ou de réécriture du texte issu de la commission.

Dans un esprit constructif, j’évoquerai en premier lieu les points d’accord avec notre commission spéciale – et ils sont nombreux.

Tout d’abord, nous sommes favorables au principe de l’ouverture aux couples de femmes et aux femmes seules de la procréation médicalement assistée, ainsi qu’à l’ouverture du droit à l’accès aux données non identifiantes pour les enfants issus de dons et aux données identifiantes sous condition, mais par l’intermédiaire d’une commission ad hoc que nous souhaitons rétablir.

Nous soutenons l’autoconservation des gamètes, afin de tenir compte des problèmes d’infertilité et des évolutions sociétales. Nous défendons également l’ouverture du don de sang aux mineurs de 17 ans et majeurs sous protection juridique, mesure issue de l’amendement de notre rapporteur Bernard Jomier.

Sur le plan de la recherche et des moyens autorisés pour la promouvoir, plusieurs dispositions recueillent notre soutien, comme la distinction et le contenu des régimes juridiques de la recherche sur les cellules embryonnaires et de celle sur les embryons.

Je m’associe également à l’idée d’une extension du recueil et de la conservation des dons de gamètes aux centres privés.

De même, je soutiendrai le nouvel article 19 ter autorisant, en l’encadrant strictement, le recours au diagnostic préimplantatoire pour la recherche d’aneuploïdies (DPI-A) en vue d’améliorer l’efficience de la PMA.

À l’article 20, notre groupe approuve la suppression de la clause de conscience spécifique des professionnels de santé en matière d’interruption médicale de grossesse.

Autre point d’accord avec notre commission spéciale, la suppression de la création de délégations parlementaires à la bioéthique, disposition que l’Assemblée nationale avait introduite dans le texte.

J’évoquerai maintenant nos points de désaccord avec la commission spéciale, notamment l’article 1er qui occupera une grande partie de nos débats.

Cet article, qui étend aux couples de femmes et aux femmes non mariées l’accès à la PMA avec tiers donneur, nous pousse à nous livrer à un exercice de discernement, afin de dessiner un nouvel équilibre entre les principes de liberté, de dignité et de solidarité.

À nos yeux, la conciliation entre ces trois principes qu’a réalisée la commission n’est ni satisfaisante ni équilibrée, ce qui légitime nos amendements.

Le premier vise à revenir au sens initial du projet de loi, c’est-à-dire l’extension de la PMA en réponse aux projets parentaux, et ce sans distinction, sans retenir un critère pathologique qui, symboliquement et dans les faits, reviendrait à hiérarchiser les projets parentaux, surtout s’il aboutit à une discrimination en termes de prise en charge par l’assurance maladie. En effet, la commission, qui a fait le choix de maintenir dans le texte l’extension de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules, les a, de façon regrettable, exclus de toute prise en charge par la sécurité sociale.

L’esprit de ce texte est de trouver des solutions aux difficultés rencontrées par ces personnes pour réaliser leur projet parental, désormais aussi légitime que tout autre. Dès lors, nous nous refuserons toujours, comme nous y conduit le texte de la commission, à distinguer les situations selon des critères d’orientation sexuelle ou de composition des ménages, les bons projets parentaux qui méritent le soutien de la solidarité nationale des « moins bons » qui, eux, ne seraient pas pris en charge. Nous voulons encourager l’ensemble des projets parentaux ; nous ne voulons en juger aucun. Ce n’est ni notre vision de la solidarité ni notre conception de la famille.

Par ailleurs, il nous semble contradictoire et injuste de maintenir l’interdiction de la procréation post mortem, alors qu’est offerte aux femmes seules la possibilité d’accéder à ces techniques. Face à de tels cas, très rares, nous défendrons un amendement pour éviter un double deuil aux femmes concernées.

S’agissant du droit d’accès à leurs origines des personnes issues d’un don, un point clé du texte, nous partageons la volonté de rompre avec la culture du secret et de faire progresser la transparence sur ces sujets au sein des foyers. Nous pensons que le texte peut aller plus loin. Aussi, nous vous proposerons un amendement ayant pour objet d’informer les receveurs de dons de gamètes ou d’embryons sur le besoin de transparence et d’information des enfants.

