Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Madame la secrétaire d’État, je vous remercie des clarifications que vous venez d’apporter. Je tiens en préambule à vous rendre hommage pour votre opiniâtreté à honorer les responsabilités ministérielles qui vous sont confiées dans un contexte particulièrement complexe.

En vérité, comme nous pouvions nous y attendre, le Conseil européen qui s’est tenu vendredi dernier n’a pas vraiment permis d’aboutir à un accord. Nous adhérons bien évidemment au concept défendu par le Président de la République d’une Europe plus forte et plus souveraine, mais il y a encore loin des mots à la réalité.

Vous avez décrit le risque d’absence d’un accord. Or le constat est terrible : une fois de plus, l’Europe a fait étalage de ses divisions, alors que les modalités de réponse à la crise sont en débat depuis mars dernier. Une décision rapide était pourtant absolument nécessaire. On évoque aujourd’hui un possible compromis en juillet, voire à la fin de l’été, mais vous l’avez dit vous-même, le temps presse.

Après les annonces du mois dernier, qui laissaient espérer qu’une enveloppe de 750 milliards d’euros serait allouée au plan de relance, la déception serait bien grande si les États se révélaient incapables d’aboutir.

L’enjeu est économique, bien sûr, mais il est aussi politique, et il aura des conséquences sur la perception que nos concitoyens auront du rôle de l’Europe. La crédibilité de l’Europe est en cause. Si nous ne sommes pas capables de nous mettre d’accord aujourd’hui face à une crise d’une telle ampleur, quand serons-nous véritablement capables de faire avancer l’Europe ?

Y a-t-il eu des avancées lors de la réunion du Conseil de la part des pays dits « frugaux » ? Le Président de la République – vous l’avez dit – est en ce moment même aux Pays-Bas pour tenter de convaincre l’un de ces pays les plus réticents. Vous nous redirez peut-être au cours de la discussion quel est votre véritable sentiment sur les chances d’aboutir lors du prochain Conseil européen qui se réunira en présentiel dès le mois de juillet.

Par ailleurs, des travaux ont enfin démarré pour donner une boussole stratégique à l’Union européenne. Quelle belle priorité ! S’il s’agit d’une forme de revue stratégique, cette initiative est bienvenue. Mais sans moyens ambitieux, quelle sera la crédibilité de cette boussole ?

Avec 9,5 milliards d’euros, dont 8 milliards d’euros pour le Fonds européen de la défense, la défense européenne ne bénéficie pas de la relance. Quel contresens stratégique ! Nous avions pourtant la possibilité d’accompagner cette relance ô combien nécessaire.

Où sont les 17 milliards d’euros qui étaient proposés il y a seulement deux ans par la Commission pour le Fonds européen de la défense et pour la mobilité militaire ? Vous nous direz si le dernier Conseil européen permet d’espérer des avancées sur cette question.

J’évoquerai enfin la relation future entre l’Union européenne et le Royaume-Uni. Sous l’autorité de mon collègue Jean Bizet, je participe à un groupe de suivi qui entendra Michel Barnier jeudi prochain. Nous sommes très intéressés par cette audition, mais en vérité, nous sommes inquiets.

Les négociations avec la Grande-Bretagne sont dans l’impasse. La conférence de haut niveau entre les dirigeants européens et le Premier ministre Boris Johnson va-t-elle faire naître un espoir ? Rien n’est moins sûr !

Nous fêterons les dix ans des accords bilatéraux de défense de Lancaster House. Au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, j’appelle le Gouvernement à prendre une initiative forte de relance de la coopération franco-britannique dans le domaine de la défense. En effet, le Royaume-Uni est le seul partenaire qui fixe à la défense les mêmes objectifs et lui alloue les mêmes moyens que notre pays.

Le Sénat va s’y employer sur le plan parlementaire, car beaucoup de choses resteront à reconstruire avec le Royaume-Uni. Cette coopération doit rester au cours des prochaines années l’un des moteurs de la construction d’une défense européenne, à laquelle le Royaume-Uni a naturellement vocation à participer.

Madame la secrétaire d’État, tout en rendant encore une fois hommage à votre détermination, comprenez que nous doutions de cette volonté d’aboutir de la part d’un certain nombre de nos partenaires, même si nous espérons encore. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et LaREM, ainsi quau banc des commissions.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Rapin, au nom de la commission des finances.

