M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Madame la présidente Assassi, je retiens de votre intervention trois questions.

Tout d’abord, vous avez raison de dire que ce débat est utile. Il permet au Gouvernement de rendre des comptes au Sénat sur le degré d’application des lois. C’est un moment important et une exigence tant pour votre assemblée, qui n’est pas seulement chargée de voter la loi, que pour nous.

Ensuite, j’ai bien noté la différence qui existe dans le taux de remise des rapports entre ceux dont l’initiative revient au Sénat et ceux dont l’initiative revient à l’Assemblée nationale. Je ne manquerai pas de regarder ce sujet attentivement avec mes collègues du Gouvernement pour que le processus de transmission de ces rapports soit amélioré.

Enfin, en ce qui concerne votre question relative à l’étude sur les trains de nuit prévue par la loi d’orientation des mobilités, il est en effet mentionné dans le rapport annexé à cette loi que « l’État étudie le développement de nouvelles lignes […], en veillant à son articulation avec le programme de régénération et de modernisation du réseau ferroviaire et en précisant, en particulier, les conditions d’une amélioration de l’offre des trains de nuit au regard de leur intérêt pour répondre aux besoins de désenclavement des territoires les plus éloignés des grands axes de circulation ainsi que de liaisons nationales et intraeuropéennes et pour réduire l’empreinte écologique. » Cette étude doit en effet être transmise au Parlement avant le 30 juin prochain.

Conformément aux orientations de cette loi, le ministère de la transition écologique et solidaire étudie jusqu’au 30 juin le développement des nouvelles lignes de trains d’équilibre des territoires. Cette étude concerne aussi bien le jour que la nuit.

Concernant la nuit, la première phase de l’étude a consisté à réaliser une comparaison avec les autres réseaux européens qui sont dans une logique de redéveloppement des trains de nuit – Autriche, Suède, Norvège. Un échange approfondi a notamment eu lieu avec les chemins de fer autrichiens qui sont à la pointe dans ce domaine. Des échanges se sont également déroulés avec différents constructeurs, le matériel roulant constituant un élément clé pour l’exploitation de telles lignes.

Quatre segments de marché ont été identifiés pour établir des liaisons de nuit potentielles : relations intérieures ou internationales entre grandes agglomérations, relations entre chapelets de villes, dessertes touristiques saisonnières et dessertes d’aménagement du territoire.

Le rapport de cette étude technique devrait être disponible dans les prochains jours. Il intégrera des préconisations, ainsi que des propositions de suite à donner à l’étude. Je pense à des auditions qui n’ont pu être réalisées au printemps en raison de la crise sanitaire. Il était notamment prévu d’entendre les exécutifs régionaux qui sont des opérateurs centraux sur ces questions, ainsi que des associations. Ces auditions sont nécessaires pour valider les résultats de l’étude technique. Il est proposé de les organiser au début de l’automne selon des modalités à définir et de transmettre par la suite l’ensemble de ces éléments au Parlement.

M. le président. La parole est à M. Jean-François Longeot.

M. Jean-François Longeot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme le montre l’excellent rapport de Valérie Létard, le taux d’application des lois est dans l’ensemble satisfaisant, bien qu’en léger retrait par rapport à la session précédente. Cependant, il est décevant pour certains textes pourtant jugés clés par le Gouvernement, tels que la loi relative à l’organisation et à la transformation du système de santé ou les articles relatifs à la privatisation d’ADP contenus dans la loi dite Pacte.

Depuis le début de la crise du Covid-19, le Parlement s’est attelé à adopter des textes prioritaires dans les plus brefs délais. Il est temps que l’État en fasse de même, afin d’apporter de la visibilité aux différents acteurs, parfois mis à rude épreuve – je pense notamment à la loi pour un nouveau pacte ferroviaire. Cela pose encore une fois la question du rôle du Parlement, ce qui m’amène aux deux principaux sujets de ma question.

Tout d’abord, l’accroissement du recours aux ordonnances soulève un véritable problème démocratique, surtout lorsqu’aucune urgence ne le justifie, car le délai entre la demande d’habilitation et la prise de l’ordonnance est supérieur au délai moyen de vote d’une loi.