En outre, deux dispositions figurant dans le texte actuel, et insérées en commission, nous semblent superflues, voire intrusives pour les personnes souhaitant s’inscrire dans une démarche d’AMP : la dimension psychologique et sociale de l’évaluation par l’équipe pluridisciplinaire et le rappel des possibilités d’adoption lors de leur parcours.

Sur ce point, nous ne doutons pas que les personnes s’inscrivant dans un protocole aussi lourd qu’une PMA ont suffisamment réfléchi au sens de leur démarche et aux autres possibilités s’offrant à elles.

Nous vous proposons d’en revenir à la suppression du consentement du conjoint du donneur, qui fait l’objet d’un recueil obligatoire dans le texte de la commission, tant pour le don que pour le droit d’accès à l’identité du donneur.

En ce qui concerne l’établissement de la filiation, notre groupe défendra, sur l’initiative de notre collègue Richard Yung, un amendement de suppression de l’article 4 bis, qui a été introduit par la commission spéciale : conformément aux récentes décisions judiciaires, nous souhaitons en effet autoriser la transcription à l’état civil français, au cas par cas, en exécution d’une décision étrangère, de l’acte de naissance étranger d’un enfant né d’une GPA.

Enfin, je soutiendrai avec plusieurs de mes collègues un amendement visant à ce que l’établissement de la filiation d’un enfant à l’égard des deux femmes d’un couple ne se traduise pas dans l’acte de naissance par une rédaction spécifique et, donc, distinctement identifiable.

Je conclurai par un constat. Le corps des femmes a trop souvent fait l’objet de débats, comme s’il s’agissait d’un bien public devant être contrôlé, encadré.

Aujourd’hui, nous allons légiférer une nouvelle fois sur le sujet, mais il s’agit là de permettre aux femmes, sans distinction, d’accéder à la procréation médicalement assistée et de former des projets de parentalité dans le respect de la dignité, de la liberté, de la solidarité et de l’intérêt supérieur de l’enfant.

En ces instants, chacune et chacun d’entre nous a à l’esprit, quelles que soient ses convictions, le poids de la responsabilité du législateur.

Écoutant Montesquieu, certains préféreraient peut-être ne toucher aux lois « que d’une main tremblante ». À titre personnel, j’ai pleine confiance dans la nature et la qualité des échanges que nous aurons dans cet hémicycle. Ils nous conduiront, je le souhaite, à faire les bons choix pour l’avenir. Avec discernement, mais sans trembler ! (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et SOCR.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier. (Murmures sur plusieurs travées.)

M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, le Sénat semble faire bon accueil à ce projet de loi bioéthique, la majorité dite « de droite » nous présentant un texte qui n’a pas été tant modifié que cela. Qui s’en étonnera ?

Sans constance et sans conviction, par crainte d’apparaître ringards, vous cédez à l’air du temps, à la mode, qui n’est pourtant que l’expression de l’éphémère.

Par ce sabordage, par cette capitulation devant ceux qui ne sont assurément pas les plus nombreux, mais qui crient sans doute le plus fort, notre pays bascule in fine dans la libéralisation mondialisée de la procréation, ouverte au marché et aux puissances de l’argent.

Le droit de l’enfant s’efface au profit, c’est le cas de le dire, du droit à l’enfant !

L’Académie nationale de médecine parle d’une « rupture anthropologique majeure » et, ce dimanche encore, des centaines de milliers de personnes sont descendues dans la rue pour s’opposer à cette nouvelle régression.

Puisque l’humain et la vie n’échappent plus au législateur et sont sacrifiés sur l’autel de l’idéologie et du tout-mercantilisme, nous entrons dans le totalitarisme sociétal où l’enfant est non plus un don mais un achat, non plus le fruit de l’amour entre un homme et une femme, non plus celui d’une mère et d’un père, mais un produit de consommation amputé, privé de l’indispensable paternité.

