M. le président. Il faut conclure.

M. Stéphane Ravier. Soyons dignes de la confiance que nous accordent nos amis arméniens. Levons-nous, et élevons-nous, pour que vive l’Arménie !

M. le président. La parole est à Mme Valérie Boyer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Valérie Boyer. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi de vous faire part de mon émotion. Il y a maintenant plus de huit ans, je venais pour la première fois au Sénat – je n’étais pas présente, comme aujourd’hui, sur ces travées, mais en tribune. Il y a plus de huit ans, donc, le Sénat marquait l’histoire en votant le texte que j’avais porté au Parlement sur la pénalisation du négationnisme relatif au génocide de 1915. Je n’imaginais pas, à cette époque, siéger un jour dans cet hémicycle et devoir y dénoncer une autre épuration ethnique, un autre génocide.

Je tiens à remercier du fond du cœur le président Larcher d’avoir inscrit à l’ordre du jour cette proposition de résolution sur l’Artsakh. Je remercie également, et tout particulièrement, Bruno Retailleau, qui a su rassembler les groupes politiques pour cette cause qui nous dépasse et qui nous transcende. Merci à vous, mes chers collègues, d’être réunis pour cette cause, qui n’est pas communautaire, mais bien universelle.

L’histoire est certes un perpétuel recommencement, mais elle ne doit pas être un renoncement éternel. Le 27 septembre dernier, un conflit armé a éclaté dans la région caucasienne du Haut-Karabagh. De nouveau, l’Azerbaïdjan est entré en guerre contre l’Arménie. Toute cette opération a été froidement orchestrée par un membre de l’OTAN, la Turquie. Et le Gouvernement, interrogé sur toutes les travées du Parlement, ici et à l’Assemblée nationale, de se réfugier derrière la neutralité du groupe de Minsk… Ce groupe n’avait pourtant pas vocation à être neutre, mais à éviter une nouvelle épuration.

Je suis très déçue, monsieur le secrétaire d’État, que M. Le Drian ait évité aujourd’hui le débat. C’est vraiment dommage !

Nous ne sommes ni un petit pays ni une grande nation : nous sommes une civilisation. La France, dans son histoire, a toujours protégé les opprimés. Oui, le chef de l’État a désigné le bourreau et dénoncé la volonté expansionniste du président turc. Et pourtant : aucune aide militaire pour l’Arménie, une aide humanitaire timide, voire absente, pas de résolution européenne ! Alors que nous avons su nous déployer sur d’autres théâtres d’opérations, rien n’a été fait pour l’Arménie.

Les mots sont peu de chose quand des milliers d’Arméniens se font exterminer. Sur place, des journalistes courageux, comme ceux du Figaro, ou l’écrivain Sylvain Tesson témoignent et font état des corps mutilés d’Arméniens retrouvés dans les alentours de Chouchi. Des vidéos insoutenables circulent sur internet. Des êtres humains sont traités de « porcs » ou de « chiens », pour reprendre les mots du dictateur Aliyev. Et pourtant, le Gouvernement est resté neutre face à l’usage qui a été fait par l’Azerbaïdjan, avec l’appui de la Turquie, d’armes non conventionnelles telles que des armes au phosphore. J’espère que ces criminels seront jugés pour leurs actes odieux et lâches !

Rester neutre, quand on sait que la Turquie emploie des djihadistes comme mercenaires pour tuer des Arméniens et les mutiler ? Rester neutre, face à l’épuration ethnique et culturelle opérée par la Turquie et l’Azerbaïdjan ? Rester neutre, pour la France, c’est abandonner sa sœur et alliée l’Arménie. C’est être de nouveau spectatrice d’un génocide : hier les Arméniens et les Assyriens, récemment les Kurdes, de nouveau les chrétiens d’Orient, aujourd’hui encore les Arméniens. Rester neutre, c’est choisir la dictature turco-azérie plutôt que la démocratie arménienne. Desmond Tutu avait raison : rester neutre face à l’injustice, c’est choisir le camp de l’oppresseur.

