Mme le président. La parole est à M. Frédéric Marchand, pour explication de vote.

M. Frédéric Marchand. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, discuter ou ne pas discuter sur le texte qui nous est proposé au nom d’une prétendue inconstitutionnalité qui reste à démontrer est la question qui nous est posée à cet instant. Le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, même si les avis divergent en son sein sur le fond, souhaite que nous examinions ce texte, tout ce texte, rien que ce texte. Pour cette raison, nous rejetterons cette motion.

Mme le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote.

M. Fabien Gay. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je n’avais pas prévu d’intervenir, mais je crois important, avant d’entamer ce débat qui s’annonce long, que nous nous fixions une règle : éviter, d’un côté comme de l’autre, les caricatures !

Notre débat doit être politique et reposer sur les arguments que nous échangeons. Il n’y a pas, d’un côté, les tenants d’une écologie punitive qui seraient éloignés des agriculteurs et, de l’autre, ceux qui défendraient un principe de réalité. De même, il n’y a pas, d’un côté, celles et ceux qui veulent polluer la planète, et, de l’autre, celles et ceux qui veulent la sauver.

M. René-Paul Savary. Tout à fait !

M. Fabien Gay. En ce qui nous concerne, nous allons prendre pleinement part à ce débat, mais il doit être structuré. Monsieur le ministre, tout à l’heure, je vous répondrai précisément sur deux points : d’une part, la souveraineté alimentaire ; d’autre part, la filière industrielle et les sucreries.

Mais si nous voulons avoir un débat sérieux, il ne faut pas caricaturer nos propos, ce qui m’amène à ce qu’a exactement dit dans son intervention Mme la présidente Éliane Assassi au sujet de la filière bio. Vous avez affirmé, monsieur le ministre : « Madame Assassi a dit que la filière bio n’avait pas été affectée ». Elle n’a pas dit cela !

Je sais que c’est parfois difficile quand on porte un masque, mais j’ai son discours sous les yeux et elle a précisément dit : « Nous noterons d’ailleurs que les cultures bio ont été bien moins touchées ». Voilà la réalité ! (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Pierre Cuypers. C’est faux !

M. Fabien Gay. Pierre Cuypers connaît certes très bien le sujet, mais nous avons des chiffres à l’appui de notre argument et je les donnerai tout à l’heure. M. le ministre nous a dit qu’il avait fait rechercher des chiffres ; nous pourrons donc les comparer…

En tout cas, nous n’avons absolument pas dit que la filière bio n’était pas touchée, nous avons dit qu’elle l’était moins. Vous voyez, monsieur le ministre, c’est un exemple de ce qu’il ne faut pas faire ! Si nous nous caricaturons mutuellement, nous ne nous en sortirons pas et nous ne répondrons pas aux attentes des agriculteurs et des agricultrices. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées des groupes SER et GEST.)

Mme le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.

(La motion nest pas adoptée.)

Question préalable

Exception d'irrecevabilité
Dossier législatif : projet de loi relatif aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières
Discussion générale (début)

Mme le président. Je suis saisie, par MM. Gontard, Labbé, Salmon et les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, d’une motion n° 6.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi relatif aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières (n° 61, 2020-2021).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 7, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à M. Guillaume Gontard, pour la motion.

M. Guillaume Gontard. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, si le groupe écologiste, pourtant viscéralement attaché au débat démocratique, dépose aujourd’hui une question préalable pour rejeter unilatéralement ce texte, c’est que l’heure est grave.

Depuis l’autorisation des néonicotinoïdes en France dans les années 1990 et jusqu’à leur interdiction il y a quelques années, notre pays a perdu 85 % des insectes de ses campagnes – une diminution de 85 % en moins d’un quart de siècle ! Les néonicotinoïdes ont également largement contribué à l’effondrement des populations d’invertébrés, notamment de vers de terre. Ces producteurs et ces fertilisateurs de nos sols sont aussi la ressource alimentaire de nombreux mammifères – musaraignes, hérissons, chauve-souris, etc. – et oiseaux. Imaginer leur disparition prochaine devrait toutes et tous nous plonger dans un abîme de perplexité. « La biodiversité nous concerne au premier chef, car la biodiversité c’est nous, nous et tout ce qui vit sur terre », disait Hubert Reeves.

Le vivant s’effondre sous les coups de boutoir de l’activité humaine. Nous provoquons la sixième extinction de masse de l’histoire de la vie sur terre et nous continuons. Mais aujourd’hui nous n’avons plus d’excuse.