Ensuite, le taux de remise des rapports demandés par le Parlement au Gouvernement est très faible. Pis encore, il a chuté par rapport à la session précédente : alors qu’il était de 35 % l’an passé, il atteint désormais 12 %. Encore plus problématique, on constate une forme de discrimination entre les deux chambres, puisque, sous la présente législature, seuls 11 % des rapports demandés sur l’initiative du Sénat ont été déposés contre 69 % pour ceux qui l’ont été sur l’initiative de l’Assemblée nationale.

Monsieur le ministre, pour redonner au Parlement sa place dans le débat, pouvez-vous nous préciser la ligne du Gouvernement concernant le recours aux ordonnances et le retard pris quant à la remise des rapports demandés ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, je ne vais pas revenir en détail sur la question des ordonnances, nous l’avons évoquée à plusieurs reprises et vous connaissez la position du Gouvernement sur l’utilisation de cet outil comme les interrogations qui existent sur la récente décision du Conseil constitutionnel.

En ce qui concerne les rapports demandés par le Parlement et pour faire écho à la question posée par la présidente Assassi, il y a deux cas de figure.

Il peut d’abord s’agir de rapports, dont la remise est expressément prévue par la loi. Le taux de dépôt de ce type de rapport est effectivement très bas, à peine 12 %. Cette situation n’est évidemment pas acceptable et une vigilance particulière des ministères doit être recherchée. Comme je le disais, je m’engage à alerter mes collègues du Gouvernement sur chaque retard constaté. Les rapporteurs des projets de loi en question peuvent également interpeller les ministères dans le cadre de leur mission de contrôle.

Il peut aussi s’agir de rapports remis en application de la loi du 9 décembre 2004. Ces rapports remis dans les six mois suivant la date d’entrée en vigueur d’une loi mentionnent les textes réglementaires et les circulaires publiés pour la mise en œuvre de ladite loi. Au 31 mars 2020, 5 rapports sur 23 ont été remis, soit un taux de 23 %. Au cours de la session parlementaire 2018-2019, 23 lois appelant des mesures actives ont été promulguées. Vous avez raison de souligner, monsieur le sénateur, que le taux de remise de ces rapports est en baisse.

Vous avez également raison de souligner la distorsion entre les deux assemblées. C’est un point de vigilance pour nous.

Enfin, de manière plus générale, je rappelle que les assemblées seront désormais systématiquement destinataires de l’échéancier d’application et des tableaux de suivi. Même si le Sénat estime que cela ne suffit pas à satisfaire entièrement l’obligation de la loi de 2004, c’est une avancée qui permettra, me semble-t-il, d’assurer un meilleur suivi. Encore une fois, je crois que le travail bilatéral entre les rapporteurs et les ministères pourra fournir des compléments qualitatifs utiles à ces tableaux de suivi.

M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Bertrand.

Mme Anne-Marie Bertrand. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, rédiger un texte de loi est gratifiant et, disons-le, réserver certains points techniques, parfois hasardeux, au pouvoir réglementaire peut être confortable. Face à ce constat, nous avons chacun une part de responsabilité.

Néanmoins, la difficulté de l’État à prendre en temps et en heure les mesures réglementaires nécessaires à l’application des lois contraste avec des délais toujours plus courts imposés au Parlement. La procédure accélérée semble être devenue la norme et les ordonnances se multiplient.

En faisant ce constat, comme beaucoup, je m’interroge. Sous couvert d’un environnement économique et juridique toujours plus pointu, le Gouvernement ne joue-t-il pas la montre, afin de pouvoir censurer la représentation nationale et de l’anesthésier ?

Je veux le réaffirmer, un texte de loi n’est pas un simple vœu que l’on émet. Il doit être applicable et appliqué ! Rien n’est pire pour nuire à la confiance dans l’action publique qu’un texte sans portée. Rien n’est pire pour la démocratie que lorsqu’elle ressemble à un bavardage. D’ailleurs, ne dit-on pas que, lorsque la loi bavarde, le citoyen ne lui prête qu’une oreille distraite ?