Où sont la hauteur de vue et le débat ?

En matière de bioéthique, comme en bien d’autres domaines, nous assistons à une caricature de la démocratie représentative. Cela mérite une vraie remise en question de la part de chacun d’entre nous, car ce sujet ne concerne aucun parti politique, aucune chapelle, aucun partisan. Il fait appel avant tout à l’éthique.

Mais de quelle éthique s’agit-il ici ? À ce qui semble être votre éthique normative, reposant sur l’égalitarisme et l’utilitarisme et dont le but prétendu serait la justice sociale, j’oppose et propose l’éthique appliquée, reposant, elle, sur la déontologie, sur la conformité à notre devoir. Or notre devoir, mes chers collègues, c’est de penser à l’intérêt de l’enfant, plutôt qu’au désir de l’adulte, qui a manifestement perdu la raison.

Dès lors, ce qui est scientifiquement possible n’est pas forcément éthiquement acceptable.

À force d’être en marche perpétuelle, à force de ne plus être rattachés à rien, de n’avoir plus aucun repère, auriez-vous perdu à ce point l’esprit en traitant de l’éthique de l’homme et de la vie comme vous traiteriez du plus anecdotique des textes de nos lois ?

Vous êtes en train de détruire le dernier et le plus important pilier que l’on retrouve dans toutes les civilisations, celui du droit de l’enfant à naître au sein d’une famille gouvernée et protégée par sa mère et par son père. Sous couvert de liberté et d’égalité, nous piétinons la fraternité, l’altérité et la paternité.

Il s’agit là d’avoir une réflexion anthropologique de fond, et non d’assister à une énième succession de polémiques et de « coups » dits progressistes à visée électorale.

Nous sommes collectivement frappés, en matière d’écologie, par une remise en question liée aux désastres, que nous constatons en nous retournant, causés par l’homme sur son environnement.

Nous sommes frappés, en matière de mœurs, dans le cas de la récente affaire Matzneff, par une remise en question des dérives de ceux qui ont mené la révolution de mai 68 (Protestations sur les travées des groupes SOCR et CRCE.), demandé et obtenu de « jouir sans entraves ».

Ne serons-nous pas frappés, demain, par une remise en question sur la manière dont on a menti à des enfants sur leur filiation biologique, sur les circonstances légales qui auront permis, progressivement, la marchandisation des corps ?

Votre société faussement « inclusive » est en réalité une société oppressive, voire d’exclusion – exclusion du père, fragilisant l’enfant. Le droit à la vie, à la dignité et au respect est anéanti par un eugénisme rêvant d’un monde où l’on sélectionne ceux qui ont le droit de vivre et dans lequel le handicap est reçu comme une tare à supprimer.

Il est moche, votre mythe du progrès ! (Exclamations sur les mêmes travées. – Mme Patricia Schillinger proteste.)

Notre responsabilité est de permettre aux enfants de France de venir au monde et de grandir dans des conditions favorables, dans des familles où l’altérité permet la stabilité, où la complémentarité permet l’épanouissement, où l’égalité entre hommes et femmes peut enfin s’appliquer.

Par ailleurs, après les OGM, les manipulations de gamètes et d’embryons permettront aux laboratoires de proposer des HGM, des humains génétiquement modifiés. Face à cette découverte scientifique, qui est une folie sur le plan de l’éthique, nous sommes le dernier rempart !

Réalise-t-on ce qu’est la FIV, fécondation in vitro, post mortem ? La congélation d’un embryon, permettant qu’un enfant puisse naître en étant biologiquement orphelin, est une atteinte grave à l’enfant lui-même ! De ce progrès-là, nous ne voulons pas !

Replongeant dans nos racines grecques, nous comprenons l’hubris et la démesure comme un orgueil destructeur.

Voici revenu le temps des limites ! C’est pourquoi, comme à notre nation nous proposons des limites géographiques et comme dans le domaine de l’écologie nous proposons le localisme, sur le plan éthique et anthropologique nous vous exhortons à adopter le principe de précaution, de préservation, en refusant en conscience ce texte de loi qui ouvre la PMA pour les couples de femmes et les femmes seules.