M. Jean-François Rapin, au nom de la commission des finances. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en dépit des attentes élevées à l’égard du Conseil européen de vendredi dernier, les États membres n’ont pas réussi à progresser ni sur la détermination du prochain cadre financier pluriannuel ni sur la mise en œuvre d’un fonds de relance pour surmonter la crise actuelle.

Cet ordre du jour ambitieux s’inscrit au cœur des compétences de la commission des finances. En effet, celle-ci a examiné la semaine dernière, sur mon rapport, une proposition de résolution européenne sur ce sujet, devenue hier résolution du Sénat, présentée par le président Jean Bizet et Simon Sutour, au nom de la commission des affaires européennes.

Les débats au sein de la commission des finances ont souligné le caractère novateur de la proposition de la Commission européenne. Cette proposition, qui repose sur un couple formé par un CFP socle et un fonds de relance, présente deux avantages indéniables.

Premièrement, elle permet d’augmenter significativement la puissance de feu du budget européen sans peser à court terme sur les contributions nationales.

Deuxièmement, elle a le mérite de tenter de réconcilier plusieurs visions de cet attelage que constituent le CFP et le fonds de relance, en proposant que ce dernier intervienne majoritairement sous forme de subventions à hauteur de 500 milliards d’euros, mais pas uniquement, puisque 250 milliards d’euros de prêts pourront être octroyés. C’est donc une première forme de solidarité européenne qu’il est proposé de mettre en place pour traverser la crise que nous vivons, ce dont chacun se réjouit.

Toutefois, la commission des finances n’a pas donné de satisfecit tant les incertitudes et les points d’inquiétude demeurent nombreux.

Le premier d’entre eux concerne le calendrier des négociations. Alors que le Conseil européen de la semaine dernière a surtout permis de constater des désaccords déjà bien connus, le temps presse pour mettre la prochaine programmation financière sur les rails. Les négociations se sont ouvertes en 2018, avec l’objectif d’éviter des retards importants pour la mise en œuvre des programmes opérationnels en début de CFP tels que nous en avions connu en 2014.

Madame la secrétaire d’État, un accord entre les États membres en juillet vous semble-t-il à portée de main ? Dans le cas inverse, quelles mesures seraient alors prises pour assurer la continuité du budget européen ?

J’en viens au deuxième point d’inquiétude. La Commission relève que l’articulation du budget européen augmenté du fonds de relance et des plans de relance nationaux est cruciale pour assurer la reprise économique.

S’agissant des subventions prévues par la « facilité pour la reprise et la résilience », le calendrier de décaissement des crédits de paiement ne nous paraît pas adéquat. Le financement de la reprise doit intervenir dès le début du CFP. À cet égard, madame la secrétaire d’État, pouvez-vous nous apporter des précisions – vous venez de le faire en partie – sur les projets d’investissement et les secteurs de notre économie qui pourront bénéficier en priorité du fonds de relance européen ?

Notre commission s’est également inquiétée des modalités de remboursement de l’emprunt réalisé par la Commission européenne. À partir de 2028, deux pistes sont possibles : soit le remboursement est permis par la mise en œuvre de nouvelles ressources propres de l’Union, soit il repose quasiment exclusivement sur une hausse significative des montants des contributions nationales des États membres.

En la matière, rien n’est donc acquis. Or, en l’absence de certitude sur le remboursement dont devra s’acquitter la France, nous ne pouvons pas déterminer le taux de retour dont elle bénéficiera au titre du fonds de relance ni l’ampleur de la hausse à venir de sa participation au budget européen.

La Commission européenne semble placer beaucoup d’espoir dans l’introduction d’un panier de nouvelles ressources propres. S’il est évident que cette solution offre une porte de sortie à un débat politiquement sensible, je crois qu’il est nécessaire d’aborder la question avec lucidité : malgré votre bonne volonté, l’Union européenne sera-t-elle en mesure de se doter de nouvelles ressources propres d’ici à 2028 eu égard aux réticences historiques des États membres en la matière ?

