Sommaire

Présidence de M. Vincent Delahaye

Secrétaires :

M. Pierre Cuypers, Mme Patricia Schillinger.

1. Procès-verbal

2. Rappel au règlement

Mme Dominique Vérien

3. Scrutin pour l’élection d’un juge suppléant à la Cour de justice de la république

4. Protection des jeunes mineurs des crimes sexuels. – Discussion d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale :

Mme Annick Billon, auteure de la proposition de loi

Mme Marie Mercier, rapporteur de la commission des lois

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice

5. Clôture du scrutin pour l’élection d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République

6. Protection des jeunes mineurs des crimes sexuels. – Suite de la discussion d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (suite) :

M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles

M. Xavier Iacovelli

Mme Maryse Carrère

Mme Éliane Assassi

7. Élection d’une juge suppléante à la Cour de justice de la République

8. Protection des jeunes mineurs des crimes sexuels. – Suite de la discussion et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Discussion générale (suite) :

Mme Dominique Vérien

Mme Marie-Pierre de La Gontrie

M. Stéphane Ravier

Mme Vanina Paoli-Gagin

Mme Esther Benbassa

Mme Jacky Deromedi

Mme Alexandra Borchio Fontimp

Mme Marie Mercier, rapporteur de la commission des lois

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice

Clôture de la discussion générale.

Article 1er

Mme Valérie Boyer

M. Max Brisson

Amendement n° 3 rectifié ter de Mme Valérie Boyer. – Rejet.

Amendements identiques nos 4 rectifié ter de Mme Valérie Boyer et 14 de Mme Éliane Assassi. – Rejet des deux amendements.

Amendement n° 11 de Mme Esther Benbassa. – Adoption.

Amendement n° 12 rectifié de Mme Laurence Rossignol. – Rejet.

Amendement n° 27 rectifié de M. Philippe Mouiller. – Retrait.

Amendement n° 17 rectifié de Mme Marie-Pierre de La Gontrie. – Rejet par scrutin public n° 56.

Adoption de l’article modifié.

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois

Articles additionnels après l’article 1er

Amendement n° 13 rectifié de Mme Claudine Lepage. – Adoption de l’amendement insérant un article additionnel.

Amendement n° 5 rectifié ter de Mme Valérie Boyer. – Retrait.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Georges Patient

Amendement n° 25 de Mme Marie-Pierre de La Gontrie. – Adoption de l’amendement insérant un article additionnel.

Article 1er bis (nouveau)

Amendement n° 19 de Mme Marie-Pierre de La Gontrie. – Rejet.

Adoption de l’article.

Articles 2 à 4 – Adoption.

Articles additionnels après l’article 4

Amendement n° 8 rectifié ter de Mme Valérie Boyer. – Rejet.

Amendement n° 21 de Mme Laurence Rossignol. – Adoption de l’amendement insérant un article additionnel.

Amendement n° 2 rectifié ter de Mme Vanina Paoli-Gagin. – Retrait.

Amendement n° 1 rectifié ter de Mme Vanina Paoli-Gagin. – Retrait.

Amendement n° 29 de la commission. – Adoption de l’amendement insérant un article additionnel.

Amendement n° 20 de Mme Laurence Rossignol. – Retrait.

Amendements identiques nos 6 rectifié ter de Mme Valérie Boyer et 26 rectifié de Mme Michelle Meunier. – Rejet des deux amendements.

Amendement n° 10 de Mme Annick Billon. – Retrait.

Amendement n° 22 rectifié de Mme Laurence Rossignol. – Adoption de l’amendement insérant un article additionnel.

Amendement n° 9 rectifié ter de Mme Valérie Boyer. – Rejet.

Amendement n° 7 rectifié ter de Mme Valérie Boyer. – Rejet.

Articles 5 et 6 (nouveaux) – Adoption.

Article 7 (nouveau)

Amendement n° 28 de la commission. – Adoption.

Adoption de l’article modifié.

Articles additionnels après l’article 7

Amendement n° 23 de Mme Michelle Meunier. – Rejet.

Amendement n° 24 de Mme Michelle Meunier. – Rejet.

Article 8 (nouveau) – Adoption.

Intitulé de la proposition de loi

Amendement n° 16 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.

Vote sur l’ensemble

Mme Marie-Pierre de La Gontrie

Mme Annick Billon

Mme Laurence Rossignol

M. Max Brisson

Mme Laurence Cohen

Mme Esther Benbassa

Adoption, par scrutin public n° 57, de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.

Suspension et reprise de la séance

9. Patrimoine sensoriel des campagnes françaises. – Adoption définitive d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale :

M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité

M. Pierre-Antoine Levi, rapporteur de la commission de la culture

Mme Monique de Marco

Mme Nadège Havet

M. Christian Bilhac

Mme Céline Brulin

Mme Marie-Pierre Monier

M. Stéphane Ravier

M. Olivier Paccaud

M. Claude Malhuret

Contribution du groupe Union Centriste à la discussion générale

Contribution du groupe Les Républicains à la discussion générale

Clôture de la discussion générale.

Articles 1er, 1er bis et 1er ter – Adoption.

Article 2 (suppression maintenue)

Vote sur l’ensemble

Adoption définitive de la proposition de loi dans le texte de la commission.

M. Pierre-Antoine Levi, rapporteur

10. Mises au point au sujet d’un vote

11. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. Vincent Delahaye

vice-président

Secrétaires :

M. Pierre Cuypers,

Mme Patricia Schillinger.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à Mme Dominique Vérien, pour un rappel au règlement.

Mme Dominique Vérien. Monsieur le président, mon rappel au règlement concerne l’organisation de nos travaux.

Monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, le sujet que nous allons aborder dans quelques instants avec l’examen de cette proposition de loi visant à protéger les jeunes mineurs des crimes sexuels est à la fois sensible, urgent et placé sous les feux de l’actualité.

Le Gouvernement reconnaît qu’il faut agir pour mieux protéger les victimes. L’émotion ressentie dans notre pays témoigne de l’attente de nos concitoyens. Des solutions doivent être apportées rapidement, au-delà des clivages politiques.

C’est pourquoi nous demandons au Gouvernement d’engager la procédure accélérée sur ce texte majeur, comme le lui autorise l’article 45 de la Constitution.

Si la proposition de loi qui sera adoptée par le Sénat aujourd’hui vous semble devoir être améliorée, vous savez que la navette parlementaire permettra les ajustements nécessaires. C’est le principe du bicamérisme.

Nous comptons donc sur le Gouvernement pour accélérer le rythme de la navette parlementaire et inscrire rapidement ce texte à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.

Nous ne comprendrions pas que, pour des raisons purement politiciennes, vous favorisiez un autre texte qui ne débuterait son parcours que dans quelques semaines.

Monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous prendre cet engagement devant le Sénat ? (Applaudissements sur les travées des groupes UC et SER.)

M. le président. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, ma chère collègue.

3

Scrutin pour l’élection d’un juge suppléant à la Cour de justice de la république

M. le président. L’ordre du jour appelle le scrutin pour l’élection d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République.

Il va être procédé, dans les conditions prévues par l’article 86 bis du règlement, au scrutin secret pour l’élection d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République. Ce scrutin se déroulera dans la salle des conférences ; la séance ne sera pas suspendue durant les opérations de vote.

Je rappelle que la majorité absolue des suffrages exprimés est requise pour être élu.

Une seule délégation de vote est admise par sénateur.

Je remercie nos collègues Jacqueline Eustache-Brinio et Corinne Imbert, secrétaires du Sénat, qui vont superviser ce scrutin.

Le juge suppléant à la Cour de justice de la République nouvellement élu sera immédiatement appelé à prêter serment devant le Sénat.

Je déclare ouvert le scrutin pour l’élection d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République.

Il sera clos dans une demi-heure.

4

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste
Discussion générale (suite)

Protection des jeunes mineurs des crimes sexuels

Discussion d’une proposition de loi dans le texte de la commission

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Union Centriste, de la proposition de loi visant à protéger les jeunes mineurs des crimes sexuels, présentée par Mme Annick Billon et plusieurs de ses collègues (proposition n° 158, texte de la commission n° 272, rapport n° 271).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Annick Billon, auteure de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mmes Esther Benbassa et Valérie Boyer applaudissent également.)

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste
Discussion générale (interruption de la discussion)

Mme Annick Billon, auteure de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens à commencer par saluer la qualité du travail de la commission des lois et de son rapporteur, Marie Mercier.

Ce texte, cosigné par plus de cent sénateurs et sénatrices de tous bords politiques, témoigne une nouvelle fois de la capacité de notre assemblée à se saisir de grands sujets de société.

La proposition de loi que je présente aujourd’hui devant vous est le fruit de longs travaux menés par la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, que j’ai l’honneur de présider. Elle découle également de la conviction que notre droit pénal actuel ne protège pas suffisamment les enfants contre les prédateurs sexuels.

Plusieurs études montrent que les mineurs représentent la classe d’âge la plus exposée aux violences sexuelles : 40 % des viols et tentatives de viols déclarés concernent des enfants de moins de 15 ans ; 27 % de ces crimes touchent des enfants de moins de 10 ans. Il y aurait chaque année en France environ 150 000 viols et tentatives de viols sur mineurs, c’est-à-dire 300 à 400 par jour.

Pour ajouter à l’inacceptable, les crimes sexuels sur mineurs présentent une caractéristique spécifique. Dans l’immense majorité des cas, le mis en cause connaissait sa victime. Neuf fois sur dix, le prédateur sexuel est un proche, un ami, un membre de la famille, une personne de confiance.

Nous le savons, ces chiffres effroyables sont au-dessous de la réalité. Ils témoignent de l’ampleur du phénomène et nous imposent d’agir pour protéger les jeunes mineurs et condamner les auteurs.

Ce texte n’a pas été élaboré en réaction à la déflagration politique et médiatique provoquée par le livre de Camille Kouchner, La Familia grande. En revanche, ce livre fait écho à la proposition de loi et offre au législateur l’occasion de se positionner de façon claire.

Si notre rôle n’est pas de réagir de manière impulsive aux soubresauts de l’actualité, il est en revanche de notre devoir de prendre en compte et d’accompagner les évolutions profondes de notre société. En effet, les représentations sociétales de ces violences sexuelles ont fluctué au cours du temps et les travaux sur la psychologie des jeunes adolescents et sur la notion de consentement chez l’enfant sont désormais légion.

Dans ce domaine, il faut le reconnaître, notre droit n’a pas évolué à la même vitesse que nos consciences. Au terme des travaux de la délégation, j’ai acquis une conviction, celle qu’un enfant ne dispose jamais du discernement suffisant pour consentir de manière éclairée à un rapport sexuel avec un adulte.

L’instauration d’un seuil d’âge de non-consentement apparaît dès lors comme une réponse pertinente pour protéger les jeunes mineurs, en raison de leur particulière vulnérabilité et de leur inclination à se soumettre à l’autorité de l’adulte.

C’était d’ailleurs le sens des annonces faites en 2017 par le Président de la République, qui souhaitait instaurer un seuil d’âge à 15 ans. Le Gouvernement avait cependant fait marche arrière à la suite des réserves émises par le Conseil d’État sur la constitutionnalité de la mesure.

Ces réserves n’empêchent pas, plus de deux ans après la publication de cet avis, de rouvrir le débat sur le seuil d’âge. La création d’une infraction nouvelle de crime sexuel sur mineur de 13 ans balaie les objections soulevées à l’époque, d’une part, parce que celles-ci s’appuyaient principalement sur le choix de l’âge retenu dans le projet de loi – 15 ans –, d’autre part, parce que cette proposition de loi surmonte la difficulté posée par l’introduction d’une présomption irréfragable de contrainte, réputée inconstitutionnelle en droit pénal.

En effet, ce texte ne prévoit pas de présomption de contrainte, mais introduit un nouvel interdit dans notre droit, celui de tout rapport sexuel avec un mineur de 13 ans. Il s’agit donc aujourd’hui de poser une limite claire à travers la création d’une nouvelle infraction distincte de celle du crime de viol.

Les critères constitutifs du crime de viol que sont la contrainte, la menace, la violence ou la surprise reviennent à faire porter l’appréciation du juge ou du juré sur le comportement de la victime. Ils conduisent donc fatalement à se poser la question de son consentement. Or la notion de consentement, déjà complexe lorsque la victime est un adulte, n’a tout simplement pas sa place dans le débat lorsque la victime est particulièrement jeune.

L’élément intentionnel du crime créé dans ce texte résulterait de la pénétration sexuelle, ainsi que de la connaissance de l’âge de la victime par l’auteur des faits. Pour se défendre, l’auteur aura la possibilité d’apporter la preuve qu’il ne pouvait connaître l’âge du mineur avec lequel il a eu une relation sexuelle.

Ce nouveau crime serait puni de vingt ans de réclusion criminelle, à l’instar de la peine prévue dans le cas d’un viol avec circonstances aggravantes.

Avec ce texte, c’est non plus le comportement de l’enfant, mais celui de l’adulte, qui est en question. Les tergiversations autour du comportement de l’enfant ne pourront plus dédouaner l’agresseur de sa pleine et entière responsabilité pénale.

L’une des difficultés qu’il nous restait à surmonter était de répondre à la critique relayée par certains sur le déficit de protection qu’occasionnerait la création de cette infraction spécifique pour les victimes mineures ayant entre 13 et 15 ans. Les travaux menés par notre rapporteur Marie Mercier ont permis, dès l’examen du texte en commission, de faire disparaître ces critiques en prévoyant que, pour une victime âgée entre 13 et 15 ans, « la contrainte morale ou la surprise peuvent également résulter de ce que la victime mineure était âgée de moins de 15 ans et ne disposait pas de la maturité sexuelle suffisante ».

Mes chers collègues, cette proposition de loi permettra de franchir un cap juridique, mais aussi doctrinal. En l’adoptant, vous permettrez non seulement de renforcer notre arsenal législatif en vue d’une meilleure protection des mineurs, mais surtout d’entériner un virage majeur dans la manière d’appréhender ces agissements.

Un enfant ne sera alors jamais plus considéré comme complice ou complaisant par rapport aux actes sexuels qu’un adulte commet sur lui. Le seul et unique responsable sera son auteur, l’agresseur. Ce changement, qui permettra à la justice de reconnaître pleinement le statut de victime à ces enfants et d’ôter aux enfants devenus adultes le poids d’une culpabilité éprouvée à tort, aura un effet primordial sur la reconstruction future des victimes de cette ignominie.

Monsieur le garde des sceaux, la Haute Assemblée vous propose aujourd’hui une évolution importante de notre droit pénal. Il n’y a pas qu’au Sénat que les choses bougent : vous avez récemment reçu le rapport de notre collègue députée Alexandra Louis : elle plaide, elle aussi, pour la création d’une nouvelle infraction spécifique.

Doit-on y voir les prémices d’une évolution qui pourrait être soutenue par le groupe majoritaire à l’Assemblée nationale ? Si tel est le cas, monsieur le garde des sceaux, nous invitons solennellement le Gouvernement à se saisir du présent texte, qui sera – je l’espère – très largement adopté par le Sénat, et à l’inscrire à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, comme vient de vous le demander Dominique Vérien.

La Haute Assemblée sera particulièrement vigilante sur ce point : il ne faudrait pas que vous reveniez nous voir dans quelques mois avec un nouveau texte, qui proposerait la même chose, mais dont les auteurs seraient différents.

M. Max Brisson. Très bien !

Mme Annick Billon. Le Sénat a malheureusement déjà eu à subir de telles manœuvres depuis le début de cette législature.

Monsieur le garde des sceaux, lorsque j’entends ces derniers jours Marlène Schiappa, ancienne secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, proposer d’instaurer un seuil d’âge, alors qu’elle s’y était engagée en 2017, mais ne l’avait pas fait en 2018 dans le cadre du projet de loi qu’elle défendait, permettez-moi de sourire, mais c’est un sourire jaune…

Nous avons aujourd’hui la possibilité d’établir un nouveau paradigme et de lever l’ambiguïté persistante autour du consentement de l’enfant. Saisissons-nous de cette chance. Trop d’enfants souffrent de n’avoir pas su, trop d’enfants souffrent de n’avoir pas pu.

En votant cette proposition de loi, nous portons la voix des enfants et nous pouvons dire simplement : « Non, ceci est un crime ! » (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Marie Mercier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’occasion de l’examen de la proposition de loi déposée par Annick Billon et plusieurs de nos collègues, le Sénat est de nouveau amené à se prononcer sur la question de la protection des mineurs contre les violences sexuelles dont ils peuvent être victimes de la part d’adultes. Ce débat fait suite aux discussions approfondies que nous avons eues en 2018 lors de l’examen du projet de loi Schiappa.

Notre débat intervient également après que plusieurs travaux de contrôle, auxquels j’ai participé, ont été menés à leur terme, le rapport d’information fait au nom de la mission commune d’information sur les politiques publiques de prévention, de détection, d’organisation des signalements et de répression des infractions sexuelles susceptibles d’être commises par des personnes en contact avec des mineurs dans le cadre de l’exercice de leur métier ou de leurs fonctions étant le plus récent.

Annick Billon souhaite cependant franchir une autre étape en introduisant dans le code pénal une nouvelle infraction de crime sexuel sur mineur, qui serait constituée en cas de pénétration sexuelle commise par un majeur sur un mineur de 13 ans.

À la différence du viol ou de l’agression sexuelle, l’infraction serait constituée sans qu’il soit nécessaire de rechercher s’il y a eu un élément de contrainte, de menace de violence ou de surprise, dont la preuve est souvent difficile à rapporter. Elle serait punie de vingt ans de réclusion criminelle, soit la même peine que celle qui est prévue en cas de viol sur mineur de 15 ans.

En 2018, le Sénat a déjà débattu de l’opportunité de créer une telle infraction ou de modifier la définition du viol, afin d’introduire une présomption de non-consentement au-dessous d’un certain seuil d’âge. À l’époque, la commission des lois n’a pas retenu ces propositions en raison des doutes émis sur leur constitutionnalité, mais aussi du risque que l’introduction d’un nouveau seuil à 13 ans n’affaiblisse la protection due aux jeunes de 13 à 15 ans.

La commission des lois a alors préféré compléter le code pénal par des dispositions immédiatement applicables, qui précisaient le sens des notions de contrainte et de surprise, éléments constitutifs de l’infraction de viol, et ce afin qu’il soit plus facile de les caractériser : celles-ci peuvent résulter de la différence d’âge entre la victime et l’auteur des faits, ou de l’abus de la vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour ces actes.

Je souligne que la proposition de loi que nous examinons tire les leçons des débats de 2018.

À l’époque, le Gouvernement a envisagé de modifier la définition du viol pour introduire une présomption de non-consentement en cas d’acte de pénétration sexuelle commis sur un mineur de moins de 15 ans. Cette solution n’a pas été retenue au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui, en droit pénal, n’admet une éventuelle présomption que dans le domaine contraventionnel et à la condition qu’il s’agisse d’une présomption simple.

La proposition de loi contourne cet obstacle juridique en créant une infraction autonome. La nouvelle infraction de crime sexuel sur mineur serait construite sur le modèle du délit d’atteinte sexuelle, qui figure déjà dans le code pénal et qui punit de sept ans d’emprisonnement et de 100 000 euros d’amende le majeur qui a un contact de nature sexuelle avec un mineur de moins de 15 ans.

Le crime sexuel sur mineur viendrait renforcer la protection des jeunes de moins de 13 ans, le délit d’atteinte sexuelle étant maintenu pour les jeunes de 13 à 15 ans.

Dans son avis du 15 mars 2018 sur le projet de loi Schiappa, le Conseil d’État a par ailleurs estimé que la seule référence à l’âge de la victime pourrait ne pas suffire pour répondre à l’exigence constitutionnelle de l’existence d’un élément intentionnel en matière criminelle. Le fait de retenir un seuil d’âge à 13 ans plutôt qu’à 15 ans réduit cependant ce risque de non-conformité à la Constitution.

Avec un seuil fixé à 13 ans, l’écart d’âge avec un jeune majeur devient plus significatif, ce qui rend beaucoup plus improbable le fait que celui-ci puisse entretenir une relation consentie avec un mineur à peine sorti de l’enfance.

Ces considérations ont conduit la commission à accepter la proposition de loi, celle-ci considérant que le texte pose un interdit plus clair, certes pour les agresseurs potentiels – et c’est très bien –, mais surtout pour les enfants qui doivent savoir que certains actes commis par un adulte ne sont pas autorisés. Il faut le leur dire !

La sauvegarde de l’enfance passe par des interdits. Le mineur, l’enfant devient un acteur : c’est la loi qui interdit d’avoir des rapports sexuels avec un adulte. La loi le protège, la loi dit « non » : c’est cet interdit qui doit s’ancrer dans l’esprit de l’enfant. Dans ce domaine, l’éducation a un rôle majeur à jouer et c’est la société tout entière qui doit s’emparer du sujet de la protection des mineurs pour faire changer les mentalités.

La commission a enrichi le texte, d’abord pour éviter l’écueil qui pourrait résulter de la création d’un nouveau seuil d’âge. Selon moi, l’âge est le clair-obscur de la réalité. Je suis personnellement très soucieuse d’éviter que la fixation d’un seuil d’âge à 13 ans sous-entende qu’un jeune de 13 ans et un jour devienne tout à coup consentant. Cela entraînerait alors un affaiblissement de la protection que nous devons aux jeunes de 13 à 15 ans.

C’est pourquoi, sur mon initiative, la commission a introduit un article additionnel, accepté par Annick Billon, afin d’inscrire dans le code pénal que la contrainte, élément constitutif du viol, peut résulter du jeune âge du mineur de moins de 15 ans, qui ne disposait pas de la maturité sexuelle suffisante. Une disposition similaire avait été adoptée par le Sénat en 2018, mais n’avait pas été retenue dans la version définitive de la loi Schiappa.

Concernant le dispositif même de la proposition de loi d’Annick Billon, la commission a apporté deux améliorations plus techniques, qui visent notamment à préciser la définition de la notion de pénétration sexuelle en l’alignant sur celle qui est retenue pour le viol.

La commission a aussi procédé à une coordination avec le code de procédure pénale, afin d’appliquer au nouveau crime sexuel sur mineur les règles de procédure dérogatoires prévues pour les affaires qui concernent les mineurs. Je pense par exemple à la possibilité de prononcer une injonction de soins, de sorte que l’auteur des faits soit suivi médicalement.

Par le jeu des renvois, la mesure que nous avons adoptée aura également pour effet d’étendre à la nouvelle infraction la règle de prescription applicable aux autres crimes sur mineurs, soit un délai de trente ans à compter de la majorité de la victime. Il s’agit d’une règle très protectrice, puisque, je vous le rappelle, le délai de prescription de droit commun est de vingt ans à compter de la commission des faits. Il tient compte du temps souvent très long qui s’écoule avant que la victime ne parvienne à briser la loi du silence et trouve la force de porter plainte.

La commission a également introduit un volet préventif dans ce texte en adoptant plusieurs amendements présentés par Michel Savin et Valérie Boyer.

Deux articles additionnels concernent le fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (Fijaisv), outil qui a fait ses preuves dans le cadre des enquêtes judiciaires, mais aussi comme moyen de contrôler les antécédents d’un individu avant son embauche pour un poste où il se trouverait en contact régulier avec des mineurs.

Afin d’exploiter encore mieux les potentialités de ce fichier, la commission vous propose de compléter la liste des infractions entraînant une inscription au Fijaisv et de prévoir une inscription automatique des auteurs d’infractions sur mineurs, quelle que soit la peine encourue.

Par ailleurs, nous avons adopté un amendement qui tend à encourager les juridictions à prononcer la peine complémentaire d’interdiction d’exercer une activité professionnelle ou sociale au contact de mineurs, pour mieux prévenir la récidive.

Je suis persuadée que l’examen du texte en séance publique permettra de l’enrichir encore davantage. Hier, plusieurs amendements de collègues issus de toutes les travées de cette assemblée ont reçu le soutien de la commission : j’espère qu’ils seront adoptés par notre assemblée.

J’ai en outre déposé un amendement, qui a pour objet d’allonger le délai de prescription du délit de non-dénonciation de mauvais traitements, agressions ou atteintes sexuelles infligés à un mineur, prévu par l’article 434-3 du code pénal. Afin que cette infraction devienne plus dissuasive et compte tenu du temps souvent très long qui s’écoule avant la révélation de ces affaires, nous vous proposons de porter ce délai de prescription à dix ans à compter de la majorité de la victime en cas de délit et à vingt ans en cas de crime.

La commission s’est également prononcée en faveur d’un amendement déposé par nos collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain tendant à créer une circonstance aggravante du délit d’atteinte sexuelle sur mineur en cas d’inceste. Nous devons avancer sur un sujet qui préoccupe légitimement nos concitoyens, la grande majorité des violences sexuelles sur mineurs ayant lieu, nous le savons, dans le cercle familial.

Enfin, la commission soutient l’adoption de deux amendements complémentaires, qui visent à préciser la définition du viol et celle du nouveau crime sexuel sur mineur, afin de cibler l’ensemble des actes bucco-génitaux. Actuellement, ces actes sont pris en compte lorsque la victime est un garçon, mais pas quand il s’agit d’une petite fille. Cette différence de traitement est difficilement justifiable et mérite d’être corrigée. C’est pourquoi je salue l’initiative des auteurs de ces amendements.

Au-delà de ces modifications législatives et de la nécessité d’accorder des moyens accrus à la justice et aux tribunaux, je suis convaincue que c’est la mobilisation de la société tout entière qui permettra de faire reculer les violences sexuelles sur mineurs et l’omerta qui, trop souvent, les entoure. L’actualité nous rappelle qu’aucun milieu social n’est épargné et que les agressions se produisent majoritairement dans le cadre familial.

L’examen de cette proposition de loi constitue une étape supplémentaire dans l’indispensable prise de conscience, qui est la clé d’une lutte efficace contre ces violences inacceptables que sont les crimes contre l’enfance.

« Les lois ne sont pas de purs actes de puissance ; ce sont des actes de sagesse, de justice et de raison. » C’est Portalis qui nous le rappelle. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi que sur des travées des groupes SER et CRCE.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, madame la sénatrice auteure de la proposition de loi, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, y a-t-il dans notre République cause plus noble, cause plus juste et cause plus urgente aujourd’hui que celle d’assurer pleinement, après tant d’années de déni, la protection de nos enfants contre les crimes sexuels ?

Une prise de conscience générale traverse et interroge la société tout entière. Nous devons – c’est notre devoir ! – y répondre tous ensemble.

Dans un vaste mouvement de libération de la parole, les victimes de crimes sexuels, notamment d’incestes, sont de plus en plus nombreuses à faire entendre leur voix : la voix de la souffrance trop longtemps enfouie et étouffée, cette voix qui nous demande d’agir pour empêcher que d’autres enfants connaissent à l’avenir le même cauchemar.

Il nous faut bien sûr saluer leur courage, leur apporter notre soutien, leur témoigner notre solidarité, mais il nous faut aussi, à nous, parlementaires et Gouvernement unis dans un même combat, donner une traduction juridique à ce besoin de protection et de reconnaissance.

Le crime doit être clairement nommé, les victimes doivent être pleinement reconnues. Nous en avons tous ici la conviction : ces objectifs partagés ne peuvent être atteints que si nous améliorons nos règles juridiques et la réponse judiciaire.

Les enfants abusés hier sont devenus des adultes que les réseaux sociaux, souvent bien des années après, ont aidés à révéler leur histoire et à dire leurs souffrances. Des voix fortes et puissantes se sont exprimées, mais également avec elles, et souvent grâce à elles, des milliers d’anonymes. Nous le savons, cette libération va se poursuivre.

Les réseaux sociaux ne peuvent cependant pas remplacer le besoin de justice : toute modification de la loi pénale doit être envisagée avec détermination, mais prudence. Les évolutions de la loi pénale doivent prendre en compte les phénomènes sociaux, mais elles doivent aussi s’accompagner d’une réflexion aboutie, notamment en termes de prescription, sans céder à la précipitation qu’appelle une émotion bien légitime.

Vous le savez, notre gouvernement a fait de la protection des enfants une priorité du quinquennat. Nous sommes convaincus que seule une action collective est efficace. C’est pourquoi tous les ministères sont mobilisés dans le cadre du plan de lutte contre les violences faites aux enfants promu par Adrien Taquet. Cette mobilisation s’est déjà traduite par l’adoption de la loi du 3 août 2018 qui a renforcé notre droit en matière de lutte contre les infractions sexuelles commises à l’égard des mineurs.

Même si nous devons aller plus loin, je rappelle les améliorations récentes apportées par le législateur, qui sont autant de références pour nos travaux.

Le délai de prescription a ainsi été étendu de vingt à trente ans pour les crimes sexuels commis sur les mineurs, un délai courant à compter de la majorité de la victime, afin de laisser à celle-ci davantage de temps pour porter plainte.

Les dispositions interprétatives immédiatement applicables aux procédures en cours, même pour des faits commis avant la réforme, ont clarifié la notion de contrainte : celle-ci peut désormais résulter de la différence d’âge existant entre la victime et l’auteur. Ainsi, s’agissant du mineur victime âgé de 15 ans ou moins, il est désormais précisé que la contrainte morale ou la surprise sont « caractérisées par l’abus de la vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour ces actes ».

Cette loi a également prévu, si le crime de viol ne peut être établi, que toute pénétration sexuelle commise sur un mineur de 15 ans par un majeur caractérise le délit d’atteinte sexuelle, délit qui, je le rappelle, est puni d’une peine de sept ans d’emprisonnement, voire de dix ans en cas de circonstances aggravantes.

Faut-il aller plus loin ? Sur quels points ? Ce sont les questions qu’il nous faut maintenant trancher.

J’observe d’abord que les apports de la réforme de 2018 sont très récents. Même si un travail d’évaluation de grande qualité a pu être mené par la députée Alexandra Louis, il n’est pas possible aujourd’hui d’évaluer pleinement le bénéfice de ces dispositions.

Pour autant, je rejoins l’auteure de la proposition de loi sur le fait que nous devons collectivement viser l’exigence d’un plus haut niveau de protection des mineurs.

Le texte examiné aujourd’hui retient toute l’attention du Gouvernement, en ce qu’il prévoit principalement de créer un crime punissant de vingt ans d’emprisonnement tout acte de pénétration sexuelle commis par une personne majeure sur un mineur de 13 ans.

Je tiens, à cet égard, à saluer l’implication d’Annick Billon, ainsi que celle du groupe Union Centriste, qui a inscrit cette proposition de loi à l’ordre du jour des travaux de la Haute Assemblée.

Ainsi, nous pouvons avoir un débat que – vous l’aurez compris, mesdames, messieurs les sénateurs – j’estime essentiel, mais qui – je vous l’indique d’emblée – devra à mon avis nourrir des concertations dans les semaines à venir. (Exclamations sur les travées du groupe SER. – Mme Sonia de La Provôté sexclame également.)

