Mme le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, après l’échec de la commission mixte paritaire, nous voici de nouveau appelés à examiner ce texte. De nombreuses remarques, très critiques, ont déjà été faites à son sujet lors de la précédente lecture. Il est néanmoins important de revenir sur certains points.

Nous contestons fermement l’utilité d’un état d’urgence pour lutter efficacement contre la covid-19 et nous regrettons la gestion solitaire et verticale de cette crise par le Gouvernement. Nous renouvelons ainsi notre souhait d’être mieux associés à la prise de décision et nous demandons au Gouvernement plus de transparence sur sa stratégie, notamment en ce qui concerne un éventuel troisième confinement.

Nous ne pouvons cautionner les coups de canif réguliers donnés par ce gouvernement aux pouvoirs du Parlement, au moyen de ce régime d’exception ; je pense notamment à l’arrêt de la mission d’information sur la covid-19, décidée par la majorité La République En Marche de l’Assemblée nationale.

Au-delà de ces murs, écoutons les Français !

Nous entendons, au quotidien, la détresse des étudiants. Isolés, déprimés et en proie à la précarisation, ils se sentent piégés par cette crise qui semble ne pas prendre fin. Les files d’attente pour recevoir l’aide alimentaire s’allongent au fur et à mesure que la crise se prolonge.

Écoutons nos départements, qui pallient comme ils le peuvent la détresse sociale sournoise qui s’installe plus encore chaque jour dans certains foyers. Écoutons notre personnel de santé, qui demande lui aussi, et depuis des années, des mesures fortes. Ils ont besoin non pas de mesures autoritaires, mais de moyens financiers, matériels et humains. Écoutons nos commerçants, au premier rang desquels les restaurateurs, les cafetiers. Écoutons également les acteurs du monde de la culture. Ces femmes et ces hommes se sentent asphyxiés par l’état de léthargie économique et sociale dans lequel est plongé notre pays depuis bientôt un an.

Ne nous contentons pas de faire ici la loi, sans entendre ce que provoque cette crise sur le plan humain, car si nous souhaitons tous lutter contre la covid-19, nous ne serons entendus par les Français que si nous prenons en compte leur détresse.

Ce projet de loi accroît le risque d’accoutumance à un régime d’exception, symbole d’un Gouvernement qui ne se soucie pas du rôle du Parlement et ne prend pas en compte les attentes de la population.

Pour ces raisons, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, comme en première lecture, votera contre ce projet de loi.

Mme le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.

M. Thani Mohamed Soilihi. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la commission mixte paritaire, réunie le 28 janvier, n’est pas parvenue à un accord sur ce texte. Cet échec est regrettable, car nous nous rejoignions pourtant sur de nombreux points - « l’essentiel », aviez-vous alors dit, monsieur le rapporteur -, ce qui laissait légitimement croire à la conclusion d’un compromis acceptable sur l’ensemble de ces travées.

Nous étions d’accord sur la nécessité de proroger l’état d’urgence actuellement en vigueur, compte tenu de la situation sanitaire. La prorogation de son régime jusqu’au 31 décembre 2021, construit, je le rappelle, de manière transpartisane et bicamérale en mars 2020, ne faisait pas non plus débat. La suppression de la mise en place d’un régime transitoire jusqu’au 30 septembre 2021, qui avançait la clause de revoyure au 1er juin, avait également été saluée par le Sénat lors de l’examen en première lecture. Enfin, les deux chambres s’étaient entendues pour ramener le terme de cet état d’urgence au 16 mai.

Notre divergence s’est finalement cristallisée sur un seul point, non des moindres certes, puisqu’il s’agit de la mesure la plus sévère pour les libertés : le confinement. Le Sénat demandait que, en cas de reconfinement généralisé, celui-ci ne puisse être prolongé au-delà d’un mois sans autorisation du Parlement.

Cette inscription dans la loi n’est pas compatible avec le contexte sanitaire, qui nécessite d’ajuster en permanence les mesures nécessaires pour faire face à un virus imprévisible. Elle impliquerait, en effet, la rédaction d’un projet de loi de prolongation d’un confinement deux à trois semaines après le début de ce dernier, alors même que les effets de la mesure et l’évolution de l’épidémie ne seraient pas connus avec certitude.