Parmi les poisons que l’humanité déverse quotidiennement dans les cours d’eau, propage dans l’air ou infiltre dans les sols, les néonicotinoïdes sont l’un des plus vicieux, l’un des plus pernicieux, l’un des plus dangereux. Le plus dangereux, car il multiplie par six la mortalité des colonies d’abeilles et décime les populations de pollinisateurs. (M. Laurent Duplomb sexclame.)

Cela a été rappelé, 1 222 études ont montré le danger que représentent les néonicotinoïdes. Rendez-vous compte : 1 222 ! Combien vous en faut-il de plus ?

En réalité, je ne vous apprends rien. Vous connaissez les méfaits de ces produits sur la biodiversité, vous connaissez leurs impacts sur les sols, l’eau et la vie. Vous connaissez les risques pour la santé humaine.

Le débat a été tranché en 2016 et Barbara Pompili, alors secrétaire d’État chargée de la biodiversité, le disait parfaitement : « Les néonicotinoïdes sont dangereux pour notre santé, pour notre environnement, pour les cours d’eau. Nous avons une responsabilité vis-à-vis de nos enfants, nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas ! » (M. Vincent Segouin sexclame.)

Imaginerait-on un gouvernement qui créerait des dérogations à l’interdiction du plomb ou de l’amiante pour les besoins de quelques industriels ? (M. Bruno Sido sexclame.) Monsieur le ministre, quelle responsabilité ! Vous savez et pourtant vous allez permettre l’utilisation d’un poison.

Il a fallu vingt ans de combat acharné des apiculteurs, des écologistes, des associations, des citoyennes et des citoyens pour enfin parvenir à se débarrasser de ces pesticides. Il a fallu sept lectures parlementaires pour y parvenir, car naturellement on invoque l’urgence pour tout et n’importe quoi, mais certainement pas pour la protection de la biodiversité.

Dans l’urgence la plus totale, pour faire face à une année de mauvaise récolte de betterave, pour faire face à un phénomène dont on ne sait même pas s’il se reproduira, vous voulez rouvrir la boîte de Pandore. Vous voulez introduire une dérogation scélérate dans la loi, dérogation qui ne manquera pas de faire jurisprudence et de menacer l’interdiction dans son ensemble. Car au nom du principe d’égalité devant la loi, le juge constitutionnel pourra élargir le champ des dérogations et transformer cette brèche en faille béante.

Vous créez ainsi un précédent délétère que ne manquera pas d’utiliser comme exemple chaque lobby qui considérera demain que la législation écologique est un frein, ne serait-ce que léger, à ses rendements. Plus grave encore, alors que la France avait montré l’exemple en étant le premier pays à interdire les néonicotinoïdes en 2016, son renoncement annoncé est une immense victoire pour le lobby agrochimique, lui permettant de combattre l’interdiction partout dans le monde.

M. Laurent Duplomb. Et le lobby écologiste ?

M. Guillaume Gontard. Ce projet de loi est un cheval de Troie de Bayer-Monsanto et votre gouvernement le sait pertinemment.

M. Julien Denormandie, ministre. Oh là là !

M. Guillaume Gontard. En baissant le pavillon, vous menacez les pollinisateurs du monde entier.

Mme Sophie Primas, rapporteur. Oh là là !

M. Guillaume Gontard. Pour le seul intérêt court-termiste de la filière française de sucre, vous portez un coup violent à toute la biodiversité mondiale.

Quand les pesticides auront éradiqué tous les pollinisateurs et tous les vers de terre, quand nos sols seront aussi morts que les déserts de sable, quand plus rien ne poussera sans engrais chimique, alors la survie de l’humanité dépendra du pompier pyromane Bayer-Monsanto, qui aura ainsi atteint son objectif.

Face à cette dystopie que l’on touche du doigt, face à cet effroyable péril, on n’attend plus ni volonté ni vision des ministres de l’agriculture du quinquennat Macron. On regrettera en revanche l’absence de la ministre de la transition écologique, dont l’action – je l’ai rappelé – avait été décisive en 2016. On la comprend : à ce niveau-là, ce n’est plus un renoncement, c’est un reniement !