Mme Laurence Rossignol. Encore raté ! On verra dans deux ans, comme en 2018 !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Ma responsabilité de garde des sceaux consiste à soutenir le meilleur dispositif tout en assurant le respect des exigences de notre État de droit. Les attentes des victimes sont trop fortes pour risquer la déception et l’incompréhension d’une réforme qui pourrait donner lieu à une censure constitutionnelle. (Nouvelles exclamations sur les travées du groupe SER.)

Des questions importantes restent posées et le rapport de la commission ne les occulte d’ailleurs pas. J’observe que le seuil criminel retenu dans la nouvelle écriture proposée est celui de 13 ans, là où la loi du 3 août 2018 retenait le seuil de 15 ans. Cette proposition pourrait ainsi être perçue comme un affaiblissement de la protection des mineurs de 13 à 15 ans, à tout le moins poserait une question d’articulation.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Déposez un amendement !

M. Patrick Kanner. Il suffit d’un amendement du Gouvernement !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Par ailleurs, le crime qu’il est proposé d’instituer ne porte pas le nom de « viol », tout en étant puni comme tel. Des associations ont déjà alerté sur l’importance attachée à une dénomination criminelle claire, au risque sinon de l’incompréhension et de la confusion.

Enfin, s’il n’est pas interdit de faire coexister plusieurs régimes juridiques – la proposition de loi ne pourrait concerner que les faits commis après son entrée en vigueur –, a-t-on véritablement mesuré la difficulté pour les magistrats et les jurés, qui auraient à appliquer plusieurs régimes juridiques en fonction de la date de commission des faits ?

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. C’est ce qu’ils font tous les jours !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Madame Billon, je salue votre proposition de loi…

M. Max Brisson. Ce n’est pas suffisant !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. … comme une contribution importante au débat démocratique que nous devons avoir sur ce sujet. Ce texte reçoit un accueil favorable de la part du Gouvernement.

Mme Annick Billon. Très bien !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Reste que nous devons, en nous appuyant sur cette base, comme sur les autres propositions et travaux existants – je pense notamment aux textes et rapport de Mme la sénatrice Laurence Rossignol et de Mmes les députées Alexandra Louis et Isabelle Santiago –, parfaire le dispositif envisagé et le sécuriser juridiquement.

Nous souhaitons compléter le travail normatif à la lumière de nos débats, en vous y associant étroitement, mesdames, messieurs les sénateurs, mais aussi dans la concertation indispensable avec les associations participant au quotidien à la libération de la parole, à la prise en charge et à la défense des victimes. J’engagerai, dès la semaine prochaine, ce travail de consultation avec Adrien Taquet.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Vous l’aurez compris, nous partageons votre combat, celui en faveur d’une protection accrue des mineurs contre les violences sexuelles. Votre combat est aussi le mien, celui d’Adrien Taquet et du Gouvernement tout entier. Vous pouvez compter sur notre engagement à avancer très rapidement à vos côtés.

M. Max Brisson. Ce n’est pas suffisant !

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste
Discussion générale (suite)

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Clôture du scrutin pour l’élection d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République

M. le président. Mes chers collègues, il est plus de onze heures. Le scrutin est clos pour l’élection d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République.

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Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste
Discussion générale (suite)

Protection des jeunes mineurs des crimes sexuels

Suite de la discussion d’une proposition de loi dans le texte de la commission

M. le président. Nous reprenons la discussion de la proposition de loi visant à protéger les jeunes mineurs des crimes sexuels.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d’État.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste
Discussion générale (interruption de la discussion)

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de lenfance et des familles. Monsieur le président, madame la vice-présidente de la commission des lois, madame la sénatrice auteure de la proposition de loi, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, si nous avons ce débat aujourd’hui, c’est parce que, depuis plus de trente ans, des femmes et des hommes, anonymes ou non, ont le courage de briser le silence et de parler : Éva Thomas, Denise Bombardier, Flavie Flament, Christine Angot, Sarah Abitbol, Andréa Bescond, Vanessa Springora, Camille Kouchner. Angélique, Céline, Christine, Laetitia, Mélinda, Sabrina, toutes pensionnaires de la maison d’accueil Jean-Bru, à Agen.

Si nous avons ce débat aujourd’hui, c’est parce que des femmes et des hommes, à la tête de leurs associations, crient sans relâche, depuis des années, les chiffres indignes des violences faites à nos enfants, en particulier des violences sexuelles qu’ils subissent. Je pense évidemment à Isabelle Aubry de Face à l’inceste, François Devaux de La Parole libérée, Laurent Boyer, Arnaud Gallais et tous les représentants des associations de protection de l’enfance, comme, encore, La Voix de l’enfant ou L’Enfant bleu.

Si nous avons ce débat aujourd’hui, c’est parce que des professionnels – pédiatres, psychiatres, anthropologues, philosophes – travaillent depuis des années pour mettre à jour les ressorts profonds, les mécanismes intimes et structurels qui rendent possible ce qui n’est rien d’autre qu’un phénomène de masse. Je citerai évidemment Dorothée Dussy, mais aussi Muriel Salmona, Marc Crépon ou encore tous les chercheurs qui, au sein du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et à la demande de Laurence Rossignol, ont travaillé sur le sujet en 2017.

Si nous avons ce débat aujourd’hui, nous le devons aux dizaines de milliers d’anonymes qui, depuis quelques jours, ont le courage de parler, pour que plus jamais ne s’installent le déni et le silence.

Si nous avons ce débat aujourd’hui, c’est parce que, plus que jamais, il dépasse largement l’enceinte de cet hémicycle. Il n’interroge pas simplement notre droit et nos politiques publiques ; il interroge chacun d’entre nous, individuellement, et nous tous, collectivement, en tant que peuple, en tant que Nation, qui acceptons que ses enfants subissent tant de violences et, pour certains, en meurent à petit feu.

Notre société tout entière doit cesser de mimer le silence. Comme le dit symboliquement Dorothée Dussy dans son ouvrage Le Berceau des dominations, « nous devons collectivement briser la grammaire du silence et de la domination ».

Nous devons interroger nos systèmes de valeurs, interroger la famille, non pas pour la détruire – elle est encore largement, et c’est heureux, le lieu de l’épanouissement et de l’amour –, mais pour reconnaître qu’elle peut aussi être le lieu de la violence et de l’exil pour certains enfants. Nous devons briser ces fameux secrets de famille, si délétères. Nous devons aussi, probablement, interroger le modèle patriarcal sur lequel notre société s’est construite.

Depuis trente ans, les déflagrations sont nombreuses ; chaque fois, le couvercle se referme. Elles se succèdent de manière plus rapprochée et avec une intensité plus forte. Il faut voir dans ce phénomène un motif d’espoir : la société supporte de moins en moins l’insupportable ; elle refuse de détourner le regard des actes commis derrière les portes closes.

Dans l’exercice de mes fonctions, et avec l’ensemble du Gouvernement, j’ai très tôt voulu faire de l’écoute et du soutien aux victimes un aspect central de notre action.

Le plan de lutte contre les violences faites aux enfants évoqué par M. le garde des sceaux, que j’ai annoncé au mois de novembre 2019, à l’occasion du trentième anniversaire de la Convention internationale des droits de l’enfant, mettait justement l’accent sur l’importance d’accompagner ceux qui avaient traversé ces épreuves. Ses vingt-deux mesures, travaillées avec l’ensemble des associations, des professionnels de la protection de l’enfance et de la lutte contre les violences sexuelles, ainsi que des ministres du Gouvernement, étaient fortes et commencent à produire leurs effets.

Sous l’égide du garde des sceaux, Éric Dupond-Moretti, nous formons désormais mieux les magistrats, pour qu’ils soient pleinement en mesure de traiter ces situations et ces affaires de violences sexuelles subies par des enfants.

Nous déployons les unités d’accueil pédiatriques enfants en danger. Situées dans les services pédiatriques des hôpitaux, ces unités permettent d’accueillir dans un lieu sécurisant, protecteur, des mineurs – parfois âgés de 3 ou 4 ans – victimes de violence sexuelle et de recueillir leur parole par des professionnels formés, policiers ou gendarmes. Notre territoire en comptera une par département d’ici à 2022.

Nous avons renforcé le contrôle des antécédents judiciaires des personnels intervenant au contact des enfants et systématisé les vérifications du fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes, le Fijaisv.

Nous avons, grâce à votre vote du mois d’août dernier, mesdames, messieurs les sénateurs, durci les peines pour les personnes qui consultent des sites pédocriminels, portant la peine encourue de deux à cinq ans, avec inscription automatique au Fijaisv. Dès lors, contrairement à ce qui avait cours auparavant, ces personnes ne pourront plus jamais travailler au contact des enfants.

Nous avons également systématisé les bilans psychologiques dans la prise en charge des victimes, afin de les aider dès les premiers pas et, sur le long terme, dans leur chemin de soins.

Ensemble, nous agissons. Toutefois, ce que nous montre sans artifice l’actualité, ce que nous disent sans fard les victimes, ce que nous savons au fond de nous-mêmes, c’est que nous devons aller plus loin et plus vite, que nous devons franchir une nouvelle étape.

Nous le devons non seulement aux dizaines de milliers de personnes qui ont témoigné au cours des derniers jours, mais aussi aux millions d’autres qui n’ont pas encore réussi à le faire.

Le Sénat comme l’Assemblée nationale entendent bien évidemment cet appel, comme le montre cette proposition de loi, dont l’examen nous rassemble aujourd’hui. Nous ne pouvons que le saluer.

Je salue également à mon tour le travail constant de la délégation sénatoriale aux droits des femmes, en particulier celui qu’ont effectué, au cours des dernières années, Marie Mercier, Michelle Meunier et Dominique Vérien, ainsi que celui de la députée Alexandra Louis.

Nous en sommes convaincus, nous devons encore mieux former et mieux sensibiliser – et ce très largement – aux questions de violences sexuelles faites aux enfants, instaurer une véritable culture de la prévention, partagée par l’ensemble des professionnels travaillant au contact des enfants.

Nous devons aussi avancer plus rapidement sur la sensibilisation des enfants eux-mêmes, afin qu’ils deviennent les premiers remparts face aux menaces pesant sur eux,…

Mme Marie Mercier, rapporteur. Oui, c’est très important !

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat. … comme c’est le cas dans d’autres pays, notamment la Suède et le Canada. Le Gouvernement a engagé, avec Jean-Michel Blanquer, des travaux pour renforcer et déployer ces temps indispensables pour sensibiliser, mais aussi prévenir et repérer toute forme de violence envers nos enfants.

Nous devons évidemment mieux prendre en charge les victimes, envers qui la dette de la collectivité n’a pas de prix. Estimer, comme cela a trop longtemps été le cas, qu’elles peuvent se remettre seules du traumatisme qu’elles ont vécu est une seconde violence qui leur est faite. Le coût individuel est inimaginable pour qui ne le vit pas et le coût collectif est phénoménal, tant on sait aujourd’hui que les violences sexuelles subies dans l’enfance sont le premier facteur de tentatives de suicide, de dépressions, de troubles du comportement alimentaire, de maladies chroniques à l’âge adulte.

Parmi toutes les questions nourrissant le débat public, il y a celle de l’âge du consentement, que le Sénat a souhaité, par ce texte, faire évoluer. Le garde des sceaux s’est exprimé très clairement à ce sujet. Il a très justement mis en avant les défis soulevés par cette notion et les différents aspects du texte.

La concertation évoquée par ses soins doit permettre d’affronter ces défis, de répondre à toutes ces questions, d’enrichir encore les dispositions de cette proposition de loi. Elle sera rapide, car les données et les sujets sont sur la table. Elle sera efficace et large, par la diversité des paroles recueillies. Elle sera à l’image de ce que nous sommes et de ce à quoi nous faisons face tous ensemble.

Mesdames, messieurs les sénateurs, ce ne sont pas seulement les victimes qui nous attendent ; c’est la société tout entière qui nous regarde.

On peut probablement même parler d’une introspection, individuelle et collective, que nous engageons aujourd’hui ensemble. Ce ne sera pas aisé. Nous devrons remettre en cause certains de nos réflexes, modèles et références. Nous serons conduits, toutes et tous, à nous interroger.

Il faut en passer par là, j’en suis convaincu ! Nous devons appréhender le sujet de la violence sexuelle sur les enfants dans toute son entièreté, dans toute sa complexité, en explorant les « replis » qui n’ont pas encore été portés au débat public.

Nous devons nous assurer que la parole de celles et ceux qui ne peuvent pas parler pourra s’exprimer. Je pense notamment aux enfants en situation de handicap, qui, comme les femmes face aux violences conjugales, sont bien plus exposés à ces menaces. Ne pas faire face à cette question, c’est passer à côté d’une partie importante du sujet.

Ce cheminement – individuel et collectif – ne sera pas simple, il sera même douloureux. Toutefois, j’y insiste, nous devons le faire, pour le bien de nos enfants d’aujourd’hui et de demain, et probablement aussi un peu pour nous-mêmes. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et UC. – Mme le rapporteur applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Xavier Iacovelli. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Xavier Iacovelli. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons s’inscrit dans un contexte politique et médiatique particulier, qui voit enfin une libération progressive de la parole des victimes, mettant fin à l’omerta qui règne trop souvent.

À cela s’ajoute une récente décision de la cour d’appel de Versailles, du 12 novembre dernier, rejetant une demande de requalification en viol de faits présumés d’atteinte sexuelle commis sur une jeune fille de 14 ans.

S’il n’est jamais opportun de légiférer sous le coup de l’émotion ou à la suite d’un fait divers ni de remettre en cause l’office du juge, notre assemblée ne peut rester muette face aux débats sociétaux qui traversent notre pays, en particulier lorsqu’il s’agit de la protection des enfants.

Nous le savons, les jeunes mineurs sont particulièrement exposés aux violences sexuelles, puisque 60 % de celles qui sont recensées concernent des enfants.

Dans leur rapport sur la loi du 3 août 2018, nos collègues députés Erwan Balanant et Marie-Pierre Rixain ont à juste titre estimé que le seuil des 13 ans marquait la limite indiscutable de l’enfance.

Si la notion de consentement trouve déjà sa complexité lorsque le plaignant est un adulte, celle-ci a un écho très singulier lorsque la victime est un jeune mineur.

C’est pourquoi la proposition de loi prévoit d’introduire au sein du code pénal un nouveau crime, puni de vingt ans de réclusion criminelle et caractérisé par tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis par une personne majeure sur un mineur de 13 ans.

Notre assemblée a déjà connu ce débat et le Gouvernement s’est saisi de cette question à l’occasion de l’examen de la loi de 2018. Celle-ci, par une disposition interprétative, est venue préciser l’appréciation de la contrainte et de la surprise, éléments constitutifs du viol et des autres agressions sexuelles, afin d’en faciliter la démonstration par le juge lorsque la victime est un mineur de moins de 15 ans.

Le texte que nous examinons aujourd’hui emprunte un autre chemin, plus affirmé encore, en proposant de criminaliser tous les actes de pénétration sur mineur de moins de 13 ans.

Il est ainsi rappelé qu’au-dessous de cet âge l’enfant est incapable de discernement pour consentir à ce type de rapports avec un adulte.

Il est ainsi affirmé qu’au-dessous de cet âge la question de la violence, de la contrainte, de la menace ou de la surprise ne doit pas intervenir.

Il est ainsi posé, en définitive, un interdit clair dans la loi, plus ferme que le délit d’atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans.

Je tiens à saluer le travail de Mme la rapporteure, Marie Mercier, qui a contribué à l’enrichissement de ce texte par l’adoption de plusieurs amendements en commission.

Son objectif était notamment de ne pas induire, par l’âge de 13 ans, une moindre protection des mineurs de 13 à 15 ans. Si l’articulation de la disposition introduite à cette fin avec les dispositions interprétatives issues de la loi Schiappa peut poser question, l’objectif de ne pas minorer la protection des autres mineurs est justifié.

La question de l’âge et des effets de seuil est centrale et des travaux sont en cours à l’Assemblée nationale sur le sujet. Nous avons tous à l’esprit le rapport d’Alexandra Louis et la proposition de loi d’Isabelle Santiago, auxquels s’ajoute la concertation annoncée aujourd’hui par le garde des sceaux.

Faut-il retenir un seuil de 13 ans, assorti d’une disposition interprétative pour les mineurs âgés de 13 à 15 ans ? Faut-il inclure tous les mineurs de moins de 15 ans, en ménageant des causes objectives d’irresponsabilité ? Ces questions se posent légitimement, en droit comme en opportunité.

D’autres réflexions – d’actualité – sur l’inceste et sur la prescription, enjeu complexe qui peut être déterminant pour la libération de la parole des victimes, mobiliseront notre hémicycle ce matin.

Dans une écrasante majorité, le groupe RDPI votera ce texte.

Mme Annick Billon. Très bien !

M. Xavier Iacovelli. Nous serons plusieurs, également, à voter l’amendement de Laurence Rossignol portant à 15 ans le seuil d’âge de la nouvelle infraction créée. (Mme Laurence Rossignol exprime sa satisfaction.)

Je salue le travail de l’auteure de cette proposition de loi, Annick Billon. Elle se saisit d’un débat de société majeur, que nous ne pouvons pas, je crois, écarter d’un revers de la main. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, SER et UC.)

M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme Maryse Carrère. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’enfance devrait toujours être le temps de l’insouciance. Malheureusement, trop d’enfants subissent humiliations, violences physiques ou sexuelles, autant de traumatismes profonds et durables auxquels il est inconcevable que la société ne réponde pas.

Ce soutien inconditionnel est avant tout indispensable pour que ces victimes puissent se construire, ou se reconstruire, en surmontant l’innommable.

Face aux crimes sexuels, la réponse institutionnelle doit d’abord être celle de la protection du mineur victime. Ce sujet semble faire consensus dans sa finalité : un adulte n’a pas à entretenir un rapport sexuel ou une relation de même nature avec un enfant et il ne fait aucun doute qu’un mineur de 13 ans est un enfant, quelle que soit l’image qu’il peut renvoyer.

Nous ne pouvons pas approuver les positions parfois ambiguës de certains commentateurs, discutant de l’attitude de l’enfant victime, cherchant une forme de réciprocité déculpabilisante pour l’adulte, là où nous ne devrions voir qu’une perversion du besoin affectif de l’enfant. Un enfant n’est pas un adulte. C’est à l’adulte de le savoir et de s’y tenir. C’est à lui de se contrôler et de « s’empêcher », comme disait Albert Camus.

Aussi, je ne doute pas que nous devrions arriver à une unanimité quant à la prohibition des rapports ou des relations sexuelles entre adulte et enfant. Cette unanimité ne devra pas être perdue de vue quand nous débattrons des moyens de parvenir à ce but.

Cette proposition de loi permet une avancée majeure pour notre arsenal répressif. J’en remercie Annick Billon et l’ensemble des signataires, ainsi que Marie Mercier, notre rapporteur, qui a enrichi le texte. Elle pose un interdit clair et strict, à travers la création d’une infraction autonome interdisant sans détour à un majeur d’avoir une relation sexuelle avec un mineur de 13 ans.

Il est nécessaire que notre droit puisse répondre avec fermeté et sans complexité à ces abus. Nous saluons donc l’ensemble des dispositions de ce texte, tant pour les solutions apportées en vue de faciliter la répression des faits incriminés que pour le respect de nos principes fondamentaux, ni l’imprescriptibilité ni l’irréfragabilité n’ayant été retenue.

Toutefois, cette évolution ne signifie pas que tout est enfin réglé.

D’abord, nous devons réfléchir au moyen de protéger avec la même efficacité les enfants de 13 à 15 ans, afin qu’il n’y ait pas d’effet de seuil à la date d’anniversaire d’un mineur victime.

Certes, cette proposition de loi apporte une première réponse en disposant que la contrainte morale ou la surprise peuvent également résulter de ce que la victime mineure était âgée de moins de 15 ans et ne disposait pas de la maturité sexuelle suffisante. Nous devrons donc observer comment les juges s’approprieront cette disposition et cette notion de « maturité sexuelle suffisante », sans non plus nous empêcher de poursuivre nos réflexions en vue de perfectionner encore davantage ces mécanismes.

Ensuite, demeure la question de l’inceste et de sa condamnation pénale. Le cas de l’abus sexuel intrafamilial ne fait pas, à ce jour, l’objet d’une répression suffisante. Le code pénal ne l’envisage que comme une surqualification ou une circonstance aggravante. Certes, la loi du 3 août 2018 a permis d’avancer sur ce point, mais le dispositif pourrait être complété.

Sur l’initiative de notre ancienne collègue, Françoise Laborde, le groupe du RDSE a déposé une proposition de résolution visant à engager diverses mesures pour intensifier la lutte et la prévention contre l’inceste et à demander sa surqualification pénale. Je renouvelle donc notre souhait que des réflexions soient poursuivies sur cette question.

Enfin, et c’est peut-être le plus important, il faut observer que l’arsenal répressif, même le plus perfectionné, ne suffira pas à faire cesser les abus.

La loi pénale ne fait pas tout. Il faut aussi œuvrer pour une meilleure sensibilisation de la société sur ces sujets, sans les abandonner aux excès qui peuvent être observés dans les réseaux sociaux. Il est aussi nécessaire de veiller à un meilleur accompagnement des victimes, ainsi qu’à un meilleur suivi médical des auteurs des actes.

Pour cela, au-delà des seules sanctions, nous devons travailler à soutenir et aider davantage les professionnels des services de protection de l’enfance, faisant face à ces situations particulièrement lourdes d’un point de vue émotionnel et délicates dans leur suivi.

Toutes ces remarques n’enlèvent rien au texte que nous discutons et que le groupe du RDSE soutiendra sans réserve. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC. – Mme le rapporteur applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi d’Annick Billon, soumise aujourd’hui à notre examen, prend une résonnance particulière à l’aune de l’actualité et des révélations de Camille Kouchner, révélations ayant conduit, comme il y a trois ans avec l’affaire Harvey Weinstein, à la libération de la parole et à des révélations plus larges et « universelles » sur les réseaux sociaux, derrière le hashtag #MeTooInceste.

Voilà comment des drames personnels expurgés du secret des cellules familiales et délivrés du sceau tacite du silence mènent à l’éclosion de sujets jusque-là encore tabous de notre société. Même si la prescription des faits est souvent de mise dans les affaires d’inceste, la libération de la parole travaillera à ce que ces comportements soient, sinon bannis, du moins dénoncés et considérés pour ce qu’ils sont : des interdits structurants de la société.

L’objet de la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui n’est pas sans lien avec cette problématique, puisqu’elle vise à poser un interdit clair dans la loi : l’interdiction absolue de tout acte sexuel entre une personne majeure et un mineur de moins de 13 ans, en instaurant dans le code pénal une nouvelle infraction autonome.

Cette proposition de loi, issue de l’actualité, moins récente mais non moins sordide, de l’affaire Julie, tire sa validité et sa recevabilité de deux éléments importants.

En premier lieu, il s’agit des droits de la défense et du respect du principe de présomption d’innocence.

Pour se défendre de cette infraction autonome, l’auteur des faits aurait la possibilité d’apporter la preuve qu’il ne pouvait connaître l’âge exact du mineur avec lequel il a eu une relation sexuelle. Cela vient répondre aux risques d’inconstitutionnalité notamment soulevés par le Conseil d’État dans son avis sur le premier texte du Gouvernement, en 2018, qui visait une présomption de non-consentement irréfragable.

En second lieu, il s’agit de la question du seuil d’âge à 13 ans.

D’un point de vue juridique, cela nous paraît cohérent avec la présomption de non-responsabilité pénale des mineurs fixée à 13 ans dans le futur code de justice pénale des mineurs.

D’un point de vue sociétal, c’est également cohérent avec le fait qu’une relation puisse être entretenue entre un ou une mineur de 15 ans et un ou une jeune majeur de 18 ou 19 ans.

Enfin, l’âge de 13 ans représente le seuil barrière infranchissable du monde de l’enfance.

En outre, le texte d’Annick Billon a été enrichi en commission des lois, notamment grâce à un amendement de la rapporteure, dont je salue la finesse et la précision du travail. Cet amendement est venu préciser la définition de viol, en indiquant que la contrainte morale ou la surprise, éléments constitutifs de l’infraction, peuvent résulter de ce que la victime mineure était âgée de moins de 15 ans et ne disposait pas de la maturité sexuelle suffisante.

Cette nouvelle indication est pour nous bienvenue et prend en compte la difficulté d’un seuil d’âge infranchissable et des « maturités variables » d’un adolescent à l’autre.

Cela dit, une fois précisés les points positifs qui conduiront notre groupe à voter cette proposition de loi, nous ne pouvons considérer la création d’une infraction autonome – aussi légitime soit-elle – comme une réponse suffisante à ce fléau des violences sexuelles commises à l’encontre des mineurs.

Tout le volet préventif doit être examiné en parallèle, et de toute urgence, avec le traitement de problématiques telles que la prévention et l’éducation sexuelle dès le plus jeune âge, la formation des professionnels de l’enfance ou encore la question des moyens de la justice et de nos forces de l’ordre, mais aussi des moyens accordés aux centres de la protection maternelle et infantile (PMI) et au monde de l’enfance dans son ensemble.

De manière générale, ces infractions sont la résurgence d’un modèle sociétal millénaire : celui de stéréotypes archaïques et de la domination patriarcale qui continue à sévir, malgré l’évolution des mœurs et des lois, à l’encontre des femmes et des enfants. C’est pourquoi il paraît nécessaire qu’une délégation aux droits des enfants prenne toute sa place au sein de notre Parlement. (Mme Laurence Cohen et M. Xavier Iacovelli applaudissent.)

C’est ce que nous vous proposerons de nouveau au cours du débat, même si notre amendement a été jugé irrecevable. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER.)

Discussion générale (suite)
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Élection d’une juge suppléante à la Cour de justice de la République

M. le président. Voici le résultat du scrutin pour l’élection d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République :

Nombre de votants : 131

Nombre de suffrages exprimés : 127

Bulletins blancs : 3

Bulletins nuls : 1

Mme Marie-Arlette Carlotti a obtenu 127 voix.

Mme Marie-Arlette Carlotti ayant obtenu la majorité absolue des suffrages exprimés, elle est proclamée juge suppléante à la Cour de justice de la République. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Je la félicite. C’est pour elle un jour particulier, marqué non seulement par cette belle élection, mais aussi par son anniversaire. (Exclamations de surprise.) Mes chers collègues, en votre nom à tous, je lui souhaite donc un joyeux anniversaire ! (Applaudissements.)

Mme Marie-Arlette Carlotti, juge suppléante à la Cour de justice de la République, va être appelée à prêter, devant le Sénat, le serment prévu par l’article 2 de la loi organique du 23 novembre 1993 sur la Cour de justice de la République.

Je vais donner lecture de la formule du serment, telle qu’elle figure dans la loi organique.

Je prie Mme Marie-Arlette Carlotti, juge suppléante, de bien vouloir se lever et de répondre, en levant la main droite, par les mots : « Je le jure. », après la lecture de la formule du serment.

Voici la formule du serment : « Je jure et promets de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de garder le secret des délibérations et des votes, et de me conduire en tout comme un digne et loyal magistrat. »

(Mme Marie-Arlette Carlotti, juge suppléante, se lève et dit, en levant la main droite : « Je le jure. »)

M. le président. Acte est donné par le Sénat du serment qui vient d’être prêté devant lui. (Applaudissements.)

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Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste
Discussion générale (suite)

Protection des jeunes mineurs des crimes sexuels

Suite de la discussion et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

M. le président. Nous reprenons la discussion de la proposition de loi visant à protéger les jeunes mineurs des crimes sexuels.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Dominique Vérien. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste
Article 1er

Mme Dominique Vérien. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, 13 ans, est-ce assez ? Est-ce trop peu pour protéger les enfants ?

De quoi parlons-nous aujourd’hui ? De la création d’un crime qui consiste, pour un majeur, à avoir une relation sexuelle avec un mineur.

Le seul fait que la relation sexuelle soit constatée et que le majeur connaisse l’âge de l’enfant suffit à établir le crime et à envoyer l’adulte passer ses vingt prochaines années derrière les barreaux.

La création de ce crime revient donc à formaliser une véritable interdiction pour un majeur d’avoir une relation sexuelle avec un mineur de 13 ans. Non seulement c’est compréhensible, mais c’est souhaitable. Imaginer un adulte, c’est-à-dire une personne de plus de 18 ans, avec un enfant de moins de 13 ans – dans la très grande majorité des cas impubère – est choquant.

De la même façon, est-il choquant de voir deux jeunes, dont l’un serait juste au-dessous de ses 15 ans et l’autre juste au-dessus de ses 18 ans ? Ils sont consentants, me répondrez-vous. Reste que la proposition de loi que nous nous apprêtons à voter se contrefiche du consentement, et c’est bien pour cela que nous la votons.

Il faut cesser de s’interroger quant au consentement du mineur : avec ce nouveau crime, le mineur de 13 ans est victime sans avoir à le prouver, et c’est bien. Il est victime de l’adulte et c’est à l’adulte de savoir que l’on ne touche pas à un enfant.

Peut-on tenir ce raisonnement avec un mineur de 15 ans ?

Bien entendu, il faut également protéger les mineurs âgés de 13 à 15 ans de relations non consenties. L’amendement de notre rapporteur vise précisément à aider le juge à conclure qu’un manque de maturité peut équivaloir à la contrainte et à la surprise. Ces dispositions permettent de répondre à la nécessité de protection accrue des plus jeunes, sans pour autant juger de la pertinence d’une relation entre deux jeunes dont l’un serait majeur.

La différence d’âge conduit à considérer qu’il n’y a pas d’histoire d’amour entre un jeune de terminale et un jeune qui entre tout juste au collège ; entre deux élèves, l’un de seconde, l’autre de terminale, c’est parfois plus discutable. Voilà pourquoi Annick Billon propose l’âge de 13 ans.

Néanmoins, les avocates que nous avons auditionnées sont formelles : les auteurs disent et diront toujours qu’ils ne connaissaient pas l’âge de leur victime. Ah bon ? Pourtant, 87 % d’entre eux appartiennent au cercle rapproché de l’enfant : parents, beaux-parents, oncles, entraîneurs sportifs… Je vous invite à regarder l’avalanche de témoignages provoquée, sur Twitter, par le hashtag #MeTooInceste, auquel on a déjà fait référence. Presque tous les agresseurs connaissent leur victime, donc, évidemment, son âge !

Regardons ce fléau tel qu’il est : un agresseur choisit sa victime, l’entraîne dans sa nasse et la bâillonne à vie par le mal qu’il lui a fait. Et il connaît son âge ! Et il ne peut prétendre le contraire ! La seule chose qu’il prétend d’ailleurs, en général, c’est que l’enfant était consentant. Il n’aura plus à le faire.