L’oppresseur, c’est l’Azerbaïdjan soutenu par la Turquie, cette même Turquie qui a pour président M. Erdogan et sa folie expansionniste, sa volonté de reconstituer l’empire ottoman, de planter le drapeau de l’islam sur les terres de l’Artsakh, d’occuper Chypre, territoire de l’Union européenne, de violer l’espace aérien et maritime grec, ses chantages migratoires, le massacre des Kurdes, que nous avons abandonnés, son appel aux djihadistes pour en finir avec les Arméniens, son négationnisme récalcitrant concernant le génocide de 1915, sa volonté d’en finir avec les « restes de l’épée », mot terrible pour désigner les Arméniens rescapés du génocide.

Il y a là autant d’atteintes à notre honneur, à la dignité des peuples, à leur souveraineté, à la paix, jusque chez nous, en France, où ses Loups gris traquent les Français d’origine arménienne. La communauté internationale a laissé mourir les Arméniens, qui sont une part de nous-mêmes et de notre civilisation dans le Caucase.

L’Artsakh est une terre arménienne, par son histoire, par sa culture, par son peuplement. Son identité arménienne est aujourd’hui plus que jamais menacée, à l’image du monastère arménien de Dadivank, que nous devons à tout prix préserver. Si les Azéris persistent à détruire de tels vestiges, ce patrimoine disparaîtra à jamais. Pour que ne se reproduisent pas les désastres de la destruction des Bouddhas de la vallée de Bâmiyân ou des trésors de Palmyre, il faut agir ! Nous devons agir pour préserver ces trésors de l’humanité qui sont au cœur du Haut-Karabagh. Il est écrit dans l’Évangile de Saint-Luc : « S’ils se taisent, les pierres crieront. » Aujourd’hui, elles crient ; elles nous appellent à l’aide.

Si la France entend encore être écoutée et respectée, elle doit agir, comme nous le faisons cet après-midi. C’est l’honneur de la France qui se joue dans cet hémicycle aujourd’hui, via cette diplomatie parlementaire qui nous permettra de ne pas faire rougir l’histoire. La reconnaissance de la République d’Artsakh est davantage qu’un symbole ; elle permettra de relancer le processus de paix en y introduisant une discussion juridique sur le statut de cette petite république, petite par la taille, mais grande par la culture, par l’histoire, par les habitants.

Il y va aussi de la reconnaissance et de la fidélité que les Français doivent aux Arméniens, lesquels ont toujours répondu à l’appel des combats de la liberté, et sont français par le sang versé. Au Haut-Karabagh, on ne souhaite pas l’indépendance comme un colifichet de fierté nationale mal placée ; on la vit comme une garantie de sécurité, de démocratie et de développement. Cette indépendance est la garantie de la vie des Arméniens ; elle est aussi la garantie de la vie des Européens, des Français, et la garantie de la paix dans notre partie du monde.

Mes chers collègues, c’est notre droit le plus strict, au vu des circonstances, et surtout notre devoir le plus élevé, de voter cette proposition de résolution. La France a été le premier État à reconnaître officiellement le génocide arménien, en 2001. Elle doit être la première nation à reconnaître la République d’Artsakh, son droit à vivre en paix et en toute indépendance, son droit de peuple à disposer enfin de lui-même.

Demain, cette résolution inspirera d’autres pays européens, et même au-delà. Nous n’avons pas pu éviter la guerre ; évitons le déshonneur. Il y va de la responsabilité morale et politique du monde libre : reconnaissons ce peuple qui a tant donné pour l’humanité ! Reconnaissons ce peuple qui a tant souffert ! « La France ne peut être la France sans la grandeur », disait le général de Gaulle. Aujourd’hui, c’est le Sénat, par ce vote, qui incarne cette grandeur. Votons tous unis cette belle proposition de résolution ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi que sur des travées des groupes SER et CRCE.)

M. le président. La parole est à M. Gilbert Roger. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Éric Bocquet applaudit également.)

M. Gilbert Roger. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les coprésidents du groupe de Minsk tentent depuis plus de vingt-cinq ans de faciliter la résolution du conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan dans le Haut-Karabagh.

Ce conflit est en premier lieu territorial. Il oppose deux principes, celui du droit d’un peuple, les Arméniens de l’enclave, à l’autodétermination, et celui de l’intégrité territoriale d’un État, l’Azerbaïdjan.