C’est pourquoi l’Assemblée nationale, dans une réelle volonté d’aboutir, a proposé la tenue d’un débat suivi d’un vote sur le fondement de l’article 50-1 de la Constitution au bout de six semaines de confinement. Le Premier ministre lui-même s’est engagé en ce sens. Cette solution présentait, à mon sens, l’avantage de la souplesse, dont nous avons terriblement besoin dans une période comme celle-ci.

Cette proposition constructive n’a pas recueilli votre assentiment, monsieur le rapporteur, au motif que le Gouvernement resterait constitutionnellement libre d’organiser ou non ce débat, de demander ou non un vote, ou encore que l’objet du vote pourrait être dévoyé. Je ne partage pas cette défiance à l’égard du Gouvernement. La mise en place et la prolongation de ces mesures restrictives de libertés ont toujours été justifiées par la situation sanitaire.

Nous sommes tous très attachés à la démocratie et à son exercice. D’ailleurs, le Parlement dispose de nombreux moyens de contrôle de l’action du Gouvernement et, heureusement, ne se prive pas de les utiliser. Outre la commission d’enquête constituée à l’issue de la première vague, la commission des lois du Sénat a créé, dès le 25 mars 2020, une mission de suivi pluraliste sur les mesures liées à l’épidémie de covid-19, qui a donné lieu à trois rapports d’étape successifs.

Il est, en outre, toujours possible de saisir le juge administratif en référé, si l’on estime que les mesures prises ne sont pas nécessaires et proportionnées, ou appropriées aux circonstances. Certains décrets ont d’ailleurs fait l’objet de nombreux recours devant le Conseil d’État.

Cette occasion manquée a conduit l’Assemblée nationale à rétablir le texte tel qu’elle l’avait voté en première lecture, en ne retenant que deux amendements du Sénat. Le groupe RDPI considère que cette version est équilibrée et qu’elle permettra au Gouvernement d’agir de manière efficace et proportionnée dans cette crise sanitaire sans précédent, et de s’adapter à ses évolutions.

Nous aurions souhaité que le débat se poursuive. C’est la raison pour laquelle nous voterons résolument contre la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et SER.)

Mme le président. La parole est à Mme Maryse Carrère.

Mme Maryse Carrère. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis le rétablissement à la mi-octobre de l’état d’urgence sanitaire et des mesures de restriction qui en découlent, la situation demeure particulièrement fragile et sans amélioration décisive. Cependant, cela ne doit en rien altérer notre détermination, et encore moins notre capacité à agir ensemble.

Pour cette raison, je regrette que nos deux chambres n’aient pas pu s’entendre sur un sujet si grave. L’échec de la CMP est d’autant plus regrettable que nous étions d’accord sur les principales dispositions du texte et sur le principe même de la prorogation de l’état d’urgence sanitaire. C’est encore une fois une occasion manquée d’affirmer une unité nationale, pourtant indispensable dans cette période de crise.

Néanmoins, il semble que l’idée d’un contrôle parlementaire du confinement ait fini par convaincre, dans un sens toutefois inattendu. En effet, le Premier ministre a annoncé la semaine dernière que, dans l’hypothèse où un reconfinement devrait être décidé, le Parlement serait consulté. C’est un premier pas, certes tout en retenue, mais autant s’en réjouir.

Alors que le contrôle parlementaire du confinement que propose le Sénat est systématiquement rejeté, pourquoi lui donner l’apparence artificielle d’une décision consensuelle ? Le modèle républicain a ses principes auxquels le groupe du RDSE est vigoureusement attaché : le Parlement n’est pas un organe consultatif que le Gouvernement pourrait solliciter à sa guise entre deux tirages au sort. Quoi qu’il en soit, espérons que ces désaccords n’écornent pas durablement l’image de nos institutions, alors que la collaboration en toute transparence des pouvoirs est plus que jamais nécessaire en cette période de crise aiguë.

Malgré ces regrets, la multiplication des textes liés à la crise sanitaire doit au moins être l’occasion de mettre la lumière sur les secteurs les plus sinistrés de notre société, dont la liste reste bien trop longue.

Notre attention a ainsi été portée ces dernières semaines à très juste titre sur la précarité étudiante. Par ailleurs, les restaurateurs se mobilisent pour ne pas s’enliser, conjurer leur désespoir parfois et ne pas être oubliés. Nous pourrions en dire autant du secteur des soins à domicile, qui souffre alors que ses acteurs sont essentiels à notre système de santé. Je pense également aux acteurs de la vie culturelle et de l’événementiel, secteurs particulièrement touchés par la propagation du virus. Le spectacle vivant subit des conséquences d’autant plus inédites qu’elles perdurent et que nous peinons à savoir quand ces activités pourront reprendre.

