M. Jean-Claude Tissot. Il ne s’agit pas de cela !

M. Laurent Duplomb. Si vous voulez rentrer dans le débat, prenons l’exemple du glyphosate. Pour certaines cultures, on le sait – ce n’est pas moi qui le dis, c’est un rapport de l’Assemblée nationale rédigé par des députés issus de plusieurs bords politiques –, quand on veut traiter certaines adventices sans glyphosate, on est dans l’impasse totale ; la seule option qui reste, c’est le retour à la pioche ! (M. François Bonhomme sexclame.)

Monsieur Tissot, vous le savez, pour le chardon, par exemple, la réalité, c’est le binage à la main ! (M. Jean-Claude Tissot sexclame.)

Pourquoi n’arrivons-nous pas, dans cet hémicycle, nous qui sommes pourtant des gens de bon sens, nous qui ne sommes pas des diplômés de grandes écoles parisiennes n’ayant pas vécu la réalité du terrain, à poser sereinement le débat, comme Pierre Louault l’a dit, non pas en laissant les idéologies s’affronter, mais en considérant les choses de façon pragmatique ?

M. Jean-Claude Tissot. Parce que nous ne sommes pas d’accord !

M. Laurent Duplomb. La question n’est pas d’être d’accord ou non ! La réalité s’impose à tout le monde ! Qui peut prétendre que la filière betteravière peut subsister si l’on continue dans la même logique ? (Exclamations sur les travées des groupes GEST et SER.) Non, elle ne subsistera pas, le ministre et tous ceux qui connaissent cette filière l’ont indiqué : si nous poursuivons dans la logique imposée depuis deux ans, la filière betteravière française disparaîtra ! (Mêmes mouvements.)

M. François Bonhomme. Et la noisette ?

M. Laurent Duplomb. C’est la réalité ! On peut s’enfermer dans les incantations tant qu’on veut, mais c’est la réalité !

Par conséquent, ne pourrait-on pas se dire que, à partir de ce projet de loi, on revient à un débat posé, raisonné et raisonnable ? Ne peut-on enfin avoir une vision plus juste des agriculteurs, plus proche de la réalité ? Voilà ce que je défends sans cesse… Qu’on arrête les procès d’intention ! Un agriculteur n’utilise pas ces produits pour le plaisir : à la fin du mois, il gagne à peine sa vie ! (M. Joël Labbé sexclame.)

J’entendais Henri Cabanel nous dire que la France n’était plus compétitive, mais c’est totalement faux ! (M. Henri Cabanel sexclame.) Sinon vous n’exporteriez pas votre vin, mon cher collègue, et l’on n’exporterait pas de lait ! Si l’on peut exporter du lait, c’est grâce à notre compétitivité par rapport aux pays moins capables de produire, grâce à notre savoir-faire.

À force de critiquer notre propre agriculture, quelle image envoie-t-on à l’étranger, à tous les pays qui rêveraient d’avoir notre agriculture, à tous les consommateurs qui rêveraient de manger les mêmes produits que nous ? C’est que nous sommes des enfants tellement gâtés que nous estimons que ce que nous mangeons, ce que notre agriculture produit, est plus dégueulasse que dans n’importe quel autre pays du monde ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – Exclamations sur les travées des groupes GEST et SER.) Ce n’est pas admissible !

Qui taperait sur son porte-monnaie, qui taperait sur sa fierté, qui taperait sur une profession qui ne compte pas ses heures, comme nous sommes en train de le faire ? Voilà l’enjeu de ce projet de loi, au-delà des néonicotinoïdes et de la betterave !

D’ailleurs, c’est pareil pour toutes les cultures : l’arboriculture, la pomme ou la cerise !

