M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. S’agissant notamment de l’extension de l’AMP, nous arrivons tous avec des avis, des opinions fondés sur des éléments que l’on peut parfois entendre, mais qui sont en fait totalement en décalage avec la réalité.

Cela a souvent été dit, l’opinion publique aurait déjà tranché l’affaire, en indiquant, par le biais de sondages, qu’elle était favorable à l’extension de l’AMP. Cependant, si les sondages indiquent effectivement que plus de 60 % des personnes sondées sont favorables à l’extension de l’AMP aux femmes seules et aux couples de femmes, ils nous apprennent également que plus de 80 % d’entre elles estiment qu’un enfant a besoin d’un père et d’une mère… En réalité, je pense que les Français sont attentifs aux souhaits de ces femmes et estiment leur désir respectable, mais ils sont également soucieux du devenir des enfants. Nous ne pouvons donc tirer aucune conséquence des sondages.

On a aussi beaucoup employé les mots d’égalité et de discrimination, qui recouvrent des notions juridiques. La discrimination, c’est le fait de traiter différemment des gens qui se trouvent dans des situations différentes. Face à la procréation, les couples de femmes ne sont pas dans la même situation que les couples hétérosexuels. Ce n’est pas moi qui le dis : c’est la Cour européenne des droits de l’homme, le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel. Cette question de droit a été tranchée et cela figure dans l’étude d’impact du Gouvernement de façon tout à fait explicite.

Dans les médias, le débat est souvent quelque peu caricaturé : il y aurait d’un côté les tenants du progrès et de la modernité, de l’autre de vils conservateurs.

Je voudrais rappeler le travail accompli par le Parlement depuis des dizaines d’années : il a adopté l’exercice conjoint de l’autorité parentale, la résidence alternée, le congé de paternité, le congé parental. À chaque fois, les débats ont été motivés par l’intérêt de l’enfant, qui est notamment que le père soit le plus présent possible dans sa vie. Il n’a donc pas toujours été considéré qu’accorder une grande importance à la présence du père dans la vie de l’enfant procédait d’une vision conservatrice.

Dans ce débat, nous devons, me semble-t-il, nous défaire d’un certain nombre d’idées reçues, afin de pouvoir faire la part des choses entre l’intérêt de la société et les droits individuels, ainsi qu’entre l’intérêt de femmes qui souhaitent, de façon légitime, avoir un enfant et l’intérêt des enfants à naître. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Loïc Hervé applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. René Danesi, sur l’article.

M. René Danesi. Le projet de loi relatif à la bioéthique vise à inscrire dans le marbre du droit l’une des trop nombreuses promesses de campagne du Président de la République, à savoir l’élargissement de l’accès à la procréation médicalement assistée aux couples de femmes et aux femmes seules.

Pour faire bonne mesure, les députés ont bien précisé que la PMA ne peut faire l’objet d’aucune « différence de traitement, notamment au regard du statut matrimonial ou de l’orientation sexuelle des personnes ».

Dans sa hâte à légiférer dans le sens « progressiste », l’Assemblée nationale a laissé au Sénat le soin de réintroduire dans le texte la situation pathologique ouvrant aujourd’hui accès à la PMA, afin que ce critère puisse continuer à s’appliquer aux couples hétérosexuels obligés d’y recourir pour cause d’infertilité.

Toujours pour faire bonne mesure, l’Assemblée nationale a décidé la prise en charge de la PMA par la sécurité sociale, quels que soient les demandeurs et leurs motivations. On dérembourse l’homéopathie à cause d’un prétendu manque d’efficacité, mais on rembourse la PMA non thérapeutique, c’est-à-dire pour convenance personnelle. Il appartiendra au Sénat, sur l’initiative de la commission spéciale, d’exclure le remboursement pour les couples hétérosexuels fertiles, les couples de femmes et les femmes seules.

Reste le problème de fond : soumettre l’engendrement par PMA d’un être humain à un simple projet parental est discutable ; la légalisation de la filiation volontairement sans père est invraisemblable. Dans notre société si éprise d’égalité et de justice, comment ne pas voir l’injustice infligée à des enfants qui n’auront pas de lignée paternelle ? Telle est la raison pour laquelle je voterai pour la suppression de l’article 1er.

