Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Ravier.

M. Stéphane Ravier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a onze mois, le couple Macron se rendait au théâtre pour inciter les Français à sortir de chez eux malgré le coronavirus ; les masques ne servaient à rien, il était inutile d’en porter, ils étaient même trop compliqués à utiliser pour certains. Il suffisait de tousser dans le creux de son coude pour stopper l’épidémie.

Dans cette guerre que vous êtes censés mener contre la covid-19, il ne manque plus que « nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts ! » pour parfaire le sinistre tableau de votre impréparation totale et du grand mensonge qui coûtent aujourd’hui la vie à 74 000 Français.

Voilà dix mois que l’état d’urgence est instauré et, pendant ces dix mois, vous aurez été en retard, en contradiction et dans l’hésitation permanente, sur tous les sujets ! Pendant ce temps, la France compte ses morts.

Le dernier en date, en ce qui me concerne, se prénomme Roland, médecin de 66 ans dans une commune toute proche de Marseille. Roland, c’était mon médecin de famille, et dans « médecin de famille », monsieur le ministre, il y a « famille ». C’est, en quelque sorte, un proche que j’ai perdu.

Votre gestion désastreuse de la crise sanitaire aura privé une femme de son époux, des enfants de leur père et des petits enfants de leur grand-père. Roland, mon docteur, est tombé au champ de votre déshonneur. (Protestations sur les travées des groupes SER et CRCE.) Laissez-moi parler ! Cessez, à gauche, de toujours chercher à m’interrompre !

MM. Arnaud de Belenet et Loïc Hervé. Le centre le souhaite aussi !

M. Stéphane Ravier. En plus des conséquences humaines, la dette explose, nos libertés et notre démocratie sont confisquées.

Cependant, combattre l’épidémie n’est pas incompatible avec la relance de l’activité. Il suffit d’écouter les élus locaux, mais si ce gouvernement et ce président de la République écoutaient les élus, cela se saurait et cela se verrait ! Le déficit budgétaire a doublé en 2020, la France a emprunté 1 milliard d’euros par jour. Cet endettement colossal, ce sont les Français qui devront le rembourser, car l’argent magique n’existe pas.

Notre dette est vertigineuse, elle représente 120 % du PIB et, puisque vous voulez que tout continue, c’est la banqueroute qui nous guette. Avouez que cela serait cocasse, pour un président de la République fraîchement sorti de son bureau de la banque Rothschild. (M. Loïc Hervé marque sa désapprobation.)

Je disais il y a un instant que vous hésitiez sur tout. À cela, une exception : votre acharnement à vous attaquer à nos libertés, à toutes nos libertés, individuelles, économiques, démocratiques. Il nous est interdit de consommer, de travailler, de circuler, de débattre, de voter, de prier et, bientôt peut-être, de parler !

Tous ces coups de force n’empêchent pas l’épidémie de se développer, mais cela ne vous empêche pas non plus de redoubler de violence envers les Français qui ont eu droit à une nouvelle provocation d’Emmanuel Macron, lequel a osé les qualifier de « procureurs ».

Ces Français, qui appliquent scrupuleusement depuis dix mois vos recommandations, qui perdent leurs emplois, leurs entreprises, leurs libertés et qui, pour certains, ont perdu un ou plusieurs proches, sont une fois de plus insultés par celui qui devrait les protéger.

Et aujourd’hui, vous avez la prétention d’obtenir de notre assemblée un prolongement de six mois de l’état d’urgence ! Dans six mois, exigerez-vous six mois de plus ? Même pas en rêve !

Vous incarcérez notre présent et vous hypothéquez notre avenir. Ce sont de libertés dont les Français ont besoin, et non de vos dérives autoritaires. Il est urgent de stopper l’état d’errance de ce gouvernement…

Mme la présidente. Merci, monsieur Ravier.

M. Stéphane Ravier. Vous accorder six mois de plus de pleins pouvoirs ? Pour moi, ce sera non !

Mme la présidente. La parole est à M. Claude Malhuret.

M. Claude Malhuret. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 17 décembre dernier, au moment où la France était, soi-disant, peuplée d’anti-vaccins, je déclarais ici même devant vous : « Ce qu’il faut craindre, ce n’est pas que les gens refusent la vaccination et que les doses restent dans les congélateurs, mais que nous ayons du mal à répondre à la demande. » Face au rouleau compresseur des réseaux sociaux et des médias, qui avaient fait des « antivax » le sujet du moment, cette analyse, hélas, n’a pas convaincu à l’époque.