Non, l’enfant n’est jamais consentant, quand bien même il dit « oui » ; et que l’on ne vienne pas nous parler d’enfants séducteurs. Oui, l’enfant veut plaire, oui, l’enfant veut séduire, mais ce qu’il demande, c’est de l’amour, de l’affection, pas une relation sexuelle, pas un viol.

C’est à l’adulte de savoir maîtriser ses pulsions, car lui sait. Si cette proposition de loi est adoptée, il saura que c’est vingt ans de prison.

La question de l’imprescriptibilité a également été posée.

Une victime de viol se sent elle-même coupable, quand elle ne souffre pas d’amnésie traumatique. C’est terrible. Dans ces conditions, l’âge de 48 ans, à savoir trente ans après la majorité, peut bel et bien être insuffisant.

Le problème n’est pas celui de la preuve, contrairement à ce que l’on nous répète. En effet, en cas d’inceste ou de viol dans le cercle de confiance de l’enfant, l’auteur lui-même reconnaît souvent les faits, pour peu que la victime parle. Peut-être reconnaît-il d’autant mieux les faits que ceux-ci sont prescrits : il faudrait se pencher sur ce point.

En tout état de cause, la France dispose, ce qui n’est pas le cas de tous les pays, d’une hiérarchie de la prescription.

Rendre le viol sur mineur imprescriptible, pourquoi pas ? Dès lors cependant, on sera en mesure d’exiger l’imprescriptibilité de tout crime, comme les meurtres, et ce sont les notions tout entières de hiérarchie des crimes et de droit à l’oubli qui devront être revisitées. Je le répète, pourquoi pas ? À mes yeux toutefois, ce débat n’a pas suffisamment progressé à ce jour pour que l’on puisse prendre une telle décision.

Enfin, il y a la question de l’inceste.

Un inceste est un inceste, quel que soit l’âge auquel il est commis. Là encore, un travail plus approfondi est nécessaire et je sais que vous le menez, monsieur le secrétaire d’État. L’aggravation de l’atteinte sexuelle en cas de relation incestueuse est une première étape.

En résumé, nous n’avons pas fini notre travail de protection des mineurs, mais, dans un premier temps, créons un interdit : créons ce seuil. C’est peut-être un petit pas, mais c’est un pas certain. Faisons-le !

Monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, inscrivez ce texte à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.

Mme Dominique Vérien. Il n’est plus temps de réfléchir : voilà deux ans que l’on en parle et, aujourd’hui, nous avons déjà bien répondu à toutes les questions qui se posent. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE, SER et CRCE. – Mme Laure Darcos applaudit également.)

Merci encore à Annick Billon d’avoir déposé cette proposition de loi. Évidemment, les élus du groupe Union Centriste la voteront ! (Mêmes mouvements.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, avant tout, je tiens à dire merci aux signataires de cette proposition de loi, dont je relève le caractère transpartisan. Merci aux associations de leur mobilisation. Merci au groupe Union Centriste d’avoir inscrit ce texte sur son ordre du jour réservé, dont le temps limité nous impose d’ailleurs – je m’applique cette règle à moi-même – une grande sobriété de propos. (Sourires.)

Je ne sais si je peux ajouter le Gouvernement à cette liste de remerciements : j’ai entendu à la fois son ouverture d’esprit à l’égard de ce texte et son souhait de continuer à réfléchir, ce qui n’est jamais très bon signe pour le travail parlementaire. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. le secrétaire dÉtat manifeste son désaccord.)

Toutefois, les députés socialistes l’ont déjà annoncé : si le texte voté aujourd’hui est conforme à nos attentes et si le Gouvernement ne se montre pas très allant, ils l’inscriront sur leur propre temps parlementaire à l’Assemblée nationale pour qu’il puisse prospérer. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE, UC et RDSE. – Mme Valérie Boyer applaudit également.)

Le but essentiel de ce texte est sans doute de fixer – enfin ! – un seuil d’âge. À ce sujet, permettez-moi cette petite taquinerie. Il y a deux ans, les membres du groupe socialiste et républicain ont eux-mêmes proposé un seuil d’âge : ils ont essuyé un refus. Ce seuil était de 13 ans… Depuis, les esprits ont évolué : c’est une bonne chose.

Le seuil d’âge est un point délicat. Au sein de notre propre groupe, les avis divergent. La question n’est pas anodine, mais la création d’un seuil d’âge représente un tournant. C’est pourquoi il faut dire merci.

Au-delà, ce seuil d’âge permet d’évacuer la question du consentement.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. On ne tergiversera plus pour savoir si la victime a dit oui ou non, si elle savait, si l’auteur des faits connaissait son âge, etc. Désormais, l’âge du consentement est une donnée actée et, pour les mineurs de 13 ans, la notion de consentement s’en trouve écartée.

Pour notre part, nous proposons trois pistes d’amélioration. Certaines ont été retenues par la commission des lois, et j’en suis heureuse, mais ce n’est pas suffisant.

Premièrement, nous voulons agir en direction des victimes. Nous avons déposé un amendement que nous défendrons de nouveau dans quelques instants et pour lequel nous demanderons un scrutin public. Il vise à fixer à 18 ans l’âge du non-consentement dans le cas du crime d’inceste. Avec ce texte, on avance en instituant un seuil d’âge de 13 ans, même si certains souhaiteraient 15 ans : il n’est pas acceptable de ne pas avancer, en parallèle, au sujet de l’inceste. Pour le Sénat, ce serait une véritable occasion manquée.

Deuxièmement, nous voulons agir en direction des auteurs. Nous avons beaucoup parlé des questions de la prescription et de l’imprescriptibilité : nous y reviendrons peut-être, si nous en avons le temps. En la matière, une mesure serait assez utile. Elle a d’ailleurs déjà été votée par le Sénat en 2018 avant de disparaître du texte par le miracle de la commission mixte paritaire : c’est l’interruption de la prescription en cas de multiplicité de victimes.

Il s’agit d’un point essentiel. En effet, c’est souvent en cas de victimes multiples que les personnes agressées sont crues et que leur agresseur est confondu. De plus, nous l’avons vu dans l’affaire Flavie Flament et dans d’autres : du fait de la prescription, les victimes connaissent des sorts qui leur semblent, avec raison, inéquitables. L’interruption de la prescription en cas de victimes multiples permettra le maintien des poursuites contre les auteurs en série, qui, en la matière, sont une grande majorité.

Troisièmement, nous voulons agir en direction des témoins potentiels. Aujourd’hui, notre droit définit le délit de non-dénonciation de violences, maltraitances ou atteintes sexuelles sur enfants. Le problème, c’est que ce délit est un délit et que sa prescription est particulière. Nous proposons que le délai de prescription commence à courir à la majorité de la victime et soit prolongé de dix ans.

Madame la rapporteure, j’ai bien noté que vous souhaitez aller encore plus loin : vous proposez de prolonger ce délai de dix ans en cas de délit non dénoncé et de vingt ans en cas de crime. C’est une très bonne chose et nous vous rejoindrons probablement sur ce point. Il faut faire peser sur les témoins potentiels le poids de la responsabilité, y compris pénale.

Ces mesures ne suffiront sans doute pas à éradiquer le phénomène, mais seuls des efforts convergents en ce sens permettront de mieux protéger les enfants.

Mes chers collègues, vous l’avez compris : les élus du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain sont favorables à ce texte. Certes, nous le trouvons incomplet, parfois imprécis, et des discussions se poursuivent entre nous au sujet de l’âge. Reste que, dans ce domaine, c’est le Parlement qui avance ; c’est le Parlement qui, parfois, tord un peu le bras du Gouvernement. Nous l’avons d’ailleurs vu au sujet des violences faites aux femmes : la proposition de loi du député Les Républicains Aurélien Pradié a fini par aboutir grâce au Sénat.

Continuons dans cette voie transpartisane. J’adjure le Sénat de voter les améliorations que nous proposons : ne ratons pas le train de l’histoire. Il est plus que temps de sanctionner de manière efficace les auteurs de crimes sexuels sur les enfants mineurs ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier.

M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’affaire Duhamel est écœurante, révoltante. Elle aura le mérite de mettre en lumière la responsabilité de tous ces soixante-huitards… (Exclamations sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)

M. Stéphane Ravier. … qui ont imposé l’interdiction d’interdire, y compris les rapports sexuels entre majeurs et mineurs.

Cette révolution ne s’est pas contentée de la pensée : elle est passée aux actes et nous conduit aujourd’hui, finalement, à devoir légiférer pour tenter d’empêcher ou de sanctionner l’ignominie.

Quant au silence, jusqu’au déni, de tous ceux qui savent ou qui cautionnent, il reste tout autant condamnable.

Il est urgent d’encourager la libération de la parole pour soulager la souffrance des victimes, d’être ferme avec les coupables en les punissant sévèrement et de demander des comptes aux complices passifs.

Les enfants, les familles ne peuvent appréhender l’avenir que dans la confiance, l’équilibre et la sérénité. Il faut donc que la justice de notre pays assure une application des peines claire et ferme et garantisse une transparence totale sur ces actes abjects, tout en ayant pour objectif ultime de protéger ces mineurs des prédateurs sexuels.

Fixer la barre de l’interdiction absolue de tout acte sexuel entre un majeur et un mineur de 13 ans ne doit pas priver les mineurs de 15 ans de la protection qui leur est garantie encore aujourd’hui.

Si je soutiens ce texte, nous ne devons pas abandonner l’impérieuse nécessité de protéger les mineurs âgés de 13 à 15 ans. Il ne saurait y avoir une quelconque forme de dépénalisation pour des actes sexuels commis sur des enfants issus de cette tranche d’âge.

Il y a une autre tolérance, sournoise, envers des agissements qu’il nous faut définitivement bannir, envers des individus qui n’ont aucune victime directe avérée, mais qui signent des tribunes dans la presse pour tenter de décriminaliser les rapports sexuels avec des mineurs ou tiennent des propos qui banalisent la pédophilie.

Ces apprentis sorciers doivent rendre des comptes. Le discours nauséabond qu’ils véhiculent doit être sévèrement condamné. On interdit de répandre des messages appelant à la haine et à la violence sous toutes ses formes : il faut être tout aussi implacable envers ceux qui banalisent en public des comportements graves et des crimes sexuels pédophiles.

On ne saurait admettre plus longtemps que l’on puisse se vanter, à la télévision, de prendre du plaisir quand des enfants jouent avec votre braguette. Ces sinistres individus devraient être non plus invités sur des plateaux, mais envoyés derrière les barreaux !

Les collectivités territoriales et l’éducation nationale doivent encourager les associations dont les messages vont dans le sens de la prévention.

Il est également urgent d’établir dans notre droit une imprescriptibilité pour les crimes sexuels commis sur des mineurs, quel que soit leur âge.

Cette imprescriptibilité est justifiée par l’extrême difficulté à parler, donc à aborder publiquement de tels actes, y compris lorsque la victime a atteint l’âge adulte. Un enfant abusé, un enfant violé, c’est un crime contre l’innocence ; c’est une blessure jamais cicatrisée ; c’est toute une vie jalonnée de souffrances.

Mes chers collègues, sachons protéger totalement, avec une loi claire et une justice impitoyable, ce que nous avons de plus précieux : nos enfants. Les adultes de demain vous en seront reconnaissants !

M. le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.

Mme Vanina Paoli-Gagin. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, parce qu’elles touchent à l’intime et qu’elles ont de graves conséquences psychologiques, les infractions sexuelles hantent durablement, voire éternellement, la vie des victimes. Lorsque ces dernières sont des enfants, personnes vulnérables, les effets n’en sont que plus dévastateurs et c’est notre société tout entière qui s’en trouve fragilisée.

Il est donc impératif de mieux protéger les mineurs contre ces atteintes : c’est l’objectif de la proposition de loi de notre collègue, que, je crois, nous approuvons tous.

Les évolutions récentes sont positives. En 2018, la loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes a complété notre droit. Malgré cela et au-delà même des difficultés probatoires propres à ce type d’infractions, la protection des enfants demeure fragile et insuffisante.

La répression des agressions sexuelles, dont le viol fait partie, est centrée sur la notion d’absence de consentement de la victime. Vous me l’accorderez, ce fondement paradoxal convient mal à de jeunes individus dont le discernement est nécessairement en construction.

La répression des atteintes sexuelles sur mineur de 15 ans a quant à elle pour objet de poser un interdit social en défendant aux majeurs toute relation sexuelle avec les moins de 15 ans. Il s’agit toutefois là d’un simple délit et les peines associées ne sont pas assez lourdes.

Aussi, Annick Billon propose de criminaliser toute relation sexuelle impliquant pénétration, même sans violence, entre un mineur de 13 ans et un majeur.

Cette nouvelle infraction se situe, sous l’angle de la qualification pénale, aux frontières du viol et de l’atteinte sexuelle sur mineur. C’est une avancée, mais je pense qu’il est important de renforcer significativement l’interdit social pesant sur ce type de relations.

Nous devons protéger nos enfants, pour eux-mêmes d’abord, car ces atteintes ont des effets destructeurs qui s’inscrivent dans la durée et infectent insidieusement tout le corps social.

Nous devons aussi protéger nos enfants pour les adultes qu’ils seront, pour les familles qu’ils fonderont et pour la société que nous voulons demain. De nombreux agresseurs ont eux-mêmes été victimes d’abus et ce cycle doit être brisé.

À ce titre, les membres du groupe Les Indépendants soutiennent le renforcement des sanctions. En toute circonstance, les adultes doivent protéger les enfants ; ceux qui leur portent atteinte doivent être lourdement sanctionnés et ceux qui ont connaissance d’abus doivent en alerter les autorités, sous peine de sanctions alourdies.

À ce titre, j’insiste sur l’importance de ces signalements lorsqu’il s’agit d’enfants. Beaucoup ne diront pas les abus qu’ils subissent. Même si ces enfants en ressentent souvent le traumatisme, ils peuvent ne pas les concevoir comme des abus : parce qu’ils sont le fait de personnes ayant autorité sur eux, parce qu’ils ne sont souvent pas à même, tout simplement, de les nommer, parce qu’ils se sentent trop souvent coupables de ce qui leur arrive, mais aussi parce qu’ils ne savent pas toujours s’ils doivent ou peuvent en parler. Il est de notre devoir de désamorcer cette bombe à retardement et à fragmentation.

Mes chers collègues, dans ces affaires, l’omerta, c’est aussi le camp du mal. Elle doit cesser et je vous proposerai deux amendements à cette fin : il s’agit, d’une part, de fixer le délai de prescription du délit de non-dénonciation à vingt ans à compter de la majorité de la victime, d’autre part, de renforcer significativement les peines encourues.

En aggravant les sanctions des auteurs d’infractions sexuelles sur mineur et en brisant la loi du silence, je suis convaincue que nous contribuerons à mieux protéger nos enfants.

Monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, c’est notre responsabilité de tracer, ici et maintenant, une ligne claire entre la barbarie et la civilisation.

Nous devons le faire, à la fois au nom des grands principes et des grands sentiments !

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, 165 000 : c’est le nombre estimé de mineures et de mineurs qui, chaque année en France, subissent des violences sexuelles. Ce sont 130 000 filles et 35 000 garçons que le droit n’aura pas su protéger.

Les difficultés en la matière sont de plusieurs ordres.

Tout d’abord, ces violences demeurent trop peu dénoncées. Si l’on s’en tient aux chiffres officiels du ministère de l’intérieur, on recense en 2019 à peine plus de 7 000 plaintes.

Peu d’agressions font l’objet de plaintes, parce que nombre d’entre elles se produisent malheureusement dans le cadre de la famille. Nous ne pouvons ignorer toutefois qu’il existe des difficultés d’ordre juridique : si le dépôt de ces plaintes est en nette augmentation depuis quelques années, le droit, complexe en ce domaine, empêche trop souvent les procédures d’aboutir une condamnation.

La loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, adoptée au mois d’août 2018, a apporté deux améliorations significatives. Elle a permis l’allongement du délai de prescription pour les crimes sexuels commis sur mineur et a précisé la définition du viol commis sur une victime de moins de 15 ans. Cette loi restait néanmoins inachevée, faute d’avoir créé un seuil d’âge précis au-dessous duquel toute personne adulte qui a eu un rapport sexuel avec une personne mineure tomberait sous le coup d’une condamnation.

La proposition de loi dont nous débattons, cosignée par plus de cent sénatrices et sénateurs de tous bords politiques, entend mettre un terme à cette situation juridique, empêchant de considérer systématiquement de tels actes comme des viols. Elle pose ainsi une limite législative claire : l’interdiction absolue de tout acte sexuel entre une personne majeure et une personne mineure de 13 ans.

En outre, l’ajout, à la suite des travaux de la commission des lois, de l’article 1er bis, qui prévoit des protections supplémentaires pour la tranche d’âge de 13 à 15 ans, mérite d’être salué. Toutefois, certains d’entre nous auraient préféré que cette proposition de loi retienne le seuil de 15 ans.

À l’aune du hashtag #MeTooInceste, à l’aune également de la récente étude menée par l’association Face à l’inceste, estimant que près de 6,7 millions de Françaises et de Français ont été victimes d’inceste, la politique des petits pas en matière de crimes sexuels sur mineur n’est plus envisageable.

Par ailleurs, nous souhaitons d’autres améliorations, tout particulièrement la reconnaissance des actes bucco-génitaux comme crimes sexuels : les élus du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires ont déposé un amendement en ce sens.

De même, à l’avenir, il serait opportun de bénéficier de données officielles plus précises et plus régulières quant aux violences sexuelles commises sur personnes mineures.

Pour autant, cette proposition de loi est nécessaire et nous en saluons l’initiative. C’est la raison pour laquelle les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires la voteront.

Monsieur le garde des sceaux, avec ce texte, le Sénat a accompli un excellent travail. Pourtant, chaque fois que l’exécutif peut passer par-dessus la tête des parlementaires, il le fait.

Mme Esther Benbassa. Tel a été le cas en 2018 avec le projet de loi de Mme Schiappa, venu après la proposition de loi du Sénat. Allez-vous en faire de même sur cette question, en engageant une nouvelle consultation en dehors du Parlement pour préparer encore un nouveau texte ? (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à Mme Jacky Deromedi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Jacky Deromedi. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous nous réunissons de nouveau aujourd’hui avec la ferme intention de renforcer la protection de nos enfants, comme nous l’avons fait au mois de juin dernier lors de l’examen de la proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugales. Aujourd’hui, l’objectif est d’autant plus complexe qu’il est précis, puisqu’il s’agit d’améliorer la lutte contre les violences sexuelles commises sur de très jeunes mineurs.

Chère Annick Billon, l’ambition première de votre proposition de loi est, telle que nous la comprenons, de réprimer les faits de viol perpétrés sur des mineurs de 13 ans.

Le groupe Les Républicains du Sénat ne peut que partager l’analyse selon laquelle le viol sur mineur, notamment sur de très jeunes victimes, reste particulièrement difficile à caractériser, à poursuivre et à condamner. Si la définition du viol, complexe à appréhender et trop restrictive selon certains, sera sans aucun doute au cœur de nos débats de ce jour, la première des questions qui s’impose aujourd’hui à nous semble la suivante : la loi en vigueur fixe-t-elle un interdit sociétal suffisamment clair, intelligible et dénué d’équivoque ?

Pour un certain nombre de professionnels, qu’ils exercent dans les milieux de la santé, de l’éducation ou encore de la justice, nos dispositions en matière pénale suffisent à réprimer l’ensemble des violences sexuelles commises sur de jeunes mineurs.

Pourtant, si l’on en croit la forte émotion suscitée dans le débat public ces derniers jours par la parution du livre La Familia grande de Camille Kouchner, la réponse à cette question semble moins évidente.

Or, comme le remarquait Portalis dans son discours préliminaire sur le projet de code civil, « il est des temps où l’on est condamné à l’ignorance parce qu’on manque de livres ; il en est d’autres où il est difficile de s’instruire parce qu’on en a trop ».

Qu’il s’agisse de la détermination d’un seuil d’âge – 13 ou 15 ans – ou de l’institution d’une infraction autonome plutôt que d’une présomption, les avis diffèrent souvent d’un citoyen à un autre et, de la même façon, d’un législateur à un autre. Notre groupe ne fait pas exception en la matière.

Cependant, la position élaborée par la commission des lois nous semble à la fois prudente et pertinente.

En particulier, l’introduction dans le texte de la notion de « maturité sexuelle » est intéressante, en ce qu’elle permettrait au magistrat, « pénétré de l’esprit général des lois, à en diriger l’application », pour citer de nouveau Portalis, selon qui « les lois positives ne sauraient jamais entièrement remplacer l’usage de la raison naturelle dans les affaires de la vie ».

Aussi, nous saluons la proposition de notre rapporteur d’accroître la protection des mineurs âgés de 13 à 15 ans en précisant que la contrainte ou la surprise peut résulter de ce que la victime mineure était âgée de moins de 15 ans et ne disposait pas de la maturité sexuelle suffisante.

Pour conclure, je tiens à remercier notre rapporteur, Marie Mercier, de la qualité et de l’humanité de son travail sur un sujet aussi sensible que délicat.

Pour l’ensemble des raisons évoquées, je ne doute pas que les membres du groupe Les Républicains voteront cette proposition de loi, telle qu’elle a été amendée par la commission des lois. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. le président. La parole est à Mme Alexandra Borchio Fontimp. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Alexandra Borchio Fontimp. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, « protéger nos enfants ! » : voilà trois mots qui paraissent évidents et qui traduisent le souhait de tout parent. Cette protection, parce qu’elle est indispensable, doit être à nouveau renforcée face au nombre effrayant de violences sexuelles commises sur des mineurs.

L’affaire médiatique mettant en cause le politiste Olivier Duhamel pour des abus sexuels commis sur son beau-fils, à peine âgé de 13 ans au moment des faits, a ravivé le débat, la douleur et la colère. Pourquoi a-t-il fallu attendre autant de temps pour que la parole se libère ?

Aujourd’hui, les Français ne peuvent plus accepter cette omerta, qui leur est insupportable, comme le montre le hashtag #MeTooInceste, qui déferle sur les réseaux sociaux.

Hasard du calendrier, le Sénat est aujourd’hui réuni pour débattre de ce sujet. Nous savons que les violences sexuelles à l’encontre des enfants sont souvent perpétrées au sein de la famille. Aussi, je pense que nous serons tous d’accord, dans cet hémicycle, pour affirmer que toutes les violences à caractère sexuel à l’encontre de mineurs, dont l’inceste – sujet tabou tant il est abject –, doivent être combattues et punies à la hauteur de leur atrocité.

Briser le silence est le premier impératif ; briser le silence douloureux des victimes qui n’osent pas parler, briser le silence éhonté de ceux qui, assurément, savaient. L’amendement de Mme la rapporteure qui vise à étendre le délai de prescription pour inciter au signalement est un pas nécessaire dans le combat que nous menons.

Ma fille aura 13 ans cette année : à 13 ans, on est encore un enfant. Mes chers collègues, la proposition de loi que nous nous apprêtons à examiner ne fait que le rappeler et vise ainsi à l’amélioration de la protection que nous devons à nos enfants. Lorsque des prédateurs sexuels abusent d’eux, c’est la société tout entière qui en ressort affaiblie, anéantie.

Tous les élus locaux peuvent témoigner d’affaires dans leur territoire et le département des Alpes-Maritimes n’y échappe pas. J’en parlais encore ce matin sur ce sujet avec un magistrat de Grasse en charge des violences sexuelles. Le constat est transpartisan et ne laisse place à aucun doute : la protection des mineurs présente encore des failles que le législateur doit combler.

Le Sénat, sous l’impulsion de Philippe Bas, a dressé dans son rapport de 2018 déjà confié à Marie Mercier, un état des lieux alarmant. Ses préconisations ont été traduites dans la proposition de loi d’orientation et de programmation pour une meilleure protection des mineurs victimes d’infractions sexuelles, adoptée par le Sénat au mois de mars 2018. Plus que de vaines paroles, il s’agit d’une nouvelle manifestation du volontarisme et de la détermination de notre groupe à agir sur ces questions, pour les victimes.

Bien que l’Assemblée nationale n’ait toujours pas examiné ce texte, allant ainsi à l’encontre de la demande récurrente de notre société sur ce sujet, le Sénat n’abandonne pas. La délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, dont je suis membre, a produit, sous la présidence d’Annick Billon, de nombreux travaux. Tous visaient à alerter sur la nécessité de faciliter la répression des viols commis à l’encontre de mineurs et préconisaient, en conséquence, la création d’une infraction autonome de crime de pénétration sexuelle sur mineur de 13 ans.

Les améliorations issues des amendements de Mme la rapporteure permettent de garantir que cette proposition de loi sera, de façon certaine, une pierre fondamentale dans l’édifice protecteur que nous sommes en train de bâtir pour nos enfants.

Si les insuffisances de la loi Schiappa du 3 août 2018 sont satisfaites, puisque la définition du crime sexuel sur mineurs est élargie aux actes de pénétration sexuelle commis par la victime sur l’auteur, d’autres garanties doivent être relevées.

Dans son avis du 21 mars 2018, le Conseil d’État a jugé que les défauts de rédaction du dispositif alors proposé par le Gouvernement étaient dangereux. La teneur du débat et les attentes fortes des victimes et de leurs proches n’ont pas suffi à empêcher l’abandon pur et simple de cette mesure.

Sans créer de présomption de non-consentement, mais sans non plus y renoncer, les amendements adoptés en commission des lois répondent aux inquiétudes exprimées.

Cette proposition de loi permet de respecter nos obligations constitutionnelles, tout en accroissant et en consolidant la protection des enfants et en simplifiant le travail des magistrats. Fier de l’avancée permise par ces travaux, le Sénat doit aujourd’hui continuer son combat ! Ces nouveaux instruments marquent une avancée certaine dans la lutte contre les violences sexuelles à l’encontre des enfants.

D’autres questions restent toutefois en suspens, comme l’allongement de la peine encourue, car l’auteur, par exemple, à l’aide de mécanismes de remise de peine, ne purge souvent que la moitié de la peine prononcée, déjà jugée souvent trop faible par les victimes et leurs familles.

Mes chers collègues, ce sujet mérite que notre assemblée le prenne à bras-le-corps avec force et vigueur. Ne laissons plus ces crimes perdurer, ne laissons plus nos enfants en danger.

Je vous écoute, monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État. Finalement, nous menons le même combat, avec la même volonté et la même intensité, et ce combat se gagne ici et maintenant. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – Mme le rapporteur applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.

Mme Marie Mercier, rapporteur. Nous évoquons des violences faites aux enfants. Aussi, je souhaite profiter de votre présence, monsieur le garde des sceaux, pour vous parler des violences liées à l’exposition aux films pornographiques et aux images pornographiques souvent dès le collège.

Vous étiez là quand nous avons voté un amendement visant à protéger les mineurs en faisant en sorte de les empêcher d’accéder très facilement aux sites pornographiques gratuits réservés aux majeurs. Il s’agit d’un dispositif très technique, au devenir duquel notre commission accorde une très grande attention.

Monsieur le garde des sceaux, peut-être aurez-vous l’occasion de nous en dire plus sur ce sujet prochainement.

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens d’abord à rassurer votre assemblée : le Gouvernement n’a pas de but dilatoire caché. Cette proposition de loi nous semble évidemment un texte extrêmement intéressant. J’ose essayer de vous rassurer, parce que j’ai entendu quelque circonspection s’exprimer.

Nous disons que nous devons, bien sûr, travailler ensemble, que nous n’avons pas d’exclusive quant au vecteur qui sera utilisé, qu’il est nécessaire de faire quelque chose ; nous partageons, ainsi que j’ai cru le comprendre, un consensus sur l’idée générale.

Cependant, un certain nombre de points nous semblent tout de même mériter d’être encore un peu travaillés.

M. Max Brisson. Alors, amendez le texte !

Mme Valérie Boyer. Sous-amendez et avancez !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. C’est la raison pour laquelle, comme je l’ai indiqué, Adrien Taquet et moi-même souhaitons poursuivre les consultations. Il ne s’agit pas de gagner du temps, car il est indispensable de répondre à cette attente que nous entendons tous.

Je précise mon propos. Quel seuil devons-nous choisir : 13 ans, 14 ans, 15 ans ? (Exclamations sur les travées du groupe SER.) Il faut réfléchir à ces questions,…

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Que faisons-nous ici ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. … parce que ce débat nous engage et que nous n’avons pas droit à l’erreur. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)

Comment qualifier ce nouveau crime : viol ou pas viol ? C’est une vraie question, qui correspond à une véritable attente des associations.

Comment articuler au mieux les différents dispositifs ? Comment satisfaire les principes de nécessité et de proportionnalité des peines ?

Madame de La Gontrie, vous avez déclaré que vous voteriez évidemment le texte, quand bien même subsistaient certaines interrogations, comme la prescription, qui n’avaient pas encore obtenu de réponse et qui sont des questions absolument essentielles. Je pense également à la prescription glissante, une idée extrêmement intéressante, mais à laquelle il faut encore travailler un peu.

Autant de sujets que nous allons évoquer à l’occasion de ces débats. Nous souhaitons y participer pleinement, car il n’y a pas d’opposition entre députés et sénateurs ou entre sénateurs et Gouvernement. Nous sommes unis dans une véritable concertation.

Il subsiste cependant des divergences et des points qui ne sont pas encore tranchés. C’est la raison pour laquelle nous souhaitons recevoir certains intervenants qui sont au fait de ces situations absolument dramatiques.

Vous aurez, nous aurons collectivement à apporter une réponse, dont je tiens à préciser ici qu’elle doit être rapide, sans pour autant verser dans la précipitation. (Exclamations sur les travées des groupes SER et Les Républicains.)

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Il n’y a pas de précipitation !

Mme Laurence Rossignol. La précipitation, en matière parlementaire, vient du Gouvernement !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Un grand socialiste soulignait hier, avec le talent qui est le sien, à quel point ces questions de prescription étaient difficiles à trancher.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Accordons-nous encore un peu de réflexion, s’il vous plaît.

M. le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi visant à protéger les jeunes mineurs des crimes sexuels

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste
Article additionnel après l'article 1er - Amendement n° 13 rectifié

Article 1er

Après l’article 227-24-1 du code pénal, il est inséré un article 227-24-2 ainsi rédigé :

« Art. 227-24-2. – Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis par une personne majeure sur un mineur de treize ans est puni de vingt ans de réclusion criminelle.

« L’infraction est également constituée si l’acte de pénétration sexuelle est commis sur la personne de l’auteur.