Qu’il est loin le temps où le candidat Macron promettait l’éradication progressive des pesticides ! Trois ans après, le président Macron, incapable de tenir sa promesse sur le glyphosate portera à jamais le stigmate du retour des pesticides tueurs d’abeilles. Sacré décalage avec la réalité, avec l’attente de nos concitoyens, avec le courage de valeureux paysans comme Paul François qui, hier, gagnait définitivement son procès contre Monsanto ! (Mme le rapporteur sexclame.) Même votre majorité parlementaire assume de plus en plus mal ce décalage et plus d’un tiers des députés En Marche n’a pas voté votre texte.

Je pourrais poursuivre longtemps ce réquisitoire, mais je ne voudrais pas donner le sentiment d’égrainer les arguments d’autorité depuis un Aventin d’écologiste outragé qui mépriserait les réalités, notamment les difficultés que rencontrent les agriculteurs enfermés dans un modèle agroindustriel à l’agonie.

Si nous refusons aujourd’hui ce débat, c’est que le véhicule législatif que vous nous proposez est inadapté et inepte.

Nous refusons ce débat, car – nous venons d’en discuter – ce texte de loi est manifestement frappé d’inconstitutionnalité. Son étude d’impact est lacunaire, pour ne pas dire biaisée. Il est en rupture profonde avec le principe de prévention inscrit à l’article 3 de la Charte de l’environnement et avec l’objectif à valeur constitutionnelle de protection de l’environnement.

Nous refusons ce débat, car ce texte de loi est vraisemblablement incompatible avec le cadre européen, comme l’a souligné le 1er octobre dernier la Commission européenne, qui vérifiera la conformité de cette dérogation avec le droit communautaire. Loin de la déplorable proposition de politique agricole commune, l’Europe devrait pourtant être l’échelon adéquat pour protéger nos agriculteurs de la volatilité des cours mondiaux et engager la transition agroécologique. Au lieu de vous battre pour déroger à ses règles, vous auriez mieux fait de vous battre pour une PAC ambitieuse.

Nous refusons ce débat, car nous l’avons déjà eu à de nombreuses reprises dans cet hémicycle et nous l’avons déjà tranché. La cohérence de notre Parlement est ici en jeu. Nous avons interdit les néonicotinoïdes, car c’est un poison dangereux pour la vie. Aucune étude scientifique ne vient étayer l’inverse ! Le sérieux s’impose dans cette affaire. « Il ne faut toucher à la loi que d’une main tremblante », affirmait Montesquieu, pas dans la précipitation qui guide ce débat.

Nous refusons ce débat, car ce projet de loi va à l’encontre du principe de non-régression consacré par l’article L. 110-1 du code de l’environnement. La loi que nous votons n’est pas destinée à garnir les étagères poussiéreuses des bibliothèques juridiques et, là encore, nous serions avisés de respecter notre propre ouvrage.

Nous refusons ce débat, car nous n’avons aucun recul sur la situation de la filière betterave à la suite de cet épisode de jaunisse. Les études de l’Anses sont en cours et la fameuse « impasse technique » n’est nullement constatée. (M. le ministre le conteste.) Il conviendrait a minima d’attendre les résultats de ces études.

Nous refusons ce débat, car pour soutenir les agriculteurs, il aurait fallu un dispositif d’urgence pour la filière, assorti de contreparties sociales et environnementales. Avant de déroger à la loi, le cadre budgétaire aurait été un véhicule législatif nettement plus approprié, l’occasion aussi de réfléchir à un fonds important et pérenne pour les calamités agricoles.

Nous refusons ce débat, car c’est une fausse réponse aux problèmes structurels de la filière betterave, qui souffre avant tout de la disparition des quotas et des pressions du libre-échange. Ainsi, malgré la jaunisse, les rendements de cette année ne seraient pas inférieurs à ce qu’ils pouvaient être au début des années 2000. Le problème, c’est qu’entre-temps la surproduction a fait s’effondrer les cours. (Mme le rapporteur sexclame.)

M. Guillaume Gontard. Quand on comprendra que la surproduction agricole ne sert que la spéculation et certainement pas les agriculteurs, on pourra commencer à tenir un discours honnête et sensé.

Nous refusons ce débat, car il est inepte de faire valoir les difficultés de la filière sucre, alors que l’exécutif n’a toujours pas fermé définitivement la porte au projet d’accord avec le Mercosur.

M. Julien Denormandie, ministre. C’est incroyable de dire cela !

M. Guillaume Gontard. Sans opposition ferme et définitive de la France à ce texte, tout débat sur l’avenir de la filière est totalement vain.