Ce bilan n’est pas technico-juridique ; c’est celui du fonctionnement de notre démocratie. Sachons le regarder tel qu’il est et souvenons-nous de ces milliers de gilets jaunes qui ne croyaient plus en rien !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Madame la sénatrice, je partage au moins deux points de votre intervention. Tout d’abord, la question de l’application de la loi n’est pas un sujet technique ; c’est une question politique ! Ensuite, nous devons effectivement être vigilants à ce que les lois ne soient pas trop bavardes – d’ailleurs, je sais que le Sénat est très attentif sur ce point.

S’agissant des délais pour prendre des mesures réglementaires, le taux d’application des lois est de 82 % selon la méthodologie gouvernementale. Il est vrai que ce taux a légèrement baissé par rapport à l’année précédente, mais je rappelle que le nombre des mesures a parallèlement augmenté de manière très importante. J’ajoute que, si les administrations ont été très sollicitées par la gestion opérationnelle de la crise, leurs efforts en matière d’application des lois ne se sont pas relâchés, puisque le taux que je viens d’évoquer a augmenté depuis le 31 mars.

Les délais nécessaires à la prise d’un décret ont plusieurs explications. Un certain nombre de consultations doit être mené, parfois à la demande du législateur, puis divers organismes doivent être saisis avant l’intervention du Conseil d’État. Ces consultations et les délais qui en découlent sont la contrepartie de la qualité et de la stabilité des textes réglementaires. Je précise également qu’il devient de plus en plus difficile d’anticiper en amont les actes réglementaires qui devront être pris ; à titre d’exemple, lors de la session 2018-2019, le nombre d’articles des textes de loi a augmenté de près de 135 % durant la navette parlementaire.

Pour autant, le taux d’application des propositions de loi n’est pas fondamentalement différent, à 2 % près, de celui des textes d’initiative gouvernementale.

Pour ce qui concerne le caractère éminemment technique des textes publiés, je ne peux que le regretter, y compris pour la lisibilité vis-à-vis des citoyens, mais je constate que le monde est devenu d’une incroyable complexité, et notre droit n’en est finalement que le reflet. Gardons-nous de penser que la simplification du droit est la solution à tout, même s’il doit rester intelligible. Nous pouvons sans doute faire plus simple, mais nous risquons alors une incompétence négative. Aurions-nous réglé toutes les situations particulières qui appellent une réponse législative ? Je n’en suis pas certain de prime abord.

Enfin, pour ce qui est de la « censure » du Parlement, je ne suis évidemment pas d’accord avec vous. L’application de la loi peut faire l’objet d’un contrôle par le juge administratif, lequel peut même engager la responsabilité de l’État pour absence de prise d’actes réglementaires d’application d’une loi. De plus, le Gouvernement est pleinement responsable devant le Parlement ; c’est d’ailleurs la raison pour laquelle je suis avec vous, cette année encore, pour débattre de l’application des lois.

Conclusion du débat

M. le président. Monsieur le ministre, mesdames, mes chers collègues, je voudrais remercier Valérie Létard de son rapport très important qui s’attache à une analyse quantitative et qualitative de l’application des lois.

Deux sujets d’actualité ont particulièrement animé nos débats – les ordonnances et les expérimentations – et diverses interrogations ont été soulevées. J’ai d’ailleurs prévu d’écrire au président du Conseil constitutionnel, Laurent Fabius, pour qu’il nous aide à répondre à certaines d’entre elles.

Il me semble que nos débats ont permis d’éclairer ces sujets et de les faire avancer. La conférence des présidents y sera naturellement attentive, même si, chacun le sait, elle a déjà débattu de ces mêmes questions à plusieurs reprises. En tout état de cause, Valérie Létard continuera de suivre ces sujets, au nom du bureau.

La parole est à Mme la présidente de la délégation du bureau chargée du travail parlementaire.

Mme Valérie Létard, présidente de la délégation du bureau chargée du travail parlementaire, de la législation en commission, des votes et du contrôle. Je ne vais pas allonger les débats, mais je veux simplement remercier l’ensemble des présidents de commission et les équipes du Sénat – chacun sait le travail extrêmement lourd et fouillé que ce rapport représente. Je veux aussi remercier les équipes du secrétariat général du Gouvernement (SGG).