« L’infraction définie au premier alinéa est punie :

« 1° De trente ans de réclusion criminelle lorsqu’elle a entraîné la mort de la victime ;

« 2° De la réclusion criminelle à perpétuité lorsqu’elle est précédée, accompagnée ou suivie de tortures ou d’actes de barbarie. »

M. le président. La parole est à Mme Valérie Boyer, sur l’article.

Mme Valérie Boyer. Permettez-moi de vous dire, monsieur le garde des sceaux, qu’à l’Assemblée nationale comme au Sénat les parlementaires travaillent, prennent leur temps, ne sont pas dans la précipitation. Cela fait un bon moment qu’ils s’intéressent à ces questions ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – Mme Marie-Pierre de La Gontrie et M. Hussein Bourgi applaudissent également.)

« Nous devons à nos enfants une vie sans violence et sans peur. » Tout au long de nos débats, ayons à l’esprit ces mots de Nelson Mandela. C’est en y pensant que je veux féliciter la présidente de la délégation aux droits des femmes, Annick Billon, pour son travail, pour son engagement et pour son ouverture d’esprit ainsi que notre rapporteur Marie Mercier, sans oublier tous les parlementaires qui travaillent depuis de nombreuses années sur cette question des violences sexuelles, sans précipitation.

Aussi, même si nous aurons des débats sur les aspects juridiques, il y va de notre responsabilité de parlementaire, nous sommes tous animés ici par un seul et même objectif : protéger les plus vulnérables.

Les différents amendements que je défendrai sont le fruit de plusieurs années de travaux et d’auditions d’experts et de juristes. Je pense au Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, au juge pour enfants Édouard Durand, à Ernestine Ronai, à Muriel Salmona, au centre Hubertine-Auclert, à maître Nathalie Tomasini, à Michèle Créoff ou encore à Françoise Laborde.

Leurs auditions m’ont conduite à considérer que la loi Schiappa de 2018 a été un rendez-vous manqué ou n’a marqué que de petits pas et qu’il fallait aller plus loin, en particulier sur le seuil d’âge.

« Je veux ici vous donner une conviction personnelle. Nous devrions sans doute [nous] aligner sur l’âge de la majorité sexuelle fixée dans notre droit à 15 ans, par souci de cohérence et de protection des mineurs », a déclaré le Président de la République. Alors, avançons !

Instituer un seuil d’âge pour les infractions de violences sexuelles commises par des adultes sur des mineurs est une solution retenue par de nombreux États, qui veillent également au respect des droits de la défense. Mes chers collègues, faisons ensemble reculer cette réalité effroyable : un enfant est violé toutes les heures en France.

Selon le juge Édouard Durand, « le passage à l’acte de l’adulte est une perversion du besoin affectif de l’enfant ». En aucun cas, un enfant ne peut être consentant à une relation sexuelle. À nous d’y mettre un terme. (Mme Joëlle Garriaud-Maylam applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Max Brisson, sur l’article.

M. Max Brisson. En 2018, je fus de ceux qui ressortirent meurtris de nos débats. Manifestement, les travaux de la délégation aux droits des femmes n’avaient pas suffisamment maturé pour que la position dont ils rendaient compte fût suivie par le Gouvernement et le Sénat.

Je me réjouis donc ce matin que la proposition de loi d’Annick Billon concrétise nos débats et nos travaux et que nous parvenions, avec cet article 1er, à instaurer un seuil d’âge à 13 ans pour interdire tout acte de pénétration sexuelle. Je me réjouis aussi de l’approche de la commission des lois, de son président et de la rapporteur Marie Mercier, qui ont judicieusement enrichi ce texte.

L’article 1er marque une avancée. Certes, je suis de ceux qui auraient préféré que le seuil soit fixé à 15 ans, mais je comprends les arguments de l’auteure de la proposition de loi évoquant les relations sexuelles consenties entre adolescents et très jeunes majeurs et je m’y rallie.

Je comprends moins, en revanche, les propos quasiment méprisants de la ministre déléguée à la citoyenneté, qui, sur un plateau de télévision ce week-end, s’apitoyait sur le sort réservé aux enfants de 13 à 15 ans par cette proposition de loi. Faut-il faire remarquer à l’ancienne secrétaire d’État à l’égalité entre les femmes et les hommes que, sur ce sujet, le texte a été judicieusement enrichi par Marie Mercier ? Marlène Schiappa avançait en 2018, quant à elle, les mêmes arguments que ceux qui nous ont été servis par le garde des sceaux.

M. Max Brisson. Laissons là ces billevesées politiques et saluons le travail concerté de la commission des lois et de la délégation aux droits des femmes ainsi que la constance et la compétitivité de sa présidente, Annick Billon, qui peut être satisfaite du cheminement des esprits depuis 2018.

Monsieur le garde des sceaux, emparez-vous de ce texte, améliorez-le, mais ne vous enfermez pas une nouvelle fois dans le dédale des comités Théodule ! Faites confiance au Parlement, amendez le texte, faites vivre la navette et la démocratie parlementaires. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 3 rectifié ter, présenté par Mme V. Boyer, MM. D. Laurent et Frassa, Mmes Thomas et Drexler, M. Cuypers, Mme Herzog, MM. Le Rudulier, Boré, Chasseing, Longeot, H. Leroy, A. Marc, Panunzi et Laménie, Mmes Noël et Dumas, MM. Longuet et B. Fournier, Mme Garriaud-Maylam et MM. Nougein, Pellevat et Houpert, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

Le code pénal est ainsi modifié :

1° Le dernier alinéa de l’article 222-22-1 est ainsi rédigé :

« Lorsque les faits sont commis sur la personne d’un mineur de quinze ans par une personne majeure, la contrainte est présumée sans qu’il soit possible d’apporter la preuve contraire lorsque l’auteur des faits connaissait ou ne pouvait ignorer l’âge de la victime. » ;

2° À l’article 227-25, après les mots : « agression sexuelle », sont insérés les mots : « et hors les cas prévus à l’article 222-22-1 ».

La parole est à Mme Valérie Boyer.

Mme Valérie Boyer. Vanessa Springora avait 15 ans, le jeune Kouchner, 14 ans, Sarah Abitbol, 15 ans, Isabelle Demongeot, 14 ans, Flavie Flament, à peine 13 ans… Combien d’autres victimes encore ? La société dans son ensemble doit s’interroger sur ce qu’elle tolère ou ce qu’elle ne veut pas voir.

Aussi, il me semble que nous devons envoyer un message simple, mais fort : il y a présomption de contrainte en cas de relation sexuelle entre un mineur de moins de 15 ans et un majeur, lorsque ce dernier connaissait ou ne pouvait ignorer l’âge de la victime. J’insiste sur les mots « contrainte » et non « consentement », car seul l’auteur est responsable de ses actes.

Philippe Bas l’a parfaitement expliqué en commission : le consentement n’est pas le bon instrument ; ce qui doit être utilisé en droit pénal, c’est la contrainte. Se reposer, s’appuyer sur le consentement revient à moins protéger la victime ; considérer la contrainte, c’est faire reposer la charge de la preuve sur l’agresseur.

Vous n’avez pas retenu le dispositif que je propose, mais je tenais tout de même à le défendre : il nous permettrait de sanctuariser la protection des mineurs de moins de 15 ans. Ce seuil est connu de tous, il correspond à ce que nous résumons par l’âge de la « majorité sexuelle », même si cette notion mérite d’être mieux définie.

En aucun cas, l’enfant de moins de 15 ans ne peut être consentant à une relation sexuelle, nous devons y mettre un terme. L’adolescent de 13, 14 ou 15 ans est en pleine puberté, il cherche une identité, il reste influençable et va croire les mots de l’adulte, il n’a pas la maturité pour être vraiment consentant, comme l’explique avec justesse Vanessa Springora.

Enfin, cet amendement tend à respecter deux principes fondamentaux. Il s’agit, d’une part, de la présomption d’innocence, dans la mesure où l’infraction ne sera pas systématique dès lors qu’il faudra prouver l’acte, la nature de l’acte et démontrer que l’auteur connaissait ou ne pouvait ignorer l’âge de la victime, notion grâce à laquelle les juges pourront toujours prendre en compte les circonstances et apprécier la réalité des faits, d’autre part, de la non-automaticité de l’infraction.

M. le président. Les deux amendements suivants sont identiques.

L’amendement n° 4 rectifié ter est présenté par Mme V. Boyer, MM. D. Laurent et Frassa, Mmes Thomas et Drexler, M. Cuypers, Mme Herzog, MM. Le Rudulier, Chasseing, Boré, Longeot, H. Leroy, A. Marc, Panunzi et Laménie, Mmes Noël et Dumas, MM. Longuet et B. Fournier, Mme Garriaud-Maylam et MM. Nougein, Pellevat et Houpert.

L’amendement n° 14 est présenté par Mmes Assassi, Cukierman, Cohen et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Rédiger ainsi cet article :

Le code pénal est ainsi modifié :

1° Le dernier alinéa de l’article 222-22-1 est ainsi rédigé :

« Lorsque les faits sont commis sur la personne d’un mineur de treize ans par une personne majeure, la contrainte est présumée sans qu’il soit possible d’apporter la preuve contraire lorsque l’auteur des faits connaissait ou ne pouvait ignorer l’âge de la victime. » ;

2° À l’article 227-25, après les mots : « agression sexuelle », sont insérés les mots : « et hors les cas prévus à l’article 222-22-1 ».

La parole est à Mme Valérie Boyer, pour présenter l’amendement n° 4 rectifié ter.

Mme Valérie Boyer. Il est défendu, monsieur le président.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour présenter l’amendement n° 14.

Mme Laurence Cohen. Cet amendement est le fruit d’une réflexion qui a évolué depuis plusieurs années sur ce sujet et qui part du constat que la loi actuelle n’est pas suffisante, ce qui a été abondamment développé.

Notre réflexion a abouti tout d’abord au seuil de 13 ans et non de 15 ans. La différence d’âge est ici suffisamment significative pour répondre à l’une des critiques émises par le Conseil d’État lors de l’élaboration de la loi de 2018.

La réflexion nous a ensuite conduits à déterminer s’il était plus pertinent de partir de la définition actuelle du viol pour l’améliorer ou, comme il est proposé dans le texte d’Annick Billon, de créer une infraction autonome.

Comme l’a souligné Éliane Assassi lors de la discussion générale, les mots ont du sens et portent un poids symbolique. Parler de crime sexuel ou de tout acte de pénétration sexuelle plutôt que de viol nie, pour une part, la violence de l’acte. Ce qui n’est pas nommé n’existe pas, dit-on souvent. Il me semble très important pour les victimes de poser un mot précis sur ce qu’elles ont subi.

De plus, cela reviendrait à voir cohabiter dans la loi deux types différents d’infraction, selon que la victime est majeure ou mineure.

Enfin et c’est l’avancée la plus importante, le dispositif que nous proposons crée la présomption de contrainte irréfragable, qui porterait uniquement sur l’un de ses éléments constitutifs, la contrainte, pour caractériser un viol. Cette rédaction, en plaçant le focus sur l’auteur des faits et non sur la victime, permettrait de ne plus s’interroger sur un prétendu consentement.

Il s’agit pour nous de dire de façon très claire que la contrainte est forcément présumée entre un majeur et un mineur de 13 ans, que le rapport de force, sans être obligatoirement physique, existe de fait et est défavorable au mineur.

Pour nous, cette rédaction présente au moins deux avantages. D’une part, elle tient compte du risque d’anticonstitutionnalité en préservant la présomption d’innocence, à laquelle nous sommes attachés ; d’autre part, elle nous paraît plus précise et moins sujette à interprétation que la loi Schiappa, laquelle, si elle partait également de la définition du viol, évoquait, pour caractériser la contrainte ou la surprise, l’abus de vulnérabilité de la victime et le discernement nécessaire pour ces actes, c’est-à-dire des notions plus floues.

Nous évoluons grâce au débat et je remercie de leur participation à la rédaction de cet amendement Édouard Durand, juge pour enfants à Bobigny, et Ernestine Ronai, présidente de l’Observatoire des violences faites aux femmes de Saint-Denis, tous deux responsables de la commission « genre » du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Marie Mercier, rapporteur. Je veux dire à mon tour tout mon respect et mon admiration pour les deux personnes que vous venez de citer et que nous avons, bien sûr, auditionnées.

Ces amendements tendent à modifier la définition du viol pour prévoir une présomption irréfragable dès lors que les faits sont commis sur un mineur de 15 ans. Cette mesure a été débattue en 2018 et écartée en raison d’un problème de constitutionnalité.

Notre collègue députée Alexandra Louis a interrogé plusieurs experts à l’occasion de son rapport d’évaluation de la loi Schiappa : ils lui ont confirmé que cette voie était juridiquement risquée. On ne peut pas l’ignorer. Nous sommes tous d’accord, nous voulons tous faire avancer la cause de la protection des enfants, mais il faut faire attention à ce que nous écrivons et à ce que nous votons.

La création d’une infraction autonome est la voie retenue par Annick Billon : elle rencontre moins de critiques d’un point de vue constitutionnel et a donc plus de chances d’aboutir. Je vous propose de vous y rallier.

C’est la raison pour laquelle la commission demande le retrait de ces amendements ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. On ne saurait en effet mieux dire !

Le Gouvernement demande le retrait de l’amendement n° 3 rectifié ter. Il y aurait un véritable danger à instaurer une présomption de contrainte irréfragable. Cela n’est pas possible : c’est la négation de la présomption d’innocence et de tous nos principes en matière probatoire. À l’évidence, cela marquerait un recul de notre droit et le Gouvernement ne saurait être favorable à un tel amendement.

J’ai entendu ce que vous me suggériez, monsieur le sénateur : nous allons évidemment respecter la navette parlementaire, c’est la moindre des choses. Quand je parlais d’éviter toute précipitation, je n’envisageais précisément pas d’étirer les choses : il s’agit au contraire pour Adrien Taquet et moi-même de profiter de ce temps pour poursuivre les consultations.

Vos propos en attestent, madame la rapporteure : certaines difficultés, que j’ai énumérées précédemment, ne sont pas encore tranchées. Nous n’adoptons pas pour autant une position de défense, entendez-le : nous sommes favorables à cette idée. Je ne veux pas me battre contre ce texte, car il a toute sa raison d’être et est extrêmement utile. Madame, j’entends naturellement souligner la très grande qualité de votre travail.

En revanche, sa rédaction nous engage sur des voies à propos desquelles il convient de réfléchir un peu, notamment en ce qui concerne la présomption d’innocence.

On a fait l’expérience, par le passé, que légiférer sous l’emprise d’une certaine émotion n’était pas toujours une idée formidable.

Mme Éliane Assassi. Parlez-en à vos collègues !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Nous devons avoir suffisamment de recul pour réfléchir ensemble. Je forme le vœu que nous le fassions.

Le Gouvernement demande également le retrait des amendements identiques nos 4 rectifié ter et 14 ; à défaut, il émettra un avis défavorable.

M. le président. La parole est à Mme Annick Billon, pour explication de vote.

Mme Annick Billon. Je m’oppose bien entendu à ces amendements. Leur adoption détruirait le dispositif que j’ai proposé, d’autant que la proposition de loi répond aux écueils mentionnés par le Conseil d’État.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 3 rectifié ter.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 4 rectifié ter et 14.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. L’amendement n° 11, présenté par Mme Benbassa, MM. Benarroche et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 2

Après le mot :

soit

insérer les mots :

ou tout acte bucco-génital

II. – Alinéa 3

Après le mot :

sexuelle

insérer les mots :

ou l’acte bucco-génital

La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Cet amendement a pour objet d’inclure parmi les crimes sexuels le rapport bucco-génital commis par une personne majeure sur un mineur ou une mineure.

Dans une décision de la Cour de cassation en date du 14 octobre 2020, les magistrats ont écarté la qualification de viol dans une affaire d’inceste par cunnilingus au motif que la pénétration vaginale par la langue de l’auteur n’aurait pas été suffisamment intense, profonde ou de longue durée. La jeune fille qui a subi ces abus sexuels depuis l’âge de 13 ans de la part de son beau-père s’est vu refuser la qualification de viol, donc un procès en cour d’assises.

Cette décision ne fait que creuser l’écart entre la réalité des violences sexuelles commises sur les mineurs, garçons et filles, et leur appréhension par la justice. Ces appréciations inadaptées des magistrats contribuent à une hiérarchisation des viols : les pénétrations digitales, les cunnilingus et les fellations ne sont, dans les faits, jamais criminalisés, jamais traduits devant une cour d’assises.

Sur ce sujet, la politique des petits pas se révèle inefficace. Nous l’avons récemment vu à la suite de l’affaire Duhamel : plus de 6 000 tweets ont été publiés avec le hashtag #MeToolnceste dénonçant les violences sexuelles commises dans le cadre familial. À ce titre, en 2020, un Français sur dix déclare avoir été victime d’inceste durant son enfance, selon une enquête Ipsos, et il ne s’agit là que d’une partie des crimes sexuels sur mineurs.

Montrons notre fermeté. Reconnaissons l’acte bucco-génital commis sur un mineur comme un crime sexuel, car les conséquences psychotraumatiques sont les mêmes pour toutes les victimes.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Marie Mercier, rapporteur. Ma chère collègue, je vous félicite sincèrement pour cet amendement.

Nous avons tous été extrêmement surpris, voire choqués, par l’arrêt de la Cour de cassation du mois d’octobre dernier, lequel, entre nous, est extrêmement glauque. Quand on en arrive à discuter profondeur, millimètres, mouvement, langue ou doigt…, il faut dire stop !

Dans la dernière loi, nous avions fait en sorte que la victime puisse aussi être l’auteur, pour les cas des garçons pratiquant une fellation. En revanche, nous n’avions pas inclus le cunnilingus, alors qu’il peut être aussi extrêmement choquant pour une jeune fille et doit donc aussi être considéré comme un viol.

Je vous remercie donc de cet amendement sur lequel la commission émet un avis extrêmement favorable et dont l’objet souligne l’égalité – en l’espèce navrante ! – entre garçons et filles.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. J’ai procédé à une analyse de cet arrêt et mes conclusions ne sont pas du tout les mêmes que les vôtres. La Cour de cassation a simplement validé le raisonnement des juges du fond, en mettant en exergue les éléments de preuve qui leur avaient été soumis.

Pour le reste, les rapports bucco-génitaux, quels qu’ils soient, peuvent être qualifiés de viols selon notre jurisprudence.

C’est la raison pour laquelle le Gouvernement demande le retrait de cet amendement ; à défaut, il émettra un avis défavorable. (Protestations sur les travées des groupes SER et GEST.)

Je peux vous fournir la jurisprudence ! La fellation ou le cunnilingus peuvent faire l’objet d’une qualification de viol : cela arrive très régulièrement et la jurisprudence consacre cette position.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 11.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. L’amendement n° 12 rectifié, présenté par Mmes Rossignol et Meunier, M. Sueur, Mmes Briquet, Le Houerou, Monier, M. Filleul, Jasmin, Lepage et Blatrix Contat, MM. Todeschini, Antiste, P. Joly, Stanzione et Jomier, Mmes Van Heghe et Benbassa, M. Marie, Mme S. Robert, MM. Bourgi et Fernique, Mmes Bonnefoy et Lubin, MM. J. Bigot, Raynal, Cozic, Durain et Kerrouche, Mme Lienemann, M. Jacquin, Mmes Poumirol, Féret, Harribey et Taillé-Polian, MM. Pla et Vaugrenard et Mmes de Marco et Poncet Monge, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Remplacer le mot :

treize

par le mot :

quinze

La parole est à Mme Laurence Rossignol.

Mme Laurence Rossignol. Alors que la proposition de loi d’Annick Billon fixe le seuil d’âge à 13 ans, je propose, avec un certain nombre de mes collègues, de trancher en faveur du seuil de 15 ans, et ce pour plusieurs raisons.

C’est d’abord par souci de cohérence du droit pénal. Le seuil délictuel pour l’atteinte sexuelle est de 15 ans : pourquoi fixer un seuil différent en matière criminelle ? Je ne retiens pas l’objection d’une éventuelle inconstitutionnalité : celle-ci pourrait aussi bien concerner la dimension délictuelle… Il me paraît important de fixer des seuils aussi cohérents que possible dans le domaine des infractions sexuelles.

À cet égard, voyez la loi sur l’achat de services sexuels, donc les clients de la prostitution. La prostitution des mineurs nous mobilise énormément, y compris M. Taquet, je le sais. Cette loi prévoit que le client d’une prostituée mineure est passible d’une peine aggravée, et davantage encore quand la prostituée a moins de 15 ans.

Il en résulte que le client sera accusé de viol si la prostituée a moins de 13 ans, mais ne pourra pas être poursuivi pour ce motif si elle a entre 13 et 15 ans. Nous sommes pourtant unanimes à considérer que le problème de la prostitution des mineurs est le même à tout âge.

Je sais, monsieur le garde des sceaux, que vous n’accordez pas une grande attention à la loi sur la prostitution… N’hésitez tout de même pas à la regarder, même si vous ne la soutenez pas ! En tout cas, elle prévoit une qualification pénale spécifique pour les clients d’une prostituée de moins de 15 ans.

Mme Laurence Rossignol. En outre, je crains que, en fixant le seuil à 13 ans, nous ne fragilisions les jeunes âgés de 13 à 15 ans : nous admettrions que, pour eux, on peut discuter d’un éventuel consentement, qu’il n’y aurait pas systématiquement viol. Mes chers collègues, ce que nous voulons pour les moins de 13 ans, nous devons le vouloir aussi pour les moins de 15 ans !

Au reste, si le seuil est maintenu à 13 ans, vous verrez que nous nous retrouverons dans deux ans pour modifier la loi, parce qu’entre-temps de nombreuses affaires auront prouvé qu’elle est inopérante – et choquante – s’agissant des mineurs âgés de 13 à 15 ans.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Marie Mercier, rapporteur. Il faut laisser aux lois un peu de temps pour vivre et s’appliquer. La loi Schiappa n’a que deux ans ! Annick Billon propose un crime autonome pour les mineurs de 13 ans. Pour le moment, tenons-nous-en là.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Pour ma part, je ne m’autorise pas des considérations d’ordre personnel. Seule importe la question qui nous préoccupe.

Le seuil de 15 ans comporte un risque constitutionnel réel, déjà identifié par le Conseil d’État dans son avis du 15 mars 2018 : un mineur de 17,5 ans ayant eu des relations avec un mineur de 14 ans deviendrait de facto un criminel au jour de ses 18 ans…

Ce n’est pas une question tranchée ; elle est délicate et mérite une vraie réflexion, un approfondissement de nos travaux.

J’ajoute qu’un certain nombre de notions importantes sont déjà prévues, notamment la présomption irréfragable, que j’ai évoquée précédemment.

Nous demandons donc le retrait de l’amendement, sans polémique.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Sueur. Je soutiens fortement cet amendement.

L’argument le plus fort est que le vote de ce texte en l’état fragiliserait considérablement la situation des jeunes de 13 à 15 ans.

Mme Annick Billon. Ce n’est pas vrai !

M. Jean-Pierre Sueur. M. le garde des sceaux a objecté que le Conseil constitutionnel pourrait prononcer une censure. On n’a jamais autant parlé du Conseil constitutionnel que depuis le début de cette discussion… Le Conseil constitutionnel se prononce quand il est saisi, mais, à ce stade, c’est au Parlement d’accomplir pleinement son travail.

Pour Mme la rapporteure, il faut laisser vivre les lois. L’argument est quelque peu singulier. Si notre proposition de 15 ans est bonne, pourquoi ne pas l’adopter ? Faut-il procéder par étapes, laisser vivre un dispositif cependant que des personnes pâtiraient de son caractère incomplet ?

M. le président. La parole est à M. Alain Houpert, pour explication de vote.

M. Alain Houpert. Je voterai cet amendement, parce que je ne comprends pas le seuil de 13 ans.

En tant que parlementaires, nous sommes des relais des territoires auprès du Gouvernement. Nous devons être à l’écoute. Or les gens que je rencontre ne comprennent pas non plus ce chiffre de 13 ans : ils ont le sentiment que c’est un recul.

M. le président. La parole est à Mme Annick Billon, pour explication de vote.

Mme Annick Billon. J’entends que l’on débatte d’un seuil à 13 ou 15 ans. N’oublions tout de même pas que, il y a deux ans, aucun seuil n’existait ! Un seuil à 13 ans, c’est déjà un progrès.

Au demeurant, cet âge présente aussi une cohérence avec la responsabilité pénale. La création d’une infraction autonome balaie les réserves formulées antérieurement par le Conseil d’État. C’est une information majeure.

La délégation sénatoriale aux droits des femmes auditionne très régulièrement le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, dont font partie le juge Édouard Durand et Ernestine Ronai. Cette institution défend le seuil de 13 ans.

J’entends les débats, mais reconnaissons que 13 ans, c’est un progrès sociétal important.

M. le président. La parole est à M. Max Brisson, pour explication de vote.

M. Max Brisson. Le citoyen que je suis dirait, comme Mme Rossignol : 15 ans. En revanche, le parlementaire que je suis aussi, au vu de ce que vient d’expliquer Mme Billon, se prononcera pour le maintien à 13 ans, en responsabilité. C’est dans cet esprit que je vous ai demandé, monsieur le garde des sceaux, de faire confiance au travail du Parlement et je vous remercie de m’avoir répondu.

L’évolution des textes doit être en phase avec celle de la société : nous sommes déjà tellement loin des débats de 2018 ! Ces débats se poursuivront donc, les choses évolueront encore et le Parlement aura certainement à travailler de nouveau sur ces questions.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 12 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 27 rectifié, présenté par MM. Mouiller et Favreau et Mme L. Darcos, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Après les mots :

treize ans

insérer les mots :

ou sur un mineur de seize ans atteint d’une déficience psychique

La parole est à M. Philippe Mouiller.

M. Philippe Mouiller. Cet amendement vise à étendre jusqu’à 16 ans la criminalisation de tout acte de pénétration sexuelle aux actes commis sur des mineurs atteints d’une déficience psychique.

Il s’appuie sur les constats dressés ces dernières années par divers travaux sénatoriaux. Je pense en particulier au rapport d’information du mois de mai 2019 de Marie Mercier, Michèle Meunier et Dominique Vérien sur les politiques publiques de prévention, de détection, d’organisation des signalements et de répression des infractions sexuelles susceptibles d’être commises par des personnes en contact avec des mineurs dans le cadre de l’exercice de leur métier ou de leurs fonctions : on y apprend notamment que, selon Marie Rabatel, cofondatrice et présidente de l’Association francophone de femmes autiste, les enfants en situation de handicap, en particulier mental, ont un risque quatre fois plus élevé de subir des violences sexuelles que les autres.

La commission Samson, créée aux Pays-Bas au mois d’avril 2010, est parvenue à un ordre de grandeur comparable, en évaluant que les enfants souffrant d’un déficit de développement ou d’un handicap mental sont trois fois plus souvent victimes d’abus sexuels que les autres.

Enfin, le rapport d’information de la délégation sénatoriale aux droits des femmes du mois d’octobre 2019 sur les violences faites aux femmes handicapées fait mention d’une récente enquête estimant à près de 47 % la part des filles autistes de moins de 14 ans qui auraient subi une agression sexuelle.

Les violences sexuelles sur mineurs atteints d’un handicap d’origine psychique doivent donc être mieux encadrées par la loi pénale. Dans cette perspective, cet amendement a pour objet de sensibiliser le Gouvernement et la Haute Assemblée sur ce fait de société effroyable que constituent les agressions sexuelles dans le monde du handicap.

Nous devons collectivement nous saisir de ce sujet !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Marie Mercier, rapporteur. Je remercie notre collègue d’avoir déposé cet amendement. Les personnes handicapées sont particulièrement vulnérables, et les atteintes commises sur elles particulièrement révoltantes.

Mme Marie Mercier, rapporteur. La question mérite une réflexion plus approfondie, parce qu’il existe de nombreuses sortes de handicap mental ; 16 ans n’est peut-être pas toujours le bon seuil d’âge. À titre personnel, je ne suis pas véritablement attachée à ce critère : je pense profondément que chaque personne a un développement propre, qui n’a rien à voir avec son âge.

Le problème fort opportunément soulevé par notre collègue est grave, nous devons absolument essayer de le résoudre. Je demande le retrait de l’amendement justement parce que le sujet est si important qu’il mérite que l’on s’y attarde beaucoup plus.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat. Je rejoins l’explication de Mme la rapporteure et je m’associe à ses remerciements à votre égard, monsieur le sénateur.

Comme je l’ai souligné dans la discussion générale, cette question, complexe, doit nous occuper dans les mois qui viennent. On a parlé de dernier tabou à propos de l’inceste : je ne veux pas établir de hiérarchie entre les crimes, mais, quand nous parlons d’inceste sur des enfants en situation de handicap, nous sommes saisis par l’horreur auxquels certains de nos enfants sont soumis.

C’est Marie Rabatel qui, lorsque j’étais député, m’a sensibilisé au problème des violences, notamment sexuelles, sur les femmes en situation de handicap.

Mme la rapporteure a raison : moins qu’une question d’âge, c’est une question de discernement et de vulnérabilité. Pour une personne avec un trouble du spectre de l’autisme, la question du consentement n’a pas du tout la même signification, n’est pas du tout vécue de la même façon que pour vous et moi. Ce n’est pas une affaire d’âge, c’est du domaine du neurodéveloppement.

Aussi, je ne crois pas que la réponse par un seuil d’âge soit la bonne.

En outre, une autre dimension, éminemment complexe, doit être abordée : comment libérer la parole d’un enfant avec autisme non verbal ? Comment faire en sorte de libérer la parole d’un enfant en situation de handicap avec, par exemple, une déficience mentale, lorsqu’il est dans une institution ? Comment éviter que ces enfants-là restent sur le bord de la route, alors qu’un mouvement de société formidable se développe, que nous devons accompagner ?

Je ne doute pas que, avec Marie Rabatel, les associations et vous-même, monsieur le sénateur, nous aurons l’occasion de travailler sur ces sujets.

Le Gouvernement demande le retrait de cet amendement.

M. le président. Monsieur Mouiller, l’amendement n° 27 rectifié est-il maintenu ?

M. Philippe Mouiller. J’entends vos explications, monsieur le secrétaire d’État, et ne puis que vous inviter à vous saisir plus fortement de cette question, qui justifierait une mission particulière, de portée interministérielle.

Je retire l’amendement, qui m’a néanmoins permis d’insister sur la nécessité de traiter ce sujet particulier, qui ne peut être abordé dans le cadre de ce texte.

M. le président. L’amendement n° 27 rectifié est retiré.

L’amendement n° 17 rectifié, présenté par Mmes de La Gontrie, Meunier, Rossignol, Le Houerou, Briquet, Harribey et Conconne, M. Bourgi, Mmes Lepage et Monier, MM. P. Joly, Antiste, Houllegatte, Durain, Kanner, Sueur, Marie, Leconte, Kerrouche et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

I. - Après l’alinéa 3

Insérer trois alinéas ainsi rédigés :

« L’infraction est également constituée lorsque la victime est mineure et lorsque l’auteur est :

« 1° Un parent au premier, deuxième ou troisième degré ;

« 2° Le conjoint, le concubin, ou le partenaire lié par un pacte civil de solidarité, de l’une des personnes mentionnées au 1°.

