Sommaire

Présidence de Mme Pascale Gruny

Secrétaires :

Mme Esther Benbassa, M. Jacques Grosperrin.

1. Procès-verbal

2. Décès d’un ancien sénateur

3. Modification de l’ordre du jour

4. Communication relative à une commission mixte paritaire

5. Fondation du patrimoine. – Adoption en deuxième lecture d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Texte élaboré par la commission

Vote sur l’ensemble

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture

Mme Sabine Drexler, rapporteur de la commission de la culture

M. Jean-Pierre Decool

Mme Monique de Marco

Mme Nadège Havet

M. Bernard Fialaire

M. Pierre Ouzoulias

Mme Dominique Vérien

Mme Marie-Pierre Monier

M. Max Brisson

Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission.

Suspension et reprise de la séance

6. Dette publique à l’aune de la crise économique actuelle. – Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains

M. Jérôme Bascher, pour le groupe Les Républicains

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la relance

Débat interactif

M. Emmanuel Capus ; M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la relance ; M. Emmanuel Capus.

Mme Sophie Taillé-Polian ; M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics ; Mme Sophie Taillé-Polian.

M. Didier Rambaud ; M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la relance.

M. Bernard Fialaire ; M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics ; M. Bernard Fialaire.

M. Pascal Savoldelli ; M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics ; M. Pascal Savoldelli.

Mme Nathalie Goulet ; M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la relance ; Mme Nathalie Goulet.

M. Claude Raynal ; M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la relance.

M. Serge Babary ; M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la relance ; M. Serge Babary.

M. Michel Canevet ; M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics ; M. Michel Canevet.

Mme Monique Lubin ; M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics ; Mme Monique Lubin.

M. Philippe Dallier ; M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics ; M. Philippe Dallier.

M. Patrice Joly ; M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics.

M. Laurent Duplomb ; M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la relance ; M. Laurent Duplomb.

Mme Christine Lavarde ; M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la relance ; Mme Christine Lavarde

M. Sébastien Meurant ; M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics ; M. Sébastien Meurant.

M. Vincent Segouin ; M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la relance ; M. Vincent Segouin.

Conclusion du débat

M. Jean-François Husson, pour le groupe Les Républicains

7. Comment construire plus et mieux en France ? – Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains

Mme Dominique Estrosi Sassone, pour le groupe Les Républicains

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement

Débat interactif

M. Daniel Salmon ; Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement ; M. Daniel Salmon.

Mme Marie-Laure Phinera-Horth ; Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement ; Mme Marie-Laure Phinera-Horth.

M. Éric Gold ; Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement.

Mme Marie-Noëlle Lienemann ; Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement.

M. Pierre Louault ; Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement ; M. Pierre Louault.

Mme Viviane Artigalas ; Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement ; Mme Viviane Artigalas.

M. Philippe Dallier ; Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement ; M. Philippe Dallier.

M. Franck Menonville ; Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement.

Mme Anne-Catherine Loisier ; Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement ; Mme Anne-Catherine Loisier.

M. Denis Bouad ; Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement.

M. Marc-Philippe Daubresse ; Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement.

M. Christian Redon-Sarrazy ; Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement.

M. Jean-Baptiste Blanc ; Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement ; M. Jean-Baptiste Blanc.

M. Laurent Somon ; Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement.

M. Bruno Belin ; Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement ; M. Bruno Belin.

M. Laurent Burgoa ; Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement ; M. Laurent Burgoa.

Conclusion du débat

Mme Sophie Primas, pour le groupe Les Républicains

8. Communication relative à une commission mixte paritaire

9. Réforme en cours de l’éducation prioritaire. – Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste

Mme Céline Brulin, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste

M. Julien Bargeton

M. Bernard Fialaire

M. Jérémy Bacchi

Mme Annick Billon

Mme Marie-Pierre Monier

M. Max Brisson

M. Jean-Pierre Decool

M. Thomas Dossus

Mme Sonia de La Provôté

Mme Sabine Van Heghe

M. Olivier Paccaud

Mme Sabine Drexler

Mme Nathalie Elimas, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de l’éducation prioritaire

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye

10. Situation et devenir de l’économie sociale et solidaire. – Débat organisé à la demande du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires

M. Guy Benarroche, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires

Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable

Débat interactif

M. Éric Gold ; Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable.

Mme Marie-Noëlle Lienemann ; Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable.

M. Jean-Michel Arnaud ; Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable.

Mme Florence Blatrix Contat ; Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable.

M. Jean-Baptiste Blanc ; Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable.

M. Daniel Chasseing ; Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable.

M. Daniel Salmon ; Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable.

Mme Nadège Havet ; Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable.

M. Michel Canevet ; Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable ; M. Michel Canevet.

M. Joël Bigot ; Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable ; M. Joël Bigot.

Mme Frédérique Puissat ; Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable.

M. Rémi Cardon ; Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable.

Mme Corinne Imbert ; Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable.

Mme Marta de Cidrac ; Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable ; Mme Marta de Cidrac.

M. Gilbert Favreau ; Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable.

M. François Bonhomme ; Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable.

Conclusion du débat

M. Guy Benarroche, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires

11. Ordre du jour

COMPTE RENDU INTÉGRAL

Présidence de Mme Pascale Gruny

vice-président

Secrétaires :

Mme Esther Benbassa,

M. Jacques Grosperrin.

Mme le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

Mme le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 18 février 2021 a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

Décès d’un ancien sénateur

Mme le président. Mes chers collègues, j’ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue, Jean-François Voguet, qui fut sénateur du Val-de-Marne de 2004 à 2011.

3

Modification de l’ordre du jour

Mme le président. Le débat à la suite du dépôt du rapport annuel de la Cour des comptes aura lieu le mercredi 24 mars 2021, à seize heures quarante-cinq.

Dans l’organisation de ce débat, nous pourrions attribuer, après la présentation du rapport par le Premier président de la Cour et les interventions des commissions des finances et des affaires sociales, un temps de parole d’une heure pour les groupes politiques.

En conséquence, le débat préalable au Conseil européen, initialement prévu le mercredi 24 mars 2021, serait avancé au mardi 23 mars 2021, le soir.

Y a-t-il des observations ?…

Il en est ainsi décidé.

4

Communication relative à une commission mixte paritaire

Mme le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi organique portant diverses mesures relatives à l’élection du Président de la République est parvenue à l’adoption d’un texte commun.

5

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à moderniser les outils et la gouvernance de la Fondation du patrimoine
Article 1er

Fondation du patrimoine

Adoption en deuxième lecture d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Mme le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote et le vote, en deuxième lecture, sur la proposition de loi, modifiée par l’Assemblée nationale en première lecture, visant à moderniser les outils et la gouvernance de la Fondation du patrimoine (proposition n° 287 [2019-2020], texte de la commission n° 374, rapport n° 373).

La conférence des présidents a décidé que ce texte serait discuté selon la procédure de législation en commission prévue au chapitre XIV bis du règlement du Sénat.

Au cours de cette procédure, le droit d’amendement des sénateurs et du Gouvernement s’exerce en commission, la séance plénière étant réservée aux explications de vote et au vote sur l’ensemble du texte adopté par la commission.

proposition de loi visant à moderniser les outils et la gouvernance de la fondation du patrimoine

Discussion générale
Dossier législatif : proposition de loi visant à moderniser les outils et la gouvernance de la Fondation du patrimoine
Article 1er bis

Article 1er

(Supprimé)

Article 1er
Dossier législatif : proposition de loi visant à moderniser les outils et la gouvernance de la Fondation du patrimoine
Article 3

Article 1er bis

I. – Larticle L. 143-2-1 du code du patrimoine est ainsi modifié :

1° À la première phrase du I, les mots : « monuments historiques, inscrits à linventaire supplémentaire » sont remplacés par les mots : « ou inscrits au titre des monuments historiques » ;

2° Au premier alinéa du III, les mots : « monuments historiques, inscrits à linventaire supplémentaire, » sont remplacés par les mots : « ou inscrits au titre des monuments historiques ».

II. – Le code général des impôts est ainsi modifié :

1° Au dernier alinéa du 4 de larticle 39, les mots : « à linventaire supplémentaire » sont remplacés par les mots : « au titre » ;

2° Au premier alinéa du 3° du I de larticle 156 et au 3 du II de larticle 239 nonies, les mots : « monuments historiques, inscrits à linventaire supplémentaire » sont remplacés par les mots : « ou inscrits au titre des monuments historiques ».

III. – À larticle L. 2222-16 du code général de la propriété des personnes publiques, les mots : « monuments historiques ou inscrits à linventaire supplémentaire » sont remplacés par les mots : « ou inscrits au titre des monuments historiques ».

IV. – Au 5° de larticle L. 331-9 du code de lurbanisme, les mots : « parmi les monuments historiques ou inscrits à linventaire supplémentaire » sont remplacés par les mots : « ou inscrits au titre ».

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Article 1er bis
Dossier législatif : proposition de loi visant à moderniser les outils et la gouvernance de la Fondation du patrimoine
Article 5

Article 3

(Conforme)

Larticle L. 143-6 du code du patrimoine est ainsi rédigé :

« Art. L. 143-6. – La “Fondation du patrimoine” est administrée par un conseil dadministration composé :

« a) De représentants des fondateurs, des mécènes et des donateurs ;

« b) De personnalités qualifiées ;

« c) De représentants des collectivités territoriales permettant dassurer la représentation des communes rurales, des communes, des départements et des régions ;

« d) Dun représentant des associations nationales de protection et de mise en valeur du patrimoine.

« Les représentants mentionnés au a disposent ensemble de la majorité des sièges du conseil dadministration.

« Les statuts déterminent le nombre de représentants et de personnalités qualifiées, les conditions de désignation et de renouvellement des membres du conseil. Ceux-ci exercent leurs fonctions à titre gratuit. »

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Article 3
Dossier législatif : proposition de loi visant à moderniser les outils et la gouvernance de la Fondation du patrimoine
Article 6 bis

Article 5

(Suppression conforme)

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Article 5
Dossier législatif : proposition de loi visant à moderniser les outils et la gouvernance de la Fondation du patrimoine
Article 7

Article 6 bis

(Conforme)

Le premier alinéa de larticle L. 143-12 du code du patrimoine est complété par une phrase ainsi rédigée : « Elle transmet chaque année ce rapport dactivité aux commissions compétentes en matière de culture de lAssemblée nationale et du Sénat et leur indique ses grandes orientations pour lannée à venir. »

Article 6 bis
Dossier législatif : proposition de loi visant à moderniser les outils et la gouvernance de la Fondation du patrimoine
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article 7

(Suppression conforme)

Vote sur l’ensemble

Article 7
Dossier législatif : proposition de loi visant à moderniser les outils et la gouvernance de la Fondation du patrimoine
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

Mme le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble du texte adopté par la commission, je vais donner la parole, conformément à l’article 47 quinquies de notre règlement, au Gouvernement, puis au rapporteur de la commission, pendant sept minutes, et, enfin, à un représentant par groupe pendant cinq minutes.

La parole est à Mme la ministre.

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture. Madame la présidente, monsieur le président de la commission – cher Laurent Lafon –, madame la rapporteure – chère Sabine Drexler –, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, la singularité de la France s’exprime au travers de la richesse et la diversité de son patrimoine. Il touche à ce que nous sommes. Il est une part de notre identité, de notre mémoire et, donc, de notre culture commune. Au-delà, c’est un fort levier de croissance et d’emplois. Il contribue ainsi à l’attractivité de nos territoires.

Je sais que le Sénat est très attaché à ce patrimoine. Il nous incombe collectivement de le protéger, de le valoriser et de le restaurer. C’est le sens des crédits en forte hausse que vous avez adoptés dans la loi de finances pour 2021, mais également de ceux qui sont dédiés au patrimoine dans le plan de relance. La mise en œuvre de ces moyens exceptionnels fait l’objet d’un suivi régulier.

Depuis sa création, le ministère de la culture contribue à cette préservation du patrimoine. Il n’est pas seul dans cette action, car il a pu compter, au fil des années, sur des partenaires essentiels. Je pense bien sûr aux collectivités territoriales, mais également aux fondations, parmi lesquelles la Fondation du patrimoine.

La Fondation du patrimoine a su développer son action en engageant des campagnes de souscription publique, de financement participatif, en mobilisant le mécénat d’entreprise ou en délivrant son propre label. Dès sa création, l’État lui a en effet confié la mission de délivrer un label en faveur du patrimoine non protégé au titre des monuments historiques, label qui donne droit à un régime de déductions fiscales au titre de l’impôt sur le revenu. La Fondation a aussi contribué à l’initiative du loto du patrimoine, souhaité par le Président de la République, dont le succès ne se dément pas et dont elle continue à assurer le pilotage, en lien avec la mission Patrimoine confiée à Stéphane Bern et les directions régionales des affaires culturelles.

La proposition de loi examinée aujourd’hui en deuxième lecture vise à améliorer l’organisation et à renforcer l’efficacité de l’action de la Fondation. Elle s’inscrit dans la lignée des recommandations du rapport de la Cour des comptes.

J’en viens rapidement aux trois points encore en discussion que nous avons eu l’occasion d’évoquer en commission voilà quelques jours.

Sur l’élargissement du champ d’application du label, vous le savez, la troisième loi de finances rectificative pour 2020, promulguée en juillet dernier, a repris la disposition que vous proposiez. Cela a permis une accélération de sa mise en œuvre, ce dont nous pouvons collectivement nous réjouir, mais a rendu, de fait, l’article 1er sans objet.

S’agissant de la composition du conseil d’administration de la Fondation du patrimoine, le texte permet un rapprochement avec le droit commun des fondations reconnues d’utilité publique. Vous êtes arrivés à un point d’équilibre.

Enfin, sur la possibilité pour la Fondation de réaffecter des dons devenus sans objet en raison de la caducité des projets ou de leur financement en intégralité, la Fondation a su trouver une solution. L’article reste donc supprimé. Vous le savez, certaines réticences avaient été exprimées par le Gouvernement sur cet article en première lecture. Je me réjouis donc de cette issue positive.

Pour conclure, je tiens à remercier Mme la rapporteure et M. le président de la commission et saluer l’excellent travail effectué par les sénateurs et les sénatrices. Merci à tous ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, UC et Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. le président de la commission et Mme Dominique Vérien applaudissent également.)

Mme Sabine Drexler, rapporteur de la commission de la culture, de léducation et de la communication. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, au terme d’une lecture dans chaque assemblée, le parcours législatif de la proposition de loi déposée par notre collègue Dominique Vérien, voilà bientôt deux ans, pour améliorer l’efficacité de la Fondation du patrimoine est presque achevé. Je dis « presque », car il faudra une ultime lecture à l’Assemblée nationale pour valider les deux coordinations que nous avons adoptées en commission il y a treize jours. La commission a en effet estimé que, sur le fond, le texte que nous avait transmis l’Assemblée nationale à l’issue de ses travaux en première lecture constituait un excellent compromis.

L’Assemblée nationale a souscrit à l’essentiel des dispositions du texte, n’y apportant, au final, que très peu de modifications substantielles. Elle a totalement adhéré aux principales orientations que nous avions eu à cœur de défendre en première lecture, notamment celle de faire en sorte que cette réforme ne détourne pas la Fondation du patrimoine de son cœur de métier : le soutien à la protection du patrimoine rural.

L’Assemblée nationale a dit « oui » à l’assouplissement des conditions de délivrance du label de la Fondation ; « oui » à l’éligibilité des parcs et jardins ; « oui » à l’extension de son périmètre géographique aux sites patrimoniaux remarquables, aux sites classés au titre du code de l’environnement et à toutes les communes de moins de 20 000 habitants. Elle a même complété notre dispositif sur deux points : d’une part, elle a précisé que seule la labellisation des immeubles non habitables « caractéristiques du patrimoine rural » échappait à toute condition de périmètre géographique ; d’autre part, elle a souhaité autoriser les propriétaires dont le bien ne serait pas visible de la voie publique, mais qui s’engageraient à le rendre accessible au public, à bénéficier des mêmes avantages fiscaux.

L’Assemblée nationale a également validé la réforme du conseil d’administration, qui permet de réduire le nombre de ses membres afin de le rendre plus opérationnel et de rapprocher sa composition de celle du droit commun des fondations reconnues d’utilité publique, malgré une différence notable : le maintien de la moitié des sièges aux représentants des fondateurs, des mécènes et des donateurs, afin de préserver leur confiance dans le fonctionnement de la Fondation et de les inciter à la soutenir davantage.

L’Assemblée nationale n’a pas non plus vu d’obstacle à la suppression des prérogatives de puissance publique dont disposait la Fondation, et dont elle n’a jamais fait usage.

La seule légère déception suscitée par le texte transmis par l’Assemblée nationale, c’est peut-être la suppression de l’article 5, qui mettait en place un mécanisme à portée rétroactive facilitant la réaffectation, par la Fondation, à un autre projet, des dons devenus sans objet, soit parce que le projet pour lequel ils avaient été collectés serait devenu caduc, soit parce qu’il aurait déjà été intégralement financé.

Le but de cette disposition était de permettre à la Fondation de réaffecter plus facilement les 10 millions d’euros qui sont aujourd’hui immobilisés dans ses caisses, faute d’être parvenue à obtenir l’accord des porteurs de projet initiaux pour leur réaffectation. Les fragilités juridiques de ce dispositif, que nous avions nous-mêmes identifiées en première lecture, ont conduit l’Assemblée nationale à préférer l’abandonner, aucune rédaction alternative ne s’étant révélée possible.

La commission de la culture s’est ralliée à cette suppression, dans la mesure où la Fondation du patrimoine nous a indiqué qu’elle avait bon espoir que la situation se règle à plus ou moins long terme, même en l’absence de disposition juridique. L’un de ses bénévoles s’est en effet porté volontaire pour contacter tous les porteurs de projet dont les dons doivent être réaffectés. Il s’agira bien sûr d’une entreprise de longue haleine, mais nous nous emploierons à surveiller de près l’évolution de la situation dans les années à venir.

Malgré cet accord global sur le fond du texte, la commission a été contrainte d’adopter deux amendements de coordination.

Le premier amendement concerne l’article 1er, dont les dispositions ont été intégrées à l’identique dans la troisième loi de finances rectificative pour 2020, en juillet dernier. L’objectif était de permettre une entrée en vigueur plus rapide de la réforme du label afin de contribuer à la relance de l’activité du secteur des patrimoines. La Fondation a d’ailleurs labellisé 84 immeubles concernés par ces nouvelles dispositions au second semestre de 2020. Quoi qu’il en soit, cet article n’a plus d’objet, puisqu’il est déjà entré en vigueur, et nous l’avons donc supprimé.

La seconde coordination que nous avons effectuée concerne l’article 1er bis, inséré par les députés pour remplacer dans l’un des articles du chapitre du code du patrimoine consacré à la Fondation une terminologie obsolète faisant référence aux immeubles inscrits à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques, une appellation qui n’est plus utilisée depuis 2005. Ils avaient malencontreusement omis d’effectuer le même remplacement un peu plus bas dans l’article.

Nous en avons profité pour nettoyer toutes les références à l’inventaire supplémentaire qui subsistaient dans les parties législatives des codes.

Tous les autres articles ont fait l’objet d’adoptions ou de suppressions conformes. Ces coordinations rallongent malheureusement le temps de la navette parlementaire, mais il n’était pas possible de nous y soustraire. Il nous reste à souhaiter que l’Assemblée nationale trouve un créneau dans son ordre du jour d’ici à l’été, car ce texte, même amputé de son article phare, déjà entré en vigueur, conserve des dispositions essentielles pour permettre à la Fondation de mieux se projeter vers l’avenir et d’avoir une action toujours plus efficace en faveur de la protection du patrimoine non protégé au titre des monuments historiques. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. le président de la commission et Mme Dominique Vérien applaudissent également.)

Mme le président. La parole est à M. Jean-Pierre Decool, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.

M. Jean-Pierre Decool. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, aux côtés des grands monuments historiques que nous connaissons tous se tient une myriade de monuments plus discrets : moulins, fontaines, anciennes manufactures, chapelles, colombiers, bateaux de pêcheurs, lavoirs… Ce petit patrimoine de proximité fait le charme de nos villes et de nos villages, mais il connaît aussi les affres du temps et nécessite régulièrement des actions de sauvegarde et de restauration. La Fondation du patrimoine est ce grand hôpital dans lequel des milliers de projets locaux de sauvegarde voient le jour.

La Fondation agit au plus près des besoins, avec un réseau de 22 délégations régionales et de 100 délégations départementales, animées par 600 bénévoles présents sur le terrain. Nous avons vu sa puissance après le désastre de l’incendie de Notre-Dame de Paris en avril 2019. En quelques jours, la Fondation du patrimoine a levé l’équivalent d’une année de dons. Son action ne s’arrête pas là, tant s’en faut. En 2019, elle a mobilisé la générosité de 280 000 donateurs et de 6 000 entreprises mécènes.

La Fondation du patrimoine favorise l’accès à la culture au plus près de chez soi et renforce le lien intergénérationnel : restaurer et conserver notre patrimoine local, c’est permettre la transmission d’une histoire et d’une identité à nos enfants et petits-enfants. Elle participe également au développement de l’économie et à l’insertion sociale de personnes éloignées de l’emploi, grâce aux nombreux chantiers de restauration. Ses moyens d’action sont de trois ordres : la labellisation de travaux ouvrant droit à un avantage fiscal et à un ensemble d’aides ; les campagnes de souscription publique et le mécénat d’entreprise.

La proposition de loi que nous examinons en deuxième lecture au Sénat vise à améliorer l’efficacité de la Fondation du patrimoine, créée en 1996 sur une initiative sénatoriale. Il s’agit, d’une part, d’en rénover la gouvernance, jugée pléthorique, et, d’autre part, d’actualiser les conditions de délivrance du label. Je salue cette proposition de la sénatrice Dominique Vérien. En tant qu’élu d’un département rural, je mesure particulièrement l’importance du soutien de la Fondation du patrimoine aux initiatives locales de restauration du patrimoine de proximité, que nous pouvions autrefois soutenir directement en mobilisant la réserve parlementaire.

L’article 1er étendait le périmètre de la labellisation au patrimoine situé dans des communes de moins de 20 000 habitants, contre 2 000 actuellement. Cette disposition, adoptée entre-temps dans le cadre de la troisième loi de finances rectificative, a été supprimée.

En première lecture, le Sénat a adopté une mesure importante prévoyant que la moitié au moins des labels attribués par la Fondation doive concerner des projets de restauration d’immeubles appartenant au patrimoine rural. L’Assemblée nationale a, de son côté, assoupli les conditions d’octroi du label en précisant que les propriétaires s’engageant à rendre leur bien accessible au public pourraient en bénéficier au même titre que les propriétaires dont le bien est visible depuis la voie publique.

L’article 3 réforme la composition du conseil d’administration de la Fondation en resserrant le nombre de ses membres et en associant plus étroitement les mécènes et les communes rurales.

Il était également proposé à l’article 5 un mécanisme de réaffectation des dons non utilisés. Je regrette sa suppression, bien que je comprenne les risques d’inconstitutionnalité qu’il présente. La Fondation du patrimoine possède l’équivalent de 10 millions d’euros immobilisés à cause de l’abandon de projets. Ces fonds pourraient bénéficier à d’autres projets, mais, en l’absence d’un tel mécanisme de réaffectation des dons, il faudra déployer des moyens importants pour contacter les porteurs de projet afin de recueillir leur accord sur la réaffectation des sommes versées.

Cette proposition de loi permettra à de nombreux projets de restauration du petit patrimoine rural de voir le jour. Le label ainsi modernisé contribuera à sauver de la ruine et de l’oubli des édifices emblématiques, tels que certaines églises rurales, joyaux de l’art gothique retraçant des siècles de savoir-faire, dont nous avons la responsabilité. Le groupe Les Indépendants votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et UC, ainsi quau banc des commissions.)

Mme le président. La parole est à Mme Monique de Marco, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.

Mme Monique de Marco. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ce texte vise à faciliter la gestion de la Fondation du patrimoine, à lui redonner du souffle, mais aussi à apporter de la pertinence au label.

Le groupe écologiste accueille favorablement la réforme de son conseil d’administration, qui permettra, d’une part, de donner une meilleure place aux structures engagées et actives dans la Fondation et, d’autre part, d’atteindre plus facilement le quorum pour remplir plus efficacement ses missions.

Je souhaite saluer également une mesure prévue à l’article 1er, finalement intégrée à la dernière loi de finances rectificative, qui redonne à la Fondation un périmètre d’action correspondant au sens de sa mission. Elle pourra dorénavant intervenir sur l’ensemble des communes de moins de 20 000 habitants. Ce périmètre avait été restreint, à l’excès, par une instruction fiscale ; il sera dorénavant bien plus cohérent avec les objectifs de la Fondation.

Il est en revanche regrettable qu’aucune solution législative n’ait pu être trouvée pour permettre de réaffecter les fonds bloqués de la Fondation, qui représentent tout de même 10 millions d’euros. Cette proposition de loi aura permis de mettre en lumière ce problème, mais d’autres leviers devront être actionnés rapidement pour le régler.

Je me permets également de souligner un point de vigilance. L’article 6 de ce texte prive la Fondation des pouvoirs spécifiques qui lui avaient été accordés en matière d’acquisition et de gestion de biens, notamment la possibilité d’avoir recours à l’expropriation. Ces pouvoirs étaient, certes, inhabituels pour une structure de ce type, et ils n’avaient jamais été mis en œuvre. Mais était-ce une raison suffisante pour lui retirer toute possibilité de les utiliser dans le futur ? Au moment de sa création, il était envisagé que la Fondation du patrimoine puisse jouer un rôle dans l’acquisition, la gestion et la protection de sites naturels, actions pour lesquelles ces pouvoirs exceptionnels auraient pu être utiles et justifiés.

L’action de la Fondation est aujourd’hui très peu tournée vers le patrimoine naturel, qui est pourtant particulièrement menacé et qui manque de financements. La protection des paysages et sites naturels remarquables a toute sa place dans la politique du patrimoine. Je regrette donc que cette dimension de son action ne soit pas remise à l’ordre du jour. Toutefois, le groupe écologiste votera cette proposition de loi en raison des avancées positives et concrètes qu’elle apporte.

Mme le président. La parole est à Mme Nadège Havet, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme Nadège Havet. Madame la présidente, madame la rapporteure, madame la sénatrice Vérien, autrice de la proposition de loi, mes chers collègues, la Fondation du patrimoine, « première actrice de la générosité en faveur du patrimoine », célébrera d’ici à quelques jours ses 25 ans – aussi jeune que moi (Sourires.) –, sa création ayant été votée au Sénat en première lecture le 27 mars 1996.

Cette structure essentielle vient aider financièrement les propriétaires, qu’il s’agisse de collectivités, de particuliers ou d’associations, qui s’investissent pour préserver notre patrimoine de proximité non protégé, celui de nos centres-bourgs et de nos centres-villes. Élue de la commune de Saint-Pabu, dans le Finistère, je conclurai d’ailleurs en évoquant un exemple concret à quelques pas de chez moi.

Par quels moyens cet accompagnement se fait-il ? Par des dons, du mécénat, des aides fiscales, des subventions de collectivités, des jeux, aussi, notamment grâce à la mission Patrimoine, portée par Stéphane Bern et la Française des jeux, et, enfin, par des apports de la Fondation du patrimoine elle-même. Au total, ce sont près de 3 000 projets par an qui sont portés par cette institution.

La proposition de loi déposée par notre collègue du groupe Union Centriste, Mme Dominique Vérien, porte sur la modernisation de la gouvernance et des outils de collecte de cette personne morale de droit privé, reconnue d’utilité publique. C’est un texte bienvenu, que nous soutenons avec mon groupe, et qui va bientôt être définitivement adopté après accord entre l’Assemblée nationale et le Sénat. Que notre collègue en soit félicitée !

L’objectif est, tout d’abord, de rendre plus efficaces les actions de sauvegarde du patrimoine culturel local et de revitalisation confiées à la Fondation du patrimoine. Toutes et tous ici, nous connaissons l’attachement de nos concitoyens à cette identité territoriale, à la nécessité de l’entretenir et, en même temps, les difficultés que rencontrent celles et ceux, notamment les élus locaux, qui sont impliqués dans ces entreprises de conservation.

Dans les points abordés, il y a la composition du conseil d’administration de la Fondation, qui compte actuellement vingt-cinq membres, un effectif critiqué par la Cour des comptes. Vous souhaitez le réduire à seize membres. Nous y sommes favorables.

Parmi les outils à la disposition de la Fondation, que j’évoquais en introduction, il y a le lancement des souscriptions populaires. Les porteurs de projet peuvent en effet solliciter la Fondation pour recueillir des dons, ce qui donne lieu à défiscalisation, mais certains projets n’aboutissent pas ou, alors, ils aboutissent avec d’autres sources de financement. La conséquence, c’est que l’argent ainsi collecté n’est pas dépensé.

De façon opportune, la proposition prévoit un mécanisme pour débloquer ces sommes – 10 millions d’euros sont éligibles –, afin de les réaffecter à d’autres projets patrimoniaux. Ces mesures vont bien dans le sens d’une meilleure protection et de la valorisation du patrimoine de proximité.

En conclusion, j’aimerais revenir quelques secondes dans le Finistère pour évoquer la restauration et la sauvegarde de l’église Saint-Tugdual, dans la commune de Saint-Pabu, commune où je suis élue depuis de nombreuses années. Celle-ci va bénéficier de ces aides, comme une cinquantaine d’autres monuments de mon département. Le mur de soutènement du cimetière de même que la charpente de l’église ont besoin de travaux urgents en raison d’un état jugé très préoccupant. À la suite d’une mobilisation pour sauver cet édifice de 1767, en plein cœur des Abers, qui conserve des éléments authentiques, notamment en son chœur, la Fondation du patrimoine a décidé de financer une partie du projet, lequel a connu des transformations. Ainsi, au second semestre de 2022, avec l’action de la Fondation du patrimoine, une nouvelle étape de restauration sera entreprise.

À quelques kilomètres de chez moi se dresse un autre trésor : le phare de l’île Vierge, plus haut phare d’Europe, plus haut phare du monde en pierre de taille et quatrième plus haut phare du monde, avec ses 365 marches. Il est actuellement restauré et sera transformé pour partie en gîte.

Pour découvrir tout ce patrimoine un peu loin de Paris, je vous invite à visionner le reportage « Terroirs d’excellence en Bretagne » de l’émission Des Racines et des ailes. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, RDSE et UC.)

Mme le président. La parole est à M. Bernard Fialaire, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Bernard Fialaire. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la France est riche d’un patrimoine bâti exceptionnel et très divers, qui va du château au petit pigeonnier rural, en passant par ses jardins remarquables. Nous savons combien la préservation et la valorisation de ces biens sont essentielles à l’attractivité de nos territoires. Une grande partie de ce patrimoine échappe cependant à la politique de restauration menée au titre des monuments historiques. Aussi, la Fondation du patrimoine est devenue, depuis sa création en 1996, un partenaire privilégié et complémentaire des politiques de protection patrimoniale de l’État.

En tant qu’élus, nous pouvons constater sur le terrain qu’il s’agit d’un outil indispensable pour soutenir des projets de proximité qui ne verraient pas le jour autrement. En effet, chaque année, la Fondation s’emploie à sauver plus de 2 000 monuments non protégés – églises, théâtres, moulins, musées, et même des phares, comme nous venons de l’entendre –, participant ainsi activement au développement économique des centres-bourgs, à la transmission des savoir-faire artisanaux et à l’essor du tourisme rural.