Ces réticences portent notamment sur la proposition de création d’une ressource nouvelle reposant sur une assiette commune consolidée de l’impôt sur les sociétés, ou encore sur celle de création d’une taxe sur le numérique. La Commission européenne a également proposé une taxe sur les grandes entreprises qui risquerait de peser sur le tissu économique européen.

De plus, les recettes de plusieurs des ressources proposées ont vocation par nature à diminuer à mesure que les pratiques de consommation et de production évoluent, telles que les recettes de la taxe sur les déchets plastiques, ou encore les recettes issues de quotas d’émissions de carbone.

La dernière inquiétude réside dans la progression du montant de notre contribution nationale à compter de 2021, et plus encore à compter de 2028. Dans un contexte de négociation marqué par le Brexit, les propositions initiales de la Commission européenne se seraient traduites par un ressaut de 6,9 milliards d’euros en moyenne par an. Cette hausse initiale n’incluant pas le remboursement du fonds de relance apparaît considérable compte tenu de la situation de nos finances publiques, encore plus dégradées à l’heure actuelle.

Madame la secrétaire d’État, en cas d’impasse sur le volet des ressources propres, quelle sera la part de remboursement annuel du fonds de relance assumée par la France à compter de 2028 ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi quau banc des commissions.)

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le Conseil européen du 19 juin ouvre la voie à un tournant fondateur dans l’histoire de l’Union.

Si aucun accord n’en a malheureusement expressément résulté, il n’a donné lieu à aucune remise en cause fondamentale de l’architecture générale de la proposition de la Commission européenne qui articule un projet révisé de cadre financier pluriannuel et un instrument de relance temporaire financé par un emprunt de la Commission, au nom de l’Union. Le premier serait doté de 1 100 milliards d’euros et le second de 750 milliards d’euros.

Nous vivons ainsi un moment critique où se confrontent l’urgence de la crise entraînée par la pandémie de Covid-19 et le temps long de la construction européenne. Les Vingt-Sept s’accordent sur la nécessité d’apporter maintenant une réponse au choc économique provoqué par le confinement qui vient de prendre fin – ou quasiment –, et c’est heureux.

Or l’ampleur du choc et donc de la réponse à élaborer est telle qu’elle oblige à bousculer le cadre existant et conduit à échafauder un nouvel étage à l’édifice européen qui se construit dans la durée.

La dénomination du nouvel instrument de relance telle que proposée par la Commission illustre ce paradoxe : c’est un plan de relance pour aujourd’hui, mais il se nomme « Union européenne de nouvelle génération » car il engage l’Union sur trente ans. C’est en effet à cet horizon qu’est envisagé le remboursement de l’emprunt proposé.

On conçoit donc l’extrême défi auquel étaient confrontés vendredi dernier les chefs d’État et de gouvernement encore réunis en visioconférence. Dans ce contexte difficile, on peut se féliciter que le principe d’un endettement commun ait fait l’objet d’un consensus.

Sans doute ce moment n’est-il pas « hamiltonien » à proprement parler, puisqu’il n’est pas question que l’Union européenne reprenne les dettes des États membres dans un grand saut fédéral, mais il est certainement historique dans la mesure où les Ving-Sept envisagent de s’endetter ensemble pour le bien de l’Union. Ils reconnaissent ainsi leur attachement à la construction européenne et leur responsabilité commune envers l’avenir. C’est le fruit inattendu et « savoureux » de la crise profonde dans laquelle le virus a plongé notre continent. Il appartiendra ensuite aux Parlements nationaux, qui détiennent la souveraineté budgétaire, d’y consentir ou non.

Avant d’en arriver là, beaucoup de sujets restent à régler. Car, au-delà de l’architecture globale du projet, l’essentiel est semble-t-il d’optimiser cet effort financier pour qu’il fortifie réellement l’Union européenne et lui garantisse une autonomie stratégique sur la scène mondiale.

Concrètement, cela implique des arbitrages précis. Je pense d’abord à des arbitrages au service de la souveraineté alimentaire, qui repose sur nos agriculteurs. Ces derniers ont besoin de garder le soutien qu’ils reçoivent du premier pilier de la politique agricole commune et d’être accompagnés dans les sauts technologiques contribuant au verdissement des pratiques agricoles.