II. - Alinéa 4

Remplacer les mots :

au premier alinéa

par les mots :

aux premier et troisième alinéas

La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Cet amendement est particulièrement important.

Nous avons décidé de fixer un seuil d’âge pour une infraction spécifique : le seuil de 13 ans, qui vient d’être débattu. En revanche, aucun seuil d’âge spécifique n’est prévu pour l’inceste. Nous proposons donc que, lorsqu’il s’agit d’une victime mineure, l’inceste soit inclus dans cette infraction spécifique, et donc criminalisé.

Il serait inexact d’affirmer que l’inceste n’est pas aujourd’hui réprimé par le code pénal, mais il ne constitue qu’une circonstance aggravante des agressions sexuelles et du viol. On retombe donc, comme toujours, dans les questions du consentement, de la contrainte, de la surprise, de la violence – vous connaissez bien ces différentes données.

L’inceste sur un jeune de moins de 18 ans doit être reconnu comme un crime, et il est très important que cette mesure soit votée aujourd’hui. C’est pourquoi, comme je l’ai indiqué au cours de la discussion générale, sur cet amendement, mon groupe demande un vote par scrutin public.

L’actualité fait ressortir ce sujet, mais, en réalité, son actualité est permanente : de manière permanente, on nous parle de cas d’inceste. L’inceste n’est identifié dans le code pénal que depuis quelques années.

Mes chers collègues, il ne faut pas avoir peur des situations ou craindre les mots : sur une personne de moins de 18 ans, inceste égale crime. C’est aujourd’hui pour le Sénat l’occasion de l’affirmer. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Marie Mercier, rapporteur. Cet amendement vise à qualifier de crime tout acte de pénétration sexuelle commis par un majeur sur un mineur quand cette relation présente un caractère incestueux. Seraient concernés les parents aux premier, deuxième et troisième degrés, soit les parents, grands-parents, frères et sœurs, neveux et nièces et oncles et tantes. Seraient concernés également le conjoint, concubin ou partenaire lié par PACS de l’une des personnes précédemment mentionnées.

Je comprends l’intention des auteurs de cet amendement, mais je m’interroge beaucoup sur la constitutionnalité du dispositif qu’ils proposent…

Mme Marie Mercier, rapporteur. … au regard de la nécessité de caractériser l’élément intentionnel du délit.

Soyons concrets. Actuellement, un mineur de plus de 15 ans peut avoir des rapports sexuels consentis avec un majeur. Avec un tel dispositif, si une mineure de 17,5 ans a un rapport consenti avec le concubin de sa sœur,…

Mme Marie Mercier, rapporteur. C’est possible !

… lequel n’a peut-être que quelques années de plus, celui-ci serait automatiquement envoyé aux assises, alors que les deux personnes n’ont aucun lien de sang ni surtout aucun rapport d’autorité dont le concubin aurait pu abuser.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Non, il n’y a pas d’automaticité et vous le savez très bien !

Mme Marie Mercier, rapporteur. Une telle situation relève d’un écart dans le contrat, si je puis dire ; elle peut se régler gentiment sans que l’on aille aux assises…

Le dispositif proposé me paraît poser un sérieux problème au regard du respect des droits de la défense et du principe de nécessité des délits et des peines.

En revanche, la commission émettra un avis favorable sur l’amendement n° 25, qui sera examiné dans quelques instants.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. C’est incohérent !

Mme Marie Mercier, rapporteur. Non, notre position n’est pas incohérente, parce que cet amendement pose moins de problèmes : il tend à introduire une circonstance aggravante sur un délit ; le seuil d’âge n’est pas le même et le périmètre retenu pour qualifier l’inceste est beaucoup mieux défini.

Bien sûr, la commission est prête à avancer sur la question de l’inceste, mais il faut le faire avec rigueur sur le plan juridique. Nous risquons sinon de décevoir les victimes elles-mêmes.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. C’est pour moi une époustouflante démonstration des difficultés qui se posent quand… Je ne sais comme le dire.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Madame de La Gontrie, je suis toujours très attentif quand vous êtes là : je vous sais tellement vigilante, tellement aimable aussi !

J’ai parlé de hâte et de besoin de réfléchir. Je suis convaincu que vous n’aviez pas songé à l’exemple développé par Mme la rapporteure.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Sans quoi, vous n’auriez pas présenté cet amendement.

Je vous adresse donc une aimable demande de retrait.

Envoyer aux assises à l’emporte-pièce, pour le dire ainsi, ce n’est pas le but de la loi pénale. J’ai essayé de l’expliquer tout à l’heure avec les mots qui étaient les miens. On y a vu une forme de réticence, ce qui n’est pas du tout le cas. (Mme Marie-Pierre de La Gontrie manifeste son scepticisme.) Je le répète : nous souhaitons travailler pleinement avec vous sur ce texte ! Reste que l’exemple de Mme la rapporteure montre bien que nous ne devons pas donner suite à cet amendement.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.

Mme Laurence Rossignol. « C’est inconstitutionnel » est devenu the new « Je ne suis pas d’accord » !

De fait, chaque fois que vous n’êtes pas d’accord avec l’une de nos propositions, en particulier, comme l’a fait observer Jean-Pierre Sueur, sur ces sujets, vous affirmez : « C’est inconstitutionnel ». Pour ma part, je ne connais qu’une façon de savoir si une disposition est constitutionnelle ou non : c’est que le Conseil constitutionnel se prononce ! En général, c’est ce qu’il fait.

Depuis quelques années, nous parlons de consentement et d’emprise. Or de quoi s’agit-il en matière d’inceste ? De consentement et d’emprise. Qui pense sérieusement que l’emprise s’arrête à 15 ans, qu’elle ne va pas jusqu’à la majorité ?

Mme Marie Mercier, rapporteur. Et au-delà !

Mme Laurence Rossignol. Parfois même au-delà, mais nous ne pouvons pas le prendre en compte.

Dans mon département, dans une commune voisine de la mienne, voilà une dizaine d’années, un père a été poursuivi parce qu’il violait ses trois filles. Il a purgé deux ans de prison, après quoi il est parti avec l’un d’elles et ils ont eu un enfant. Plus tard, la fille l’a quitté : il l’a tuée, avec le pauvre garagiste qui l’hébergeait. Qu’avaient alors plaidé les avocats ? L’inceste heureux, l’inceste consenti…

M. Hussein Bourgi. Quelle horreur !

Mme Laurence Rossignol. Cet amendement ne vise qu’à une chose : qu’on ne parle plus jamais d’inceste heureux et consenti devant les cours d’assises ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère, pour explication de vote.

Mme Maryse Carrère. Comme je l’ai rappelé dans la discussion générale, le groupe du RDSE a déposé en 2019 une proposition de résolution visant à engager diverses mesures pour intensifier la lutte et la prévention contre l’inceste et à demander sa surqualification pénale. Françoise Laborde, dont vous connaissez l’engagement sur ces sujets, y soulignait combien il est important de faire évoluer le droit pénal pour reconnaître comme il convient la gravité du traumatisme subi par les victimes d’inceste.

De fait, les conséquences sur l’enfant sont prouvées, sur les plans neurobiologique, comportemental, cognitif et affectif. Notre ancienne collègue estimait aussi que, en matière d’inceste, la reconnaissance du non-consentement devrait être un principe inaliénable s’agissant des mineurs, limite d’âge ou pas.

Aujourd’hui, l’inceste, sans être nommé, est considéré comme une circonstance aggravante. Cette définition générale ne correspond ni à la réalité ni à la complexité des implications pour les victimes.

Mme Valérie Boyer. Exactement !

Mme Maryse Carrère. Pour ces raisons, le groupe du RDSE votera cet amendement, dont l’adoption marquerait un pas important.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 17 rectifié.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 56 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 326
Pour l’adoption 97
Contre 229

Le Sénat n’a pas adopté.

Je mets aux voix l’article 1er, modifié.

(Larticle 1er est adopté.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Permettez-moi une observation générale. Lorsque, au banc des commissions, un rapporteur, quel qu’il soit, évoque l’éventualité qu’un amendement aurait un caractère inconstitutionnel, ce n’est pas pour essayer de contourner l’obstacle ou de renvoyer le sujet à plus tard. C’est le résultat d’une analyse juridique faite par la commission – en l’occurrence, la commission des lois.

Il y a une Constitution et une jurisprudence constitutionnelle, que nul n’est censé ignorer. C’est sur ces bases que nous travaillons. Si nous nous fichions de la jurisprudence, je crains que nous n’en venions à faire n’importe quoi ou presque. Notre travail n’aurait alors plus de sens.

Cela ne veut pas dire que, que par moments, il ne faille pas savoir bouger les choses, mais cela relève d’une autre démarche.

En tout cas, les positions exprimées par Mme le rapporteur résultent d’une analyse de fond à laquelle la commission des lois s’est attachée avec une grande précision.

Article 1er
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste
Article additionnel après l'article 1er - Amendement n° 5 rectifié ter

Articles additionnels après l’article 1er

M. le président. L’amendement n° 13 rectifié, présenté par Mmes Lepage, Monier, Meunier, Jasmin et Conway-Mouret et MM. Antiste, Bourgi, Vaugrenard, Raynal, Lozach et Pla, est ainsi libellé :

Après l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Au deuxième alinéa de l’article 222-22-1 du code pénal, le mot : « exerce » est remplacé par le mot : « a ».

La parole est à Mme Michelle Meunier.

Mme Michelle Meunier. La notion d’autorité a ceci de flou dans notre société codifiée qu’elle entraîne des normes et des comportements induits par la place que nous occupons. Ainsi, pour chacune et chacun, l’autorité est bien une relation de pouvoir qui s’exerce ou se subit.

Bien évidemment, différents niveaux d’autorité existent : de l’autorité, très codifiée, que produit la loi, à celle, plus explicite, du monde du travail, qui s’exprime par un organigramme, sans oublier celle, plus individuelle et intrinsèque, que l’on trouve chez les personnes dont on dit qu’elles disposent d’une autorité naturelle.

Enfin, il y a l’autorité qui nous intéresse plus précisément dans ces débats : celle d’un adulte qui s’applique implicitement sur l’enfant. Ainsi, l’ascendance dont, par son âge, dispose naturellement un adulte sur un enfant constitue en soi une autorité. Que dire lorsqu’il s’agit d’un viol incestueux, dans lequel l’autorité est d’emblée institutionnalisée par le code civil en tant qu’autorité parentale ?

Pour autant, l’interprétation de la notion d’autorité par les juges gagnerait à être affinée. Tel est l’objet de cet amendement.

Nous souhaitons définir plus précisément cette autorité, constitutive de la contrainte, en matière d’agression sexuelle ou de viol, en prenant appui notamment sur l’avis du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes pour une juste condamnation sociétale et judiciaire du viol et autres agressions sexuelles. On y lit que, d’après certaines décisions de justice, « la seule existence de relation d’autorité permet de caractériser la contrainte ».

Plus précisément, nous proposons de remplacer le verbe « exercer » par le verbe « avoir », afin de lever le flou sur cette notion d’autorité.

Mme Marie Mercier, rapporteur. La modification que vous proposez a une portée sémantique dont je ne suis pas certaine qu’elle modifiera l’état du droit. Elle permet cependant d’harmoniser le champ du vocabulaire employé dans le code pénal, car il y est généralement fait mention de la personne qui « a » autorité. La commission a donc émis un avis favorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 13 rectifié.

(Lamendement est adopté.)

Article additionnel après l'article 1er - Amendement n° 13 rectifié
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste
Article additionnel après l'article 1er - Amendement  n° 25

M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 1er.

L’amendement n° 5 rectifié ter, présenté par Mme V. Boyer, MM. D. Laurent et Frassa, Mmes Lassarade, Thomas et Drexler, M. Cuypers, Mme Herzog, MM. Le Rudulier, Chasseing, Boré, Longeot, H. Leroy, A. Marc, Panunzi et Laménie, Mmes Noël et Dumas, M. Longuet, Mme Garriaud-Maylam et MM. Nougein, Pellevat et Houpert, est ainsi libellé :

Après l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article 222-22-1 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« La contrainte est présumée dans le cas de relations sexuelles entre mineurs, si l’un d’eux a moins de quinze ans, lorsque leur écart d’âge excède deux années ou lorsque l’un exerce sur l’autre une relation d’autorité de droit ou de fait. »

La parole est à Mme Valérie Boyer.

Mme Valérie Boyer. Cet amendement vise à établir que, avant l’âge de 15 ans, un mineur peut consentir à des relations sexuelles avec un partenaire mineur si celui-ci est son aîné de moins de deux ans et qu’il n’exerce aucune relation d’autorité, de dépendance ou aucune forme d’exploitation à son endroit.

Mme Laurence Rossignol. Si on avait voté le seuil de 15 ans, on n’en serait pas là !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Marie Mercier, rapporteur. On peut faire beaucoup avec des « si »… Le débat est très intéressant. Chacun sait que les « petits couples » ou les « jeunes couples » existent, qu’ils ont des relations consenties. Cependant, il me semble hasardeux de trancher cette question au détour de l’examen d’une proposition de loi dont ce n’est pas l’objet – vous noterez que je n’aborde pas l’aspect constitutionnel. Mieux vaut y consacrer une réflexion aboutie. L’avis de la commission est donc défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Le Gouvernement demande le retrait de cet amendement. Comme nous l’avons dit à de nombreuses reprises, il est très difficile de décider sur ce type de sujet. La piste de réflexion que vous proposez autour de l’écart d’âge est extrêmement intéressante. Mes services mèneront un travail d’expertise durant la navette.

M. le président. Madame Valérie Boyer, l’amendement n° 5 rectifié ter est-il maintenu ?

Mme Valérie Boyer. Non, je le retire, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 5 rectifié ter est retiré.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à treize heures, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Georges Patient.)

PRÉSIDENCE DE M. Georges Patient

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous rappelle qu’une deuxième proposition de loi a été inscrite par la conférence des présidents dans le cadre de l’espace réservé au groupe Union Centriste, limité à une durée de quatre heures.

Dans ces conditions, je me verrai dans l’obligation de lever notre séance à seize heures six. Si nous n’avons pas achevé l’examen du second texte, il appartiendra à la conférence des présidents d’inscrire la suite de cette proposition de loi à l’ordre du jour d’une séance ultérieure. J’invite chacun à tenir compte de cette contrainte dans ses interventions.

Articles additionnels après l’article 1er (suite)

Article additionnel après l'article 1er - Amendement n° 5 rectifié ter
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste
Article 1er bis (nouveau)

M. le président. L’amendement n° 25, présenté par Mmes de La Gontrie, Rossignol, Meunier, Le Houerou et Briquet, M. Antiste, Mme Harribey, M. Bourgi, Mmes Lepage et Conconne, M. P. Joly, Mme Monier, MM. Houllegatte, Durain, Kanner, Sueur, Leconte, Kerrouche, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Après l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article 227-27-2-1 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Les atteintes sexuelles sur un mineur sont punies de 10 ans d’emprisonnement et 150 000 € d’amende si l’auteur est une des personnes définies aux 1°, 2° et 3° du présent article. »

La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Cet amendement vise à réprimer plus sévèrement les atteintes sexuelles sur mineurs, de manière à pouvoir les intégrer dans l’article créé par le texte.

Je ne veux pas empiéter sur le temps de parole de Mme la rapporteure, mais je tiens à préciser que la commission a émis un avis favorable sur cet amendement, sans pour autant répondre à notre préoccupation au sujet du crime d’inceste, comme nous avons pu le constater ce matin.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Marie Mercier, rapporteur. La commission a émis un avis favorable sur cet amendement, qui vise à compléter le droit.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat. Même si nous sommes d’accord sur l’objet de cet amendement, il reste des difficultés rédactionnelles à résoudre.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 25.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 1er.

Article additionnel après l'article 1er - Amendement  n° 25
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste
Article 2

Article 1er bis (nouveau)

Le deuxième alinéa de l’article 222-22-1 du code pénal est complété par une phrase ainsi rédigée : « La contrainte morale ou la surprise peuvent également résulter de ce que la victime mineure était âgée de moins de quinze ans et ne disposait pas de la maturité sexuelle suffisante. »

M. le président. L’amendement n° 19, présenté par Mmes de La Gontrie, Rossignol, Briquet, Le Houerou et Meunier, M. Antiste, Mmes Conconne, Harribey, Lepage et Monier, MM. P. Joly, Bourgi, Houllegatte, Durain, Kanner, Kerrouche, Leconte, Marie, Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Laurence Rossignol.

Mme Laurence Rossignol. L’article 1er bis traduit les difficultés, voire les ambiguïtés qui affaiblissent le raisonnement consistant à retenir le seuil de 13 ans, puisque les auteurs du texte se sentent obligés de prévoir une disposition spécifique pour la victime âgée de 13 ans à 15 ans.

En effet, l’article vise à modifier la définition de la contrainte morale, qui peut être invoquée lorsque la victime a moins de 15 ans et ne dispose pas de la maturité sexuelle suffisante.

Or la contrainte morale peut déjà être utilisée en toutes circonstances, et particulièrement quand il y a un écart d’âge ou lorsque la victime n’est pas en état de donner son consentement.

Par ailleurs, l’article introduit une notion que nous avions déjà combattue en commission, celle de la « maturité sexuelle suffisante ». Même si cette disposition est pleine de bonnes intentions, puisqu’elle vise à traiter les victimes de la manière la plus fine possible, en prenant en compte leur degré de maturité, je crains qu’elle ne s’exerce paradoxalement à l’avantage des auteurs qui pourront arguer de la maturité sexuelle de la victime.

Je ne crois pas qu’il soit convenable de discuter pour savoir si un enfant âgé de 13 ans à 15 ans a une maturité sexuelle suffisante pour entretenir une relation avec un adulte. Je me permettrai simplement de citer Camille Kouchner : « Quand l’enfant ne dit pas non, c’est à l’adulte de dire non. » Tenons-nous-en là !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Marie Mercier, rapporteur. Revenons-en à l’historique du texte. Mme Annick Billon a déposé une proposition de loi pour protéger les enfants de moins de 13 ans. Vous vouliez en étendre la portée aux enfants de moins de 15 ans. De mon point de vue, il est très compliqué de fixer un seuil d’âge. En effet, comment faire une différence entre un enfant âgé de 13 ans et un jour et un autre âgé de 13 ans moins un jour ?

Voilà pourquoi je propose d’étendre la protection prévue dans le texte aux enfants âgés de 13 à 15 ans, en gardant assez de flexibilité pour tenir compte de la maturité sexuelle de la victime, que l’on ne doit pas confondre avec la maturation sexuelle. Protéger les enfants de 13 ans à 15 ans est parfaitement cohérent avec l’esprit du texte de Mme Billon.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 19.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 1er bis.

(Larticle 1er bis est adopté.)

Article 1er bis (nouveau)
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste
Article 3

Article 2

À l’article 227-25 du code pénal, après le mot : « sexuelle », sont insérés les mots : « et hors le cas prévu à l’article 227-24-2 ». – (Adopté.)

Article 2
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste
Article 4

Article 3

Le 2° de l’article 222-24 du code pénal est complété par les mots : « , hors le cas prévu à l’article 227-24-2 ». – (Adopté.)

Article 3
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste
Article additionnel après l'article 4 - Amendement n° 8 rectifié ter

Article 4

Au premier alinéa de l’article 227-27-2-1 et à l’article 227-28-3 du code pénal, la référence : « 227-25 » est remplacée par la référence : « 227-24-2 ». – (Adopté.)

Article 4
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Article additionnel après l'article 4 - Amendement n° 21

Articles additionnels après l’article 4

M. le président. L’amendement n° 8 rectifié ter, présenté par Mme V. Boyer, MM. D. Laurent et Frassa, Mme Thomas, M. Charon, Mme Drexler, M. Cuypers, Mme Herzog, MM. Le Rudulier, Chasseing, Boré, Longeot, H. Leroy, A. Marc, Panunzi et Laménie, Mmes Noël et Dumas, M. Longuet, Mme Garriaud-Maylam et MM. Pellevat et Houpert, est ainsi libellé :

Après l’article 4

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après le premier alinéa de l’article 222-22-1 du code pénal, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« La contrainte morale peut également résulter de l’état de sidération psychique de la victime. »

La parole est à Mme Valérie Boyer.

Mme Valérie Boyer. De nombreuses victimes de viol parlent d’un « état de sidération ». En réaction à l’angoisse extrême subie lors d’un viol ou d’une violence, certains mécanismes de défense entrent en jeu : la victime est tétanisée, ce qui lui permet de diminuer sa souffrance physique et psychique, selon la psychiatre Muriel Salmona, dont nous citons souvent les travaux. La personne est ainsi paralysée, et elle ne peut pas réagir. Il s’agit là de réactions neurobiologiques normales du cerveau face à une situation anormale, celle des violences.

Pourtant, ce phénomène de sidération reconnu par la psychiatrie est encore largement ignoré, voire contesté. La victime se voit même presque systématiquement confrontée, dans les cas où elle porte plainte, à des questions sur son absence de réaction face à son violeur.

Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que seulement une femme victime de viol sur dix porte plainte, ni à ce que seulement une plainte pour viol sur dix aboutisse à une condamnation. C’est pourquoi nous devons envisager l’état de sidération psychique des victimes de viol comme une contrainte morale.

Certains objecteront que l’amnésie traumatique n’a pas encore sa place dans le droit en vigueur. Cependant, au mois de juillet dernier, nous avons voté une disposition visant à introduire dans le code civil la notion d’emprise manifeste de l’un des époux sur son conjoint.

Nous venons également de voter une mesure portant sur la notion de « maturité sexuelle suffisante », ce qui est une innovation sémantique et juridique.

Enfin, je dois vous signaler que le code de la santé publique prévoit une notion médicale d’état post-traumatique pour les militaires, depuis le décret de 2009.

Toutes ces notions relèvent des neurosciences.

En outre, les magistrats se fondent déjà sur des expertises en faisant état de sidération psychique, lorsqu’ils apprécient l’existence d’une contrainte dans le cadre d’une infraction à caractère sexuel.

Cet amendement vise tout simplement à inscrire cette notion dans la loi, afin que les juges tiennent davantage compte de l’état de sidération psychique comme contrainte morale, qu’il leur appartiendra de retenir ou non. En effet, il ne s’agit pas de remettre en cause leur appréciation souveraine, mais de leur offrir un cadre pour l’exercer.

Enfin, pour répondre aux critiques formulées en commission, je tiens à préciser que cet amendement reprend la même logique rédactionnelle que celle qui inspire l’article 222-22-1 : la contrainte morale ou la surprise « peuvent résulter de la différence d’âge existant entre la victime et l’auteur des faits et de l’autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur la victime ».

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Marie Mercier, rapporteur. Ma chère collègue, je comprends votre intention, mais je voudrais vous dire que, quand une victime est sidérée, c’est comme si le cerveau se mettait « en pause » pour assurer sa survie. Toutefois, on ne peut pas dire que la contrainte découle de cette réaction, car c’est le contraire qui se produit : la sidération résulte de la contrainte.

J’ai lu et je connais les travaux de ma consœur Muriel Salmona. La rédaction de l’amendement n’y correspond qu’en partie, puisqu’elle adopte uniquement le point de vue de la victime. Si l’on ne peut pas déduire la contrainte de la sidération, il est en revanche parfaitement exact que la contrainte implique la sidération. La réciproque n’est pas vraie.

En tant que médecin, je peux subodorer que l’amnésie traumatique existe et que des patients développent cette réaction. Cependant, il n’est pas possible d’introduire dans le droit ce que les neurosciences n’ont pas encore prouvé.

La loi n’aura jamais la souplesse de la vie. Elle ne s’exerce qu’à partir de notions qui ont été démontrées. (Mme Valérie Boyer sexclame.) Le droit n’est pas que du côté des victimes. Même si je veux les protéger par toutes les fibres de mon corps, il faut toujours respecter les droits de la défense.

Par conséquent, bien que comprenant votre intention, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Même avis, à la virgule près.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 8 rectifié ter.

(Lamendement nest pas adopté.)

Article additionnel après l'article 4 - Amendement n° 8 rectifié ter
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste
Article additionnel après l'article 4 - Amendement n° 2 rectifié ter

M. le président. L’amendement n° 21, présenté par Mmes Rossignol, de La Gontrie, Meunier, Le Houerou et Briquet, MM. Antiste et Bourgi, Mmes Conconne, Harribey, Lepage et Monier, MM. P. Joly, Houllegatte, Durain, Kanner, Kerrouche, Leconte, Marie, Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Après l’article 4

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

À l’article 222-23 du code pénal, après le mot : « sexuelle », sont insérés les mots : « ou tout rapport bucco-génital ».

La parole est à Mme Laurence Rossignol.

Mme Laurence Rossignol. Nous avons adopté un amendement de Mme Benbassa sur les rapports bucco-génitaux dans le cadre de la nouvelle incrimination de crimes sexuels sur enfants.

Cet amendement vise à introduire la même précision dans la définition du viol.

J’ai bien entendu ce qu’a dit M. le garde des sceaux, ce matin, et il est vrai que, jusqu’à la décision de la chambre criminelle de la Cour de cassation à laquelle il a été fait référence, j’avais toujours considéré que les rapports bucco-génitaux étaient inclus dans la pénétration sexuelle, telle qu’elle figure à l’article 222-23 du code pénal qui définit le viol.

Par conséquent, pour éviter que des juges mal intentionnés ou des avocats de la défense se réfèrent, dans d’autres affaires, à cette jurisprudence exceptionnelle de la chambre criminelle – je n’ai rien contre les avocats et je suis très attachée au respect des droits de la défense, mais ce sont les juges et les avocats qui manient le droit dans ces situations –, je propose d’introduire la même précision pour le viol que celle que nous avons votée précédemment pour les crimes de violence sexuelle.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Marie Mercier, rapporteur. Par cohérence, la commission a émis un avis favorable sur cet amendement.

Mme Valérie Boyer. Très bien !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. La position du Gouvernement reste la même que celle que j’ai exprimée ce matin, par cohérence.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 21.

(Lamendement est adopté.)

Article additionnel après l'article 4 - Amendement n° 21
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste
Article additionnel après l'article 4 - Amendements  n° 1 rectifié ter, n° 29 et  n° 20

M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 4.

L’amendement n° 2 rectifié ter, présenté par Mme Paoli-Gagin, MM. Verzelen, Wattebled, Menonville et Chasseing, Mme Mélot et MM. Lagourgue, A. Marc et Decool, est ainsi libellé :

Après l’article 4

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article 434-3 du code pénal est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa, le mot : « trois » est remplacé par le mot : « sept » et le montant : « 45 000 » est remplacé par le montant : « 100 000 » ;

2° Au dernier alinéa, le mot : « cinq » est remplacé par le mot : « dix » et le montant : « 75 000 » est remplacé par le montant : « 150 000 ».

La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.

Mme Vanina Paoli-Gagin. Cet amendement vise à envoyer un signal à tous ceux qui se taisent, en aggravant les peines encourues pour non-dénonciation, qu’il s’agisse des peines d’emprisonnement ou des sanctions pécuniaires. Il tend également à renforcer ces sanctions dans le cadre d’un abus sur mineur de moins de 15 ans.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Marie Mercier, rapporteur. Votre amendement, ma chère collègue, a pour objet d’aggraver les sanctions pour le délit de non-dénonciation, avec pour conséquence que l’auteur de l’infraction principale pourra être moins lourdement puni que celui qui n’aura pas signalé l’infraction. L’avis de la commission est donc défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je partage totalement la position de Mme la rapporteur.

En réalité, si votre amendement était adopté, c’est tout l’édifice qui serait déséquilibré : les violences elles-mêmes pourraient être moins sévèrement punies que l’abstention que vous dénoncez légitimement.

Dans ces conditions, nous émettons évidemment un avis défavorable.

Le code pénal cherche également à trouver des équilibres, qui sont d’ailleurs souvent précaires. C’est en ce sens que nous devons être extrêmement attentifs. On ne touche la loi pénale que « d’une main tremblante ».

Mme Vanina Paoli-Gagin. Je retire l’amendement, monsieur le président.

Article additionnel après l'article 4 - Amendement n° 2 rectifié ter
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste
Article additionnel après l'article 4 - Amendements  n° 6 rectifié ter, n° 26 rectifié et n° 10

M. le président. L’amendement n° 2 rectifié ter est retiré.

Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 1 rectifié ter, présenté par Mme Paoli-Gagin, MM. Verzelen, Wattebled, Menonville et Chasseing, Mme Mélot et MM. Lagourgue, A. Marc et Decool, est ainsi libellé :

Après l’article 4

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Au troisième alinéa de l’article 8 du code de procédure pénale, les mots : « et 227-26 » sont remplacés par les mots : « , 227-26 et 434-3 ».

La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.

Mme Vanina Paoli-Gagin. Je retire cet amendement et me rallie à l’amendement n° 29 de la commission, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 1 rectifié ter est retiré.

L’amendement n° 29, présenté par Mme M. Mercier, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Après l’article 4

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après le deuxième alinéa de l’article 8 du code de procédure pénale, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« L’action publique du délit mentionné à l’article 434-3 du code pénal se prescrit, lorsque le défaut d’information concerne un délit commis sur un mineur, par dix années révolues à compter de la majorité du mineur et, lorsque le défaut d’information concerne un crime commis sur un mineur, par vingt années révolues à compter de la majorité du mineur. »

La parole est à Mme le rapporteur.

Mme Marie Mercier, rapporteur. Nous vous proposons une augmentation du délai de prescription pour le délit de non-dénonciation.

Ce délai serait porté à dix ans en cas de non-dénonciation d’un délit et à vingt ans en cas de non-dénonciation d’un crime.

Je rappelle qu’actuellement le délai est de six ans pour les délits de droit commun ou les crimes.

M. le président. L’amendement n° 20, présenté par Mmes Rossignol, de La Gontrie, Briquet, Le Houerou, Meunier, Monier et Conconne, M. Bourgi, Mme Harribey, MM. Antiste et P. Joly, Mme Lepage, MM. Houllegatte, Durain, Sueur, Leconte, Kerrouche, Kanner, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Après l’article 4

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après le deuxième alinéa de l’article 8 du code de procédure pénale, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« L’action publique du délit mentionné à l’article 434-3 du code pénal se prescrit par dix années révolues à compter de la majorité de la victime. »

La parole est à Mme Laurence Rossignol.

Mme Laurence Rossignol. Je vais retirer cet amendement, au profit de l’amendement n° 29 de la commission, qui est bien meilleur.