J’en profite pour saluer le travail de tous les acteurs, notamment des quelque 600 bénévoles, qui s’investissent dans nos régions, dans nos communes, pour sélectionner les chantiers et mobiliser les financements. Ils font bien souvent dans la dentelle, une approche qui légitime la Fondation, dont je rappelle le statut d’utilité publique.

Pour autant, la Fondation doit garder un cap : il s’agit de s’intéresser en priorité au patrimoine non protégé, en particulier au patrimoine rural. Dans cette perspective, la proposition de loi offre de nouvelles garanties pour renforcer les actions de mise en valeur du patrimoine local. Parmi celles-ci, on ne peut qu’adhérer à la réforme du label « Fondation du patrimoine », qui donne droit à un avantage fiscal incitatif pour la restauration du patrimoine, dont une instruction administrative de 2005 était venue limiter la portée en le réservant au patrimoine rural des villes de moins de 2 000 habitants.

Aussi, notre groupe est favorable à l’élargissement du bénéfice potentiel du label à tous les immeubles situés dans des communes de moins de 20 000 habitants, un seuil qui correspond mieux aux nouveaux contours du monde rural. Le RDSE avait d’ailleurs déjà approuvé l’introduction d’un tel seuil dans la loi de finances rectificative de juillet dernier.

L’inclusion des parcs et jardins dans ce dispositif est également une bonne chose, le savoir-faire français en matière d’aménagement paysager étant également un élément très reconnu et apprécié de notre patrimoine culturel.

Je tiens à rappeler le travail d’amélioration de ce texte effectué par le Sénat lors de sa première lecture. Ainsi, l’objectif de sauvegarde du bâti rural a été renforcé par l’obligation de délivrer majoritairement le label, chaque année, à des immeubles appartenant au patrimoine rural. Dans le même esprit, nos collègues avaient élargi le collège des collectivités territoriales aux communes rurales. Tout cela va naturellement dans le bon sens ; notre groupe y souscrit pleinement.

S’agissant de la gouvernance de la Fondation, les orateurs précédents ont déjà rappelé que le texte vise à la moderniser, à la simplifier et à la rendre plus efficace pour la rapprocher du droit commun des fondations reconnues d’utilité publique. Plus précisément, la rédaction proposée par le Sénat devrait permettre de fluidifier les décisions, objectif que je partage évidemment.

Le seul regret que je souhaite évoquer concerne la question des ressources financières mises à disposition de la Fondation. L’article 5, qui offrait dans le texte initial la possibilité de réaffecter des dons à un autre projet en cas de non-réalisation des travaux financés, a été supprimé par l’Assemblée nationale ; nos collègues députés ont mis en avant la fragilité juridique du dispositif. On peut certes comprendre cet argument, mais le retrait de cet article ne doit pas empêcher le Gouvernement de réfléchir à une base légale qui permettrait d’éviter le blocage de fonds.

Doit-on s’inquiéter aussi, dans le contexte économique actuel, d’une possible raréfaction du mécénat des entreprises, vecteur sur lequel s’appuie la Fondation ? Peut-être, madame la ministre, disposez-vous d’éléments sur ce risque ?

Mes chers collègues, ici, dans la maison des collectivités locales, il n’est pas besoin d’en dire davantage pour convaincre de la nécessité de sauver le petit patrimoine du quotidien, d’entretenir les bâtis caractéristiques de nos campagnes, qui irriguent la vie locale et font le charme des détours sur les routes de France.

Le RDSE, comme je l’ai expliqué, est favorable aux aménagements proposés autour de la Fondation du patrimoine. Par conséquent, nous voterons ce texte avec enthousiasme. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)

Mme le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

M. Pierre Ouzoulias. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la Fondation du patrimoine a été conçue en juillet 1996 avec la volonté politique assumée de créer un outil expérimental qui puisse suppléer l’action publique par le recours à la mobilisation de l’activité de bénévoles, au mécénat d’entreprise et à la générosité privée. La Fondation demeure aujourd’hui un hapax : c’est le seul organisme privé indépendant à but non lucratif dont le statut est fixé par la loi et dont le financement repose, en grande partie, sur une recette domaniale de l’État qui n’est pas soumise au contrôle budgétaire du Parlement.

À la fin du précédent millénaire, dans l’euphorie des réflexions alors menées sur la réforme de l’État, la Fondation du patrimoine devait être le laboratoire de la collaboration heureuse entre partenaires publics et privés et constituer ainsi un utile auxiliaire de l’État dans son action en faveur du patrimoine rural non protégé. Elle était mise en parangon avec le National Trust britannique, qui est aujourd’hui fort de 4 millions d’adhérents, d’un demi-milliard d’euros de budget annuel et de 5 000 salariés.

Vingt-cinq ans plus tard, ce dessein novateur a été oublié et ce projet ambitieux apparaît comme une chimère. La Fondation du patrimoine ne compte que 6 000 adhérents et dispose d’un budget de 32 millions d’euros. Ses membres espérés et jamais venus ont finalement été remplacés, plus adéquatement, par les acheteurs d’un billet du loto du patrimoine. Comme le souligne la Cour des comptes, la Fondation du patrimoine n’a jamais encouragé l’adhésion directe des personnes physiques, estimant qu’elle n’aurait pas les moyens d’assurer l’organisation et la promotion du réseau qu’elle aurait pu constituer.

Par ailleurs, dépourvue des ressources privées qu’elle espérait, la Fondation du patrimoine a finalement été sauvée, en 2003, par l’affectation d’une fraction du produit des successions appréhendées par l’État pour cause de déshérence. Cette ressource erratique représentait, en 2010, 40 % de ses revenus. La Cour des comptes, dans son rapport public annuel de 2013, souligne justement que cette recette domaniale de l’État échappe au contrôle du Parlement, en contradiction avec l’article 51-1 de la loi organique relative aux lois de finances, qui fait obligation au Gouvernement d’informer le Parlement des recettes publiques affectées à des personnes morales autres que l’État. À tout le moins, madame la ministre, il serait légitime que le Gouvernement satisfît à cette obligation législative à l’occasion de la prochaine discussion budgétaire.

Cet apport d’argent public a certes permis à la Fondation du patrimoine de développer les actions qui étaient sa raison d’être, mais il a eu pour autre conséquence de complexifier ses rapports avec l’État, qui lui a demandé en échange de prendre à sa charge des politiques publiques qu’il ne pouvait plus financer ou organiser. L’ambiguïté de cette relation a été révélée au public lorsque la Fondation a décidé de suspendre sa collecte de fonds en faveur du chantier de restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris. Votre prédécesseur, madame la ministre, avait alors fait part à notre commission de sa perplexité devant cette décision. Elle était pourtant parfaitement légitime, venant d’un organisme dont l’indépendance a été voulue par sa loi fondatrice, mais n’en posait pas moins la difficile question de la relation entre l’État et la Fondation.

La présente proposition de loi porte modification du gouvernement de la Fondation du patrimoine et prend ainsi acte de l’évolution de son fonctionnement par rapport au projet d’origine. La mesure est de bon sens ; on peut néanmoins se demander s’il est pertinent de continuer à fixer dans la loi les statuts d’un organisme dont la pratique s’est sensiblement écartée des missions qui lui avaient été assignées en 1996.

Dans son rapport d’information du 25 juillet 2002, notre ancien collègue sénateur Yann Gaillard estimait que la Fondation du patrimoine devait « avoir un rôle pilote dans la sauvegarde et la mise en valeur du patrimoine dit “non protégé” ». C’est pourquoi il avait souhaité, au nom de la commission des finances, la doter de ressources budgétaires pérennes.

La Fondation du patrimoine a parfaitement accompli cette nouvelle mission, à proportion des moyens mis à sa disposition. Toutefois, cette évolution aurait dû être accompagnée d’une réflexion d’ensemble sur les objectifs et les moyens d’une politique nationale en faveur du patrimoine rural non protégé. Déjà, en 1987, dans le cadre de la mission Patrimoine 2000, Serge Antoine soulignait que le patrimoine rural avait été l’oublié d’une société ingrate à l’égard de ses agriculteurs. Trente-cinq ans plus tard, le constat reste d’actualité. Il devient impérieux de nous demander quel futur nous voulons pour ce patrimoine. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur plusieurs autres travées.)

Mme le président. La parole est à Mme Dominique Vérien, pour le groupe Union Centriste.

Mme Dominique Vérien. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la Fondation du patrimoine, qui œuvre pour le grand comme pour le petit patrimoine, est une institution importante de notre pays. La rurale que je suis – je ne prétends pas être la seule dans notre assemblée – sait à quel point notre patrimoine, bien qu’il soit coûteux, est riche et porteur de valeurs : la façon dont un village peut s’unir autour de la réhabilitation d’un moulin ou d’un lavoir nous le prouve tous les jours.

Personnellement, je suis élue du village natal de Colette, qui abrite, outre la maison natale de cette dernière, une tour ovoïde du XIe siècle, une église du XIIIe siècle et un château du XVIIe siècle, tout cela pour 930 habitants ; vous comprendrez donc mon intérêt pour le patrimoine, mais surtout pour la Fondation du patrimoine. C’est parce que j’étais convaincue de l’utilité d’étendre le label et de réformer la gouvernance de la Fondation que j’ai déposé cette proposition de loi, sans savoir quelle course d’obstacles l’attendait !

Je l’avais déjà souligné lors de la première lecture de ce texte, mais je tiens à le faire une nouvelle fois : il ne serait pas ce qu’il est sans le regard compétent, les remarques et les modifications avisées de son premier rapporteur, Jean-Pierre Leleux.

Nous avions donc adopté ce texte en première lecture ; il est parti à l’Assemblée nationale, qui l’a adopté à son tour. Bref, tout devait bien se passer, le texte devait repasser au Sénat pour y être voté conforme, ce qui aurait permis à la réforme de s’appliquer dès cet été. Seulement, patatras ! Une erreur dans un amendement adopté a nécessité d’apporter une correction au texte, ce qui empêche un vote conforme par le Sénat en deuxième lecture et nous oblige à renvoyer la proposition de loi à l’Assemblée nationale, avec l’espoir infime qu’elle pourra être inscrite à son ordre du jour avant les calendes grecques…

Heureusement, madame la ministre, votre prédécesseur, Franck Riester, a sauvé un bout de ce texte, en permettant la labellisation de projets dans les communes de moins de 20 000 habitants, dès l’été dernier, grâce à l’une des nombreuses lois de finances rectificatives pour 2020. La covid-19 aura au moins permis de sauver cela !

Mais il reste encore la modification du conseil d’administration de la Fondation. Cela pourrait être anecdotique, mais la gouvernance d’une fondation est une chose importante. La Fondation du patrimoine prend de l’ampleur et intervient dans de nombreuses missions, comme le loto du patrimoine. Elle a su prendre tout de suite sa part dans la sauvegarde de Notre-Dame, même si elle a arrêté sa souscription un peu plus tôt que ne l’espérait M. Riester. Enfin, elle est en train de renouveler et de développer le nombre de ses bénévoles dans nos régions.

Pour cela, elle souhaite, ce à quoi la Cour des comptes l’y invite avec force, se doter d’une gouvernance plus légère et plus efficace.

Je n’ai aucun intérêt personnel dans cette démarche, puisque, à l’issue du parcours de cette proposition de loi, les parlementaires ne siégeront plus au conseil d’administration de la Fondation. J’avoue en revanche être ravie d’y voir entrer les maires ruraux, aux côtés des représentants de l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité, de l’Assemblée des départements de France et de l’Association des régions de France.

Je remercie donc le président de la commission de la culture d’avoir accepté de procéder à la deuxième lecture de ce texte selon la procédure de législation en commission. Ainsi, cette gouvernance pourra être modernisée.

Je remercie également la nouvelle rapporteure de la proposition de loi, Sabine Drexler, qui a mené son travail avec un sérieux qu’aurait salué, j’en suis sûre, Jean-Pierre Leleux.

Maintenant, il me reste à vous demander, madame la ministre, de nous aider à aller jusqu’au bout de cette réforme. La Fondation du patrimoine en a besoin, et ce qui est bon pour la Fondation est bon pour le patrimoine !

Vous l’aurez compris, le groupe Union Centriste votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à Mme Marie-Pierre Monier, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Marie-Pierre Monier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues – vous en particulier, Dominique Vérien, qui êtes l’auteure de cette proposition de loi –, depuis sa création en 1996, la Fondation du patrimoine s’est affirmée comme un acteur incontournable de la préservation d’un patrimoine de proximité, non protégé, mais caractéristique de nos territoires ruraux. La Fondation accompagne chaque année des milliers de projets ; ce sont autant de pépites locales qui participent de l’identité et de l’attractivité des collectivités concernées et doivent être protégées et valorisées à ce titre.

Nous connaissons toutes et tous dans nos territoires de tels trésors qui bénéficient de ce précieux appui. Je pense ainsi, pour ma part, au prieuré de Manthes, bâtiment historique remarquable qui est devenu au fil du temps un lieu d’éveil artistique de référence, au pigeonnier qui surplombe le village haut perché de Mirmande, ou encore au salon chinois de l’hôtel Lagier de Vaugelas à Die, lieu trop longtemps oublié : les exemples ne manquent pas !

Nous étions parvenus à un consensus, en première lecture, autour de la nécessité d’élargir le champ d’action de la Fondation du patrimoine et de moderniser sa gouvernance et sa façon de fonctionner, tout en maintenant son cœur de mission, la sauvegarde de ce patrimoine rural. Je me réjouis que cette vision ait également guidé nos collègues de l’Assemblée nationale. Si, en l’état, la rédaction du texte ne laisse aucune ambiguïté quant au patrimoine ciblé dans ce cadre, l’élargissement du label nécessite, pour être opérant, un effort financier pérenne, point sur lequel nous saurons rester vigilants à l’avenir.

La qualité du travail collectif mené autour de l’article 1er, mesure phare de ce texte, et la reconnaissance du soutien indispensable que peut apporter la Fondation, aux côtés de l’État et des collectivités territoriales, à la relance de l’activité dans le secteur du patrimoine ont conduit à une adoption anticipée de ses dispositions, dans le cadre de la loi de finances rectificative de juillet 2020. C’est une accélération dont nous pouvons nous féliciter.

Ainsi, une fois l’article 1er et l’article 5 supprimés – je reviendrai sur ce dernier dans la suite de mon propos –, la disposition la plus importante introduite par ce texte, à l’article 3, porte sur la gouvernance de la Fondation et la composition de son conseil d’administration ; elle exprime une volonté de simplification et de gain d’efficacité.

Nous avions su trouver lors de nos travaux en commission un point d’équilibre à ce sujet, que je souhaite de nouveau saluer. La composition retenue rapproche la Fondation du statut type des fondations reconnues d’utilité publique ; elle intègre par ailleurs désormais en son sein des représentants des collectivités territoriales et des associations de défense du patrimoine, qui sont des interlocuteurs précieux, car ils agissent au plus près des territoires et des projets concernés.

Je conclurai mon propos en revenant sur l’article 5, qui offrait à la Fondation la possibilité de réaffecter des dons versés avant 2015 pour des projets spécifiques. Pour notre groupe, cet article constituait depuis le début du parcours législatif de ce texte un point fort d’incertitude, tant nous craignions que le manque de solidité juridique du dispositif proposé nous expose à une censure du Conseil constitutionnel. Le maintien de la suppression qu’en a faite l’Assemblée nationale s’impose par conséquent comme une décision de sagesse.

Il ne nous faut cependant pas oublier les raisons qui ont poussé la Fondation à solliciter en premier lieu un tel outil législatif : l’ampleur de la somme concernée, conjuguée au travail titanesque que représente pour cette structure la quête des anciens donateurs. Si la Fondation du patrimoine a finalement renoncé à une telle disposition, nous devons avoir conscience du coût humain que représente cette recherche : elle requiert une mobilisation bénévole de plusieurs années.

Mes chers collègues, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera en faveur de cette proposition de loi, car nous partageons ses objectifs et la vision d’une Fondation du patrimoine résolument engagée en faveur de la préservation et du rayonnement de notre patrimoine rural et hyper-rural. Espérons que ce riche patrimoine, qu’il nous faut appréhender dans sa dimension aussi bien matérielle qu’immatérielle, pourra continuer à compter sur notre soutien et sur celui du ministère de la culture. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et RDPI. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)

Mme le président. La parole est à M. Max Brisson, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Max Brisson. Madame la ministre, vous avez été confrontée à des textes plus difficiles… (Sourires.)

Au risque de répéter les propos des orateurs précédents, je veux à mon tour me réjouir du caractère quasi consensuel de ce texte, qui permet plusieurs avancées pour la protection du patrimoine de proximité.

Oui, au Sénat, on aime la Fondation du patrimoine ! On l’aime non seulement parce qu’elle est née d’une initiative sénatoriale, celle d’un de vos compatriotes de Maine-et-Loire, madame la ministre, le sénateur Jean-Paul Hugot, mais surtout parce qu’elle est un acteur essentiel, aux côtés des collectivités et de l’État, dans la défense et la protection d’un patrimoine souvent situé dans les zones rurales.

Au Sénat, on salue donc le travail de la Fondation du patrimoine, qui soutient 3 000 projets de sauvegarde publics ou privés, majoritairement dans de petites ou très petites communes. Elle peut ainsi se prévaloir d’avoir sauvé, préservé ou protégé quelque 32 000 sites en vingt-cinq ans. À cette fin, elle dispose de plusieurs outils efficaces.

Elle offre d’abord un label très mobilisant pour les petits propriétaires privés. Il avait été prévu par l’État, dès la création de la Fondation, pour encourager la réalisation de travaux de restauration au moyen d’une déduction d’impôt sur le revenu.

Elle dispose ensuite de souscriptions populaires et, plus récemment, du loto du patrimoine, dont elle assure le pilotage et la gestion des recettes.

C’est elle, encore, qui a aidé l’État à organiser la souscription nationale pour la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris.

Enfin, sa capacité d’action est assurée par des bénévoles, qui se chargent de mobiliser le secteur privé et de nouer des partenariats avec les entreprises. La Fondation compte 600 bénévoles.

La Cour des comptes, tout en soulignant dans un rapport de décembre 2018 le rôle majeur de la Fondation, a formulé plusieurs recommandations pour développer encore son action. Nous en trouvons la traduction dans la présente proposition de loi, due à l’heureuse initiative de Dominique Vérien, que je tiens à saluer.

Comme l’a expliqué notre rapporteur Sabine Drexler, que je remercie pour ses travaux, l’octroi du label de la Fondation sera étendu et facilité. Son périmètre sera désormais inscrit dans la loi, de manière à supprimer les limites fixées par une instruction fiscale, aux termes de laquelle seuls les immeubles situés dans des sites patrimoniaux remarquables ou des communes rurales de moins de 2 000 habitants étaient éligibles. Or certains centres urbains anciens ont le plus grand besoin d’une réhabilitation, ce qui a légitimé un élargissement du label aux communes de moins de 20 000 habitants. Pour autant, le Sénat a garanti que le patrimoine rural demeurerait prioritaire, puisqu’il devra représenter la majorité des immeubles labellisés.

Nous avons aussi clarifié le nouveau champ d’application du label, pour qu’il puisse également s’appliquer aux parcs et jardins, aujourd’hui exclus du dispositif. Je tiens à cette occasion à saluer le travail de notre ancien collègue et rapporteur Jean-Pierre Leleux.

S’agissant de la gouvernance de la Fondation du patrimoine, il est proposé dans ce texte de réduire l’effectif du conseil d’administration de la Fondation et de rapprocher sa composition de celle d’autres fondations reconnues d’utilité publique. Les travaux du Sénat ont permis de mieux y associer les associations de défense du patrimoine et des représentants des collectivités territoriales, ce qui assurera la représentation des communes rurales et garantira encore une fois le rôle prioritaire de la Fondation dans le soutien au patrimoine de ces petites communes.

Installée voilà plus de vingt-cinq ans, la Fondation du patrimoine, pour reprendre la formule de Jean-Paul Hugot, « a redonné vie à nos trésors », qu’il s’agisse d’églises, de puits, de moulins ou de paysages. Elle a réaffecté des bâtiments à de nouvelles fonctions, notamment pour des équipements culturels au cœur des territoires. Grâce à elle, la friche industrielle est devenue médiathèque ; l’ancienne prison, école de photo ; le mur d’enceinte, chantier d’insertion.

Ses missions sont donc culturelles bien sûr, mais également économiques et sociales. En effet, dans cette période de crise sanitaire, les projets de restauration jouent plus que jamais un rôle essentiel de relance économique, en participant au maintien et à la création d’emplois dans les secteurs du bâtiment, des métiers d’art et du tourisme. Nous devons soutenir leur multiplication, au travers de petits chantiers qui permettent de développer la formation et la transmission des savoir-faire de nos artisans et de nos artisans d’art.

Au vu de tout cela et des précisions apportées par notre rapporteur Sabine Drexler, le groupe Les Républicains votera bien évidemment cette proposition de loi, avec l’espoir qu’elle connaisse son épilogue avant la fin des calendes grecques ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

Mme le président. Je mets aux voix, dans le texte de la commission, la proposition de loi, modifiée par l’Assemblée nationale en première lecture, visant à moderniser les outils et la gouvernance de la Fondation du patrimoine.

(La proposition de loi est adoptée.)

Mme le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures vingt, est reprise à quinze heures trente.)

Mme le président. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à moderniser les outils et la gouvernance de la Fondation du patrimoine
 

6

Dette publique à l’aune de la crise économique actuelle

Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains

Mme le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur la dette publique à l’aune de la crise économique actuelle.

Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.

À l’issue du débat, l’auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.

Dans le débat, la parole est à M. Jérôme Bascher, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jérôme Bascher, pour le groupe Les Républicains. Madame le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, pourquoi le groupe Les Républicains a-t-il demandé l’organisation de ce débat aujourd’hui, sur l’initiative de Bruno Retailleau et de Jean-François Husson ? C’est parce que la dette occupe tous les débats et que nul n’ignore que l’augmentation de 15 à 25 points de PIB de la dette publique constitue un fait historique et un enjeu financier majeur, à la mesure de la pandémie que nous vivons.

Notre débat, mes chers collègues, mérite mieux que des « y-a-qu’à ». Pour avoir tous exercé des responsabilités exécutives et en tant que parlementaires, nous savons qu’il s’agit là d’une formule magique et que, comme tous les tours de magie, elle repose sur une illusion. C’est à la commission Arthuis ou aux missions de la Cour des comptes qu’il appartiendra de dire « y-a-qu’à ».

Notre débat mérite également mieux que les approximations, comme celle du haut-commissaire au plan, qui a expliqué la semaine dernière qu’il fallait repousser la dette covid, autrement dit qu’il fallait prévoir un « différé d’amortissement »,…

M. Jérôme Bascher. … oubliant que l’essentiel de notre dette se paie in fine, c’est-à-dire sans amortissement… Une proposition aussi absurde de la part d’un haut-commissaire est un peu étonnante.

M. Jérôme Bascher. Elle traduit une méconnaissance du sujet. Son travail est nul et non avenu !

M. Roger Karoutchi. Très bien !

M. Jérôme Bascher. Les conseilleurs ne sont pas les payeurs, comme on dit chez les gens de bon sens…

Nous, nous sommes au Parlement, et c’est à nous, avec le Gouvernement, de parler, comme dirait le Premier ministre, « en responsabilité » de ce qui sera fait.

Pour ma part, je me bornerai à soulever des approches plutôt que de proposer des solutions définitives. Si quelqu’un connaissait une solution définitive pour régler le problème de la dette, il aurait plusieurs prix Nobel à son actif !

En fait, faut-il parler d’une dette publique globale ou de plusieurs dettes ? Autrement dit, peut-on envisager un traitement unique alors que nos dettes sont diverses ?

Ainsi, les 70 milliards d’euros de dettes de l’Unédic ne sont pas de même nature que la dette de nos collectivités. La dette de la SNCF, celle qui a été reprise, mais aussi la nouvelle, celle de 2020, ne sont pas de même nature et n’appellent donc pas les mêmes solutions. Les dettes sous la ligne, principalement les retraites dues à l’avenir, n’appellent pas la même solution que la dette de l’État.

Réfléchissons simplement en bon père de famille : un ménage s’endette en principe pour investir et rembourse ses dettes. Il est surendetté lorsqu’il n’arrive plus à vivre, car ses revenus servent au remboursement de la dette et des charges de la dette. Tel est notre cas, messieurs les ministres : notre déficit public primaire permanent est comparable au surendettement d’un ménage.

Réfléchissons, toujours simplement, comme un chef d’entreprise. Notre stock de dettes est aujourd’hui quasi équivalent à nos actifs, comme le montrent les tableaux de l’Insee. Le problème, c’est que notre stock d’actifs est immobile alors que notre dette ne cesse de croître. Une telle situation mènerait assurément une entreprise à la banqueroute.

En vérité, notre dette est une mauvaise dette. C’est une dette de consommation et non une dette d’avenir.

Permettez-moi ici de faire une digression à l’intention de tous les tenants du déficit public et de l’augmentation de la dette : s’endetter, c’est consommer aujourd’hui le capital de demain. C’est vrai en particulier pour les ressources naturelles. Nous consommons plus vite notre planète lorsque nous nous endettons. Nous faisons payer plus, toujours plus, aux futures générations pour notre propre confort. Avec la dette, c’est le développement durable qui est mis à mal. Je tiens à le dire, parce qu’on oublie souvent et facilement, d’un certain côté de l’hémicycle, cette autre facette de l’endettement.

L’annulation de la dette est devenue une nouvelle formule magique. Je l’ai dit, c’est une illusion. Souhaiter l’effacement de la dette, c’est dire qu’on peut toujours dépenser plus sans que cela porte à conséquence. Voilà ce que disent les partisans de l’annulation de la dette !

Permettez-moi à cet égard de faire un rapprochement étonnant entre le « quoi qu’il en coûte » d’Emmanuel Macron et certains discours, entendus plutôt du côté gauche de cet hémicycle.

M. Jérôme Bascher. Je me garderai bien de leur jeter la pierre, car, lors de la crise de 2008, il y a parfois eu un phénomène similaire à droite.

M. Jérôme Bascher. Il faut savoir que nous sommes les seuls à proposer l’annulation de la dette.

M. Jérôme Bascher. Personne en Europe ou dans le monde n’envisage une telle solution, mais, nous, Français, nous allons inventer cette martingale ! Voulons-nous ainsi entrer dans l’histoire ? La dernière fois que nous avons fait défaut, c’était avec les assignats, qui sont de sinistre mémoire… Ce débat est purement français.

Qu’est-ce que la dette covid ? Le Gouvernement devra répondre à cette question. Quel est le contrefait de la dette covid, pour parler de manière un peu technocratique ? Faut-il cantonner cette dette, sachant qu’elle coûtera plus cher au final ?

À titre d’exemple, la dette de la Cades, qui est cantonnée depuis des années, nous coûte plus cher. Sa gestion actif-passif est absolument catastrophique. Il est incroyable que le FRR, qui, lui, gagne de l’argent, soit obligé d’en verser à la Cades, qui en perd ! Il m’a pourtant semblé comprendre que la gestion actif-passif était l’une des solutions envisagées par le Gouvernement. Nous attendons des explications à cet égard au cours de ce débat.

Certains proposent d’allonger la dette. Encore faudrait-il que quelqu’un la rachète, mes chers collègues ! Qui va le faire ? On nous parle de l’Angleterre. Or les fonds de pension achètent en livres sterling pour verser les retraites. Nous, nous ne fonctionnons pas avec des fonds de pension et notre monnaie est l’euro ! Nous n’avons donc pas le même marché.

Faut-il augmenter les impôts, réduire les dépenses ? Faut-il faire de la croissance, comme vous le dites, monsieur le ministre de l’économie et des finances ? Pourtant, on n’a jamais réduit la dette avec la croissance au cours de l’histoire, même si on ne la réduit pas sans croissance.

Il reste une piste : l’inflation. Est-ce votre solution ? Nous allons en débattre. En tout cas, il y a urgence, car les taux d’intérêt remontent et nous sommes proches de la banqueroute. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Mme le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie, des finances et de la relance. Madame la présidente, monsieur le ministre délégué, mesdames, messieurs les sénateurs, nous traversons une crise économique inédite par son ampleur et par sa durée. Pour faire face à cette crise, le Président de la République a fait un choix extrêmement clair : protéger les salariés français et les entreprises françaises, quoi qu’il en coûte. Ce choix s’est effectivement traduit par une augmentation massive de la dépense publique et par un accroissement de notre dette publique, qui atteindra cette année 120 % de notre richesse nationale, contre 98 % en 2019. Ce niveau de dette publique n’avait pas été atteint depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Ces 20 points de dette supplémentaires par rapport à notre richesse nationale s’expliquent pour moitié par la dégradation de notre déficit, liée aux dépenses publiques que j’ai indiquées, mais pour moitié aussi, je tiens à le rappeler, par la diminution de notre richesse nationale, qui a baissé de 8,2 % en 2020.

Cette hausse massive des dépenses publiques était le seul choix responsable pour faire face à la crise économique. Elle était nécessaire pour protéger nos salariés, éviter un chômage de masse et prévenir un tsunami de faillites d’entreprises. C’est le seul choix aussi qui permettra à l’économie française de rebondir vite et fort, dès cette année 2021, parce que nous aurons préservé nos entreprises, nos salariés, nos compétences, nos savoir-faire.

Ma conviction est forte : en 2021, l’économie française repartira vite et fort. Les ressorts de l’économie française ne sont pas cassés. Nous avons subi une crise profonde, mais les fondamentaux de notre économie restent sains. Les entreprises restent prêtes à investir. Le plan de relance est bien calibré pour alimenter la croissance. Je le répète : en 2021, l’économie française repartira vite et fort.

Il nous appartient désormais, et c’est tout l’intérêt de ce débat, dont je remercie le Sénat, de faire en sorte que ce niveau d’endettement, qui sera l’héritage de la crise économique, ne devienne pas à long terme une vulnérabilité pour la France. C’est notre responsabilité à tous.

La meilleure façon d’éviter que cette dette publique ne devienne une vulnérabilité pour la France, c’est de dire, de manière claire, sans aucune ambiguïté, que la France remboursera sa dette publique.

M. Bruno Sido. Très bien !

M. Bruno Le Maire, ministre. Pour cela, il faut d’abord la stabiliser, puis engager sa réduction suivant une stratégie de remboursement sur laquelle je reviendrai.

Je tiens à le préciser – ces propos rejoignent ce qu’a dit l’orateur précédent –, la France a en réalité deux dettes.

La dette chronique est liée au niveau des dépenses publiques, qui est, je le rappelle, le plus élevé de tous les pays développés au monde. Je rappelle par ailleurs que la dette française a explosé entre 2007 et 2017, au lendemain de la crise financière. Elle est alors passée de 64 % à 98 % de notre richesse nationale. Notre dette publique représentait déjà en 2017 près de 100 % du PIB à cause de cette dépense chronique qui caractérise l’économie française.

Avec le Président de la République et l’ensemble de la majorité, nous avions réussi, pour la première fois depuis vingt ans, à réduire le déficit au-dessous de 3 % du PIB. Nous avions sorti la France de la procédure de déficit excessif. Nous avons tenu les comptes publics, diminué le taux de dépenses publiques et, en même temps, le taux des prélèvements obligatoires de plus de 1 point. À cet égard, je rappelle que nous sommes la majorité qui, en vingt ans, a baissé le plus massivement les impôts. Nous aurons diminué les impôts de 45 milliards d’euros d’ici à la fin de 2021, la moitié pour les entreprises, l’autre moitié pour les ménages.