M. François Bonhomme. Les noisettes !

M. Laurent Duplomb. On ne mange plus aujourd’hui de cerises françaises : il n’y en a plus ! On a supprimé tous les moyens de lutte, on n’a plus rien pour combattre les araignées et autres nuisibles qui s’attaquent aux cerisiers. Celui qui veut manger des cerises mange des cerises turques, qui sont bourrées de tout ce que l’on a interdit chez nous…

M. François Bonhomme. Exactement ! Et c’est pareil pour les noisettes turques !

M. Laurent Duplomb. Si nous étions intelligents et si nous cessions ce débat, que ferions-nous ? Nous instaurerions ce principe : il faut utiliser les produits de la façon la plus raisonnée possible. C’est d’ailleurs ce que l’on fait déjà sur une partie de nos produits. Mon beau-père versait sur son maïs quatre litres d’atrazine à l’hectare.

M. Jean-Claude Tissot. On n’en met plus !

M. Laurent Duplomb. On n’en met plus, en effet. C’est bien qu’on a su évoluer !

Donner du temps aux agriculteurs, faire en sorte qu’ils soient entendus et un peu plus respectés, c’est aussi leur donner les moyens d’évoluer.

M. Jean-Claude Tissot. Cela fait quatre ans que c’est interdit !

M. Laurent Duplomb. Oui, mais il faut tenir compte de la nature et de notre travail. Si quatre ans ne suffisent pas, faut-il maintenir dogmatiquement cette durée ? Sachons évoluer, c’est le principe d’une dérogation.

M. Jean-Claude Tissot. Pourquoi serait-on meilleur dans trois ans ?

M. Laurent Duplomb. Ce ne sera pas forcément meilleur (Ah ! sur les travées des groupes GEST et SER), mais peut-être que, dans trois ans, vous aurez évolué et que l’on pourra trouver des solutions (Exclamations sur les mêmes travées) permettant d’utiliser certains produits dans des quantités infimes.

Ce qui nous oppose, c’est que beaucoup d’entre vous voudraient la suppression totale et l’interdiction de ces produits. Nous ne voulons pas en mettre des quantités importantes, nous voulons laisser la possibilité de les utiliser quand il y en a besoin, dans des situations définies le plus précisément possible, de façon la plus fine possible et dans des quantités les plus faibles possible.

M. Jean-Claude Tissot. Nous sommes en désaccord ! (MM. Guillaume Gontard et Joël Labbé applaudissent.)

M. Laurent Duplomb. Voilà comment nous devons évoluer et c’est dans cette direction que nous devons aller, avec les nouvelles technologies et l’intelligence embarquée.

Au-delà des dispositions qu’il contient, ce projet de loi montre que l’on a enfin entendu le cri d’alarme de tout le secteur agricole. On ne peut plus taper, comme nous l’avons fait pendant des années, sur des gens qui ont continué de faire vivre la France – vous l’avez dit, monsieur le ministre – pendant le premier confinement et qui le font encore pendant le deuxième, sur des gens qui sont sans cesse dans le labeur. Non seulement ils sont fiers de leur métier, mais ils en sont passionnés. À force de les critiquer sans arrêt, nous trouverons plus difficilement encore que ça ne l’est aujourd’hui les générations nécessaires pour les remplacer.

Monsieur le ministre, je tiens à vous remercier une fois encore : ce texte permet de revenir sur des débats fondamentaux, que nous devons avoir dans la plus grande objectivité. Rien n’est pire qu’un politique qui cède à la tentation du populisme.

Si l’on veut élever le débat, nous devons au contraire relever le niveau de tous ceux qui ne connaissent pas la question mais qui sont de plus en plus nombreux à s’y intéresser dans les villes, leur fournir des explications et des éléments d’éclairage, afin d’arrêter de prendre des décisions à l’emporte-pièce. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Angèle Préville. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

Mme Angèle Préville. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, « c’est une triste chose de penser que la nature parle et que le genre humain n’écoute pas », écrivait Victor Hugo.

Ce projet de loi est une défaite magistrale ; c’est une défaite sanitaire et environnementale. Ainsi, nous n’honorerons pas la promesse faite en 2016 de commencer à réparer le monde, à changer les pratiques agricoles en abandonnant les insecticides systémiques et en explorant d’autres voies, l’agroécologie par exemple, celles qui parient sur la diversité du vivant, en laissant opérer les petits artisans minuscules que la nature nous offre dans les écosystèmes, où tout est en interaction et en interdépendance et dont nous n’avons pas fini de découvrir la complexité et la richesse.