Il y a aussi le spectre de la gestation pour autrui. À chaque fois, le Gouvernement proclame haut et fort que l’« avancée sociétale » qu’il veut faire voter sera la dernière. Mais après le PACS, on a eu le mariage pour tous…

C’est ainsi que la GPA est déjà en marche. En octobre dernier, la Cour de cassation a reconnu aux partenaires d’un couple d’hommes le droit d’être tous les deux inscrits à l’état civil français comme parents d’un enfant né à l’étranger d’une gestation pour autrui. La philosophe de gauche Sylviane Agacinski a déclaré au Sénat que cet arrêt de la Cour de cassation était « le cheval de Troie des partisans de la GPA en France ».

C’est pourquoi, malgré les améliorations que le Sénat apportera à ce projet de loi, je voterai contre, car il porte en germe, pour demain, la marchandisation du corps des femmes des pays pauvres, et, pour après-demain, l’eugénisme, c’est-à-dire la sélection d’enfants parfaits.

II y a plus de quatre siècles, Michel de Montaigne écrivait déjà, dans ses Essais : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme. » (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, sur l’article.

Mme Laurence Cohen. S’il est des dispositions de ce projet de loi qui m’ont amenée à m’interroger, à douter, celles de l’article 1er n’en font absolument pas partie.

Je milite depuis longtemps, comme d’autres, pour l’élargissement de l’accès à la PMA à toutes les femmes, notamment aux couples de femmes. Pour moi, c’est clairement et indéniablement une mesure d’égalité. Ce n’est pas, comme le pensent certains ou certaines, une mesure de compromission, une de ces mesures par lesquelles nous saperions le socle commun étape après étape : d’abord le PACS, puis le mariage et l’adoption pour les couples de même sexe, enfin la PMA. À mes yeux, cette mesure n’est pas une marche d’un escalier que l’on descendrait pour aboutir à la déchéance de la société. Au contraire, je l’envisage comme une marche d’un escalier que l’on monte pour atteindre l’égalité…

J’espère sincèrement, mes chers collègues, que nos débats sur les articles seront dignes. J’ai encore trop présents à l’esprit les discussions houleuses et nauséabondes qui se sont tenues, dans nos hémicycles et dans la rue, lors de l’examen de la loi instaurant le mariage pour tous, les mots qui blessent, notamment à l’adresse des personnes LGBT. Près de sept ans après le vote de cette loi, j’ai le souvenir très vif d’avoir contribué à l’adoption d’une mesure emblématique – l’une des rares qui amènent un droit nouveau, la fin d’une discrimination.

L’un des arguments avancés pour combattre l’extension de la PMA est qu’il importe de faire barrage à la GPA. Je suis moi aussi contre la GPA, mais le parallèle avec la PMA n’est pas de mise. Je le redis, la PMA est autorisée pour les couples hétérosexuels. Il s’agit donc d’en finir avec une injustice envers les couples lesbiens. La GPA, en revanche, est interdite en France pour tout le monde, car les valeurs de notre modèle sont incompatibles avec cette forme de marchandisation, d’exploitation des ventres des femmes. Il n’y a pas en l’espèce de rupture d’égalité envers quiconque. La PMA est un progrès médical et social ; même encadrée, la GPA est à mon sens une violence faite aux femmes. Je ne crois pas du tout à une GPA « éthique ».

Pour conclure, je voudrais souligner que les modifications apportées par la rapporteure Muriel Jourda me semblent dévoyer l’esprit du projet de loi initial. Il serait plus que regrettable que le texte issu des travaux de la Haute Assemblée limite et conditionne le principe même de cette belle mesure d’élargissement de l’accès à la PMA. (Applaudissements sur des travées du groupe CRCE. – Mme Michelle Meunier applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. André Reichardt, sur l’article.

M. André Reichardt. Cet article contient la mesure phare du projet de loi. Je tenais à intervenir à cet instant, ne serait-ce que pour montrer que, contrairement à ce que j’ai pu lire ce week-end dans un grand quotidien national qui reprenait une admonestation de la philosophe Sylviane Agacinski, les parlementaires ne sont ni indifférents, ni inconscients, ni lâches, car peinant « à aller à rebours d’un mouvement qui se dit progressiste, craignant d’être traités de réacs ou d’homophobes ».

