M. Bruno Sido. Et voilà, c’est reparti !

M. Patrick Kanner. Quand allez-vous ouvrir le revenu minimum aux jeunes pour les empêcher de sombrer quand ils n’ont plus de petits boulots ni de perspectives professionnelles ? Quand allez-vous revenir sur votre réforme des aides personnalisées au logement (APL) ? Quand allez-vous abandonner définitivement votre réforme de l’assurance chômage ? Quand allez-vous revaloriser les minima sociaux ? Quand allez-vous augmenter les moyens alloués à l’aide alimentaire, à laquelle le recours explose sur notre territoire, et non les baisser, comme le prévoit le projet de loi de finances ? Quand allez-vous rendre les masques gratuits à l’école pour que tous nos enfants soient protégés efficacement ? Quand allez-vous réactiver une politique ambitieuse de contrats aidés ?

M. Bruno Sido. Des mots de socialiste !

M. Patrick Kanner. La réalité est là, sous nos yeux, tragique. Allez-vous la prendre en compte et changer de cap social ? C’est notre demande depuis le début de la crise.

Il faudra aussi accompagner, à côté du commerce de proximité et de la restauration, qui vont droit au tapis, même si vous allez les soutenir – je n’en doute pas un seul instant –, le monde de la culture et celui du sport, si durement touchés. Accélérez sur cette question que le Président de la République n’a même pas évoquée hier soir, sinon, il ne restera que des décombres et ce qui fonde notre identité commune ne pourra pas se relever.

Alors, oui, notre vote est un vote pour les Français. Mais pour aller vers les Français, il faut sortir de votre verticalité et mieux associer les relais que sont les élus locaux. Mon groupe a naturellement une préoccupation toute particulière pour les territoires d’outre-mer : certains ont été lourdement touchés par la crise sanitaire, d’autres, telle que la Polynésie française, subissent de plein fouet cette seconde vague. Puisque les situations sont différenciées, nous appelons des réponses territorialisées et surtout concertées avec les acteurs locaux. La mobilisation totale de l’État sera absolument nécessaire.

En conclusion, monsieur le Premier ministre, ce confinement et le déconfinement qui suivra doivent fonctionner. L’effort est trop important. La difficulté de votre tâche est grande, mais la responsabilité devant les Français l’est tout autant. Nous vous demandons plus de transparence citoyenne : c’est par ce seul biais, par le partage d’éléments précis et clairs auprès de la représentation nationale et des Français, que vous emporterez la confiance de nos concitoyens. Cette confiance est nécessaire pour combattre le virus.

Monsieur le Premier ministre, nous voterons cette déclaration, pas pour vous, pas pour votre action passée, mais pour les Français, pour les protéger. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.

M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, dans quelques heures, par la volonté du président En Marche, la France sera à l’arrêt pour la deuxième fois, au moins jusqu’au 1er décembre. Il est plus facile pour Emmanuel Macron d’enfermer les Français que d’enfermer les islamistes !

Le Président de la République s’est livré hier à son exercice favori quand il s’adresse aux Français : culpabiliser, interdire et mentir avec un aplomb qui forcerait presque le respect. Comment oser affirmer, en regardant les Français droit dans la caméra, avoir appris de la première vague de la covid-19, alors que les conclusions du bilan de la gestion printanière de l’épidémie, rédigées par le général Lizurey, pulvérisent le mensonge du chef de l’État ?

Des conseils de défense qui ne donnent aucun conseil ! Des cellules de crise ministérielle et interministérielle concurrentes, dont les informations ne circulent pas ! Des préfets et directeurs d’agence régionale de santé (ARS) dont la rivalité neutralise les décisions ! Une logistique largement défaillante et, le plus inquiétant, c’est qu’aucune des vingt et une recommandations du rapporteur n’a été prise en compte. Aucune !

Cela n’a pas empêché Emmanuel Macron d’affirmer le 14 juillet que, en cas de deuxième vague, il serait prêt, suivi par le secrétaire d’État chargé du tourisme qui, le 12 octobre dernier, incitait les Français à partir pour les vacances de la Toussaint.