M. François Bonhomme. C’est un sermon ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Angèle Préville. C’est avec regret, monsieur le ministre, que je repense à votre souhait de voir se concrétiser une « écologie de l’action et du réel ». Une « écologie de l’action et du réel » ne consiste pas à revenir sur des avancées réelles, indispensables, en matière de droit de l’environnement. Une « écologie de l’action et du réel », c’est un changement ambitieux des pratiques, qui ne s’affranchit pas des recommandations sanitaires et qui sait écouter : écouter la nature, écouter les véritables besoins des agriculteurs, mais aussi écouter la communauté scientifique, qui est, sur ce point, unanime.

Le danger des semences enrobées de néonicotinoïdes est établi, avéré. Une étude récente de chercheurs du CNRS montre que l’imidaclopride est un produit toxique qui se diffuse largement hors des parcelles traitées. C’est un constat grave. Ces néonicotinoïdes se retrouvent à des taux très élevés, notamment dans les vers de terre, pourtant artisans essentiels de nos écosystèmes. On imagine facilement les effets délétères non seulement pour ces organismes, mais encore pour leurs prédateurs occasionnels que sont les oiseaux.

Vous vous apprêtez ainsi à acter la contamination généralisée des sols, censés être exempts de substances de synthèse. Sous les assauts répétés et corrosifs des néonicotinoïdes, les sols ne sont tout simplement plus vivants. Autoriser de nouveau ces produits revient à acter une baisse inévitable de la biodiversité.

Nous nous interrogeons aussi sur la portée politique de vos actes. Nos concitoyens sont de plus en plus préoccupés par la santé, la leur comme celle de l’environnement puisqu’elles sont liées. Quant aux scientifiques, ils s’inquiètent du peu de cas que nous, les politiques, faisons de ce qu’ils nous disent, notamment sur les impacts que peuvent avoir nos décisions sur la santé humaine.

Si nous n’avons pas le monopole de l’écologie, vous n’avez pas le don de la clairvoyance. Voter ce texte, c’est participer au déclin écologique et à une certaine forme de résignation économique. Vous faites le choix d’une solution court-termiste et de facilité. Nous n’entérinerons pas la réintroduction d’un poison dans le sol, pour la simple et bonne raison qu’il est une menace pour la chaîne du vivant.

Je finirai en citant Jean-Marie Pelt et Gilles-Éric Séralini qui disent, à propos de l’édifice compliqué du vivant : « nous sommes en train d’[…] ôter les briques les unes après les autres en ignorant les conséquences de ce démontage à l’aveuglette, qui brise un à un les liens unissant la chaîne des êtres vivants. » (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire.

Je rappelle que, en application de l’article 42, alinéa 12, du règlement, le Sénat, lorsqu’il examine après l’Assemblée nationale le texte élaboré par la commission mixte paritaire, se prononce par un seul vote sur l’ensemble du texte.

Je donne lecture du texte élaboré par la commission mixte paritaire.

projet de loi relatif aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi relatif aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières
Article 2

Article 1er

I. – L’article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime est ainsi modifié :

1° Le II est ainsi rédigé :

« II. – L’utilisation de produits phytopharmaceutiques contenant une ou des substances actives de la famille des néonicotinoïdes ou présentant des modes d’action identiques à ceux de ces substances, précisées par décret, et des semences traitées avec ces produits est interdite.

« Jusqu’au 1er juillet 2023, des arrêtés conjoints des ministres chargés de l’agriculture et de l’environnement, pris après avis du conseil de surveillance mentionné au II bis, peuvent autoriser l’emploi de semences traitées avec des produits contenant les substances mentionnées au premier alinéa du présent II dont l’utilisation est interdite en application du droit de l’Union européenne ou du présent code. Ces dérogations sont accordées dans les conditions prévues à l’article 53 du règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/CEE et 91/414/CEE du Conseil.