Pour ma part, je tiens à dire ici haut et fort que je comprends la souffrance de certains de mes compatriotes de ne pas avoir d’enfant : en premier lieu les célibataires, puis les couples dont la stérilité n’a pu être soignée, enfin les couples composés de deux personnes du même sexe.

Pour autant, vouloir soigner cette souffrance par une conception médicalement assistée qui prive délibérément de père les enfants à naître reviendrait à dénier au père tout autre rôle que celui de simple géniteur, à nier la différence et la complémentarité des sexes, ainsi que le besoin de l’enfant de savoir qu’il est né de la relation amoureuse d’un homme, son père, et d’une femme, sa mère, de les connaître et d’être élevé par eux, comme stipulé dans la charte des Nations unies relative aux droits de l’enfant. Les arguties sémantiques autour du terme « parents », qui désigne bien évidemment le père et la mère, et non les « parents d’intention » – qu’est-ce d’ailleurs que ce nouveau concept ? –, et les bricolages juridiques permettant à deux mères de déclarer le même enfant n’effaceront pas la spoliation délibérée du père permise par ce projet de loi. C’est pour moi une première raison de voter contre l’article 1er.

En outre, cet article est le vrai marqueur d’un projet de loi qui, dans sa globalité, comporte d’autres dérives également graves pour notre société : l’ouverture d’un marché de la procréation, le dévoiement de la mission de la médecine, avec un glissement d’une médecine qui soigne et guérit vers une médecine devant répondre à des désirs individuels, enfin la « chosification » de l’embryon humain.

À mes yeux, le dispositif actuel de l’article 1er constitue, j’ose le dire, une ligne rouge que nous ne devons pas franchir. J’en demanderai tout à l’heure la suppression par voie d’amendement. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre Monier, sur l’article.

Mme Marie-Pierre Monier. Ce projet de loi suscite des débats vifs et passionnés. Il soulève, comme tous les textes bioéthiques qui l’ont précédé, de nombreuses interrogations, car il touche à des enjeux complexes, empreints de vécus, de points de vue dépassant les clivages habituels. Il est crucial de parvenir à échanger de manière apaisée et sereine, dans le respect de chacune et de chacun.

L’article 1er vise à donner à toutes les femmes le même droit à accéder à la PMA, sans discrimination liée à leur orientation sexuelle, à leur statut matrimonial ou à leur identité de genre. Je tiens à le redire, les Françaises et les Français y sont prêts : les deux tiers de la population s’y déclarent favorables. Si je me réjouis que nous, parlementaires, puissions enfin examiner cette mesure très attendue par de nombreuses femmes et de nombreuses familles, qui permettra à la France de rejoindre les pays européens l’ayant précédée sur ce chemin – la Belgique, l’Espagne, les Pays-Bas –, je regrette qu’il ait fallu tant de temps pour en arriver là.

Cette extension de la PMA permettra de sécuriser le parcours de toutes les femmes qui doivent actuellement se rendre à l’étranger pour y avoir recours, dans une démarche coûteuse et éprouvante et dans des conditions médicales parfois loin d’être optimales. Notre devoir est d’apporter la sécurité, y compris médicale, à ces femmes et à ces familles. Il s’agit aussi et surtout de sécuriser la situation de nombreux enfants, en rendant plus facile la filiation avec leur deuxième parent.

Je tiens à saluer ici le courage et la détermination dont ont fait preuve celles et ceux qui, par leur lutte, ont permis que nous examinions ce texte aujourd’hui. Ne nous laissons pas entraîner dans de faux débats caricaturaux. Ne nous y trompons pas : l’ouverture de la PMA à toutes les femmes, c’est l’égalité effective par les droits, l’absence de hiérarchie entre les modèles familiaux, le droit des femmes à disposer librement de leur corps, le droit au meilleur choix possible, pour leur enfant et pour elles-mêmes.

Ce droit doit être accessible à toutes, car un droit auquel seules quelques-unes auraient accès du fait de leurs revenus ne serait pas un droit effectif. C’est la raison pour laquelle il convient de réintroduire le remboursement de la PMA par la sécurité sociale. Mes chers collègues, soyons à la hauteur de l’enjeu et des générations futures ! (Applaudissements sur des travées du groupe SOCR.)

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, sur l’article.