Pour le président Macron, passer de 5 000 à 6 000 lits, c’est doubler les capacités d’accueil en réanimation. Ce n’est pas étonnant quand un ministre de la santé préfère obéir aux exigences budgétaires de Bruxelles plutôt qu’aux exigences sanitaires de la France.

Pour tenter de masquer sa responsabilité, ainsi que celle de son gouvernement dans la reprise de l’épidémie, le Président use et abuse de la stratégie d’« anxiogénisation » des esprits avec l’évocation de 400 000 morts potentiels si l’on ne reste pas enfermé à double tour chez soi. Personnes âgées, jeunes, tout le monde est concerné par le virus, ce que nul ne conteste, mais alors pourquoi autoriser les visites dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et laisser les écoles ouvertes ?

La grande distribution peut se réjouir : ce confinement sera une nouvelle affaire juteuse, pendant que les artisans, les commerçants, les cafetiers, les restaurateurs sont condamnés à mort.

Le Président annonce le contrôle des frontières extérieures de l’Europe, mais laisse les frontières intérieures ouvertes, alors qu’il affirme dans le même temps que l’épidémie touche plus fortement encore nos voisins. Où est la cohérence, monsieur le Premier ministre ? Où est la logique ? Cela part dans tous les sens, et dans tous les sens contraires ! On n’y comprend plus rien !

Ce que l’on sait, c’est qu’à la crise sanitaire c’est une crise économique et sociale d’une violence inouïe que le Gouvernement inflige aux Français.

Et, bien sûr, tout en continuant à ignorer leur expérience, le chef de l’État a le culot d’en appeler à la mobilisation des élus locaux pour assurer le service après-vente. Ceux-ci ne vous ont pas attendu, fort heureusement monsieur le Premier ministre, pour protéger les populations.

Incapable de prévoir, d’organiser et de décider, vous n’avez plus d’autre solution que d’incarcérer nos compatriotes chez eux, de précipiter le chaos économique et social, et d’exiger du Parlement qu’il ait le vote sur la couture du pantalon. Les parlementaires ne sont pas, ne vous en déplaise, à votre botte !

À vos mensonges, les Français ne croient plus. À votre capacité à combattre l’épidémie, les Français ne croient plus. À votre capacité à écouter le pays réel, je ne crois plus. C’est pour toutes ces raisons, et pour la mémoire des 35 785 victimes du covid-19, monsieur le Premier ministre, que ma confiance, vous ne l’aviez déjà pas, et vous ne l’aurez définitivement plus !

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour le groupe Les Républicains. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, les Français traversent actuellement des heures difficiles et la situation est grave.

La France, le pays que nous aimons, est frappée simultanément par plusieurs crises – sanitaire, économique et sociale –, mais aussi de nouveau par le totalitarisme islamiste. Au nom de mon groupe, je veux m’associer aux hommages et surtout saluer la mémoire des victimes, de toutes les victimes.

Monsieur le Premier ministre, je vous ai interrogé la semaine dernière lors de la séance de questions d’actualité au Gouvernement et vous ai indiqué que nous étions en train de perdre du terrain dans ce grand combat contre l’islamisme. Ces victimes vous obligent. Elles vous obligent à sortir des solutions toutes faites, des demi-mesures, car on n’y parviendra pas avec des demi-mesures, j’en suis persuadé.

Je pense qu’il faut un combat global et qu’il faut aussi sortir du cadre. Si vous restez dans le cadre, vous continuerez à faire des déclarations, nous continuerons à rendre des hommages et les crimes se poursuivront en France et ailleurs. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

La gravité de cette situation, mes chers collègues, nous oblige à la fois à la responsabilité et à la hauteur.

Il n’est pas inutile de vous rappeler notre état d’esprit, monsieur le Premier ministre. La ligne que nous nous sommes fixée depuis le début des attentats et le début de cette crise tient en deux mots : responsabilité et exigence.

Responsabilité d’abord. Nous avons été au rendez-vous en adoptant tous les textes que vous nous avez proposés. Tous ! Notre responsabilité est de vous donner les moyens de gouverner pour protéger les Français. Mais, en face de cette responsabilité, il y a une exigence de vérité, exigence que nous devons d’un point de vue démocratique à nos concitoyens, à nos compatriotes, aux Français qui, eux-mêmes, s’interrogent – et nous nous devons de relayer leurs interrogations, parce qu’elles sont légitimes et que nous avons été mandatés pour cela.