« Dans des conditions définies par les arrêtés mentionnés au deuxième alinéa du présent II, le semis, la plantation et la replantation de végétaux attractifs d’insectes pollinisateurs sont temporairement interdits après l’emploi de semences traitées avec des produits contenant les substances mentionnées au premier alinéa du présent II. » ;

2° Après le même II, il est inséré un II bis ainsi rédigé :

« II bis. – Il est créé un conseil de surveillance chargé du suivi et du contrôle de la recherche et de la mise en œuvre d’alternatives aux produits phytopharmaceutiques contenant une ou des substances actives de la famille des néonicotinoïdes ou présentant des modes d’action identiques à ceux de ces substances. Ce conseil comprend quatre députés, dont au moins un député membre de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques et un député membre d’un groupe d’opposition, et quatre sénateurs, dont au moins un sénateur membre de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques et un sénateur membre d’un groupe d’opposition, nommés respectivement par les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat ainsi que, notamment, des représentants des ministères chargés de l’environnement, de la santé et de l’agriculture, du Conseil économique, social et environnemental, d’associations de protection de l’environnement, des organisations syndicales à vocation générale d’exploitants agricoles, de l’interprofession apicole, de l’Institut technique et scientifique de l’apiculture et de la pollinisation, de l’Institut de l’agriculture et de l’alimentation biologiques, des établissements publics de recherche et, sur désignation du président du conseil, en fonction de l’ordre du jour, des représentants de la production et de la transformation et de l’Institut technique de la filière concernée et, le cas échéant, le délégué interministériel pour la filière. Les membres de ce conseil exercent leurs fonctions à titre gratuit. Sa composition, son organisation et son fonctionnement sont fixés par décret.

« Le conseil mentionné au premier alinéa du présent II bis se réunit trimestriellement pour assurer le contrôle des avancées et de l’efficacité des tests en matière de recherche et de mise en œuvre d’alternatives aux produits phytopharmaceutiques contenant une ou des substances actives de la famille des néonicotinoïdes ou présentant des modes d’action identiques à ceux de ces substances, ainsi que la conformité de ces avancées au plan de recherche sur les alternatives aux néonicotinoïdes de la filière concernée par un arrêté de dérogation mentionné au deuxième alinéa du II. Dans le cadre de la procédure de dérogation prévue au même deuxième alinéa, il émet un avis sur les dérogations, dans le respect d’un délai déterminé par décret, et assure le suivi et l’évaluation de leurs conséquences, notamment sur l’environnement, et de leur incidence économique sur la situation de la filière. Le conseil émet un avis et suit l’état d’avancement du plan de prévention proposé par la filière concernée, en veillant à ce que soient prévues les modalités de déploiement des solutions alternatives existantes en conditions réelles d’exploitation.

« Ce conseil publie un rapport annuel, remis chaque année avant le 15 octobre au Gouvernement et au Parlement. »

II. – Le 1° du I entre en vigueur à une date fixée par le décret mentionné au premier alinéa du II de l’article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime, et au plus tard le 15 décembre 2020.

Article 1er
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Article 3

Article 2

La section 6 du chapitre III du titre V du livre II du code rural et de la pêche maritime est complétée par un article L. 253-8-3 ainsi rédigé :

« Art. L. 253-8-3. – Les arrêtés mentionnés au deuxième alinéa du II de l’article L. 253-8 ne peuvent autoriser que l’emploi de semences de betteraves sucrières. »

Article 2
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Article 4

Article 3

(Supprimé)

Article 3
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Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article 4

L’article L. 236-1 A du code rural et de la pêche maritime est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Les ministres chargés de l’agriculture et de la consommation peuvent, dans le respect des articles 53 et 54 du règlement (CE) n° 178/2002 du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2002 établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l’Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires, prendre des mesures conservatoires afin de suspendre ou de fixer des conditions particulières à l’introduction, l’importation et la mise sur le marché en France de denrées alimentaires ou produits agricoles mentionnés au premier alinéa du présent article. »

Mme la présidente. Sur les articles du texte élaboré par la commission mixte paritaire, je ne suis saisie d’aucun amendement.

