M. Jean-François Husson. C’est insuffisant !

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire dÉtat. Cela inclut également 100 000 rénovations par an de logements sociaux.

Les moyens sont nombreux et complémentaires entre eux. Je pense notamment au nouveau dispositif MaPrimeRénov’ qui fusionne, depuis le 1er janvier 2020, le crédit d’impôt pour la transition énergétique (CITE) et l’aide « ANAH-Habiter mieux agilité » pour les ménages les plus fragiles. Cette aide est versée dès la fin des travaux ; il n’y a donc plus de décalage entre ceux-ci et l’aide reçue – auparavant, le crédit d’impôt pouvait n’intervenir qu’un an et demi après les travaux.

Je pense aussi à la mobilisation des certificats d’économies d’énergie, notamment les « Coups de pouce ». Ces certificats d’économies d’énergie apportent des moyens importants, en finançant des investissements et en soutenant des programmes de détection et d’accompagnement des ménages. Ces dernières années, les certificats d’économies d’énergie dits « de précarité énergétique » ont représenté un financement d’environ un milliard d’euros par an. En 2019, le Gouvernement a modifié le dispositif « Coup de pouce économies d’énergie » financé par les certificats d’économies d’énergie de façon à renforcer très fortement les aides pour les changements de moyens de chauffage et les travaux d’isolation.

Ces évolutions ont eu un fort effet d’entraînement, en particulier pour les ménages modestes, pour lesquels ces coups de pouce sont bonifiés : 275 000 changements de chaudières, dont 103 000 en remplacement du fioul, et 750 000 isolations de combles et de planchers bas ont été engagés en 2019. Un ménage qui remplace une chaudière au fioul par une pompe à chaleur voit sa facture annuelle de chauffage baisser de 1 000 euros en moyenne.

Grâce aux seuls changements de chaudière, les ménages économisent 175 millions d’euros chaque année sur leurs factures et l’émission de près de 800 tonnes de CO2 est évitée. Grâce aux mesures sur l’isolation, les économies sont estimées à environ 300 millions d’euros sur les factures et 700 tonnes de CO2 évitées.

Enfin, l’éco-prêt à taux zéro a été fortement simplifié en 2019 : il peut désormais assurer le financement d’un seul geste de rénovation sans notion de bouquet de travaux.

Vous l’aurez compris, l’information et l’accès à un conseil personnalisé sont des clés de la mobilisation des bénéficiaires et font donc l’objet d’une action toute particulière.

Les efforts d’information et de conseil à destination de l’ensemble des acteurs sont coordonnés sous une bannière unique, « FAIRE », pour laquelle nous souhaitons des adhésions les plus larges possible. Cette charte est aujourd’hui signée par plus d’une centaine d’acteurs et nous avons proposé aux collectivités locales, notamment aux régions, aux départements et aux établissements publics de coopération intercommunale, de s’engager avec nous sur la pérennisation et l’amélioration des plateformes d’information et de conseil à travers un programme de certificat d’économies d’énergie qui permet de financer ces plateformes à hauteur de 200 millions d’euros pour les trois prochaines années.

Le débat d’aujourd’hui nous invite à aller encore plus loin. C’est ce que nous allons faire.

Sur la rénovation des bâtiments, il nous faut à la fois rendre nos dispositifs de soutien encore plus efficaces dans leur conception et plus ciblés vers nos concitoyens les plus fragiles, en particulier en renforçant la détection et l’accompagnement des ménages en situation de précarité énergétique.

Pour 2021, nous finirons la transformation du CITE en prime pour y inclure les ménages qui bénéficient encore du crédit d’impôt. En 2021 aussi, nous étendrons ce nouveau système aux bailleurs et nous le rendrons plus facile d’accès pour les copropriétés, où habitent nombre de ménages en situation de précarité énergétique.