Je rappelle également que nous étions arrivés à stabiliser la dette publique de la France, après une augmentation de 30 points au cours des dix années passées. Nous ne parviendrons à réduire cette dette chronique qu’en diminuant et en rendant plus efficaces les dépenses publiques.

La seconde dette est une dette choisie, une réponse à la crise. Elle prépare l’avenir, parce qu’elle sauve nos entreprises et qu’elle nous permet d’investir dans les technologies, les compétences, les savoir-faire, les chaînes de valeur qui permettront à la France demain de rester l’une des plus grandes puissances économiques de la planète. Cette dette choisie est une dette responsable et nécessaire quand les taux d’intérêt sont aussi bas et nous permettent d’emprunter à des conditions financières intéressantes.

L’efficacité de la réponse à la crise par la dépense publique se lit dans les chiffres sur les faillites et le chômage. En 2020, la France a connu 31 000 faillites, contre 50 000 en 2019 en l’absence de crise économique, et la destruction de 360 000 emplois. C’est trop d’emplois détruits, trop de souffrances pour les Français victimes de ces pertes d’emplois, mais je rappelle que l’Unédic annonçait 900 000 suppressions d’emplois en 2020. Grâce au « quoi qu’il en coûte », nous avons donc protégé notre économie.

Dès lors, plusieurs questions se posent. Premièrement, avons-nous un problème de financement de notre dette ? Je veux là aussi être très clair et profiter de ce débat pour rassurer nos compatriotes : la France n’a aucune difficulté à financer sa dette. Elle a la confiance des investisseurs et elle la gardera en tenant un langage clair sur le remboursement de sa dette et sur sa stratégie de remboursement.

M. Philippe Dallier. Pourvu que ça dure…

M. Bruno Le Maire, ministre. La dette a augmenté, mais tout le paradoxe est que, dans le même temps, la charge de la dette a nettement diminué parce que nous empruntons à des taux plus bas. En 2020, la charge d’intérêt a coûté moins de 30 milliards d’euros, contre 39 milliards d’euros en 2019. Tout le paradoxe de la situation financière actuelle est que notre dette est plus importante et que la charge de la dette est moins élevée.

En 2020, nous avons levé 290 milliards d’euros de dettes à moyen et long terme, soit près de 45 milliards d’euros de plus qu’en 2019. Pourtant, le taux moyen auquel nous avons emprunté ces 290 milliards d’euros est inférieur de 20 points de base au taux moyen de 2019.

La récente émission d’une obligation à cinquante ans à un taux limité de 0,59 % atteste de la confiance des investisseurs dans la signature française, signature dont je suis le garant. C’est pourquoi Olivier Dussopt et moi le disons clairement et sans ambiguïté : la France remboursera sa dette suivant une stratégie claire et convaincante pour les marchés.

Vous me direz que les taux d’intérêt – cela a été signalé par M. Bascher –, qui étaient de –0,30 % en début d’année, se sont rapprochés aujourd’hui de 0 %, avec un taux pour l’OAT à dix ans de –0,10 % hier soir. Cela ne doit pas constituer une source d’inquiétude. Cette hausse est naturelle et maîtrisée. Elle est liée aux perspectives de reprise de l’activité économique,…

Mme le président. Il faut conclure, monsieur le ministre !

M. Bruno Le Maire, ministre. … au nouveau plan de relance américain et au rebond de l’inflation qu’il peut susciter.

Ce mouvement haussier est donc naturel et, je le redis, limité. La BCE a d’ailleurs assuré qu’elle maintiendrait des conditions de financement favorables.

Deuxième question : faut-il rembourser cette dette ? Je le redis : la réponse est oui. La France a toujours honoré sa signature sur sa dette, elle continuera de le faire.

Le temps qui m’est alloué étant écoulé, madame la présidente, je propose de conserver pour la suite la réponse à la grande question qui est de savoir comment rembourser notre dette. Je préserverai ainsi l’intérêt des sénatrices et des sénateurs ! (Sourires et applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

Débat interactif

Mme le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.

Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.

Dans le débat interactif, la parole est à M. Emmanuel Capus.

M. Emmanuel Capus. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, période que vous avez rappelée, monsieur le ministre, la dette publique française atteignait 250 % du PIB. Quelques années plus tard, au début des années 1950, elle n’en représentait plus que 30 %. Alors que notre taux d’endettement a bondi de 20 points en moins d’un an et qu’il dépasse désormais 120 % du PIB, une telle capacité à résorber la dette laisse rêveur.

Mais comparaison n’est pas raison, et la situation en 2021 diffère largement de celle de l’après-1945, quand bien même nous déclarons la guerre au virus. L’économie doit repartir, et repartir vite, mais le pays n’est pas à reconstruire.

La situation est aujourd’hui des plus singulières : d’une part, la dette publique, en valeur absolue, n’a jamais été aussi élevée ; d’autre part, l’épargne privée, constituée pour une large part grâce aux mesures mises en place par le Gouvernement, n’a jamais été aussi importante. On peut y voir un paradoxe historique. On peut aussi y voir une opportunité pour accélérer la relance sans dégrader davantage nos finances publiques.

Si le Gouvernement ne dirige plus l’épargne des Français, et c’est heureux ainsi, il peut mettre en place des outils afin de l’orienter vers des investissements stratégiques.

Monsieur le ministre, on a lu dans la presse que vous vous étiez emparé de cette question. Quels outils entendez-vous mettre en place ?

Mme le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie, des finances et de la relance. J’en viens, grâce à la question de M. Capus, à la manière de rembourser notre dette.

Il y a la mauvaise manière, celle qui a été employée pendant des décennies : les impôts. Pour ma part, j’exclus toute augmentation d’impôts pour rembourser notre dette publique. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.) Ce serait une erreur politique et une faute économique. En revanche, je pense qu’il faut jouer sur trois leviers : la croissance, la maîtrise des finances publiques et les réformes de structure.

La première manière de rembourser la dette, c’est d’alimenter la croissance. Tel est l’objectif du plan de relance. Il faut aussi, comme vous l’avez parfaitement indiqué, utiliser l’épargne des Français, qui auront constitué près de 200 milliards d’euros d’épargne d’ici à la fin de l’année. Nous voulons les inciter à transmettre plus facilement cette épargne à ceux qui pourraient la consommer. Je ferai des propositions au Premier ministre et au Président de la République en ce sens.

M. Roger Karoutchi. Très bien !

M. Bruno Le Maire, ministre. Nous avons également mis en place, je le rappelle, 150 fonds labellisés « Relance », destinés au financement des PME françaises, lesquels ont rencontré un immense succès dans le réseau bancaire français. Au 1er mars, ces fonds ont en effet permis de lever 25 milliards d’euros, qui financeront l’économie et permettront à nos PME de mieux fonctionner. Alimenter la croissance est la meilleure façon de rembourser notre dette publique.

La deuxième manière, c’est la maîtrise des finances publiques. Je suis favorable à ce que nous réfléchissions à la mise en place d’une règle pluriannuelle afin de stabiliser la dépense publique et de nous donner une plus grande visibilité. Je suis également favorable à un examen de l’ensemble de nos dépenses publiques afin de nous permettre de gagner en efficacité. À cet égard, Olivier Dussopt et moi attendons les propositions de la commission présidée par Jean Arthuis, qui seront suivies avec la plus grande attention.

Enfin, la troisième manière de rembourser notre dette, c’est d’engager des réformes de structure. Nous avons commencé à le faire avec la réforme de l’assurance chômage. Vous connaissez également mes convictions concernant la réforme des retraites : j’ai toujours estimé qu’il fallait inciter les Français à travailler plus longtemps pour financer notre modèle de protection sociale. (M. François Patriat applaudit.)

Mme le président. La parole est à M. Emmanuel Capus, pour la réplique.

M. Emmanuel Capus. Je vous remercie, monsieur le ministre, pour votre réponse détaillée et pour les propositions que vous nous annoncez.

Le groupe Les Indépendants a de son côté fait une proposition pour mobiliser l’épargne et l’orienter vers des investissements publics. Ma collègue Vanina Paoli-Gagin envisage la création de fonds souverains régionaux qui pourraient utiliser cette épargne au plus près des besoins des territoires. J’espère que nous pourrons bientôt en débattre ici.

Mme le président. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian.

Mme Sophie Taillé-Polian. Monsieur le ministre, vous avez dit il y a quelques instants que la France avait deux dettes, la bonne et la mauvaise. Pour ma part, je dirai qu’elle en a trois, même si je ne suis pas forcément d’accord avec votre caractérisation des deux premières. La troisième, c’est la dette écologique. (Oh là là ! sur les travées du groupe Les Républicains.)

Avec votre façon de compter, avec les outils dont nous disposons aujourd’hui ou dont nous voulons bien disposer, personne n’est en mesure de dire ce que cette dette va en réalité nous coûter, tant d’un point de vue financier que d’un point de vue humain en général. Comment faire pour que les enjeux écologiques, qui sont majeurs, soient enfin pris en compte dans la dette ? Cette dette va nous coûter très cher.

Vous dites compter sur la croissance pour rembourser la dette. C’est bien là le problème ! Vous tablez sur n’importe quelle croissance alors qu’il faudrait mettre en place des outils pour diriger l’ensemble des investissements vers la croissance verte et ne plus financer les dépenses et les énergies brunes.

Vous dites aussi qu’il faut réduire les dépenses publiques et engager des réformes structurelles.

Comment allez-vous faire pour prendre en compte la dette écologique ? Comment allez-vous faire, avec le remède de cheval que vous préconisez, pour ne pas provoquer une explosion encore plus grande de la pauvreté et pour ne pas creuser davantage les inégalités, du fait de l’affaiblissement total des services publics, dont nous constatons aujourd’hui, avec la crise, l’état lamentable ?

Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics. Madame la sénatrice, vous évoquez la dette environnementale et la manière dont on pourrait caractériser le poids de la transition écologique ou des atteintes à l’environnement dans la dette, celle que nous avons accumulée depuis des années, et non pas uniquement celle qui résulte de la crise du covid. Vous nous interrogez sur ce que nous pouvons faire pour que l’empreinte de l’économie sur l’environnement puisse être mieux maîtrisée.

Je rappellerai d’abord que plus d’un tiers des crédits du plan de relance que nous avons eu l’occasion de défendre devant vous et que le Parlement a adopté, soit plus de 30 milliards d’euros, sont prévus pour la transition écologique.

C’est la première fois que nous mettons en œuvre un plan avec un engagement budgétaire aussi important pour la transition écologique, à hauteur de 33 milliards d’euros. De surcroît, cela intervient dans un contexte d’augmentation systématique et croissante des moyens consacrés par le Gouvernement et par la majorité au ministère de la transition écologique et, au-delà, à un certain nombre de politiques de transition qui irriguent l’ensemble des ministères.

En outre, nous avons fait un grand pas sur la méthodologie. Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2021, vous avez pu prendre connaissance d’une annexe particulière, le « budget vert », qui indique si une dépense est verte – si elle n’a aucun effet néfaste, voire si elle a des effets positifs sur l’environnement – ou brune.

J’ai eu l’occasion de souligner que si ce premier exercice était inédit, il devait être parfait. Pour cela, nous allons travailler avec les parlementaires en pointe sur ces sujets à la réduction de la part des dépenses ayant été neutralisées – il y en a eu – et à la prise en compte des dépenses fiscales, afin de veiller à ce qu’un certain nombre d’incitations puissent être évaluées sous un angle environnemental. Ce budget vert est un outil de mesure et d’analyse qui sera utile pour vos réflexions.

Enfin, je le précise, c’est ce gouvernement qui, lors de l’examen du projet de loi de finances, a annoncé la trajectoire de sortie des avantages et garanties accordés par l’État aux investissements défavorables à l’environnement. La trajectoire s’étend sur une dizaine d’années, mais c’est la première fois qu’elle est définie.

Mme le président. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian, pour la réplique.

Mme Sophie Taillé-Polian. Parler aujourd’hui de la réforme de l’assurance chômage comme d’une solution pour rembourser la dette alors que vous allez jeter des milliers de chômeurs, en particulier les plus précaires, dans davantage de pauvreté témoigne, me semble-t-il, d’une totale déconnexion avec la réalité sociale de notre pays. La gravité de la situation sociale est totalement sous-estimée par le Gouvernement et ce n’est malheureusement pas une nouveauté !

Mme le président. La parole est à M. Didier Rambaud.

M. Didier Rambaud. Le « quoi qu’il en coûte » a permis à des millions d’entreprises et de Français de faire face à la crise sanitaire et économique.

Rappelons-le, depuis le début de la crise, les mesures d’urgence ont représenté 106 milliards d’euros, soit 4,4 % du PIB. Au total, plus de 13 milliards d’euros ont été affectés aux mesures sanitaires, 62 milliards d’euros à la préservation de la main-d’œuvre et au soutien aux revenus des ménages, 22 milliards d’euros à la liquidité des entreprises, et une enveloppe de 8 milliards d’euros a été spécifiquement fléchée vers les secteurs les plus touchés.

Ce soutien indispensable a un coût. La dette française est ainsi passée de 98 % à près de 120 % du PIB. C’est un phénomène international, puisque le niveau de la dette publique s’est envolé dans l’ensemble des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Face à une telle situation, les hypothèses et les débats autour de l’avenir de la dette se multiplient. Cependant, je crois que nous devons éviter de mettre tous les œufs dans le même panier. Chacun doit pouvoir distinguer le cantonnement de l’annulation.

L’annulation de la dette serait en effet une faute politique et un non-sens économique. Inutile, voire contreproductive, elle aurait de lourdes conséquences sur la crédibilité financière de la France.

L’hypothèse du cantonnement, quant à elle, demande sans doute une plus grande attention de notre part. D’ailleurs, avons-nous les moyens de cantonner la dette covid ? De la quantifier pour mieux l’isoler ? Et si cela est envisageable, qu’en est-il de son remboursement ?

La France sait gérer sa dette sociale. Et elle savait le faire avant la crise de la covid. Avec la création de la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades) en 1996, la dette sociale était passée de 260 milliards à 100 milliards d’euros en 2019, et il était prévu de l’apurer dès 2024.

Entre-temps, la crise est passée par là. Elle a sans aucun doute modifié le calendrier.

Monsieur le ministre, dès la fin de la crise, quelles recettes pourrions-nous affecter au remboursement de la dette ? Quelle option privilégier, entre un nouveau prolongement de la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS), l’affectation d’une ressource existante du budget général de l’État et la création d’une nouvelle recette pour le remboursement de la dette covid ?

Mme le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie, des finances et de la relance. Monsieur le sénateur, toutes les questions que vous soulevez sont essentielles, qu’il s’agisse du calendrier, de la méthode ou du principe du remboursement.

Sur ce dernier point, encore une fois – nous avons été clairs avec Olivier Dussopt –, nous estimons qu’il faut rembourser la dette. J’observe d’ailleurs que certains partis autrefois hostiles à cette idée s’y rallient aujourd’hui. La question est donc de savoir, non pas si nous allons rembourser la dette, mais quand et comment nous allons le faire.

Pour notre part, nous avons une stratégie claire, celle que je viens d’exposer, sur le « comment » ; ce n’est pas forcément le cas de tout le monde.

Et, sur le « quand », je redis que le rétablissement des finances publiques ne pourra être engagé que lorsque la crise sera derrière nous. Rien ne serait plus dommageable à la protection de notre économie que d’appuyer à la fois sur le frein et sur l’accélérateur. Il faut attendre que la croissance soit de retour pour engager le rétablissement des finances publiques. Nous avons constaté lors de la précédente crise qu’un rétablissement trop précoce des finances publiques avait des répercussions très négatives sur la croissance, donc sur le retour de l’activité économique.

Le cantonnement est une modalité. Je rappelle que vous avez déjà voté le cantonnement d’une partie de la dette, en l’occurrence celui de la dette de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) à la Cades, avec une ressource spécifique.

Nous estimons aujourd’hui la dette covid à 215 milliards d’euros, dont 75 milliards d’euros pour la sécurité sociale et 140 milliards d’euros pour l’État. Je suis favorable à un cantonnement de la dette. Il y en a déjà eu un pour la dette sociale, et je crois qu’il en faut un aussi pour la dette de l’État, tout simplement dans un souci de transparence à l’égard des Français. Il s’agit de marquer la singularité de la part de la dette liée à la crise et de garantir que celle-ci sera effectivement remboursée, en réfléchissant, comme vous le proposez, à des ressources spécifiques. Certes, il est trop tôt pour les déterminer aujourd’hui ; cela doit faire l’objet d’un débat entre nous.

Mme le président. La parole est à M. Bernard Fialaire.

M. Bernard Fialaire. L’ampleur de la crise sanitaire et la contraction de l’activité économique ont nécessité une action budgétaire résolue de la part du Gouvernement, en l’occurrence le fameux « quoi qu’il en coûte » du Président de la République ; vous y avez fait référence, monsieur le ministre.

Les conséquences de la crise de la covid-19 sur nos finances publiques sont inquiétantes : la dette publique pourrait atteindre plus de 120 % du PIB à la fin de l’année.

La Commission européenne a réagi avec célérité au mois de mars 2020 en suspendant ce qui a longtemps été considéré comme une « sacro-sainte » règle : le niveau maximal d’endettement à 60 % du PIB. Pourtant, ce seuil a été largement franchi sans que les marchés financiers s’affolent, grâce à l’action expansionniste de la Banque centrale européenne (BCE).

Les chiffres nous auraient horrifiés avant la crise. Mais, partout au sein de la zone euro, cette « ligne rouge » a été franchie, afin de profiter au maximum des marges de manœuvre budgétaires et de relancer l’activité économique.

Une telle dégradation de la situation de nos finances publiques doit être temporaire. Vous l’avez dit, le retour à la croissance devra nous permettre de rembourser la dette.

J’entends de nombreuses propositions de modalités de remboursement dans le débat public qui méritent que le Parlement s’y attarde. Je pense en particulier au cantonnement de la dette covid, suggestion formulée par le Haut-Commissaire au plan.

Mais ne devons-nous pas profiter de cette situation exceptionnelle pour réviser les règles européennes d’encadrement des finances publiques, qui ont révélé durant la crise leur obsolescence dans la mesure où elles empêchent d’investir pour notre avenir ? Quelle est la position du Gouvernement ?

Il y a deux dettes : la dette publique et la dette privée. Cette dernière vous inquiète-t-elle, monsieur le ministre ?

Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur, je partage très largement les remarques que vous avez formulées.

Vous l’avez indiqué à juste titre, si nous avons connu, et si nous connaissons aujourd’hui une telle capacité à faire face à la crise en mobilisant des crédits dans des proportions jamais atteintes auparavant, c’est parce que nous pouvons emprunter sur les marchés dans des conditions extrêmement favorables à la France. Par l’ensemble des actions que nous mettons en œuvre avec Bruno Le Maire, nous veillons à préserver notre crédibilité sur les marchés pour garantir la qualité de la signature française.

Vous avez également rappelé, là encore à juste titre, que si nous sommes dans cette position plutôt favorable pour faire face à la crise, c’est en grande partie grâce à la politique menée par la BCE en matière monétaire, y compris les rachats, mais aussi grâce à l’action de la Commission européenne et du Parlement européen, sur l’initiative du Président de la République et de la Chancelière allemande.

Le plan de relance qui a été mis en place nous permet de faire collectivement face à la crise. Aujourd’hui, sur la scène européenne, la priorité absolue est accordée à sa mise en œuvre. Vous savez combien il a été difficile de convaincre l’ensemble des partenaires ; M. le ministre de l’économie pourrait en témoigner. Nous travaillons aujourd’hui avec la Commission. Nous échangeons sur les modalités de mise en œuvre et de décaissement, pour évoquer les choses le plus clairement possible. Nous discutons de la préparation des différents plans de relance et du plan de résilience que chaque État doit présenter devant la Commission dans les prochaines semaines.

Notre objectif majeur est de mettre en œuvre le plan de relance à l’échelon européen. Nous avons aussi d’autres objectifs politiques majeurs, notamment celui d’acter les décisions de la Commission et de la Conférence des chefs d’État et de gouvernement en matière de ressources propres pour l’Union européenne. Le temps du débat sur les indicateurs viendra ensuite.

Comme vous l’avez rappelé, il a été décidé de suspendre temporairement l’application d’un certain nombre de dispositions dans la période actuelle. Nous préférons faire les choses dans l’ordre : garantir la réponse à la crise et le décaissement du plan de relance, et n’aborder qu’ensuite le débat sur les indicateurs, auquel nous participerons avec vous.

Mme le président. La parole est à M. Bernard Fialaire, pour la réplique.

M. Bernard Fialaire. Monsieur le ministre, j’entends votre réponse, mais la deuxième partie de ma question portait sur la dette privée. Devons-nous craindre une bulle susceptible de mettre à mal les efforts de relance publique que vous avez présentés ?

Mme le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli.

M. Pascal Savoldelli. Messieurs les ministres, cantonner la dette publique, dont l’histoire est antérieure au covid-19, ne nous paraît pas être le sujet. La dette est un enjeu structurel et le fruit de décisions politiques.

Monsieur Le Maire, je vous ai écouté avec attention, et j’ai pu constater que la dette était tantôt blâmée, tantôt encouragée, tout comme elle était tantôt « responsable », tantôt « irresponsable »…

Ma question sera donc très simple. Comprenez-vous que l’endettement, qui permet de justifier toutes les réformes austéritaires – je pense par exemple à la réforme de l’assurance chômage qui va s’abattre sur notre peuple –, provient d’abord des pertes de recettes que vous infligez aux finances publiques ?

Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur, vous évoquez les recettes pour aborder l’endettement.

Nous avons la conviction – Bruno Le Maire l’a rappelé dans son propos liminaire – que l’on ne sortira pas de la crise par une augmentation de la fiscalité. Nous avons quelques expériences en la matière. Le choc fiscal vécu par les Français, notamment par les ménages, après la crise de 2009-2010 n’a pas provoqué de croissance, pas plus que le choc fiscal vécu par les entreprises après 2012-2013.

Nous en sommes convaincus, la trajectoire de diminution de la fiscalité que nous avons mise en œuvre encourage à la fois l’investissement et l’activité, crée de la croissance et permettra ainsi de répondre au problème de l’endettement.

Je le précise, après application de la loi de finances pour 2021, les baisses d’impôts décidées par le Gouvernement et votées par la majorité atteindront 45 milliards d’euros, au profit pour moitié des entreprises et pour moitié des ménages. Et les 22,5 milliards d’euros de baisse de la fiscalité dont bénéficieront les ménages reposent essentiellement sur la suppression de la taxe d’habitation pour 80 % des Français et sur la diminution de l’impôt sur le revenu sur les deux premières tranches d’imposition.

Nous sommes donc très loin de la caricature qui est parfois faite de la politique fiscale du Gouvernement à l’égard des ménages !

Vous nous interrogez également sur la manière de caractériser la dette. Faut-il l’encourager ou la diaboliser ? Certes, face à une situation aussi exceptionnelle que celle à laquelle nous sommes confrontés, ou dans l’objectif de créer des avantages comparatifs, la dette peut être acceptable, voire utile si elle permet de construire l’avenir ou d’apporter des réponses en urgence. Mais la dette chronique qui ne sert qu’à financer des dépenses courantes sans investir pour l’avenir est, quant à elle, problématique.

Cela renvoie à la question que nous avons évoquée de la gouvernance des finances publiques, dont le pilotage pluriannuel et la prévisibilité doivent être plus importants.

Mme le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour la réplique.

M. Pascal Savoldelli. Messieurs les ministres, si vous connaissez une personne qui se priverait de son salaire pour se lamenter ensuite sur ses créances, vous nous la présenterez ! Je choisis cet exemple à dessein, puisque, dans nos débats politiques sur la loi de finances, vous n’avez de cesse de comparer l’État et les ménages.

Tout cela découle de décisions politiques et d’une méthode, qui est toujours la même : dépouiller l’État de ses ressources pour se plaindre ensuite de son endettement. C’est un choix idéologique qui se défend, mais vous conviendrez que l’on peut lui en opposer d’autres.

La baisse pérenne des impôts de production représente 20 milliards d’euros par an, presque un point de PIB. C’est votre décision. La réduction de 33 % à 25 % du taux de l’impôt sur les sociétés, c’est 4 milliards d’euros de manque à gagner pour l’État. Et je pourrais évoquer la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) ou la privatisation de la Française des jeux, qui nous privent de dizaines de millions d’euros.

Avant même toutes ces décisions, un collectif citoyen avait montré en 2014 – votre gouvernement n’est donc pas le seul en cause – que si l’État avait choisi, sur trente ans, de garder ses recettes sans prendre de mesures libérales et sans accorder d’exonérations massives, sa dette de 2012 aurait été inférieure de vingt-deux points ! (M. Philippe Dallier sexclame.) Cela lui aurait permis d’appréhender sereinement une éventuelle crise, et l’histoire aurait été tout autre…

Au-delà de ces mesures d’assistanat et de ces cadeaux fiscaux ou niches en tous genres, l’État n’est rien d’autre qu’une victime résignée des marchés financiers. Non seulement les ménages les plus aisés et les grandes entreprises bénéficient de politiques accommodantes, mais en plus, ils sont nos créanciers puisqu’ils détiennent des obligations d’État. Et vous le savez !

Mme le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. J’ai eu le plaisir et le privilège de rapporter le budget de la mission « Engagements financiers de l’État » sur les trois derniers exercices budgétaires. Je voudrais, tout d’abord, rendre hommage à l’Agence France Trésor et au travail que son directeur général, M. Anthony Requin, a effectué.

Ma question – vous n’en serez pas surpris – concerne la gestion de la dette et, surtout, la lutte contre la fraude aux finances publiques.

Nous attendions un logiciel de détection précoce face à la fraude à la TVA. Celle-ci est en effet très importante, avec de fortes répercussions sur les finances nationales et européennes. Je sais que le ministre met actuellement en place un plan ambitieux face à la fraude sociale ; nous en parlerons bientôt.

La Cour des comptes dénonce le manque de moyens et, parfois, de volonté face à la fraude fiscale. Et le problème de l’optimisation fiscale demeure. Un grand journal du soir évoquait dernièrement un cas, certes d’optimisation fiscale mais néanmoins d’abus de droit, en lien avec notre voisin le Luxembourg.

Quels moyens avez-vous mis en place pour lutter contre la fraude et l’évasion fiscales mais aussi contre la fraude sociale, qui ont, je le répète, de fortes répercussions sur notre situation budgétaire ?

Mme le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie, des finances et de la relance. Madame la sénatrice, je veux vous rassurer : avec Olivier Dussopt, plus nous soutenons l’économie et les entreprises, plus nous renforçons les contrôles.

Par exemple, sur le Fonds de solidarité, nous avons mis en place des contrôles a priori et a posteriori très renforcés, ce qui nous a permis d’éviter de verser indûment 2 milliards d’euros à des entreprises n’y ayant pas droit. Nous veillons à ce que l’argent public aille à ceux qui en ont réellement besoin.

Je souhaite rebondir sur la remarque de M. Savoldelli, qui ne m’écoute pas… (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.) J’ai trouvé le débat intéressant ; il a le mérite d’éclairer les enjeux pour nos compatriotes.

Au fond, monsieur le sénateur, votre stratégie consiste à taxer toujours plus les Français et les entreprises, qui se retrouvent, du coup, totalement exsangues. Les augmentations d’impôts expliquent en particulier l’effondrement de l’industrie française. Quand nos impôts de production sont sept fois plus élevés que ceux de notre voisin allemand, les industries et les usines ferment, et les ouvriers se retrouvent au chômage.

Notre stratégie est différente. C’est tout l’intérêt de notre débat d’exposer les différentes options, et les Français choisiront. Nous baissons les impôts sur l’industrie – les 10 milliards d’euros bénéficieront en priorité aux PME industrielles – pour favoriser les créations d’entreprises industrielles et l’arrivée d’investissements étrangers, c’est-à-dire, in fine, l’emploi et l’activité pour les Français.

Les deux stratégies sont différentes. Je dois reconnaître que je préfère la nôtre !

Mme le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour la réplique.

Mme Nathalie Goulet. Monsieur le ministre, je vous remercie d’avoir répondu à la question de Pascal Savoldelli, et pas à la mienne… (Sourires.) La prochaine fois, j’essaierai de ne pas passer après lui, afin d’éviter ce genre de dérapage !

J’aurais bien aimé que vous me répondiez sur le logiciel de détection précoce de fraude à la TVA. Certes, vous pouvez le faire maintenant, et décaler ainsi vos réponses à chaque question. Cela s’appelle de la « cavalerie parlementaire », monsieur le ministre… (Exclamations amusées. – M. Jean-François Husson applaudit.)

Le Luxembourg ou les ports francs sont de vrais sujets, et nous aurons l’occasion d’y revenir. Mais restons sur des considérations plus techniques. À mon sens, un débat sur la dette est nécessaire en début d’année budgétaire afin d’éclairer l’ensemble de la loi de finances. Si la réforme constitutionnelle arrive un jour au Sénat, il faudra peut-être inscrire à l’ordre du jour de nos travaux la règle d’or prônée par l’excellent Alain Lambert.

Mme le président. La parole est à M. Claude Raynal.

M. Claude Raynal. De la crise économique de 2008 à nos jours, et malgré une tendance lourde de baisse des taux d’intérêt depuis trente ans, quels que soient les gouvernements successifs, le message permanent envoyé aux Français était que nous devions contraindre nos dépenses publiques pour contenir notre dette sous peine de voir celle-ci devenir insoutenable.

Aujourd’hui, alors que la dette vient d’augmenter de plus de 20 % en un an, comment s’étonner que nos concitoyens s’interrogent sur le remboursement à venir d’une dette née de la pandémie et, par ailleurs, parfaitement justifiée ?

Comment s’étonner qu’ils ne comprennent pas qu’un taux d’endettement de 98 % du PIB ait pu être jugé inquiétant début 2020 et qu’un taux de 120 % soit parfaitement soutenable début 2021 ? Comment s’étonner qu’ils ne se préparent pas en payer le prix, notamment en thésaurisant quand ils le peuvent, d’autant plus quand le Gouvernement n’attend même pas la fin de la pandémie pour ressortir la réforme des retraites comme « la » solution au problème ?

Nous le savons tous, le temps d’adaptation et de redécollage de notre économie est fixé par la politique monétaire de la BCE, et par rien d’autre. Sauf remontée brutale d’une inflation qui l’obligerait à modifier sa politique, la Banque centrale soulage l’État d’un éventuel risque de remontée des taux d’intérêt pour 25 % de sa dette, ce qui est un soutien considérable, sans doute pour de longues années. Cette fraction de dette ne coûte donc quasiment rien.

En revanche, la crise a d’ores et déjà des perdants, ceux d’aujourd’hui, c’est-à-dire les nouveaux chômeurs, les indépendants, les étudiants et les petits épargnants, mais aussi ceux de demain, qui seront confrontés à la montée inexorable des actifs, comme le prix des logements, tout en risquant de voir leur protection sociale diminuer.

Avant de se lancer dans une simple politique de rééquilibrage de nos comptes publics visant notamment à assurer dans le temps long la soutenabilité de la dette, ne faudrait-il pas poser un regard lucide et partagé sur l’état de notre société, ainsi que sur la répartition des efforts à demander et des besoins économiques, sociaux et environnementaux à couvrir ? Et, s’il vous plaît, monsieur le ministre, répondez à ma question et pas à une autre ! (Sourires.)