Voltaire disait qu’il est dangereux d’avoir raison quand le roi a tort ; aujourd’hui, il est inutile d’avoir raison quand Twitter a tort.

Il était pourtant facile de s’apercevoir de l’ineptie des sondages qui ne distinguaient pas entre les anti-vaccins et ceux qui attendaient de mieux connaître un vaccin nouveau ; facile de constater que 2,5 % des Français seulement sont opposés aux vaccinations pour leurs enfants ; facile, enfin, de relever que, alors que l’on avait commandé une fois et demie de plus de vaccins antigrippaux que l’an dernier, en octobre tous les stocks ont été dévalisés en dix jours. Quel journal a-t-il alors titré : « Ruée sur les vaccins » ? Aucun.

Les Français n’étaient pas anti-vaccins, ils attendaient seulement quelques précisions avant de conseiller à leur grand-mère de se faire vacciner. Mais cela ne fait pas le buzz.

Dans notre monde hystérisé, les critiques mutent aussi vite que les virus.

M. Olivier Véran, ministre. C’est vrai !

M. Claude Malhuret. C’est désormais la lenteur de la vaccination qui est dénoncée, souvent par ceux-là mêmes qui déploraient que l’on ne prenne pas assez de précautions pour rassurer les anti-vaccins. C’est tellement agréable de mettre un bâton dans les roues de la charrette pour mieux se plaindre qu’elle n’avance pas !

Après un démarrage laborieux, les lenteurs de la vaccination ont aujourd’hui une cause principale dans tous les pays ou presque : les difficultés de production des laboratoires. Il faut le répéter aux professionnels de l’indignation : personne, ni l’Europe, ni le Gouvernement, ni les élus locaux, ni les soignants, n’en porte la responsabilité. Il faut aussi répéter aux professionnels du pessimisme que ce qui est stupéfiant, ce n’est pas la difficulté des campagnes de vaccination, c’est le miracle de disposer d’un vaccin en moins d’un an.

La critique est nécessaire à la démocratie, mais j’avoue que j’ai du mal à hurler avec les loups et plus encore avec les ânes. (M. le ministre sourit.) Or nous sommes tous des ânes face à ce virus. Nous ne connaissons toujours presque rien de lui et il dément tôt ou tard chaque certitude et chaque annonce.

Un exemple : la France s’est sentie humiliée pendant des mois, en 2020, par les comparaisons avec l’Allemagne. Aujourd’hui, les Allemands ont 1 000 morts par jour et nous 300 ; l’Europe centrale et balkanique, presque épargnée au printemps, est aujourd’hui la plus frappée. Il y a donc, dans l’expansion de l’épidémie, des déterminants qui vont bien au-delà de l’application des mesures de protection et que nous ne comprenons pas.

Nous ne pouvons pas plus prévoir les mutations, non plus que la date et le lieu de leur apparition.

Face à tant de difficultés et d’incertitudes, il semble au médecin que je suis que le premier impératif pour les politiques est de faire face ensemble, ou tout au moins avec un minimum d’unité nationale.

C’est le cas, et je m’en réjouis, quant à la loi qui nous réunit ce jour, qui sera très largement votée avec pour seul désaccord 25 jours dans la durée de la prorogation, un obstacle qui ne devrait pas être insurmontable.

Je m’en réjouis pour deux raisons. Tout d’abord, parce que tout le monde, dans notre assemblée – à une ou deux exceptions près, comme nous venons de le constater – a bien compris que ne pas voter cette prorogation reviendrait à poignarder l’exécutif dans le dos en plein milieu de la bataille ; ensuite, parce que la préoccupation actuelle des Français est ailleurs : comment se protéger du virus, comment affronter la crise économique à venir, comment surmonter les difficultés passées, présentes et futures et la profonde lassitude qui, peu à peu, étreint nos concitoyens ?

Cet accord sur la prorogation ne doit pas signifier que le Parlement soit privé des débats nécessaires avec le Gouvernement, si ce dernier envisageait des modifications substantielles de l’état d’urgence ou si des développements imprévus de l’épidémie intervenaient.

Cette hypothèse n’est en effet pas exclue. Le professeur Lévy, dans Le Journal du dimanche, et le professeur Delfraissy, dans son interview télévisée, ont tous deux délivré un message essentiel : ne croyons pas que, comme dans les contes de fées, le bon vaccin nous délivrera du méchant virus à l’été.

