Mme la présidente. La parole est à M Frédéric Marchand.

M. Frédéric Marchand. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission mixte paritaire s’est réunie, jeudi dernier, pour débattre du texte relatif aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques, en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières. Nous nous félicitons qu’elle soit parvenue à un accord.

Les parlementaires ont su faire preuve de consensus face à l’importance des enjeux liés à la dérogation accordée à la filière betteravière sucrière. Ils ont également mesuré l’importance qu’il y avait à agir sans tarder non seulement pour sauver la filière, mais aussi pour sauvegarder notre souveraineté alimentaire nationale.

En effet, le choix que nous avons fait, dans cet hémicycle, le 27 octobre dernier, d’autoriser la possibilité de dérogations répond aux deux impératifs de la préservation de notre souveraineté alimentaire et de la transition agroécologique.

Encore une fois, puisque la pédagogie est l’art de la répétition, il ne s’agit en aucun cas de réintroduire les néonicotinoïdes, dont 92 % des usages préalables resteront interdits.

Il ne s’agit pas non plus d’une porte ouverte vers davantage de dérogations, puisque le texte les circonscrit aux seules betteraves sucrières. Il précise, en outre, clairement que les dérogations d’utilisation de produits phytopharmaceutiques ne seront possibles que sur décision commune des ministères de l’agriculture et de la transition écologique. Le comité d’évaluation des avancées de la filière aura un rôle essentiel : la dérogation sera circonscrite à la seule betterave sucrière et limitée dans le temps, jusqu’en 2023. Seul l’enrobage des semences sera possible, à l’exclusion de toute pulvérisation. Les semis, la plantation et la replantation de végétaux attractifs d’insectes pollinisateurs seront temporairement interdits après l’emploi de ces semences.

Ces derniers jours, nous avons entendu des propos qui minimisaient l’impact de la jaunisse sur les cultures betteravières et traitaient avec légèreté la perte des exploitants. Pourtant, au moment où le pays se reconfine, la préservation de nos richesses et champions nationaux est d’autant plus essentielle.

Au 20 octobre dernier, par exemple, selon les chiffres issus des délégués interministériels de la filière betterave-sucre-alcool, certaines pertes pouvaient atteindre de 70 % à 80 % de la production. J’entends déjà s’élever les contestations sur ces chiffres. S’il est vrai que la situation n’est pas homogène dans l’ensemble du territoire, devons-nous pour autant envisager le problème du côté du moins grave ?

Afin de préserver nos producteurs de la concurrence des pays extérieurs à l’Union européenne et des normes qui y sont applicables, la commission mixte paritaire a conservé l’article proposé par Mme Sophie Primas, rapporteur de la commission des affaires économiques, habilitant le pouvoir exécutif à suspendre ou à fixer les conditions particulières à l’introduction, l’importation et la mise sur le marché, en France, de denrées alimentaires ou de produits agricoles qui contiennent des substances interdites sur notre sol. Dans la droite ligne de l’article 44 de la loi Égalim, il interdit l’importation, la circulation et la vente des produits qui ne respectent pas les normes de production françaises.

En effet, nos concitoyens ont des exigences nouvelles au sujet des produits qu’ils consomment. Cependant, les agriculteurs utilisent les produits phytosanitaires, non par plaisir, mais pour protéger leur production, dont le coût doit leur permettre de faire face à la concurrence. Il n’est donc pas possible, à moins de renoncer à toute forme de concurrence libre et non faussée, de leur imposer de nouvelles normes sans interdire la commercialisation des produits qui ne respectent pas scrupuleusement ces normes.

Par conséquent, l’article 44 de la loi Égalim doit s’appliquer à l’échelon européen et doit devenir la règle incontournable de l’ensemble des négociations commerciales internationales, grâce aux contrôles très stricts qui seront mis en place.

Cette garantie est essentielle pour les agriculteurs : il faut harmoniser les normes de production à l’échelle européenne. Le récent accord que vous avez obtenu dans la négociation de la politique agricole commune, s’inscrit tout à fait dans cette exigence, monsieur le ministre.

C’est donc pour assurer la nécessaire préservation de notre souveraineté agricole et alimentaire et pour accompagner les agriculteurs dans la transition écologique, sans en rester au stade de l’incantation, que le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, dans sa majorité, votera ce texte.