Mme le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie, des finances et de la relance. Monsieur le sénateur, je vais donc répondre à la question relative aux mesures de contrôle fiscal posée par Mme Goulet ! (Sourires.) Je plaisante, bien entendu…

Comme vous l’avez indiqué, la politique budgétaire a pris depuis maintenant un peu plus d’un an le relais de la politique monétaire de la BCE. C’est ce qui nous a permis de résister à la crise. C’est, je le crois, un choix qui est largement partagé sur les travées du Sénat.

Cela nous a permis de protéger les salariés, par exemple dans le secteur aéronautique. Je revendique d’avoir mobilisé plusieurs centaines de millions d’euros pour que des ingénieurs et des ouvriers qualifiés du secteur aéronautique, à Toulouse, en Occitanie et ailleurs, chez Airbus comme dans les PME sous-traitantes, puissent continuer à travailler, même s’il n’y a pas de commandes payées par de l’argent public. Ces compétences, ce sont des décennies d’investissement. Si nous voulons que le secteur de l’aéronautique puisse redémarrer au moment où les marchés reprendront, il ne faut surtout pas les perdre.

Le moment viendra où nous devrons rétablir les comptes publics. Il n’est pas encore venu. Il viendra quand la croissance sera de retour et l’épidémie véritablement derrière nous.

Si nous engageons trop rapidement le rétablissement des finances publiques, nous nous exposons à avoir une croissance plus faible et un chômage plus important. Par conséquent, le pilotage du calendrier du rétablissement des finances publiques est un point-clé. Il est d’autant plus nécessaire d’avoir une stratégie claire ; nous venons de préciser la nôtre avec Olivier Dussopt.

Dans le fond – c’est ma conviction profonde –, la vraie question n’est pas de savoir s’il faut ou non rembourser la dette publique française. Je pense qu’une telle question est très largement artificielle. Si un ministre des finances venait annoncer devant le Sénat que la France ne remboursera pas sa dette publique, les taux d’intérêt et la charge de la dette exploseraient le lendemain, et je crois qu’il y aurait un doute profond chez nos compatriotes. Ce serait totalement irresponsable. (Mme Sophie Primas, MM. Philippe Dallier et Jean-François Husson acquiescent.)

La vraie question est de savoir si nous pouvons réduire notre dépense publique tout en maintenant son efficacité. Faut-il un engagement pluriannuel sur la dépense publique ? Je pense que oui.

Mme le président. Il faut conclure, monsieur le ministre.

M. Bruno Le Maire, ministre. À mes yeux, le vrai débat politique vise à savoir quelles sont les dépenses les plus efficaces et les plus nécessaires.

Mme le président. La parole est à M. Serge Babary. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Serge Babary. La dette publique française atteint un niveau astronomique : pas moins d’un milliard d’euros empruntés par jour en 2020 ! Il faudra bien la rembourser. Ce sont les modalités de ce remboursement qui inquiètent les Français. Qui devra mettre la main à la poche ? Quand ? Comment ? Autant de questions qui les taraudent face à cette véritable bombe à retardement.

À la délégation aux entreprises du Sénat, nous sommes tout particulièrement sollicités par les chefs d’entreprise : qu’ils soient dirigeants de grands groupes ou de PME, commerçants, artisans ou indépendants, tous sont inquiets pour l’avenir.

Compte tenu de ce qu’ils disent, je pense que l’État n’a pas d’autre choix que de continuer à soutenir le tissu économique et social de notre pays. Ce n’est que progressivement qu’il conviendra de diminuer les aides. Il faudra réduire graduellement l’importance de la perfusion, et non pas l’arracher brutalement.

Malgré ce soutien, les défaillances d’entreprises sont encore devant nous. Monsieur le ministre, en avez-vous évalué l’effet économique et social, et le poids supplémentaire pour le budget de l’État ?

Aujourd’hui, le Gouvernement donne le sentiment de naviguer à vue, sans un horizon clair. C’est un peu court, vous en conviendrez, pour donner aux entreprises la visibilité dont elles ont besoin.

Véritables semelles de plomb pour les entreprises, les impôts de production ont commencé à décroître. C’est heureux ! Leur niveau handicape gravement la compétitivité française. Mais l’État ne sera-t-il pas tenté de se rattraper, au risque de lever une tempête de ras-le-bol fiscal ? Les entreprises craignent la double peine : devoir rembourser à la fois leurs propres dettes, très alourdies par la crise, et celle de l’État via les impôts…

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous éclairer sur ces perspectives et donner de la visibilité aux entreprises ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie, des finances et de la relance. Monsieur le sénateur, je vous le redis avec beaucoup de clarté et de fermeté : j’exclus toute augmentation d’impôts, pour les ménages comme pour les entreprises. Je continuerai à le marteler tout en apportant des réponses sur notre stratégie de désendettement, car les Français sont évidemment très sceptiques. Ils ont été habitués depuis des années à ce que l’on rembourse notre dette en augmentant les impôts. Comme dit l’adage : « Chat échaudé craint l’eau froide. » Je les comprends. Mais j’ai pris cet engagement en tant que ministre des finances, et je le tiendrai.

Il y a aujourd’hui deux économies.

L’une est très durement touchée par la crise. Nous disons avec force à ces entreprises, à ces PME, à ces TPE et à ces indépendants que nous continuerons à les soutenir aussi longtemps que cela sera nécessaire. Tous les dispositifs, qu’il s’agisse du Fonds de solidarité, des prêts garantis par l’État (PGE), des exonérations de charges ou de l’activité partielle, seront maintenus tant que la crise touchera les secteurs de l’hôtellerie, des cafés, de la restauration, de la culture, du sport ou de l’événementiel.

Je veux dire aux chefs d’entreprise concernés que nous ne retirerons pas brutalement ces dispositifs. Quand nous les retirerons, nous veillerons à le faire progressivement pour ne pas voir apparaître en quelques semaines tous les drames sociaux et humains que nous avons réussi à éviter depuis un peu plus d’un an.

Et puis, il y a d’autres secteurs de l’économie qui ont déjà commencé à redémarrer fortement. Encore une fois, l’économie française va redémarrer vite et fort quand les contraintes sanitaires seront levées. Dans le bâtiment, dans les travaux publics, dans l’agroalimentaire, dans beaucoup de secteurs de haute technologie, nous voyons la confiance revenir et les investissements redémarrer.

Nous voulons accompagner ces entreprises en mettant à leur disposition des prêts participatifs dont je préciserai les modalités jeudi matin. Ce sont de quasi-fonds propres. Ils permettront aux entreprises de se projeter dans l’avenir, d’investir et d’embaucher. Car j’ai une confiance totale dans la capacité de rebond de notre économie et de nos entrepreneurs.

Mme le président. La parole est à M. Serge Babary, pour la réplique.

M. Serge Babary. Monsieur le ministre, si nous voulons maintenir la confiance – nous savons combien c’est important pour soutenir la croissance –, il faut annoncer clairement aux entrepreneurs quelles seront les répercussions de la dette publique sur le pays et les perspectives pour les entreprises.

Nous vous donnons acte de vos affirmations répétées dans cet hémicycle. À mon sens, à l’échelon national, la pédagogie doit, comme toujours, se fonder sur la répétition. Ce scepticisme de nos concitoyens auquel vous faites référence, nous le constatons au quotidien. Il y a encore un travail d’information sur vos engagements à effectuer.

Mme le président. La parole est à M. Michel Canevet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Michel Canevet. La dette de notre pays est une préoccupation forte pour bon nombre de nos concitoyens. Au nom du groupe Union Centriste, je souhaite poser deux questions, qui sont aussi des propositions.

Premièrement, vous l’avez dit, monsieur le ministre de l’économie et des finances, nous bénéficions actuellement de taux d’intérêt particulièrement attractifs. Ils ont même été négatifs l’an dernier, et s’établissaient à 0,59 % pour une levée de fonds à cinquante ans. Ne faudrait-il pas allonger la maturité de la dette, légèrement supérieure à huit ans aujourd’hui, pour éviter que nous ne soyons pénalisés par une éventuelle remontée des taux, comme c’est le cas actuellement aux États-Unis ?

Deuxièmement, il faudra bien rembourser cette dette. Parmi les hypothèses, il y aurait la possibilité d’accroître la taxe sur les transactions financières, qui a rapporté 1,8 milliard d’euros l’année passée. Une légère augmentation permettrait de dégager des fonds pour rembourser la dette. Qu’en pensez-vous ?

Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur, je dirai tout d’abord un mot sur la question des taux d’intérêt et de la gestion de la dette. Nous bénéficions encore de conditions extrêmement favorables pour emprunter et, comme Bruno Le Maire l’a rappelé à l’instant, si la dette a augmenté, le service de la dette a baissé, passant de 39 à 36 milliards d’euros.

Nous sommes aujourd’hui dans une période qui se caractérise par un très léger relèvement des taux.

Après avoir été en moyenne de –0,14 % pour l’obligation à dix ans tout au long de l’année 2020, et de –0,30 % à la fin 2020 et au tout début 2021, les taux tangentent de nouveau le niveau zéro.

Cela s’explique à la fois par l’état du marché mondial et un certain nombre de tensions inflationnistes, liées notamment à la mise en œuvre du plan de relance américain, qui se caractérise par une injection massive de liquidités, en particulier sous forme d’aides à la consommation. Nous n’y voyons toutefois pas de signes particuliers d’inquiétude, dans la mesure où les taux restent extrêmement bas.

Comme cela a été rappelé, une partie conséquente de la dette française est en quelque sorte garantie et protégée par la BCE et par la politique monétaire mise en œuvre.

Nous ne sommes pas spontanément convaincus de la nécessité d’augmenter la durée de maturité de la dette. Nous sommes extrêmement attachés à la diversité des créanciers, des délais et des durées d’emprunts, même si nous constatons un très léger relèvement de la durée de maturité. Pour vous rassurer, monsieur le sénateur, nous sommes confiants quant à la qualité de la garantie de la signature française.

S’agissant de l’augmentation de la taxe sur les transactions financières, elle contredirait le principe de non-augmentation générale des impôts auquel nous sommes attachés. Nous considérons par ailleurs qu’un travail est à mener en la matière sur la scène européenne. Nous avons déjà abordé le sujet à plusieurs reprises sur votre initiative, notamment à l’occasion des débats sur le projet de loi de finances. Nous continuerons à l’aborder, mais plutôt dans le cadre communautaire.

Mme le président. La parole est à M. Michel Canevet, pour la réplique.

M. Michel Canevet. Le groupe Union Centriste partage l’idée selon laquelle il faut restaurer la confiance dans notre pays. Nos concitoyens aussi doivent avoir confiance en l’avenir, ce qui passe notamment par une sécurisation.

C’est pourquoi nous devons prendre des mesures pour éviter un emballement du coût de la dette. Si les intérêts de celle-ci devenaient à terme le premier poste de dépenses de l’État, ce serait particulièrement préjudiciable pour l’ensemble des politiques publiques. Prenons dès à présent des mesures de sécurisation.

Nous partageons bien entendu l’idée qu’il faut aller vers la croissance, et nous soutenons ce qui est fait en ce sens. Il convient aussi, comme ma collègue Nathalie Goulet l’a évoqué, d’accentuer nos efforts de lutte contre la fraude, car la fraude est un élément qui rompt la confiance.

Mme le président. La parole est à Mme Monique Lubin.

Mme Monique Lubin. En matière de dette publique, le « quoi qu’il en coûte » est une formule efficace, mais il en coûtera surtout beaucoup aux comptes sociaux, auxquels vous avez décidé de faire porter une grande partie du poids de la dette.

L’été dernier, nous nous étions vainement opposés au choix de votre gouvernement de cantonner une partie de la dette covid au sein de la Cades, qui ne recourt pas seulement à la CRDS, mais aussi à la contribution sociale généralisée (CSG). Le remboursement accéléré de la dette sociale conduit ainsi à priver les caisses de la sécurité sociale de recettes courantes. En découle une fragilisation que vous n’ignorez pas : baisse de l’aide personnalisée au logement (APL), réforme des retraites, réforme de l’assurance chômage…

Le « quoi qu’il en coûte » permet un abondement très important des aides aux différents secteurs économiques en souffrance – ne nous en plaignons pas ! –, mais sera-t-il uniquement payé par les salariés et les catégories les plus modestes ?

Le débat sur l’annulation de la dette nous conduit à rappeler aujourd’hui notre opposition au choix de l’exécutif d’imputer aux comptes sociaux le remboursement de cette dette covid.

Le cantonnement de la dette, s’il a l’avantage de laisser penser que celle-ci est mise de côté, ne changera visiblement rien aux réformes que vous avez décidé de mettre en place. Il ne s’agira en fait que d’opérations de tuyauterie.

Nous avons pourtant l’obligation d’augmenter dès maintenant les ressources de l’hôpital public, d’alimenter la cinquième branche que vous avez créée et d’améliorer le sort des salariés de tout le secteur sanitaire et social.

Dans ce contexte, et avec comme objectif de protéger les comptes sociaux, envisagez-vous de dégager la sécurité sociale du remboursement de la dette covid ?

Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics. Madame la sénatrice, dette de l’État ou de la sécurité sociale, il s’agit toujours de dette publique.

L’été dernier, nous avons effectivement fait le choix de cantonner et de reporter sur la Cades, à la fois, le déficit constaté pour l’année 2020 et les déficits prévisionnels pour les années 2021, 2022 et 2023, car il nous paraissait de bonne politique de confier à cette caisse, organisme doté d’une ressource propre, l’apurement de la dette constituée à l’occasion de la crise covid. Celle-ci nous paraît devoir être ainsi cantonnée pour permettre à l’Acoss de continuer à travailler de manière aussi autonome et sereine que possible.

La dette sociale que nous voyons s’accumuler à l’occasion de la crise n’est pas liée à un désengagement de l’État.

Vous pouvez en témoigner : à l’occasion de chacun des projets de loi de finances rectificative examinés l’an dernier, toutes les mesures concernant la sécurité sociale – augmentation en cours d’année des dépenses médicales de 20 milliards d’euros, exonérations de cotisations ou encore dispositifs spécifiques mis en œuvre pour aider les plus fragiles – ont fait l’objet d’une compensation intégrale par le budget de l’État.

Aujourd’hui, le déficit constaté sur le régime général de la sécurité sociale est lié à la diminution des cotisations consécutive à la perte d’activité. Nous aurons l’occasion dans les prochains jours de préciser l’ampleur exacte du déficit pour l’année 2020, sachant que le maintien de l’activité à un niveau plus important que prévu nous a aussi permis de limiter la casse. Nous aurons certainement un déficit moins élevé que ce que nous craignions, même s’il restera particulièrement important.

Nous allons continuer ainsi, en développant également de nouvelles politiques sociales comme le congé de paternité, dont vous aviez vous-même salué la mise en œuvre à l’occasion de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Je conteste donc largement et nettement votre affirmation sur la remise en cause du modèle social et des acquis sociaux.

Enfin, la volonté de faire peur n’empêche pas la précision. Vous avez évoqué la réforme de l’assurance chômage : je suis désolé de vous dire que le déficit de l’Unédic n’a pas grand-chose à voir avec celui de la Cades…

Mme le président. La parole est à Mme Monique Lubin, pour la réplique.

Mme Monique Lubin. Monsieur le ministre, je sais cela parfaitement, mais je faisais un résumé de ce qui s’annonce…

En effet, malgré vos propos rassurants – j’essaie, selon vous, d’inquiéter ; pour votre part, vous tentez de rassurer par tous les moyens ! –, j’entends surtout les propos de M. Le Maire, qui répète toutes les cinq minutes qu’il faudra réduire la dépense publique. Or nous savons pertinemment ce que cela veut dire. Et qui sera concerné ? Toujours les mêmes !

Nous continuerons pour notre part à défendre ce en quoi nous croyons, sans changer d’avis.

Mme le président. La parole est à M. Philippe Dallier.

M. Philippe Dallier. Ma question concerne la dette de nos collectivités territoriales. Avant la crise, elle ne représentait que 11 % de la dette publique. Mécaniquement, elle a baissé et, aujourd’hui, elle doit se situer aux alentours de 8,5 %. On pourrait donc considérer que ce n’est pas vraiment un problème.

Mais je me souviens qu’à l’automne 2017, au moment où l’État discutait des fameux contrats de Cahors, qui visaient à imposer aux plus grosses de nos collectivités locales – 327 de mémoire – une augmentation de leurs dépenses de fonctionnement limitée à 1,2 % par an, le Gouvernement avait également eu l’idée de mettre en place une règle d’or renforcée qui aurait contraint ces mêmes collectivités locales en limitant leur capacité d’endettement.

Ma question est très simple : cette idée va-t-elle revenir sur la table, messieurs les ministres ? À l’époque, la situation de la dette publique était nettement moins grave qu’aujourd’hui. Allez-vous demander un effort aux collectivités territoriales ? Je pose la question à dessein : les maires sont encore en début de mandat, les départements et les régions seront renouvelés au mois de juin. Ces élus locaux ont besoin de visibilité.

Tout le monde s’inquiète et se demande ce qui se passera après les présidentielles de 2022. Y aura-t-il un nouveau tour de vis sur les dotations de l’État, des limitations en termes de dépenses de fonctionnement ou d’emprunt ? Les élus ont besoin de savoir, messieurs les ministres ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur, en effet, à l’occasion des débats préparatoires de la loi de programmation pluriannuelle des finances publiques de 2017, une règle visant à encadrer le niveau de dette des collectivités locales avait été envisagée, notamment en fonction de leur capacité de désendettement. L’idée avait toutefois été abandonnée à la suite des discussions avec les associations d’élus, et nous ne travaillons pas à sa remise à l’ordre du jour dans les mois qui viennent – cela ne nous paraît pas opportun.

Votre question me permet cependant d’évoquer la situation financière des collectivités locales pendant et après la présente crise. Pour l’année 2020, nous ne disposons que des chiffres concernant la section de fonctionnement : ils montrent que les collectivités locales connaissent globalement une baisse de leurs recettes de fonctionnement de 1,3 %, soit 3,8 milliards d’euros.

Ce chiffre sera toutefois minoré par la mise en œuvre du mécanisme de garantie des recettes domaniales et fiscales au niveau de celles de 2017 et 2019. Les collectivités éligibles vont percevoir le solde ou l’intégralité du versement selon qu’elles ont déjà touché un acompte ou non. La perte de recettes de fonctionnement sera donc finalement inférieure à 3,8 milliards d’euros.

Ces mêmes collectivités locales connaissent une stagnation de leurs dépenses de fonctionnement à 0,2 %, mais avec une hétérogénéité selon les strates. Les départements ont été plus touchés que les autres collectivités, de même que les grandes villes qui ont mis en œuvre des actions spécifiques de lutte contre le covid.

Nous notons que la capacité de financement des sections d’investissement reste extrêmement importante, à plus de 31 milliards d’euros, tout comme le niveau global de trésorerie des collectivités, à plus de 48 milliards d’euros. Avec le maintien des dotations et les perspectives de recettes fiscales pour 2021, moins dégradées que ce que nous craignions, nous pensons que la baisse de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) sera inférieure à 2 %. La capacité de financement des investissements par les collectivités restera forte, au moins égale à celle de 2018, et reviendra progressivement à son niveau de 2019. C’est plutôt de bon augure pour accompagner la reprise.

Mais je le répète, monsieur le sénateur, nous n’avons pas l’intention d’instaurer les dispositions que vous avez évoquées. (M. François Patriat applaudit.)

Mme le président. La parole est à M. Philippe Dallier, pour la réplique.

M. Philippe Dallier. Voilà une bonne nouvelle, monsieur le ministre ! Les élus locaux ont vraiment besoin de visibilité.

Je veux toutefois revenir sur les conséquences de la crise covid pour les différents types de collectivités. Les plus touchées ont été les villes. France urbaine a par exemple montré que, dans une commune de 25 000 habitants en Seine-Saint-Denis, le coût de la crise du covid était de 500 000 euros nets, avec une baisse de l’autofinancement en 2020 et 2021.

Certaines communes ont été touchées par les baisses tarifaires et le seront encore en 2021, et nous assisterons à une dégradation de l’autofinancement net. Il faut en tenir compte, car vous avez besoin des collectivités locales dans le cadre du plan de relance ; elles assurent en effet 70 % de l’investissement public hors dépenses militaires. Il faudra veiller à les accompagner car, si elles n’ont pas de moyens suffisants, il y aura moins d’investissements publics et la relance ne sera pas au rendez-vous. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à M. Patrice Joly.

M. Patrice Joly. Comme cela a été rappelé, la dette française s’élève à plus de 120 % du PIB, soit 2 700 milliards d’euros, dont on ne connaît pas exactement les détenteurs. En effet, les données ne permettent de dégager que des ordres de grandeur, l’Agence France Trésor ne pouvant rendre publiques les informations dont elle dispose – sont-elles précises, d’ailleurs ?

Selon la Banque de France, en 2019, les créanciers de l’État se répartissent en deux catégories : d’une part, les créanciers institutionnels français ; d’autre part, les « non-résidents », qui détiennent 53,6 % de la dette, sans plus de précisions sur leur répartition catégorielle ou géographique. En avril 2019, selon les données du FMI, la part de la dette française des non-résidents serait détenue à 47 % par des investisseurs privés non bancaires, institutionnels ou non, et à 53 % par des institutions publiques et des banques étrangères.

Les données issues de la même enquête de 2019 permettent d’identifier que les non-résidents non européens sont majoritaires, même si l’étude agrège dette publique et dette privée.

La France est donc majoritairement endettée vis-à-vis de l’extérieur. Or un État souverain doit pouvoir disposer de photographies régulières de ses créanciers. Certes, notre dette est fluctuante, elle circule, et de nombreux investisseurs souhaitent rester discrets.

Cette réalité n’interdit cependant pas de disposer à intervalles réguliers de la connaissance des détenteurs de la dette française, indispensable à l’État pour prévenir d’éventuelles difficultés liées à l’activité de fonds spéculatifs, mais aussi pour ajuster sa stratégie de financement et de remboursement.

D’un point de vue juridique, aucun dispositif d’identification des porteurs de titres publics n’est prévu par la loi, à la différence des sociétés émettrices d’actions, qui peuvent, lorsque leurs statuts le prévoient, demander à tout moment au dépositaire central de fournir l’identité des porteurs de projets.

Mme le président. Vous avez dépassé votre temps de parole !

M. Patrice Joly. Je termine. Monsieur le ministre, un tel dispositif vous semble-t-il satisfaisant ? Cette détention majoritaire par des non-résidents constitue-t-elle selon vous un problème pour la souveraineté de la France ?

Mme le président. Je rappelle les règles, mon cher collègue : vous avez deux minutes pour la question, trente secondes pour la réplique. Mais dès lors que vous dépassez les deux minutes, ne serait-ce que d’une seconde, vous n’avez plus de réplique. Le respect de ces durées témoigne du respect de tous. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

La parole est à M. le ministre délégué.

M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur, l’essentiel de ma réponse est dans votre question. Vous avez rappelé les chiffres relatifs à la répartition des détenteurs de la dette française, en vous appuyant sur un certain nombre de rapports de la Banque de France et d’autres institutions. Vous avez rappelé le poids des investisseurs étrangers et des investisseurs privés.

Je voudrais simplement apporter une précision : si l’on fait abstraction du soutien de la Banque de France au travers des programmes de politique monétaire de la BCE – cela représente une part non négligeable de la dette française –, le reste de la dette est détenu à 65 % par des investisseurs non résidents et à 35 % par des investisseurs résidents. Il faut toutefois relativiser cette situation dans la mesure où la détention d’une part de la dette souveraine ne donne aucun droit à l’investisseur sur la conduite de la politique du Gouvernement ou la détermination des choix de la Nation.

Nous l’avons souligné avec Bruno Le Maire à plusieurs reprises : nous avons la chance de pouvoir financer notre dette dans des conditions extrêmement favorables. Au-delà des taux d’intérêt applicables aux titres émis au cours des deux dernières années, nous avons aussi l’opportunité de choisir nos créanciers.

Permettez-moi à ce titre de saluer le travail de l’Agence France Trésor, ses capacités de résistance et d’observation des marchés au cours des derniers mois. Chaque fois que l’Agence émet une obligation, notamment à dix ans, son taux de couverture est systématiquement supérieur à 2,5.

Ainsi, lorsque nous proposons au marché de souscrire pour 10 milliards d’euros de dettes, les investisseurs proposent au moins 25 milliards d’euros, ce qui nous permet de veiller à la diversité des investisseurs et au profil de celles et ceux à qui nous empruntons de l’argent pour financer nos politiques publiques. Cela nous place dans une situation favorable, qui nous conduit à considérer que le dispositif de gestion et de souscription de la dette dont nous disposons aujourd’hui est pertinent, y compris en matière d’informations accessibles à tout un chacun.

Mme le président. La parole est à M. Laurent Duplomb. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Laurent Duplomb. Madame la présidente, ma question s’adresse à M. le ministre de l’économie, des finances et de la relance.

Le 15 janvier 2020, monsieur Le Maire, je vous conseillais de retenir le chiffre 100, qui traduisait bien la réalité de l’économie française : 100 % de dette rapportée au PIB, 100 milliards d’euros de déficit, dix fois 100 milliards d’euros pris chaque année dans la poche des contribuables !

« Nous ferons tout ce qui pourra être fait dans les deux années restantes du quinquennat pour stabiliser et baisser la dette publique française. Croyez-moi, nous prendrons les décisions nécessaires… » Telle était votre réponse à l’époque.

Une fois de plus, vous n’avez pas tenu promesse, la dette s’envolant vers des montants incroyables.

Vous vous vantez aujourd’hui de la faible augmentation du nombre de chômeurs et d’entreprises en faillite, tout en sachant pertinemment que la crise est loin d’être terminée.

Comment croire dès lors à vos prédictions d’augmentation de croissance, de redressement de la dette et d’entreprises fortes qui pourraient demain nous permettre de sortir de cette crise ?

La réalité des chiffres de 2020 est têtue, monsieur le ministre. Elle démontre, une fois de plus, que notre balance commerciale se dégrade. Pour la première fois de notre histoire, nous accusons un déficit commercial de 82 milliards d’euros, quand l’Italie, notre voisin, dégage un excédent de 63 milliards d’euros !

Monsieur le ministre, je me permets de vous rappeler la fin de la fable de La Fontaine, La Cigale et la Fourmi :

« Que faisiez-vous au temps chaud ? […]

« Je chantais, ne vous déplaise.

« – Vous chantiez ? J’en suis fort aise.

« Eh bien : dansez maintenant ! »

Malheureusement, ce sont les Français qui vont danser, et vous resterez dans les annales comme le ministre de la Ve République qui aura accumulé le plus de dettes ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Marques dagacement sur les travées du groupe RDPI.)

Mme le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie, des finances et de la relance. Monsieur le sénateur, dans quel monde vivez-vous ?

M. Laurent Duplomb. Dans celui des gens qui travaillent et qui se lèvent tous les matins !

M. Bruno Le Maire, ministre. Pour l’instant, vous êtes assis au Sénat…

La France a connu la crise économique la plus grave de son histoire depuis 1929. Elle a connu une récession comme elle n’en a pas connu depuis la Seconde Guerre mondiale.

Nous avons protégé les Français, apporté les soutiens nécessaires, évité des faillites par dizaines de milliers… C’est notre fierté.

Nous avons fait le choix de protéger l’emploi, les compétences et les salariés. Nous avons décidé de soutenir les restaurateurs, les indépendants, les patrons de bar, les hôteliers. Les auriez-vous laissés tomber en refusant de dépenser un euro d’argent public ?

C’est aussi notre fierté d’avoir soutenu l’aéronautique, financé l’investissement pour l’automobile, Air France et l’ensemble des entreprises qui étaient menacées. De grandes entreprises publiques auraient pu faire faillite. Nous les avons aidées et nous en sommes fiers.

Nous avons fait le choix de ne laisser personne de côté, de soutenir les étudiants, de réduire le prix des tickets restaurant pour les plus fragiles.

Nous avons évité une crise sociale et politique massive. C’est aussi notre fierté !

Nous sommes fiers, avec le Président de la République et cette majorité, d’avoir mené cette politique. En revanche, vos propos sont une honte, monsieur le sénateur ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme le président. La parole est à M. Laurent Duplomb, pour la réplique.

M. Laurent Duplomb. Aux innocents les mains pleines… Je suis peut-être une honte, monsieur le ministre, mais je suis agriculteur avant d’être sénateur. Comme beaucoup d’autres Français, je me lève à six heures du matin !

Je vois bien que nous avons créé une dette qui pèsera très lourd demain. Tous les pays n’ont pas fait la même chose. Notre addiction à la dette ne date pas d’hier, mais vous l’avez amplifiée. Tout cela se paiera un jour ou l’autre. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à Mme Christine Lavarde.

Mme Christine Lavarde. En janvier 2020, la Commission européenne décidait de suspendre temporairement le pacte de stabilité et de croissance pour permettre aux États membres de lutter contre la pandémie de covid. En février 2020, elle lançait une consultation sur une éventuelle refonte de ce pacte, sans s’engager toutefois sur une refonte complète, car les traités sont difficiles à rouvrir.

Les ministres des finances de l’Eurogroupe ont pour la plupart exprimé leur souhait de restaurer le pacte en 2021. Est-ce la position du gouvernement français ? En novembre 2019, le Président de la République, dans une interview accordée à The Economist, avait estimé que le débat sur les 3 % était d’un autre siècle…

Je présage donc une réponse négative. Le Gouvernement souhaite-t-il dès lors soutenir la mise en place d’un nouvel indicateur ? Je pense notamment à celui que proposait le Comité budgétaire européen dans son rapport d’octobre 2020, qui consistait à passer d’un objectif de référence unique à un objectif relatif en fonction de la situation de chaque pays, permettant notamment de s’assurer d’un retour du déficit sous les 60 % ?

Mme le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie, des finances et de la relance. Vous avez raison, madame la sénatrice, toutes les décisions que nous prenons s’inscrivent dans une perspective européenne.

Avant même de parler d’indicateurs du pacte de stabilité et de croissance, je rappelle qu’il existe un plan de relance européen, qui apportera 40 milliards sur les 100 milliards d’euros dont nous disposerons. Notre priorité consiste à ce que ces fonds européens arrivent le plus rapidement possible, avec un premier décaissement avant le début de l’été, en France comme dans les autres pays européens.

Viendra ensuite le moment où nous pourrons, sur la base des nouveaux endettements des différents États européens, regarder quels sont les indicateurs les plus pertinents.

Je vous rejoins sur un point : on ne peut pas faire comme si tous les États européens n’avaient pas, sans exception, connu une augmentation massive de leurs dettes. La politique doit tenir compte de cette nouvelle réalité, de ce niveau d’endettement plus élevé de chacun des États.

Quant à l’approche différenciée, elle fait partie des hypothèses sur lesquelles nous pouvons nous pencher. Nous ne sommes pas fermés à l’idée d’examiner la situation de chaque État, sachant que l’objectif doit rester le même pour tous : garantir un niveau de soutenabilité acceptable de la dette publique, pour que les taux d’intérêt restent les plus mesurés possible et que la charge de la dette ne pèse sur aucun État européen.

Le débat sur les modalités de mise en œuvre du pacte de stabilité et de croissance est important, mais il viendra le moment venu, dans quelques mois. Je ne souhaite pas l’ouvrir trop vite, car la priorité absolue, c’est la relance.