Nous continuerons à mobiliser les programmes de certificats d’économies d’énergie pour tester des innovations qui visent à réduire le coût des rénovations et à les généraliser. À titre d’exemple, le dispositif continuera à soutenir le déploiement en France du programme EnergieSprong dans les logements sociaux, mais aussi dans le parc privé et les bâtiments éducatifs.

Plus largement, nous devons viser à moyen terme l’éradication des passoires thermiques, y compris celles du parc locatif privé. La loi relative à l’énergie et au climat a fixé un cadre clair : elle fixe l’exigence d’une performance énergétique minimale à respecter à partir du 1er janvier 2023 pour que le logement puisse être qualifié de décent, et donc mis en location.

Avant 2028, les propriétaires de passoires thermiques devront avoir réalisé des travaux d’amélioration de la performance énergétique permettant à leur logement d’atteindre au moins la classe E. La loi relative à l’énergie et au climat doit ainsi conduire à l’éradication des logements de classe F et G d’ici au 1er janvier 2028 pour les maisons individuelles et la plupart des copropriétés et d’ici au 1er janvier 2033 pour les copropriétés confrontées à des difficultés particulières.

Ces mesures et obligations seront rendues possibles en prenant appui sur le nouveau diagnostic de performance énergétique (DPE) qui, grâce à une concertation et un travail avec les professionnels, sera amélioré pour le rendre fiable et opposable en 2021.

La première période de la programmation pluriannuelle de l’énergie, qui court jusqu’en 2023, permettra d’analyser plus finement la composition du parc de logements et de mieux connaître les propriétaires de passoires thermiques. À la lumière de ces études et des résultats obtenus durant la phase d’incitation, des sanctions en cas de non-respect des obligations de travaux d’ici à 2028 pourront être définies en 2023 dans le cadre de la loi de programmation quinquennale sur l’énergie.

En conclusion, j’aimerais réaffirmer l’engagement du Gouvernement : les ménages les plus vulnérables ne doivent pas être laissés sur le côté et la transition écologique doit être également solidaire. Ces actions concrètes et les projets pour les prochains mois montrent que le soutien aux plus vulnérables est au cœur de nos préoccupations et de nos actions.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, bien que louable dans son objectif, ne me semble pas la meilleure manière de lutter contre la précarité énergétique. Le désaccord avec cette proposition de loi ne signifie pas que nous ne partageons pas ses objectifs ; il signifie simplement que nous proposons d’autres moyens, plus efficaces, pour concilier allégement des factures des plus vulnérables et incitation au changement des comportements. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Daniel Gremillet. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord remercier Fabien Gay d’avoir demandé l’inscription de cette proposition de loi à notre ordre du jour. Ce texte pose en effet une question très importante.

Pour atteindre l’objectif de neutralité carbone que nous avons adopté dans le cadre de la loi relative à l’énergie et au climat, chacun doit disposer des moyens de réaliser concrètement la transition énergétique. Or la précarité énergétique est un phénomène en hausse : dans un récent rapport, l’Observatoire national de la précarité énergétique a ainsi évalué à 6,8 millions le nombre de personnes concernées en 2019 ; ce chiffre est en augmentation de 233 000 par rapport à 2018, ce qui est particulièrement inquiétant.

Cette situation n’est pas admissible : elle est à la fois socialement préoccupante, économiquement inefficace et écologiquement préjudiciable. Dans le contexte de crise climatique que nous connaissons, les ménages ne doivent pas subir les contrecoups de la transition énergétique – souvenons-nous des conséquences à la fin de 2018 et au début de 2019 des décisions prises par le Gouvernement en ce qui concerne la trajectoire carbone (M. Jean-François Husson renchérit.) –, mais au contraire en être les fers de lance.

C’est pourquoi nous devons être très attentifs au poids de l’énergie dans le portefeuille des Français : sur ce point, rappelons que la fiscalité énergétique atteint 3 000 euros par an et par ménage, jusqu’à 4 000 euros en zone rurale, et que le transport et l’énergie représentent 30 % du budget des propriétaires, jusqu’à 40 % pour les locataires.