Mes chers collègues, ne cédez pas aux ayatollahs d’une société sans racines, sans pères et sans repères ! (Protestations sur les travées des groupes SOCR et CRCE.) À la société de l’envie, préférons toujours la société de la vie ! (Mme Claudine Kauffmann et M. Sébastien Meurant applaudissent.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier le président et les rapporteurs de la commission spéciale pour la qualité de notre travail. Les nombreuses auditions menées ont permis de nous éclairer sur un certain nombre de sujets. Certains étaient complexes, d’autres sensibles, mais toutes ces auditions se sont déroulées dans un climat serein. Je remercie également Mmes les ministres d’avoir organisé des séminaires ouverts à tous les parlementaires.

La révision des lois de bioéthique nous confère une grande responsabilité sur l’avenir du genre humain, sur les limites que nous voulons poser pour définir ce qui est scientifiquement et techniquement possible, d’une part, et éthiquement souhaitable, d’autre part, pour ne pas dénaturer l’espèce humaine, pour ne pas « marchandiser » le vivant.

Toute avancée technique ne constitue pas en elle-même un progrès, et c’est à nous, en tant que législateurs, de mettre des garde-fous.

Il n’est pas toujours simple de se projeter dans l’exploration d’un monde inconnu, rendu perceptible par l’évolution des connaissances et des technologies, de dépasser certaines frontières sans s’affranchir des principes fondant notre société.

Comment continuer à avancer vers l’émancipation et le progrès sans basculer vers une dystopie, telle que décrite par Aldous Huxley dans Le Meilleur des mondes ?

Parlementaire communiste, je suis particulièrement sensible à ces deux aspects et résolument déterminée à faire obstacle aux forces financières et marchandes qui veulent faire voler en éclat notre modèle social et éthique.

J’en viens au texte lui-même, en centrant mon propos sur les droits humains, Éliane Assassi intervenant également pour notre groupe.

Ouvrir la PMA à toutes les femmes, qu’elles soient en couple avec une autre femme ou seules, est pour nous un acte fort, un réel pas en faveur de l’égalité. D’ailleurs, nous avions régulièrement déposé des amendements allant en ce sens sur des textes précédents.

C’est une avancée attendue, promise depuis des années, qui serait enfin obtenue après une longue bataille pour mettre fin à une discrimination, fondée notamment sur l’orientation sexuelle.

En ouvrant la PMA aux couples lesbiens, nous allons mettre fin à une inégalité hypocrite.

Hypocrite, car cette pratique est autorisée dans plusieurs pays voisins et de nombreuses femmes françaises se rendent chaque année à l’étranger pour pouvoir fonder une famille. Ainsi, à la discrimination reposant sur l’orientation sexuelle, s’en ajoutait une autre fondée sur l’argent, au regard du coût d’une PMA à l’étranger.

Hypocrite, car depuis 2013 et la loi sur le mariage pour toutes et tous, alors qu’il est possible pour les couples de même sexe d’adopter et, donc, d’être parents – cela reste néanmoins très difficile –, il n’était pas possible pour les couples de femmes d’avoir accès à la PMA.

Cet élargissement du droit à la PMA, dans un contexte où l’homophobie est encore très présente en France, peut donc contribuer à un peu plus d’égalité, en mettant fin à une sorte d’homophobie institutionnalisée. Comme l’a très justement dit l’une des représentantes d’associations LGBT que nous avons auditionnées, « la République doit protéger de la même façon tous les enfants ».

L’article 1er de ce projet de loi est donc majeur. Au sein du groupe CRCE, nous serions heureux et heureuses de pouvoir le voter. Mais c’est à la condition que l’amendement de la rapporteure Muriel Jourda, accepté en commission, soit supprimé. N’est-il pas une façon détournée d’exclure encore et toujours les couples de femmes et les femmes seules, puisque le remboursement de la PMA serait conditionné par le caractère pathologique ?

J’en viens à présent à l’autre grande avancée de ce texte : la levée de l’anonymat en cas de recours à l’AMP.