Nous avons entamé ce travail le 12 mai dernier par un premier échange entre les équipes du SGG et les présidents de commission qui ont ainsi pu signaler l’ensemble des dispositions réglementaires qui leur tenaient à cœur. Entre le 12 mai et aujourd’hui, plus d’un tiers des demandes alors formulées ont obtenu satisfaction.

C’est un travail titanesque qui permet au Sénat de jouer pleinement son rôle d’aiguillon, d’accélérateur, de vigie au service de nos concitoyens et dans l’intérêt général. Il me semble qu’année après année cet exercice permet d’améliorer le travail législatif tant pour le Parlement que pour le Gouvernement. C’est pour cette raison que je souhaitais remercier l’ensemble des équipes qui ont travaillé avec moi sur ce rapport. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Je veux remercier la présidente Valérie Létard de ce travail particulièrement exigeant qui sert en effet d’aiguillon pour le Gouvernement. Ce rendez-vous est utile pour réfléchir ensemble à l’application des lois.

Je profite de cette occasion pour remercier à mon tour les services du secrétariat général du Gouvernement, sans lesquels j’aurais eu bien du mal à vous répondre… Le SGG contribue aussi tout au long de l’année à la qualité de l’application des lois.

Chacun l’a dit, il n’est pas suffisant de voter la loi. Encore faut-il l’appliquer ! Ce débat doit nous servir à avancer sur ce second aspect qui n’est pas le moindre… (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, UC et RDSE, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. Le Parlement a aussi une mission de contrôle qui est tout à fait essentielle au fonctionnement de notre démocratie et nous continuerons de la renforcer. Ce type de débat peut sembler plus aride que d’autres, mais ce rendez-vous annuel, je le redis, est particulièrement important et je remercie chacune et chacun de sa participation à nos travaux. La conférence des présidents pourra naturellement décider, en tant que de besoin, d’organiser un débat en cours d’année sur une question liée à l’application des lois.

Nous en avons terminé avec le débat sur le bilan de l’application des lois.

4

Souhaits de bienvenue à un nouveau sénateur

M. le président. Monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai le plaisir de saluer notre nouveau collègue, Stéphane Cardenes, sénateur du Gard, qui remplace Pascal Bories. Qu’il soit le bienvenu ! (Applaudissements.)

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures dix, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de Mme Valérie Létard.)

PRÉSIDENCE DE Mme Valérie Létard

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

5

Débat à la suite de la réunion du Conseil européen des 18 et 19 juin 2020

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat à la suite de la réunion du Conseil européen des 18 et 19 juin 2020.

Dans le débat, la parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Amélie de Montchalin, secrétaire dÉtat auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de votre invitation qui me permet de faire un point d’étape sur les discussions concernant notamment le plan de relance, ainsi que le prochain budget européen 2021-2027 et de répondre à vos questions à l’issue du débat.

Permettez-moi de saluer l’engagement du Sénat depuis le début de la crise pour promouvoir une réponse européenne ambitieuse et susceptible de répondre aux défis qui sont les nôtres aujourd’hui.

Ce débat intervient à un moment très important – peut-être crucial – pour l’Europe et pour notre pays, car si l’épidémie n’a pas disparu, ses conséquences économiques et sociales apparaissent.

La réunion des chefs d’État et de gouvernement de vendredi dernier a marqué le démarrage d’une négociation à l’échelon du Conseil européen sur le plan de relance et le prochain budget de l’Union pour la période 2021-2027.

Elle a été l’occasion de constater combien nous avions avancé ensemble en quelques semaines. Plus personne ne remet en cause aujourd’hui le principe d’un plan de relance européen ambitieux. Chacun a également pris conscience que personne ne pouvait sortir seul de ce qui s’annonce comme la plus grave crise économique depuis la Seconde Guerre mondiale. Personne ne conteste non plus l’utilité de répartir dans le temps long les coûts de la crise ni la nécessité d’un emprunt commun pour investir et relancer ensemble nos économies. Tel est le chemin qui a été parcouru en si peu de semaines.