M. Daniel Gremillet. Si nous partageons tous ici, mon cher Fabien Gay, l’objectif de lutte contre la précarité énergétique visé par la présente proposition de loi, les évolutions qu’elle emporte ne sont pas satisfaisantes.

En premier lieu, la consécration de l’énergie comme un droit fondamental présente un caractère largement incantatoire.

Ensuite, l’application tout au long de l’année de la trêve hivernale comporte un effet d’aubaine évident sans apporter de véritable réponse de fond.

En outre, les réductions de TVA, de CSPE et de TICGN ne sont pas conformes au droit européen qui prohibe la différenciation des taux selon la situation des ménages.

Enfin, la demande de rapport apparaît comme une réponse bien modeste au regard de la gravité des enjeux. Pour autant, la question qui est posée est très grave pour les femmes et les hommes concernés.

Au total, le contenu de la proposition de loi est peu convaincant, même si son intention – il faut le répéter – est tout à fait louable. Le groupe Les Républicains ne pourra donc pas la soutenir.

Pour autant, comment agir, et vite, pour répondre aux situations de détresse induites par la précarité énergétique ? À mon sens, deux leviers d’action peuvent être mobilisés sans délai. Nous avons d’ailleurs trouvé des convergences sur ces sujets dans cet hémicycle lors de l’examen du projet de loi relatif à l’énergie et au climat et du projet de loi de finances pour 2020. Madame la secrétaire d’État, nous avons alors fait des propositions pour apporter des réponses non pas conjoncturelles, mais durables, pour ces familles en situation de précarité.

La loi relative à l’énergie et au climat a simplifié les conditions de mise en œuvre des afficheurs déportés qui permettent aux ménages modestes de suivre leur consommation d’énergie. Ce dispositif créé par la loi de 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte n’a pas été déployé et ne sert donc à rien !

Cette loi a en outre renforcé les informations que les fournisseurs d’électricité et de gaz doivent transmettre à plusieurs instances de régulation, ce qui concourt à la protection des consommateurs. Nous attendons désormais du Gouvernement l’édiction des mesures réglementaires qui s’imposent.

Un effort budgétaire est également attendu. À ce titre, je regrette que les crédits destinés au chèque énergie n’aient pas été augmentés de 75 millions d’euros dans la loi de finances pour 2020 – cette mesure, un temps adoptée par le Sénat sur l’initiative de sa commission des affaires économiques, suivait une recommandation du médiateur national de l’énergie.

Je déplore aussi que les mesures concrètes que j’avais défendues avec mes collègues Jean-François Husson et Dominique Estrosi Sassone aient connu le même sort ; je veux parler ici des coups de pouce proposés dans le cadre de la réforme du CITE pour le renouvellement par les ménages modestes d’équipements du quotidien.

Nous considérons que les moyens déployés par le Gouvernement doivent être rehaussés à la hauteur des objectifs votés par le législateur. Comment atteindre l’objectif fixé dans la loi relative à la transition énergétique de 500 000 rénovations de logements par an, dont la moitié sont occupés par des ménages modestes, alors que les crédits liés à l’énergie baissent d’un milliard d’euros cette année ?

M. Daniel Gremillet. Au-delà de cette proposition de loi qui ne peut être soutenue en raison de sa fragilité juridique, j’appelle le Gouvernement à jouer tout son rôle pour ne laisser aucun de nos concitoyens en marge de la transition énergétique.

Madame la secrétaire d’État, si nous avions simplement traduit dans les lois de finances les objectifs fixés dans d’autres textes relatifs à l’énergie et au climat, nous n’en serions pas là aujourd’hui ! Une grande partie des problèmes soulevés par la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui auraient alors été satisfaits, ce qui aurait constitué une réponse durable pour les ménages les plus modestes. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Roland Courteau. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

M. Roland Courteau. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, comment un pays comme la France peut-il laisser des enfants et des adultes souffrir du froid dans leur logement ? N’est-il pas temps de revenir aux principes d’une économie morale et de travailler à la formulation d’un droit à une existence digne ?