Plus largement, le milieu associatif est frappé de plein fouet par cette mise en sommeil des activités. Nous le voyons bien, les corps intermédiaires de la société, pourtant indispensables pour faire le lien social, sont contraints au silence, ce qui aggrave l’isolement et l’essoufflement mental de nos concitoyens. En ce sens, je citerai Édouard Laboulaye, qui soulignait, voilà un siècle et demi, le caractère essentiel du monde associatif pour la société : « c’est l’association, écrivait-il, qui, dans les pays libres, débarrasse l’État d’une foule de soins qui ne le regardent pas ; c’est elle qui relie les individus isolés et multiplie les forces en les réunissant ».

Certes, la question sanitaire doit évidemment demeurer la priorité, mais rien n’empêche d’élargir le prisme. Comment, pendant cette pandémie, imaginer les moyens de se réunir, de s’associer, de délibérer, de s’entraider et de se cultiver ? S’il est à craindre que la crise ne soit pas seulement un mauvais moment à passer, si elle devait durer, comme cela semble être le cas, il est impératif de trouver des solutions pour pallier cette disparition du lien social et culturel, qui contribue aussi à ce que nous formions une Nation.

Ainsi, dans la tradition du groupe RDSE, comme en première lecture, nous voterons contre la motion tendant à opposer la question préalable, convaincus que nous devrions poursuivre nos débats, ne serait-ce que pour montrer à nos concitoyens que nous sommes là pour continuer à les représenter et à leur offrir des alternatives démocratiques en toute responsabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, une nouvelle fois, un état d’exception, dont la mise en œuvre est aux seules mains d’un exécutif de plus en plus restreint, va être prolongé pour une longue période, sans même un contrôle régulier et réel du Parlement.

La répétition de ces lois de prorogation - nous en sommes à la septième - peut banaliser cette atteinte sans précédent du fonctionnement démocratique de nos institutions, cette atteinte à des principes fondateurs de la République, comme le principe d’aller et venir, la liberté de réunion et bien d’autres.

Bien entendu, l’urgence, la violence de la crise que nous vivons sont d’un niveau de gravité considérable, que nous estimons à sa juste mesure, monsieur le secrétaire d’État. Nous sommes parfaitement responsables par notre opposition résolue à l’état d’urgence sanitaire, car nous estimons depuis le début de la crise que la démocratie, la mobilisation des institutions nationales et locales, l’intervention citoyenne sont des leviers irremplaçables pour agir contre la pandémie de la covid-19. Nous sommes responsables, lucides, car nous constatons que la concentration du pouvoir, son exercice volontaire ne conduisent pas à prendre les bonnes décisions.

Je ne reviendrai pas, monsieur le secrétaire d’État, sur le déroulé de la crise, qui met cruellement en lumière mon affirmation. Je dirai tout de même un mot sur les vaccins, car lors de notre débat en première lecture, le ministre Olivier Véran a contesté, de manière péremptoire, le retard que je décrivais. L’aplomb ne suffit pas et, comme il me l’a indiqué, il faut être factuel : combien de personnes sont-elles réellement vaccinées, combien ont-elles reçu leur rappel ? Pourquoi ce retard par rapport à nombre de nos voisins ?

Sur le plan de la démocratie toujours, pourquoi ne pas avoir eu un véritable débat quand il le fallait, au printemps dernier, sur la stratégie vaccinale et les moyens industriels à lui consacrer, afin de ne pas avoir tristement à constater aujourd’hui que notre pays n’a pu créer de vaccin et qu’il doit se résoudre à embouteiller ceux d’autres grandes multinationales de l’industrie pharmaceutique ?

Oui, nous considérons que l’état d’urgence sanitaire, le dessaisissement du Parlement ont un effet contraire à l’objectif affiché. Un an après le démarrage de l’épidémie, il faut passer à l’état d’urgence démocratique. La séquence étrange que nous avons vécue depuis quelques jours nous convainc définitivement de la nécessité de réorganiser l’action en profondeur.