Tous les Français ne seront pas vaccinés à cette date et, lorsque tous le seront, le virus continuera d’être menaçant par ses mutations. Nous vivrons longtemps avec lui.

D’aucuns jugeront ce rappel peu opportun au moment où nous sommes tous fatigués, certains épuisés et d’autres déprimés ou sans ressources. Si je le fais quand même, c’est pour trois raisons. D’abord, parce que c’est la vérité ; ensuite, parce que les extraordinaires progrès scientifiques qui ont produit le vaccin en quelques mois nous donnent la certitude que le combat sera gagné à terme. C’est une immense chance : le sida, quarante ans et 30 millions de morts plus tard, n’a toujours pas de vaccin. Enfin, parce que ce n’est pas en nous apitoyant sur nous-mêmes que nous nous en sortirons, mais en agissant.

« Du sang, de la sueur et des larmes », disait Churchill en 1940. Comparons le sang, la sueur et les larmes que nous avons à verser à ceux qu’ont versés les générations précédentes, dans une épreuve bien pire. Nous découvrirons alors que le seul mot d’ordre aujourd’hui est : montrons-nous à la hauteur ! (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDPI et RDSE, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 24 janvier 2020, la France enregistrait son tout premier cas de covid-19. Un an après, les Français subissent encore les conséquences de l’impréparation manifeste des pouvoirs publics, des tergiversations et des multiples contradictions dans la stratégie d’action et de communication du Gouvernement, au sujet des masques, des tests et des vaccins. N’oublions pas non plus le déplorable manque de moyens dont souffrent l’hôpital public et, plus largement, le service public de la santé.

Parmi les erreurs dans la gestion de la covid-19 figure l’opportunité ratée, à l’été 2020, d’impulser une augmentation structurelle de nouveaux lits de réanimation plutôt que de se contenter de créations temporaires et trop peu nombreuses, comme cela a été le cas.

Les Français se sont alors trouvés à nouveau confinés à la sortie de l’été, face à une deuxième vague à laquelle ils n’étaient pas préparés, alors même que l’on savait qu’elle s’annonçait. Qui, enfin, peut oublier l’imbroglio à répétition des approvisionnements tardifs et insuffisants en masques, en tests PCR, et désormais en vaccins ?

De même, le Gouvernement nous incitait à voter au premier tour des municipales le 15 mars 2020, puis décrétait un confinement national le lendemain. Il autorisait un déconfinement à l’été 2020, pour remettre en place un confinement à l’automne ; reconfinement qui a pris fin au début de l’hiver, pour être remplacé par un couvre-feu. Vous reconnaîtrez que la stratégie est illisible. L’évolution de la maladie y est, certes, aussi pour beaucoup.

Aujourd’hui, monsieur le ministre, vous demandez à cette assemblée de proroger de nouveau l’état d’urgence sanitaire. Il s’agit du quatrième texte en ce sens. Si nous ne pouvons ignorer la persistance de cette épidémie, nous ne pouvons pas non plus nous empêcher de poser la question suivante : combien de temps encore durera cette urgence ? Combien de temps avant que le Gouvernement se procure un nombre suffisant de vaccins, pendant que plus de 300 personnes décèdent par jour de cette maladie ? Si urgence il y a, elle impose de toute évidence d’agir vite, avec efficacité et bon sens. Est-ce bien le cas ?

Nous contestons l’utilité d’un état d’urgence pour lutter efficacement contre la covid-19. Devons-nous rappeler au Gouvernement que nous n’étions pas sous le régime de l’état d’urgence sanitaire lorsque le premier confinement a été décidé, à la mi-mars 2020 ?

Laisser la gestion de la pandémie entre les mains du seul exécutif pendant un temps aussi long n’est, de toute évidence, une disposition ni nécessaire ni proportionnée. Il est, de surcroît, indispensable d’œuvrer avec les élus locaux d’une manière coordonnée.

Si les conditions sanitaires impliquent des mesures fortes, il n’est pas souhaitable, dans un état démocratique comme le nôtre, de priver, en quelque sorte, le Parlement de sa capacité à légiférer et de réduire à peau de chagrin ses possibilités de contrôle.

Nos institutions sont durement et profondément éprouvées par cette succession d’états d’urgence qui menacent désormais les fondements mêmes de notre démocratie. Le risque d’accoutumance aux régimes d’exception est bel et bien réel et a été dénoncé tant par la Défenseur des droits que par le président de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la CNCDH.