Quelqu’un demande-t-il la parole sur l’un de ces articles ?…

Le vote est réservé.

Vote sur l’ensemble

Article 4
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Explications de vote sur l'ensemble (fin)

Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l’ensemble du projet de loi dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, je donne la parole à M. Daniel Salmon, pour explication de vote.

M. Daniel Salmon. Je ne reviens pas sur les risques constitutionnels de ce texte. Je m’attarderai en revanche sur la régression environnementale que cela représente et qui aura des conséquences lourdes et attestées pour les abeilles et pour l’ensemble de la biodiversité.

Monsieur le ministre, vous avez indiqué que la récolte de miel de cette année avait été bonne. Reste qu’une hirondelle ne fait pas le printemps. La récolte a été bonne, mais à quel prix ? Les abeilles meurent, on doit sans cesse trouver de nouvelles reines – je suis apiculteur amateur, je sais de quoi je parle – et, peu à peu, elles disparaissent.

Décidément, la défense de la biodiversité et la santé des agriculteurs et des consommateurs ne font pas le poids face à quelques tonnes de betteraves à l’hectare. C’est une reculade lourde de sens et de conséquences… Mes chers collègues, nous vous aurons alertés. La boîte à dérogations est ouverte.

Demain, grâce à l’agriculture hyperconnectée, vous enverrez vos drones polliniser les cerisiers, monsieur le ministre. Il s’agit d’une nouvelle illustration de vos choix politiques : vous êtes parfaitement conscient de la nocivité du produit, mais vous le réintroduisez malgré tout. Pourquoi ? Pour conforter la filière française dans une course sans fin à la compétitivité ? Pour privilégier le rendement maximal et le court terme ? Votre responsabilité devrait consister à vous attaquer aux racines du problème avant d’en gérer les conséquences.

Deux ans après l’adoption de la loi du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite Égalim, et les états généraux de l’alimentation, je note que les principales ambitions de votre mandat pour la transition sociale et écologique du système agroalimentaire sont à la dérive, monsieur le ministre. Là où nous attendions des amorces de transition, nous constatons, au mieux, des statu quo, au pire, de nouveaux reculs, comme aujourd’hui avec les néonicotinoïdes.

Vous affirmez qu’il n’y a pas d’alternative. Bien sûr que si ! Des solutions existent, monsieur le ministre, mais c’est l’ensemble du paradigme qu’il faut changer. Votre monde est, au mieux, un monde désenchanté, au pire, un monde sans le vivant. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. François Bonhomme, pour explication de vote.

M. François Bonhomme. Je ne suis pas là pour faire des procès ni distribuer des satisfecit définitifs. Je rappellerai simplement à M. le ministre et aux collègues qui l’ignoreraient que la filière de la noisette est une filière d’avenir, notamment du point de vue nutritionnel.

Nos collègues Verts mettent en cause le sucre. Tout le monde connaît bien le débat sanitaire qui existe sur ce sujet, mais là n’est pas la question. Il s’agit d’une filière de 45 000 salariés qui était fragilisée. On ne se plaçait donc pas sur ce plan.

Une question se pose pour ce qui concerne la noisette. Nous importons chaque année près de 25 000 tonnes de noisettes, notamment des noisettes turques et des noisettes italiennes, lesquelles bénéficient d’une homologation européenne relative à l’usage de l’acétamipride, interdit pour les producteurs français depuis le 1er juillet dernier.

M. Laurent Duplomb. Bien sûr !

M. François Bonhomme. Nous allons donc nous réveiller, dans quelques mois, au mois de février prochain ou un peu plus tard, avec une fragilisation de cette filière équivalente à celle qui a touché la filière betteravière.

Par conséquent, si l’on n’introduit pas un peu de cohérence, 3 500 producteurs seront frappés de plein fouet. Je prends donc date avec ceux qui ont des certitudes absolues en matière de biodiversité. J’espère que l’on n’en arrivera pas là ; en tout cas, on ne pourra pas dire que l’on ne savait pas.