Mme le président. La parole est à Mme Christine Lavarde, pour la réplique.

Mme Christine Lavarde. Nous reparlerons en effet de ces sujets.

Le gouvernement français devra faire valider son plan de financement par la Commission européenne pour disposer des crédits du plan de relance, et il ne me semble pas que le feu vert ait aujourd’hui été donné sur l’ensemble. La discussion sur le pacte de stabilité revient également chaque année devant le Parlement. Autant de sujets qui nous permettront de contrôler l’action du Gouvernement…

Votre réponse m’a semblé un peu floue, monsieur le ministre, peut-être pour ne pas risquer de contredire le Président de la République.

J’ai toutefois compris que vous reviendriez peut-être dans le futur sur les règles du pacte de stabilité. Nous examinerons tout cela avec intérêt. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à M. Sébastien Meurant.

M. Sébastien Meurant. Il n’y a pas d’argent magique, disait le Président de la République. Pourtant, la dette publique explose, conséquence de la lâcheté des gouvernements successifs qui ont délaissé depuis des décennies l’art difficile des choix politiques.

Récemment, de beaux esprits se gargarisaient de vains espoirs. « Il ne sera pas nécessaire de rembourser la dette », nous disaient-ils, « ou, même s’il faut la rembourser, les taux négatifs ou faibles rendront l’opération indolore ».

Mais elle ne le sera assurément pas pour tout le monde ! Il faudra bien rembourser cette dette, et cela passera soit par une hausse des impôts, soit par l’inflation – bref, par une spoliation des Français, notamment des épargnants, qui sont pourtant le véritable moteur de la croissance. Sans épargne, pas d’investissement ; sans investissement, pas d’emploi durable et productif !

Parallèlement à l’utopie d’une dette jamais remboursée se développe aussi celle d’un revenu universel. Là encore, revenons aux fondamentaux. Un revenu est toujours lié à un travail, soit un travail actuel rémunéré, soit un travail ancien qui a permis d’accumuler un capital.

Nous vivons dans un monde qui semble totalement virtuel, où l’investissement privé est déconnecté de l’épargne, l’investissement public déconnecté de l’effort fiscal, le revenu déconnecté du travail !

À l’heure où les mots « développement durable » sont sur toutes les lèvres, nous pouvons dire, sans risque d’être contredit, que ce modèle de développement ne l’est pas. Il est temps, mes chers collègues, de revenir à la raison et de réapprendre à gérer, comme l’on disait naguère, « en bon père de famille ». Le monde réel est brutal. Si nous ne revenons pas au bon sens, d’autres nous y contraindront.

Cessons de croire qu’une chose ne coûte rien sous prétexte que « c’est l’État qui paye », comme disait M. Hollande, ou que l’on peut mener des politiques « quoi qu’il en coûte », comme le prétend aujourd’hui son brillant disciple.

Monsieur le ministre, vous n’avez pas la maîtrise de la politique monétaire. Que ferez-vous si les taux repartent à la hausse ?

Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics. Notre débat est intéressant, mais il faut avouer qu’après une quinzaine de questions les sujets finissent par se recouper.

Je ne suis pas tout à fait persuadé que le Gouvernement et moi, d’un côté, et vous, de l’autre, partagions la même définition de ce que vous appelez une politique raisonnable ou une gestion en bon père de famille.

Je suis en revanche convaincu que ce que nous mettons en œuvre depuis le début de la crise est opportun. En effet, comme le rappelait Bruno Le Maire, les mesures que nous mettons en œuvre pour répondre à la crise permettent d’éviter des défaillances d’entreprises et des suppressions d’emplois, même s’il y en a encore toujours trop, et de maintenir l’activité au niveau le plus haut possible pour préparer l’avenir et anticiper la reprise de l’économie.

Ces mesures nous paraissent opportunes parce qu’à chaque déconfinement ou levée de restrictions nous avons constaté que l’activité repartait fortement : croissance de 18 % au troisième trimestre de l’année 2020 et création de 400 000 emplois, rebond de la consommation au mois de décembre 2020 et quasi-maintien de l’investissement des entreprises au cours du quatrième trimestre. Cette reprise particulièrement forte a d’ailleurs permis à l’Insee de réviser l’hypothèse de récession pour 2020 à 8,2 %, alors que nous craignions un chiffre supérieur, proche de 11 %. Ces indicateurs démontrent en tout cas l’efficacité de ce que nous avons mis en œuvre.

Nous devrons à la fois accompagner, pendant plusieurs mois encore, les secteurs les plus en difficulté pour les aider à franchir cette crise et à en affronter les conséquences – quel que soit son terme sur le plan épidémique, celle-ci va durer pour des activités comme l’aéronautique – et débrancher progressivement les dispositifs d’aide d’urgence pour revenir à un niveau plus soutenable de dépenses publiques.

Une fois que nous aurons fait cela et que nous serons sortis de cet épisode de crise et de mobilisation des fonds publics, alors, nous devrons faire en sorte de rétablir les comptes publics, d’affronter la dette et de la gérer correctement.

J’ai eu l’occasion de dire précédemment à M. Canevet qu’en matière de taux d’intérêt et de gestion du stock de dette nous étions relativement confiants, parce que notre signature est garantie et reconnue et parce que la politique monétaire est bien orientée.

Mme le président. La parole est à M. Sébastien Meurant, pour la réplique.

M. Sébastien Meurant. Monsieur le ministre, vous n’avez pas répondu à ma question : que ferez-vous si les taux repartent à la hausse ?

Vous n’avez pas la maîtrise monétaire ; c’est la BCE qui l’a. Si demain l’inflation repart en Allemagne, vous serez contraint de suivre les décisions de la BCE, car c’est l’Allemagne qui dirige de fait l’Union économique et monétaire !

L’histoire montre qu’il n’existe que deux façons d’asservir un peuple : les armes et la guerre. En ce qui vous concerne, vous êtes en train d’asservir les Français par la dette et c’est la jeunesse qui portera ce fardeau, comme le Christ a porté le péché du monde !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Elle ressuscitera !

Mme le président. La parole est à M. Vincent Segouin. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Vincent Segouin. Messieurs les ministres, la France est devenue l’un des pays les plus endettés au monde. Pourtant, vous nous expliquez que tout va bien : les intérêts de la dette diminuent, bien que nous empruntions davantage, et on prête facilement à la France… Permettez-moi de ne pas partager votre satisfaction !

En effet, nous n’avons jamais réduit le poids de la dette, même quand nous avions 1,5 % de croissance, parce que nous sommes incapables de diminuer les dépenses de l’État qui vous sont chères, monsieur Le Maire – je tiens à vous le répéter !

Au total, les seuls recours possibles sont et seront la hausse des prélèvements – impôts, CSG, taxes, etc. – ou un nouvel endettement, et cela uniquement pour couvrir les dépenses de fonctionnement. Ces hausses de prélèvements, nous en avons parlé précédemment, nous conduisent à une perte de compétitivité, à une balance commerciale déficitaire, à des défaillances d’entreprises et à des pertes d’emplois.

On nous parle sans arrêt de l’Allemagne, mais chaque année celle-ci fait des réserves financières, parce qu’elle l’a inscrit dans sa Constitution. En ce qui nous concerne, nous n’avons pas de réserves !

Vous nous parlez du couple franco-allemand, mais je tiens à vous dire qu’il n’existe pas du point de vue financier. C’est une formule française non partagée qui pose question pour notre avenir et celui de l’Europe.

Nous savons que le plan de relance ne nous assurera pas une croissance de 3 %. Alors, comment allez-vous rembourser la dette sans augmenter les prélèvements et sans emprunter davantage ? Considérez-vous que ce problème ne concerne que les générations futures ?

Mme le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie, des finances et de la relance. Vous avez décidément un problème avec la réalité !

Vous dites que nous augmentons les impôts et les taxes, mais cela ne correspond pas aux faits, monsieur le sénateur. Le ministre qui a le plus baissé les impôts depuis vingt ans est devant vous à cet instant !

M. Laurent Duplomb. Cela ne se voit pas !

M. Bruno Le Maire, ministre. Ainsi, à la demande du Président de la République, nous allons baisser les impôts de 45 milliards d’euros sur quatre ans, moitié pour les ménages, moitié pour les entreprises.

Finalement, je préfère les moments où l’on m’explique, du côté gauche de l’hémicycle, que l’on n’est pas d’accord avec les baisses d’impôt engagées par le Gouvernement. Au moins, de tels échanges reposent sur la réalité, sur la vérité !

Je le répète, contrairement à ce que vous dites, nous avons baissé les impôts et je donne de nouveau le chiffre pour que chacun comprenne bien : 45 milliards d’euros ! Nous sommes la majorité qui a le plus baissé les impôts sur les ménages comme sur les entreprises.

Nous aurions pu revenir en arrière, mais nous avons maintenu cette politique avec beaucoup de constance et de lisibilité.

Nous nous étions engagés à baisser le taux de l’impôt sur les sociétés à 25 % en 2022 pour revenir dans la moyenne européenne ; il sera ramené à 25 % en 2022. Nous nous étions engagés à supprimer la taxe d’habitation ; elle sera supprimée. Nous nous étions engagés à baisser les impôts de production sur les entreprises industrielles – j’ai la profonde conviction que cette imposition est pénalisante pour elles – ; nous les avons baissés de 10 milliards d’euros au 1er janvier 2021 et ils baisseront de nouveau de 10 milliards au 1er janvier 2022.

Vous nous dites que le couple franco-allemand n’existe pas en matière financière. Là aussi, regardez la réalité ! La plus grande réalisation européenne dans ce domaine depuis dix ans, c’est l’émission de dette commune voulue par la Chancelière allemande, Angela Merkel, et le Président de la République française, Emmanuel Macron.

Je vous en supplie : pour l’intérêt du débat, revenons aux réalités et écartons les affabulations ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Bruno Sido. Très bien !

Mme le président. La parole est à M. Vincent Segouin, pour la réplique.

M. Vincent Segouin. Monsieur le ministre, vous n’avez pas bien compris mes propos. Je vous ai dit que vous aviez baissé les impôts en ayant recours à de la dette supplémentaire. Ce recours systématique à la dette nous conduit vers l’abîme !

Je le répète, vos baisses d’impôts ne sont pas financées. Prenez conscience du fait que les choses ne pourront pas durer comme cela et changez de politique, bon sang ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Conclusion du débat

Mme le président. En conclusion du débat, la parole est à M. Jean-François Husson, pour le groupe auteur de la demande.

M. Jean-François Husson, pour le groupe Les Républicains. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, il me revient de conclure, pour aujourd’hui, ce débat sur la dette publique demandé par le groupe Les Républicains. Beaucoup a été dit et je souhaiterais profiter du temps qui m’est imparti pour proposer quelques grands principes qui pourraient guider notre stratégie budgétaire à venir.

Au terme de ce débat, il me semble que l’on peut s’accorder sur le fait qu’il existe deux motifs légitimes d’endettement.

Le premier, c’est de s’endetter pour investir dans l’avenir. Lorsque l’État finance à crédit un projet d’investissement, dont le rendement est supérieur à son coût de financement, il fait une bonne opération.

Le second motif légitime d’endettement, c’est de soutenir le tissu productif en cas de choc économique. La politique budgétaire doit alors être mobilisée pour atténuer ce choc et éviter que la croissance ne soit trop durablement pénalisée.

Quel regard porter sur la dette française au regard de cette grille de lecture ?

Pour reprendre la distinction de Mario Draghi entre la « bonne » et la « mauvaise » dette, il me semble qu’un large consensus existe pour considérer que la dette d’avant-crise était en grande partie de la « mauvaise » dette.

Si les pouvoirs publics ont toujours soutenu l’économie en phase de ralentissement, une réelle volonté de retrouver des marges de manœuvre budgétaires en sortie de crise a manqué. Ainsi, l’actuelle majorité n’a pas profité de l’embellie conjoncturelle du début de quinquennat pour réduire notre déficit structurel. Je vous épargnerai la comparaison, cruelle, avec l’Allemagne…

En outre, la hausse continue de l’endettement depuis les années 1980 ne s’est pas accompagnée d’un effort particulier en faveur de dépenses utiles à la croissance. En réalité, l’endettement a simplement financé des dépenses courantes.

Si la dette pré-covid était donc de la « mauvaise » dette, la dette covid me paraît constituer, à l’inverse, de la « bonne » dette.

En effet, si l’État n’avait pas soutenu les entreprises et les ménages, les faillites auraient atteint des niveaux jamais observés, ce qui aurait grevé les recettes publiques en sortie de crise au risque de compromettre notre capacité de remboursement.

Ce soutien massif a été d’autant plus opportun que la dette covid a été contractée, vous le savez, à taux négatif : elle ne commencera donc à nous coûter que lorsqu’elle sera refinancée sur les marchés, soit dans un peu moins de dix ans en moyenne. Dès lors, gardons-nous de débats inutiles sur la nécessité de cantonner ou d’annuler cette dette qui demeurera encore longtemps « gratuite » pour la France.

Si ce diagnostic est largement partagé, les avis sont plus divergents concernant l’avenir de notre stratégie budgétaire.

Il faut à mon avis distinguer deux temps.

Le premier temps est celui de la crise qui, malheureusement, n’est toujours pas terminée.

Soutenir temporairement le tissu productif et les ménages à court terme reste la bonne stratégie sur le plan économique et budgétaire. Il ne faut pas chercher à redresser les comptes publics avant que l’économie retrouve ses capacités de production au risque, sinon, de casser l’appareil productif, puis la reprise, ce qui nous amène en fait à 2023. En cas d’aggravation de la crise, il ne faudrait pas hésiter à réviser encore à la hausse les mesures de soutien et de relance.

Une fois la crise surmontée viendra le second temps, celui du redressement des comptes publics.

Sur ce plan, l’objectif du prochain quinquennat devrait être de stabiliser l’endettement pour rassurer les marchés. Avec une croissance nominale de 2,5 % et un endettement de 120 % du PIB, une telle stabilisation suppose de ramener le déficit autour de 3 % du PIB, alors que le déficit structurel devrait être de l’ordre de 5 % à 5,5 % en sortie de crise. Cela représentera un effort d’économies significatif de l’ordre de 50 à 60 milliards d’euros.

En la matière, trois axes pourraient nous guider.

Tout d’abord – nous l’avons déjà dit souvent avant la crise dans cet hémicycle –, l’effort devra passer par une maîtrise de la dépense et non par une hausse des prélèvements obligatoires, qui sont déjà fort élevés en France.

Ensuite, il faut dès maintenant réfléchir aux réformes structurelles susceptibles d’entraîner des économies, car elles mettent toujours du temps pour produire leurs effets budgétaires. Je pense par exemple à la réforme des retraites, dont le Sénat a toujours rappelé l’impérieuse nécessité, quand bien même la popularité d’une telle mesure n’est pas très grande…

Enfin, il nous faudra à tout prix préserver les dépenses utiles à la croissance. Tirons les enseignements du passé ! S’il faut réaliser des économies, en traquant les dépenses courantes inefficaces, il ne faut pas pour autant sabrer dans les investissements publics.

Permettez-moi enfin d’insister sur la nécessité d’investir pour la transition écologique. Notre débat d’aujourd’hui ne doit pas occulter notre dette climatique : chaque euro non dépensé aujourd’hui en investissements en faveur du climat est reporté de facto sur les générations futures.

Mme le président. Il faut conclure.

M. Jean-François Husson. Ainsi, les services de l’Insee ont récemment évalué notre dette climatique à 150 % du PIB. Cela donne la mesure des efforts qui seront à entreprendre en la matière ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. Mes chers collègues, je vous rappelle l’importance, par respect pour les orateurs qui vous suivent, de vous conformer aux temps de parole décidés par la conférence des présidents.

Nous en avons terminé avec le débat sur la dette publique, à l’aune de la crise économique actuelle.

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Comment construire plus et mieux en France ?

Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains

Mme le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur le thème : « Comment construire plus et mieux en France ? »

Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.

À l’issue du débat, l’auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.

Dans le débat, la parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Dominique Estrosi Sassone, pour le groupe Les Républicains. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe Les Républicains a décidé d’inscrire à l’ordre du jour du Sénat un débat sur le thème « Comment construire plus et mieux en France ? » après celui qui avait été organisé sur le logement en juin dernier, car les craintes que nous exprimions au sortir du premier confinement sont devenues réalité. La crise sanitaire a entraîné un approfondissement de la crise du logement et de la construction.

Les chiffres de 2020 sont alarmants. Environ 90 000 logements sociaux ont été agréés ; il y en avait plus de 120 000 en 2016. Tous logements confondus, on compte 73 500 permis de construire de moins en 2020 par rapport à 2019, soit une baisse, en un an, de 16,3 % du nombre de logements autorisés. Dans le même temps, 344 900 logements ont été mis en chantier, soit 44 000 de moins.

Je vous propose d’en analyser les causes avant d’esquisser des pistes de solutions qui seront approfondies au cours du débat.

Tout d’abord, quelles sont les causes de cette dramatique chute de la construction ?

À écouter le Gouvernement, il y aurait deux coupables : les maires, frileux pour construire en raison des élections municipales, et le virus. Est-ce si sûr ?

Lors des élections municipales de 2014, on comptait 106 000 agréments de logements sociaux, hors opérations de rénovation urbaine, contre 87 000 aujourd’hui. Les maires ne sont donc pas si coupables…

Que dire du virus ? Il est bien évident qu’il a grippé la machine, mais à y regarder de plus près, si les courbes ont piqué du nez en 2020, elles fléchissent depuis 2017.

Ainsi, derrière la conjoncture très difficile de l’année 2020, il y a des causes structurelles qui sont liées à la politique du Gouvernement. Tous les acteurs du logement social le disent : ce sont bien les ponctions faites sur les bailleurs sociaux et sur Action Logement qui sont la cause profonde de la chute très inquiétante du nombre de logements sociaux construits.

Votre prédécesseur, madame la ministre, avait d’ailleurs reconnu l’erreur que représentait la baisse de l’aide personnalisée au logement (APL). Il serait temps de reconnaître que la réduction de loyer de solidarité (RLS) était, elle aussi, une mesure délétère.

En réalité, le Gouvernement a mené jusqu’à présent une politique malthusienne de décroissance et d’économie budgétaire : « la politique du logement coûterait trop cher en France et serait inefficace, puisqu’il n’y aurait d’ailleurs pas de crise du logement » ; « mieux vaudrait rénover que construire » ; « il n’y aurait plus besoin de financements publics, car les taux sont bas et les institutionnels prêts à investir ». Voilà, au fil des rapports ou des notes administratives, la petite musique que l’on entend depuis quatre ans et qui sape peu à peu la dynamique de la construction et du logement social.

C’est un fait ! Selon le rapport annuel du compte du logement publié fin 2020 par votre ministère, les aides au logement ont reculé : elles représentaient 2,2 % du PIB en 2010 contre 1,6 % en 2019, la Fondation Abbé Pierre chiffrant la différence à plus de 14 milliards d’euros. Les prélèvements sur le logement, soit 80 milliards d’euros, progressent ; ils sont plus de deux fois supérieurs aux aides.

Parallèlement, le mal-logement n’a jamais été aussi important dans notre pays. Selon la Fondation Abbé Pierre, il frapperait plus de 14 millions d’habitants, ainsi privés de logement personnel ou vivant dans des conditions difficiles.

On sait par ailleurs qu’il y a plus de 2 millions de demandes de logements sociaux pour 450 000 attributions annuelles.

Enfin, la population française croît et les évolutions sociales favorisent la décohabitation.

La demande de logements est donc soutenue. La crise du logement est réelle dans de nombreux territoires, elle n’est pas une lubie. Construire plus et mieux n’est pas une option, c’est une absolue nécessité !

Mais comment y parvenir ? Je voudrais proposer trois pistes : aider, libérer, densifier.

Aider tout d’abord. Je l’ai dit, la réduction des capacités d’investissement des bailleurs est l’une des causes structurelles du phénomène que nous constatons aujourd’hui.

La mobilisation de 1,2 milliard d’euros d’Action Logement au travers du redéploiement du plan d’investissement volontaire (PIV) et l’annonce de 42 000 nouveaux logements commandés par CDC Habitat viennent confirmer ce besoin.

Aider les bailleurs et les promoteurs est certes important, mais aider les maires est tout aussi nécessaire. Les exonérations de taxes locales non compensées par l’État sont devenues un obstacle majeur au développement du logement social. Pour un maire, il peut être plus raisonnable de payer des pénalités que de construire. Sur 500 millions d’euros de dégrèvements, seuls 16 millions sont compensés ! Comment financer la viabilisation des terrains, les écoles, les équipements et les transports dans ces conditions ?

Deuxième axe : libérer.

Les maires, comme les promoteurs et les bailleurs privés, se plaignent des contraintes qui pèsent sur eux. Au sortir de la crise, après avoir écouté promoteurs, architectes, aménageurs et élus, j’avais proposé un Ségur de la simplification de l’urbanisme, non pas comme une grand-messe, mais comme un exercice concret réunissant praticiens et juristes pour simplifier l’acte de construire et réduire enfin les délais et les coûts.

Je crois aussi qu’il faut oser ouvrir le débat sur quelques vaches sacrées du secteur. Le dispositif Pinel en est un exemple. La construction neuve en est dépendante, car il représente la moitié des logements en vente en l’état futur d’achèvement (VEFA). Mais c’est un piège à certains égards, puisqu’il empêche de développer véritablement le logement intermédiaire, qui coûte pourtant moins cher, et de créer un statut du bailleur privé vu non pas comme un rentier, mais comme un entrepreneur en logement.

Troisième axe : densifier.

Nous le savons, c’est la clé pour construire plus et mieux et pour limiter les conséquences néfastes de l’étalement urbain, mais, nous le savons tout autant, la densité fait peur et rencontre l’opposition de nombreux citoyens. Il faut la faire accepter. Je suis convaincue que c’est possible si l’on aide les maires bâtisseurs et si l’on propose de beaux projets qualitatifs correspondant aux demandes sociales et de véritables projets urbains, où densité rime avec solidarité et proximité des services.

Le concept de « ville du quart d’heure » de l’urbaniste Carlos Moreno a rencontré le succès médiatique. Peu importe le terme, relevons le défi de concevoir des villes pour le XXIe siècle !

Construire plus et mieux est vital pour loger tous les Français. C’est également vital pour notre économie. Mais plus largement, dans cette période de crise et de doute, nous avons besoin d’imaginer un futur meilleur. Construire est un acte d’espérance et de foi dans l’avenir. C’est un bien essentiel. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur certaines travées du groupe CRCE.)

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, en engageant ce débat sur le thème « Comment construire plus et mieux en France ? », je voudrais tout d’abord saluer l’engagement et le travail du Sénat sur les questions liées aux politiques du logement. Nos échanges sont à la fois riches, exigeants et à la hauteur des enjeux.

« De tous les actes, le plus complet est celui de construire » : cette phrase de Paul Valéry résume, je le crois, l’enjeu qui est au cœur de notre débat d’aujourd’hui.

L’enjeu de la construction s’étend en effet des politiques du logement à la façon dont nous pensons et vivons la ville et le territoire. Il recoupe les questions de mixité sociale, d’accession à la propriété, d’attractivité d’un territoire et d’équilibre entre espaces bâtis et naturels. L’acte de construire est donc ambitieux, exigeant, nécessaire et structurant.

Cette question est bien au cœur de l’action du Gouvernement, qui n’oppose pas rénovation et construction, et des mesures importantes ont été prises pour répondre à la crise exceptionnelle que nous traversons.

Je voudrais tout d’abord indiquer que les efforts menés en matière de construction avant la crise sanitaire se traduisent par des résultats importants : par exemple, en 2018, la construction de 460 000 logements a été autorisée et 400 000 ont été mis en chantier. En prenant uniquement les années 2018 et 2019, les chiffres de mises en chantier, comme ceux des permis de construire, sont supérieurs à ceux de la décennie précédente.

Nous étions donc sur une tendance positive, mais cette dynamique a effectivement été freinée en 2020, j’en conviens tout à fait, avec 382 000 logements autorisés et 351 000 mis en chantier.

Cette année 2020 a été exceptionnelle en raison de la crise sanitaire qui a arrêté les chantiers pendant deux mois et du renouvellement des exécutifs municipaux,…

M. Philippe Dallier. Pas seulement !

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée. … lequel est le jeu naturel de la démocratie mais a duré quatre mois de plus que prévu. (M. Julien Bargeton opine.)

Devant cette situation, je rappelle que l’État a organisé, avec les professionnels, les conditions sanitaires de la poursuite des chantiers et a, par la suite, mobilisé des moyens et pris des mesures exceptionnelles pour relancer la construction.

Donc non, la construction n’a été oubliée ni par la relance ni par l’État !

Tout d’abord, un effort particulier est déployé pour le logement social. Deux millions de Français sont actuellement en attente d’accéder à un logement social. La crise que nous traversons accentue cette demande de la part de nos concitoyens.

J’ai donc décidé de proposer à tous les acteurs du secteur de faire de 2021 et 2022 des années de mobilisation générale pour la relance de la construction de logements sociaux, en allant nettement au-delà de l’objectif annuel de 110 000 logements sociaux qui était atteint avant 2020. Avec les grands partenaires de l’État – l’Union sociale pour l’habitat (USH), Action Logement et la Caisse des dépôts –,…

Mme Sophie Primas. Pas avec les maires ?

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée. … nous avons fixé un objectif ambitieux de 250 000 logements sociaux en deux ans et nous signerons la semaine prochaine un protocole d’engagement en ce sens.

Concrètement, en 2021, la Caisse des dépôts va mobiliser 300 millions d’euros supplémentaires pour souscrire des titres participatifs auprès des bailleurs sociaux. Sur la période 2021-2022, CDC Habitat s’engage à produire 42 000 logements sociaux nouveaux, soit une augmentation de 50 % de sa production annuelle par rapport à 2020.

Action Logement mobilisera pour sa part, dans le cadre de la convention que nous venons de signer, 500 millions d’euros de subventions exceptionnelles pour le logement social et Action Logement Immobilier a prévu de développer plus de 70 000 logements sociaux nouveaux sur deux ans.

Au total, avec les crédits du Fonds national d’aide à la pierre (FNAP), 2 milliards d’euros de subventions ou de fonds propres seront déployés en faveur du logement social en 2021 et 2022.

Je peux donc vous l’affirmer aujourd’hui : les moyens sont bien disponibles en 2021 et 2022 pour le logement social.

Nous soutenons également le logement privé. Ainsi, dans la loi de finances pour 2021, nous avons donné de la visibilité aux acteurs, qui le demandaient, sur le prêt à taux zéro et le dispositif Pinel pour permettre de développer un parc à loyers ou prix maîtrisés.

Pour construire bien et plus, il est essentiel d’utiliser efficacement le foncier et de le densifier. C’est la raison pour laquelle, dans le plan de relance, le Gouvernement mobilise 650 millions d’euros pour la viabilisation des friches et la densification urbaine. Dans ce cadre, nous finançons une aide aux maires bâtisseurs : 350 millions d’euros sont ainsi mobilisés sur deux ans. Pour les quatre premiers mois, nous soutenons déjà 500 000 mètres carrés supplémentaires en surface de logements dans 500 communes.

Construire plus et mieux nécessite de simplifier les procédures. Plusieurs actions ont été entreprises en ce sens, notamment la mise en œuvre de la dématérialisation des documents d’urbanisme, ainsi que la suppression de l’agrément pour le logement locatif intermédiaire.

Selon la loi ÉLAN, les collectivités doivent se doter d’un outil dématérialisé pour le 1er janvier 2022. Côté État, nous pilotons le dispositif pour être prêts dès le 1er juin afin de permettre aux collectivités locales qui le souhaitent de dématérialiser leurs documents dès l’été.

Nous avons par ailleurs supprimé l’agrément préalable des opérations de logements intermédiaires – cette mesure a été votée par le Sénat – et j’ai pris un arrêté, à l’automne, pour simplifier drastiquement le dossier d’agrément des logements sociaux.

L’État a donc mis en place les moyens et les dispositifs nécessaires au rebond en 2021 et 2022, mais il est vrai qu’en matière de construction, comme pour de nombreuses politiques, l’État ne peut pas faire seul et les élus locaux jouent un rôle important. Nous le savons tous ici, ce sont les maires et les élus intercommunaux qui déterminent les règles d’urbanisme et délivrent les permis de construire.

Les professionnels nous alertent aujourd’hui sur la multiplication des cas de blocage de permis de construire, pourtant conformes aux règles d’urbanisme et au plan local d’urbanisme (PLU), et sur la remise en cause de projets de logements déjà lancés.

Le véritable danger, c’est de refuser d’accueillir des populations nouvelles, de ne répondre qu’aux besoins des habitants en place et, ce faisant, de refuser de répondre aux besoins des jeunes qui décohabitent, des familles qui déménagent ou des personnes qui connaissent une mobilité professionnelle et ont besoin d’un nouveau logement.

Pour construire plus et mieux, il faut que l’ensemble des acteurs agissent ensemble pour défendre l’intérêt de ceux qui ont besoin d’un logement comme celui de ceux qui en ont déjà un. C’est pourquoi la mobilisation collective est importante et revêt une dimension politique.

J’ai ainsi signé en novembre dernier, avec toutes les associations de collectivités territoriales, un pacte pour la relance de la construction durable, et je salue l’engagement de certaines villes, comme Dijon,…

Mme Anne-Catherine Loisier. Au hasard ! (Sourires sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée. … qui le déclinent localement.

Les préfets, avec lesquels j’étais encore ce matin en réunion, les sous-préfets à la relance et l’ensemble des services de l’État sont aux côtés des territoires et missionnés pour soutenir cette mobilisation collective, mettre du liant avec les acteurs locaux et favoriser, chaque fois que c’est possible, la mise en œuvre des projets.

Enfin, il faut projeter vers l’avenir une vision de la construction et du logement dans une logique d’aménagement du territoire.

Concernant le volet social tout d’abord, il faut continuer à travailler sur la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain, dite loi SRU, et lui donner de la visibilité au-delà de 2025. La prolongation, qui permettra de porter cet objectif ambitieux tout en trouvant les souplesses nécessaires, est inscrite dans le projet de loi dit « 4D » qui vient d’être soumis au Conseil d’État.

Nous souhaitons maintenir l’exigence mais tenir compte des situations locales, en nous appuyant sur les propositions faites par la commission SRU présidée par Thierry Repentin : ces propositions ont recueilli l’avis favorable de l’ensemble des parties prenantes et feront l’objet d’une transcription législative.

Mais construire mieux, c’est aussi construire, dans une vision d’aménagement du territoire, des logements confortables et performants sur le plan environnemental.

Pour favoriser l’aménagement du territoire, il faut trouver la manière de proposer des projets de densité suffisante qui permettent de lutter contre l’étalement urbain et l’artificialisation des sols et d’inclure des services, tout en restant désirables.

C’est pourquoi, dans une démarche que j’appelle « Habiter la France de demain », j’ai proposé de mettre en valeur, partout sur le territoire, une centaine de démonstrateurs pour montrer qu’il est aujourd’hui possible de construire avec une certaine densité des projets qui répondent aux besoins des Français.

Je souhaite aussi mentionner les nouvelles normes de construction, en particulier la réglementation environnementale 2020, ou RE 2020, dont les derniers ajustements ont été proposés le 18 février dernier.

Mme le président. Il faut conclure, madame la ministre.