Cette proposition de loi du groupe CRCE va dans le bon sens et, au nom du groupe socialiste, j’indique ici que nous la soutenons.

Personne n’échappera aux conséquences des bouleversements climatiques, de la dégradation de la qualité de l’eau et de l’air ou de l’effondrement de la biodiversité, mais les plus touchés, et de loin, seront les plus pauvres, alors qu’ils sont les moins responsables de la situation. Ce sont eux, d’ailleurs, qui habitent les logements les plus insalubres. Ce sont eux qui vivent dans des passoires énergétiques, dont les propriétaires récalcitrants s’opposent à la réalisation de travaux de rénovation thermique.

Le mal est trop grave pour que l’on tergiverse, encore, ou que l’on reporte les décisions. Ce n’est pourtant pas faute d’entendre les alertes lancées par la Fondation Abbé Pierre, selon laquelle il est plus que temps de changer de dimension, ou celles de l’Observatoire des inégalités qui regrette que la lutte contre la pauvreté ne soit pas à la hauteur des enjeux sociaux.

On sait que l’année 2019 a été celle d’un triste record, celui du nombre de coupures d’énergie pour impayés. Les trois facteurs de la précarité énergétique sont connus : faibles revenus ; logement passoire – il y en a 8 millions en France, 27 000 dans mon département – ; prix de l’énergie.

Notez que le prix de l’électricité a augmenté de 40 % en dix ans, que la CSPE a été multipliée par cinq, que les taxes pèsent à hauteur de 35 % sur le prix de l’électricité, de 27 % sur celui du gaz, et que la TICGN a été multipliée par sept. Il arrive même souvent, dans le cas des logements passoires, que l’ensemble des taxes dépasse le montant maximal du chèque énergie. Selon l’Observatoire national de la précarité énergétique, 7 millions de personnes consacrent plus de 8 % de leurs revenus à payer la facture énergétique de leur logement.

Nul ne conteste que des efforts aient été réalisés au cours de ces dernières années pour lutter contre la précarité énergétique, mais ces efforts ne sont pas à la hauteur des enjeux sociaux. C’est aussi l’ONPE qui précisait que, pour sortir l’ensemble des ménages de la précarité énergétique, l’aide nécessaire s’élèverait à 3 milliards d’euros par an.

En fait, pour que le taux d’effort soit inférieur à 8 % des revenus, l’aide par logement devrait être de l’ordre de 710 euros par an. C’est pourquoi nous avons proposé par amendement, lors de précédents débats, de revaloriser le chèque énergie, mais ces tentatives ont été rejetées par le Sénat…

Si quelques mesures ont déjà été prises, d’autres, pourtant adoptées par le Parlement, tardent à être mises en œuvre.

Il s’agit par exemple de la question des rattrapages de facturation portant sur des périodes assez longues. La loi relative à la transition énergétique de 2015 prévoit que les fournisseurs d’électricité et de gaz n’ont pas le droit de facturer des consommations intervenues plus de quatorze mois avant le dernier relevé de compteur.

De même, il est regrettable que la législation relative à la mise en place des afficheurs déportés qui permettent d’informer les consommateurs en temps réel du montant de leur consommation d’électricité exprimée en euros ne soit pas appliquée.

Cela dit, nous soutenons, avec le même souci de lutter contre la précarité énergétique, les mesures proposées par Fabien Gay et son groupe.

Ainsi, la proposition de loi prévoit d’élever l’accès à l’énergie au rang de droit fondamental. Je rappelle que l’énergie est reconnue comme un bien de première nécessité.

M. Fabien Gay. Tout à fait !

M. Roland Courteau. Comme cela est précisé dans l’exposé des motifs de la proposition de loi, l’accès à l’énergie et à l’électricité en particulier est devenu une nécessité qui ne se limite pas au chauffage durant la période hivernale. Pour éviter l’exclusion, l’accès à l’énergie est une impérieuse nécessité tout au long de l’année – M. Gay a eu raison d’insister sur ce point.