Ensuite, les arbitrages doivent servir la souveraineté industrielle, qui passe bien sûr par la relocalisation de chaînes de production stratégiques, comme en matière sanitaire, mais aussi par le déploiement des réseaux mobiles 5G dans des conditions de sécurité satisfaisantes, et par une protection suffisante de nos entreprises stratégiques contre les investissements directs étrangers.

Les efforts doivent également être orientés en faveur de la souveraineté spatiale : il faut consentir, pour la politique spatiale de l’Union, un effort budgétaire cohérent avec l’élan donné par l’Agence spatiale européenne – Jean-François Rapin suit cette question avec beaucoup d’attention.

La priorité doit aussi aller à notre souveraineté énergétique, dans le respect de nos ambitions climatiques, en donnant au projet ITER les moyens appropriés.

Enfin, il faut des arbitrages au service de notre souveraineté aux frontières, en donnant à l’agence Frontex les moyens de surveiller les frontières extérieures de l’Union, et au service de notre souveraineté en matière de défense, comme le rappelait le président Cambon : je sais que l’abondement adéquat du Fonds européen de la défense est une préoccupation que partage non seulement la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, mais aussi l’ensemble du Sénat.

Tous ces éléments figurent dans la résolution européenne adoptée par le Sénat sur l’initiative de la commission des affaires européennes. Ce texte insiste aussi pour que l’effort budgétaire considérable qui est envisagé bénéficie bien à l’Union, ce qui suppose qu’il s’accompagne d’une modernisation de la politique de la concurrence, ainsi que d’une optimisation et d’une réactivité accrue de nos outils de défense commerciale.

Je sais que c’est « en marche », si je puis dire. En revanche, j’insiste sur la section 232, qui permet aux États-Unis d’être extrêmement réactifs. J’aimerais bien que l’Union européenne se dote du même outil.

Il reste aussi à s’accorder sur les modalités de mise en œuvre du plan de relance. Certes, le principe d’un emprunt de la Commission au nom de tous semble acquis, mais les modalités de mise à disposition des États membres des fonds ainsi levés, par le biais de prêts ou de subventions, demeurent un sujet de discorde. Il en est de même des modalités de remboursement de cet emprunt, qui impliquent la création de ressources propres.

Comment s’accorder sur un budget sans savoir comment il sera financé ? De ce point de vue, on peut comprendre la frilosité des États dits « frugaux », même si des considérations de politique intérieure expliquent en partie leurs postures, notamment en ce qui concerne les Pays-Bas.

Lors du débat préalable au Conseil européen, madame la secrétaire d’État, vous nous aviez annoncé vous rendre en Autriche et aux Pays-Bas : pouvez-vous nous indiquer si vos rencontres vous ont rendue optimiste sur la possibilité de vaincre les réticences de ces pays ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, Les Indépendants, LaREM et RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Mireille Jouve.

Mme Mireille Jouve. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’épidémie de Covid-19 conduisant l’Europe, comme le reste du monde, au confinement de sa population affecte durement l’économie du continent : une récession attendue autour d’au moins 8,7 % pour la zone euro en 2020, une baisse des exportations de l’Union européenne estimée entre 9 % et 15 %, plusieurs millions d’emplois menacés. Selon les experts, nous serions face à la pire des crises connues en temps de paix. Aussi, nous sommes dans une situation d’urgence économique – c’est peu de le dire.

Cette situation exige plus que jamais l’exercice concret de la solidarité entre pays, un principe théoriquement gravé dans le marbre. Doit-on en effet rappeler aux pays dits « frugaux » l’article 3 du traité sur l’Union européenne, qui dispose que l’Europe « promeut la cohésion économique, sociale et territoriale, et la solidarité entre les États membres » ?

Certes, les propositions de la Commission européenne concernant l’instrument de relance sont ambitieuses et, à ce titre, on peut comprendre qu’elles suscitent des crispations. Prévoir 750 milliards d’euros sous la forme de subventions et de prêts aux États membres les plus touchés par la crise sur le fondement d’un emprunt communautaire : osons le dire sans tabou, nous sommes sur la voie d’une dette européenne mutualisée.

Le RDSE salue cette avancée qui nous semble indispensable pour garantir la cohésion de la zone euro. L’heure n’est plus aux tergiversations. Comme l’a rappelé la semaine dernière la présidente de la Banque centrale européenne (BCE), « plus vite le paquet sera adopté, mieux ce sera pour l’économie de l’Union ».