Nous refusons ce débat, car enfermer la filière sucre dans ce schéma délétère et à l’agonie ne rend service ni aux producteurs, ni aux industriels, ni aux ouvriers. La France est tellement en retard qu’elle est incapable de répondre à la demande nationale de sucre issue de l’agriculture biologique. Faute de pouvoir s’approvisionner en France, les détaillants bio sont obligés de se fournir au Brésil – un comble, alors qu’on parlait tout à l’heure de souveraineté ! Or il semblerait que la betterave cultivée en bio résisterait nettement mieux à la jaunisse.

M. Julien Denormandie, ministre. C’est faux !

M. Guillaume Gontard. Encore un bienfait de la biodiversité.

Monsieur le ministre, où est le plan pour une filière française bio du sucre ? Où est votre plan pour le développement de la betterave bio ? Vous avez supprimé les aides au maintien à l’agriculture biologique,…

M. Julien Denormandie, ministre. C’est faux !

M. Guillaume Gontard. … cumulé les retards de paiement des aides bio et privilégié le système conventionnel. Où est votre plan pour sortir de ce modèle agricole qui détruit et asservit les femmes et les hommes ?

M. François Bonhomme. Rien que ça…

M. Julien Denormandie, ministre. Honteux !

M. Guillaume Gontard. N’avez-vous aucune autre perspective à offrir à nos paysans que ce piteux reniement ?

Nous refusons ce débat qui méprise les apiculteurs, les arboriculteurs et tous les paysans qui dépendent de la pollinisation.

Nous refusons ce débat qui ne répond qu’aux intérêts à court terme de la filière sucre au détriment de tous les autres, en particulier de ceux des paysans.

Nous refusons ce débat qui est une fuite en avant criminelle.

M. Julien Denormandie, ministre. Honteux !

M. Guillaume Gontard. Nous refusons ce débat et, mes chers collègues, nous vous invitons de tout cœur à le refuser avec nous ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées des groupes SER et CRCE.)

M. Julien Denormandie, ministre. Honteux !

Mme le président. La parole est à M. Daniel Gremillet, contre la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Daniel Gremillet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, examiner deux motions consécutivement n’est pas l’exercice parlementaire le plus réjouissant, avouons-le ! Mais, comme ma collègue Kristina Pluchet avant moi, je veux y voir une nouvelle possibilité de clarification.

Nos collègues du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires ont souhaité déposer cette motion tendant à opposer la question préalable au projet de loi relatif aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières.

Leur argumentaire se découpe de la manière suivante, et je ne fais ici que reprendre, scolairement, le plan de leur motion : le Parlement s’est déjà saisi de la question ; aucun élément scientifique nouveau ne vient légitimer une telle initiative législative ; le Mercosur est le véritable responsable de la santé économique de la filière ; sont enfin évoqués la question du droit européen et le principe de non-régression.

Les cinq griefs formulés me semblent intéressants, mais tous ne me semblent pas appropriés pour une motion ; et je m’en explique.

S’agissant du premier élément que vous portez à notre connaissance, vous dites que « la question de l’interdiction des néonicotinoïdes a été débattue à de multiples reprises » depuis la loi d’avenir pour l’agriculture de 2014. Il y a eu, en effet, la loi biodiversité de 2016 et ses huit examens, en comptant la commission mixte paritaire, la loi Égalim ou encore la proposition de résolution relative à la préservation des insectes pollinisateurs.

Selon les auteurs de la motion, une telle activité législative est en soi une raison pour ne pas légiférer davantage, surtout lorsqu’aucun élément scientifique nouveau ne vient éclairer le débat. Je vais être volontairement espiègle : si je suis votre raisonnement, une disposition légale, maintes fois modifiée pour des raisons d’agenda politique et qui se trouve matériellement inapplicable, ne pourrait pas être modifiée, au motif qu’elle l’a déjà été.

Je vois dans ce raisonnement la même fragilité que celle qui a conduit à l’adoption du principe de non-régression lors de la loi Biodiversité.

Je vais faire l’affront à mes collègues Philippe Bas et François-Noël Buffet de ne pas les convoquer, mais comment une disposition légale issue d’une loi ordinaire, et non organique, peut-elle contraindre le législateur dans l’exercice de ses prérogatives ? Il y aurait donc des lois ordinaires supérieures à d’autres ? À quoi bon, dans ce contexte, continuer d’enseigner la hiérarchie des normes à nos chers étudiants ?