Depuis le lancement, le 27 septembre dernier, d’une offensive militaire par Bakou, les États-Unis, la Russie et la France, comme ils le font depuis 1994, appellent les parties prenantes à la retenue et à la négociation. Par la voix de leurs chefs de diplomatie, les trois pays ont condamné l’offensive, dans une déclaration en date du 5 octobre dernier.

Mais, cette fois, l’engrenage du conflit est plus complexe, et pas seulement en raison de l’ampleur des moyens militaires déployés par l’Azerbaïdjan, qui souhaite reconquérir les territoires perdus situés entre le Haut-Karabagh et l’Arménie.

La situation s’est complexifiée du fait de l’intervention d’un nouvel acteur, la Turquie, et par le retrait d’un autre, la Russie, qui montre sa réticence à intervenir résolument en faveur de l’Arménie. Russie, qui, par ailleurs, a contribué à déstabiliser le multilatéralisme en annexant la Crimée.

Le président turc Erdogan apporte son soutien politique et militaire à l’opération déclenchée par l’Azerbaïdjan – pour rappel, l’armée turque est membre de l’OTAN et a déployé des drones, technique otanienne, sur le théâtre des opérations. La nature des récents combats, d’une violence inouïe, nourrit les soupçons d’exactions conduites par les autorités azéries, qu’il faut condamner avec la plus grande fermeté.

Le président Erdogan a également pris publiquement position en faveur de l’Azerbaïdjan en déclarant que l’Arménie devait quitter « le territoire azerbaïdjanais occupé ». Par ses agissements et ses prises de position, le président turc piétine ses engagements non seulement comme membre du groupe de Minsk, mais également comme membre de l’OTAN.

Aussi me semble-t-il nécessaire, monsieur le secrétaire d’État, de tirer les conséquences de cet échec diplomatique. Trois cessez-le-feu successifs négociés sous l’égide du groupe de Minsk n’ont eu aucun effet sur le terrain.

Ces échecs posent la question de la viabilité même du groupe de Minsk, alors que la Turquie en est membre, alors que la Russie en est coprésidente et alors que les États-Unis considèrent le dossier du Haut-Karabagh comme non prioritaire. Il ne reste que la France, mais que peut-elle peser seule ? Dans ce contexte, l’Union européenne doit jouer un rôle politique et sortir du piège du Brexit, dans laquelle elle s’est embourbée, pour projeter sa puissance à l’extérieur.

Sans doute par manque de volonté, le groupe de Minsk n’a pas su imposer jusqu’à présent une force d’interposition internationale.

Aussi, la France doit jouer un rôle moteur dans la résolution du conflit. La France doit défendre dans le cadre du groupe de Minsk la mise en œuvre immédiate de la protection des populations par le déploiement d’une force d’interposition internationale.

M. le président. Il faut conclure.

M. Gilbert Roger. C’est l’objet de cette proposition de résolution, que je vous invite, mes chers collègues, à adopter. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et UC.)

M. le président. La parole est à M. Gilbert-Luc Devinaz. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Gilbert-Luc Devinaz. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le 3 novembre 1896, à propos des massacres d’Arménie, Jean Jaurès interpellait le gouvernement sur le rôle de la France et de l’Europe. Une Europe hypocrite, qui fait passer la raison diplomatique et économique avant la sauvegarde des peuples, de la justice et du droit. Ce ne sera pas la dernière fois…

Il serait impensable que reste dans l’histoire le fait qu’un État, aidé par des groupes terroristes, inflige un camouflet aux démocraties occidentales et à l’ensemble des valeurs séculaires qu’elles ont toujours eu à cœur de défendre.

L’Arménie et le Haut-Karabagh ont démontré leur engagement en faveur du développement d’institutions démocratiques solides dans un environnement régional constitué de régimes autoritaires. Ce conflit peut remettre en cause cette orientation.

Le règlement du statut du Haut-Karabagh doit se fonder sur la justice internationale pour garantir une paix durable.