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée. Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, ce débat englobe beaucoup de sujets ! Je me réjouis de ce moment d’échange avec vous et je suis prête à vous répondre dans un esprit d’écoute et de partenariat. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Débat interactif

Mme le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes maximum pour présenter sa question, suivie d’une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.

Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.

Je vous remercie de respecter votre temps de parole, mes chers collègues.

Dans le débat interactif, la parole est à M. Daniel Salmon.

M. Daniel Salmon. Le secteur du bâtiment est au cœur des enjeux de notre nécessaire transition énergétique puisqu’il est responsable de 19 % des émissions nationales de dioxyde de carbone et de 60 % des tonnes de déchets produits en France. Des mesures fortes et ambitieuses sont aujourd’hui indispensables pour atteindre l’objectif de réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2030.

Bien sûr, nous devons continuer à construire plus. Je souhaite concentrer mon propos sur l’écoconstruction, encore bien trop marginale alors que ses bénéfices sont multiples – écologiques, locaux… – et qu’elle présente une utilité sociale forte, car elle permet de lutter efficacement contre la précarité énergétique.

Ces habitations, madame la ministre, répondent à l’enjeu majeur de l’aspect écologique du logement, qui consiste à consommer moins pour habiter mieux.

Elles sont construites avec des matériaux biosourcés souvent issus du territoire. Ainsi, à titre d’exemple, les ossatures sont fabriquées avec du bois de nos forêts et les murs avec du béton de chanvre. Ces biomatériaux peu transformés sont sobres en énergie grise. Un mur porteur en briques de terre cuite consomme quatre fois moins d’énergie grise qu’un mur en béton armé.

Certains de ces biomatériaux permettent de stocker des quantités de carbone très importantes : un mètre cube de bois massif mis en œuvre sur chantier stocke 460 kilogrammes de CO2, alors qu’un mètre cube de béton en émet l’équivalent ; le gain carbone est donc de quasiment une tonne de CO2 par mètre cube.

Ces logements passifs procurent un confort thermique inégalable. Leur degré d’hygrométrie et leur inertie permettent de rafraîchir l’air ambiant, et donc de se passer de climatisation.

Par ailleurs, lorsque ces habitations doivent être déconstruites, elles retournent à la terre, d’où elles viennent, en produisant peu de déchets puisque la majeure partie de ces matériaux est biodégradable. Il s’agit donc d’un cercle vertueux.

Madame la ministre, allez-vous lever les obstacles pour créer de véritables filières locales de l’écoconstruction, notamment des filières bois et chanvre ? Allez-vous faciliter la labellisation et la délivrance d’avis techniques pour les matériaux biosourcés ?

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement. Monsieur le sénateur, je partage votre avis sur l’importance de l’écoconstruction. C’est la raison pour laquelle j’ai très fortement soutenu, jusqu’à son aboutissement, le projet de nouvelle réglementation environnementale, la RE2020.

Cette nouvelle réglementation, dont les derniers ajustements ont été présentés il y a une petite dizaine de jours, porte une ambition extrêmement forte qui soutiendra le développement des matériaux biosourcés dans la construction. Elle a trois objectifs principaux : la sobriété énergétique, la diminution de l’impact carbone dans la construction des bâtiments, et enfin la fraîcheur en cas de fortes chaleurs l’été.

L’obligation de diminution de 30 % des besoins énergétiques des bâtiments s’appliquera dès le 1er janvier 2022. Elle contraindra à concevoir les bâtiments différemment, notamment pour qu’ils soient beaucoup mieux isolés. Rappelons qu’une baisse de la consommation énergétique entraîne non seulement une baisse des émissions de gaz à effet de serre mais aussi une baisse de la facture énergétique.

J’en viens au cycle de la construction lui-même. L’obligation de réduire progressivement jusqu’à 30 % les émissions de gaz à effet de serre lors du process de construction, tout en garantissant la possibilité de mixité des matériaux, favorisera le recours à des matériaux biosourcés tels que le bois ou le chanvre pour les isolants, et permettra des innovations dans les filières classiques comme celle du béton – je pense notamment au béton de chanvre, et plus généralement au béton bas-carbone.

Enfin, si nous nous focalisons sur les passoires thermiques en période hivernale, l’indicateur de confort, l’été, est également de plus en plus important du fait du changement climatique.

Cette réglementation entrera en vigueur progressivement, dès le 1er janvier 2022 pour la baisse de la consommation, et progressivement en ce qui concerne le cycle de vie des matériaux. Ce sera l’occasion pour le Gouvernement – j’y travaille avec mes collègues Agnès Pannier-Runacher et Julien Denormandie – de prendre des dispositions pour soutenir les filières agricoles et industrielles, et favoriser l’émergence d’une véritable filière bois de construction en France.

Mme le président. La parole est à M. Daniel Salmon, pour la réplique.

M. Daniel Salmon. Madame la ministre, comme vous venez de l’exposer, la RE2020 apporte des réponses concrètes et ambitieuses. Il est toutefois indispensable de ne pas en rabattre sur ces ambitions. Sobriété énergétique, décarbonation de la construction, sortie des énergies fossiles : les exigences fixées doivent rester inchangées.

Malheureusement, cette RE2020 est à nouveau reportée à 2022 du fait des pressions exercées par les géants du BTP. Il est pourtant urgent de la mettre en application. Nous espérons que vous tiendrez bon pour ne pas en amoindrir la portée.

Mme le président. La parole est à Mme Marie-Laure Phinera-Horth.

Mme Marie-Laure Phinera-Horth. Construire plus et mieux : tel était l’un des objectifs de la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite loi ÉLAN, promulguée en 2018. Vous continuez d’avoir cet objectif dans le contexte actuel que nous connaissons, et particulièrement pour le logement social.

En effet, madame la ministre, vous avez fixé le 2 février dernier un nouvel objectif à l’ensemble des acteurs – les partenaires sociaux, Action Logement, la Caisse des dépôts et consignations, les organismes HLM et les collectivités territoriales. Ainsi, avec le soutien financier de l’État à hauteur de 1,5 milliard d’euros, 250 000 logements sociaux pourraient être construits dans les deux ans à venir.

Si nous pouvons nous satisfaire de cet objectif ambitieux, mon interrogation porte sur la part de logements sociaux prévus en outre-mer. Comme vous le savez, ces territoires font face à des besoins grandissants liés aux flux migratoires, aux mutations culturelles telles que la préférence pour l’habitat individuel, au phénomène de la décohabitation, à la prégnance de la précarité et surtout à une forte demande de logement social exacerbée par la crise sanitaire.

Rappelons que 80 % des ménages d’outre-mer sont éligibles au logement social, contre 66 % en métropole, et que près de 70 % d’entre eux sont situés sous les plafonds de ressources ouvrant droit à des logements très sociaux, contre 29 % en métropole.

Madame la ministre, sur les 250 000 logements sociaux que vous prévoyez de construire, quelle sera la part accordée aux territoires ultramarins, qui font également face à une pénurie de logements sociaux ?

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement. Madame la sénatrice, vous avez rappelé les particularités des territoires ultramarins, qui justifient l’engagement de politiques en matière de foncier et d’habitat adaptées aux enjeux propres de chacun de ces territoires.

À ce titre, permettez-moi de saluer le choix de la délégation sénatoriale à l’outre-mer de mettre le logement au cœur de son programme de travail pour 2021.

L’État s’engage et accompagne particulièrement les territoires d’outre-mer sur ces questions de logement et d’aménagement. Je souhaite souligner la création récente des établissements publics fonciers et d’aménagement de Guyane et de Mayotte, qui ont pour priorité de produire des terrains aménagés nécessaires au développement de l’offre de logements et d’équipements dont ces territoires ont besoin de façon urgente.

La production et la réhabilitation de logements sociaux sont financées par la ligne budgétaire unique sur le programme 123 du ministère des outre-mer à hauteur d’environ 10 000 logements par an – des logements sociaux, mais aussi des logements neufs relevant de l’accession sociale.

Malgré la crise, la consommation de cette ligne, qui a atteint 218 millions d’euros en 2020, est en augmentation de 30 millions d’euros par rapport à 2019, et pour 2021, les crédits, de nouveau en nette hausse, s’élèvent à plus de 240 millions d’euros. Une dynamique importante a donc pu être maintenue en 2020, alors même que le niveau d’agrément connaissait une chute en métropole. Il faut bien sûr veiller à maintenir cette dynamique en 2021 et 2022.

Les 5 000 à 6 000 logements sociaux qui sont financés chaque année dans les départements d’outre-mer s’inscriront dans le cadre de l’objectif de construction de 250 000 logements sociaux que nous avons fixé.

Comme vous le savez, ces objectifs quantitatifs précis sont donnés territoire par territoire dans le cadre des plans de logement outre-mer. Le plan d’investissement volontaire d’Action Logement, qui prévoit 1,5 milliard d’euros consacrés au logement en outre-mer, s’inscrit également dans cette territorialisation.

Au-delà de l’objectif global de production de logements sociaux en outre-mer, qui doit être aussi ambitieux qu’en métropole, il est nécessaire de poursuivre et de préciser ce travail de territorialisation. Mon collègue Sébastien Lecornu et moi-même y veillerons particulièrement.

Mme le président. La parole est à Mme Marie-Laure Phinera-Horth, pour la réplique.

Mme Marie-Laure Phinera-Horth. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre. Sachez que la population guyanaise attend beaucoup de ce projet de construction de logements car, bien souvent, on attribue les logements sociaux disponibles aux occupants illégaux des squats lorsque ceux-ci sont démolis.

Mme le président. La parole est à M. Éric Gold.

M. Éric Gold. Alors que la crise du covid pèse toujours sur notre quotidien, il semble intéressant d’évoquer la construction de logements à la lumière des effets de la crise sanitaire sur ce secteur. Cette crise et le confinement qui l’a accompagnée, qu’il soit total ou partiel, ont d’autant plus révélé les défauts des logements que ceux-ci ont dû accueillir des fonctions inhabituelles.

Il nous a fallu travailler à la maison, y faire l’école ou encore y pratiquer une activité sportive. La période actuelle a ainsi révélé la nécessité d’habiter des logements susceptibles de répondre à différents usages selon l’évolution des mesures adoptées pour limiter la propagation du virus.

Le logement est devenu plus que le logement. De ce fait, des questions se posent. Si cette tendance devait durer et se confirmer dans le temps, l’habitat devrait être réinventé en tenant compte de la luminosité, de la nécessité de disposer d’un espace intérieur plus grand, aménagé différemment, permettant la modularité des pièces, et surtout du besoin d’accès à un espace extérieur devenu vital pour beaucoup de nos concitoyens.

En ces temps où nos mobilités sont limitées à l’extrême et nombre de nos activités empêchées, l’espace privé a en effet pris une importance inédite. C’est potentiellement tout notre rapport au logement et à son environnement immédiat qui aura été modifié par cette crise. La société dans son ensemble va devoir penser à l’après-crise pour répondre à ces attentes légitimes.

Pour citer la présidente du conseil régional de l’Ordre des architectes d’Île-de-France, « nous ne pouvons plus imaginer des logements obsolètes avant d’être construits ».

Comment allons-nous construire après ? Aux impératifs écologiques s’ajoute aujourd’hui une évolution des modes de vie et des besoins de la population qui est susceptible de perdurer, mais cette évolution des logements aura un coût : comment créer des logements plus grands, plus confortables, dotés d’espaces extérieurs plus verts, tout cela à un coût supportable par les ménages et sans aggraver l’étalement urbain ?

Madame la ministre, pouvez-vous préciser les attentes du Gouvernement quant au référentiel sur la qualité du logement en cours d’étude ?

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement. Monsieur le sénateur, je partage absolument votre constat : la crise que nous traversons a remis au cœur de l’actualité la question de la qualité intrinsèque du logement, et donc des inégalités qui existent à cet égard.

Mon prédécesseur avait demandé à Pierre-René Lemas de rédiger un rapport sur ce sujet. Ce rapport, remis récemment à Roselyne Bachelot, en tant que ministre chargée de l’architecture, et à moi-même, établit des constats sans appel : en moyenne, nous avons perdu plus de dix mètres carrés par logement au cours des dernières décennies ; nous vivons donc dans des logements plus petits, qui ne sont pas systématiquement dotés d’espaces extérieurs.

De plus, les questions du volume, de la modularité, de la place de la cuisine, de la capacité à faire évoluer le logement en fonction de la taille de la famille et des besoins ont été complètement oubliées.

Face à cette situation, j’ai choisi de mandater de façon précise un architecte, François Leclercq, et un aménageur, Laurent Girometti, pour mener une mission visant à définir d’ici à l’été prochain un référentiel de qualité du logement sur ces différents points. Celui-ci tiendra compte de la qualité d’usage du logement, les usages évoluant pour le télétravail ou en fonction des besoins des familles, en ciblant spécifiquement le logement collectif.

La mission réunit des représentants de maîtres d’ouvrage, de maîtres d’œuvre, d’architectes et de certificateurs qui auditionneront des élus, des économistes et des représentants de tous les acteurs du logement.

L’objectif est de produire un référentiel simple qui permettra aux professionnels de se mettre d’accord sur le niveau de qualité du logement et sur la manière d’y parvenir. Ce référentiel n’a pas vocation à être une nouvelle norme, mais plutôt un point de repère commun pour inciter les aménageurs, les opérateurs et les promoteurs à tenir compte de ces critères de qualité.

Il s’inscrit dans une démarche plus large lancée début février, nommée « Habiter la France de demain ». Son objectif : montrer qu’il est possible de parvenir à cette qualité du logement partout en France, de façon différenciée.

Une fois que ce référentiel sera produit, nous pourrons débattre de l’opportunité de l’assortir d’incitations.

Mme le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Quelle n’a pas été notre surprise de lire à la page 23 du projet de stratégie nationale bas-carbone (SNBC) : « Les hypothèses démographiques amènent à considérer que le volume de constructions neuves diminue continuellement jusqu’en 2050. »

Nous y sommes ! Nous y étions déjà avant la crise du covid-19, mais aujourd’hui nous assistons à une chute de la production. Or celle-ci se conjugue à une hausse considérable des coûts, les prix de l’immobilier, notamment des loyers, continuant à augmenter, de même que les prix de construction des logements. Or nous avons massivement besoin de logements sociaux et abordables.

Madame la ministre, mes chers collègues, c’est non par plaisir mais pour pouvoir boucler les opérations financièrement que les gens ont décidé de construire plus petit !

Si nous voulons des logements plus grands, des logements à prix abordables et des constructions bas-carbone, il faudra des aides à la pierre et une régulation des prix contre les flambées injustes et absurdes du foncier et de l’immobilier en France.

Mme Sophie Primas. Exactement !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Enfin, il ne faut surtout pas bloquer les maires qui ont envie de construire. Sur ce point, il est fondamental de revenir sur le sujet majeur qu’est l’exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB). (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Celle-ci n’est compensée qu’à hauteur de 3 %. Or il suffirait de la compenser à 50 %, ce qui représenterait un coût de seulement 200 euros par an et par logement.

J’entends que la France ne pourrait pas prendre une telle mesure. Je veux bien… Je crois surtout qu’il ne faut pas cacher certaines réalités. Il faut faire appliquer la loi SRU, et bien sûr être exigeant pour que chacun prenne sa part. Mais au-delà, le logement procède de la solidarité et de l’investissement nationaux. On ne peut pas demander aux collectivités de payer ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER.)

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement. Madame la sénatrice, nous observons effectivement une chute de la production de logements ; je partage ce constat qui a été dressé sur toutes vos travées. Ce phénomène est pour l’instant conjoncturel, mais il deviendra structurel si nous ne mettons pas en place ensemble – car la responsabilité est partagée – les outils pour lutter contre cette chute de la production de logements.

C’est la raison pour laquelle j’ai lancé, de façon extrêmement volontariste, le défi de construire 250 000 logements sociaux en deux ans grâce aux moyens financiers provenant des opérateurs de l’État et à un partenariat avec Action Logement. Ces logements sociaux devront être construits quelque part. C’est aussi la raison pour laquelle, comme Marie-Noëlle Lienemann, je soutiens l’application et la prolongation de la loi SRU.

Je soutiens également le logement intermédiaire. C’est un segment utile qui se développe, raison pour laquelle nous avons supprimé l’agrément. Toutefois, la question du modèle économique des exonérations non compensées de TFPB se pose pour le logement intermédiaire comme pour le logement social.

Je reconnais tout à fait que nous devons être cohérents en termes de modèle économique et de soutien aux élus s’agissant de la construction de logements. J’ai ainsi souhaité la constitution d’une mission pour étudier la possibilité de compenser l’exonération de TFPB ou trouver des solutions alternatives pour le logement intermédiaire.

Cette question se pose aussi – plus globalement et avec autant, voire davantage, d’acuité – pour le logement social. Nous allons donc étendre les travaux de cette mission à tout ce secteur afin qu’elle puisse formuler des propositions sur l’évolution de cette exonération, sa compensation ou son financement.

Pour autant, j’estime que les paramètres fiscaux ne sont pas les seuls déterminants dans la décision des maires de construire ou de ne pas construire. Cette décision relève plus globalement d’une politique territoriale et locale, et si la fiscalité est assurément un des éléments pris en compte, il n’est pas le seul.

Pendant longtemps, notre pays a connu des maires bâtisseurs. Il existe encore des maires qui souhaitent accueillir les habitants de leur territoire, et les enfants de ceux-ci, dans les meilleures conditions possible. À charge pour nous de trouver le modèle, non seulement fiscal mais aussi politique et environnemental, qui le permette !

Mme le président. La parole est à M. Pierre Louault. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Pierre Louault. Madame la ministre, je souhaite attirer votre attention sur la problématique des territoires ruraux. Beaucoup de personnes veulent vivre à la campagne et ne le peuvent pas. En effet, il est impossible de construire sur un territoire rural qui n’est pas soumis à un PLU, les préfets refusant systématiquement les permis de construire.

La loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite loi ALUR, visait à juste titre à réglementer l’urbanisme périurbain galopant qui détruisait les territoires ruraux de proximité. Mais elle a, en même temps, totalement bloqué l’urbanisation des territoires ruraux.

À titre d’exemple, le schéma de cohérence territoriale (SCoT) prescrit très clairement que les permis de construire sur les communes sont délivrés en fonction du nombre de permis obtenus les années précédentes. Ainsi, le SCoT ne leur ouvrant pas de nouveaux droits à construire, les communes rurales délivrent de fait de moins en moins de permis.

Par ailleurs, aucune aide publique n’est prévue pour la réhabilitation dans les territoires ruraux. Les personnes qui, aujourd’hui, souhaitent transformer les vieilles maisons de ces territoires en habitat locatif n’ont droit à aucune aide !

La loi ALUR a condamné à une mort lente mais certaine les territoires ruraux. Madame la ministre, envisagez-vous de modifier le code de l’urbanisme, qui a été établi pour les villes et les territoires périurbains ? (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement. Les règles d’urbanisme ne doivent pas conduire à rendre impossible l’installation d’habitants dans les territoires ruraux.

Toutefois, cette question me paraît relever d’une discussion entre élus locaux, relative aux documents d’urbanisme communaux – PLU, plans locaux d’urbanisme intercommunaux (PLUi), SCoT. Les services de l’État apportent leur appui pour négocier, discuter et faire aboutir ces documents lorsqu’ils sont en cours de préparation.

Lorsque la discussion n’aboutit pas, ce sont les règles de base qui s’appliquent, c’est-à-dire le règlement national d’urbanisme (RNU) ou la carte communale. Mais cette discussion doit être menée au niveau local, et non pas seulement au niveau national.

Le projet de loi Climat et Résilience prévoit l’élaboration d’une stratégie de réduction de l’artificialisation nette au travers de débats menés d’abord à l’échelon régional, puis à l’échelon des SCoT, des PLUi ou des PLU, afin d’assurer sa définition différenciée en fonction des besoins des communes.

S’agissant de la rénovation, j’estime que nous pouvons probablement faire mieux, et je suis prête à y travailler. Les programmes « Action cœur de ville » puis « Action cœur de bourg » et « Petites villes de demain » ont été l’occasion de réfléchir au financement de la rénovation des commerces et des logements des centres-villes et des centres-bourgs. S’il s’avérait que nous manquons d’outils pour financer la rénovation, par exemple en remise dans le parc social, le ministère pourrait travailler à l’élaboration d’aides adaptées avec les bailleurs.

Enfin, les aides à la rénovation telles que MaPrimeRénov’ sont un outil budgétaire puissant pour permettre à ceux qui s’installent de faire des travaux de rénovation énergétique, mais pas seulement, et pour rendre les projets abordables.

Mme le président. La parole est à M. Pierre Louault, pour la réplique.

M. Pierre Louault. La part des territoires ruraux concernés par l’artificialisation des sols n’est que de 10 %, contre 80 % pour les territoires urbains et périurbains.

L’artificialisation des sols, ce sont avant tout les autoroutes, les lignes de TGV et les aéroports qui sont construits pour les gens de la ville. Il n’y a pas d’artificialisation pour construire à la campagne !

Par ailleurs, le code de l’urbanisme ne permet pas, au travers du SCoT, de construire sur les territoires ruraux ; il faut donc faire sauter le verrou. Je compte donc sur vous pour soutenir la proposition de loi que je proposerai en vue d’assouplir la loi ALUR, laquelle verrouille le système pour les communes qui n’ont pas eu de permis de construire. (Applaudissements sur des travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à Mme Viviane Artigalas. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Viviane Artigalas. Les défis de la construction sont immenses dans les territoires ultramarins ; cela est ressorti des auditions menées par la délégation sénatoriale à l’outre-mer dans le cadre de son étude sur le logement.

Construire plus et mieux est donc une urgente nécessité, mais cela doit se faire en tenant compte des spécificités de chaque territoire. Alors que 80 % de la population en outre-mer pourrait bénéficier d’un logement social, seulement 15 % y accèdent. Par ailleurs, 100 000 logements relèvent de l’habitat indigne et insalubre.

En outre, l’implantation très disparate des bailleurs sociaux, qui interviennent encore trop souvent en ordre dispersé, ne permet pas d’établir une stratégie coordonnée. Ce point a été souligné par la Cour des comptes, qui a suggéré une restructuration.

Ces défis complexes doivent nous conduire à repenser l’intervention de la puissance publique en la matière sur ces territoires.

Ainsi, compte tenu des spécificités des outre-mer, il faut territorialiser davantage la politique du logement, qui a besoin d’un pilotage clair, efficace et inscrit dans la durée. L’intervention de tous les acteurs du logement doit être coordonnée, en y associant davantage les collectivités locales.

Au-delà d’une meilleure lisibilité des critères de répartition et des réaffectations des crédits de la ligne budgétaire unique (LBU), la généralisation des plateformes d’ingénierie publique au niveau local doit être poursuivie et amplifiée.

Étant donné le faible niveau de revenus des ménages ultramarins, le logement locatif très social doit être davantage priorisé.

Face à ces constats, madame la ministre, et compte tenu du fait que le plan logement outre-mer 2015-2019 a été un semi-échec, quelles mesures comptez-vous prendre pour assurer le succès du nouveau plan logement outre-mer ? Quelles réponses le comité de pilotage de ce plan, qui doit se tenir en mars, pourra-t-il apporter ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement. Madame la sénatrice, les particularités des territoires ultramarins justifient l’engagement de politiques spécialisées dans chacun de ces territoires en matière de foncier et d’habitat.

Le plan logement outre-mer 2019-2022, signé le 2 décembre 2019, constitue la base de notre action. Ce plan est très opérationnel et comporte de nombreuses mesures – 177 précisément – organisées selon quatre axes : la connaissance des besoins ; l’adaptation de l’offre aux territoires ; la maîtrise des coûts de construction et de réhabilitation ; la mobilisation du foncier et l’aménagement.

Pour ce qui concerne la construction, les objectifs quantitatifs sont donnés territoire par territoire dans le cadre de plans territoriaux, donc au plus près des acteurs locaux. Je l’ai rappelé, les crédits de la LBU permettent de financer la construction d’environ 10 000 logements par an.

Afin de mieux prendre en compte les particularités des territoires, une enveloppe dédiée à l’ingénierie au sein de cette ligne budgétaire unique permet d’épauler les collectivités locales. Le ministère du logement apporte son appui dans le domaine de la législation du logement, de l’urbanisme et du foncier.

À cet égard, comme vous le savez, les ministères du logement et des outre-mer mènent actuellement un travail approfondi de simplification des normes. Celui-ci prévoit notamment l’adaptation locale des documents techniques, le développement de filières de produits de construction locaux, l’installation d’organismes certificateurs outre-mer et la réécriture de la réglementation thermique, acoustique et aération, qui doit être adaptée aux spécificités des territoires ultramarins.

L’application de ce plan et sa déclinaison opérationnelle, y compris par le comité de pilotage que vous citiez, couplées à une volonté de construire et aux moyens de l’État et du PIV, doivent permettre de tenir la trajectoire ambitieuse que nous nous sommes fixée au travers du plan logement outre-mer.

Mme le président. La parole est à Mme Viviane Artigalas, pour la réplique.

Mme Viviane Artigalas. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre. Je ne doute pas de votre volonté de travailler particulièrement sur les problématiques du logement outre-mer.

J’y insiste, ces politiques doivent être menées par un chef de file, en l’occurrence le ministère du logement, en partenariat avec le ministère des outre-mer et les élus locaux, selon une stratégie définie pour chaque territoire.

Il est nécessaire de territorialiser la politique du logement via un renforcement de l’action des conseils départementaux de l’habitat et de l’hébergement (CDHH) et une meilleure prise en compte des spécificités démographiques et sociales. Enfin, la question du foncier est également très importante. Elle appelle une véritable politique volontariste de la part du chef de file.

Mme le président. La parole est à M. Philippe Dallier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Dallier. Madame la ministre, après les très mauvais chiffres de 2020 en matière de financement de logements sociaux, et alors que la tendance était déjà baissière auparavant, vous affichez aujourd’hui un objectif très ambitieux – vous en avez conscience – : la construction de 250 000 logements entre 2021 et 2022. Or, en l’état actuel des choses, vous n’avez strictement aucune chance d’y parvenir !

La première raison, rappelée par Marie-Noëlle Lienemann, est que ce sont les maires qui délivrent les permis de construire.

Quel maire délivrera un permis de construire pour construire du logement social et accueillir des populations nouvelles avec zéro recette fiscale en face ? (Marques dapprobation sur les travées du groupe Les Républicains.)

Si le Gouvernement ne comprend pas cela, il ne comprendra pas plus ce qui va bloquer ! Nous avons pourtant tiré la sonnette d’alarme depuis l’annonce de la suppression de la taxe d’habitation. Cela fait presque quatre ans que nous le répétons : à défaut de remédier aux difficultés liées à la compensation des exonérations de foncier pour les bailleurs sociaux, nous allons au-devant d’un gros problème.

Du reste, le logement intermédiaire est également concerné, et pas seulement le logement social. Pour un maire, cela signifie l’accueil de populations nouvelles et zéro euro de recette.

Comment fait-on tourner les services publics, les écoles et les crèches avec zéro recette en une période où les dotations de l’État, même si elles sont stables au niveau global, continuent de baisser lentement mais sûrement pour les communes dont la péréquation n’augmente pas ? Dans ma commune, attributaire de la dotation de solidarité urbaine (DSU), la dotation globale de fonctionnement (DGF) par habitant a baissé de 10 %, inflation comprise, depuis 2017.

Madame la ministre, vous nous dites avoir demandé la constitution d’une mission. Mais on sait déjà tout ! Le ministre chargé des comptes publics, Olivier Dussopt, nous indiquait à l’automne dernier qu’il fallait trouver 1 milliard d’euros, dont 500 millions pour les communes. Soit vous les avez, soit vous ne les avez pas ! Nul n’est besoin de réunir une mission avec des spécialistes….

La question est : qu’allez-vous faire ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement. Monsieur le sénateur Dallier, l’objectif fixé est en effet extrêmement ambitieux. Si tel n’était pas le cas, bon nombre d’entre vous auraient déploré que le Gouvernement n’ait aucune ambition en matière de construction de logement social !

Effectivement, cet objectif ne sera pas facile à atteindre, et je suis la première à le reconnaître. Il aurait probablement été plus sûr et plus prudent de le fixer plus bas. Cependant, les besoins sont importants, ce qui justifie de prévoir la construction de 250 000 logements sociaux en deux ans.

Pour financer ces projets, nous disposons des moyens d’investissement ouverts grâce au partenariat entre Action Logement et la Caisse des dépôts et consignations, initiative que je tiens à saluer.

Si nous n’avions pas trouvé ces moyens d’investissement, vous nous auriez dit : « Vous avez un objectif, mais pas de crédit pour investir dans le logement social : comment voulez-vous y arriver ? Il n’y aura pas d’investissement possible ! »

Quand vous nous opposez : « Encore faut-il que des maires accueillent des projets ! », vous soulevez à juste titre la question du modèle fiscal. Il conviendrait cependant que priment la volonté politique et le respect de la loi SRU, qui impose de créer des logements sociaux partout, notamment dans les communes carencées, où les dossiers des demandeurs de logements sociaux sont en file d’attente. C’est la raison pour laquelle cette loi est appliquée avec fermeté, mais aussi – je l’espère – avec discernement.

C’est aussi pour cela qu’au moment de sa prorogation, je serai prête à rediscuter des trajectoires, de la contractualisation et des exemptions qu’elle prévoit, pour trouver une manière plus contractuelle d’atteindre l’objectif visé tout en gardant la volonté politique initiale.

Quant à la question du modèle de financement, elle a été posée très précisément au sujet du logement intermédiaire, lors de l’examen du projet de loi de finances. Avec le ministre du budget, nous nous étions alors engagés à rendre un rapport au Parlement, aux mois de mars ou avril suivants, qui porterait sur le modèle de financement du logement intermédiaire, et qui prendrait en compte la compensation des exonérations fiscales.

Je suis désormais prête à élargir le champ de ce rapport en y intégrant la compensation des exonérations fiscales pour le logement social, car les montants ne sont pas tout à fait les mêmes que pour le logement intermédiaire. Les connaissances que nous tirerons des informations fournies par le ministère du logement et par Bercy nous permettront de progresser. Le débat aura lieu lors de l’examen du prochain projet de loi de finances.

M. Julien Bargeton. C’est parfaitement clair !

Mme le président. La parole est à M. Philippe Dallier, pour la réplique.

M. Philippe Dallier. Madame la ministre, je prends vos annonces comme une bonne nouvelle, et vivement l’automne ! Cependant, vous aurez perdu une année parce que tant que les maires n’auront pas la certitude d’une corrélation entre l’augmentation « tendancielle » de leurs ressources pour financer les équipements publics et le nombre de logements construits, les projets resteront bloqués.

Ne jetez pas une pierre dans le jardin des maires ! Chacun sait que certains d’entre eux ne veulent pas construire, mais ils ne sont pas majoritaires. Ne nous parlez donc pas sans cesse de ceux-là, car vous avez les moyens de les contraindre à construire. De grâce, aidez les autres ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à M. Franck Menonville.

M. Franck Menonville. En matière de construction, notre pays est confronté à un double défi, tant quantitatif que qualitatif. D’une part, il faut construire plus pour répondre à la demande croissante de logements ; d’autre part, il faut construire mieux pour composer avec les nécessaires exigences environnementales.

La loi ÉLAN a été porteuse – pour ne pas dire prometteuse – de simplifications plutôt bien accueillies par la profession. Néanmoins, elle tarde à porter ses fruits et nous ne devons pas nier ce constat. Aussi convient-il de nous interroger, à la lumière de textes de plus en plus complexes, sur la lenteur des autorisations d’urbanisme.