Je rappelle que l’article L. 100-2 du code de l’énergie précise que l’État doit veiller à « garantir aux personnes les plus démunies l’accès à l’énergie, bien de première nécessité ».

Certes, j’ai bien noté que certains d’entre nous émettent des doutes quant à la portée normative d’une telle mesure, mais je relève également que l’on n’écarte pas l’idée – je cite Mme le rapporteur – qu’elle pourrait donner une plus grande chance de succès aux procédures de référé, voire entraîner l’automaticité de certains dispositifs – aide juridique systématique, fournisseur de dernier recours… – et ouvrir la voie à une forme d’opposabilité à l’instar du droit opposable au logement.

Concernant l’article 2 et l’interdiction des coupures d’énergie tout au long de l’année pour les ménages en situation de précarité énergétique, il s’agit d’une mesure cohérente avec la précédente. C’est une protection supplémentaire pour les plus fragiles. Je m’étonne que l’on nous parle encore d’effet d’aubaine, d’autant que je me souviens que, lorsque nous avons instauré l’interdiction des coupures d’énergie durant l’hiver, on nous avait servi les mêmes arguments ! Or il n’y eut point d’effet d’aubaine, ou si peu.

Par rapport à l’article 3, nous partageons le souci du groupe CRCE d’exonérer de la TICGN et de la CSPE les ménages précaires, car force est de constater que la fiscalité de l’énergie n’est pas étrangère aux difficultés financières de certains ménages, ces difficultés les faisant basculer dans la précarité énergétique.

Concernant l’article 4, et pour les mêmes raisons que précédemment, nous proposerons un amendement visant à élargir le périmètre du taux réduit de TVA à une première tranche de consommation d’énergie dite de première nécessité, mais pour les seuls bénéficiaires du chèque énergie.

En effet, un taux de TVA de 20 % est très pénalisant pour les populations les plus fragiles. Il l’est d’autant plus que la TVA s’applique également sur le montant des autres taxes, ce qui constitue clairement une double peine fiscale. Cette double taxation n’est pas acceptable pour ceux qui sont dans la difficulté et qui se chauffent au fioul, à l’électricité ou au gaz.

Enfin, je pense qu’il serait intéressant que soit effectué un bilan de la libéralisation du marché de l’énergie. Si, depuis 1960, les prix de l’électricité sont inférieurs en France à ceux de nos voisins européens, nous le devons à notre mix énergétique et aux tarifs réglementés. De ce point de vue, je crains que les directives européennes adoptées durant les vingt dernières années n’aient une incidence fâcheuse sur les prix. Nous avons trop cédé sur ce terrain et il ne faudrait pas remettre en cause ce qui reste des tarifs réglementés.

Selon les propos tenus en mai dernier par le médiateur de l’énergie, la concurrence n’a pas fait baisser les prix ; ils ne pouvaient qu’augmenter en raison des besoins de financement des énergies renouvelables, du prix de revient du nucléaire en hausse du fait du grand carénage et de la construction de l’EPR, etc. Mais le médiateur ajoutait que la séparation des activités de fourniture et de distribution, rendue nécessaire par l’ouverture des marchés, donc par la libéralisation, a conduit à une « désoptimisation » des organisations, et donc à des coûts additionnels, notamment en matière de systèmes d’information.

Par ailleurs, je relève que, si 39 % des Français estiment que la multiplication des fournisseurs va permettre de faire jouer la concurrence, ils sont presque autant à estimer que cela aboutit à une jungle d’offres peu lisibles, à des risques d’abus et de dérives, à une qualité de service dégradée et à des prix en hausse ou fluctuants.

Je note que 86 % des Français apprécient les tarifs réglementés qui assurent stabilité, sécurité et cohésion territoriale et sociale et qui sont aussi un point de repère pour les consommateurs qui hésitent à opter pour une offre de marché.