L’Arménie aspire à vivre en paix et en toute sécurité. Prenons au sérieux les menaces des présidents Aliyev et Erdogan. Le 24 juillet, ce dernier déclarait vouloir « continuer d’accomplir la mission de ses grands-parents »… Le groupe d’amitié France-Arménie du Sénat dénonce depuis un an et demi cette menace. La délégation de députés arméniens reçue en octobre dernier s’était inquiétée des manœuvres militaires de la Turquie. Avec mon homologue, Vladimir Vardanyan, nous avions dénoncé dans un communiqué commun « les graves conséquences humanitaires, politiques et diplomatiques qui pourraient en résulter, craignant que cela ne contribue à déstabiliser encore davantage cette région ».

Dès le mois de juin, nos échanges m’ont conduit à interpeller le Président de la République et le ministre de l’Europe et des affaires étrangères pour demander une intervention de la France en tant que coprésidente du groupe de Minsk. Les déclarations belliqueuses portaient atteinte au processus de paix en cours dans le Karabagh, et nous craignions une menace réelle et sérieuse de recours à la force. La diplomatie parlementaire doit être reconnue dans son rôle.

Notre groupe d’amitié persévèrera dans son action et veillera à ce que l’Arménie puisse assouvir sa soif de démocratie. La jeunesse arménienne doit avoir un avenir dans son pays. Nous avions constaté, lors de notre visite à Erevan en 2018, un changement de ton, d’atmosphère et une grande espérance, celle née des bouleversements de la « révolution de velours ». Cette dynamique est aujourd’hui rompue sauvagement.

Dans l’immédiat, notre groupe contribuera à accompagner la priorité des priorités : l’aide aux réfugiés de ce conflit.

Mes chers collègues, nos homologues arméniens ne se nourrissent pas de mots bienveillants : « réaffirmer toute notre amitié », c’est bien ; la prouver par des actes, c’est encore mieux ! Cent cinq ans après le génocide, trente-deux ans après les pogroms, nos amis arméniens ne comprendraient pas que la France ne leur tende pas la main !

Je vous invite à adopter cette résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et UC.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État. (M. André Gattolin applaudit.)

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire dÉtat auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargé du tourisme, des Français de létranger et de la francophonie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, ce qui vient de se passer au Haut-Karabagh, six semaines de combats d’une très grande violence, constitue un drame sur tous les plans : humanitaire, sécuritaire et politique.

Cette crise nous touche profondément parce que les affrontements ont provoqué des milliers de morts. Des jeunes de 20 ans et moins ont été sacrifiés. Des vies ont été brisées, des dizaines de milliers d’habitants du Haut-Karabagh et des districts adjacents ont été jetés sur les routes et ont fui leurs maisons, les uns vers l’Arménie voisine, les autres en Azerbaïdjan, vers l’arrière du front.

Cette crise suscite une émotion forte et légitime en France, notamment en raison des liens historiques et humains très étroits que nous entretenons avec le peuple arménien, et que vous avez été très nombreux à rappeler. Ce sont des liens multiséculaires qui nous unissent. D’ailleurs, l’élan de solidarité s’est très vite manifesté et structuré, avec le concours des collectivités locales, des associations et du Gouvernement. Notre pays, qui a su jadis accueillir de nombreuses familles arméniennes rescapées du génocide de 1915 rappelé par les uns et les autres, se doit d’être fidèle à une amitié historique et à sa promesse d’apporter son appui à l’Arménie dans ce moment difficile.

Je n’oublie pas non plus les liens tissés entre la France et l’Azerbaïdjan, car la France est l’amie des peuples arméniens et azerbaïdjanais. Cela s’est vérifié, quels que soient les présidents et les gouvernements.

Ayant eu l’occasion de me rendre tant en Arménie qu’en Azerbaïdjan, ayant eu l’occasion de rencontrer les étudiants de l’Université française en Arménie (UFAR), à Erevan, ou ceux de l’Université franco-azerbaïdjanaise (UFAZ), à Bakou, je puis vous dire que les uns et les autres communient de la même façon dans la langue française, dans un esprit que nous encourageons. Ne l’oublions pas !

Cette crise nous renvoie, bien sûr, aux responsabilités que la France assume depuis 1997 comme coprésidente du groupe de Minsk, aux côtés de la Russie et des États-Unis. Depuis vingt-trois ans, notre pays s’est activement engagé à tous les niveaux en faveur d’un règlement négocié, pacifique, équilibré et durable du conflit. D’ailleurs, à plusieurs reprises, il y a eu des moments où l’on a pensé qu’on allait pouvoir déboucher sur quelque chose. Hélas, non !