Vous vous êtes exprimé à plusieurs reprises sur l’unité nationale. Très bien ! Mais l’unité nationale ne peut être un prétexte pour imposer le silence dans les rangs, pour museler l’opposition nationale. Monsieur le Premier ministre, vous aviez une bonne occasion de sceller cette union nationale. Ce soir, nous allons examiner un texte qui vous donnera les moyens de réaliser ce que vous nous avez annoncé. Nous allons d’ailleurs sans doute l’adopter, après l’avoir amendé.

Mais vous avez aussi maintenu, dans les circonstances que nous connaissons, un vote à l’issue de ce débat au titre de l’article 50-1 de la Constitution. Vous auriez pu le reporter : cela aurait été évidemment la preuve que vous étiez attaché à cette unité nationale. Vous ne l’avez pas fait, alors que c’est un vote qui n’est qu’indicatif, un vote de confiance, confiance que nous ne vous accorderons sans doute pas, un vote pour rien, un vote inutile donc. (M. le Premier ministre exprime son désaccord.) Dans ces circonstances, était-il vraiment nécessaire de le préserver ?

M. Gérard Longuet. Très bien !

M. Bruno Retailleau. La responsabilité qui est la nôtre est de vous donner les moyens que vous souhaitez pour enrayer l’épidémie, et nous le ferons. Votre responsabilité, monsieur le Premier ministre, est de nous écouter et de rendre des comptes au Sénat, mais aussi à tous les Français.

On a souvent parlé de guerre : guerre contre le virus, guerre contre le totalitarisme islamiste. Je me souviens de cette métaphore utilisée par le Président de la République au printemps dernier : il s’agissait d’une métaphore, suivie d’une anaphore, la répétition à six reprises des termes « nous sommes en guerre ». Mais n’est pas Clemenceau qui veut ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Que reste-t-il sept mois après cette déclaration de guerre ? La France est-elle sur le pied de guerre ? Non, la France est au pied du mur ! Hier, le Président de la République nous a annoncé les mesures de confinement. Je n’ai rien trouvé dans son discours qui se démarque de ce que tout le monde attendait déjà. Par conséquent, même si vous vouliez ce débat et ce vote, les jeux étaient faits. Tout est décidé, mes chers collègues ! Ce débat et ce vote sont à l’évidence un théâtre d’ombres ! (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)

Que reste-t-il sept mois après cette déclaration donc ? Vous nous avez indiqué à plusieurs reprises, ce qui est vrai, que cette seconde vague est la même pour tout le monde, pour tous les pays d’Europe. Nous sommes confrontés aux mêmes difficultés, au même virus, mais nous n’obtenons pas les mêmes résultats, mes chers collègues !

D’après plusieurs outils de comparaison entre les pays, la France n’est pas bien classée en ce qui concerne sa mortalité : nous sommes au cinquième rang ! Peut-on s’en satisfaire ? Peut-on dire que c’est partout pareil et qu’on fait comme les autres ? (Non ! sur des travées du groupe Les Républicains.) Non ! On fait moins bien que les autres tout en ayant en matière de dépenses de santé le niveau le plus élevé. Voilà le problème ! (Marques dapprobation sur les mêmes travées.)

M. Bruno Sido. Eh oui !

M. Bruno Retailleau. Que s’est-il passé pour qu’on en arrive là ? Je sais, bien sûr, qu’il faut être humble, mais on doit aussi la vérité aux Français. Pour nous, c’est incompréhensible.

Prenons la déclaration du ministre des solidarités et de la santé dans le Journal du dimanche du 28 mars dernier : « L’anticipation a été absolue depuis le premier jour ».

Un sénateur du groupe Les Républicains. Quelle honte !

M. Bruno Retailleau. C’est écrit, il l’a déclaré, alors, comment expliquer ces mauvaises performances ? Le ministre des solidarités et de la santé s’est montré aussi définitif, aussi péremptoire qu’il l’est chaque fois qu’il répond à nos questions d’actualité au Gouvernement le mercredi – mes collègues en savent quelque chose, Alain Milon, en particulier.