Cette première réunion était une étape nécessaire. Elle a permis de comprendre les positions, les attentes et les sujets de préoccupation de chacun. Pour parvenir à un accord, une réunion « en présentiel » s’impose. Charles Michel en a fixé la date aux 17 et 18 juillet prochain. Si une réunion supplémentaire est nécessaire, nous l’organiserons, mais l’objectif du Président et de la Chancelière est d’arriver à un accord en juillet.

Il y a en effet urgence. Cela a été rappelé tant par le Président de la République que par la Chancelière devant le Bundestag la semaine dernière, alors que l’Allemagne prendra dans quelques jours – le 1er juillet – la présidence du Conseil de l’Union européenne jusqu’au mois de décembre.

Si nous n’agissons pas vite et si nous n’agissons pas ensemble, nous irons vers une récession durable. Or nul ne peut se satisfaire d’une telle situation. Elle entraînerait l’aggravation des inégalités entre États et contribuerait à fragmenter le marché intérieur ; elle pourrait alimenter un déclassement économique durable de l’Europe et, surtout, elle pourrait mettre en péril des millions d’emplois et aggraver une situation sociale déjà difficile.

Avant d’aborder en détail les lignes politiques que nous défendons avec le chef de l’État auprès des vingt-six autres États membres, je souhaite revenir quelques instants sur la méthode qui a été celle du Président de la République ces dernières semaines, car en diplomatie la méthode compte peut-être parfois plus que le contenu.

La France et l’Allemagne ont proposé dès le 28 mai un outil de relance fondé sur la solidarité et sur un objectif bien compris et pleinement partagé de souveraineté européenne. Cet accord est l’aboutissement d’un très long travail de conviction mené par le Président de la République avec la Chancelière. Sans la main tendue par le Président à l’Allemagne depuis 2017, que ce soit au travers du discours de la Sorbonne, des rencontres à Meseberg, ou encore très récemment lors du conseil des ministres franco-allemand de Toulouse, nous n’aurions pas pu arriver à cette compréhension commune des moyens et de la nécessité de rendre l’Europe plus forte et plus souveraine.

Je suis donc convaincue que s’il y a une victoire aujourd’hui, c’est celle de notre persévérance et de la persévérance du Président de la République à faire avancer le sujet d’une souveraineté européenne pleinement assumée et pleinement comprise au cours des dernières années.

Suivant cette dynamique franco-allemande favorable, la Commission a proposé un cadre budgétaire complet le 27 mai. Nous pensons que cette proposition est à la hauteur de l’enjeu historique et qu’elle démontre une réelle ambition politique. Ursula von der Leyen a compris l’enjeu existentiel auquel l’Europe est confrontée.

Notre responsabilité est maintenant de créer les conditions d’un accord dans les prochaines semaines en prenant en compte les besoins que chacun a exprimés. Ces besoins sont légitimes, car ils sont le reflet des situations politiques intérieures. Nous devons pleinement les apprécier.

À cet égard, la France détient une responsabilité particulière, car, d’une certaine manière, cette proposition franco-allemande nous oblige. Il est essentiel que l’accord que nous trouverons en respecte l’esprit de compromis.

C’est pourquoi nous multiplions les échanges avec nos partenaires. Le Président se trouve ce soir à La Haye pour un échange approfondi avec Mark Rutte. J’étais moi-même il y a dix jours en Autriche et, la semaine dernière, aux Pays-Bas. J’échange très régulièrement avec les pays du groupe de Visegrád et je me rendrai la semaine prochaine en Suède et dans les pays baltes.

Cet accord me paraît conditionné à deux points que nous devrons garder à l’esprit lors des négociations.

Premièrement, il nous faut sortir d’une logique de blocs. Trop souvent, par facilité ou par confort, nous décrivons l’Europe en opposant le Nord et le Sud, l’Est et l’Ouest, les pays frugaux et les pays de la cohésion. Mais ces blocs n’existent pas réellement. On observe des nuances très fortes et tout à fait perceptibles entre les membres de ces fameux blocs dès lors que l’on se rend sur place et que l’on approfondit les échanges avec les entreprises et les syndicats. La réalité politique de l’Autriche n’est pas celle de la Suède. Les réalités économiques et sociales et l’expérience de la crise propres à chaque pays entraînent des besoins et des attentes différents.