Il s’agit d’une négociation d’une grande difficulté, à tel point que ce conflit était parfois désigné comme un « conflit gelé », appellation laissant entendre qu’il était à la fois insoluble et latent. Malheureusement, nous l’avons vu, le conflit du Haut-Karabagh était une plaie béante qui ne demandait qu’à se rouvrir.

La guerre qui vient de se terminer par un cessez-le-feu obtenu aux forceps par la Russie, dans le prolongement d’efforts intenses déployés dès le déclenchement de l’offensive par les trois capitales coprésidentes du groupe de Minsk, a profondément changé la situation. Si cet accord n’est pas le nôtre, il a permis de mettre fin aux combats. Mais il laisse ouvertes d’importantes questions, qui empêcheront en l’état de trouver une solution durable à ce conflit.

La France joue donc son rôle et entend tenir toute sa place en contribuant à la consolidation du cessez-le-feu et à la résolution des nombreuses difficultés qui restent à surmonter, notamment pour rendre possible le retour des civils et des personnes déplacées dans des conditions acceptables de sécurité et leur permettre de reprendre une vie décente, tout autant que pour la protection du patrimoine historique et culturel de la région.

Le projet de résolution que vous vous apprêtez à adopter est un texte qui reflète et exprime une émotion légitime. Dans le même temps, la responsabilité de l’exécutif est d’élaborer et de conduire une politique cohérente permettant d’établir enfin la paix dans le Caucase du Sud. Je m’attacherai donc à répondre point par point, en toute transparence et en responsabilité, aux différentes questions que vous avez soulevées.

Pour ce faire, je vous rappellerai la situation sur le terrain telle que nous l’analysons, ainsi que les réponses que nous mettons en œuvre.

Aujourd’hui, notre principal objectif est de créer les conditions d’un retour en toute sécurité des populations civiles dans leurs maisons et d’assurer qu’elles pourront continuer à y vivre en paix, dans des conditions décentes.

Dès le déclenchement des hostilités le 27 septembre dernier, les plus hautes autorités de notre pays se sont mobilisées. Le Président de la République a été le premier responsable occidental à appeler les choses par leur nom. Le Président de la République, en marge du Conseil européen extraordinaire des 1er et 2 octobre, a indiqué que des centaines de mercenaires, notamment en provenance de Syrie, avaient été envoyés par la Turquie depuis Gaziantep vers la zone de combat du Haut-Karabagh.

Malgré nos demandes de clarification, la Turquie poursuit ses menées déstabilisatrices dans notre environnement régional immédiat, notamment via l’action militaire. Nous en avions la preuve en Méditerranée orientale, en Libye ou en Syrie ; désormais, c’est au Haut-Karabagh qu’Ankara intervient.

Le Président de la République s’est entretenu à de très nombreuses reprises avec le premier ministre arménien et avec le président azerbaïdjanais. Il a eu des échanges avec Vladimir Poutine. Jean-Yves Le Drian, de son côté, s’est entretenu avec ses homologues arméniens et azerbaïdjanais, de même qu’avec Sergueï Lavrov. Trois tentatives pour conclure un cessez-le-feu ont été menées collectivement par les coprésidents russe, français, américain. Notre ambassadeur représentant la France au sein du groupe de Minsk, ici présent, peut en témoigner : nous n’avons jamais laissé fléchir notre ardeur. Hélas ! ces trois accords de cessez-le-feu n’ont malheureusement pas été suivis d’effet. Notre engagement n’a pas faibli pour autant. Les développements dramatiques sur le terrain, notamment les 8 et 9 novembre, lorsque les forces azerbaïdjanaises n’étaient plus qu’à quelques kilomètres de Stepanakert, ont conduit à l’issue que vous connaissez.

Ce qui a été signé le 9 novembre par le premier ministre arménien, par le président azerbaïdjanais et par la Russie, c’est un accord de cessez-le-feu qui prévoit l’arrêt des combats, l’assistance humanitaire, le retour des réfugiés, les échanges de prisonniers, la sécurisation du cœur du Haut-Karabagh et de sa capitale, Stepanakert. La Russie, ce n’est pas une surprise, s’est fortement investie sur le terrain et a déployé en un temps très court un contingent de 2 000 soldats.