Que s’est-il passé ? Les deux raisons qui expliquent les résultats que nous connaissons sont l’imprévision, que notre commission d’enquête, comme celle de nos collègues députés, a commencé à révéler, et l’impréparation.

L’imprévision a prévalu pendant le confinement : pas de masques, pas de gel, pas de blouses, et malheureusement pas de cap ni de stratégie. Dès le mois de mars, nous avons été nombreux, ici au Sénat, à indiquer qu’une mise sous cloche était une stratégie uniquement défensive et qu’elle aurait dû s’accompagner de la seule stratégie qui permette de briser les reins de l’épidémie : « tester, tracer, isoler ». Cela n’a pas été fait, et une fois la cloche retirée, le virus est reparti.

L’impréparation a, quant à elle, triomphé avec le déconfinement et l’été. Vous n’avez pas su profiter du répit que le virus vous donnait. On ne peut pas dire que l’on ne savait pas parce que, dès le mois de juillet, le président du conseil scientifique – ce n’est pas nous qui avons nommé les membres de ce conseil et choisi son président ! – nous avertissait d’une possible seconde vague. Et, dès la rentrée, le 9 septembre très exactement, le président du conseil scientifique, toujours lui, déclarait : « le Gouvernement devra prendre des décisions difficiles sous huit à dix jours ». Quelques jours après, monsieur le Premier ministre, vous aviez fait une conférence de presse lors de laquelle vous aviez annoncé que vous transformiez la quatorzaine en petite semaine.

Nous n’avons donc pas profité de ce moment de répit estival pour nous préparer et, en particulier, pour augmenter le nombre de lits en réanimation. Nous en sommes d’ailleurs toujours au même chiffre, malgré les allégations du ministre des solidarités et de la santé devant notre commission d’enquête.

Ce qui a été mis en échec à ce moment-là, c’est la fameuse stratégie « tester, tracer, isoler ». Personnellement, j’avais été heureux d’entendre votre prédécesseur dire dans cette enceinte même, dans son discours sur le déconfinement, qu’il fallait maintenant tester, dépister, tracer et isoler. Mais cette stratégie a été battue en brèche !

S’agissant du dépistage, on a fait du chiffre : jusqu’à 1,2 million de tests par jour ! J’ai entendu certains s’en gargariser, mais à quoi cela sert-il de généraliser ces tests si les résultats arrivent trop tard et si ceux qui doivent être testés ne le sont pas en réalité ? À rien ! Pourquoi le ministère du travail a-t-il interdit aux entreprises et à la médecine du travail, à l’époque, de participer au dépistage ? Pourquoi les laboratoires publics n’ont-ils pas été suffisamment associés ? Ce premier volet de la stratégie a donc été un échec.

Pour ce qui est du traçage – je ne parle pas de l’application StopCovid –, on a permis aux fameuses brigades sanitaires de partir en vacances pendant l’été, en juillet et en août, alors que c’est à ce moment-là que se sont multipliés les clusters et que la circulation du virus s’est accélérée. Au mois de juillet, on traçait cinq cas contact en moyenne par malade, depuis quelques semaines, on n’en trace plus en moyenne que deux : échec sur le traçage !

Échec aussi sur l’isolement : dans mon propre département, seules trois personnes ont été isolées depuis le mois de mai : un sans domicile fixe et deux travailleurs étrangers. On n’a pas vraiment isolé, alors que les hôtels pouvaient être réquisitionnés et mobilisés. Voilà où nous en sommes !

Et les frontières ? Alors que le conseil scientifique, toujours lui, vous enjoignait au mois d’août dernier d’imposer un isolement absolu aux passagers en provenance des zones rouges, pourquoi n’avez-vous rien fait ? Pour quelle raison, si ce n’est cette idée que les frontières, en tout cas intraeuropéennes, doivent toujours – je l’ai encore entendu hier soir – restée ouvertes ?

Monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, c’est cette accumulation d’échecs, ce sont ces manquements à l’anticipation, même si je sais que cela n’était pas facile, qui vous conduisent aujourd’hui à reconfiner. Ce sont les Français qui vont en payer le prix fort en termes de libertés publiques, bien sûr, mais aussi en termes de souffrances économiques et sociales, n’en doutons pas, parce que le confinement est aussi un cortège de souffrances sociales.