Après de multiples épisodes de communication gouvernementale préfigurant un reconfinement, au motif que le couvre-feu aurait des effets limités, après une réunion avec le Premier ministre jeudi dernier, alors que les chiffres et les commentaires pessimistes ne laissaient guère de doute sur l’issue, le Président de la République a réuni vendredi en fin d’après-midi son officine, le conseil de défense. C’est le Premier ministre qui, de manière précipitée, est apparu pour donner lecture de la décision présidentielle, laquelle a visiblement pris beaucoup de monde à contrepied.

Soyons clairs, monsieur le secrétaire d’État, je ne me prononce pas ici sur le bien-fondé ou non d’un reconfinement. Ce que je conteste, ce sont les conditions de la prise de décision, l’absence de transparence sur les données qui ont conduit à une décision que les chiffres fournis le jeudi ne pouvaient certainement pas justifier.

Pourquoi le Parlement, mes chers collègues, la représentation du peuple, ne retrouve-t-il pas ses pleins pouvoirs ? Allons-nous longtemps subir l’avalanche de décisions dont la cohérence ne s’est toujours pas manifestée ? Allons-nous subir encore longtemps la gouvernance de la crise par un seul homme ?

Je l’ai dit lors de l’examen du texte en première lecture et je le répète, la crise est toujours là, peut-être plus menaçante encore, mais nous ne sommes plus dans l’urgence. Le Parlement peut décider. Il peut siéger jour et nuit pour voter la loi. Il faut maintenant mettre fin à l’état d’urgence, apprendre à vivre démocratiquement avec le virus, sans relâcher les efforts collectifs pour l’éradiquer.

Être cohérent, c’est refuser le principe même de l’état d’urgence sanitaire et donner les moyens à la démocratie de combattre efficacement la pandémie. C’est par cohérence avec ce refus que nous nous abstiendrons sur la motion tendant à opposer la question préalable de la majorité sénatoriale, qui met en scène un désaccord alors qu’elle soutient, comme le Gouvernement, le principe même de la prorogation d’un état d’exception. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

Mme le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Philippe Bonnecarrère. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le groupe Union Centriste est favorable à la motion tendant à opposer la question préalable : nous sommes peu convaincus par cette douzième décision visant à proclamer l’état d’urgence en cinq ans et demi. Nous avons pris acte, avec l’échec de la CMP, du fait que le Gouvernement voulait un chèque en blanc. Nous n’acceptons pas la logique du « donnez-moi les pouvoirs et je vous dirai après ce que j’en ferai ».

Nous partageons complètement, monsieur le rapporteur, cher Philippe Bas, l’argumentation que vous avez développée sur la situation sanitaire, mais aussi sur les différences entre mars 2020 et février 2021. La situation sanitaire et, surtout, les moyens dont nous disposons pour y faire face, sont différents aujourd’hui. L’état de la société, sa capacité de résilience ont également changé. Les conséquences économiques, sociales, psychologiques qui résulteraient d’un confinement seraient différentes cette fois-ci.

À notre sens, tout confinement devrait être soumis au Parlement, a fortiori sa prolongation au-delà d’un mois, comme vous l’avez indiqué, Philippe Bas, au nom de la commission.

Nous considérons, pour le bon fonctionnement de nos institutions, pour que chacun prenne ses responsabilités, et tout simplement pour l’acceptabilité des mesures sociales, sanitaires par nos concitoyens, que l’intervention du Parlement est nécessaire. Plutôt que l’état d’urgence, nous préférerions l’examen en urgence des mesures sanitaires souhaitées par le Gouvernement. À cet égard, je me retrouve assez dans les propos de Mme Assassi.

De la même manière, nous ne sommes pas enthousiastes à l’idée d’un débat au titre de l’article 50-1 de la Constitution, au cours duquel le Gouvernement nous présenterait une politique générale, ferait des déclarations purement consultatives, dépourvues de caractère normatif, sans demander l’autorisation de prendre telle ou telle mesure, sans même définir d’ailleurs quelles seraient ces mesures.

Il nous semble que le Parlement devrait normalement être consulté en cette matière. C’est en particulier le rôle du Sénat, gardien des libertés, d’une France des territoires, garant tout simplement d’une efficacité prenant appui sur l’équilibre des pouvoirs.

Nous avons, et nous l’apprécions, une Constitution présidentielle. Elle l’est devenue plus encore avec le quinquennat et l’inversion du calendrier électoral, qui produit une majorité à l’Assemblée nationale tenant sa légitimité du Président de la République. Elle nous semble aujourd’hui basculer dans l’excès, du fait de la pratique qui en est faite, à travers le conseil de défense, et surtout d’un état d’urgence semi-continu. Dit autrement, l’exécutif nous semble aller trop loin : nous ne pensons pas que la proposition qui nous est faite puisse rendre service à nos concitoyens ou leur être utile.