Toutefois, cet accord, à l’évidence, ne résout pas le conflit. Il laisse de nombreuses questions sans réponse : sur les modalités de retour des déplacés, sur le départ nécessaire des combattants étrangers de la région, sur le rôle des organisations internationales, notamment de l’OSCE, et surtout sur les questions qui ont trait au statut final du Haut-Karabagh, à sa délimitation administrative et à son mode de gouvernance, qui sont renvoyées à une négociation ultérieure.

Aujourd’hui, l’accord de cessez-le-feu existe. Il faut construire à partir de là une paix durable et une relation nouvelle entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Dans ce contexte radicalement changé, la France développe une action selon trois axes.

Le premier axe de travail est l’aide d’urgence aux populations civiles du Haut-Karabagh. Plusieurs dizaines de milliers de réfugiés ont fui vers l’Arménie et sont accueillis souvent dans des familles. Beaucoup souffrent de sous-alimentation et se trouvent dans une situation d’extrême précarité et de grande pauvreté. Le Président de la République a souhaité une réponse humanitaire forte, structurée et rapide. Elle est coordonnée par le centre de crise et de soutien du Quai d’Orsay.

Le 22 novembre, un premier avion d’aide humanitaire s’est envolé pour Erevan. Sa cargaison se composait de matériel médical d’urgence et d’aide humanitaire. Un second cargo d’aide humanitaire doit décoller ce vendredi 27 novembre de Paris. Son affrètement est le fruit du travail conduit avec les associations de solidarité avec l’Arménie, notamment la Fondation Aznavour, l’Union générale arménienne de bienfaisance, le Fonds arménien de France. Des organisations humanitaires et des fondations d’entreprises participent aussi activement à ces actions. Nous ne pouvons que nous féliciter de cet élan de générosité, à la hauteur du drame actuel et de la peine que nous ressentons devant les ravages causés par ce conflit.

Nous agissons aussi en travaillant au renforcement de la coopération hospitalière entre des établissements français –Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), Assistance publique-Hôpitaux de Marseille et Hospices de Lyon – et arméniens.

Enfin, un mot pour vous dire que les collectivités territoriales, dont certaines sont déjà très actives, ont été invitées à participer à ce dispositif dans le cadre d’un fonds du ministère de l’Europe et des affaires étrangères.

Nous appuierons enfin dans la durée l’action sur le terrain des agences onusiennes et du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), auxquelles nous entendons verser des contributions pour les années à venir.

Le deuxième axe de travail concerne la protection du patrimoine culturel et religieux au Haut-Karabagh, et dans les territoires attenants. La France, par la voix du Président de la République, a appelé à un « cessez-le-feu patrimonial » permettant la protection de l’exceptionnel patrimoine qui témoigne de la longue coexistence de plusieurs peuples et cultures sur ces terres. L’Unesco a annoncé qu’elle enverrait une mission sur le terrain.

Pour pouvoir agir, il nous faut la coopération de tous et, bien entendu, de l’Azerbaïdjan. Par-delà la mission de l’Unesco, la France interviendra à travers le fonds Aliph créé pour venir en aide au patrimoine dans les zones de conflit. C’est un fonds qui a montré son utilité et son efficacité à Mossoul. Le premier ministre Pachinian et le président Aliyev ont exprimé au Président de la République en fin de semaine dernière leur soutien à une action dans ce domaine.

Le troisième axe de travail, tout aussi fondamental, est celui du règlement politique. De nombreuses questions demeurent, je l’ai souligné : le retour des déplacés, la sécurisation des frontières, le départ des combattants étrangers. C’est là que la coprésidence du groupe de Minsk doit intervenir pleinement : les dirigeants de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan ont exprimé le souhait que ses travaux reprennent. Ces sujets ne peuvent être traités dans une discussion entre la Russie et la Turquie seules.

La France entend parler à toutes les parties comme elle l’a toujours fait. C’est essentiel si nous voulons contribuer durablement à la résolution du conflit, c’est la condition non seulement de la légitimité, mais surtout de l’efficacité de notre action.