Ce n’est pas sur le front de l’activité économique que nous avons le plus de reproches à vous faire. Je pense en effet que le Gouvernement a plutôt bien accompagné l’économie. Nous avons d’ailleurs, chaque fois, voté les projets de loi de finances rectificative que vous nous présentiez.

Mais, de grâce, ne massacrez pas les commerces de proximité ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Christian Cambon. Très bien !

M. Bruno Retailleau. À quoi cela sert-il de fermer la librairie du coin de la rue ou les magasins des chaussures ? Les Français feront leurs achats dans les grandes surfaces ! (Bravo ! et applaudissements sur les mêmes travées.) Vous préciserez cela, monsieur le Premier ministre…

Sans doute trouvez-vous que ces critiques sont injustes…

M. Jean Castex, Premier ministre. Non, populistes !

M. Bruno Retailleau. Or c’est non pas moi qui ai signalé pour la première fois des « ratés », mais le Président de République, le 13 avril. Hier soir encore, il disait : « Avons-nous tout bien fait ? Non […] ». C’est l’évidence !

De même, vous nous avez souvent accusés de ne pas faire de propositions. Or nous avons tout voté, et notamment, sur tous les textes, des dizaines et des dizaines d’amendements qui sont autant de propositions !

Croyez-vous, monsieur le Premier ministre, que StopCovid serait « passé » au Sénat sans mon engagement personnel ? Qu’avais-je à y gagner à l’époque ? Rien du tout ! Je pensais, simplement, que c’était une affaire de cohérence par rapport à la stratégie de traçage, et j’ai emmené mon groupe pour qu’il vote en ce sens. C’était une question de responsabilité ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Nous continuerons à faire des propositions pour que la France reprenne le contrôle de l’épidémie et que les Français reprennent le cours d’une vie normale.

Ce que nous souhaiterions, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, c’est un plan d’anticipation – enfin ! – qui permette, à la fois, de soigner tous les malades, y compris les plus âgés, et de traquer la maladie.

Faisons en sorte, dans la phase actuelle, que les personnes âgées ne soient pas mises de côté pour l’accès aux soins en réanimation à l’hôpital, comme l’a révélé la commission d’enquête de l’Assemblée nationale. C’est très important ! On doit pouvoir multiplier le nombre de lits.

Alain Milon le disait hier, il faut faciliter l’entente et l’articulation entre l’hôpital, le secteur public et les cliniques privées, faire en sorte d’ouvrir des hôpitaux éphémères, ce qui est une idée du professeur Philippe Juvin – qui plus est, je connais une très belle entreprise vendéenne (Sourires.) qui peut installer en un rien de temps des structures modulaires ! –, et accélérer les formations, comme l’ont fait les Italiens.

Chez moi, à La Bruffière, il y a 63 cas sur 84 résidents dans un Ehpad, et le personnel est indisponible ! Le directeur et le maire ont fait appel à la réserve sanitaire ; or il n’y en a pas. Il faut, bien sûr, former cette réserve ! Aujourd’hui, ce sont les conseillers municipaux et les personnels du centre communal d’action sociale (CCAS) qui donnent un coup de main, bénévolement, dans cet établissement…

M. Jean Castex, Premier ministre. Et alors ?

M. Bruno Retailleau. Ce qu’il faut faire, c’est multiplier les lits, parce que l’action publique est limitée par le nombre de lits de réanimation, et aussi traquer véritablement la maladie, dépister massivement via les tests antigéniques et, demain, les tests salivaires.

Dépistez en mobilisant toutes les énergies et tous les acteurs de santé, y compris la médecine du travail ! Faites en sorte de casser les reins de cette épidémie en traçant vraiment, en isolant ! Réquisitionnez des hôtels et isolez les personnes ! L’isolement doit être accompagné d’un suivi par SMS, « industrialisé ». Il faut également fermer les frontières.

Nous avons des propositions à vous faire, monsieur le Premier ministre. Nous en avons formulé depuis le départ, ici, au Sénat. Vous ne pouvez pas dire que l’opposition se contente de critiquer !

Je conclurai mon propos sur le sens du vote que vous nous demandez. Pour ce qui est de vous donner les moyens de prendre vos mesures, le vote interviendra ce soir, sur le projet de loi autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire. Mais ce que vous nous demandez ici, après cette déclaration du Gouvernement, c’est de vous faire confiance.