Là encore, cela répond à une demande légitime, de la part d’enfants nés par don, d’avoir accès à leurs origines, s’ils le souhaitent, à leur majorité. Nous avons entendu la souffrance qu’expriment un certain nombre d’entre eux d’être confrontés à un vide dans leur histoire personnelle. Ils pourront désormais le combler, s’ils en ressentent le besoin.

Dire cela, ce n’est pas dire que le géniteur est un père, un parent. Bien au contraire ! Dire cela, c’est reconnaître que, dans bien des familles hétérosexuelles, le silence, le tabou autour d’une conception par PMA peuvent être douloureux si l’enfant ne connaît pas toute son histoire.

Pour autant, et c’est essentiel, l’un de nos principes éthiques fondamentaux est garanti et préservé, puisque l’anonymat restera entre le donneur et le couple receveur.

Par ailleurs, nous saluons le fait que le texte fasse évoluer notre législation en faveur d’autres dons, que ce soit le don croisé d’organes pour les greffes rénales ou le don d’organes, de tissus et de cellules des majeurs protégés.

En leur permettant de donner leurs organes, à des fins scientifiques et médicales, et ainsi d’entrer dans le droit commun, nous allons vers une meilleure reconnaissance des majeurs protégés, tout en posant une limite éthique pour le prélèvement post mortem, sur adoption d’un amendement du rapporteur Bernard Jomier.

C’est typiquement ce genre de sujets qui nous a contraints à nous interroger pour déterminer où devait se situer la ligne rouge à ne pas franchir.

Autre sujet sensible sur lequel nous nous sommes interrogés : le diagnostic préimplantatoire.

Jusqu’à présent, et selon l’avis du CCNE et de professionnels que nous avons auditionnés, cette définition était relativement restrictive, et l’était encore plus au regard de l’évolution des techniques médicales.

J’entends bien les craintes exprimées par plusieurs de mes collègues sur les risques de dérive, de sélection, pour ne pas dire d’eugénisme. Mais je crois que la définition proposée ne nous conduit pas vers de tels écueils, tout en évitant à des femmes, à des couples déjà engagés dans une procédure lourde et difficile de connaître plus de complications en termes de santé ou de multiplier les fausses couches.

Là aussi, il me semble que nous sommes parvenus à un équilibre entre avancées scientifiques, droits nouveaux et principes éthiques garantis.

Je ne pourrais pas terminer mon intervention sans effleurer la problématique des enfants présentant une variation du développement sexuel, qui ne figurait pas dans le projet de loi initial.

Nous avions déjà eu l’occasion, dans le cadre de la délégation aux droits des femmes, de nous intéresser à ce sujet et de comprendre les difficultés de ces enfants, notamment de celles et ceux qui ont été opérés et à qui a été attribué un sexe ne correspondant pas à leur genre.

Même si, aujourd’hui, les opérations à la naissance sont de moins en moins pratiquées, nous pensons, au groupe CRCE, qu’il faut aller plus loin et les interdire, sauf en cas de nécessité médicale.

Ce texte, effectivement, a pu nous bousculer dans nos certitudes, nous plonger dans un futur fantasmatique parfois proche de la science-fiction, tant les évolutions médicales et scientifiques sont rapides, mais également dans un futur inquiétant, tant les appétits financiers sont sans limite dans un monde capitaliste où tout est prétexte à la marchandisation.

Dès lors, mes chers collègues, permettez-moi de conclure mon propos avec cette citation du philosophe Emmanuel Levinas : « Ne pas bâtir le monde, c’est le détruire. » (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. Daniel Chasseing. Monsieur le président, madame le ministre Agnès Buzyn, mes chers collègues, la société et la science évoluent. Il semble normal que la loi évolue, elle aussi, pour accompagner ces changements.

Pourtant, notre rôle n’est pas d’autoriser tout ce que la technique permet de réaliser. Nous devons sélectionner, parmi le champ des possibles, ce qui est souhaitable. C’est l’essence même de la politique !

« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme », écrivait l’auteur de Gargantua voilà presque 500 ans. Aussi, l’exercice de révision des lois de bioéthique est toujours un exercice périlleux, qui engage la responsabilité et la conscience de chacun d’entre nous.

Nous avons chacun nos convictions, et mon groupe respecte l’ensemble des sensibilités qu’il représente. Aussi, je m’exprimerai de façon personnelle et j’ai bien conscience de ne pas représenter la majorité des convictions de mon groupe, ce dernier restant très partagé sur ces questions. Les valeurs que je défends me semblent être celles d’un humanisme éclairé, animé par une vision pragmatique.

Je tiens tout d’abord à féliciter et remercier le président et les rapporteurs de la commission spéciale pour leur travail de grande qualité. Le texte adopté par la commission est le fruit d’un travail collectif, éclairé par les nombreuses personnes très compétentes qui ont été auditionnées.

À l’article 1er, je suis favorable à l’ouverture de la procréation médicalement assistée pour les femmes seules – monoparentalité choisie, et non subie – et les couples de femmes.

Comme, d’ailleurs, l’a indiqué l’Académie nationale de médecine, je pense qu’il est préférable pour l’équilibre de l’enfant de grandir avec un père et une mère. Pourtant, les situations réelles échappent souvent à ce qui serait l’idéal et j’ai constaté que, dans de nombreuses familles ne répondant pas à ce schéma, l’enfant se développe avec beaucoup d’amour et de façon normale.

Les familles monoparentales sont une réalité et les structures familiales d’aujourd’hui ne sont plus celles d’hier.

C’est un fait, environ 5 000 Françaises, chaque année, se rendent à l’étranger pour avoir recours à une AMP. Nous devons, à mon sens, sécuriser le parcours de ces femmes et leur permettre de réaliser un projet de maternité sur le sol national.

Pour autant, même si certains peuvent penser que ce n’est pas égalitaire, il ne revient pas à l’assurance maladie de prendre en charge cette technique lorsqu’elle n’est pas motivée par un critère médical.

Je suis donc favorable aux amendements adoptés par la commission spéciale visant à limiter la prise en charge de l’AMP par la solidarité nationale aux couples médicalement infertiles. Je pense également que nous devons préserver le dispositif d’évaluation médicale et psychologique des futurs parents ou de la future mère comme condition préalable à l’AMP.

Par ailleurs, la gestation pour autrui représente une ligne rouge en matière de bioéthique, que nous ne devons pas franchir. Les avancées sur la PMA pour les couples de femmes ne sauraient constituer un premier pas en direction de la GPA pour les couples d’hommes. Le ventre d’une femme n’est pas commercialisable – selon les termes mêmes de la Constitution de 1793 – et la reproduction n’est pas un nouveau facteur de production.

Je suis donc opposé à tout fléchissement de la législation en direction de la GPA.

Je suis favorable au maintien de l’anonymat des donneurs de gamètes, lorsque ces derniers ne souhaitent pas être identifiés par les enfants issus de leurs dons, comme je suis favorable à la communication systématique des données non identifiantes à ces mêmes enfants, lorsqu’ils en font la demande à leur majorité.

J’avais proposé un amendement de réécriture de l’article 3 en ce sens. Je remercie la commission spéciale de l’avoir repris et intégré dans le texte, conformément à l’avis du Conseil d’État.

Je considère que nous ne pouvons pas, dans un même texte, augmenter le nombre de demandeurs de gamètes en ouvrant l’accès à l’AMP, tout en ne respectant pas complètement l’anonymat des donneurs qui le souhaitent, ces derniers, je le rappelle, n’étant pas rémunérés en France. Je pense aussi qu’il est important de maintenir le consentement du conjoint du donneur, si ce dernier est en couple, comme le prévoit la législation actuelle et bien qu’elle soit parfois contournée.

Actuellement, les AMP avec tiers donneur ne représentent que 4 % des pratiques réalisées, mais ce chiffre est appelé à augmenter avec l’ouverture de cette pratique aux couples de femmes et aux femmes seules.