Même si l’on peut saluer l’esprit d’ouverture des Pays-Bas, de la Suède, du Danemark et de l’Autriche, nous savons que la répartition entre subventions et prêts les préoccupe. Pourtant, c’est bien à l’aune du niveau des subventions que sera jugée la capacité de l’Europe à garantir enfin un véritable soutien mutuel entre États membres.

Il faut donc s’en tenir à la proposition franco-allemande de 500 milliards d’euros sous la forme privilégiée de subventions. Déjà 540 milliards d’euros de prêts sont engagés au titre des premières mesures de soutien. Ajouter des prêts aux prêts n’aurait pas la même portée économique, car cela surendetterait les pays les plus exposés à la crise.

Madame la secrétaire d’État, nous savons bien ce que les « frugaux » vont mettre dans la balance : la conditionnalité des aides et le maintien des rabais. Si c’est le prix à payer pour obtenir un accord rapide et, surtout, le maintien d’un instrument reposant principalement sur des subventions, nous devrons nous y résoudre.

Cette fameuse question des rabais me conduit à revenir sur le prochain cadre financier pluriannuel auquel est adossé l’instrument de relance. Les mêmes pays ont demandé une révision à la baisse de son montant global. Sur ce point, madame la secrétaire d’État, quelle marge de manœuvre avons-nous ? La proposition de CFP du 27 mai est déjà assise sur un compromis. Raboter les 1 100 milliards d’euros sur la table ne permettrait pas de concilier les politiques traditionnelles et les nouvelles priorités.

Il a déjà fallu consentir des sacrifices dans certains domaines par rapport à ce que l’on aurait pu faire avec la proposition de la Commission européenne de mai 2018, laquelle – je le rappelle – prévoyait une enveloppe de 1 279 milliards d’euros.

Je pense en particulier aux moyens consacrés à la PAC et au développement rural. Certes, la dernière proposition de CFP renforce ce volet en prévoyant une enveloppe de 20 milliards d’euros, si l’on intègre le bonus tiré de l’instrument de relance, mais nous restons au-dessous du niveau du CFP en cours, alors que des filières agricoles, comme la viticulture ou l’horticulture, connaissent des difficultés considérables dans plusieurs États membres.

Avec 8 milliards d’euros, le Fonds européen de la défense est également sacrifié sur l’autel des économies, dans un contexte stratégique pourtant très sensible.

Par ailleurs, l’épidémie de Covid-19 impose une nouvelle priorité qu’il faudra doter de moyens : l’ébauche d’une Europe de la santé. Si l’organisation des systèmes de soins est une compétence exclusive des États, les traités ont toujours préconisé d’encourager un niveau élevé de protection de la santé des Européens. Nous voilà aujourd’hui face à cette nécessité. Je salue donc les efforts engagés en faveur du programme de l’Union européenne pour la santé dans le prochain cadre financier pluriannuel et au titre de l’instrument de relance, soit 9,4 milliards d’euros au total.

J’espère, en outre, que la politique européenne de la santé permettra de répondre à la question de la dépendance européenne à l’égard de l’Asie pour des biens aussi fondamentaux que le matériel médical et les médicaments. Le chantier est en tout cas ouvert ; on peut s’en réjouir.

Tous ces engagements, avec pour toile de fond la transition verte, à laquelle mon groupe souscrit naturellement, supposent un réel effort financier dans la durée. S’agissant de l’instrument de relance, si le remboursement du capital n’intervenait qu’à partir de 2028 pour trente ans, il faudrait néanmoins envisager rapidement de nouvelles recettes pour ne pas alourdir les contributions nationales dans un contexte qui conjugue récession, départ du Royaume-Uni et probable maintien des rabais.

Dans ces conditions, il faut aboutir rapidement à un accord sur un panier de nouvelles ressources propres. Lundi dernier, la commission des budgets du Parlement européen a une nouvelle fois demandé au Conseil de les mettre en œuvre.

Le dossier de la taxe sur le numérique semble faire son chemin. C’est une bonne chose, et mon groupe y est favorable, mais cette taxe ne rapporterait que 5 milliards d’euros, tout comme la taxe sur les déchets plastiques. Un mécanisme d’inclusion carbone aux frontières de l’Union européenne est aussi attendu.