M. Laurent Duplomb. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur.

Mme Sophie Primas, rapporteur. Au terme de ce débat, je souhaite remercier l’ensemble des collègues, très nombreux, qui sont mobilisés sur ce texte, lequel a – Laurent Duplomb l’a excellemment souligné – une portée évidemment bien supérieure aux seuls articles sur lesquels nous allons maintenant nous prononcer. Je salue cette mobilisation et l’expression de ces convictions, même si nous ne sommes pas toujours d’accord. Cela fait partie du débat démocratique et c’est bien dans ce cadre qu’il faut rester.

Je remercie également les services du Sénat de leur implication et nos collègues de l’Assemblée nationale, avec lesquels nous avons bien travaillé.

Monsieur le ministre, je tiens à saluer votre écoute, comme celle de votre cabinet, qui a été constante dans la coconstruction de ce texte. Si tout en allait tout le temps ainsi entre le Parlement et le Gouvernement, avec cette écoute mutuelle, ce serait un bonheur. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre. En guise de conclusion, au moment où le débat sur ce texte se termine, je tiens à m’associer aux remerciements de Mme la rapporteure.

Nous avons eu des débats de qualité sur des sujets compliqués. Ils ont permis de confronter des visions : c’est le propre d’une démocratie, nous n’étions pas tous d’accord sur tout, mais je crois que nous avons réussi à le faire en gardant un respect mutuel et en débattant sur le fond, ce qui correspond bien à l’image de la Haute Assemblée.

De tout cela, je vous remercie, mesdames, messieurs les sénateurs, mais je profite également de ce moment pour m’adresser à tous les agriculteurs de France. Au moment où la République est parfois mise en cause, où les défis de notre société sont énormes, les agriculteurs font partie du ciment de la République : ils constituent le lien permettant à l’ensemble des Français et à la République de tenir, en dépit de toutes les difficultés.

Songez-y, il n’y a pas un agriculteur – pas un ! – qui s’est posé la question, au début de ce nouveau confinement, de savoir s’il devait ou non, le lendemain, retourner aux champs, travailler et récolter. Toutes ces femmes, tous ces hommes forment le ciment de la République ; il ne faut surtout pas l’oublier, il faut leur rendre hommage.

Ensuite, et je fais miens les propos qui ont été tenus : les agriculteurs ont un métier ô combien compliqué, ils travaillent ardemment et ce sont des entrepreneurs du vivant, qui nourrissent le peuple français. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)

M. Pierre Cuypers. Très bien !

M. Julien Denormandie, ministre. Or être un entrepreneur du vivant, c’est ce qu’il y a de plus difficile.

En effet, le sénateur Duplomb l’a rappelé, en tant qu’entrepreneur, on prend beaucoup de risques, mais on les accepte et on essaie de les minimiser. Il y a des risques auxquels on est inévitablement confronté – le temps qu’il fait – et des risques que l’on tâche de minimiser – le travail du sol, car le sol est un trésor, un actif. En même temps, un entrepreneur du vivant a, face à lui, le vivant. Or le vivant, c’est la temporalité, c’est-à-dire ce qu’il y a de plus compliqué.

Ces entrepreneurs du vivant, qui ont la plus belle des missions, celle de nourrir le peuple français, ont chevillé au corps le fait d’être pétris de convictions sans jamais être pétris de certitudes. Être pétri de convictions, c’est désirer cette transition agroécologique et vouloir avancer ; ne jamais être pétri de certitudes, c’est considérer que l’on peut parfois être confronté à des impasses, que le temps dont on dispose n’est pas celui de l’émotion et des réseaux sociaux. La certitude empêche de se remettre en question, quand la conviction fait avancer, au travers de questionnements permanents.

Que ces entrepreneurs du vivant, pétris de convictions et qui nourrissent le peuple français, soient honorés cet après-midi devant la Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, UC et Les Républicains.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?…

Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, l’ensemble du projet de loi.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 15 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 313
Pour l’adoption 183
Contre 130

Le Sénat a adopté définitivement. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures cinquante-cinq, est reprise à dix-neuf heures.)