Je ferai simplement une petite remarque sur la manière dont nous menons nos travaux : nous allons aujourd’hui adopter un amendement que j’avais déjà déposé voilà deux ans et qui avait alors été rejeté.

Anticipons donc sur ce que nous souhaitons adopter dans deux ans ! (Sourires.)

M. le président. L’amendement n° 20 est retiré.

Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 29 ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Compte tenu de ce que j’ai dit ce matin au sujet de la prescription, le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat.

M. le président. La parole est à Mme Michelle Meunier, pour explication de vote.

Mme Michelle Meunier. La dénonciation de l’inceste jette l’opprobre sur la famille, considérée comme le pivot de l’ordre social. Voilà, résumé en une phrase, comment certaines personnes expliquent leur silence face à la connaissance d’un crime sexuel sur mineur. On a peur, donc on se tait. On n’est pas victime, mais on a peur de briser une famille.

Opprobre, honte, hésitation, protection… nous ne pouvons plus accepter cela. Nous parlons ici de crimes sexuels sur mineur, de crimes qui détruisent des vies ! La douleur qu’ils provoquent ne connaît pas de prescription.

Les enfants concernés ne s’en remettent jamais. L’atteinte à leur intégrité physique et morale est souvent définitive. Ces enfants cohabitent avec cette souffrance toute leur vie, raison pour laquelle on préfère l’ignorer. Les victimes n’arrivent pas toujours à parler, à dénoncer, car, on le sait, elles ont peur de ne pas être crues.

Mais qu’en est-il de ceux et de celles qui savent et qui se taisent ? La loi impose pourtant de saisir la justice quand on a connaissance de faits aussi terribles, qui sont des crimes ! Cependant, elle n’impose rien de plus : elle n’impose aux proches ni d’instruire ni de juger ou de sanctionner.

Nous débattons de plus en plus fréquemment du cadre législatif qui entoure les crimes sexuels. Tous les ans, de nouveaux drames sont médiatisés. Soulignons encore le courage des personnes qui révèlent les faits. La parole, peu à peu, se libère.

Qu’attendons-nous pour combler les lacunes du système ? Dès maintenant, nous devons créer un électrochoc, énoncer clairement un interdit – c’est l’objet de cette proposition de loi –, mais aussi rappeler chaque adulte à ses responsabilités de protection des enfants.

Ceux qui savaient et qui n’ont rien dit doivent être punis par la loi. Lorsque des affaires éclatent, les auteurs sont parfois poursuivis – je dis bien « parfois » –, mais, au bout de six ans, ceux qui savaient et qui ont maintenu l’enfant dans cette situation inacceptable ne peuvent plus être poursuivis. La parole des victimes doit enfin être entendue et le silence interdit.

C’est la raison pour laquelle je voterai cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 29.

(Lamendement est adopté.)

Article additionnel après l'article 4 - Amendements  n° 1 rectifié ter, n° 29 et  n° 20
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste
Article additionnel après l'article 4 - Amendement n° 22 rectifié

M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 4.

Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

Les deux premiers sont identiques.

L’amendement n° 6 rectifié ter est présenté par Mme V. Boyer, MM. D. Laurent et Frassa, Mmes Thomas et Drexler, M. Cuypers, Mme Herzog, MM. Le Rudulier, Chasseing, Boré, Longeot, H. Leroy, Panunzi et Laménie, Mmes Noël et Dumas, M. Longuet, Mme Garriaud-Maylam, M. Pellevat et Mme Schalck.

L’amendement n° 26 rectifié est présenté par Mmes Meunier, Van Heghe et Préville, MM. Vaugrenard et P. Joly, Mmes Monier et Conway-Mouret, M. Antiste, Mmes Le Houerou et Blatrix Contat, M. Lozach, Mmes Lepage, Poumirol et Lubin, M. Cozic et Mme Jasmin.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Après l’article 4

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

À l’avant-dernier alinéa de l’article 7 du code de procédure pénale, les mots : « se prescrit par trente années révolues à compter de la majorité de ces derniers » sont remplacés par les mots : « est imprescriptible ».

La parole est à Mme Valérie Boyer, pour présenter l’amendement n° 6 rectifié ter.

Mme Valérie Boyer. Il s’agit de modifier le code de procédure pénale pour que, par dérogation, les décisions soient obligatoirement inscrites au fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (Fijaisv), quelle que soit la durée de la peine, dès lors que la victime des délits est mineure. Il serait procédé à cette inscription même en cas de peine inférieure à cinq années d’emprisonnement.

Nous sommes plusieurs à avoir déposé cet amendement, dont l’adoption ferait avancer la protection des victimes.

M. le président. La parole est à Mme Michelle Meunier, pour présenter l’amendement n° 26 rectifié.

Mme Michelle Meunier. J’ai, avec différents collègues, que je remercie au passage, redéposé cet amendement, que j’avais déposé pour la première fois en 2016, puis deux fois en 2018, comme nous l’avons évoqué ce matin.

À mesure que nous sommes amenés à renforcer notre législation pour protéger les enfants des crimes sexuels, les arguments s’affinent et les positions évoluent.

La question de la prescription de l’action publique pour les viols et agressions sexuelles sur les enfants et les adolescents emplit désormais l’espace public.

Ce matin, M. le secrétaire d’État Adrien Taquet a cité des victimes : Andréa, Vanessa, Adélaïde, Camille, Flavie, Sarah… Toutes sont favorables à l’imprescriptibilité.

Ces crimes ont une grande ampleur, un caractère massif. Je répète qu’un enfant sur cinq et plus de deux millions de personnes en France sont concernées.

Les victimes décrivent la profondeur des souffrances endurées, leur persistance dans le temps. La violence sexuelle est l’un des seuls crimes qui condamnent la victime à vivre avec, à survivre plutôt, à vivre mal, abîmée, éprouvée dans sa chair, affectée de traumatismes qui nuisent à ses études, à son insertion sociale, à sa réussite professionnelle, à l’établissement de relations affectives stables, qui la condamnent aussi parfois à relancer le cycle de la violence envers ses proches.

Je connais depuis des années les arguments opposés à l’imprescriptibilité.

Celle-ci ne respecterait pas les normes juridiques en vigueur. Dès lors, faisons-les évoluer, comme la Californie a su le faire à la suite de l’affaire Bill Cosby, dans laquelle victimes prescrites et victimes portant plainte se sont épaulées.

Face à l’argument des crimes contre l’humanité, pourquoi pas ne pas considérer l’atteinte sourde et impunie de ces milliers d’enfants comme une atteinte à leur humanité, donc à notre qualité d’être humain à tous ?

Je découvre un nouvel argument : l’exigence d’une prescription limitée, qui permettrait la libération de la parole. C’est à mon sens faire peu de cas des travaux de l’imagerie médicale et des neurosciences, ainsi que des progrès dans ces domaines !

Pour ces raisons, donnons crédit aux personnes qui osent briser le silence et permettons aux futures victimes de porter plainte sans limite de temps.

M. le président. L’amendement n° 10, présenté par Mme Billon, est ainsi libellé :

Après l’article 4

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’avant-dernier alinéa de l’article 7 du code de procédure pénale est complété par une phrase ainsi rédigée : « L’action publique des crimes mentionnés aux articles 222-23 à 222-26 dudit code, lorsqu’ils sont commis sur des mineurs, se prescrit par quarante années révolues à compter de la majorité de ces derniers. »

La parole est à Mme Annick Billon.

Mme Annick Billon. Je serai brève, pour permettre l’examen de la seconde proposition de loi inscrite à l’ordre du jour, d’autant ses auteurs ont eu la gentillesse d’accepter qu’elle soit examinée après le présent texte.

Cet amendement vise à allonger le délai de prescription et à ouvrir le débat.

Bien entendu, je souscris à tous les arguments qui ont déjà été énoncés.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Marie Mercier, rapporteur. Il faut toujours réinterroger nos convictions.

Il est certain que la victime « prend perpétuité », mais je considère la prescription comme permettant l’acte de parole. En effet, je me souviens d’une patiente qui m’avait dit qu’elle devait se motiver, car elle n’avait plus que deux ans pour porter plainte. Si le crime est imprescriptible, la victime attend pour agir en justice, pour finalement ne jamais y aller, tellement c’est douloureux et difficile, surtout si elle n’est pas crue.

Envisageons la prescription comme une condition de libération de la parole et encourageons les victimes à parler en donnant les moyens – je pense notamment à la formation d’enquêteurs. C’est dans ce sens qu’il faut travailler.

J’émets un avis défavorable sur ces amendements.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Robert Badinter a évoqué hier le sort des crimes contre l’humanité. Je partage son point de vue, mais, si nous actons l’imprescriptibilité des crimes absolument atroces qui nous réunissent aujourd’hui, il faudra consacrer celle d’autres crimes qui font aussi de vraies victimes : meurtres, assassinats…

Se pose également la question du dépérissement de la preuve. Un certain nombre de très hauts magistrats de ce pays se sont déclarés défavorables à l’imprescriptibilité pour cette raison.

Par ailleurs, il a fallu des millénaires pour que notre société civilisée envisage la prescription. Celle-ci présente un certain nombre d’avantages sociaux et sociétaux, que l’on ne saurait, sous le coup de l’émotion, balayer d’un revers de manche.

Enfin, Adrien Taquet me disait à l’instant qu’un certain nombre d’associations ainsi que certains psychiatres sont opposés à l’imprescriptibilité, pour de nombreuses raisons qui viennent d’être explicitées avec beaucoup d’humanité.

Sur ce sujet, rien n’est simple. Abstenons-nous de tout manichéisme. Nous devons être extrêmement nuancés.

Je suis évidemment défavorable à ces amendements.

M. le président. La parole est à Mme Angèle Préville, pour explication de vote.

Mme Angèle Préville. L’enfant violé est seul, terriblement, fondamentalement et irrémédiablement.

L’atteinte à son « intégrité », pour reprendre le terme utilisé, s’apparente à une amputation, c’est-à-dire quelque chose de définitif, violent et profondément destructeur. C’est une part de lui-même que l’on arrache, brutalité vécue dans une solitude infinie.

C’est une forme de dissociation qui permet à l’enfant de survivre, une adaptation naturelle en somme. Lorsque les violences cessent, le cerveau est lessivé de toute trace de souvenirs. Il se répète « c’est fini » et oublie pendant des années.

Un jour, cela remonte à la surface, violemment ou pas, éventuellement refoulé immédiatement au loin, dans un brouillard d’oubli, port d’attache des enfants violés. Une pression s’installe d’elle-même, fermant la porte à toute plainte, dans un précipité de honte et de peur. De fait, comment affronter les regards et les jugements ? C’est comme un coffre-fort à côté de soi.

Parler constitue un cataclysme impossible à provoquer. C’est l’effet de l’amputation psychologique. L’enfant ne peut pas parler. Il le voudrait qu’il ne le pourrait pas. Il lui manque une perche. Or, la plupart du temps, il n’y a personne pour la lui tendre.

Telle est la particularité des crimes sexuels infligés par des adultes – des violeurs – à des mineurs.

À cet égard, une prescription de trente ans ne suffit pas. Il ne s’agit pas d’émotion. Les faits hurlent : une petite fille sur cinq, un garçon sur treize sont concernés.

Nous avons devant nous quelque chose de colossal : l’empreinte délétère, une marque au fer rouge sur la société tout entière, celle d’une prédation massive contre laquelle nous nous devons de lutter sans tarder. C’est notre responsabilité aujourd’hui, car c’est l’impunité qui prévaut : ce sont les violeurs qui sont protégés. C’est un problème.

Nous nous devons de protéger nos enfants et nous devons donner aux victimes, quel que soit le moment où elles pourront le faire, la possibilité de porter plainte et d’obtenir la reconnaissance de l’état de victime, parce que c’est nécessaire.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 6 rectifié ter et 26 rectifié.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

Mme Annick Billon. Je retire l’amendement n° 10, monsieur le président !

Article additionnel après l'article 4 - Amendements  n° 6 rectifié ter, n° 26 rectifié et n° 10
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste
Article additionnel après l'article 4 - Amendement  n° 9 rectifié ter

M. le président. L’amendement n° 10 est retiré.

L’amendement n° 22 rectifié, présenté par Mmes Rossignol, de La Gontrie, Briquet, Meunier, Le Houerou et Harribey, MM. Bourgi et P. Joly, Mmes Lepage, Monier et Conconne, MM. Antiste, Houllegatte, Durain, Kanner, Marie, Leconte, Kerrouche, Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Après l’article 4

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article 9–2 du code de procédure pénale est ainsi modifié :

a) Après le 4°, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Pour les crimes mentionnés à l’avant-dernier alinéa de l’article 7, lorsqu’ils sont commis sur des mineurs, le délai de prescription est également interrompu en cas de commission par leur auteur d’un même crime contre d’autres mineurs. » ;

b) À l’avant-dernier alinéa, après la référence : « 4° », sont insérés les mots : « ou tout fait mentionné au sixième alinéa » ;

c) Au dernier alinéa, après le mot : « article », sont insérés les mots : « , à l’exception des dispositions prévues au sixième alinéa, ».

La parole est à Mme Laurence Rossignol.

Mme Laurence Rossignol. Je tiens à préciser que cet amendement, que je présente avec mes collègues du groupe socialiste, n’est pas un amendement de repli par rapport aux amendements tendant à reconnaître l’imprescriptibilité, que je n’ai pas votés.

Il vise à prévoir, en cas de pluralité de victimes, que, lorsque les faits sont prescrits pour certaines victimes et pas pour d’autres, la prescription puisse être interrompue pour les premières.

C’est une question de justice : dès lors qu’une procédure judiciaire est en cours et que certaines victimes peuvent être parties civiles, il serait intéressant que celles pour lesquelles les faits sont prescrits puissent l’être également, d’autant que ce sont parfois elles qui ont parlé en premier, permettant l’ouverture d’une enquête préliminaire et l’identification de victimes plus récentes.

Cette mesure me paraît à la fois ne pas porter atteinte au principe de prescription, auquel nombre de nos collègues sont très attachés, et répondre à des situations qui risquent d’être de plus en plus fréquentes.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Marie Mercier, rapporteur. Cet amendement porte sur la question du délai de prescription. Il ne vise pas à instaurer l’imprescriptibilité, mais pourrait parfois aboutir quasiment à ce résultat.

Il s’agirait de prévoir une interruption du délai de prescription si l’auteur d’un crime sur mineur commet le même crime sur un autre mineur. Cette interruption ferait courir un nouveau délai de prescription, d’une durée égale au délit initial, soit, en l’occurrence, trente ans.

Un tel dispositif pourrait donc avoir pour effet de porter le délai de prescription à quarante, cinquante, voire soixante ans après la commission du premier crime. On peut se demander si cela est vraiment opportun, compte tenu de la difficulté d’apporter la preuve des faits après l’écoulement d’un délai aussi long…

Sur un plan plus technique, le dispositif de cet amendement soulève plusieurs interrogations.

En cas de viol sur mineur, le délai de prescription repartirait de zéro si un nouveau viol sur mineur était commis, puisqu’il s’agit du même crime, mais tel ne serait pas le cas si un autre crime, potentiellement plus grave encore, comme un assassinat d’enfant précédé d’actes de barbarie, était commis. Cette différence de traitement est surprenante.

Ensuite, l’élément générateur serait la commission d’un même crime. Comment sait-on qu’un même crime a été commis ? Seule une condamnation définitive peut permettre de l’établir avec certitude ! L’amendement pose donc un nouveau problème rédactionnel, même si l’on comprend bien l’intention de notre collègue, qui est tout à fait louable.

Au total, nous considérons que le délai de prescription de trente ans à compter de la majorité de la victime, qui a été adopté en 2018, est déjà très protecteur. Je crois qu’il est raisonnable de conserver cette règle, votée il y a moins de trois ans.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. La philosophie de cet amendement est extrêmement intéressante.

Nous pensons, en revanche, que le mécanisme n’est pas encore au point.

Je vous sais gré de rappeler que ce n’est pas un amendement de repli par rapport au précédent : il ne s’agit pas de la même chose.

Le droit connaît déjà quelques mécanismes un peu analogues. Je pense notamment aux connexités : il est possible de juger de quatre faits connexes même si trois d’entre eux sont prescrits, dès lors que le dernier ne l’est pas. Il existe donc déjà un certain nombre d’exceptions à cette règle de la prescription.

Le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat. Je pense que nous devons encore travailler, mais que ce dispositif peut aller dans le bon sens. En tout état de cause, il est extrêmement intéressant pour le Gouvernement.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Je veux insister sur deux points.

Cet amendement est très intéressant parce que, comme je l’ai dit lors de la discussion générale, c’est souvent la pluralité de victimes qui permet d’identifier l’auteur de l’acte et de conforter l’accusation, dans un domaine où la parole est souvent mise en doute.

Je veux ensuite indiquer au Sénat que cet amendement est la reprise mot pour mot d’une disposition qu’il a votée le 4 juillet 2018 – avec un sous-amendement de Mme Mercier –, mais qui avait disparu par le miracle de la commission mixte paritaire. Ce n’est donc pas une invention récente.

Je rejoins tout à fait l’analyse du garde des sceaux sur la connexité : estimer que l’on peut interrompre une prescription dans un cas comme celui-là n’est pas une innovation juridique.

Au reste, cet amendement peut en partie dissiper le regret de celles et de ceux qui souhaiteraient que l’on aille vers l’imprescriptibilité.

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je veux ajouter un point.

Il arrive qu’un procès pour viol s’ouvre et que d’autres victimes, parfois nombreuses, pour lesquelles les faits sont prescrits, viennent témoigner. J’ai rencontré cette situation à de très nombreuses reprises.

En réalité, ces autres victimes, qui assistent à un procès qui n’est pas « le leur », sont témoins non pas des faits, mais du comportement et de la personnalité de l’accusé.

Disons-le très pragmatiquement : le juge ne juge naturellement pas de la même façon ni avec la même sévérité selon qu’il y a une seule victime ou une vingtaine – celles qui viennent témoigner sont de vraies victimes, même si elles ne sont pas qualifiées comme telles lors du procès.

La mesure proposée est donc très cohérente. Nous pouvons donc, madame la sénatrice, vous suivre sur cette voie. Nous envisageons d’ailleurs de le faire !

Mme Laurence Rossignol. Merci, monsieur le ministre !

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 22 rectifié.

(Lamendement est adopté.)

Article additionnel après l'article 4 - Amendement n° 22 rectifié
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste
Article additionnel après l'article 4 - Amendement n° 7 rectifié ter

M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 4.

L’amendement n° 9 rectifié ter, présenté par Mme V. Boyer, MM. D. Laurent et Frassa, Mme Thomas, M. Charon, Mme Drexler, M. Cuypers, Mme Herzog, MM. Le Rudulier, Chasseing, Boré, Longeot, H. Leroy, A. Marc, Panunzi et Laménie, Mmes Noël et Dumas, M. Longuet, Mme Garriaud-Maylam et MM. Pellevat et Houpert, est ainsi libellé :

Après l’article 4

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article 469 du code de procédure pénale est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« La première phrase du quatrième alinéa n’est pas applicable si l’accusé est poursuivi au titre de l’article 222-23 du code pénal. »

La parole est à Mme Valérie Boyer.

Mme Valérie Boyer. Depuis la loi Perben II, le code de procédure pénale prévoit qu’une correctionnalisation judiciaire peut être décidée par la juridiction d’instruction si la victime s’est constituée partie civile et si elle est assistée d’un avocat lorsque ce renvoi est ordonné.

Le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes le constate : « Le viol est un crime qui constitue la plus grave des violences sexuelles. Or il fait trop souvent l’objet de disqualification en agression sexuelle, constitutive d’un délit. Cette pratique judiciaire de correctionnalisation des viols est souvent justifiée pour des motifs d’opportunité, afin que l’affaire soit jugée plus rapidement devant le tribunal correctionnel. De surcroît, raison moins avouable, elle permet le désengorgement des cours d’assises.

« Si la disqualification n’a pas pour but de nuire aux intérêts des victimes, qui peuvent d’ailleurs s’opposer au renvoi de leur affaire devant le tribunal, elle minimise la gravité du viol et remet en cause le principe de l’égalité devant la justice. »

De nombreux témoignages de femmes, fortement encouragées par leur avocat – on peut comprendre pourquoi – à accepter cette requalification, le démontrent.

Aujourd’hui, je souhaite que l’on mette fin à cette quasi-automaticité de la correctionnalisation du viol et que le viol soit jugé pour ce qu’il est, c’est-à-dire un crime.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Marie Mercier, rapporteur. Ma chère collègue, oui, le viol est un crime et doit être jugé comme tel. Nous sommes tous d’accord : le viol n’est jamais consenti.

Je comprends bien votre intention. Toutefois, cette mesure est vraiment très technique.

Elle constitue une réponse au phénomène de la correctionnalisation, qui a des causes plus profondes, notamment des délais tellement longs qu’ils en sont insupportables – cela peut aller jusqu’à sept ans…

Il faut être respectueux de la décision de la victime, qui est consultée en cas de correctionnalisation. Il peut donc être compliqué de donner au tribunal correctionnel la possibilité de revenir sur les choix arrêtés au cours de l’instruction.

Ce sont des mesures plus structurelles qui peuvent permettre de faire reculer la correctionnalisation. Je pense, par exemple, au redéploiement des cours criminelles départementales, qui sont en cours d’expérimentation et qui ont été créées à cette fin.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Premièrement, il faut que l’expérimentation des cours criminelles puisse se dérouler.

Deuxièmement, ce que vous dites sur la correctionnalisation n’est pas vrai, madame la sénatrice ! La correctionnalisation requiert a minima l’autorisation de la victime. C’est bien la moindre des choses.

Troisièmement, on ne peut pas parler ainsi au nom de toutes les victimes. J’ai connu des victimes qui préféraient la correctionnelle, parce que la cour d’assises est une épreuve. (Mme Marie-Pierre de La Gontrie approuve.)

Il faut aussi laisser au parquet beaucoup de souplesse sur ces questions. Les décisions ne sont pas forcément prises contre les victimes, bien au contraire ! On se doit naturellement de les accompagner et de recueillir leur assentiment avant d’envisager la correctionnalisation.

Les assises sont publiques, il y a beaucoup de monde… Certes, on peut demander un huis clos, mais c’est quand même autre chose que la correctionnelle. Certaines victimes préfèrent la correctionnalisation.

En voulant aider les victimes, on peut parfois leur faire du mal. Le victimaire ne va pas forcément toujours dans le bon sens ! Il faut être raisonnable.

Le Gouvernement est défavorable à cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 9 rectifié ter.

(Lamendement nest pas adopté.)

Article additionnel après l'article 4 - Amendement  n° 9 rectifié ter
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste
Article 5 (nouveau)

M. le président. L’amendement n° 7 rectifié ter, présenté par Mmes V. Boyer et Billon, MM. D. Laurent et Frassa, Mme Thomas, M. Charon, Mme Drexler, M. Cuypers, Mme Herzog, MM. Le Rudulier, Chasseing, Boré, Longeot, H. Leroy, A. Marc, Panunzi et Laménie, Mmes Noël et Dumas, MM. Longuet et B. Fournier, Mme Garriaud-Maylam et MM. Nougein, Pellevat et Houpert, est ainsi libellé :

Après l’article 4

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le code de la santé publique est ainsi modifié :

1° Après le deuxième alinéa de l’article L. 1241-5, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Par dérogation aux deux alinéas précédents, des tissus ou cellules embryonnaires ou fœtaux peuvent être prélevés et conservés après une interruption volontaire de grossesse régie par le chapitre II du titre Ier du livre II de la deuxième partie, lorsque la femme ayant subi une telle interruption de grossesse est mineure afin de permettre ultérieurement l’identification d’une personne par ses empreintes génétiques, dans le cadre des mesures d’enquête ou d’instruction qui pourraient être diligentées au cours d’une procédure judiciaire concernant un crime de viol. La femme doit demander expressément par écrit à ce que ce prélèvement et cette conservation soient mis en œuvre, après avoir reçu une information spécifique sur leur finalité. » ;

2° Après le deuxième alinéa de l’article L. 2212-4, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Lors de la consultation préalable prévue aux premier et deuxième alinéas du présent article, la femme est informée de la possibilité de prélèvement et de conservation prévue au troisième alinéa de l’article L. 1241-5 ainsi que de leur finalité. »

La parole est à Mme Valérie Boyer.

Mme Valérie Boyer. Lorsque j’ai visité l’institut Women Safe, avec le docteur Pierre Foldes et Frédérique Martz, on m’a rappelé que, faute de preuves jugées suffisantes, d’éléments matériels tels que les traces d’ADN, les témoignages ou les aveux du mis en cause, près de sept plaintes pour violences sexuelles sur dix sont classées sans suite.

On ne peut pas constamment allonger les délais de prescription, notamment pour les mineurs, sans penser aux éléments matériels. Dans certains cas, les victimes portent plainte des mois, voire des années après leur agression. Les éléments matériels sont alors impossibles à retrouver. Or, nous le savons, en droit pénal, le doute profite toujours à l’accusé.

Je vous invite à relire l’excellent rapport du Sénat paru en 2018, intitulé Prévenir et combattre les violences faites aux femmes. On peut y lire que, dans les unités médico-judiciaires (UMJ), le fait de prélever l’ADN pour pouvoir le ressortir en cas de plainte donne aux victimes le sentiment d’être crues ; que, pour les personnes qui se sont rendues aux UMJ indépendamment d’une plainte, le taux de plainte passait de 10 % à 30 % ; que cela permettra de conforter leur parole quand elles seront prêtes à porter plainte.

D’ailleurs, la gendarmerie nationale souhaiterait que toutes les victimes, quel que soit le lieu où survient l’agression sexuelle, bénéficient d’un accompagnement technique permettant d’effectuer et de recueillir avec diligence les preuves matérielles de leur agression. Le kit destiné aux enquêteurs permettra de réaliser des prélèvements de façon systématique en cas d’agression sexuelle. L’objectif affiché est aussi de dissuader les agresseurs potentiels qui courront alors le risque d’être identifiés dans le cas, par exemple, de relevés de traces d’ADN.

Mes chers collègues, je vous propose, à la suite des nombreuses auditions que j’ai réalisées, d’améliorer le recueil des preuves pour les mineures victimes de viol. Nous devons autoriser, pour ces victimes, le prélèvement et la conservation de tissus ou cellules, embryonnaires ou fœtaux après une interruption de grossesse, dans la perspective d’une procédure pénale ultérieure. Il ne s’agit en aucun cas d’une incitation à porter plainte : l’objectif est de respecter la victime, de l’accompagner, de l’entourer et de lui laisser le choix.

Quoi qu’il arrive, une enquête est menée et le dernier mot revient au juge. Le but n’est aucunement de limiter le recours à l’IVG ou de le détourner : il est de protéger encore plus la victime.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Marie Mercier, rapporteur. Cet amendement, qui vise à autoriser le prélèvement de tissus embryonnaires après une IVG réalisée sur une jeune fille mineure, dans le but de réaliser des analyses génétiques permettant de confondre plus facilement l’auteur d’un viol dans le cas où une procédure judiciaire serait ouverte ultérieurement, pose différents problèmes.

Actuellement, le code de la santé publique n’autorise ces prélèvements qu’à des fins diagnostiques, thérapeutiques ou scientifiques. De plus, un tel prélèvement ne peut avoir lieu si la femme ayant subi l’IVG est mineure, sauf s’il s’agit de rechercher la cause de l’IVG.

L’amendement de notre collègue introduit donc une double rupture par rapport aux principes posés par le code de la santé publique : le prélèvement ne serait pas réalisé à des fins médicales ou scientifiques et les mineures seraient expressément concernées. Cela fait deux raisons de ne pas souscrire à cet amendement.

Il est difficile de statuer sur cette question délicate, aux confins de la bioéthique, sans avoir sollicité quelques avis extérieurs – je n’ai pas pu réaliser d’audition sur ce sujet – pour nous éclairer, notamment sur l’impact que pourrait avoir une telle disposition sur le recours à l’IVG, ainsi que sur le risque que des personnes se trouvent accusées de viol des années plus tard. L’analyse génétique constituerait alors un premier élément, sans que l’on puisse établir s’il y avait eu consentement ou non.

Je me demande en particulier s’il ne serait pas opportun d’encadrer un peu plus le dispositif en le réservant à des situations qui laissent penser qu’une infraction a été commise, donc après un dépôt de plainte.

Il faudrait également en aviser la commission des affaires sociales et faire des recherches.

J’émets un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je suis évidemment totalement défavorable à ce qui serait une espèce de preuve par anticipation. Si nous la consacrons, où s’arrêtera-t-on ?

Chronologiquement, il faut d’abord qu’un fait soit dénoncé. C’est seulement après cette dénonciation que la police, ou parfois directement la justice, entre en action, enclenchant tout un mécanisme de recherche de la preuve.

Je vois difficilement comment on pourrait conserver par anticipation la preuve d’un crime qui ne sera peut-être jamais dénoncé et qui n’a peut-être pas existé. Je trouve cela assez curieux. C’est, me semble-t-il, contraire à l’ordre des choses.

J’entends l’idée, mais c’est au fond la démonstration que, en cherchant à bien faire, on va beaucoup trop loin.

Nous devons rester très circonspects. On ne peut pas balayer un certain nombre de principes, que notre société civilisée a mis des millénaires à élaborer, au nom de l’émotion et d’une efficacité que l’on voudrait maximale. Tout cela me paraît dangereux.

Je sollicite donc le retrait de l’amendement, faute de quoi j’émettrai un avis défavorable.

On ne saurait préparer, surtout dans ces conditions, de futures preuves éventuelles.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Je suis d’accord !

M. le président. La parole est à Mme Valérie Boyer, pour explication de vote.

Mme Valérie Boyer. Nous n’avons malheureusement pas le temps de débattre de cette question.

Je comprends votre propos, monsieur le ministre, mais je ne peux pas l’admettre dans ce cas précis. Dans la mesure où nous avons allongé le délai de prescription, la victime dénoncera des faits qui se seront déroulés plusieurs années auparavant, à un moment où elle ne pouvait déposer plainte.

À côté de l’enquête et des auditions que mènera le juge, cette disposition permettrait de disposer d’une preuve. Je me permets d’insister : il s’agit d’une demande des nombreuses associations que j’ai rencontrées et qui s’occupent des mineurs et des femmes les plus en difficulté. Elles en ont besoin.

Je pense qu’il faut retravailler sur cette question. Comme l’a souligné Mme Mercier, il faudrait probablement améliorer le code de la santé publique pour mieux protéger les victimes et recueillir des éléments de preuve.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 7 rectifié ter.

(Lamendement nest pas adopté.)