L’efficacité sanitaire tient beaucoup à l’acceptabilité sociale des mesures, laquelle passe par une décision partagée. Tout ne peut pas être décidé de manière verticale dans ce pays, en particulier pour lutter contre la pandémie. Le Parlement et nos concitoyens sont aptes à comprendre les enjeux sanitaires. Il est paradoxal, chers collègues, de faire appel à l’esprit de responsabilité des Français et, en même temps, de refuser de consulter ses représentants sur les mesures sanitaires.

En conclusion, autorisez-nous une proposition : la crise sanitaire, si vous me permettez cette formule, écrase dans les esprits la crise économique, sociale, financière, culturelle, psychologique. Notre groupe souhaiterait que le travail sur l’après-covid-19 puisse démarrer dès maintenant. Non pas que nous sous-estimions la gravité de la situation actuelle, non pas que nous pensions en être sortis, mais nous considérons que cette crise sera gérée d’autant plus facilement avec nos concitoyens que ceux-ci auront une vision de l’après-covid, de l’après-« quoi qu’il en coûte ». La meilleure manière d’avoir cette vision, c’est bien sûr de la préparer, de l’anticiper. Aussi proposons-nous d’entamer un travail avec l’exécutif sur l’après-covid-19.

Telles sont les raisons pour lesquelles, vous l’aurez compris, le groupe Union Centriste est clairement favorable à la motion tendant à opposer la question préalable déposée par la commission des lois. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Jean-Yves Leconte. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’état d’urgence sanitaire permet au Gouvernement de mettre en œuvre des restrictions de liberté inégalées dans notre démocratie en temps de paix. Ces restrictions ont des conséquences économiques, sociales, mais aussi psychiatriques très importantes.

Le Parlement autorise le Gouvernement à les mettre en œuvre, mais il ne peut plus faire grand-chose dès lors que les habilitations ont été données. Il nous est demandé de voter, début février, la possibilité de déclarer l’état d’urgence sanitaire et les mesures qui vont avec jusqu’au début du mois de juin, soit pendant quatre mois. Nous ne pouvons pas nous contenter de donner au Gouvernement ce type d’habilitation ; ce n’est pas acceptable.

Il est donc heureux, la majorité de l’Assemblée nationale ne souhaitant pas que le Parlement se prononce en amont sur la mise en place d’un confinement et refusant un contrôle parlementaire effectif des dispositions les plus strictes de l’état d’urgence sanitaire, que la CMP n’ait pas abouti.

Le contexte général, avec l’évolution des variants, est effectivement préoccupant, et ce alors que le début de la campagne de vaccination nous permettait d’espérer sortir de ce cauchemar qui dure depuis maintenant un an.

Sommes-nous franchement plus mauvais que nos voisins ? Je décerne un satisfecit au Gouvernement de n’avoir pas fermé les écoles depuis la rentrée ni instauré d’isolement contraint à la suite d’un test positif, ce qui évite les stratégies d’évitement dévastatrices dans certains pays voisins. La manière dont les jeunes et les étudiants sont traités dans cette crise, cela a été dit, est en revanche un point profondément négatif.

Cette crise témoigne également d’un problème de gouvernance. L’exécutif voudrait confiner le Parlement et le Président de la République, on l’a vu la semaine dernière, confine le Gouvernement. Il décide en effet de tout en conseil de défense, directement avec l’administration, laissant le Premier ministre consulter les chefs de partis sur des sujets différents. C’est un réel problème institutionnel et il faudra réfléchir à intégrer l’état d’urgence dans notre Constitution afin de renforcer le contrôle parlementaire.

Force est de constater que le Sidep n’est pas adéquat pour suivre correctement l’évolution des variants et piloter la situation au plus près des risques, ce qui conduit à imposer à l’ensemble des Français des restrictions de liberté qui pourraient être mieux adaptées et territorialisées. C’était l’objet de certains de nos amendements.

Si l’on impose des privations de liberté aux Français, ceux-ci doivent avoir le sentiment qu’elles sont utiles. Sinon, cela développe l’anxiété et suscite des interrogations sur l’efficacité de l’action publique, non seulement dans le cadre de la crise sanitaire, mais aussi pour gérer demain la sortie de crise. Pour cela, il est besoin de collégialité, de responsabilité, et le Parlement est à cet égard essentiel.