Mme Esther Benbassa. Le présent article ouvre l’accès à la procréation médicalement assistée aux couples de femmes et aux femmes seules. Nous ne pouvons bien évidemment que nous féliciter de ce progrès, que j’appelle de mes vœux depuis plusieurs années, ayant demandé par trois fois la légalisation de la PMA pour les couples de lesbiennes, en 2012, en 2014 et en 2016. Loin de mener à la marchandisation du corps dont nous menacent certains conservateurs, cette mesure rétablira simplement un peu d’égalité dans notre système de santé.

Comment expliquer que la France, à la pointe des droits en matière de bioéthique et de revendications LGBT, ait attendu si longtemps pour permettre aux couples de femmes et aux femmes seules une pratique déjà ouverte aux femmes en couple hétérosexuel depuis 1994 ?

Le dispositif qui nous est proposé est pour l’heure imparfait ; c’est au Sénat d’y remédier. L’Assemblée nationale a refusé le principe de la PMA post mortem et l’ouverture de la PMA aux personnes transgenres : nous amenderons le texte afin d’y ajouter ces dispositions.

La droite sénatoriale est revenue, en commission, sur le caractère remboursable par la sécurité sociale de la PMA et a ajouté qu’il serait nécessaire de souffrir d’infertilité pour pouvoir y recourir : nous tenterons de revenir sur ces positions iniques, qui ne vont pas dans le sens du progrès.

Mes chers collègues, je vous rappelle une nouvelle fois que 65 % de nos concitoyennes et concitoyens sont favorables à l’ouverture de la PMA aux couples de même sexe. Ne l’oublions pas : la France nous écoute ! (Mme Laurence Cohen applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, sur l’article.

M. Pierre-Yves Collombat. Vu le temps qui m’est imparti, je m’en tiendrai à l’essentiel, bien que les « bizarreries » et les incohérences ne manquent pas dans ce texte.

S’il n’autorise pas encore la gestation pour autrui, ce projet de loi lui ouvre tout grand les portes, ainsi que, surtout, à la marchandisation de l’enfant. La nouveauté introduite par le texte, en effet, c’est l’autorisation en France de la « conception pour autrui », la CPA, autrement dit de la fabrication d’un enfant à partir de gamètes n’appartenant à aucun de ses parents légaux : c’est autre chose, donc, que l’« assistance à la procréation » de l’actuel code de la santé publique, la PMA.

Il est donc faux d’affirmer que l’on se contente « d’élargir l’accès aux techniques disponibles sans s’affranchir de nos principes éthiques ». On s’en affranchit, en effet, en faisant simplement disparaître un bout de l’actuel article L. 2141-3 du code de la santé publique, selon lequel l’embryon « ne peut être conçu avec des gamètes ne provenant pas d’un au moins des membres du couple ». L’embryon se trouve ainsi transformé en produit, et donc, potentiellement, en marchandise lestée d’un prix et inévitablement objet d’une sélection.

Certes, les gamètes nécessaires à la fabrication de l’embryon et l’embryon lui-même sont censés ne provenir que de dons – une protection juridique parfaitement illusoire, comme le montre l’explosion de la bio-industrie partout dans le monde.

Qui, en effet, faute d’offre suffisante, empêchera le trafic de gamètes et d’embryons et les gratifications, officielles ou occultes, des opérateurs, dont il faudra bien rétribuer les services et les choix ayant présidé à l’« appariement » entre donneurs et receveurs ? Qui sait d’ailleurs jusqu’où ira cette obsession de la ressemblance et quels chemins elle prendra ?

La logique du broyeur libéral étant de transformer en marchandise, outre les produits de l’activité des hommes, leur travail, l’environnement et le vivant, autoriser la création puis la transplantation d’embryons sans lien autre que fantasmé avec les receveurs, c’est ouvrir tout grand la porte à la marchandisation de l’enfant.

Préférant le rôle de « conservateur humaniste » prudent à celui de « progressiste mercantiliste », je ne voterai pas un texte dont personne aujourd’hui ne peut mesurer les conséquences. Je laisse à d’autres la responsabilité de ce progrès ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Sophie Joissains et M. Michel Amiel applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier, sur l’article.

M. Guillaume Chevrollier. Les questions relatives à notre condition humaine, à la filiation, au corps humain et à la bioéthique sont à la fois complexes, fondamentales et intimes.