Mme la présidente. La parole est à M. Henri Cabanel.

M. Henri Cabanel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme je l’ai indiqué la semaine dernière, je regrette d’abord la méthode employée par le Gouvernement, car il est incompréhensible pour nos concitoyens que l’on revienne sur une loi. Cela n’arriverait pas si des études d’impact solides étaient menées.

M. Fabien Gay. C’est clair !

M. Henri Cabanel. Quel message adresse-t-on à nos concitoyens ? À l’heure où la défiance envers les gouvernants n’a jamais été aussi profonde, où l’Europe s’engage dans une PAC plus verte, où les débats sur le réchauffement climatique sont forts, où l’opinion publique souhaite que nous favorisions une agriculture plus vertueuse, ce texte ne peut apparaître que comme un mauvais signe, en complet décalage avec les attentes de la société.

Je regrette ensuite que le débat n’ait pas davantage porté sur l’enjeu fondamental que représente la place de la filière sucrière française dans un contexte mondial très concurrentiel.

Je regrette enfin que les acteurs de cette filière, qui savaient pourtant que la situation deviendrait de plus en plus difficile, n’aient pas montré, depuis 2016, leur volonté de changer de paradigme, pour développer une stratégie plus ambitieuse et différente de leurs concurrents. À terme, personne ne l’ignore, les betteraviers ne pourront pas tenir face à une compétitivité agressive et à une production de plus en plus intensive et à bas coût.

Si nous avions eu ce débat de fond, nous aurions pu coconstruire des propositions pour pérenniser la filière. Au contraire, le texte prévoit une dérogation qui ne servira qu’à poursuivre la stratégie actuelle. Alors que l’enjeu était de préserver nos usines sucrières et leurs emplois, nous risquons de voir la filière finir dans le mur, si nous poursuivons dans cette voie.

Monsieur le ministre, vous semblez craindre qu’en 2021 les agriculteurs ne sèment pas de betteraves et cassent la chaîne de la production. Or ils ne font que demander une garantie pour obtenir les rendements nécessaires à une certaine rentabilité. Pensez-vous vraiment que cette dérogation leur permettra d’être plus compétitifs à moyen et long termes ?

En France, les agriculteurs cèdent au choix de la facilité, qui consiste à traiter tous les hectares de manière préventive. De fait, face à une attaque sanitaire, il faut agir comme face à un incendie : on ne le maîtrise que si on l’attaque aux premières fumées ; si on le laisse prendre de l’ampleur, il se transforme en catastrophe écologique.

M. Jean-Claude Tissot. C’est sûr !

M. Henri Cabanel. L’Allemagne a, elle, dès le départ, privilégié la lutte ciblée par pulvérisation.

Je vous entends, monsieur le ministre, et je ne doute pas de votre volonté de faire au mieux, mais je crois que vous vous trompez. Vous vous laissez entraîner par des considérations économiques à court terme, au détriment d’enjeux écologiques et de santé publique de plus long terme. En outre, votre décision est inévitablement injuste pour les filières qui se trouvent dans la même impasse, même si leur importance économique est moindre, qu’il s’agisse des cerises ou des noisettes, attaquées par des parasites, ou bien encore des vignes ou d’autres filières qui n’ont pas véritablement d’alternatives.

La seule solution, c’est de produire autrement, de s’inscrire dans l’agroécologie, vous l’avez dit, monsieur le ministre, de viser un marché de qualité et de changer de mode de production. Pour autant, nous risquons d’être les grands perdants de l’économie mondiale, car nos modes de production intensive seront toujours moindres que d’autres qui vendront toujours à prix plus bas. Voilà pourquoi il faut prendre en compte ce critère si l’on veut aider la filière à passer le cap de la transition écologique et à construire un avenir pérenne.

Je reste convaincu que cette dérogation n’est pas la bonne solution, mais la commission mixte paritaire est parvenue à un accord, de sorte qu’il faut désormais envisager l’avenir.

Monsieur le ministre, il est essentiel que la filière s’attache à élaborer un plan stratégique solide, pour qu’à la fin de cette autorisation ponctuelle les producteurs n’aient plus besoin d’avoir recours aux néonicotinoïdes, ni à aucune autre dérogation.