En outre, le Gouvernement a rehaussé depuis lors son niveau d’exigence en matière environnementale, ce qui est heureux.

Il ne faudrait cependant pas que cette ambition nouvelle se traduise par des normes supplémentaires. Il s’agit, au contraire, de simplifier celles qui existent et de les rendre compatibles entre elles pour construire davantage et plus vite, tout en répondant mieux aux enjeux climatiques.

Par exemple, la RE2020, dont les arbitrages viennent tout juste d’être rendus publics, constitue un pari sur l’avenir. En effet, certaines exigences fixées essentiellement à l’horizon de 2028 à 2031 ne sont pas atteignables avec les technologies actuelles. Non seulement elles nécessitent de nouveaux process, de nouveaux matériaux et de nouvelles façons de faire, mais elles demandent également des adaptations très fortes de tous les métiers du bâtiment qu’il faut accompagner.

Madame la ministre, que compte faire le Gouvernement pour simplifier les normes de la construction et pour accélérer les procédures d’urbanisme ? Comment garantir que les ambitions environnementales ne se traduiront pas nécessairement par davantage de contraintes, ce qui freinerait inévitablement la dynamique de construction ?

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement. Monsieur le sénateur, vous avez raison de dire que la loi ÉLAN a apporté un certain nombre de simplifications en matière d’urbanisme, qui sont en cours de déploiement.

Je citais précédemment la dématérialisation des autorisations d’urbanisme qui représente un progrès considérable, à la fois, pour les porteurs de projets, pour tous les services instructeurs et pour la liaison entre les services instructeurs des collectivités et les services de l’État qui sont saisis. Cette dématérialisation sera opérationnelle au 1er janvier prochain. Elle nécessite que l’État conduise un chantier d’envergure pour que les outils soient disponibles et puissent être choisis sous différents modèles par les collectivités. Je crois que ce sera un progrès.

Dans le même ordre d’idées, un décret en Conseil d’État relatif aux mesures de simplification en matière d’urbanisme est en cours d’élaboration, qui vise notamment à étendre le régime de la déclaration préalable en sortant un certain nombre d’opérations du champ de l’autorisation d’urbanisme et du permis de construire, stricto sensu.

Enfin, dans le projet de loi Climat et Résilience, nous proposerons la simplification, dans le champ de l’urbanisme, de l’utilisation des bonus de constructibilité pour les projets vertueux, qu’il s’agisse de ceux à proximité des gares, des transformations de bureaux en logements, ou des surélévations.

Nous travaillons à rendre le droit de l’urbanisme le plus rapide, le plus opposable et le plus facile à utiliser possible.

En matière de réglementation environnementale, nous avons pris, en signant l’Accord de Paris, un engagement important sur la décarbonation des bâtiments et de la filière de construction. J’ai piloté avec beaucoup d’attention les derniers ajustements nécessaires pour trouver le bon équilibre entre l’ambition fixée et une entrée en vigueur progressive permettant aux filières de s’adapter. Les différents jalons ont été placés en 2022, 2025, 2028 et 2031.

L’ambition sur la construction elle-même est très progressive. Les filières industrielles sont respectées puisque nous avons veillé à préserver la capacité d’utiliser une mixité de matériaux, sous réserve que ceux-ci soient conformes à l’engagement de décarbonation. Avec le ministère de l’industrie, nous travaillons à accompagner ces filières.

Dans ces conditions, je ne crois pas que nous augmenterons beaucoup le prix de la construction. Cela n’a pas été le cas lors de l’instauration de la nouvelle réglementation thermique RT2012 et nous avons trouvé le bon point d’équilibre.

Mme le président. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier.

Mme Anne-Catherine Loisier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais revenir sur l’objectif fixé de construire mieux, en commençant par saluer la démarche engagée pour valoriser les matériaux biosourcés, selon une méthode innovante, déclinée dans une approche en analyse de cycle de vie (ACV) dynamique qui prend en compte le bilan carbone du matériau pendant tout son cycle de vie.

Cette méthode est un levier déterminant pour atteindre les objectifs de la stratégie nationale bas-carbone et pour lutter efficacement contre les changements climatiques. La transition vers une construction plus sobre bouleverse toutefois les méthodes des entreprises de la filière du bâtiment et de la construction, et risque de se traduire par une explosion des coûts.

Il convient donc de prendre en compte les réalités auxquelles sont confrontées les entreprises – je sais que vous y êtes attentive, madame la ministre – et de procéder à une mise en œuvre progressive de cette mutation, afin que chaque corps de métier puisse l’opérer dans de bonnes conditions économiques et humaines.

Comme vous l’avez dit, madame la ministre, cette transition de matériaux et de méthodes a pour atouts de favoriser une mixité constructive qui sera gage de résilience, ainsi qu’une mixité des compétences qui sera gage d’employabilité pour nos concitoyens. Elle favorisera aussi la création d’emplois dans les territoires.

Cependant, pour tenir ces engagements, il faut un saut technologique et il est urgent d’investir dans l’outil de transformation industrielle, notamment du secteur bois qui ne bénéficie à ce jour ni du plan de relance ni du plan décarbonation.

L’appel à manifestation d’intérêt sur les « produits bois d’ingénierie dans la construction » ne fait l’objet d’aucune ligne de financement spécifique, ni dans le quatrième programme d’investissements d’avenir (PIA4) ni dans le plan de relance.

Madame la ministre, comment le Gouvernement compte-t-il relever ce défi industriel pour construire non seulement mieux, mais aussi à un coût accessible, pour l’ensemble de nos concitoyens ?

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement. Madame la sénatrice, la construction bois offre effectivement une formidable transformation en perspective pour le secteur. Elle représente une opportunité nationale, à la fois forestière, industrielle et territoriale. Elle constitue aussi un des leviers importants pour atteindre notre trajectoire climatique.

C’est pourquoi, en application de la loi ÉLAN, qui commande explicitement la prise en compte du stockage du carbone, la construction bois a pris une place particulière dans la RE2020. En effet, l’objectif fixé pour les filières, à partir d’une analyse en cycle de vie dynamique, de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 30 % donne toute sa place à la construction bois et aux matériaux biosourcés.

Je vous rejoins sur le fait qu’il faut maintenant accompagner nos filières industrielles ; c’est une préoccupation que nous partageons avec Julien Denormandie et Agnès Pannier-Runacher.

Nous sommes pour l’instant en retard, non seulement dans le segment du CLT (cross laminated timber), matériau principal qui permet de construire des structures, mais aussi plus globalement en matière d’innovation sur les différents matériaux. En effet, les immeubles de grande hauteur devront, à l’avenir, allier dans leur structure le béton ou le métal, et le biosourcé, y compris dans le gros œuvre.

J’ai lancé, le 18 février dernier, un premier appel à manifestation d’intérêt, doté de 20 millions d’euros, pour soutenir des projets innovants favorisant la mixité des matériaux, dans le cadre du PIA4.

Nous ouvrirons prochainement, avec Julien Denormandie et Agnès Pannier-Runacher, un deuxième appel à manifestation d’intérêt centré sur la filière bois, pour faciliter son industrialisation et un développement purement national qui permettra que le bois, produit puis traité en France, soit ensuite utilisé dans les chantiers de construction français.

En parallèle, l’adaptation des règles d’urbanisme est en cours, notamment celles qui concernent la hauteur des bâtiments, ou bien encore la réglementation en matière d’incendie.

Grâce à l’expérience acquise dans la construction pour les jeux Olympiques, le travail sur la caractérisation et l’optimisation des matériaux se poursuit. Au moment où la RE2020 donne toute sa place à la construction bois, nous allons accompagner la filière.

Mme le président. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier, pour la réplique.

Mme Anne-Catherine Loisier. Si la France dispose de la ressource bois nécessaire pour relever ce défi, il lui manque encore l’outil de transformation. Dans la mesure où la RE2020 fixe l’objectif à une dizaine d’années, il est urgent d’accompagner les industriels.

Cela vaut également pour la maîtrise des coûts, comme je le disais dans mon intervention initiale. En effet, il ne faudrait pas que ce type de construction se traduise par leur explosion.

Mes collègues ont été nombreux à mentionner la nécessité de construire plus. Dans un contexte d’explosion des coûts, cette évolution aura peu de chances d’aboutir.

Mme le président. La parole est à M. Denis Bouad. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Denis Bouad. Madame la ministre, avec 5 millions d’habitations, le logement social a toute sa place dans le débat qui nous intéresse aujourd’hui. Réciproquement, la question qui est posée correspond parfaitement aux défis et enjeux auxquels se confrontent les acteurs du secteur.

En effet, alors que 2 millions de Français sont en attente d’un logement HLM, nous devons réfléchir à la possibilité d’en produire plus.

Cette ambition ne doit pourtant pas se cantonner à une politique du chiffre. Il nous faut aussi penser la répartition sur le territoire et la mixité sociale, en envisageant la quantité en même temps que la qualité des logements sociaux.

Comme je le dis souvent, l’idée du logement social c’est le logement pour tous ! Aussi, madame la ministre, je vous remercie d’avoir récemment rappelé que 70 % des Français sont éligibles à un logement social.

Les bailleurs sociaux ont un rôle à jouer dans les défis qui attendent la société, y compris dans la relance économique à venir et pour permettre à la France de respecter ses engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Dans ce contexte, le principe de compensation de la baisse des APL par la RLS n’est pas sans conséquence. En effet, cette disposition gouvernementale de 2018 entraîne une diminution considérable de la capacité d’autofinancement des bailleurs sociaux, ce qui se répercute logiquement sur les travaux d’entretien et de réhabilitation, ainsi que sur les constructions nouvelles.

Si le Gouvernement a reconnu, en 2019, l’impact négatif de cette disposition, les « mesures compensatrices » mises en place se révèlent insuffisantes.

Prenons l’exemple, madame la ministre, d’un office HLM gardois que je connais bien pour l’avoir présidé pendant dix-sept ans. Alors que ses recettes locatives s’élèvent à 60 millions d’euros par an, l’impact de la RLS est de 6 millions d’euros. Malgré les efforts de gestion qui ont été accomplis et qui se poursuivent, cette perte de ressources financières entraîne une baisse des investissements de plus de 20 % au niveau des constructions neuves.

Moins de capacités d’investissement et plus de fonds propres à consacrer à chaque opération nouvelle, voilà le cercle vicieux dont les répercussions pour l’habitat social perdureront sur le long terme si rien n’est fait.

Mme le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !

M. Denis Bouad. Y aura-t-il une clause de revoyure ?

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement. Monsieur le sénateur, je partage votre point de vue sur l’ambition que nous avons au sujet du logement social. Je ne reviendrai pas sur la question du volume, soit 250 000 logements sociaux. Il convient aussi de prendre en compte celle de l’équité territoriale, car nous devons développer le logement social partout où nous en avons besoin, en particulier dans les zones tendues, ce qui fait l’objet de la loi SRU.

Enfin, la question de l’attribution des logements sociaux se pose également, car chacun doit pouvoir y trouver sa place. C’est la raison pour laquelle nous prévoyons des dispositions pour renforcer le rôle des commissions intercommunales d’attribution dans le projet de loi 4D qui sera prochainement présenté en conseil des ministres, puis examiné par votre assemblée.

Pour répondre précisément à votre question sur la RLS, son rendement était de 800 millions d’euros en 2018, de 890 millions en 2019 et de 1,3 milliard d’euros dans la période allant de 2020 à 2022.

Cette RLS a été finalement accompagnée de mesures importantes : la Caisse des dépôts et consignations a lancé des offres de financement, Action Logement a dégagé 1,5 milliard d’euros d’aides, et le taux de TVA a été ramené à 5,5 % pour les prêts locatifs aidés d’insertion (PLAI) et certaines autres catégories de logements.

Deux études, menées l’une par la Banque des territoires, l’autre par l’Agence nationale de contrôle du logement social (Ancols), concluent, à partir de l’analyse des impacts, que la RLS a été absorbée par le secteur, et que les bailleurs ont de nouveau les capacités financières pour atteindre des objectifs de production et de rénovation.

Comme je vous le disais, nous avons pris de nouvelles mesures de soutien, en consacrant 500 millions d’euros de crédits du plan de relance à la rénovation des logements sociaux et 1,1 milliard d’euros au FNAP pour 2021 et 2022. Action Logement a également mobilisé 920 millions d’euros supplémentaires dans le cadre de l’avenant signé récemment. La Caisse des dépôts et consignations a souscrit 300 millions d’euros de titres participatifs pour les années 2021 et 2022.

Enfin, le PIV prévoit une clause de revoyure en 2022 pour faire un point d’étape et se projeter dans la période suivante. Je reste extrêmement attachée à l’équilibre économique qui permet aux bailleurs sociaux de construire et de rénover, car la France en a besoin.

Mme le président. La parole est à M. Marc-Philippe Daubresse. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Marc-Philippe Daubresse. Je vais enfoncer le clou planté par Philippe Dallier… (Sourires.)

Les maires ont bon dos ! S’ils sont de plus en plus prudents sur l’octroi des permis de construire, c’est que depuis 2017, en particulier du fait de la loi ÉLAN, l’acte de construire est devenu un véritable parcours du combattant. Les organismes HLM subissent un racket financier et doivent faire face aux lourdeurs administratives en matière d’urbanisme. Quant aux contraintes de plus en plus drastiques, voire malthusiennes, en matière d’environnement, elles ne font qu’ajouter de la rigidité à une planification ultradirigiste.

Ces maires que vous incriminez, il faut créer pour eux des incitations financières et réduire leurs contraintes administratives afin qu’ils octroient de nouveaux permis de construire. Bien évidemment, si l’on veut développer le logement social, il faut compenser largement l’exonération de TFPB, comme l’a dit très justement Marie-Noëlle Lienemann.

Voilà deux ans que nous alertons le ministère du logement ! Dans deux ans, nous reviendrons vous le dire… Certes, on ne reste ministre du logement que deux ans en moyenne, de sorte que nous ne pouvons pas savoir à qui nous nous adresserons. Je le sais d’expérience…

La publication des chiffres de la construction pour 2021 nous rappelle cette situation critique : une diminution des permis de construire de 16,3 % en douze mois et une baisse des mises en chantier de 11,3 %, ramenées à un total de 344 900. Vous rendez-vous compte que lorsque j’étais secrétaire d’État au logement, sous la houlette de Jean-Louis Borloo, nous avions haussé le niveau à 486 000 constructions neuves en 2007, contre 330 000 aujourd’hui ? Il est donc possible de le faire, mais avec un plan de relance musclé et des moyens à la hauteur de l’enjeu.

Je le redis, vous n’atteindrez pas les 250 000 logements sociaux en 2022. La mission est impossible car les moyens ne sont pas à la hauteur de l’enjeu, quel que soit le prélèvement que vous effectuerez sur Action Logement, acteur dont la situation est rendue difficile par les fortes ponctions qu’il a déjà subies.

À présent, vous prévoyez d’inscrire l’artificialisation des sols dans la loi Climat. Comment pourrez-vous demander à toutes ces communes qui ne produisent pas de logement de revoir leur schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet), leur SCoT et leur PLU ?

Mme le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !

M. Marc-Philippe Daubresse. Madame la ministre, ferez-vous un plan de relance à la hauteur de l’enjeu ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement. Monsieur le sénateur, je voudrais d’abord vous dire que je respecte les maires.

Je les respecte d’autant plus que nous débattons au sein de l’assemblée qui représente les territoires. Je respecte aussi la libre administration des collectivités locales, selon laquelle les maires ont le choix de la stratégie d’aménagement urbain qu’ils développeront dans leur territoire. Ce n’est donc pas leur faire injure que de leur dire qu’une partie de la responsabilité en matière de construction repose sur eux.

Je ne souhaite toutefois pas dédouaner l’État de sa responsabilité, car il a ces politiques en partage avec les collectivités. L’État fixe le cadre réglementaire, les normes d’urbanisme et les incitations fiscales. Les collectivités locales définissent ensuite les ambitions, les zones d’aménagement, les projets urbains, la construction et la capacité à façonner la ville. De nombreux maires l’ont fait au fil des années.

Nous avions un bon tendanciel de construction de logements lors des années passées : cette activité se chiffrait à 493 000 logements autorisés en 2017, à 460 000 en 2018 et à 450 000 en 2019.

M. Philippe Dallier. Ça baisse !

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée. Une baisse importante est intervenue en 2020, car il s’agit d’une année exceptionnelle pour tous les secteurs économiques : les chantiers se sont arrêtés et le cycle électoral – ce n’est pas faire injure aux maires que d’y faire référence – a fait qu’il n’y a pas eu de décision publique à l’échelle communale ou intercommunale pendant six mois.

Rien n’a été décidé dans la période qui a précédé le premier tour de l’élection – ce qui est bien normal –, pas plus que lors des quatre mois séparant les deux tours de l’élection, à cause de la crise sanitaire et de l’installation progressive des intercommunalités.

Ce n’est pas mettre en cause les maires que de le dire. C’est un constat bien connu qui s’explique par le cycle électoral : on délivre moins de permis de construire et d’autorisations d’urbanisme durant les années d’élections municipales. Rien d’anormal à cela, sinon qu’en 2020 le cycle a duré plus longtemps que prévu.

L’enjeu porte surtout sur l’année qui vient. En 2021, arriverons-nous à relever le volume de construction là où nous en avons besoin ? C’est un défi collectif. Évitons les prévisions autoréalisatrices qui disent qu’on n’y arrivera pas, car il y va de notre responsabilité à tous.

M. Julien Bargeton. Le pire n’est jamais certain !

Mme le président. La parole est à M. Christian Redon-Sarrazy.

M. Christian Redon-Sarrazy. Construire plus, et surtout mieux, est une ambition qui doit guider la politique du logement en France. On constate pourtant à cet égard une différence de traitement entre les métropoles et les communes rurales, ces dernières connaissant de plus grandes difficultés à construire en raison de plans d’urbanisme restrictifs.

La problématique est récurrente dans les territoires, comme j’ai déjà eu l’occasion de le rappeler lors de l’examen de la proposition de loi sur le report de la caducité des postes. L’élaboration de nouveaux documents d’urbanisme est une tâche qui peut se révéler complexe dans de nombreuses communes qui, à l’échelle d’un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) parfois très vaste, ne voient pas nécessairement leurs besoins pris en compte.

Il me semble donc indispensable d’apporter une réponse différenciée aux communes, notamment pour favoriser davantage celles qui n’ont pas connu de consommation de foncier excessive au cours des dernières années, et d’assouplir en conséquence les règles d’urbanisme qui les contraignent.

Si les documents d’urbanisme permettent de limiter les abus, particulièrement en matière d’artificialisation des sols, mieux vaudrait réinstaurer un climat de confiance avec les élus locaux plutôt que de présupposer des excès de leur part.

Il est en effet possible de bien construire, donc de construire mieux, dans les communes rurales. Les exemples de bâti peu consommateur de foncier, où la biodiversité est préservée, sont multiples : j’en connais dans mon département de la Haute-Vienne, notamment dans la commune dont j’ai été maire pendant douze ans.

Dans la perspective de mieux construire, la question se pose de la récupération et de la rénovation du bâti existant, mais vacant, car nous manquons de politique incitative en la matière.

Construire plus, mais surtout mieux, et donner pour ce faire davantage de souplesse aux communes, telle est la stratégie essentielle à mettre en place si nous voulons pouvoir accueillir les populations urbaines qui envisagent, de plus en plus, de s’installer en zone rurale. C’est l’un des rares phénomènes positifs causés par la pandémie. Ne manquons pas cette occasion unique pour nos territoires, faute d’une meilleure politique de l’urbanisme !

Nous pourrons accélérer l’aménagement du territoire, développer des infrastructures de mobilité et, par voie de conséquence, renforcer l’attractivité des départements ruraux.

Mme le président. Mon cher collègue, votre temps de parole est écoulé !

M. Christian Redon-Sarrazy. Madame la ministre, quelle réponse entendez-vous donner aux petites communes pour qu’elles puissent développer une politique urbanistique raisonnée répondant à ces enjeux et à leurs attentes ?

Mme le président. Mes chers collègues, je dois vous redire que le temps imparti pour poser votre question ne doit pas dépasser deux minutes. Si vous allez au-delà, même d’une seconde, vous n’aurez pas de réplique. Rien ne sert d’essayer d’obtenir deux minutes trente pour votre question. J’y veillerai et c’est moi qui décide ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement. Monsieur le sénateur, une opportunité importante s’offre effectivement à nous.

La crise de la covid incite un certain nombre de nos concitoyens à s’interroger sur leur lieu de vie et, potentiellement, à sortir des grandes villes et des métropoles pour aller s’installer dans des territoires plus ruraux. C’est évidemment une chance pour ces territoires, qui doivent être en capacité d’accueillir ces populations.

Pour cela, il faut continuer à intensifier les politiques de rénovation et de réhabilitation des bâtiments déjà construits. C’est l’objectif des opérations de revitalisation des territoires (ORT) et des partenariats d’aménagement. Les établissements publics fonciers et les établissements publics d’aménagement sont à la manœuvre, en première ligne, pour accompagner ces transformations.

L’Agence nationale de l’habitat (ANAH) développe également des politiques de rénovation des centres-villes et de mobilisation contre les logements vacants.

Nous avons récemment lancé un appel à manifestation d’intérêt sur ce sujet, à la suite duquel 250 communes – donc des maires – ont proposé de travailler en partenariat avec l’État afin de mobiliser de l’ingénierie et des outils permettant d’aller à la rencontre des propriétaires, de trouver des mécanismes économiques pour financer la reprise de logements vacants, qui sont parfois de petits immeubles, et de les remettre en location. Nous avons augmenté les crédits de l’ANAH consacrés à ce volet, dans le plan de relance.

Ainsi, à Cahors où je me suis rendue il y a quelques jours, j’ai rencontré un maire extrêmement volontaire qui reprend progressivement du bâti ancien pour le rénover et le remettre en location.

Enfin, les aides individuelles à la rénovation, comme MaPrimeRénov’, peuvent accompagner des projets de relocalisation.

Quant à l’accueil des services, des commerces et des tiers lieux, cet enjeu est au cœur des programmes « Action cœur de ville », « Petites villes de demain » et « Action cœur de bourg ». Une marge d’accélération du dispositif reste possible, car les territoires ruraux n’ont jamais été aussi attractifs aux yeux des urbains. Le réaménagement et la réinstallation n’ont pas forcément pour conséquences l’étalement urbain ou l’artificialisation des terres.

Mme le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Blanc. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Baptiste Blanc. Notre capacité collective à construire pour aujourd’hui, tout en construisant pour demain, se trouve au cœur de ce débat.

Il nous faut construire pour aujourd’hui, parce que la crise du logement ne se résorbe pas, malgré les efforts sur le logement social et la mobilisation des logements vacants. De plus, la crise économique appelle une relance volontariste du secteur de la construction, qui représente entre 8 et 10 % de notre PIB et des centaines de milliers d’emplois.

Il nous faut construire pour demain, parce que les défis restent nombreux, qu’il s’agisse des passoires thermiques, de l’habitat insalubre, du coût du foncier inaccessible ou de la consommation excessive d’espace.

Comme mes collègues, je voudrais vous rappeler, madame la ministre, que la commission des affaires économiques a créé un groupe de travail sur l’objectif « zéro artificialisation nette des sols » à l’épreuve des territoires ; il vous fera des propositions.

À ce stade, nos interrogations se concentrent sur votre approche coercitive du sujet, ainsi que sur les enjeux de financement. On constate en effet une multiplication des documents de planification locale contraignants et des objectifs chiffrés. S’y ajoute désormais une artificialisation nette plus ou moins imposée, même si nous prenons bonne note que vous proposez des espaces de discussion sur le sujet, à l’échelle des régions et des SCoT notamment.

Pour ce qui est du financement, si nous voyons bien le bâton, nulle trace de carotte ! Pour construire mieux, de manière plus modulable, plus dense et moins polluante, il faudra inévitablement fournir des efforts financiers importants.

La dépollution des friches, le recyclage urbain, la modification des documents d’urbanisme pour lesquels la procédure est toujours plus longue et plus complexe, mais aussi le manque de rendement de la fiscalité de l’aménagement, ou encore la construction neuve, grande oubliée du plan de relance, tels sont les défis que nous devons relever.

Madame la ministre, quel soutien le Gouvernement entend-il apporter aux élus locaux, qui auront la lourde tâche de construire plus et mieux ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement. Monsieur le sénateur, le secteur de la construction, extrêmement important pour l’économie française, représente 12 % des emplois.

Il s’est maintenu malgré la baisse du volume de la construction, l’année dernière, parce que nous avons soutenu la rénovation, non seulement chez les ménages mais aussi pour ce qui est des bâtiments publics. Des chiffres historiquement élevés d’entrées en apprentissage ont même été atteints, et les perspectives pour l’emploi et les compétences restent positives en 2021, à tel point que l’on constate parfois une pénurie de main-d’œuvre dans le secteur de la construction.

Cela nous incite à accélérer les passerelles offertes aux demandeurs d’emploi et aux jeunes en recherche de formation, en mobilisant le plan d’investissement dans les compétences (PIC).

En ce qui concerne l’urbanisme et la lutte contre l’artificialisation, nous partageons la même ambition que vous, et nous ne pouvons la traiter qu’avec les collectivités territoriales.

Dans la loi Climat et Résilience, nous fixons un objectif relativement modéré d’une réduction de l’artificialisation nette de 50 % dans les dix prochaines années. Cela signifie qu’il sera toujours possible de construire et de développer des territoires, sous réserve de trouver les moyens de compenser cette dynamique en rendant à la nature certaines zones qui sont parfois devenues des friches.

Cet objectif national a vocation à être décliné par région, d’abord dans le cadre des discussions sur les Sraddet et, ensuite, dans les documents d’urbanisme.

Que faisons-nous pour accompagner cette politique ?

D’abord, nous avons prévu un fonds pour le recyclage des friches, soit 350 millions d’euros pour boucler des opérations que nous n’arrivions pas à financer auparavant. Ce fonds, qui prend la forme d’une contractualisation proposée aux régions, suscite beaucoup d’intérêt ; les différents acteurs y auront probablement largement recours. Aussi, nous aurons l’occasion, si cela se révélait nécessaire, d’examiner les conditions d’un éventuel réabondement.

Ensuite, nous mettons en place une « aide aux maires densificateurs », c’est-à-dire 350 millions d’euros qui seront versés directement aux maires chaque fois que ceux-ci construiront à un niveau supérieur au seuil de densité de la zone. Comme je vous le disais, 500 communes bénéficient déjà de cette aide et 500 000 mètres carrés de logement pourront être créés grâce à cette opération.

Mme le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Blanc, pour la réplique.

M. Jean-Baptiste Blanc. Dont acte pour le logement social !

Pour ce qui concerne le financement, vous parlez des politiques publiques, mais nous pointons aussi le coût des études. Il faudra adapter les Sraddet : les régions le pourront certainement. Mais quid des SCoT, des PLUi et des PLU ? Quid de ce coût supplémentaire pour les collectivités locales ? Tel était aussi l’objet de ma question.

Nous vous invitons à commencer réellement à différencier et à expérimenter au travers de cet objectif de « zéro artificialisation nette des sols ». Il faut prendre au sérieux cette initiative si nous voulons vraiment relocaliser, continuer à faire vivre les territoires et les aménager. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à M. Laurent Somon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Laurent Somon. Les dispositifs réglementaires, toujours plus nombreux, aboutissent à une restriction de la compétence dévolue au bloc communal en matière de planification locale et d’urbanisme, et ce du fait d’une législation uniforme et de l’existence de documents supra-territoriaux opposables, comme les Sraddet et les SCoT, schémas dont l’élaboration est longue, complexe et très technique. Comme le dit Edgar Morin, « plus une politique devient technique, plus la démocratie régresse ».

Systématiquement, la responsabilité des élus locaux est remise en cause, alors que leur sensibilité aux questions de l’urbanisme intégré, de la consommation frugale des terrains, et de la qualité durable et économe du bâti est avérée. La preuve en est que les objectifs qui leur étaient assignés entre 2006 et 2016 en matière de réduction de la consommation des terres – passée de 35 000 à 18 236 hectares sur cette période – ont été atteints.

Sur le terrain, professionnels du bâtiment, architectes, élus et pétitionnaires font tous sans exception état de règles sans cesse soumises à interprétation, comme les parties actuellement urbanisées (PAU), les dents creuses ou l’artificialisation – pour n’en citer que quelques-unes –, règles qui alourdissent l’examen des dossiers et allongent les délais d’instruction.

Les règlements imposés sont parfois contradictoires. C’est le cas de la RE2020, qui est indistinctement appliquée et qui exclut, par exemple, le chauffage au gaz dans les constructions neuves individuelles, alors qu’une économie verte pourrait se développer grâce au triptyque « déchets, méthanisation, injection gaz », là où les ressources et les réseaux existent.

Madame la ministre, seriez-vous prête à mettre en place, comme en Angleterre, un permis déclaratif sous la responsabilité du maire et d’un architecte DPLG, partout où des permis similaires ont déjà été autorisés, ou bien là où aucune difficulté particulière n’est patente ?

Accepteriez-vous d’alléger les formalités administratives, en réduisant par exemple les délais de réponse aux avis requis et les délais de déclaration de complétude à vingt jours, comme en Belgique ?

Accepteriez-vous de créer une instance d’arbitrage, comme en Suisse, au sein de laquelle siégeraient le préfet, le président du conseil départemental, le représentant de la chambre d’agriculture et les élus, et qui permettrait d’anticiper et de réduire les recours ?

Enfin, quelles mesures entendez-vous prendre concernant les logements vacants ? Il en existe plus de 8 000 à Amiens, pour 10 000 demandes de logement… Envisagez-vous d’élargir les dispositifs de défiscalisation, comme le dispositif Denormandie, aux communes du programme « Action cœur de ville » dans le cadre des ORT, à celles du programme « Petites villes de demain »,…

Mme le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !

M. Laurent Somon. … ou de réactiver un Robien ZRR recentré sur les friches agricoles ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement. Monsieur le sénateur, pour ce qui concerne le déploiement progressif des PLUi, vous le savez, c’est la loi ALUR qui a progressivement rendu obligatoire l’exercice de cette compétence par les EPCI. La réforme doit permettre d’apporter une meilleure réponse aux enjeux sociaux et environnementaux en attribuant cette responsabilité à l’échelon pertinent, qui est celui de l’agglomération ou de l’EPCI.

Pour accompagner les EPCI dans le déploiement de ces nouveaux outils, les services de mon ministère ont mené un tour de France des PLUi en 2018 et 2019. Ils poursuivent ce travail pour recenser les SCoT et les PLUi exemplaires et partager ces bonnes pratiques.

Fin 2020, on comptait 476 PLUi couvrant la totalité du territoire d’un EPCI déjà approuvés ou en cours d’approbation ; 235 PLUi dits « sectoriels » sont également approuvés ou en cours d’approbation, soit environ 700 PLUi au total. Ce mouvement de planification a vocation à s’accélérer.

En ce qui concerne les simplifications, je ne suis pas certaine d’avoir totalement compris la proposition de permis déclaratif que vous avez formulée. Personnellement, je serais assez favorable à ce que, une fois que le PLU ou le PLUi a été adopté, les permis soient octroyés de façon plus systématique et plus automatique, sans qu’il y ait besoin d’une nouvelle autorisation d’urbanisme.