Un régime d’exception qui finit par s’ancrer par la pratique dans le droit commun n’est plus un régime d’exception. Pour toutes ces raisons, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires ne pourra que voter contre cette énième prorogation de l’État d’urgence sanitaire. On ne saurait indéfiniment mettre tout un pays sous cloche ni accepter que tout un peuple, déjà en proie aux affres d’une pandémie redoutable, voie ses libertés rognées un peu plus chaque jour. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.

M. Thani Mohamed Soilihi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà presque un an que le monde traverse une crise sanitaire qu’il n’attendait pas et qui met à l’épreuve et en tension les systèmes de santé, les économies, les populations.

Cette crise nous conduit à nous réunir à intervalles réguliers dans cet hémicycle pour autoriser le Gouvernement à prendre des mesures adaptées pour lutter contre l’épidémie. Dans le contexte, cette régularité est paradoxalement une bonne chose, nous nous accorderons sur ce point, monsieur le rapporteur.

Cela a été rappelé : la situation reste préoccupante et pleine d’incertitudes. Je ne serai pas long sur les chiffres, nous pouvons nous accorder sur le constat qui en découle.

Alors qu’il était stable en décembre, le nombre de nouvelles contaminations augmente progressivement depuis le début du mois de janvier. Hier étaient enregistrées 22 000 nouvelles contaminations, et 1 769 nouvelles admissions en réanimation sur une semaine, portant à plus de 3 000 le nombre de patients en réanimation.

Cette situation est incertaine, aussi, au regard de la dynamique épidémique que connaissent certains pays voisins, sous l’effet de variants, laquelle a pu conduire les autorités compétentes à prendre des mesures plus strictes, comme au Royaume-Uni.

Une autre incertitude dans les prochaines semaines tient à l’effet du vaccin sur la transmission du virus, ou encore au nombre de doses qui pourront effectivement être livrées, au regard des capacités des laboratoires et des autorisations de mise sur le marché.

Ces points d’incertitude imposent à mon sens d’évacuer dès à présent toute tentation de corrélation entre la stratégie vaccinale et la position que le législateur doit adopter sur le présent texte.

Sur le fondement de cette situation complexe, le conseil scientifique ainsi que le Conseil d’État ont en tout cas considéré comme justifiées l’ensemble des dispositions suivantes : la prorogation de l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 1er juin 2021, le report de la caducité de son régime juridique au 31 décembre 2021, ainsi que le report de la caducité de la mise en œuvre des systèmes d’information, et même du régime transitoire de sortie de l’état d’urgence.

Ce dernier point m’amène à m’arrêter un instant sur les points qui nous rassemblent.

La commission des lois de l’Assemblée nationale a fait le choix, sur amendement de son rapporteur et de la majorité, de supprimer l’article 3 afin que la clause de revoyure soit fixée au 1er juin 2021, c’est-à-dire à la fin de l’état d’urgence sanitaire prorogé.

Or c’est bien la superposition de la prolongation de ce régime avec celle de l’état d’urgence qui avait cristallisé, sur nos travées, les oppositions à deux précédents textes. Le Gouvernement a consenti à cette suppression ; c’est une position qui doit être saluée, ainsi que vous l’avez d’ailleurs fait, monsieur le rapporteur. Vous n’avez pas modifié, ensuite, le report de la caducité du régime de l’état d’urgence sanitaire au 31 décembre 2021, cela peut également être salué.

Ce report permettra de conférer plus de recul pour construire un cadre pérenne de gestion des crises sanitaires à l’issue de l’épidémie, dont la nécessité a été soulignée à plusieurs reprises dans cet hémicycle.

Alors même que ces points auraient pu constituer des bases solides dans la perspective d’un accord entre les deux chambres, la commission a fait le choix de réduire d’un peu moins d’un mois la prolongation de l’état d’urgence sanitaire, de prévoir l’intervention du législateur pour la prolongation d’un confinement au-delà d’un mois ou encore d’inscrire au sein même de la loi des dispositifs de contrôle qui ne semblent pas relever de ce rang.

La vigilance exprimée à travers ces dispositions ne doit pas faire oublier le cadre strict qui s’applique aux mesures prises sur le fondement du régime de l’état d’urgence sanitaire, comme les prérogatives de contrôle dont dispose le Parlement, ainsi que le contrôle du juge, lequel peut suspendre en référé l’application des mesures prises, dans le cas où celles-ci ne seraient pas adaptées ou proportionnées à l’état de la situation sanitaire.