Cela dit, si l’urgence consiste à aider les personnes en situation de précarité à payer leurs factures, la meilleure manière d’agir consiste en fait à diminuer le montant de celles-ci, en améliorant la performance énergétique des logements par la rénovation thermique.

Or les mesures prévues par la loi relative à l’énergie et au climat comportent trop d’exceptions et fixent des échéances trop lointaines et, pour l’heure, le reste à charge est trop élevé. En fait, dans le contexte climatique actuel, l’objectif est bien de faire reculer la précarité énergétique, tout en œuvrant pour une société plus respectueuse des ressources naturelles.

Dès lors, le principal levier pour lutter contre la précarité est la rénovation thermique des logements. Éradiquer les logements passoires, c’est résoudre en grande partie la précarité énergétique. Problème : trop de propriétaires sont récalcitrants ou ignorent les possibilités d’aides.

Pour conclure, je dirai que, depuis des années, nous pensons tous ici que l’urgence commande de faire disparaître la précarité énergétique. Nous avons aujourd’hui la possibilité de mettre en accord nos actes avec nos discours. Ne nous contentons pas de dénoncer ce problème ! Combattons-le en pensant que rien, jamais, ne doit contrevenir à un principe aussi simple que fondamental, celui du droit à une existence digne. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, facteur déclenchant de la crise des « gilets jaunes », l’augmentation du prix de l’énergie amplifiée par l’application de diverses taxes sur une même assiette demeure peu intelligible et peu acceptable pour nos concitoyens.

Le gel des tarifs de l’électricité et du gaz annoncé en janvier 2019 par le Premier ministre lui avait permis de lâcher du lest, le temps de l’hiver. L’extension du bénéfice du chèque énergie de 3,6 millions à 5,8 millions de personnes a de plus redonné du pouvoir d’achat à ceux qui en avaient le plus besoin.

Toutefois, ces mesures sont insuffisantes pour lutter contre la précarité énergétique qui concernait encore 6,7 millions de personnes en 2017. Or celles-ci consacrent plus de 8 % de leurs revenus aux dépenses énergétiques.

Mes chers collègues, nous souscrivons aux objectifs de la présente proposition de loi et je remercie Fabien Gay et le groupe CRCE de cette initiative, tout en considérant que les mesures proposées ne sont pas les plus pertinentes pour instaurer un droit effectif à l’accès à l’énergie et pour lutter contre la précarité énergétique.

Cependant, la majorité de notre groupe ne peut pas souscrire aux deux principales dispositions de ce texte, à savoir l’interdiction des coupures en matière d’énergie et les exonérations fiscales prévues.

Sur l’interdiction des coupures d’électricité, de chaleur et de gaz tout au long de l’année, nous craignons qu’elle ne profite davantage aux mauvais payeurs qu’aux ménages en difficulté qui sont les premiers à honorer leurs dettes. La majorité du groupe du RDSE ne soutiendra donc pas ce que nous considérons comme une manière de déresponsabiliser les consommateurs, alors que le droit en vigueur est suffisamment équilibré.

Cela a été dit, les coupures restent interdites au cours de la trêve hivernale, période où la consommation est au maximum et la dépense la plus contrainte. En outre, des délais supplémentaires sont accordés en cas de non-paiement de la facture, la puissance livrée en électricité pouvant être réduite. Pour ne citer qu’une partie des dispositifs existants, les ménages peuvent également obtenir une aide de la part du fonds de solidarité pour le logement ou de leur centre communal ou intercommunal d’action sociale.

Mais encore faudrait-il que les ménages en situation de précarité connaissent les dispositifs d’aide. Il est d’ailleurs préférable d’en accroître la lisibilité et, surtout, de les affecter aux plus fragiles – Mme la rapporteure en a parlé. À ce titre, l’introduction du chèque énergie devrait permettre de réduire le taux de non-recours.