Nous sommes prêts à travailler à vos côtés afin de construire ensemble la stratégie de demain et de poursuivre une réflexion positive dans l’intérêt général. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay.

M. Fabien Gay. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, une majorité du Parlement vient de réautoriser, en commission mixte paritaire, l’usage des néonicotinoïdes dans la filière betteravière, pour une durée de trois ans. Nous nous y étions opposés en première lecture, aucun parmi vous ne s’étonnera donc que nous votions contre les conclusions de cette commission mixte paritaire.

Personne n’a remis en cause la toxicité des néonicotinoïdes. Pas même vous, monsieur le ministre ! Nous allons pourtant réautoriser, après l’avoir interdit, un produit toxique non seulement pour la santé, notamment celle des agriculteurs, mais aussi pour la biodiversité, en particulier pour les abeilles – je vous ai alerté sur ce sujet en première lecture : il vous faudrait rassurer les 54 000 apiculteurs que la mesure inquiète fortement –, et pour nos sols, en vérité, pour l’ensemble de la planète !

Pour la première fois, nous allons réautoriser un produit toxique. Tout d’abord, cela contrevient à la Charte de l’environnement et au principe de non-régression, que l’on peut considérer comme un « conquis » du droit environnemental.

Ensuite – et l’argument est sans doute très dur à entendre pour nous, pour vous et, à dire le vrai, pour l’ensemble du personnel politique –, cette mesure revient sur une parole publique et politique qui a été donnée dans un autre texte. Comment comprendre, en effet, que Mme Barbara Pompili, qui a été l’une des chevilles ouvrières de la loi de 2016, lorsqu’elle était députée, cautionne désormais, en tant que ministre, ce texte ? Monsieur le ministre, laissez-moi vous redire qu’elle aurait dû être à vos côtés, au banc des ministres, lors de la première lecture, pour assumer avec vous cette réautorisation. (Marques d’approbation sur les travées du groupe CRCE.)

M. Fabien Gay. Quelle transition écologique voulons-nous ? De ce point de vue, cette réautorisation est un échec. Trois ans suffiront-ils pour proposer aux agriculteurs une alternative viable, alors que rien n’a été fait depuis quatre ans ? Tout dépendra des moyens qui seront investis pour réussir la transition écologique. Or les 50 millions d’euros que le Gouvernement prévoit de consacrer aux haies – alternative sur laquelle je ne reviens pas, pour en avoir beaucoup parlé en première lecture – dans le prochain plan de relance risquent de ne pas être suffisants. Quelles garanties pour permettre la transition écologique ?

En outre, monsieur le ministre, cela pose un problème constitutionnel sur lequel vous n’êtes pas parvenu à lever le doute. Éliane Assassi a déposé en première lecture une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, s’appuyant notamment sur le principe d’équité. Que répondrez-vous aux acteurs des autres filières – noix, noisettes, lentilles…

M. Laurent Duplomb. Vertes du Puy !

M. Fabien Gay. … ou maïs – qui vous demanderont les mêmes autorisations ?

Pour conclure, monsieur le ministre, je regrette que le débat n’ait fait qu’effleurer ce qui constitue l’enjeu central pour la filière betterave, à savoir la libéralisation du marché. Certes, il n’y a là rien de votre fait, hormis que, depuis 2017, la fin des quotas sucriers a entraîné la suppression du prix plancher et que la baisse des prix s’est répercutée sur le revenu des agriculteurs.

M. Pierre Ouzoulias. Exactement !

M. Fabien Gay. Voilà bien un échec de la libéralisation.

Le groupe CRCE continuera de proposer des solutions pour garantir un revenu décent aux agriculteurs tout en favorisant une agriculture qui respecte l’environnement et les êtres humains. Par conséquent, il votera contre les conclusions de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Louault.

M. Pierre Louault. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission mixte paritaire est parvenue à un accord de sagesse sur un texte qui a pour enjeu la survie de la filière betterave. Doit-on conserver, en France, une production de sucre, alors que la concurrence mondiale est exacerbée et que des virus menacent les cultures ?

Le débat nous a permis d’aboutir à une solution de sagesse et d’introduire un certain nombre de précautions qui devraient satisfaire nos collègues, notamment M. Labbé. Nous avons ainsi veillé à ce que tous les acteurs soient représentés au sein du conseil de surveillance, élus ou membres de la profession, afin que cette instance puisse apporter des garanties efficaces quant à la durée de la dérogation et à son périmètre, strictement limité aux besoins d’une culture en péril.