Article additionnel après l'article 4 - Amendement n° 7 rectifié ter
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Article 6 (nouveau)

Article 5 (nouveau)

L’article 706-47 du code de procédure pénale est ainsi modifié :

1° Au 4°, la référence : « 222-31-1 » est remplacée par la référence : « 222-33 » ;

2° Au 7°, les mots : « d’un mineur » sont supprimés ;

3° Sont ajoutés des 14° et 15° ainsi rédigés :

« 14° Délits de tentative d’atteinte sexuelle sur mineur prévus aux articles 227-25 à 227-27 du même code ;

« 15° Délit d’incitation à commettre un crime ou un délit à l’encontre d’un mineur prévu à l’article 227-28-3 du même code. » – (Adopté.)

Article 5 (nouveau)
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Article 7 (nouveau)

Article 6 (nouveau)

Avant le dernier alinéa de l’article 706-53-2 du code de procédure pénale, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Par dérogation au dixième alinéa, les décisions sont inscrites quelle que soit la durée de la peine dès lors que la victime des délits prévus à l’article 706-47 est mineure. » – (Adopté.)

Article 6 (nouveau)
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Article additionnel après l'article 7 - Amendement n° 23

Article 7 (nouveau)

Le code pénal est ainsi modifié :

1° La section 5 du chapitre II du titre II du livre II est complétée par un article 222-48-3 ainsi rédigé :

« Art. 222-48-3. – En cas de condamnation pour une infraction prévue à la section 3 du présent chapitre et commise sur un mineur, la juridiction prononce la peine complémentaire d’interdiction à titre définitif d’exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact habituel avec des mineurs prévue au 3° de l’article 222-45. Elle peut, par une décision spécialement motivée, décider de ne pas prononcer cette peine en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur ou de la prononcer pour une durée de dix ans au plus. » ;

2° Après l’article 227-31, il est inséré un article 227-31-1 ainsi rédigé :

« Art. 227-31-1. – En cas de condamnation pour une infraction prévue aux articles 227-22 à 227-27, 227-24-2, 227-27-2 et 227-28-3, la juridiction prononce la peine complémentaire d’interdiction à titre définitif d’exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact habituel avec des mineurs prévue au 6° de l’article 227-29. Elle peut, par une décision spécialement motivée, décider de ne pas prononcer cette peine en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur ou de la prononcer pour une durée de dix ans au plus. »

M. le président. L’amendement n° 28, présenté par Mme M. Mercier, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Alinéa 5, première phrase

Supprimer la référence :

227-24-2,

La parole est à Mme le rapporteur.

Mme Marie Mercier, rapporteur. Cet amendement vise à supprimer une référence superfétatoire.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Favorable, monsieur le président.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 28.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 7, modifié.

(Larticle 7 est adopté.)

Article 7 (nouveau)
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Article additionnel après l'article 7 - Amendement n° 24

Articles additionnels après l’article 7

M. le président. L’amendement n° 23, présenté par Mmes Meunier, de La Gontrie, Rossignol, Briquet et Le Houerou, M. Bourgi, Mme Harribey, M. P. Joly, Mmes Monier et Lepage, M. Houllegatte, Mme Conconne, MM. Antiste, Durain, Kanner, Sueur, Leconte, Kerrouche, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Après l’article 7

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Les 1° et 2° de l’article 226-14 du code pénal sont remplacés par cinq alinéas ainsi rédigés :

« 1° Dans les cas où la loi impose d’alerter le procureur de la République :

« À tout professionnel désigné au présent alinéa qui, dans l’exercice de ses fonctions, suspecte des violences physiques, psychologiques ou sexuelles de toute nature, y compris les mutilations sexuelles à l’encontre d’un mineur ou d’une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique ou d’un état de grossesse, est tenu, sans avoir à recueillir l’accord de quiconque, d’en informer sans délai le procureur de la République. Les professionnels désignés pour une obligation de signaler au procureur de la République sont tous les médecins ;

« 2° Dans les cas où la loi autorise d’alerter les autorités compétentes :

« À tout autre professionnel ou toute personne qui suspecte ou acquiert la connaissance de violences physiques, psychologiques ou sexuelles de toute nature, y compris les mutilations sexuelles, à l’encontre d’un mineur, d’une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique ou d’un état de grossesse, ou d’un adulte, informe sans délai le procureur de la République. Lorsqu’il s’agit d’un mineur ou d’une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique ou d’un état de grossesse, l’auteur du signalement n’a pas à recueillir l’accord de quiconque ;

« …° À tout professionnel ou toute personne qui suspecte ou acquiert la connaissance qu’un mineur est en danger ou qu’il risque de l’être. Il informe sans délai la cellule départementale de recueil, de traitement et d’évaluation mentionnée au deuxième alinéa de l’article L. 226-3 du code de l’action sociale et des familles, des informations préoccupantes définies par le décret n° 2013-994 du 7 novembre 2013 organisant la transmission d’informations entre départements en application de l’article L. 221–3 du code de l’action sociale et des familles ; ».

La parole est à Mme Michelle Meunier.

Mme Michelle Meunier. Avec votre permission, monsieur le président, je présenterai également l’amendement n° 24.

Article additionnel après l'article 7 - Amendement n° 23
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste
Article 8 (nouveau)

M. le président. J’appelle donc en discussion l’amendement n° 24, présenté par Mmes Meunier, de La Gontrie, Rossignol, Le Houerou, Briquet, Monier et Harribey, M. Bourgi, Mme Lepage, MM. P. Joly et Houllegatte, Mme Conconne, MM. Antiste, Durain, Kanner, Leconte, Kerrouche, Marie, Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, et ainsi libellé :

Après l’article 7

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le dernier alinéa de l’article 226-14 du code pénal est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :

« Aucune action en responsabilité civile, pénale, disciplinaire et administrative ne peut être intentée à l’encontre de tout professionnel ou toute personne qui a appliqué les dispositions du présent article de bonne foi.

« Nul ne peut dévoiler ou être contraint de dévoiler l’identité ou tout autre élément permettant l’identification d’un professionnel ou de toute personne qui a appliqué les dispositions du présent article sans son consentement. »

Veuillez poursuivre, ma chère collègue.

Mme Michelle Meunier. Ces deux amendements concernent l’obligation de signalement et son corollaire, la protection de l’auteur du signalement contre toute poursuite judiciaire.

Le Sénat a déjà voté cette disposition, que la majorité présidentielle avait ensuite supprimée en commission mixte paritaire, dans la loi de juillet 2018.

En l’état actuel de la législation et des codes de déontologie médicale, il n’y a pas d’obligation de signaler. Il existe seulement un risque lié à la non-dénonciation. La confusion perdurera tant que cette obligation ne figurera pas noir sur blanc dans la loi.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Marie Mercier, rapporteur. Nous avons beaucoup travaillé sur la question de l’obligation de signalement avec Catherine Deroche, Michelle Meunier et Maryse Carrère.

La commission est défavorable à ces deux amendements : sans refaire les débats, le secret professionnel reste absolument intangible.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat. Replongeons-nous très brièvement quelques mois en arrière, lors des débats de la loi du 30 juillet 2020 qui a modifié l’article 226-14 du code pénal afin d’aligner les règles relatives au signalement des violences au sein du couple sur celles déjà applicables au signalement des sévices commis sur les enfants.

Désormais, dans les deux cas, les professionnels de santé peuvent signaler ces faits au procureur de la République sans l’accord de la victime, ce qui était déjà le cas pour les violences conjugales. Si l’amendement n° 23 était adopté, les médecins seraient tenus de signaler ces faits.

Une telle modification nous paraît tout d’abord excessive dans la mesure où elle pourrait conduire des parents à ne plus amener leur enfant chez le médecin.

Par ailleurs, les médecins, qui voient pourtant passer de nombreux enfants, ne signalent que 6 % des faits préoccupants, tous types de violences confondus. Si ce chiffre est si faible, c’est probablement en raison d’un enjeu de formation, mais également d’isolement : les professionnels de santé se retrouvent souvent seuls face à ces situations difficiles. Un médecin de famille, qui a soigné deux ou trois générations, risque de se retrouver dans une sorte de conflit. Je ne porte pas de jugement : je pense que tout le monde doit dénoncer de tels faits en cas de soupçon. Je constate simplement une forme d’isolement des professionnels de santé.

C’est la raison pour laquelle nous avons prévu, dans le cadre du plan de lutte contre les violences faites aux enfants de novembre 2019, que j’évoquais précédemment, de créer des référents pédiatriques dans chacune des unités d’accueil pédiatrique « Enfants en danger ». Face à de telles situations, les médecins pourront ainsi se tourner vers ces personnes-ressources, vers ces professionnels de santé spécialisés et formés.

Par ailleurs, cette disposition ne nous semble pas placée au bon endroit.

Pour ces raisons, le Gouvernement est défavorable à ces deux amendements.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 23.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 24.

(Lamendement nest pas adopté.)

Article additionnel après l'article 7 - Amendement n° 24
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste
Intitulé de la proposition de loi

Article 8 (nouveau)

Après le 3° de l’article 706-47 du code de procédure pénale, il est inséré un 3° bis ainsi rédigé :

« 3° bis Crime sexuel sur mineur prévu à l’article 227-24-2 du même code ; ». – (Adopté.)

Article 8 (nouveau)
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Intitulé de la proposition de loi

M. le président. L’amendement n° 16, présenté par Mmes Assassi, Cukierman, Cohen et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet intitulé :

Proposition de loi visant à créer une infraction autonome de crime sexuel sur jeune mineur

La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Je connais déjà le sort de cet amendement, mais seules sont perdues d’avance les batailles qu’on ne livre pas.

Comme nous manquons de temps, je vous renvoie à l’objet de cet amendement qui vise à modifier l’intitulé de cette proposition de loi.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Marie Mercier, rapporteur. La commission souhaite conserver l’intitulé de la proposition de loi de Mme Billon que nous avons enrichie d’un aspect préventif.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Le Gouvernement est défavorable à cet amendement pour les mêmes raisons.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 16.

(Lamendement nest pas adopté.)

Vote sur l’ensemble

M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Ce texte constitue une avancée.

Les dispositions que nous avons adoptées vont permettre de renforcer encore notre droit, notamment avec l’interruption de la prescription en cas de pluralité de victimes. Nous avons également amélioré les règles de prescription en cas de non-dénonciation. Nous avons encore progressé en ce qui concerne l’inceste en cas d’atteinte sexuelle.

Nous avons toutefois un regret important : votre refus de voter la criminalisation en rejetant la nouvelle infraction d’inceste sur mineurs.

Pour autant, ce texte est important, même si, sur certains aspects, nous le trouvons insuffisant. Comme je l’indiquais lors de la discussion générale, notre groupe votera cette proposition de loi.

M. le président. La parole est à Mme Annick Billon, pour explication de vote.

Mme Annick Billon. Comme vient de le souligner Mme de La Gontrie, ce texte constitue une avancée certaine vers une meilleure protection des jeunes mineurs.

Je tiens à remercier le président de la commission des lois et la rapporteure de l’excellent travail qu’ils ont mené sur ce texte, et tous les sénateurs qui l’ont amendé dans un souci de précision et d’amélioration.

Je remercie également le président Marseille et le groupe de l’Union Centriste d’avoir eu le courage d’inscrire ce sujet compliqué à l’ordre du jour du Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Pierre Decool applaudit également.)

Intitulé de la proposition de loi
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.

Mme Laurence Rossignol. Je voterai bien évidemment cette proposition de loi avec mon groupe.

Toutefois, la politique des petits pas sur ces sujets me laisse perplexe. De texte en texte, il me semble que nous faisons preuve d’une prudence exagérée. Le temps passant, on réalise souvent que des dispositions dont nous avions discuté deux ans auparavant sans les voter étaient tout à fait adaptées dès le départ.

Que M. le garde des sceaux n’en prenne pas ombrage, mais je m’adresserai tout particulièrement à Adrien Taquet. Dans ces affaires, monsieur le secrétaire d’État, il ne faut pas surestimer l’importance du droit et du code pénal. La lutte contre l’inceste n’est pas qu’une affaire judiciaire. C’est avant tout une affaire de prévention, d’évolution de notre civilisation et d’accompagnement médico-social.

Le principal adversaire des victimes, c’est moins la prescription dont nous débattons que le silence de ceux qui savent et la cécité de ceux qui pourraient savoir.

Comment allons-nous accompagner les victimes ? Souvent, les enfants victimes d’inceste sont pris en charge par l’aide sociale à l’enfance (ASE). Savez-vous, mes chers collègues, combien de places sont dédiées, à l’ASE, aux jeunes filles victimes d’inceste ? Vingt-cinq ! Vingt-cinq places pour accompagner et prendre en charge un traumatisme spécifique qui nécessite un accompagnement spécifique ! Savez-vous combien de places sont réservées aux garçons ? Zéro !

Maintenant que nous avons discuté du code pénal, la priorité serait que le Gouvernement propose aux départements de mettre en place un accueil spécifique pour les victimes d’inceste et qu’il étende à toutes les régions le dispositif d’accueil des jeunes filles victimes d’inceste qui n’existe que dans une seule maison d’enfants à caractère social (MECS). Nous devons accompagner ce traumatisme à la hauteur de ce qu’il est pour permettre aux victimes de se reconstruire. Le plus difficile n’est pas de modifier le code pénal, mais bien d’accompagner les victimes !

M. le président. La parole est à M. Max Brisson, pour explication de vote.

M. Max Brisson. En quatre mots, monsieur le président : une vraie avancée, un consensus entre les groupes, un texte qui a progressé en première lecture, un garde des sceaux qui a promis une navette fructueuse et qui nous a écoutés, tout en défendant les grands principes du droit, comme c’est son rôle. Enfin, un grand merci à Annick Billon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.

Mme Laurence Cohen. Je me réjouis du débat que nous venons d’avoir dans ce temps contraint. Les niches nous laissent toujours un goût amer, car nous voudrions parler davantage et aborder toutes les propositions de loi.

Le débat a été très respectueux. Il me semble qu’un cheminement se fait sur toutes les travées sur cette question des violences faites aux enfants et aux mineurs. Les lignes bougent à l’intérieur de nos propres groupes à l’écoute des arguments des uns et des autres.

Je voudrais adresser un grand merci à Marie Mercier, à Annick Billon et au garde des sceaux, qui a su nous aider à progresser.

Au cours des auditions, nous avons essayé d’avancer sur la question de la présomption de contrainte qui n’est pas, selon nous, une présomption de culpabilité. Nous avons entendu le juge Édouard Durand, grand professionnel, plein d’humanisme, que tout le monde connaît ici. Nous devons encore poursuivre nos réflexions.

Aujourd’hui, 70 % des plaintes pour viol sont classées sans suite, 60 % des victimes sont mineures et 30 % ont moins de 11 ans. Nous avons encore à faire progresser la loi pour les protéger. C’est ce à quoi nous aspirons tous.

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.

Mme Esther Benbassa. Je voudrais tout d’abord remercier Mme Billon, auteure de cette proposition de loi, ainsi que Mme la rapporteure et tous nos collègues. Aujourd’hui, nous avons travaillé dans un esprit transpartisan, ce qui est très important.

Certaines évolutions sont encore attendues. La question reste toujours d’actualité. Il faut s’atteler à la formation des juges pour qu’ils soient plus vigilants et faire en sorte que les femmes qui ont subi ces atrocités soient mieux comprises et accompagnées pour pouvoir avancer dans la vie.

La justice a encore beaucoup à faire et je compte sur notre garde des sceaux pour avancer sur la question de la formation et de la sensibilisation des juges.

Mme Annick Billon. Très bien !

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi visant à protéger les jeunes mineurs des crimes sexuels.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Union Centriste.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 57 :

Nombre de votants 345
Nombre de suffrages exprimés 343
Pour l’adoption 343

Le Sénat a adopté. (Applaudissements.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures trente, est reprise à quinze heures quarante.)

M. le président. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste
 

9

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises
Discussion générale (suite)

Patrimoine sensoriel des campagnes françaises

Adoption définitive d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises
Article 1er

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Union Centriste, de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises (proposition n° 286, texte de la commission n° 270, rapport n° 269).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Joël Giraud, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la vie à la campagne suppose d’accepter quelques nuisances. Rien ne serait plus illusoire que de céder à une vision bucolique ou fantasmée d’une ruralité paisible, aphone et inodore. Nos territoires ruraux ne sont pas seulement des paysages. Ce sont aussi des sons, des odeurs, des activités et des pratiques qui font partie de notre patrimoine.

Les néoruraux n’y sont pas toujours habitués. Le phénomène ne date pas d’aujourd’hui. Dans Le Sous-préfet aux champs, nouvelle du recueil Lettres de mon moulin, Alphonse Daudet dépeint un sous-préfet qui se laisse perturber dans son travail par le chant des cigales et l’odeur des violettes.

Ces sonorités et ces senteurs bien agréables sont parfois dénoncées comme des nuisances. Les vocalises d’un coq au timbre un peu trop puissant, le tintement de cloches un peu trop fréquent, tout devient prétexte à des actions en justice.

Soyons cependant nuancés, ces conflits ne sont pas aussi fréquents qu’on pourrait le croire. La presse en donne un écho particulier : souvent, le cas soumis au juge n’est pas aussi caricatural que le laisse penser la manière dont il est présenté au public. Je n’oppose pas les méchants néoruraux aux gentils ruraux. Il n’y a pas, d’un côté, les procéduriers insensibles aux charmes de la campagne et, de l’autre, les victimes de recours abusifs et intempestifs.

Pour autant, ces conflits de voisinage existent et se développent. Vous écrivez d’ailleurs, monsieur le rapporteur, que les élus locaux que vous avez auditionnés vous ont fait part de leur sentiment d’un accroissement des sollicitations ou interpellations sur ces sujets. Selon eux, on leur demande parfois de jouer un rôle de médiateur qui est loin d’être évident.

J’en profite pour souligner la qualité de votre rapport et l’important travail de recherche jurisprudentielle que vous avez fourni pour nourrir vos travaux.

Vous soulignez à juste titre que la reconnaissance des sons et odeurs des territoires ruraux doit permettre de désamorcer en amont les contentieux de voisinage. Tel est l’objet de cette proposition de loi qui est, pour moi, une bonne proposition de loi de défense de la ruralité.

Je suis donc particulièrement heureux, aujourd’hui, en ma qualité de secrétaire d’État à la ruralité, de représenter le Gouvernement et de donner un avis favorable à l’adoption de cette proposition de loi.

Je me félicite d’ailleurs que la commission de la culture, de l’éducation et de la communication ait adopté sans modification et à l’unanimité cette proposition de loi.

Eu égard au temps qui nous est imparti, je ne me livrerai pas à l’exégèse de ce texte. Je me contenterai de remercier le Sénat et de saluer le groupe de l’Union Centriste d’avoir fait inscrire à l’ordre du jour cette proposition de loi du député Pierre Morel-À-L’Huissier, qui connaît bien ces questions.

Je ne doute pas de l’adoption de ce texte. C’est un signal important qui sera envoyé au monde rural. Il sera apprécié à sa juste mesure. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Pierre-Antoine Levi, rapporteur de la commission de la culture, de léducation et de la communication. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, « La campagne c’est cette musique, cette agitation de branches, de feuilles et de cris qui s’enfle et s’architecture quand on ferme les yeux ». Ces mots de Maryline Desbiolles décrivent avec beaucoup de justesse les territoires ruraux.

Peut-on interdire à un coq de chanter, à des cigales de striduler ou encore à des grenouilles de coasser ? Faut-il mettre en sourdine les cloches des églises, les clarines des troupeaux, ou la mécanique des tracteurs ? Doit-on mettre fin aux odeurs de purin, de fumier ou de crottin de cheval ?

Cet été, le coq Maurice, poursuivi en justice, a même acquis une notoriété nationale, dépassant largement les frontières de sa basse-cour et de l’île d’Oléron. Son sort est ainsi beaucoup plus enviable que celui de son congénère Marcel, tué par un voisin excédé par les chants du gallinacé – paix à son âme !

Derrière ces affaires pittoresques, « clochemerlesques », se trouvent des problèmes de fond, comme l’a souligné notre collègue Olivier Paccaud lors de l’examen du texte en commission.

Les élus locaux sont de plus en plus sollicités et appelés à intervenir en tant que médiateurs dans de tels conflits de voisinage. Je tiens ici à leur rendre hommage. Comme l’a très justement souligné en commission notre collègue Marie-Pierre Monier, les conflits de voisinage qui parviennent jusqu’aux tribunaux constituent la partie émergée de l’iceberg : un bon nombre d’entre eux sont réglés bien en amont, le plus souvent grâce à la médiation active des maires.

Ces derniers, comme sur de nombreux autres sujets, ne comptent pas leurs heures pour trouver des solutions, pacifier les situations, en un mot faire vivre les territoires, les animer et préserver le lien social.

Comment en sommes-nous arrivés à une situation où les élus locaux doivent justifier de la normalité des sonneries des cloches, y compris la nuit, d’odeurs inhérentes aux territoires ruraux ou du bruit provoqué par les activités agricoles ? Des évidences ont été oubliées ; j’en citerai deux.

D’une part, on ne vit pas à la ville comme à la campagne. Les territoires ruraux ne sont pas des territoires silencieux et inodores. Le silence n’appartient pas plus à la campagne qu’à la ville.

D’autre part, les gênes dénoncées ne sont bien souvent que la traduction d’un territoire qui vit, avec des activités économiques qui lui sont propres.

La commission de la culture n’a que rarement l’occasion d’afficher son soutien au monde agricole. Permettez-moi de saisir l’occasion offerte par ce texte concernant des musiques pas toujours harmonieuses, j’en conviens, et de nouveaux aspects du patrimoine pour le faire.

Enfin, même la crise de la covid a eu un effet, certes indirect, sur la perception des sons et odeurs inhérents aux territoires ruraux. Le confinement a contraint nos concitoyens à demeurer au sein de leur domicile pendant de longues semaines. Dans certains territoires, on a constaté une utilisation accrue des résidences secondaires. Ces situations ont parfois entraîné l’exacerbation de conflits préexistants.

Au final, ce texte arrive à un moment propice : la période particulière que nous vivons et le développement du télétravail font que la ruralité est regardée avec un intérêt renouvelé. Je pense notamment à certains habitants de territoires urbains, et particulièrement des métropoles.

Dans ce contexte, il me semble important de rappeler un fait : on ne peut, en arrivant dans un lieu, quel qu’il soit, se retourner immédiatement contre un bruit ou une odeur inconnus. Il faut accepter une période d’acclimatation qui peut être plus ou moins longue.

Je salue l’initiative de notre collègue député de la Lozère Pierre Morel-À-L’Huissier, qui a sollicité le président de l’Assemblée nationale pour qu’il saisisse le Conseil d’État. Il en ressort un texte équilibré et juridiquement solide.

Pour la commission de la culture, ce texte permet d’atteindre deux objectifs fondamentaux : il apporte une reconnaissance juridique, et donc un début de protection, aux émissions olfactives et sonores des espaces naturels ; surtout, il doit servir de base à un dialogue constructif entre élus locaux et administrés, qu’ils soient habitants de longue date, nouveaux arrivants ou simplement de passage.

Ce texte prévoit ainsi de confier aux services régionaux de l’inventaire du patrimoine un rôle d’étude et de qualification de l’identité culturelle des territoires, dans toutes les composantes du patrimoine, y compris sensorielles. Après examen, ce nouveau rôle confié à ces services me semble particulièrement important.

Monsieur le secrétaire d’État, je souhaite toutefois attirer votre attention sur le fait que des moyens financiers et humains seront nécessaires pour mener à bien ces nouveaux travaux.

Le Gouvernement a accepté de lever le gage lors de l’examen du texte à l’Assemblée nationale. Je l’en remercie et j’espère que le soutien financier de l’État sera à la hauteur de l’ambition affichée pour l’élaboration de ce nouvel inventaire.

Je conclurai cette présentation en citant Frédéric Mistral : « Chaque année, le rossignol revêt des plumes neuves, mais il garde la même chanson. » Les territoires ruraux sont à l’image de ce rossignol : au fil des saisons et des années, ils évoluent, construisent leurs avenirs, mais leurs caractéristiques propres demeurent.

Pour Maurice et Marcel, les coqs, pour Victoire et Pétunia, vaches alpines porteuses de clarines trop bruyantes, mais surtout pour l’ensemble des élus des territoires ruraux qui s’investissent chaque jour pour faire vivre et défendre la ruralité, la commission de la culture vous propose d’adopter conforme ce texte équilibré et porteur d’outils de dialogue. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle qu’il ne reste que vingt-six minutes pour terminer l’examen de ce texte et que le total des temps de parole impartis s’élève à quarante-cinq minutes. J’appelle donc chacun à la concision.

La parole est à Mme Monique de Marco.

Mme Monique de Marco. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi vise à reconnaître, dans le code de l’environnement, que les sons et les odeurs caractéristiques de la vie rurale constituent un patrimoine sensoriel, immatériel, qui mérite d’être inventorié, étudié et protégé.

Elle vise aussi, indirectement, à lutter contre les recours en justice abusifs menés par des vacanciers ou des néoruraux qui auraient une vision en technicolor de la campagne, des villages et de la nature, à savoir une image photographique, inodore et silencieuse.

Dans ces conflits de voisinage, c’est aussi un conflit de territoires qui se joue, avec des frontières de plus en plus floues entre le périurbain et la campagne. Élue de Gironde, je constate chaque année que nos zones rurales de la métropole bordelaise, et bien d’autres, sont menacées par l’artificialisation des sols.

Les zones commerciales, lotissements et autres entrepôts fleurissent ici et là dans des zones agricoles déclassées et l’étalement urbain occasionne de nouveaux troubles de voisinage.

L’auteur de ce texte propose une reconnaissance essentiellement symbolique des sons et odeurs de la campagne, mais aussi un travail pour mieux connaître le traitement juridique des conflits de voisinage et apprécier la spécificité des territoires ruraux. Il nous semble un peu incongru de passer par la voie législative pour traiter ce sujet, d’autant plus que la portée juridique de cette proposition de loi est restreinte.

Je terminerai par une réflexion plus large pour éviter de rester sur une vision idéalisée de la campagne. Les activités agricoles, rurales, sont en constante évolution. Ce patrimoine sensoriel que nous souhaitons préserver aujourd’hui a été mis à mal par des décennies d’intensification des pratiques agricoles : depuis les déserts de la monoculture, aux ravages des algues vertes sur le littoral, de la disparition des haies aux élevages intensifs et aux projets de fermes-usines, dont les émanations ne sont certainement pas à préserver, sans oublier les épandages de pesticides, qui n’ont presque pas d’odeur, mais qui réduisent des millions d’oiseaux et d’insectes au silence. (M. François Bonhomme sexclame.)

Toutefois, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires est favorable à ce texte qui constitue un effort louable et une première étape pour favoriser le vivre-ensemble. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi quau banc des commissions.)

M. le président. La parole est à Mme Nadège Havet.

Mme Nadège Havet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, « C’était le clocher de Saint-Hilaire qui donnait à toutes les occupations, à toutes les heures, à tous les points de vue de la ville, leur figure, leur couronnement, leur consécration. »

Cette phrase de Marcel Proust est emblématique de l’atmosphère qui règne dans À la recherche du temps perdu, chef-d’œuvre de notre littérature qui regorge de clochers, de bruits et d’effluves de la campagne, notamment ceux des célèbres aubépines.

M. François Bonhomme. Très bonne référence !

Mme Nadège Havet. L’œuvre de Proust nous montre combien l’identité de nos territoires se construit bien souvent par les sons et les odeurs qu’ils produisent. Ces sons et ces odeurs constituent en quelque sorte le premier contact, le contact le plus immédiat, que nous offre le monde rural. De ce fait, l’attachement que nous portons à nos territoires est immanquablement lié à ces bruits et odeurs.

Cependant, vous le savez, ces sons et ces odeurs sont aussi le produit de l’activité économique des territoires. L’image d’Épinal de la campagne – je le regrette – conduit parfois à l’opposer catégoriquement à la ville en l’imaginant silencieuse et endormie, alors que le monde rural est évidemment dynamique et qu’il comporte, faut-il le rappeler, une part importante d’activités productives agricoles, artisanales et industrielles. Ces sons et ces odeurs qui nous occupent aujourd’hui en sont une manifestation parmi tant d’autres.

Je retiens par ailleurs de cette proposition de loi qu’elle ambitionne de consolider le vivre-ensemble, la cohésion, l’unité de nos territoires, qui sont parfois mis à mal par ces litiges entre néoruraux et ruraux. De tels litiges placent d’ailleurs les élus locaux dans une situation délicate, ces derniers étant fréquemment sollicités par ce type de conflits de voisinage. Cette question du vivre-ensemble revêt un caractère d’autant plus urgent qu’elle advient au moment où il est partout fragilisé.

Pour toutes ces raisons, on ne peut que saluer cette initiative consistant à consacrer au rang de composantes du patrimoine commun de la Nation les sons et les odeurs de notre environnement, et à les inventorier.

Notre groupe votera pour cette proposition de loi. (Applaudissements au banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. Christian Bilhac.

M. Christian Bilhac. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, « Attendu que la poule est un animal anodin et stupide, au point que nul n’est encore parvenu à le dresser, pas même un cirque chinois ; que son voisinage comporte beaucoup de silence, quelques tendres gloussements, et des caquètements qui vont du joyeux (ponte d’un œuf) au serein (dégustation d’un ver de terre) en passant par l’affolé (vue d’un renard) ; que ce paisible voisinage n’a jamais incommodé que ceux qui, pour d’autres motifs, nourrissent du courroux à l’égard des propriétaires de ces gallinacés ; que la Cour ne jugera pas que le bateau importune le marin, la farine le boulanger, le violon le chef d’orchestre, et la poule un habitant du lieu-dit La Rochette, village de Sallèdes (402 âmes) dans le département du Puy-de-Dôme ; par ces motifs, statuant publiquement et contradictoirement, infirme le jugement ; déboute le sieur Rougier de son action et le condamne aux dépens… »

Ce sont les termes exacts de l’arrêt de la cour d’appel de Riom en date du 7 septembre 1995 portant sur un conflit de voisinage au sujet d’un poulailler. Par cet arrêt, le juge reconnaît qu’il convient d’accepter, en habitant à la campagne, les avantages et les inconvénients que cela comporte.

Depuis, nous avons connu l’affaire de feu le coq Maurice, désormais célèbre, trépassé en mai dernier sur l’île d’Oléron, celle des canards landais,…

M. François Bonhomme. Et les cigales !

M. Christian Bilhac. … mais également des affaires de vaches, un peu partout sur le territoire, à cause du bruit de leurs cloches ou de l’odeur de l’étable, sans oublier l’âne, les tracteurs, les cigales, les grenouilles, et j’en oublie certainement.