Enfin, madame la secrétaire d’État, je souhaite attirer votre attention sur la question du filtrage des investissements. L’Europe s’apprête à déverser beaucoup d’argent pour sauver son économie, dont une majeure partie sera orientée vers les entreprises. Dans cette perspective, il est fondamental de mettre en place un instrument pour protéger les marchés européens. Le mécanisme de filtrage émergera-t-il avant la fin de l’année ?

Mon groupe attend aussi beaucoup de la mise en œuvre de la stratégie de l’Union face à la Chine, qui a été publiée en 2019, mais qui peine à se concrétiser, comme l’ont constaté les dirigeants européens réunis sur ce sujet le 22 juin dernier.

Mes chers collègues, pour conclure, je rappellerai cette fameuse citation de Robert Schuman donnant le coup d’envoi à la Communauté européenne : « La paix mondiale ne saurait être sauvegardée sans des efforts créateurs à la mesure des dangers qui la menacent. » À l’aube de la plus grave crise économique qu’elle a connue, l’Union européenne a plus que jamais besoin d’unité et de solidarité. Mon groupe espère que tous les États membres seront au rendez-vous de ces deux principes fondateurs du pacte européen. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC, ainsi quau banc des commissions.)

Mme la présidente. La parole est à M. André Gattolin.

M. André Gattolin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la vie en « distanciel » n’est pas la vie en « présentiel ». Et en politique, comme ailleurs, nous en faisons tous quotidiennement la délicate expérience.

Difficile, en effet, de faire une campagne de proximité en distanciel à l’occasion du second tour des élections municipales, qui aura lieu ce dimanche. Difficile également de mener une réunion de commission en visioconférence un tant soit peu dynamique, de garder toute son attention lors de marathons virtuels, qui nous conduisent parfois à participer à quatre ou cinq téléconférences dans la même journée.

En dehors des interférences dues à certains micros que l’on oublie de couper, finis la spontanéité des échanges, les petites pauses et les apartés informels, deux à deux, qui permettent souvent d’esquisser un début de compromis ou de rapprochement.

Dans le mot « distanciel » – cela ne vous aura pas échappé –, il y a le terme « distance ». Et s’il est vrai que la communication en distanciel permet bel et bien aux différents points de vue de s’exprimer, ce « cadre particulier de l’expérience », pour reprendre une expression chère au sociologue Erving Goffman, ne permet guère en revanche de construire une relation véritablement interactionnelle et authentiquement dialogique.

Que signifie, en effet, un silence dans un échange distanciel et médiatisé par les nouvelles technologies de l’information ? Approbation, désapprobation, réflexion, inattention ou, tout simplement, problème de transmission ou de réception ?

Cette délicate expérience du distanciel est celle que les vingt-sept chefs d’État et de gouvernement, ainsi que les principaux dirigeants de l’Union ont pu vivre à l’occasion du sommet virtuel qui s’est tenu vendredi dernier. Mais cessons de geindre et de laisser croire que les maigres résultats qui ont résulté de cette réunion seraient le seul fait de la technologie employée.

Certes, la délicate question du prochain cadre financier pluriannuel et du plan de relance européen aurait peut-être pu connaître quelques avancées supplémentaires si ce Conseil avait eu lieu en présentiel. Mais rappelons quand même que les discussions autour du cadre budgétaire 2021-2027 durent depuis plus de deux ans et que, pour l’essentiel, elles se sont déroulées en présentiel, sans que le résultat final soit aujourd’hui clair, et ce à six mois à peine de la mise en œuvre effective de ce cadre.

Tout le monde le dit depuis deux semaines : ce Conseil européen ne pouvait être qu’un tour de chauffe, un round d’observation durant lequel les dirigeants des vingt-sept États membres ne feraient qu’exprimer leur avis sur cet audacieux projet de paquet budgétaire qui n’a – il faut le souligner – qu’un tout petit mois d’existence.