La France ne peut pas se passer d’une agriculture suffisamment solide pour tenir son rang dans la concurrence internationale. Certains rêveraient d’une production complètement protégée, à l’abri du reste du monde. Or la France fait partie de l’Union européenne, qui a signé des accords commerciaux avec des pays tiers, de sorte que son agriculture est forcément soumise à la concurrence.

La difficulté dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui vient de ce que la suppression des néonicotinoïdes a été introduite par voie d’amendement dans un texte précédent, sans véritable étude d’impact pour justifier la mesure et pour envisager les possibilités de produits ou de méthodes de substitution.

Par conséquent, à défaut d’avoir pu trouver des moyens alternatifs, nous n’avons pas réussi à maintenir la suppression des néonicotinoïdes. Il s’agit là d’un échec, mais la législation ne peut pas ne pas tenir compte des réalités techniques.

En revanche, ce texte est un succès en ce qu’il conforte l’article 44 de la loi Égalim et interdit l’importation de produits alimentaires utilisant des composants interdits en Europe. Le scandale de la graine de sésame importée en Europe avec une teneur en pesticide mille fois supérieure à ce que les normes sanitaires européennes admettent est à ce titre un exemple flagrant.

Il n’est pas tolérable que des produits puissent ainsi entrer en France et en Europe, au mépris des normes et des interdictions. De telles méthodes signeraient la mort de l’agriculture française. Les exemples ne manquent pas : on importe ainsi 40 % du poulet qui est consommé en France, alors même que les conditions dans lesquelles il est produit ne correspondent pas aux normes sanitaires qui prévalent dans notre pays. (M. le ministre acquiesce.)

Par-delà les interdictions, ne pas fixer de règles du jeu à même de protéger l’agriculture française reviendrait à condamner cette dernière.

Il faut aller de l’avant ! Toute l’agriculture est concernée, qu’elle soit conventionnelle, de conservation, voire biologique, car même les agriculteurs bio sont parfois contraints d’utiliser des insecticides. (Protestations sur les travées des groupes GEST et SER.)

Bien sûr que si ! En France, la réglementation de l’agriculture bio autorise deux insecticides et l’un d’entre eux détruit tout, même s’il n’a pas de rémanence.

M. Pierre Louault. Relisez vos classiques !

Les agriculteurs bio utilisent le cuivre et le soufre, notamment pour les fruits et la vigne.

M. Laurent Duplomb. Tout à fait !

M. Pierre Louault. Ils consomment du plastique en quantité industrielle : plus aucun maraîcher bio ne peut se passer des serres en plastique ou des filets de protection contre les insectes.

Plutôt que de nous opposer sur des doctrines dépassées, il est temps de travailler ensemble, en bonne intelligence, pour développer une agriculture qui préservera l’environnement et confortera la qualité des produits. À défaut, la France n’aura plus d’agriculture.

Dans mon territoire, nous avons déployé un site Natura 2000, sur 20 000 hectares, grâce à l’action conjointe de tous les acteurs qui se sont réunis autour d’une table, que ce soit la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), les écologistes ou les agriculteurs. Cette zone est aujourd’hui une réussite exemplaire pour la protection des oiseaux, qui n’aurait pas vu le jour sans cette réflexion commune sur la préservation de l’environnement, la place de l’agriculture et les besoins des Français.

Nous ne ferons pas avancer le schmilblick en racontant des choses fausses ! (Exclamations sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.) Il est urgent de développer la recherche pour que des gens compétents accompagnent davantage les agriculteurs. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Tissot. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Jean-Claude Tissot. Monsieur Louault, le fait que nous ne soyons pas d’accord ne signifie pas forcément que je dis des choses fausses !

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission mixte paritaire est parvenue à un accord. Même si le Parlement doit faire face à une actualité chargée, entre l’urgence sanitaire et les exigences du calendrier budgétaire, ce texte ne doit pas pour autant être traité avec légèreté. Avant de l’adopter, nous devons mesurer l’étendue de la brèche qu’il ouvre dans notre législation.