Les délais proposés dans le texte transmis par l’Assemblée nationale nous paraissaient justifiés pour la gestion d’une crise marquée par la dynamique précédemment évoquée.

Mes chers collègues, le groupe RDPI votera le présent texte en ce qu’il reporte la caducité du régime juridique de l’état d’urgence sanitaire et qu’il consent à sa prorogation. Nous attendons toutefois de la navette qu’elle aboutisse à des dispositions et à des délais permettant une gestion agile et pleinement efficace de la crise. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Maryse Carrère.

Mme Maryse Carrère. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en décembre dernier, l’universitaire, historien et juriste François Saint-Bonnet nous alertait : « Rendons à l’urgence et à l’exception leurs lettres de noblesse. Le meilleur moyen d’y parvenir est de résister à la tentation d’en banaliser l’invocation. » Sa position n’était déjà pas isolée. Ses mots doivent, à mon sens, nous rappeler l’essence même de ces dispositifs extraordinaires qui défilent ces dernières années : faire face à l’urgence, faire face à l’exception.

Il est indéniable que la crise du covid-19 a imposé l’urgence et l’exception. Depuis le mois de mars, le Sénat a soutenu, pour l’essentiel, les mesures gouvernementales.

La question se pose une fois de plus aujourd’hui et, naturellement, le groupe RDSE ne fuira pas ses responsabilités. Nous ne remettons pas en cause la nécessité de maintenir des mesures sanitaires contraignantes. Cependant, nous croyons qu’il est possible de discuter de la manière dont les décisions sont prises et de rendre au Parlement sa place et sa légitimité.

Voilà bientôt un an que nous sommes entrés dans cette crise historique ; presque une année entière que nous vivons sous l’étiquette de l’urgence et de l’exception, après presque deux années – entre 2015 et 2017 – sous l’empire de l’état d’urgence à la suite de menaces terroristes. Force est d’observer une forme de lassitude et d’épuisement dans nos territoires.

Les efforts consentis ont été nombreux depuis le premier confinement jusqu’à l’actuel couvre-feu à dix-huit heures. Nos concitoyens aspirent, avec patience, à retrouver une vie, peut-être pas normale, mais moins exceptionnelle.

Que ferons-nous si la crise perdure ? Que ferons-nous si la campagne vaccinale ne porte pas les fruits que nous espérons ? Que ferons-nous si le virus revient chaque automne ?

Les interdits et les restrictions soudainement décidés ne pourront pas être la seule réponse à cette crise et nous devons, dès à présent, réfléchir aux modalités qui permettraient de faire face.

Cette démarche doit valoir pour les secteurs les plus sinistrés, tels que la santé, la restauration, le tourisme, la culture ou encore le sport, mais aussi pour nos institutions, afin de restaurer l’équilibre normal des pouvoirs. Nous aurions souhaité que le travail parlementaire puisse être engagé rapidement sur ce point.

L’équilibre institutionnel s’appuie sur le contrôle parlementaire de l’action du Gouvernement. De ce point de vue, le projet de loi initialement présenté par le Gouvernement devant l’Assemblée nationale n’était pas satisfaisant. Prorogation de l’état d’urgence sanitaire, prorogation du régime de sortie de l’état d’urgence : deux décisions qui devaient appeler deux lois. Aussi, nous saluons la suppression, en première lecture par l’Assemblée nationale, des dispositions relatives au régime transitoire de sortie de l’état d’urgence. Nous en débattrons le moment venu.

Il faut toutefois aller plus loin pour que le virus n’atteigne pas durablement nos institutions dans leur essence démocratique.

De ce point de vue, les modifications apportées par notre commission des lois sont à saluer, en particulier celle qui institue un contrôle parlementaire du confinement. Nous avions déjà voté au mois d’octobre dernier en faveur de cette disposition, laquelle permettrait que l’adoption des mesures dites d’urgence suive un processus non exceptionnel respectant la procédure parlementaire traditionnelle.

Il est possible d’aller plus loin, ainsi que nous le proposerons par un amendement, en établissant un contrôle parlementaire non seulement du confinement, mais également des couvre-feux, qui en viennent à être tout aussi contraignants pour la population.

Instituer une telle restriction est également une atteinte significative à nos libertés : cela devrait faire l’objet d’un consentement de la représentation nationale.