Pardonnez-moi cet aparté, mais c’était l’occasion de répondre au dernier grief soulevé par nos collègues du groupe écologiste sur le non-respect du principe de non-régression.

Je reprends donc ce raisonnement pour le moins étonnant qui veut que la loi, ainsi modifiée, soit conservée et même sanctuarisée. Mais si elle n’est pas applicable en l’état, et donc pas appliquée, elle ne sert à rien !

M. Daniel Gremillet. Prenons un exemple très concret et plutôt récent dans un autre domaine. Songez un instant, mes chers collègues, que le code de l’énergie prévoit que la part du nucléaire dans notre mix énergétique soit ramenée à 50 % à l’horizon de 2025, et non plus à 2035 comme initialement prévu… Cette disposition, issue de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, est inapplicable et ne sera jamais appliquée ! Considérera-t-on que la future loi qui corrigera l’erreur commise alors ne sera pas recevable, au motif que nous avons déjà légiféré ?

En d’autres termes, lorsque la loi n’est pas ou plus adaptée, lorsqu’elle n’est pas applicable ou que le prix de son application est trop élevé sur les plans économique et social, il est de notre devoir de la changer – la commission mixte paritaire sur le projet de loi ASAP vient de nous en donner un autre exemple.

Nos collègues nous répondent alors : sur quel fondement ?

Je le concède, depuis le rapport final produit par l’Anses, en mai 2018, à la suite de l’évaluation mettant en balance les risques et les bénéfices des produits phytopharmaceutiques à base de néonicotinoïdes et de leurs alternatives chimiques et non chimiques, il n’y a pas eu de virage à 180 degrés dans la littérature scientifique.

En réalité, la justification d’un tel projet de loi se trouve non pas dans une publication scientifique récente, mais bien, déjà, dans ce rapport final intitulé Risques et bénéfices relatifs des alternatives aux produits phytopharmaceutiques comportant des néonicotinoïdes. Tout figure dans ce document depuis plus de deux ans !

Les 130 usages autorisés des néonicotinoïdes ont été étudiés, donnant lieu à 154 cas d’étude différents.

Dans la grande majorité des cas étudiés – 89 % –, les solutions de remplacement aux néonicotinoïdes se fondent sur l’emploi d’autres substances actives, notamment des pyréthrinoïdes.

Dans 39 % des cas, les alternatives chimiques reposent sur une même famille de substances actives, ou une seule substance active, voire sur un seul produit commercialisé, ce qui pose, vous l’imaginez bien, des problèmes de résistance.

Surtout, comme l’indique le rapport, un certain nombre de méthodes potentiellement efficaces n’ont pas été retenues comme pouvant constituer une alternative pertinente aux néonicotinoïdes à l’horizon de 2020, faute d’autorisation de mise sur le marché ou d’inscription au catalogue des variétés améliorées. D’ailleurs, monsieur le ministre, nous avons déjà souvent dénoncé les problèmes occasionnés par la lenteur des autorisations de mise sur le marché.

Enfin, et c’est pour cette raison que l’interdiction avec dérogations votée en 2018 constituait une prise de risque, l’Anses évoque une difficulté à anticiper l’évolution de la pression des ravageurs en l’absence de néonicotinoïdes, quelles que soient les alternatives retenues.

C’est là que le bât blesse ! L’évolution de la pression des ravageurs en l’absence de néonicotinoïdes n’ayant pas pu être identifiée avec précision, le rapport de l’Anses évoque des « conséquences agricoles de l’interdiction des néonicotinoïdes difficiles à anticiper ».

Pour ces raisons, et compte tenu de la recrudescence d’attaques de pucerons, qui n’avait pas été anticipée, nous disposons d’éléments scientifiques pour étayer une telle initiative législative.

S’agissant du Mercosur, j’ai eu l’occasion de m’exprimer sur le sujet à de nombreuses reprises. Je ne vais pas, une fois de plus, faire le procès de cet accord de libre-échange ouvrant une nouvelle voie pour le dumping environnemental, dont notre pays, nos agriculteurs et les consommateurs sont les victimes. Mais, je suis désolé de devoir le rappeler, si mélanger les deux problématiques est sans doute confortable d’un point de vue intellectuel, ce n’est en aucun cas rigoureux !

Sur le plan du droit communautaire, enfin, des collègues rappellent que la Commission européenne s’est exprimée, le 1er octobre dernier, pour préciser qu’elle entendait vérifier la conformité du présent projet de loi avec le droit communautaire, jugeant très problématique de multiplier les dérogations d’urgence pour les néonicotinoïdes dans les États membres et se réservant la possibilité d’interdire ces dernières.