De très nombreux acteurs agricoles et économiques ont, malgré leurs réticences, appliqué l’interdiction des néonicotinoïdes. Ils se sont saisis des quatre années de transition pour revoir leurs pratiques et rechercher des alternatives. Quel message leur envoyons-nous : qu’en s’abstenant de tels efforts, ils auraient pu obtenir de pouvoir déroger à la loi ?

Plus largement, un tel retour en arrière est un précédent redoutable pour toutes nos prochaines législations environnementales.

Avec ce projet de loi, le Gouvernement ne tourne pas seulement le dos au long processus qui a conduit à la loi de 2016 sur la biodiversité, il enterre aussi un principe fort, inscrit depuis 2005 dans notre loi fondamentale, au sein de la Charte de l’environnement : « Les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins. »

Je ne reviens pas sur les éléments scientifiques qui montrent à quel point les néonicotinoïdes compromettent la biodiversité. Depuis leur introduction dans notre pays, 300 000 ruches sont anéanties chaque année, 85 % des populations d’insectes et un tiers des oiseaux des champs ont disparu.

Certes, on ne saurait nier les « besoins du présent » auxquels ce texte prétend répondre. Il convient d’aider, sans délai, une filière qui craint une baisse de 15 % de son volume de production en 2020, en raison de la crise de la jaunisse de la betterave. Pour autant, la réponse à ce besoin immédiat ne peut évidemment pas être l’utilisation de produits qui n’auront d’effet que sur la prochaine récolte.

Comme pour d’autres filières confrontées à des catastrophes, la création d’un fonds de solidarité destiné à compenser les pertes serait bien plus adaptée. Nous le chiffrons à environ 100 millions d’euros.

Il faudra également soutenir cette filière à moyen et long termes, car elle connaît de lourdes difficultés depuis quatre ans, qui sont les conséquences de la suppression des quotas sucriers et du prix minimum garanti.

Les premières fermetures d’usine et suppressions d’emploi ont eu lieu alors que les néonicotinoïdes étaient encore utilisés par les betteraviers. Comment croire alors que leur réintroduction sera une réponse à des difficultés d’ordre structurel ?

Selon nous, une réponse à la hauteur des enjeux consisterait plutôt à accompagner la filière vers une montée en gamme de la production sucrière, une véritable structuration et la mise en œuvre de pratiques agriculturales adaptées pour faire face aux ravageurs.

Ainsi, même au prix d’une régression environnementale qui fera précédent, ce projet de loi ne répond ni aux besoins immédiats ni aux besoins profonds de la filière betterave-sucre.

La Constitution prévoit que « la préservation de l’environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation ». Or ce texte ne fait que consacrer l’environnement comme une simple variable d’ajustement de problématiques économiques.

Pour toutes ces raisons, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, à une exception, votera contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et CRCE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Pierre-Jean Verzelen. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis élu du département de l’Aisne, premier département producteur de betteraves sucrières en France. Pour aggraver mon cas, je précise que mon père est agriculteur… et betteravier ! (Sourires.)

Je peux donc témoigner de ce qu’il s’est passé cette année, en comparaison avec les années précédentes. Il y a deux ans, le tracteur sortait une seule fois pour semer ; cette année, il est sorti quatre fois, une fois pour semer et trois fois pour traiter avec des pesticides et des insecticides. Je ne suis donc pas du tout convaincu que la biodiversité ait été mieux préservée qu’auparavant. En revanche, je suis certain que le bilan carbone est pire que les années précédentes !

La profession agricole a conscience de la nocivité des résidus : elle connaît bien cette difficulté. Néanmoins, il n’y a pas d’autre solution sur la table aujourd’hui et la réalité, c’est celle que je viens de vous décrire.

Il faut également prendre en compte la dimension économique. Imaginons que l’on continue sans les néonicotinoïdes : comme on n’a pas d’autre solution, la production, loin de seulement baisser, s’effondrera dans certains territoires ! (Exclamations sur les travées du groupe SER.) Par conséquent, les agriculteurs, les sucreries et la filière économique en général ne seront plus en mesure de produire pour que les Français consomment et, comme ceux-ci n’arrêteront pas de consommer du sucre, nous importerons, très tranquillement, la production de nos pays voisins et de nos concurrents, qui utiliseront les néonicotinoïdes. Cela n’a pas de sens !