En dépit de cet étrange sommet « pour voir », il faut dire aussi que nos diplomaties respectives n’ont, en amont et en aval de celui-ci, pas chômé pour faire avancer les positions des uns et des autres. Parties à deux le 18 mai dernier, la France et l’Allemagne ont vite été appuyées par la Commission et suivies par une large majorité des États membres. Dans ces délais inaccoutumés à l’échelon de l’Europe, c’est déjà en soi un petit miracle…

Par ailleurs, et même s’ils formulent certaines réserves, c’est sans doute la première fois depuis plusieurs années que les pays du groupe dit de Visegrád ne sont pas au cœur de l’opposition à un procès d’approfondissement et de renforcement de l’Union européenne. Bel exploit !

Autre point positif, c’est l’Allemagne – elle prendra la présidence du Conseil le 1er juillet prochain – qui sera à la manœuvre lors des négociations finales sur ce grand paquet budgétaire. En outre, Mme la secrétaire d’État confirmera ou infirmera le fait que la présidence allemande devrait annoncer la tenue d’une seule grande réunion du Conseil en présentiel dans le courant du mois de juillet plutôt que de deux ou trois, comme on l’avait envisagé un temps : cela limitera probablement les risques d’une procrastination délétère de la part de certains États membres.

Ceux qui connaissent bien l’histoire de la construction européenne savent que les accords européens les plus importants ont toujours été conclus, par le passé, sous les auspices de la présidence d’un des grands pays membres de l’Union.

Au-delà des belles raisons d’espérer que je viens d’énoncer, on ne peut cependant pas occulter les actuels points de tension qui se font jour entre États membres, au premier rang desquels figurent les fortes réticences exprimées par les fameux pays dits « frugaux ». Peu ou prou, ces derniers contestent le recours à l’emprunt européen pour financer ce plan ou, tout au moins, la répartition entre subventions et prêts, qui penche actuellement nettement en faveur des premières.

Bénéficiaires de rabais sur leurs contributions nationales, ils refusent leur suppression en dépit du départ du Royaume-Uni. Ils insistent sur l’instauration de conditions contraignantes pour les pays qui devraient principalement bénéficier de ce plan de relance : un semestre européen plus exigeant et l’engagement d’importantes réformes structurelles par les pays bénéficiaires.

La question des ressources propres est centrale et même la clé de voûte d’un accord. Sans nouvelles ressources propres, le remboursement de la dette européenne risque, à terme, d’échoir principalement aux pays contributeurs nets au budget de l’Union. Et comme les décisions concernant les ressources sont adoptées tous les sept ans, à la fin de chaque cadre financier pluriannuel, un changement en profondeur dans ce domaine doit, selon les règles européennes, passer par la procédure législative spéciale, qui requiert l’unanimité du Conseil, la ratification du Parlement européen et celle des parlements nationaux.

Au sein du club des quatre « frugaux », les positions ne sont heureusement pas toutes aussi fermes qu’il y paraît à première vue.

La Suède et le Danemark pourraient être plus conciliants que l’Autriche et, surtout, les Pays-Bas.

Concernant l’Autriche, l’histoire des vingt-cinq dernières années, depuis son adhésion en 1995 à l’Union, montre qu’elle a souvent tendance à rallier au dernier moment son puissant voisin, l’Allemagne. De plus, cette dernière présidera l’Union à ce moment-là : elle pourrait trouver les mots justes pour la convaincre.

Le cas des Pays-Bas est plus délicat, car l’euroscepticisme est puissant dans l’opinion. Le Premier ministre, Mark Rutte, est actuellement à la tête d’une coalition assez hétérogène, qui ne dispose que d’un siège de majorité à la seconde chambre des États généraux.

Pour autant, les nouvelles du jour semblent laisser quelques espérances, si j’en crois un article paru cet après-midi dans un grand quotidien du soir. Le déplacement du Président de la République ce soir à La Haye pour rencontrer Mark Rutte n’est sans doute pas étranger à cette soudaine évolution. Bien sûr, et comme toujours dans une négociation européenne, il y aura certainement des concessions réciproques pour parvenir à un accord.

Madame la secrétaire d’État, vous êtes indubitablement combative, mais êtes-vous indubitablement optimiste quant à l’obtention d’un accord au sein du Conseil européen avant la fin du mois prochain ? Plus précisément, quelles sont les concessions acceptables qui vous semblent pouvoir être faites pour y arriver ? (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi quau banc des commissions. – M. Claude Kern applaudit également.)