Renforçons donc l’existant et consacrons davantage de moyens à la rénovation du bâti. Pour l’ensemble de nos concitoyens, le logement est la première dépense contrainte, sans oublier bien sûr le surcoût des passoires thermiques. Le saupoudrage des subventions publiques nuit à leur efficacité. La remise à plat déjà engagée des aides va dans le bon sens.

En ce qui concerne les mesures fiscales, outre leur non-conformité au droit européen et leur coût élevé pour nos finances publiques après les mesures prises par le Gouvernement en matière de pouvoir d’achat, nous sommes une nouvelle fois de l’avis de notre rapporteure sur l’inapplicabilité de l’exonération de TICGN et de CSPE des ménages éligibles au chèque énergie, puisqu’il faudrait que le fournisseur ait connaissance à tout moment du statut du ménage.

De même, la mise en œuvre opérationnelle du taux de TVA réduit applicable à la première tranche de consommation d’énergie, « en tenant compte notamment de la situation familiale », est pour le moins douteuse. Cela m’évoque un souvenir, celui de la tarification progressive de l’énergie, principale disposition de la proposition de loi Brottes avant qu’elle ne soit censurée par le Conseil constitutionnel… Idée intéressante par sa dimension à la fois sociale et environnementale, elle instaurait dans les faits une usine à gaz, raison pour laquelle j’avais voté la suppression de cet article.

Enfin, il faut rappeler que la taxation élevée qui pèse sur l’énergie n’est pas une spécificité française. Peut-être faudrait-il avant tout simplifier la facture énergétique ? Et surtout, comme nos concitoyens l’exigent, faire en sorte que la fiscalité écologique soit affectée à la transition énergétique.

Mes chers collègues, l’énergie a un coût, ce qui permet d’inciter à la sobriété et à l’amélioration de la performance énergétique des bâtiments.

Cela ne veut pas dire pour autant que nous justifions l’augmentation continue des tarifs de l’électricité. Le coût de l’énergie fait l’objet d’un mode de calcul précis reposant sur une base légale afin de protéger les consommateurs et de les faire bénéficier de la compétitivité du parc nucléaire. N’oublions pas les avantages attendus de l’ouverture à la concurrence du marché de l’électricité, mais il faut reconnaître que ces avantages sont assez imperceptibles pour le moment… Selon Eurostat, le prix de l’électricité a augmenté pour les ménages de 0,16 euro à 0,21 euro par kilowattheure entre 2008 et 2017.

Or la France se caractérise par la multiplication récente de fournisseurs qui ne produisent pas d’électricité et qui parviennent à se différencier de l’opérateur historique par leurs services et leurs offres d’électricité, même si celle-ci n’est pas si verte qu’annoncé… La délibération de la CRE proposant une augmentation de 5,9 % des tarifs réglementés de vente d’électricité a été contestée par l’Autorité de la concurrence dans son avis du 25 mars 2019. La loi relative à l’énergie et au climat offre la possibilité de relever le plafond du tarif de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh), possibilité à laquelle le Gouvernement n’a pas eu recours.

Il faudra donc éviter à l’avenir de maintenir l’ouverture à marche forcée à une concurrence artificielle au détriment du consommateur. Cela n’est conforme ni aux principes généraux du droit de la concurrence ni aux objectifs de l’ouverture du marché européen de l’énergie. Comme l’a affirmé le Conseil d’État dans sa décision du 18 mai 2018, l’électricité est un produit de première nécessité non substituable. C’est ce statut particulier qui nous permet de préserver les tarifs réglementés de vente, contrairement à ce qui a été décidé pour le gaz. Nous serons donc particulièrement vigilants, lors de la prochaine réforme portant nouvelle régulation économique du nucléaire existant, à ce que les consommateurs ne soient pas les perdants de l’ouverture à la concurrence.

Dans cette attente, la majorité des membres du groupe du RDSE s’abstiendra sur cette proposition de loi.