Cette confiance, nous ne pouvons vous l’accorder, car cela reviendrait à signer un chèque en blanc. Les Français ne font plus confiance ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.) Ce vote est inutile.

Je vous souhaite de tout cœur de réussir, monsieur le Premier ministre, avec votre gouvernement et le Président de la République, et nous serons toujours disponibles pour vous en donner les moyens. Réussissez ! Il y va de l’avenir de la France et surtout, en ces moments si difficiles qui concentrent tous les dangers, de la destinée commune du peuple de France. (Applaudissements vifs et prolongés sur les travées du groupe Les Républicains. – Les membres du groupe Les Républicains se lèvent pendant que lorateur regagne son siège.)

M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.

M. Claude Malhuret. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs le ministre, mes chers collègues, une de ses patientes se confie un jour à Freud : « Docteur Freud, je n’arrive pas à élever mon fils. Je ne peux rien en tirer. S’il vous plaît, donnez-moi un conseil sur la façon de l’éduquer. » Et Freud lui répond : « Oh ! Ne vous inquiétez pas, madame, quoi que vous fassiez, vous ferez mal. »

Cette anecdote m’est revenue en mémoire mardi dernier, lors de la réunion à laquelle vous aviez invité, monsieur le Premier ministre, les présidents de tous les partis et de tous les groupes parlementaires. Tous, ou presque, vous ont expliqué que, de toute façon, vous feriez mal. Au point que François Bayrou a résumé la réunion en vous disant devant tout le monde, à la fin : « Vous savez maintenant qu’être Premier ministre ça consiste à se faire engueuler. » (Sourires.)

Je ne me suis pas joint au chœur des plaignants et je ne le ferai pas aujourd’hui ; je vais vous expliquer pourquoi.

Il y a quelques jours, je demandais à Édouard Philippe, votre prédécesseur, ce qui lui avait paru le plus dur quand il devait gérer la crise. Il m’a répondu : « La même question a été posée à Churchill au sujet de la Seconde Guerre mondiale et celui-ci a répondu : “Le plus dur, c’est de prendre des décisions quand un tiers des informations dont vous disposez sont incomplètes, un tiers sont contradictoires et un tiers sont fausses.” »

Ce qui me frappe le plus dans cette épidémie, ce n’est pas que tout le monde ait été dans le brouillard au début. Un virus inconnu surgit et tout le monde patauge, c’est normal. Mais il y a quelques semaines, pendant l’accalmie, tout le monde – scientifiques, politiques, journalistes – disait : « S’il y a une deuxième vague, maintenant nous sommes beaucoup mieux préparés pour y faire face. Nous avons retenu les leçons de la première. »

La deuxième vague est arrivée, et elle nous désoriente de nouveau. Rien ou presque ne se passe comme prévu, ici comme ailleurs.

Aujourd’hui, l’Europe entière est frappée, et à ceux qui en douteraient je conseille la lecture de l’excellent rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques qui est paru ce matin.

La République tchèque n’avait recensé presque aucun cas ; elle est désormais le pays le plus touché. La Grèce, très épargnée la première fois, a déclaré le couvre-feu. L’Allemagne, que l’on donnait en exemple, est en pleine flambée et la Chancelière convoque en urgence les présidents des Länder. D’un pays à l’autre, les mesures s’enchaînent. Chacun répond dans l’urgence, quand ce n’est pas dans la panique.

Cette situation est tragique pour les gouvernants. D’un côté, beaucoup de citoyens ne leur font plus confiance, de l’autre, ces mêmes citoyens veulent être rassurés par des paroles et des actes clairs, précis et efficaces. Tout le monde voit bien qu’on est en présence d’un phénomène inédit, qui force à hésiter, à changer d’avis, à réagir au coup par coup. Pourtant tout le monde attend des décisions assurées et nettes. Et parce que l’une de leurs missions essentielles est de rassurer, les politiques tombent dans le piège consistant à affirmer des certitudes, contredites dès le lendemain.