Dans votre projet de résolution, vous dénoncez les ingérences de la Turquie. Très clairement, la Turquie a soutenu militairement le recours à la force de l’Azerbaïdjan, y compris sous la forme d’un déploiement de mercenaires venus du théâtre de guerre syrien. Non seulement nous ne l’acceptons pas, mais nous avons saisi nos collègues européens pour prendre des mesures fermes à l’occasion du prochain Conseil européen des 1er et 2 décembre.

La France a également procédé, en conseil des ministres, à la dissolution des groupes de fait, comme les Loups gris, qui ont voulu mener ce combat sur notre sol même.

Vous demandez le retrait de tous les mercenaires étrangers, c’est déjà une requête que nous formulons également. Jean-Yves Le Drian, s’il a pu noter une inflexion chez les Turcs, l’a rappelé : cela ne suffit pas, nous voulons des actes, nous voulons des preuves ! L’un des actes attendus est le retrait des mercenaires syriens.

Vous demandez la saisine du Conseil de sécurité des Nations unies. Les discussions sont en cours à New York et se poursuivent. S’agissant de la Cour pénale internationale (CPI), nous sommes tous choqués par la gravité de certains faits qui nous ont été rapportés. Il convient de faire toute la lumière sur ces faits et la France appuiera les efforts en ce sens.

Mais vous savez également que se pose un problème de compétence : la CPI n’est compétente que pour traiter des crimes commis par des ressortissants d’États parties au statut de Rome, ce qui n’est malheureusement le cas ni de l’Arménie ni de l’Azerbaïdjan. D’autres voies restent à explorer, au travers des décisions du Conseil de sécurité : c’est la seule solution pour créer des mécanismes d’enquête internationale. Or le réalisme nous impose aujourd’hui de prendre acte que le Conseil de sécurité est trop divisé sur la question de la CPI pour la saisir.

Enfin, mesdames, messieurs les sénateurs, vous évoquez la question délicate de la reconnaissance par la France du Haut-Karabagh. (Enfin ! sur plusieurs travées.) La résolution, que j’ai lue intégralement, évoque un certain nombre de points auxquels j’ai apporté des réponses ! La reconnaissance du Haut-Karabagh est le dernier point de la résolution, il arrive donc à la fin de mon propos !

C’est une question grave et nous devons y répondre avec l’esprit de vérité, de responsabilité et d’efficacité qui anime le Gouvernement. Il faut en mesurer toutes les implications.

La république autoproclamée du Haut-Karabagh a déclaré son indépendance en 1991 lorsque le statut spécial de cette région a été supprimé par le gouvernement en place à Bakou à l’époque. Aucun État ne l’a reconnue, pas même l’Arménie. Je le dis bien : aucun pays, pas même l’Arménie.

La responsabilité du Gouvernement consiste aussi à se demander si ce geste serait utile et efficace. Est-ce qu’il emporterait des conséquences sur le terrain pour les populations du Haut-Karabagh ? Nous ne devons en effet pas perdre de vue l’efficacité.

La responsabilité qui est celle de la France au sein du groupe de Minsk fait que notre pays ne peut peser sur la résolution du conflit que si sa médiation active est acceptée par les deux parties. Aujourd’hui, la reconnaissance par la France du Haut-Karabagh nous ferait perdre, à n’en pas douter, toute capacité d’influence sur ce pays (Protestations sur les travées des groupes Les Républicains et CRCE.) et nous ne serions plus d’aucune aide pour ceux-là mêmes auxquels vous voulez porter secours et qui nous demandent de rester impliqués dans ce dossier.

Hier encore, lors de la conférence ministérielle de la Francophonie, l’Arménie, par la voix de son représentant, a confirmé le souhait d’une implication du groupe de Minsk.

Par conséquent, soyons clairs, la reconnaissance unilatérale par la France de l’indépendance du Haut-Karabagh ne serait aujourd’hui à l’avantage de personne : ni de l’Arménie, ni des habitants du Haut-Karabagh, ni de la France, ni des autres coprésidents du groupe de Minsk, ni des Européens. Ce n’est pas la politique du Gouvernement, ce n’est pas celle de l’Arménie, ce n’est pas celle de nos partenaires !