En ma qualité de maire, j’ai moi-même été convoqué au tribunal à la suite de la plainte d’un nouvel habitant incommodé par la sonnerie de l’horloge de Péret. Chaque maire rural de notre pays pourrait enrichir notre débat d’une ou plusieurs anecdotes.

Aujourd’hui, le monde rural n’est plus exclusivement un monde agricole, avec ses coutumes et son rythme de vie partagés par tous. Le prolongement de la ville hors de la ville a profondément modifié la structure sociétale de la ruralité.

Ces nouveaux habitants sont une véritable chance pour le monde rural ; ils permettent en effet de maintenir la vie dans les campagnes et d’y conserver l’école, le bistrot ou l’épicerie.

En même temps, des difficultés sont apparues, qui se traduisent par une judiciarisation croissante. Ce phénomène provient de la méconnaissance de la ruralité, souvent perçue de manière idéalisée, car elle est de plus en plus associée à un lieu de vacances, et non pas seulement à un lieu de vie et de résidence.

Un autre aspect, qui n’est pas abordé dans le texte – j’en dis un mot malgré tout –, concerne les conflits liés à la propriété foncière et à l’utilisation des sols. De plus en plus, on entend que la nature est à tout le monde et qu’elle doit être partagée. Si un droit universel d’accès à la nature existe dans les pays nordiques, tel n’est pas le cas en France : la majorité de nos campagnes appartient à une multitude de propriétaires privés.

Ces propriétaires terriens ont de tout temps accepté que les promeneurs, les randonneurs et les cueilleurs de champignons parcourent leurs terres, mais ils ne comprennent pas, aujourd’hui, que soit remis en cause leur droit de propriété ou de chasse. Il convient de rappeler que le droit de propriété est un droit imprescriptible figurant à l’article XVII de la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen.

Certes, notre société a évolué et doit évoluer ; mais, dans ce domaine comme dans d’autres, le dialogue laisse trop souvent la place aux invectives ou aux actions en justice. Partout, à la ville comme à la campagne, la tolérance et la compréhension mutuelle disparaissent.

Considérant que cette proposition de loi contribuera à pallier ces difficultés en clarifiant les responsabilités de chacun et en reconnaissant le patrimoine sensoriel de nos territoires dans toutes ses facettes, le groupe du RDSE votera en faveur de son adoption. (M. Jean-Claude Requier applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin.

Mme Céline Brulin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce texte vise à répondre à une interpellation récurrente des élus locaux, liée à la gêne ressentie par certains de nos concitoyens à l’égard ici d’un coq un peu trop enjoué, là de grenouilles qui coassent à des heures indues – ou pas, du reste –, et aux conflits qui peuvent en découler et qui empoisonnent parfois la vie des maires, en particulier, qui ont bien d’autres choses et d’autres crises à gérer en ce moment – nous en avons tous bien conscience…

Nous voterons donc évidemment ce texte.

Attention cependant à l’article 1er bis, qui renforce les missions des services régionaux de l’inventaire général du patrimoine culturel, lesquels peinent pourtant à remplir celles qui leur sont d’ores et déjà assignées. Depuis que cette compétence a été confiée aux régions, en 2005, ces services n’ont en effet toujours pas pu réaliser l’ensemble de l’inventaire du patrimoine ; leur confier de nouvelles missions sans nouveaux moyens pourrait évidemment leur compliquer la tâche.

Nous saluons l’article 1er ter : le rapport demandé permettra sans doute de mieux identifier ce qui relève ou non du trouble de voisinage, afin de faire évoluer la législation et, là encore, d’apporter des réponses concrètes aux élus locaux.

Reste que – chacun ici en a conscience – cette proposition de loi n’épuise malheureusement pas de nombreux sujets sous-jacents : la tendance de nos concitoyens, par exemple, à concevoir leur habitat, désormais, comme un lieu qui doit être hermétiquement isolé du reste du monde, ce qui dit quelque chose de notre société ; la judiciarisation croissante du règlement des conflits – ce n’est pas toujours ainsi, pourtant, qu’on peut les apaiser, au contraire ; une conception idéalisée, voire erronée, de la nature ou de la vie en milieu rural – il en a été question : la campagne conçue en quelque sorte comme un milieu sous cloche, dépourvu de toute activité humaine, ce qu’elle n’est évidemment pas.

Sans doute nous faut-il réfléchir aussi au fait que, compte tenu de l’évolution du prix du foncier, la vie dans les grandes agglomérations, au cœur des métropoles, est aujourd’hui inabordable pour beaucoup de nos concitoyens, qui se retrouvent dans des zones périurbaines ou rurales sans l’avoir nécessairement choisi ; ce qui devait ressembler à une forme d’ascenseur social se traduit parfois, finalement, par un sentiment de déclassement et d’abandon, avec son cortège de ressentiments.

Ces sujets ne sont pas épuisés ; ils nous invitent au travail pour défendre les services publics sur l’ensemble de nos territoires – aucun d’entre eux ne saurait être abandonné.

Je conclus en notant que vivre à la campagne, dans la ruralité, est aussi source d’épanouissement ; certains l’ont découvert à la faveur du confinement. De ce point de vue, il ne faut sans doute pas donner plus d’importance que cela à des phénomènes dont la médiatisation est parfois inversement proportionnelle à la réalité de la situation. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et GEST, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre Monier.

Mme Marie-Pierre Monier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, « La cigale s’endort comme meurt un poète, Lasse d’avoir vécu, fière d’avoir chanté ! », écrivait Maurice-Louis Faure, sénateur de la Drôme de 1902 à 1919, ancien ministre radical-socialiste, né et mort dans son département, dans le petit village de Saillans, et dont beaucoup ignorent certainement, dans cet hémicycle, qu’il était aussi poète.

Si le chant de la cigale inspire de si beaux vers, c’est qu’il est partie intégrante de l’essence du Sud ; j’éprouve pour ma part un plaisir tout particulier à l’entendre résonner dans mon département de la Drôme.

Cette beauté n’est pourtant pas perceptible par tous ; en témoigne la fameuse « affaire des cigales » qui a éclaté dans le Var en 2018, s’inscrivant dans la droite ligne des complaintes dénonçant, entre autres, le chant du coq.

Si de tels conflits ne parviennent pas tous jusqu’au tribunal, ils rencontrent souvent une forte résonance dans les médias locaux et nationaux, symptomatique de l’intérêt que porte l’opinion publique à ce sujet.

Il nous faut prendre garde au clivage qui semble ainsi se dessiner, opposant habitants de longue date des territoires ruraux et nouveaux arrivants. Ce clivage traduit selon moi l’individualisation de notre société, où de plus en plus de personnes sont réticentes à faire l’effort de compréhension mutuelle et d’ouverture nécessaire au vivre-ensemble.

La notion d’une « vie en îlots », employée par Danielle Even au cours de nos auditions, me semble à ce titre très juste. Christian Hugonnet, ingénieur acoustique, souligne quant à lui que, en matière de bruit, les décibels ne font pas tout : il faut un certain temps pour s’habituer à un nouvel environnement sonore ; c’est ce temps que certains ne sont pas prêts à prendre, d’autant qu’ils arrivent souvent forts d’une vision erronée de la ruralité, fantasmée comme un havre de calme loin de l’agitation urbaine.

Celles et ceux qui pratiquent au quotidien les territoires ruraux savent pourtant qu’ils bruissent de sons et d’odeurs liés aux activités indispensables à la vie de ces territoires – je pense par exemple aux bruits nocturnes des tracteurs des viticulteurs drômois.

Il est sans nul doute nécessaire de faire preuve de pédagogie pour déconstruire les idées reçues autour de la ruralité et des pratiques agricoles, qu’elles soient négatives ou images d’Épinal, et de faire prendre conscience des réalités de ces territoires et de leurs habitants. C’est un travail de longue haleine, mené principalement aujourd’hui par nos élus ruraux, qui sont en première ligne dans ces conflits de voisinage. Leur médiation suffit souvent à désamorcer ces conflits avant qu’ils ne donnent lieu à des poursuites. Nous nous devons de les assurer de notre soutien plein et entier.

Cette proposition de loi à la portée plus symbolique que pratique ne doit pas être perçue comme un renfermement sur eux-mêmes des territoires ruraux, dont nous connaissons toutes et tous la capacité d’innovation et d’adaptation. En posant les premiers jalons d’une discussion collective sur ce sujet essentiel, elle constitue au contraire une célébration de ce qui fait leur saveur et leur identité et envoie un signal fort de notre part aux élus ruraux.

Pour toutes les raisons que je viens d’invoquer, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et RDSE, ainsi quau banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier.

M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, des territoires et des terroirs : tel est le sujet qui nous occupe aujourd’hui.

Imaginez une matinée d’été : un coq qui chante pour accueillir le soleil, le moteur d’un tracteur gagnant les champs, le clocher d’une église qui sonne l’angélus à sept heures. Vous ne rêvez pas : vous êtes bien en France !

Mais, contre toute attente, et face à l’agression boboïste, nous devons légiférer sur ces évidences pour écrire dans la loi qu’il est normal qu’un coq chante à la campagne, qu’une vache porte une cloche à la montagne, que des grenouilles coassent au bord de leur étang.

Aurait-on pu imaginer le père de Marcel Pagnol, néorural, professeur et fonctionnaire, porter plainte, dans la Provence de son époque, à cause du chant des cigales dans la garrigue et du son des cloches des églises ? C’est pourtant, aujourd’hui, la triste réalité : les mêmes qui supportent le bruit infernal du périphérique et des autoroutes et qui s’abrutissent dans les centres commerciaux exigent le silence absolu dans les campagnes !

Mme Cécile Cukierman. C’est parce qu’ils ne le supportent pas qu’ils déménagent…

M. Stéphane Ravier. Les attaques en justice se sont multipliées ces dernières années à l’encontre de tout ce qui fait l’âme de nos territoires ruraux.

Les touristes, vacanciers et néoruraux ont multiplié les plaintes à l’encontre de bruits et d’odeurs inhérents à la vie rurale et présents depuis toujours. Des bruits et des odeurs, mes chers collègues ? Non : des chants et des saveurs !

Il s’agit donc de protéger nos racines, notre culture, au sens premier de terroir, et au sens plus large de civilisation.

Cette nouvelle proposition de loi prévoit de protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises ; il faut évidemment reconnaître qu’il existe un héritage rural qui, au-delà de simples sons et senteurs, incarne un mode de vie ancestral.

Ceux qui quittent les villes doivent accepter que la campagne ne soit pas une nature aseptisée, normalisée ; là aussi il s’agit d’assimilation. L’assimilation, en définitive, c’est le respect de la terre qui accueille et l’adoption inconditionnelle de ses traditions.

Mais l’objectif de ce texte est aussi de défendre nos paysans : ceux qui nous nourrissent chaque jour, malgré la rudesse de leur métier, doivent être au centre de nos préoccupations. Cette problématique est beaucoup plus large que celle de cette simple proposition de loi.

La réalité démographique nous le montre dans toutes nos régions : le choc social entre deux mondes aux cultures différentes bascule dans l’agressivité. Les paysans et autres ruraux vont se retrouver de plus en plus menacés par les zones périurbaines qui repoussent les limites des villes.

En quarante ans, plus de deux millions d’hectares de surfaces agricoles ont disparu au profit de l’artificialisation des sols. En parallèle, notre agriculture continue de sombrer dans une grave crise : de toutes les catégories sociales, c’est celle des exploitants agricoles qui connaît la mortalité par suicide la plus élevée.

Nous devons veiller à défendre la paysannerie française. « Labourage et pâturage sont les deux mamelles de la France » disait Sully ; la campagne, la culture et l’élevage font partie de notre ADN.

Les personnes qui n’acceptent pas d’entendre une moissonneuse travailler la nuit sont aujourd’hui la tristesse de notre pays et les fossoyeurs de notre identité.

Mes chers collègues, il nous appartient d’incarner la défense de notre patrimoine matériel et immatériel rural, de nos terroirs, du mode de vie paysan, de nos coutumes, car ils sont la cellule souche de notre pays. « Pas de pays sans paysans » ! Dois-je le rappeler ? Face à l’offensive de bobos « quinoaïsés », cela devient manifestement urgent !

M. François Bonhomme. Jolie formule…

M. le président. La parole est à M. Olivier Paccaud.

M. Olivier Paccaud. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il est des lois subtilement utiles ou utilement subtiles. C’est le cas de ce texte, ni anecdotique, ni folklorique, mais symbolique : symbolique du sens que nous souhaitons donner à ce fameux vivre-ensemble, symbolique de l’attention que nous souhaitons porter à la ruralité, cette ruralité souvent oubliée, méprisée, que certains voudraient voir transformée en musée.

Il y a là 15 millions de Français et 28 000 communes qui n’incarnent pas que le passé et veulent avoir un avenir. Dans ces campagnes résonnent des moteurs de tracteurs, mais aussi certains bruits immémoriaux et souvent animaux ; quelques effluves peu raffinés y viennent parfois perturber des odorats délicats.

C’est ainsi que, régulièrement, des néoruraux, ou des touristes mal embouchés, viennent user de leurs droits devant les tribunaux ou faire le siège d’une mairie pour dénoncer des troubles anormaux de voisinage. Entre quelques grenouilles indisciplinées, des coqs ténors, des cloches trop matinales et des cigales craquetant trop fort, les exemples de plaintes et démarches ubuesques, mais bien réelles, ne sont pas si rares.

Cependant, au-delà de la loi, c’est une vision de notre société, une philosophie de notre vivre-ensemble qui sont en jeu.

Que veut-on donc ? Une ruralité de carte postale, sans saveurs ni odeurs, une ruralité policée, où le coq sait se tenir, où l’âne a perdu sa voix, où les cloches sont de marbre et muettes, où le claquement des sabots sur le bitume s’est évanoui, où la transhumance ne carillonne pas et n’inonde plus les routes d’écumes de toisons ?

Que veut-on donc ? Une société où l’individualisme exacerbé et l’isolationnisme aveugle triomphent, où l’on ne vit plus ensemble, mais côte à côte, hermétiquement séparés, où les relations sociales se judiciarisent toujours plus, où l’on veut faire tabula rasa de nos héritages millénaires, naturels et civilisationnels, au nom d’une modernité égoïste et intolérante ?

Le patrimoine, c’est ce que nous ont légué, transmis, offert, nos pères. C’est une part profonde, ancestrale, authentique, de notre identité. Ce patrimoine est naturel, minéral, monumental, peut-être aussi sensoriel – Proust et sa madeleine nous l’ont appris. Souhaitons-nous donc devenir des mannequins robotisés, déracinés, calfeutrés dans un environnement aseptisé de science-fiction ?

Comme la campagne, l’État de droit a ses charmes et ses méfaits. Probablement est-il regrettable de devoir passer par la loi pour protéger notre patrimoine sensoriel, mais c’est ainsi. Et si nous parachevons le travail commencé par l’Assemblée nationale, les grincheux verront désormais leur accès aux tribunaux limité, et nos maires y gagneront un bouclier de sagesse et de tranquillité.

Les membres du groupe Les Républicains voteront donc ce texte conforme, sans se boucher ni le nez ni les oreilles ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Michel Canevet applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret.

M. Claude Malhuret. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi destinée à protéger le patrimoine sensoriel de nos campagnes pourrait paraître surprenante. Elle s’inscrit pourtant dans le contexte de la judiciarisation croissante de nos sociétés, interrogeant l’identité de nos territoires et notre capacité à user de bon sens lorsqu’il s’agit de régler des différends.

Si les querelles de voisinage ont toujours existé, la médiatisation de certaines affaires a placé sur le devant de la scène ces marqueurs patrimoniaux que sont les bruits et les odeurs caractéristiques du monde rural.

Il s’agissait initialement d’inscrire la notion de « patrimoine sensoriel » au sein du code du patrimoine. L’auteur de la proposition de loi a eu la sagesse de soumettre son texte au Conseil d’État ; sur la base de ses recommandations, la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale a choisi de restreindre le périmètre du texte aux seuls aspects sonores et olfactifs. Les marqueurs en seront sélectionnés par une commission départementale selon qu’ils présentent ou non un intérêt suffisant pour rendre désirable leur préservation.

Aussi chant des cigales, danse des abeilles et bêlements de moutons pourraient-ils prochainement entrer dans le périmètre de protection du code de l’environnement.

Il ne s’agit pas d’opposer les agriculteurs aux néoruraux et aux touristes, mais de concilier l’ensemble des acteurs du monde rural afin de permettre le vivre-ensemble en bonne intelligence. L’intégration des nouveaux arrivants et des vacanciers aux activités d’un village est un facteur essentiel d’attractivité, et les difficultés d’adaptation à la vie locale constituent, avec les difficultés d’intégration sociale, le principal facteur d’échec de telles installations.

Or deux millions de citadins quittent chaque année les villes pour s’installer à la campagne. Ce nouvel exode urbain est un fait de société, appelé à s’accentuer. Saluons l’intérêt de nos concitoyens pour les ruralités ; mais quitter le brouhaha des grandes agglomérations n’est pas synonyme de calme absolu. La campagne a son propre rythme de vie, du son des carillons des églises au chant du coq en passant par les épandages d’engrais ou de fumier d’animaux.

Les risques de tensions entre nouveaux arrivants et agriculteurs figurent parmi les premières craintes des élus locaux soulevées par ces installations, même si les litiges ont trait avant tout à des problèmes plus structurants tels que la dépendance à la voiture, l’usage des sols ou la qualité de l’eau.

Dans un contexte où le recours au télétravail s’intensifie, les installations dans les campagnes sont un levier important de dynamisme territorial et contribuent au rééquilibrage de nos territoires ; il est essentiel de ne pas décourager les vocations tout en respectant l’identité et la culture du monde rural.

Le groupe Les Indépendants rejoint donc la commission de la culture dans ses conclusions et soutient cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi quau banc des commissions.)

M. le président. Le temps imparti à l’examen des textes inscrits à l’ordre du jour réservé au groupe UC est près d’être écoulé ; nous pourrions néanmoins mener à bien la discussion de cette proposition de loi si les deux derniers orateurs inscrits acceptaient de renoncer à leur temps de parole.

Madame de La Provôté, monsieur Darnaud, acceptez-vous de renoncer à vos temps de parole respectifs ?

(Mme Sonia de La Provôté et M. Mathieu Darnaud répondent positivement à cette demande.)

Contribution du groupe Union Centriste à la discussion générale

Discours de Mme Sonia de La Provôté :

[Entre « cocorico », « ding dong » et autres croassements, je vous avoue n’avoir jamais imaginé commencer ainsi une intervention à la tribune.

Mais c’est bien de cela qu’il est question : les bruits, les odeurs de la campagne, qui nous sont si familiers, mais que certains n’apprécient plus guère.

Si la première réaction peut être de rire à l’évocation du sujet qui nous occupe aujourd’hui, derrière la gaudriole clochemerlesque, pour reprendre le mot si juste de notre rapporteur, et l’évocation bucolique et nostalgique du terroir glorifié par Pagnol et Colette, derrière les faits divers, le sort funeste du coq Marcel et les déboires judiciaires du coq Maurice, derrière tout cela se cache quelque chose de très profond.

Notre sujet est non pas la cloche du village ni les odeurs et bruits de basse-cour, mais un glissement culturel : se plaindre des nuisances sonores et olfactives de la campagne, c’est la refuser telle qu’elle est et a toujours été, et se conformer à la représentation irréelle de paysages silencieux, qui n’existent qu’en cartes postales.

C’est aussi considérer que l’activité agricole est une nuisance, alors qu’elle est indissociable des territoires ruraux, et que sa fonction, ses produits sont indispensables à tous.

Le phénomène est à la croisée de deux évolutions majeures.

La première, d’ordre psychosocial, est l’hygiénisation du monde – un mouvement ancien, accéléré ces dernières années.

L’autre évolution, beaucoup plus récente, est l’exode urbain : c’est le retour des citadins à la campagne et la « boboïsation » des champs, pour employer un terme certes plus connoté, mais aussi plus parlant.

Ces deux évolutions se traduisent dans les campagnes par une efflorescence des troubles du voisinage, des plaintes et des actions en justice. Ces conflits sont tout autant liés à la nature qu’à l’activité humaine agricole, et ils mobilisent de plus en plus les élus locaux, dont on sait qu’ils ont, par ailleurs, bien d’autres choses à faire…

En cette période d’urgence sanitaire, ce constat devrait tout particulièrement nous interpeller, car la pandémie ne peut qu’exacerber ce phénomène.

On commence déjà à se rendre compte, d’ailleurs, que l’expérience des confinements est en train de donner une vigueur sans précédent à l’exode urbain. Les citadins sont massivement en train de se mettre au vert ; preuve en sont les nombreuses transactions immobilières intervenues dans les communes rurales durant l’été 2020.

Fallait-il pour autant légiférer sur le chant du coq ou le son de la cloche ? Dans une époque de surproduction législative, la question est légitime, car on peut être tenté de répondre de prime abord par la négative, en raisonnant par l’absurde : s’il faut aujourd’hui protéger l’identité sonore et olfactive des campagnes, pourquoi ne protègerait-on pas l’identité sonore et olfactive des villes ?

Pourquoi ne pas inscrire les sirènes des ambulances ou le vrombissement des moteurs, si cruellement menacés par les véhicules électriques, à l’inventaire du patrimoine ?

Poser la question, c’est déjà y répondre, et donc trouver la raison d’être du présent texte : personne ne regrettera l’odeur des pots d’échappement, mais on ne peut pas en dire autant de la cymbalisation de la cigale.

Tout son n’est pas bruit, et tout bruit n’est pas nuisance.

Comme l’a très bien expliqué notre rapporteur, Pierre-Antoine Levi, dont je salue par ailleurs la qualité du travail, si ce texte est utile, c’est en tant que base de reconnaissance et de légitimation des sons et odeurs de la campagne. Ces sons et odeurs sont liés à la vie et à l’économie rurales ; ils en sont indissociables. Une base pour apaiser les esprits, donc ; cette base, surtout, aidera les élus locaux à accomplir leur nouvelle fonction de médiateurs sonores et olfactifs.

À titre personnel, je vois au présent texte un autre intérêt : il entre singulièrement en résonance avec le combat que nous menons ici pour le patrimoine non classé des communes rurales, le patrimoine vernaculaire ou le patrimoine des savoir-faire et des traditions.

Il contribue à éclairer d’un jour nouveau ce que nous devons considérer comme patrimonial.

En effet, le patrimoine, ce ne sont pas exclusivement des cathédrales et des tableaux. Le patrimoine, cela peut être des sons et des odeurs. C’est aussi une ambiance, un environnement, un ensemble qui doit vivre.

Le patrimoine matériel et immatériel appartient à la mémoire collective ; en lui se laisse identifier ce que l’on ne saurait perdre de notre histoire, en particulier celle du quotidien. Ce qui fait patrimoine, ici, c’est bien ce que l’on veut préserver ; c’est l’âme et la vie de nos territoires.

Cette proposition de loi offre un regard objectif et pragmatique et des outils utiles pour réconcilier, dans nos communes rurales, la vie des campagnes avec les aspirations des villes et celles du monde qui évolue ; le groupe Union Centriste y est favorable.]

Contribution du groupe Les Républicains à la discussion générale

Discours de M. Mathieu Darnaud :

[Élu du département rural de l’Ardèche, je puis témoigner de la préoccupation grandissante à l’égard du sujet dont nous débattons en cette heure. Les élus comme les habitants pressentent en effet que derrière ces picrocholines querelles de riverains, qui peuvent prêter à sourire, c’est la remise en cause de la société rurale qui se profile.

Je tiens donc d’abord à adresser mes félicitations à notre rapporteur et à ses collègues de la commission de la culture pour leurs travaux, et je salue leur choix en faveur d’une adoption conforme du texte transmis par l’Assemblée nationale.

Cette adoption permettra à l’excellente proposition de loi déposée par Pierre Morel-À-L’Huissier d’être promptement exécutoire, avec le soutien enthousiaste des sénateurs du groupe Les Républicains.

Les procédures assez baroques engagées contre des cloches, des cigales, des tracteurs, voire des coqs, comme à Vinzieux en Ardèche ou à Oléron, illustrent la montée d’un déni : celui de la nature même de ce qu’on appelle la campagne.

Pour les requérants qui font le siège de nos élus locaux, celle-ci devrait n’être, au fond, qu’un jardin fantasmé, exempt de toute activité susceptible de perturber la tranquillité de leur cocon.

Or la ruralité n’est pas un décor champêtre figé dans le silence d’une aquarelle. C’est un monde qui respire, qui s’active, qui produit et qui nourrit.

S’y installer, c’est choisir de goûter une meilleure qualité de vie, partager un autre rythme ; c’est s’épanouir dans un monde qui possède son harmonie propre, mais qui se veut éloigné autant de la frénésie des villes que du mutisme des villages fantômes.

Je sais que d’aucuns considèrent que l’inscription dans la loi de son patrimoine sensoriel et de sa protection font courir le risque de muséifier le monde rural.

Mais je pense le contraire : si ce texte est bienvenu, c’est justement parce que nous ne voulons pas dévitaliser nos campagnes et les voir se transformer, par la force des pétitionnaires ou celle des tribunaux, en aires de repos végétalisées sans odeur ni saveur, sans âme ni clameur.

Jusqu’à présent, la justice a certes plutôt donné tort aux plaignants scandalisés par l’outrecuidante présence d’un coq dans une basse-cour ou par le voisinage extravagant d’un troupeau de vaches dans un pré.

Mais, à l’heure de la judiciarisation d’une société au sein de laquelle chacun est fondé à s’estimer victime ou incommodé, il me semble nécessaire d’agir dès maintenant pour désamorcer les pressions qui, demain, pourraient rendre la vie impossible à nos élus.

Oui, l’ambiance de nos campagnes constitue bien un patrimoine.

Si la géographie dessine le visage de la France, c’est leur patrimoine sensoriel qui donne leur caractère à ces « patries charnelles » chères à Charles Péguy.

Songeons aux difficultés que nous éprouvons quand il s’agit de sauvegarder un paysage ou un édifice, dont l’existence se manifeste pourtant sous nos yeux.

Notre richesse immatérielle ne jouissant pas d’une telle visibilité, il appartient au législateur de lui accorder un soutien particulier. Car ce patrimoine sensoriel constitue, à l’instar de notre gastronomie ou de nos langues régionales, un legs civilisationnel. Et c’est à nous autres, humbles dépositaires, qu’il incombe de le transmettre aux générations futures.

Mes chers collègues, puisqu’en 2021 cela est devenu nécessaire, n’hésitons pas à affirmer que le chant d’un coq dans une basse-cour n’est pas une nuisance, sauf à considérer que la vie sur terre en est une ; que la cloche d’une église qui sonne les heures n’est pas un tapage ; qu’elle est au contraire l’expression d’un patrimoine vivant, qui ne se réduit pas à la contemplation du passé, mais scande au contraire le présent !

J’en terminerai par cette question initiale, celle du bruit.

Au printemps dernier, passé les premières semaines du confinement, au cours desquelles les citadins ont savouré le silence des grandes avenues, les mêmes ont découvert que leurs villes, privées du suc de leurs terrasses et de leurs concerts, n’avaient plus que l’écorce des cités-dortoirs.

Il en est de même de nos terroirs. Si l’on venait à les dépouiller de leurs vibrations et de leurs senteurs, leur caractère s’estomperait pour laisser place au plus mortifère des silences : celui du désert français.]

M. le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi visant à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises
Article 1er bis

Article 1er

(Non modifié)

À la première phrase du premier alinéa du I de l’article L. 110-1 du code de l’environnement, après le mot : « marins, », sont insérés les mots : « les sons et odeurs qui les caractérisent, ».

M. le président. Je mets aux voix l’article 1er.

(Larticle 1er est adopté.)

Article 1er
Dossier législatif : proposition de loi visant à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises
Article 1er ter

Article 1er bis

(Non modifié)

I. – Les services régionaux de l’inventaire général du patrimoine culturel, par leurs missions de recherche et d’expertise au service des collectivités locales, de l’État et des particuliers, contribuent, dans toutes les composantes du patrimoine, à étudier et qualifier l’identité culturelle des territoires.

II. – Dans les territoires ruraux, les inventaires menés contribuent à connaître et faire connaître la richesse des patrimoines immobilier et mobilier conservés, leur relation avec le paysage et, dans leur diversité d’expressions et d’usages, les activités, pratiques et savoir-faire agricoles associés.

III. – Les données documentaires ainsi constituées à des fins de connaissance, de valorisation et d’aménagement du territoire enrichissent la connaissance du patrimoine culturel en général et sont susceptibles de concourir à l’élaboration des documents d’urbanisme. – (Adopté.)

Article 1er bis
Dossier législatif : proposition de loi visant à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises
Article 2

Article 1er ter

(Non modifié)

Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport examinant la possibilité d’introduire dans le code civil le principe de la responsabilité de celui qui cause à autrui un trouble anormal de voisinage. Il étudie les critères d’appréciation du caractère anormal de ce trouble, notamment la possibilité de tenir compte de l’environnement. – (Adopté.)

Article 1er ter
Dossier législatif : proposition de loi visant à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article 2

(Suppression maintenue)

Vote sur l’ensemble

Article 2
Dossier législatif : proposition de loi visant à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’ensemble de la proposition de loi visant à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises.

(La proposition de loi est adoptée définitivement.) – (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Pierre-Antoine Levi, rapporteur. Mes chers collègues, je voudrais vous remercier d’avoir écourté vos interventions afin que nous puissions voter cette proposition de loi. Je suis navré pour mes deux collègues, Sonia de La Provôté et Mathieu Darnaud, qui ont accepté de renoncer à intervenir à la tribune. Le pari n’était pas gagné, mais nous avons réussi à voter ces deux propositions de loi. Merci, monsieur le secrétaire d’État, d’avoir vous aussi sabordé votre intervention ; mais vous repartez avec un texte voté conforme ! (Applaudissements.)

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises
 

10

Mises au point au sujet d’un vote

M. le président. La parole est à Mme Nadège Havet

Mme Nadège Havet. Monsieur le président, lors du scrutin public n° 57 sur l’ensemble de la proposition de loi visant à protéger les jeunes mineurs des crimes sexuels, MM. Alain Richard et Martin Lévrier, Mme Marie Evrard et M. Thani Mohamed Soilihi souhaitaient s’abstenir.

M. le président. Acte vous est donné de ces mises au point, ma chère collègue. Elles seront publiées au Journal officiel et figureront dans l’analyse politique du scrutin.

11

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 26 janvier 2021 :

À quatorze heures trente et le soir :

Projet de loi portant report du renouvellement général des conseils départementaux, des conseils régionaux et des assemblées de Corse, de Guyane et de Martinique (procédure accélérée ; texte de la commission n° 288, 2020-2021) ;

Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, ratifiant l’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs (texte de la commission n° 292, 2020-2021).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à seize heures dix.)

Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,

le Chef de publication

ÉTIENNE BOULENGER