On dit souvent que les questions de bioéthique relèvent des convictions personnelles. Je ne suis pas tout à fait d’accord, dans la mesure où notre rôle, en tant que législateur, est de dénoncer toutes les menaces qui pèsent dès aujourd’hui sur les êtres humains et qui pèseront demain sur les générations futures. Alors que la médecine devient de plus en plus puissante, nous prenons de moins en moins de précautions, qu’elles soient intellectuelles, sociales ou humaines, pour limiter les tentations des chercheurs et encadrer le progrès afin qu’il serve non pas le progrès, mais l’homme.

Notre rôle n’est pas d’organiser la satisfaction des désirs personnels, quelque compréhensibles et respectables soient-ils, mais de servir le bien commun et de défendre les plus vulnérables, à savoir, en l’occurrence, l’enfant.

J’ai cosigné l’amendement visant à supprimer l’article 1er, qui donne à toutes les femmes, qu’elles soient célibataires ou en couple, le droit à la PMA. Trop de questions, en effet, restent en suspens, et nous ne saurions légiférer trop vite, sans visibilité, sans appréhension réelle des conséquences des bouleversements que ce texte vise à engager.

Nous allons modifier en profondeur la filiation et supprimer le père du modèle légal de filiation. Du point de vue des enfants, cela signifie que nous institutionnalisons, par la loi, l’absence de père.

En outre, la PMA ne nous mènera-t-elle pas inévitablement à la GPA, via la marchandisation du corps humain, au nom du principe d’égalité ? Ne faut-il pas, en l’espèce, appliquer le principe de précaution ?

L’abandon de la visée thérapeutique pose également question quant au sens de la médecine. La médecine doit-elle répondre aux désirs sociétaux ? N’assiste-t-on pas à un détournement de la mission de la médecine ?

Toutes ces questions étant laissées sans réponse, je voterai contre la PMA pour toutes, dans l’intérêt, supérieur ou pas, de l’enfant. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny, sur l’article.

M. Yves Daudigny. Les évolutions rapides des techniques médicales posent des questions qui expriment un conflit entre les diverses représentations du vivant : quelle attitude adopter devant certaines innovations technologiques ? Qu’autoriser ? Qu’interdire ? Que contrôler ?

Telles sont les questions que soulève ce projet de loi relatif à la bioéthique, à commencer par son volet concernant l’ouverture de l’aide médicale à la procréation aux couples de femmes et aux femmes seules.

Aujourd’hui, l’AMP est réservée aux seuls couples hétérosexuels, mariés ou non, souffrant d’infertilité pathologique ou présentant un risque de transmission d’une maladie génétique grave ; 24 000 enfants naissent ainsi chaque année. Avec ce projet de loi, la demande d’AMP s’inscrit dans une revendication de liberté et d’égalité dans l’accès aux techniques pour répondre à un désir d’enfant. Elle fait émerger d’autres questions, telles que celles des conséquences d’une ouverture du dispositif sur la relation des enfants à leurs origines ou de la rareté actuelle des dons de gamètes.

Chaque année, entre 2 000 et 4 000 femmes ont recours à l’AMP à l’étranger. Nous ne sommes donc pas devant un changement de civilisation ; ces familles existent déjà. Comme souvent, la pratique a devancé le droit et les représentations symboliques.

Qu’est-ce qu’une famille aujourd’hui ? Cette question cristallise un certain nombre de tensions. Certains considèrent qu’il faut protéger l’enfant de l’absence de père, que c’est par un rapport sexuel entre un homme et une femme que l’on engendre un enfant, que, dès lors, la famille se compose « d’un papa et d’une maman ».

C’est, d’abord, faire peu de cas des familles monoparentales, qui représentent un quart des familles françaises. Le modèle classique des parents mariés qui élèvent les enfants qu’ils ont eus ensemble n’est plus majoritaire en France, soulignait l’Insee dans une étude publiée mardi dernier.

C’est, ensuite, un préjugé. La filiation est un fait social et culturel, et non une vérité biologique. C’est cette vérité sociale qui fonde l’humanité, avec ses réussites, ses failles, ses faiblesses. Je ne crois pas en une éthique de la nature identifiant la morale au naturel. Nous pouvons fonder la filiation sur une base plus solide que la seule procréation : procréer est un acte biologique ; être parent est un acte social, affectif, institutionnel. Ainsi, l’ouverture du droit à l’AMP mettrait fin à une forme de discrimination : toute femme pourrait envisager de devenir parent, indépendamment de sa situation maritale et de son orientation sexuelle.