La méthode que nous mettons en œuvre depuis trois ans avec le Président de la République repose sur la conviction qu’il n’y a pas de grands et de petits pays. Chacun doit pouvoir lever le bras pour finalement trouver un accord à l’unanimité qui respecte pleinement les intérêts de tous les États, de tous les pays, de toutes les situations.

Deuxièmement, nous sommes au début d’une crise économique historique inédite. Il nous semble essentiel de garder à l’esprit que les premières personnes concernées sont les salariés, les travailleurs, les entrepreneurs, les personnes sans emploi ou celles qui pourraient perdre leur emploi. C’est pour cela que je veille lors de chacun de mes déplacements à rencontrer les partenaires sociaux, les syndicats, les représentants d’entreprises, qui jugent unanimement ce plan de relance plus que jamais nécessaire.

Aucun pays ne dispose de clients et de fournisseurs uniquement sur son sol national. Le marché intérieur, qui a fondé notre prospérité, nous a rendus interdépendants. Nous devons aujourd’hui en tirer les conséquences.

Les partenaires sociaux mènent parfois le combat en avance de leur gouvernement pour faire comprendre que c’est dans leur propre intérêt comme dans celui des salariés et des entreprises que nous devons agir.

Nous devons garder à l’esprit que nous agissons d’abord et avant tout pour les salariés, pour les familles, pour ceux qui voient l’économie de même que leur avenir personnel se fragiliser.

Il est de notre responsabilité de convaincre. C’est pourquoi je tiens à partager avec vous les cinq messages que je fais inlassablement passer à nos partenaires.

Le premier concerne l’urgence. Nous avons une obligation de résultat pour les travailleurs, pour les entreprises. Ce plan de relance doit être opérationnel au 1er janvier 2021. S’il n’est pas prêt pour la relance, autant vous dire qu’il ne servira à rien.

Le deuxième vise la crédibilité. Le plan de relance doit inclure une part significative de dotations budgétaires, car c’est ainsi que nous avons créé l’Europe : chacun contribue en fonction de ses moyens et reçoit selon ses besoins. Nous estimons que ces dotations budgétaires doivent s’élever à 500 milliards d’euros, pas moins – tel est le compromis que nous avons trouvé avec l’Allemagne. Ce chiffre ne sort pas de nulle part : il correspond aux besoins en investissements tels que calculés par la Commission européenne secteur par secteur pour réussir à protéger l’emploi, mais également pour atteindre les objectifs que nous nous étions fixés avant la crise en matière de transition écologique et numérique.

Le troisième message a trait à la solidarité. Si nous réduisons la relance à un système de prêts, nous ne ferions qu’alourdir la charge pesant sur les pays les plus touchés et nous aggraverions davantage encore les distorsions au sein du marché intérieur. Je tiens à le dire très fortement : il est question non pas de mutualiser les dettes du passé, mais d’investir ensemble dans les régions, dans les filières économiques les plus touchées, et cela au bénéfice de tous les États membres.

Le quatrième message vise l’efficacité. Pour être efficace, ce fonds de relance doit être cohérent avec les politiques économiques nationales, qu’il s’agisse de réformes ou de plans de relance nationaux. Je parle bien non pas de conditionnalité, mais de cohérence, afin d’articuler pleinement ce plan de relance et le semestre européen avec les recommandations spécifiques par pays et les recommandations pour la zone euro : c’est un critère essentiel pour créer de la convergence économique et de la synchronisation dans nos réformes plutôt que de la compétition.

Nous devons à tout prix éviter de tomber dans un fonctionnement de type « troïka » qui ne serait pas adapté à la situation actuelle. L’efficacité de notre action collective et notre confiance mutuelle dépendront du respect de la souveraineté des États qui seront ensuite amenés à présenter leur stratégie.