Les opposants s’engouffrent dans la brèche avec un reproche permanent, répété ad nauseam : « Vous n’êtes pas capables d’anticiper. » Ce reproche est, à mon humble avis, aussi facile qu’injuste quand on sait que, face à cette situation imprévisible, il est dans de nombreux cas presque impossible d’anticiper. C’est la raison pour laquelle je ne vais ni participer au concert des critiques ni vous dicter les décisions que vous devez prendre. Je pense même qu’un certain nombre de ces critiques, dans le contexte tragique que nous connaissons et qui impose l’unité de la Nation, sont inopportunes.

Hier soir, le Président de la République a annoncé les nouvelles mesures de lutte contre l’épidémie. Je suppose qu’il l’a fait en conscience et qu’il dispose de beaucoup plus d’informations que moi. En revanche, je voudrais vous soumettre deux ou trois réflexions.

Première réflexion : l’enjeu des prochaines semaines et des prochains mois est capital. Comment se débarrasser du virus sans mettre à nouveau l’économie à terre ? Comment casser les chaînes de contamination sans entraîner une récession d’une violence inouïe ?

Je dis d’une violence inouïe, car, au vu des dégâts du premier confinement sur une économie qui se portait plutôt bien, on peut prévoir que les mêmes mesures prises dans un pays pas encore convalescent seraient la recette infaillible de l’effondrement économique, puis social, enfin politique.

Nous sommes sur un chemin de crête terriblement dangereux. Prendre des mesures insuffisantes, ce serait laisser mourir des gens, mais tuer l’économie, c’est en faire mourir d’autres.

Vous avez choisi un confinement « allégé », si l’on peut dire, en laissant travailler tous ceux qui le peuvent sans danger, en laissant ouvertes les écoles, en permettant les déplacements professionnels. Je ne sais, et personne ne sait, si vous avez placé le curseur au bon endroit. Malheureusement, nous ne le saurons qu’après coup. Mais je constate que, à quelques détails près, dans notre Europe frappée au cœur, tous les gouvernements prennent des mesures semblables.

Je n’aurai pas l’outrecuidance de prétendre vous conseiller d’autres solutions. Si d’autres le font, j’aimerais qu’ils le fassent en prenant garde de ne pas rompre une unité nationale indispensable et pourtant déjà bien mise à mal.

Deuxième réflexion, et je ne suis pas le seul à la faire ici, chacune des mesures prises emporte avec elle une restriction des libertés publiques. L’immense majorité de nos concitoyens l’acceptent, à condition qu’elle ne soit que temporaire. La Ve République confère à l’exécutif des pouvoirs bien supérieurs à ceux du Parlement et tous ses gouvernements ont été tentés, à un moment ou un autre, de s’en servir, parfois d’en abuser. Je voudrais vous mettre en garde contre cette tentation.

Depuis le début de la crise, le Sénat a accepté dans une très large mesure de vous laisser prendre vos responsabilités. Il vous a autorisé à prendre en quelques semaines autant d’ordonnances qu’on en prend habituellement durant tout un quinquennat. Il s’apprête à vous permettre de prolonger leurs effets et d’en prendre de nouvelles. Mais il vous demande de les limiter dans le temps, peut-être davantage que vous ne le souhaiteriez, et de revenir régulièrement vers la représentation nationale. Je souhaite que vous l’acceptiez, monsieur le Premier ministre, car c’est un des meilleurs moyens de préserver l’unité nationale dont vous avez besoin.

Ma dernière réflexion est sans doute la plus préoccupante. Je veux, à ce stade de mon intervention, m’associer à mon tour à l’hommage aux victimes de l’effroyable attentat de Nice, à la douleur de leurs familles et de tous les chrétiens et, en fait, de tous les Français.

La conjonction des crises – virus, terrorisme, écroulement économique, bond du chômage et des difficultés sociales – ne peut pas ne pas avoir de conséquences sur nos démocraties déjà affaiblies, qui comptent tant d’ennemis. Les attentats de Conflans et de Nice ainsi que la crise de ces derniers jours avec le sultan d’Istanbul en sont les derniers exemples.

Un peu partout en Europe, des manifestants refusent désormais les décisions des gouvernements sur l’urgence sanitaire. Il n’y a pas de meilleur carburant pour les rhétoriques complotistes, les discours allumés et les fausses nouvelles que l’ensemble de ces chocs simultanés et leur complexité.