L’accès à l’AMP post mortem est une question difficile. Nous aurons l’occasion d’en débattre en séance. Je réserve mon vote sur cette question, bien que je sois a priori plutôt favorable, dans la mesure où la femme aurait de toute façon la possibilité d’effectuer une AMP en tant que femme seule par la suite.

Je suis favorable à l’autorisation de l’autoconservation des gamètes à des fins de prévention de l’infertilité, ainsi que le prévoit l’article 2 du projet de loi.

La commission a assoupli les conditions d’âge pour effectuer ces autoconservations. Il me semble que cela représente une avancée louable pour les patients et les patientes exposés à un risque particulier d’infertilité.

Encore une fois, je félicite la commission spéciale d’avoir adopté un amendement visant à élargir la conservation des gamètes aux établissements privés à but lucratif qui seront agréés par l’ARS (agence régionale de santé). Ces établissements représentent actuellement une grande part de l’activité d’assistance médicale à la procréation, comme souligné par l’un des rapporteurs.

Je suis favorable au diagnostic préimplantatoire élargi à la recherche d’anomalies chromosomiques au-delà des seules anomalies préalablement identifiées dans la famille. Comme l’a indiqué Corinne Imbert, il s’agit surtout d’améliorer la prise en charge des patientes ayant des interruptions de grossesse répétées, conformément à leur demande. Ce n’est pas de l’eugénisme. Le seul objectif consiste bien à améliorer l’efficience de l’AMP réalisée.

J’émettrai des réserves quant aux expérimentations sur les embryons chimériques animal-homme.

La commission a souhaité encadrer, à juste titre, cette possibilité, en prévoyant une limite de 50 % de cellules pluripotentes induites humaines dans un embryon d’animal, sans évoluer, bien sûr, vers la parturition.

Je suis favorable à l’interdiction d’expérimentations visant à introduire des cellules souches embryonnaires humaines dans un embryon animal, en accord avec la commission spéciale du Sénat. Le retour à un régime d’autorisation pour ces recherches bien spécifiques pourrait être préférable à une simple déclaration auprès de l’Agence de la biomédecine. Par ailleurs, le régime dérogatoire est nécessaire pour améliorer les recherches et encourager le progrès médical.

À l’article 14, la commission spéciale a fait le choix de porter à vingt et un jours le délai de culture in vitro des embryons consacrés à la recherche. Comme souligné précédemment, cette extension présente un intérêt scientifique pour appréhender le contrôle de la différenciation des cellules.

J’y suis favorable, à condition qu’il y ait bien une demande d’autorisation. Sinon il serait préférable d’en rester à la limite de développement de quatorze jours prévue dans le projet de loi initial. En effet, nous savons qu’à partir de ce stade de quatorze jours les premières cellules ectodermiques apparaissent, préfigurant l’élaboration du cerveau.

Je suis favorable à l’abaissement à 17 ans de l’âge légal pour pouvoir donner du sang, tout comme à la création d’un statut, honorifique, de donneur d’organe.

Madame le ministre, je souhaite aussi attirer votre attention sur la prévention du trafic d’organes humains ; il me semble que la France n’a pas encore ratifié le traité de Saint-Jacques-de-Compostelle à ce sujet, contrairement à bon nombre de nos voisins.

Je défendrai des amendements pour sécuriser et favoriser les dons d’organes. En effet, 100 à 200 personnes meurent en France faute de greffons.

Aussi, je proposerai la création d’une liste prioritaire de greffe de rein pour les donneurs de leur vivant qui auraient, par la suite, un besoin vital d’un greffon. Cette situation est, bien sûr, extrêmement rare, mais elle constitue souvent un frein psychologique au don de rein.

Je proposerai également un amendement visant à renforcer l’information du receveur sur les caractéristiques de l’organe qui lui sera greffé, en amont de l’opération.

Madame le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi, amendé par la commission spéciale, apporte des avancées que je considère comme positives pour notre pays. Il permet d’adapter, dans un sens pragmatique et utile, le développement de la biomédecine à l’évolution sociétale. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants. – M. Yvon Collin applaudit également.)