Il y a là une avancée sociale majeure. Vous l’aurez compris, mes chers collègues : je voterai avec conviction l’article 1er. (Applaudissements sur des travées du groupe SOCR. – Mme Patricia Schillinger applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, sur l’article.

M. Daniel Chasseing. Nous rencontrons d’ores et déjà, dans nos territoires, des personnes qui se sont rendues à l’étranger pour y avoir recours à la PMA. Cela vient d’être dit : chaque année, 4 000 femmes se rendent à l’étranger pour ce motif. Ces familles sont souvent très aimantes – c’est en tout cas l’expérience que j’ai faite.

L’Académie nationale de médecine et des pédopsychiatres indiquent qu’il serait préférable, pour le développement de l’enfant, que ce dernier ait un père et une mère. Malgré ces réserves, la société reconnaît désormais de nouvelles formes de parentalité avec les familles homoparentales ou monoparentales.

Je rappelle que ces familles peuvent déjà adopter. Or l’adoption, comme le recours à la PMA, requiert l’intervention d’une équipe pluriprofessionnelle, qui rencontre la ou les personnes concernées. Un examen psychologique préalable est également pratiqué. Il ne faut donc pas donner à croire que toutes les demandes seront acceptées.

Ces évolutions me paraissent tout à fait acceptables dans la mesure où il s’agit de projets organisés. La monoparentalité, en particulier, doit être choisie, et non subie. L’ouverture de l’AMP aux couples de femmes et aux femmes seules ne me semble en aucun cas constituer un premier pas, comme le dit Mme Agacinski, vers l’autorisation de la GPA, que je considère, d’un point de vue éthique, comme une limite infranchissable.

Je suis donc favorable à l’article 1er tel qu’il a été adopté par la commission spéciale, qui prévoit de limiter la prise en charge des AMP par l’assurance maladie à celles qui sont réalisées pour des raisons d’infertilité médicale. Je suis également favorable, comme je viens de le dire, à une évaluation psychologique et sociale préalable à toute AMP. Je ne pense pas qu’une telle évolution soit contraire à l’intérêt de l’enfant. (M. Alain Fouché applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, sur l’article.

M. Roger Karoutchi. Si quelqu’un, dans cet hémicycle, détient la vérité, qu’il nous transmette les coordonnées de celui qui la lui a révélée ! (Sourires.) J’ai assisté à la plupart des auditions, et tout ce que je sais, au bout du compte, c’est que, tel Jean Gabin, je ne sais rien…

M. Pierre-Yves Collombat. Comme Jean Gabin, et comme Socrate !

M. Roger Karoutchi. Je veux dire par là qu’il n’a été démontré par personne, en réalité, que la vie de l’enfant est plus heureuse ou moins heureuse selon qu’il est venu au monde dans telles ou telles conditions. Il y a seulement des avis.

Je l’ai dit : je voterai l’article 1er, tout en refusant absolument le droit à l’enfant ou la GPA. Cela étant, votons-nous les lois en fonction de nos convictions personnelles, de ce que nous sommes ? Non ; en tout cas, pas moi. Je suis issu d’une famille très religieuse, très pratiquante ; s’ils étaient encore vivants, il est probable que mes honorables parents s’opposeraient fermement à une évolution qu’ils jugeraient diabolique. De formation, donc, je serais plutôt enclin à déclarer « vade retro satanas ». (Nouveaux sourires.)

En réalité, je vote la loi, quel que soit le sujet, en fonction non pas de mes convictions personnelles, mais de mon intime conviction quant à ce qui peut être le mieux ou en tout cas le moins mauvais possible pour l’évolution de la société.

J’ai entendu certains dire qu’ils auraient aimé être là en 1975 ; pour ma part, je ne revendique pas cet honneur, qui me vieillirait de quelques années, mais j’ai le souvenir d’autres débats, plus récents, parfois extrêmement durs. On nous annonçait une révolution sociétale absolument abominable ; il ne s’est, en définitive, pas passé grand-chose.

En vérité, je ne me sens pas le droit d’intervenir dans la vie privée des gens si l’ordre social n’est pas remis en cause. J’ai voté, en commission, un certain nombre d’amendements visant à encadrer, à limiter le recours à la PMA, mais je voterai l’article 1er. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)