Nous trouvons donc cette décision responsable. C’est une solution transitoire et équilibrée.

M. Pierre-Jean Verzelen. Je souhaite maintenant dire un mot sur la recherche, monsieur le ministre. Il est important de mettre, à l’échelle tant nationale qu’européenne, la pression sur les industriels et les semenciers et sur leurs services de recherche, afin qu’ils n’aient pas en tête que nous allons aller de dérogation en dérogation : qu’ils sachent qu’un jour viendra où tout cela s’arrêtera. Il faut leur demander de travailler, de s’investir sur le sujet, c’est extrêmement important.

L’article 4 du projet de loi permet de fixer les conditions permettant de suspendre l’importation et la commercialisation de produits lorsque les critères sanitaires appliqués en Europe et en France ne sont pas respectés. La réalité juridique est beaucoup plus compliquée, je le sais. Néanmoins, on a mis un pied dans la porte et il ne faut pas la laisser se refermer, parce que cette mesure est pleine de bon sens. C’est un sujet majeur, certains l’ont indiqué, pour que l’agriculture réussisse dans notre pays. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Duplomb. (M. Jean-Raymond Hugonet applaudit.)

M. Laurent Duplomb. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, bien entendu, le groupe Les Républicains votera les conclusions de la commission mixte paritaire, comme il a voté le projet de loi la semaine dernière.

Je commence mon intervention par « bien entendu », parce que cette expression contient « entendu », qui est, selon moi, le mot le plus important de ce projet de loi. En effet, pendant trop d’années, l’agriculture n’a pas été entendue, en proie à des oppositions que les agriculteurs ne pouvaient pas comprendre.

Vous l’avez souligné, monsieur le ministre : comment expliquer à un agriculteur qui, quatre-vingts heures par semaine, travaille dur que tout ce qu’il fait depuis des années ne correspond finalement pas à ce que l’on voudrait qu’il fasse ? Le forcer à faire ce qui lui semble contraire au bon sens, lui qui sait pertinemment qu’en s’engageant dans cette voie il disparaîtra, suscite chez lui de l’incompréhension, un sentiment d’injustice et l’impression de subir des mauvais traitements, qui vont au-delà de tout ce que l’on peut dire sur le bien-être animal ! (Exclamations sur les travées du groupe GEST.)

M. Laurent Duplomb. Je le ressens tous les jours ! Et vous ne pouvez pas dire le contraire, monsieur Tissot ! L’agribashing n’a pas de corps, parce qu’il n’a rien d’opposable, rien. J’en veux pour preuve cette problématique des néonicotinoïdes : elle est partie d’un amendement qui s’est glissé dans une loi, on a poussé une idée, mais, au bout du compte, on est obligé de revenir dessus.

Du reste, ne l’oublions pas : nous revenons dessus non pas parce que nous avons envie d’utiliser des néonicotinoïdes, mais parce que nous constatons la réalité sur le terrain, tout simplement. Je vous remercie d’ailleurs de vous être déplacé, monsieur le ministre, ainsi que la présidente de la commission des affaires économiques, pour pouvoir montrer à ceux qui ne le vivent pas, qui ne sont pas dans ce métier, qui n’ont pas l’habitude d’être chaque jour dans les champs, combien cela est insupportable.

Nous sommes des entrepreneurs. Notre profession fait ce que peu d’autres professions font. Chaque année, nous semons sans jamais être sûrs de récolter, à cause de phénomènes indépendants de notre volonté – le climat ou d’autres événements qui s’imposent à nous.

Comment dire à un agriculteur, qui connaît les produits à utiliser et qui, depuis des années, fait tout pour en diminuer l’usage afin de répondre aux attentes sociétales parfois légitimes, qu’il ne pourra plus les utiliser et qu’il devra les regarder sans y toucher, tout en voyant ses voisins, dans les autres pays, y recourir et le concurrencer sur ses marchés ? Qui accepterait cela ? Quelle profession ? Personne ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Claude Tissot. C’est un raccourci !

M. Laurent Duplomb. Et la seule solution de rechange qu’on lui propose pour remplacer certains produits – je ne citerai pas de nom pour ne pas relancer le débat –, c’est de revenir à la pioche… C’est insupportable !