D’une autre façon, nous avons beaucoup discuté, au mois d’octobre dernier, de la possibilité d’adapter localement les mesures sanitaires. Nous regrettons que cet aspect du régime juridique de l’état d’urgence ne soit pas davantage étudié et approfondi, afin de permettre, le cas échéant, la réouverture locale de certains établissements accueillant du public, si les conditions sanitaires le permettaient.

Ces remarques n’empêcheront pas mes collègues du groupe RDSE et moi-même de nous prononcer majoritairement en faveur de ce projet de loi tel qu’il a été modifié par la commission des lois. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en premier lieu, je souhaite affirmer une nouvelle fois ma solidarité avec tous ceux, à commencer par les soignants, qui sont en première ligne face à cette pandémie qui n’en finit plus ; je tiens aussi à affirmer ma profonde solidarité avec nos concitoyens qui, loin de s’afficher en procureurs, résistent et tiennent bon dans une situation qui, semaine après semaine, devient très pénible sur les plans sanitaire, social et psychologique.

Aujourd’hui, ils veulent des résultats, ils veulent connaître les objectifs, ils veulent comprendre pourquoi la santé publique n’est pas érigée « quoi qu’il en coûte » en grande cause nationale. Transparence, cohérence de choix politiques clairs pour enfin se donner les moyens de faire face, tel est ce qui est attendu.

Monsieur Véran, nous sommes face à l’inconnu : nous sommes sous la menace des variants et nous ne savons pas combien de mois cette situation va durer. Il faut donc associer le Parlement, maintenant et à chaque étape, à l’élaboration des décisions – et, bien sûr, lui permettre d’en débattre.

Vous nous répondez : l’état d’urgence sanitaire, c’est le seul moyen d’agir. Mais, monsieur le ministre, le Parlement peut siéger jour et nuit pour décider, voter, contrôler !

Pourquoi ne pas avoir soumis le couvre-feu au vote des assemblées ? Nous ne sommes plus dans l’état de sidération de mars dernier, qui pouvait exiger de prendre des mesures dans la précipitation.

Il faut maintenant cesser de s’en remettre aux seules décisions du chef de l’État, entouré d’un conseil de défense qui n’existe, selon l’article 15 de la Constitution, que pour conseiller le chef des armées.

Les réunions qui se tiennent dans ce cadre sont soumises au secret-défense. Comment en sommes-nous arrivés là ? Après la mise à l’écart du Parlement, c’est le Gouvernement lui-même, pourtant chargé de conduire la politique de la Nation, qui est collectivement mis sur la touche !

Monsieur le ministre, vous proposez de proroger l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 1er juin, donc de quatre mois, sans retour devant le Parlement. Quant au cadre juridique de cet état d’urgence, il est maintenu jusqu’au 31 décembre de cette année.

Par ailleurs, le projet de loi prévoyait à l’origine de fixer la fin de cet « état d’exception bis » qu’est la sortie de l’état d’urgence au 31 septembre prochain. En affichant un geste à l’égard du Parlement, la majorité En Marche de l’Assemblée nationale a, avec votre accord, supprimé cette date butoir. Mais la vérité vraie, c’est que vous n’en avez plus besoin, puisque vous avez déposé en catimini, le 21 décembre dernier, un projet de loi instituant un régime pérenne de gestion des urgences sanitaires : c’est ce texte que vous entendez appliquer après le 1er juin.

Or ce projet de loi, sur le mode des lois antiterroristes qui ont intégré des mesures de l’état d’urgence de 2015 dans le droit commun, tend à graver dans le marbre du droit ordinaire des dispositions portant atteinte aux libertés institutionnelles.

D’abord, vous intégrez dans le droit un état de crise sanitaire impactant, essentiellement, les libertés individuelles. Le Parlement se verra généreusement accorder le droit d’étudier un rapport au terme de six mois d’exercice de cet état d’exception… Ensuite, l’état d’urgence sanitaire continuera d’être déclaré par décret – une validation par la loi intervenant seulement ensuite. Nous refusons cette mise à l’encan des libertés individuelles et collectives !

Pourquoi cette obstination antidémocratique ? Pourquoi ces confinements et reconfinements successifs ? Parce que vous n’avez pas fait le choix de soustraire la santé publique, la santé de notre peuple, à cette loi du marché qui place l’humanité après les profits financiers !

L’affaire des vaccins est symptomatique : pourquoi notre pays n’a-t-il pas su se doter d’un vaccin, pourquoi n’a-t-il pas été possible d’organiser le début de la campagne – ce qui a fait perdre un mois précieux ?