Si nous voulons être efficaces, il faut aussi que nous soyons capables de dépenser rapidement les fonds qui vont être mis à disposition, en particulier quand ils passent par les programmes existants, comme en matière de cohésion. Mesdames, messieurs les sénateurs, je sais votre intérêt – et vous le mien – pour la simplification de l’accès aux fonds européens. Ce point sera essentiel. Nous souhaitons que ce plan de relance soit un plan condensé et non pas dilué. C’est pourquoi Bruno Le Maire a rappelé hier à Berlin que nous voulions que les fonds soient consommés en deux ans, en 2021 et en 2022.

Si nous voulons être efficaces, il faudra aussi nous assurer de la bonne articulation du fonds avec le plan de relance national, afin d’identifier les secteurs et les projets qui pourront en bénéficier et de ne pas nous disperser.

Tous les acteurs devront se mobiliser, y compris les collectivités locales. Je sais votre connaissance fine des besoins de chacun de vos territoires. Il faudra nous pencher ensemble très rapidement sur la meilleure manière de nous assurer d’une consommation rapide des fonds mis à disposition. L’intérêt stratégique de la mission de simplification que nous menons avec les régions à la demande du Premier ministre n’en sera que plus fort.

Le dernier message que je porte est celui de la cohérence. Ce plan de relance et le budget européen 2021-2027 doivent être des leviers d’investissement pour une Europe plus forte, plus solidaire et plus souveraine.

La transition écologique et numérique, mais également la protection de la santé, l’autonomie en matière sanitaire, industrielle et agricole, doivent être au cœur de ce que nous aurons à financer. Pendant cette crise, la souveraineté agricole a été une chance pour chacun de nos pays.

C’est donc ainsi qu’il faut envisager ce paquet global. Nous ne devons pas opposer reconstruire et investir. Le budget européen et le cadre financier pluriannuel, ou CFP, doivent être à la hauteur des ambitions de long terme. Je pense en particulier à des enveloppes qui contribuent à notre souveraineté, telles que celle de la politique agricole commune dont le premier pilier permet de soutenir le revenu des agriculteurs et de les aider à réussir la transition écologique et environnementale. Je pense aussi au Fonds européen de la défense et aux programmes spatiaux, dont les montants doivent être rehaussés.

Cette cohérence doit aussi s’appliquer au financement de l’Union. Nous devons réformer notre système de ressources propres pour le rendre plus lisible, réduire dans le temps le coût du remboursement de l’emprunt commun et mettre notre financement en cohérence avec nos objectifs, notamment environnementaux.

C’est pourquoi nous demandons la fin du système des rabais, et la création, dès 2021, d’une contribution sur la ressource dite ETS, sur les permis d’émissions de CO2, et sur le plastique. Nous souhaitons également travailler dès les prochaines semaines et les prochains mois à la mise en place d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières au cours de la période 2021-2027. Pour avoir participé au débat sur votre proposition de résolution européenne dans cet hémicycle, je sais combien ce sujet vous est cher, mesdames, messieurs les sénateurs.

Nous voulons également continuer d’explorer d’autres ressources, comme la taxe sur le numérique, mais également la taxe sur les transactions financières. Ces ressources propres sont au cœur de l’accord final, car elles nous permettront d’investir ensemble sans augmenter le coût des contributions nationales.

Pour conclure, je tiens à vous rassurer sur un point. Ce plan n’est pas fait en catimini. Il n’est pas antidémocratique, au contraire. Il vous reviendra, d’ici à la fin de l’année, de ratifier le système de ressources propres. Le Parlement européen aura aussi un rôle crucial à jouer dans l’élaboration du plan de relance national pour nos entreprises, nos territoires et nos citoyens. Vous pouvez compter sur mon engagement et sur celui de l’ensemble des membres du Gouvernement pour conduire avec vous cette mission.

Il me faut rapidement ajouter que la réunion de vendredi dernier a également permis aux chefs d’État et de gouvernement d’aborder la poursuite des négociations avec le Royaume-Uni dans le cadre du Brexit, ainsi que le renouvellement des sanctions de l’Union européenne imposées à la Russie.

Vous le constatez, l’Europe avance, non pas pour elle-même, mais pour les Français. Je sais qu’en la matière je peux compter sur votre soutien. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et UC, ainsi quau banc des commissions.)