Là encore, je le regrette, l’argument de mes collègues ne me semble pas recevable, au motif que l’article 53 du règlement concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques est sans ambiguïté : les pays membres de l’Union européenne peuvent bénéficier d’une dérogation pour ce qui concerne l’usage de ces insecticides « en raison d’un danger qui ne peut être maîtrisé par d’autres moyens raisonnables ».

Pour conclure, alors que nous sommes au Parlement, je ne vais parler ni des paysans, ni des salariés, ni des entreprises ; je vais parler des consommateurs et des citoyens.

Nous avons reçu un courrier dans lequel on nous parle de démocratie et de transparence. Eh bien oui, mes chers collègues, je défends la transparence. Et la plus belle des transparences, c’est de ne pas mentir à nos concitoyens !

Ce n’est pas du chantage ! C’est la réalité ! Je ne voudrais pas que, par des positions que nous aurions arrêtées en termes d’interdiction et qui ne permettraient pas de maîtriser une situation de crise sanitaire relative à un aliment nécessaire à la vie, les consommateurs français doivent, demain, acheter, pour vivre, des produits qui auront été élaborés dans des conditions encore plus difficilement supportables sur le plan environnemental que celles qui sont proposées dans le présent texte. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

J’insiste sur ce point, car je veux que nous puissions regarder les consommateurs dans les yeux – ne les trompons pas ! C’est une position courageuse et c’est pourquoi, vous l’aurez compris, le groupe Les Républicains rejettera cette motion.

Et si mon ton est solennel, c’est que le sucre a une place très importante dans la vie. Ne donnons pas à voir de fausses réalités aux consommateurs, avec toutes les conséquences qui ont été évoquées par les uns et les autres !

Il m’importait de mettre en avant les citoyens et consommateurs, avant les agriculteurs, car l’enjeu est de taille, aussi, à ce niveau. (Très bien ! et applaudissements sur les mêmes travées.)

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sophie Primas, rapporteur. Monsieur Gontard, j’ai été assez frappée – le mot est faible – par votre intervention, dans laquelle vous avez égrené de nombreuses contrevérités. Je suis prête à débattre, mais sur des éléments réels, non sur des contrevérités ou des allégations non étayées.

Peut-être est-ce caractéristique de cette stratégie de la peur, de cette volonté de faire passer dans la société l’idée de décroissance, dont je parlais dans mon intervention précédemment. J’y oppose, comme la commission, une économie de la croissance, du progrès et de la recherche partagée entre les citoyens.

Revenons à la motion.

Son auteur estime qu’il n’y a pas d’élément nouveau remettant en cause l’interdiction des néonicotinoïdes…

Je vous invite, cher Guillaume Gontard, à vous rendre dans les champs pour observer l’infestation massive de pucerons que nous avons connue, à un stade extrêmement précoce et extrêmement inhabituel du développement de la plante, et qui a causé des ravages sans précédent. Je vous invite à aller visiter les usines et à discuter avec les ouvriers, qui s’inquiètent pour leur travail, parce que, eux, ont compris qu’il s’agit d’une urgence vitale.

En ce sens, il existe des éléments nouveaux qui peuvent remettre en cause, de façon dérogatoire et temporaire, l’interdiction des néonicotinoïdes.

Effectivement, le Parlement a voté un principe de non-régression. Mais ayons une vision globale ! Comme je l’ai signalé, si des sucreries ferment en masse, il n’est pas à exclure, compte tenu des pertes dans les départements touchés, que nous pénalisions toute une filière française qui a déjà réalisé de nombreux efforts. Je le répète : de 50 % à 70 % d’entrants en moins, des réductions d’émissions de gaz à effet de serre au niveau des sucreries, moins de transport, des circuits courts pour l’alimentation.

Même des appellations d’origine protégée (AOP) sont concernées : aujourd’hui, selon le cahier des charges visant l’élaboration du brie de Meaux ou du brie de Melun, des pulpes betteravières sont nécessaires ; si, demain, il n’y en a plus, ce sera la fin de ces AOP.

Pour toutes ces raisons, l’avis de la commission est défavorable sur la motion, mais j’espère, comme Fabien Gay l’a précédemment appelé de ses vœux, que nous aurons une discussion sur des éléments précis, réels, et non sur des allégations mensongères. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)