Il serait donc paradoxal, puisque nous voulons que le Parlement joue tout son rôle, de ne pas discuter en nouvelle lecture de ce projet de loi. Nous ne désespérons pas du Sénat, malgré ce qu’il s’est passé cette nuit. Il nous faut débattre pour faire évoluer la position de nos collègues députés en faveur de la défense des libertés publiques.

J’en viens, monsieur le secrétaire d’État, à la fermeture des frontières : c’est un principe général depuis le mois de mars dernier, mais qui a été durci la semaine dernière par le Président de la République. Pourtant, le Conseil d’État est intervenu à plusieurs reprises sur le sujet, répondant à la requête de M. Pierre Ciric, en août, que le droit d’entrer sur le territoire français constitue pour un ressortissant français une liberté fondamentale. Les décisions de la semaine dernière la mettent en brèche. Le Conseil d’État s’est aussi positionné contre le gel de la délivrance des visas de regroupement familial. Pourtant, le Gouvernement continue de faire fi de ses avis.

La décision de vendredi dernier n’est pas une décision sanitaire, monsieur le secrétaire d’État, c’est une décision politique. À défaut de confinement, il fallait annoncer quelque chose à ceux qui crient le plus fort dans l’opposition : la fermeture des frontières ! Mais à qui fermer les frontières ? Pas aux frontaliers… À ceux qui font des tests plusieurs fois par semaine ? Nous ne pouvons pas adopter la même stratégie de défense sanitaire qu’une île, de surcroît sans coordination avec les autres pays européens, ce qui limite la crédibilité de l’ensemble de l’opération.

Si les Français qui vivent hors de France avaient le sentiment qu’il s’agit d’une mesure sanitaire, ils l’accepteraient, mais tel n’est pas le cas. Monsieur le secrétaire d’État, aucun territoire représenté au Sénat n’a perdu 90 000 Français en un an, sauf les Français de l’étranger, fortement frappés par la pandémie. Cela relativise les critiques sur la manière dont celle-ci a été traitée en France, puisque nos concitoyens de l’étranger ont probablement plus souffert ailleurs, mais cela nous interroge aussi sur le besoin de solidarité : il est indispensable de prolonger l’absence de délai de carence pour rentrer en France et avoir droit à l’assurance maladie.

Pour conclure, monsieur le secrétaire d’État : quand le Gouvernement en reviendra-t-il au respect des droits fondamentaux en permettant aux Français de l’étranger de rentrer en France ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.

Mme Vanina Paoli-Gagin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’évolution de la situation sanitaire est de plus en plus incertaine depuis l’examen en première lecture du projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire. Vendredi dernier, le Premier ministre, en accord avec le Président de la République, a ainsi été conduit à prendre des mesures plus strictes pour s’adapter à cette évolution, tout en évitant un nouveau confinement national de la population.

Dans ce nouveau contexte, et alors que le personnel soignant a besoin de notre soutien total, tout doit être mis en œuvre pour améliorer rapidement la situation sanitaire, limiter le nombre de décès et sortir au plus vite de la crise.

La commission mixte paritaire, qui s’est réunie le 28 janvier, a permis d’acter la convergence de nos deux assemblées sur la nécessité de donner au Gouvernement les marges de manœuvre indispensables pour faire face à une situation désormais critique, sans toutefois s’accorder sur l’ensemble des dispositions restant en discussion. Ainsi n’a-t-elle pas été en mesure de proposer un texte commun. À l’instar de certains de mes collègues qui se sont exprimés avant moi, je le regrette vivement.

Le principal désaccord portait sur l’exigence d’un contrôle démocratique du Parlement. Ce contrôle est pourtant le nécessaire corollaire des restrictions imposées à nos concitoyens. Au moment où les Français supportent avec de plus en plus de difficultés les contraintes liées à la gravité du contexte économique et la rigueur disciplinaire imposée par l’état d’urgence sanitaire, il est de notre devoir de contrôler si la prolongation des mesures prises au-delà d’une certaine date reste pleinement justifiée par la situation sanitaire.

Ainsi, la demande du Sénat, par la voix de notre rapporteur et collègue Philippe Bas, dont je salue la qualité des travaux,…