Je ne suis pas certaine qu’une telle proposition fasse totalement consensus dans la communauté des maires, mais je suis prête à l’envisager avec ceux d’entre eux qu’elle intéresse.

Une telle disposition permettrait de répondre à la demande des promoteurs et des constructeurs, qui souhaiteraient ne plus avoir à réinstruire les permis de construire, lorsque ceux-ci sont conformes au PLU ou au PLUi. On sait en effet que, aujourd’hui, la majeure partie des permis déposés, qui sont conformes au PLU ou au PLUi, notamment en hauteur, sont systématiquement renégociés à la baisse par les élus, qui demandent que l’on remplace des constructions de quatre ou cinq étages en bâtiments de trois étages.

Tout système déclaratif impliquant une procédure davantage automatisée s’agissant des documents d’urbanisme me semblerait une très bonne chose. Si telle est votre proposition, monsieur le sénateur, sachez que le ministère du logement sera ravi de l’étudier en lien avec le législateur.

Mme le président. La parole est à M. Bruno Belin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Belin. Le débat ouvert cet après-midi par Dominique Estrosi Sassone est essentiel, parce qu’il n’y a pas d’avenir sans bâtir.

Oui, il faut construire plus, car il y a une carence de logements, un manque de logements sociaux, de logements étudiants et de logements adaptés – le grand âge a ainsi du mal à se loger. En outre, la carence de logements fait augmenter les prix.

Ensuite, il faut effectivement construire mieux, ce qui suscite deux questions.

Comment construire ? Vous n’avez pas évoqué dans vos propos, madame la ministre, les efforts de recherche à faire en matière de défi climatique ou de formation. Or c’est primordial : pour « mieux construire », il faudra de nouvelles méthodes et de nouveaux matériaux.

Et où ? Vous avez parlé de 500 communes, mais il en existe 35 800 en France. Tous les projets dont vous parlez sont essentiellement urbains, parce que plus aucun projet n’est possible dans la ruralité : les PLUi sont les ennemis des maires ruraux, comme l’a dit notre collègue Pierre Louault.

Quel projet proposez-vous pour la ruralité ? Comment obtenir un moratoire sur la mise en place des PLUi et des SCoT ? C’est la véritable question qui se pose pour les territoires ruraux, et donc pour leur avenir.

Les Françaises et les Français ont besoin et ont envie d’espace : c’est le message qu’ils ont envoyé l’été dernier. Donnez-leur les moyens de vivre là où il y en a ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement. Monsieur le sénateur, nous touchons effectivement au cœur du débat : construire plus et construire mieux.

Pour ce qui est de construire plus, j’aimerais m’arrêter sur l’un des aspects que vous avez mentionné, celui du grand âge et de l’adaptation au vieillissement. Il s’agit d’une dimension importante du besoin auquel nous devons répondre. Nous le faisons non seulement via des aides, là encore en partenariat avec Action Logement, pour l’adaptation des logements au vieillissement – ce sont des actions très concrètes comme le changement de baignoires en douches, par exemple –, mais aussi dans le cadre du développement de l’habitat inclusif.

Dans la dernière loi de financement de la sécurité sociale, une nouvelle aide a été créée, l’aide à la vie partagée (AVP). Elle permet aux personnes âgées qui le souhaitent d’habiter ensemble dans des logements intermédiaires en finançant des services partagés. Il s’agit d’une formule intermédiaire entre le « chacun chez soi » et la résidence dans un établissement vraiment spécialisé.

Je visite de plus en plus de projets dans lesquels ces formes d’habitat inclusif s’appliquent. Je pense que ces dispositifs sont importants et qu’ils constitueront une réponse à l’un des défis auxquels notre société est confrontée, le vieillissement.

Vous avez ensuite parlé du « construire mieux ». Le ministère soutient bien sûr, au travers du programme d’investissements d’avenir (PIA) notamment, la recherche sur les matériaux.

Construire mieux, c’est changer de matériaux : nous nous sommes fixé un objectif dans le cadre de la RE2020, celui de réduire de 30 % les émissions d’énergie dans le secteur de la construction, avec pour ligne directrice la mixité des matériaux.

Chacune des filières doit trouver les innovations qui lui sont propres pour atteindre cet objectif. Aucune filière n’est taboue ; elles peuvent toutes y parvenir et la recherche existe dans chacune d’entre elles : ciment, béton, acier, matériaux biosourcés. Je pense aussi aux matériaux comme la terre cuite. (Marques détonnement sur les travées du groupe Les Républicains.) Oui, tout à fait, la terre cuite est un matériau…

M. Laurent Duplomb. La terre cuite chinoise ! (Sourires.)

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée. … qui revient à l’ordre du jour, qui est extrêmement efficace et qui dispose de grandes qualités environnementales.

En tous les cas, cette démarche existe et nous continuerons à la développer.

Enfin, comment construire partout ? J’entends votre appel à la ruralité, monsieur le sénateur. Je l’ai d’ailleurs dit précédemment, il s’agit là d’une réelle opportunité pour les territoires ruraux.

Il faut néanmoins poursuivre le débat pour comprendre les raisons qui feraient qu’au sein du bloc communal certains élus seraient les grands gagnants, quand d’autres seraient les grands perdants.

Mme le président. La parole est à M. Bruno Belin, pour la réplique.

M. Bruno Belin. D’abord, je suis sidéré que l’on n’entende pas parler des entrepreneurs et des artisans dans ce débat. Pour construire demain, il faudra faciliter la transmission d’entreprise, du savoir-faire, la transmission de l’outil de travail du maçon du village par exemple. Il faudra vraiment que l’on aborde ce sujet à un moment donné !

Ensuite, vous avez parlé du grand âge, madame la ministre. J’aimerais bien que l’on nous dise si les fonds de l’ANAH sont efficaces. Il faut en tout cas faire en sorte qu’ils le soient.

Pour ceux qui atteignent le grand âge, le fait de constituer un dossier de demande d’aide à l’ANAH et de devoir attendre les différents accords pour que les travaux soient réalisés relève du parcours du combattant…

Enfin, s’agissant de la ruralité, il y a une mesure simple à mettre en œuvre : transmettez dès demain une directive à tous les préfets pour qu’ils arrêtent de bloquer les projets en milieu rural au motif qu’il y aurait un PLUi en attente. C’est un vrai sujet, sur lequel nous vous interrogerons de nouveau. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à M. Laurent Burgoa. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Laurent Burgoa. Madame la ministre, les maires ne sont pas vos ennemis, loin de là ! Ils savent à quel point il peut être difficile de concilier et de décider… Mais ils ne sont pas les agents de l’État. Ils sont chargés de la bonne administration de leur commune et de leur territoire, qu’ils connaissent parfaitement.

Je vais prendre l’exemple d’une commune du Gard, Milhaud. La justice administrative a annulé une décision du maire de cette ville, qui refusait un raccordement au réseau électrique. Ce refus était pourtant motivé par le fait que les élus ne souhaitaient pas laisser s’installer des logements précaires dans la garrigue. En effet, il existait un risque élevé d’insalubrité, car la zone n’était pas desservie par un réseau d’assainissement et d’eau potable.

Figurez-vous que ces élus ont été contraints d’accorder ce branchement électrique pour un mazet de 82 mètres carrés faisant office d’habitation, dans une zone qualifiée – tenez-vous bien ! – d’« espace boisé classé à conserver » qui se trouve, par ailleurs, dans une zone d’aléa « feux de forêt » élevé.

Plus grave encore, les élus avaient vu juste puisque, depuis, le propriétaire s’est fait livrer plusieurs Algeco. Cerise sur le gâteau, la commune vient de recevoir une demande préalable de travaux portant sur la toiture et les fenêtres, travaux qui peuvent être subventionnés par l’État. (M. Michel Savin sexclame.)

C’est ce que nous appelons, madame la ministre, une « cabanisation » en zone naturelle, et ce phénomène est loin d’être anecdotique dans le Gard…

Les élus en sont à se demander si cela vaut vraiment la peine d’avoir un PLU qui définit parfaitement le zonage et qui répond aux prescriptions de la loi ALUR.

Quand allez-vous faire confiance aux maires en matière d’urbanisme et leur redonner la capacité d’agir sur leur territoire ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement. Monsieur le sénateur, je suis pleinement d’accord avec le début de votre intervention : les maires ne sont pas mes ennemis, bien au contraire ; ils ne sont pas des agents de l’État – je n’ai jamais dit l’inverse ; les maires sont responsables de l’administration de leur commune, et c’est bien ainsi que je l’entends.

Je pars en effet du principe qu’il faut travailler en partenariat avec les maires. J’ai d’ailleurs eu l’occasion de passer quelques jours à Milhaud cet été. Il s’agit d’une commune magnifique. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)

Pour en revenir à votre question, je vous avoue ne pas connaître le dossier que vous venez d’évoquer. Vous m’indiquez que la décision d’un maire a été contestée devant un tribunal administratif et que ce dernier a statué. Vous imaginez bien que je ne commenterai pas cette décision de justice.

Mme Sophie Primas. Tout à fait, on ne commente jamais les décisions de justice !

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée. En revanche, si à la suite de cette affaire un projet bénéficiant de subventions de l’État soulevait des interrogations, je peux vous garantir que je regarderai attentivement ce dossier et que j’examinerai la position de l’État à l’égard de ces subventions.

Plus généralement, si l’enjeu est de parvenir à trouver le bon équilibre en matière d’urbanisme dans les communes rurales, on en revient à la précédente question, celle du rôle joué par la commune et l’intercommunalité au travers du PLUi. Vous m’avez alertée sur cette question tout au long de ce débat ; il est nécessaire de continuer à y réfléchir.

Selon moi, il existe tout de même un niveau d’administration territoriale qui a du sens, et qui dépasse dans certains cas l’échelon communal.

Comment faire accepter cette idée que l’échelon du territoire, de l’intercommunalité au sens large, peut être le bon en termes de masse critique, d’aménagement, de vision territoriale, de financement des équipements et d’attractivité ? Comment faire en sorte de concilier cet échelon avec le pouvoir du maire, qui est élu directement par ses administrés ? On retrouve cette problématique dans tous les débats sur le logement, mais aussi dans la loi SRU. On ne tranchera pas la question cet après-midi, mais je veux bien continuer à y travailler.

Mme le président. La parole est à M. Laurent Burgoa, pour la réplique.

M. Laurent Burgoa. Madame la ministre, je me réjouis que vous appréciiez le département du Gard, qui a en effet divers charmes.

Nous le savons depuis Odilon Barrot, si l’on veut frapper juste en matière d’urbanisme, il faut raccourcir le manche du marteau. (Sourires.) Le Gouvernement doit absolument le comprendre : des communes fortes, c’est un État fort. À force de vouloir être partout, l’État finit par être nulle part ! (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Conclusion du débat

Mme le président. En conclusion du débat, la parole est à Mme Sophie Primas, pour le groupe auteur de la demande.

Mme Sophie Primas, pour le groupe Les Républicains. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, au moment de conclure ce débat, je voudrais tout d’abord remercier l’ensemble des orateurs pour la qualité et la pertinence de leurs interventions, ainsi que Mme la ministre pour ses réponses.

Après 2020, année noire, la relance de la construction est essentielle pour nos compatriotes, qui ont besoin d’un logement plus adapté et plus abordable. Elle est également essentielle pour notre économie, l’emploi et la survie de nombreuses entreprises. Elle l’est enfin pour réussir la transition énergétique. Construire mieux, c’est bien sûr construire plus durable, plus réversible, plus biosourcé – tous ces nouveaux mots qui sont à la mode, mais qui ont un sens pour le « vivre mieux ».

Au terme de ces débats, je voudrais vous proposer de retenir trois idées-forces pour lever les obstacles à la reprise du secteur de la construction : la complexité des procédures, la question des ressources,…

M. Michel Savin. Bien sûr !

Mme Sophie Primas. … et enfin la question de l’acceptabilité des nouvelles constructions pour nos concitoyens.

Nous le savons, les différentes étapes juridiques pour construire un logement sont devenues extrêmement complexes et longues malgré les efforts qui se sont traduits dans différentes lois. Nous ne pouvons pas relancer le secteur de la construction sans résoudre cette difficulté. Les réglementations s’empilent : chaque époque apporte ses priorités et ses nouveautés.

Il est plus que nécessaire de rouvrir le chantier de la simplification du droit de l’urbanisme, et ce au-delà de la dématérialisation, madame la ministre. Il faut, par exemple, mettre à plat l’ensemble du dispositif, étape par étape, comme l’a proposé l’année dernière la commission des affaires économiques dans le rapport de nos collègues Dominique Estrosi Sassone et Annie Guillemot.

Mais avant tout, face à l’urgence de la relance et des besoins de logement, et dans la lignée des propos du Premier ministre à Mantes-la-Jolie, il faut se résoudre à adopter une loi d’exception, comme nous l’avons fait pour les jeux Olympiques ou Notre-Dame de Paris.

La construction et le logement ont besoin de cette « loi olympique » pour sortir de la crise. Il est vraiment dommage que parmi les multiples ordonnances prises ou voulues par le Gouvernement, ce besoin de simplification n’ait pas été retenu. Mais il n’est pas trop tard, madame la ministre !

Deuxième idée-force, le renforcement des ressources des communes. La suppression progressive de la taxe d’habitation et l’exonération de la taxe foncière sur les logements sociaux et les logements intermédiaires sont devenues les obstacles les plus importants à la construction de logements abordables. J’ai promis à Philippe Dallier de prononcer cette phrase : les maires ne sont pas des jambons ! (M. Philippe Dallier sesclaffe. – Sourires et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.) Et ils savent compter !

Les maires savent qu’en accueillant aujourd’hui des logements, notamment sociaux, sur le territoire de leur commune, ils auront affaire à une population dont les besoins sont nettement supérieurs à ceux des autres habitants en termes d’école ou d’accompagnement social. Il faut donc des moyens.

Vous l’avez dit, il y a parfois une certaine pudeur à construire. La première des pudeurs consiste à bien accueillir de nouvelles populations dans nos communes…

M. Michel Savin. Très bien !

Mme Sophie Primas. Enfin, il faut aborder le problème de l’acceptation des nouvelles constructions par nos concitoyens.

Densifier, construire plus et mieux entraîne presque toujours une forte opposition des habitants. Il est difficile de faire accepter à nos concitoyens, dans des territoires où les grands ensembles ont été et sont encore des blessures, davantage de constructions. Il est difficile de densifier dans des petites communes rurales, là où cela créera des problèmes de stationnement, de découpage des parcelles, de densification et de vivre-ensemble.

Vous avez évoqué l’interruption de certains programmes par des maires après les élections. C’est exact, mais il s’agit d’un problème démocratique, car ces nouveaux maires ont été élus précisément pour cela : mettre fin aux problèmes de construction.

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée. C’est dommage !

Mme Sophie Primas. C’est dommage, mais c’est un vrai sujet démocratique, madame la ministre, et il faudra trouver des solutions.

Vous devrez aussi soutenir les maires bâtisseurs. Vous l’avez déjà fait ; il faudra poursuivre cette politique sur le long terme, car ce soutien aux infrastructures permettra de faire accepter à nos concitoyens l’arrivée de nouvelles populations dans les villes.

Le problème démocratique est très important, compte tenu des difficultés et de la complexification auxquelles nous sommes confrontés en matière de logement. Il faut souvent plus d’un mandat à un maire pour arriver à bout des grandes réhabilitations et des grands programmes de construction. Il nous faut donc être très vigilants sur le sujet.

Complexité imposant l’adoption d’une « loi olympique » pour « booster » la relance ; ressources garanties pour les maires et leurs collectivités ; acceptation démocratique : voilà trois chantiers que je vous propose d’ouvrir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

Mme le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Comment construire plus et mieux en France ? »

8

Communication relative à une commission mixte paritaire

Mme le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification n’est pas parvenue à l’adoption d’un texte commun.

9

Réforme en cours de l’éducation prioritaire

Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste

Mme le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, sur le thème : « La réforme en cours de l’éducation prioritaire ».

Dans le débat, la parole est à Mme Céline Brulin, pour le groupe auteur de la demande.

Mme Céline Brulin, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, c’est avec beaucoup d’espérance que le groupe communiste républicain citoyen et écologiste porte ce débat sur le devenir de l’éducation prioritaire, l’une des rares politiques nationales visant à lutter contre les inégalités sociales.

Certes, celle-ci répond aujourd’hui imparfaitement aux enjeux. L’an passé, le président Laurent Lafon et notre collègue Jean-Yves Roux avaient rédigé un rapport, qui pointait très justement certaines carences dans la définition de la carte de l’éducation prioritaire. Je rappellerai ce chiffre : 70 % des élèves socialement défavorisés ne sont pas scolarisés en REP (réseaux d’éducation prioritaire) ou en REP+.

Il est indispensable d’améliorer le dispositif, afin de consolider ces deux objectifs que sont la justice sociale et l’élévation du niveau de connaissances des élèves, notamment en travaillant en réseau, car c’est aussi cela l’intérêt de l’éducation prioritaire. Celle-ci ne se résume pas, même si c’est évidemment très important, à des moyens supplémentaires : elle fait travailler ensemble différents acteurs territoriaux au service de la réussite éducative.

Le premier article du code de l’éducation précise clairement que le service public de l’éducation « contribue à l’égalité des chances et à lutter contre les inégalités sociales et territoriales en matière de réussite scolaire et éducative. Il reconnaît que tous les enfants partagent la capacité d’apprendre et de progresser. Il veille à la scolarisation inclusive de tous les enfants, sans aucune distinction. Il veille également à la mixité sociale des publics scolarisés au sein des établissements d’enseignement. ».

J’interromps la citation en observant que la réalité est malheureusement tout autre, puisque la France reste en queue de peloton en termes de résorption des inégalités scolaires et sociales.

De trop nombreuses fermetures de classe en réseau d’éducation prioritaire sont annoncées cette année encore, ce qui affaiblit la politique de dédoublement des classes mise en œuvre par ailleurs. Ces mesures sont particulièrement incompréhensibles en ces temps de crise sanitaire où distanciation physique et soutien renforcé aux enfants sont absolument nécessaires.

Le maillage territorial des zones d’éducation prioritaire (ZEP) est aujourd’hui insuffisant. Ce constat est assez largement partagé sur l’ensemble de nos travées : la détermination du label par le collège de secteur n’est pas, ou n’est plus, efficace. Les écoles rurales, qui connaissent elles aussi des difficultés, s’en trouvent exclues. Or il n’y a aucune raison d’opposer les écoles des quartiers et les écoles des campagnes, en prenant des moyens aux unes pour les donner aux autres.

Comme le relevait le rapport Mathiot-Azéma, l’éducation prioritaire a fait l’objet d’un recentrage sur les zones de concentration de la difficulté sociale et scolaire, qui met de côté d’autres zones aux problématiques spécifiques, comme c’est le cas de certaines zones rurales dans lesquelles l’éloignement des établissements est important, problème qui s’ajoute à d’autres freins existants.

Par ailleurs, même en ville, de nombreuses écoles ayant toutes les caractéristiques pour être en REP s’en trouvent exclues, car leur collège de secteur n’en remplit pas les critères.

Ainsi, que ce soit à la ville ou à la campagne, ces écoles dites « orphelines » n’ont tout simplement pas accès aux moyens supplémentaires auxquels elles pourraient pourtant légitimement prétendre.

Vous annoncez vouloir répondre à ces défis en expérimentant un nouveau dispositif dans trois académies à la rentrée prochaine. Nous craignons que le remède ne soit pire que le mal, et que se joue là finalement l’enterrement pur et simple de l’éducation prioritaire.

D’abord, on voit mal comment nous pourrions relever le défi consistant à aboutir, à moyens constants, à un maillage plus important des réseaux d’éducation prioritaire, incluant certaines zones rurales. Nous voudrions du reste obtenir la garantie que les REP+ seront véritablement sanctuarisés.

Et que dire du calendrier ? À la rentrée 2021, les trois académies de Lille, Aix-Marseille et Nantes appliqueront la réforme à titre expérimental, et ce jusqu’en 2024, avec un premier bilan tiré en 2023. Qu’arrivera-t-il en 2022 au moment du renouvellement de la carte des REP ? Sera-t-il à nouveau ajourné ? Je rappelle que la révision de cette carte aurait dû avoir lieu en 2019 et qu’elle a déjà été reportée.

Nous pensons au contraire que ce zonage devrait être réexaminé maintenant, pour prendre en compte les difficultés engendrées par le confinement du printemps dernier et les dégâts sociaux qu’entraîne la crise sanitaire.

La contractualisation qui serait désormais la règle, en lieu et place du travail en réseau, nous interpelle aussi. Nous sommes favorables à une allocation des moyens tenant compte de la réalité concrète mais, d’une part, l’application des différents critères par les services de l’éducation nationale est souvent très technocratique et, d’autre part, que se passera-t-il lorsqu’au bout des trois années requises les contrats locaux d’accompagnement ne seront pas reconduits ?

Les établissements ayant signé un contrat avec le rectorat perdront-ils tous leurs accompagnements spécifiques ? Quid par exemple des dédoublements ? Maintiendra-t-on le dédoublement dans une école qui n’est pas retenue pour mettre en œuvre un contrat local d’accompagnement (CLA) ? Poser la question revient, malheureusement, à y répondre.

Et pourquoi cette durée, d’ailleurs ? Pensez-vous vraiment qu’il s’agit d’une durée suffisante pour que les différents acteurs parviennent à engager des dynamiques positives ? Beaucoup d’entre nous, ici, vous ont au contraire alertée sur la nécessité d’une stabilisation des équipes pédagogiques, afin de leur donner le temps de bâtir des projets solides et durables.

De plus, la contractualisation porte en elle le germe d’une mise en concurrence ; de nombreux exemples le prouvent.

Ainsi, une commune rurale de mon département de Seine-Maritime s’est vu refuser l’obtention du label « école du numérique » au motif à peine voilé qu’elle est à classe unique, alors que l’heure est aux regroupements, parfois forcés.

D’autres communes qui envisageaient un projet de regroupement pédagogique, avec le maintien de classes dans chacune des communes rurales, ont elles aussi été confrontées au rejet de leur projet par les services académiques, pour lesquels le regroupement ne peut se concevoir que dans un seul lieu, excluant toutes les autres communes, avec les conséquences que l’on connaît.

Comment éviter cette forme de pression et s’assurer que l’attribution des contrats ne répondra pas seulement aux exigences académiques, mais aussi à celles des autres acteurs éducatifs de terrain ?

Comment élargir les dispositifs permettant de donner plus à ceux qui ont moins ? Voilà la seule question qui devrait se poser, tout particulièrement dans le contexte que nous vivons.

Cela passe par des moyens supplémentaires. J’évoquais précédemment la carte scolaire. À la rentrée prochaine, les dotations horaires globales (DHG) dans les collèges et les lycées entraîneront une hécatombe. Les enseignants se préparent à faire cours dans des classes de plus de vingt-huit élèves, là où les effectifs devraient être limités à vingt-quatre ou vingt-cinq.

Quant aux heures supplémentaires prévues pour soi-disant compenser la baisse du nombre de postes, elles ne sont pas effectuées pour un très grand nombre d’entre elles. Près de 12,5 millions d’euros de crédits dédiés à ces heures supplémentaires n’ont ainsi pas été consommés en 2019. On comprend mieux pourquoi, dans le Val-de-Marne par exemple, un collège en REP attend depuis plusieurs mois le remplacement d’une professeure d’histoire, dont le congé court jusqu’en juillet prochain, ou encore pourquoi un élève de Seine-Saint Denis perdrait en moyenne un an d’étude entre la maternelle et le lycée, faute de remplaçants… On pourrait citer de nombreux autres exemples dans nos départements.

Je voudrais enfin évoquer la situation des personnels qui travaillent dans les REP et les REP+.

Moins de 3 % des 2 milliards d’euros consacrés à la formation des enseignants sont destinés à ceux qui exercent en ZEP ; c’est inversement proportionnel aux besoins.

De même, il n’est pas du tout pertinent à nos yeux de fondre la prime REP dans la prime d’activité, sauf à vouloir peu à peu utiliser l’une pour pallier l’autre.

Il est urgent, à notre sens, de relancer le processus de l’éducation prioritaire. En ce sens, nous proposons de cibler plus finement les établissements, en s’attachant plus fortement au lieu de vie et en s’appuyant, notamment, sur les données sociales de l’Insee et des services communaux.

En intégrant automatiquement dans les REP les écoles situées dans des quartiers prioritaires de la politique de ville ou des communes percevant la dotation de solidarité urbaine ou la dotation de solidarité rurale, en dotant mieux ces écoles, nous éviterions sans doute plus efficacement les dérogations à la carte scolaire.

Dans la même perspective, il faut renforcer la formation des enseignants en REP et y affecter plus de remplaçants. Je l’ai dit, cela demande à la fois des moyens de formation et des effectifs en hausse.

Dans ce sens toujours, pourquoi ne pas envisager une pluriannualisation des attributions et des retraits de postes ? Voilà qui permettrait par exemple de remédier aux effets de seuil souvent évoqués. Cela inscrirait les équipes pédagogiques dans la durée et permettrait d’anticiper d’éventuels mouvements de population et d’en finir avec ces décisions couperets, qui déstabilisent toute la communauté éducative.

Il est nécessaire, aussi, d’accorder des bonifications aux professeurs et de prévoir davantage d’infirmières. Les collectivités locales doivent pouvoir être associées à une réflexion sur l’ensemble de ces sujets.

De même, les AESH, les accompagnants d’élèves en situation de handicap, et les assistants d’éducation sont des partenaires à part entière de l’éducation.

On l’a dit, il y a urgence. La crise sanitaire mute en une crise sociale, et nous craignons, avec l’expérimentation que vous lancez, madame la secrétaire d’État, qu’il ne s’agisse davantage de tuer l’éducation prioritaire que de lui donner un nouveau souffle.

Mme le président. Il faut conclure, ma chère collègue !

Mme Céline Brulin. Voilà, mes chers collègues les éléments dont nous aimerions débattre avec vous ce soir. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER.)

Mme le président. La parole est à M. Julien Bargeton.

M. Julien Bargeton. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la lutte contre les inégalités sociales en matière scolaire est évidemment un sujet très important.

Ce projet s’inscrit dans la suite de l’action menée par le Gouvernement depuis le début du quinquennat. On pense tout d’abord à la création de votre poste, madame la secrétaire d’État, puisque c’est la première fois sous la Ve République qu’est créé un ministère spécifiquement chargé de l’éducation prioritaire. Je crois que c’est plus qu’un symbole : c’est un signe de la volonté d’avancer. (M. Didier Rambaud approuve.)

Deuxième avancée, bien connue : le dédoublement de classes en REP. Désormais, 300 000 élèves de CP et de CE1 sont concernés. Cette politique a rencontré un succès important.

Troisième élément : le dispositif Devoirs faits, dont bénéficient désormais 50 % des collégiens de zone prioritaire. Là encore, c’est, me semble-t-il, un motif de satisfaction, même s’il faut poursuivre nos efforts.

Enfin, la formation des personnels est très tournée vers l’amélioration des apprentissages en mathématiques et en français, parce qu’il faut renforcer les compétences pédagogiques de nos professeurs dans ces matières.

Certes, les résultats de la lutte contre les inégalités scolaires ne sont pas à la hauteur, et cela d’un double point de vue.

Premièrement, dans la lutte contre les ghettos scolaires, qui était l’objectif premier de cette politique. On a créé des dispositifs spécifiques à destination de certains collèges et lycées en très grande difficulté, à défaut de réussir à s’attaquer aux inégalités à leur racine. Or les différents rapports montrent que ces dispositifs sont encore insuffisants pour corriger ces inégalités, à tel point que certains posent la question de leur maintien et s’interrogent sur les moyens permettant de renforcer la mixité sociale.

Ainsi, je me souviens de ce maire du XVIIIe arrondissement de Paris disant préférer à la construction d’un lycée généraliste public – cet arrondissement n’en compte pas –, que les élèves résidant sur son territoire, notamment ceux de ses quartiers populaires, soient scolarisés dans les IXe ou XVIIe arrondissements.

Deuxièmement, il existe des trous dans la raquette, comme le souligne notamment le rapport Azéma-Mathiot. Ainsi, certaines écoles situées en zone rurale ou certains lycées professionnels ont été oubliés, parce que les dispositifs se sont concentrés, disons-le, sur les lycées situés dans les quartiers en difficulté à la périphérie des grandes villes. De fait, certains établissements qui mériteraient d’être pris en compte ne le sont pas.

En définitive, l’objectif de correction des inégalités scolaires n’est pas parfaitement atteint. L’éducation nationale est aussi le réceptacle d’une réalité sociale, et l’on ne peut pas demander à nos professeurs de contrecarrer les logiques de ghetto urbain.

Il faut le souligner, les risques attachés à ce dispositif ne sont pas si élevés. Ce qui nous est proposé est intéressant ; je pense notamment aux contrats locaux d’accompagnement, les CLA, qui permettent une plus grande équité et une meilleure progressivité. L’idée, c’est de pouvoir s’adapter aux situations locales et faire du sur-mesure jusqu’au « dernier kilomètre » – c’est souvent cela qui fait défaut dans ces dispositifs.

Par ailleurs, il faut partir des acteurs de terrain, des projets pédagogiques et de l’analyse qui est faite de la situation. Cela fait écho à un thème qui nous est cher ici au Sénat, celui de la différenciation, à propos duquel un grand texte nous sera bientôt soumis. Cette différenciation passe, bien sûr, par le dialogue social, par la prise en compte des propositions des uns et des autres, donc par la concertation. Différenciation, concertation, sur-mesure : tel est le triptyque ici.

Enfin, je le rappelle, nous parlons là d’une expérimentation, laquelle, évidemment, fera l’objet d’une évaluation, notamment via un comité de suivi qui sera chargé de dire s’il faut, ou non, la généraliser ou la modifier. Par conséquent, il n’existe aucun risque qu’elle vienne perturber les dispositifs en vigueur à ce jour.

Madame la secrétaire d’État, vous pourrez certainement nous rassurer à ce sujet et apporter les clarifications nécessaires au débat, notamment en nous confirmant que les zonages ne seront pas modifiés avant que les résultats de cette expérimentation n’aient été analysés, c’est-à-dire à la rentrée de 2022, donc pour 2023.

Le principe qui sous-tend cette expérimentation, par extension, c’est de combler ces trous dans la raquette dont je parlais, de corriger les insuffisances constatées et non pas de réaffecter les moyens, car cela pourrait susciter d’autres types de débats.

En effet, le risque serait de vouloir se concentrer uniquement sur les établissements les plus en difficulté. Bien sûr, attaquer les inégalités à la racine consiste à donner plus à ceux qui ont moins. Pour autant, selon le principe extrêmement important de la progressivité, il faut également veiller, me semble-t-il, à créer des dispositifs gradués, prenant en compte la réalité de chaque situation. Autrement dit, il faut éviter le tout ou rien, à savoir la politique du REP ou du non-REP, qui a parfois eu cours.

Le contrat local d’accompagnement tend à corriger cette logique du tout ou rien et, en cela, il me paraît être un apport utile. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme le président. La parole est à M. Bernard Fialaire. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Bernard Fialaire. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, après quarante ans d’existence de l’éducation prioritaire, la réforme propose un véritable changement de paradigme. Conformément aux préconisations du rapport Mathiot-Azéma, remis au ministre en 2019, il s’agit de diminuer les effets de seuil induits par la carte de l’éducation prioritaire, jugée trop dichotomique.

Des « contrats locaux d’accompagnement » de trois ans, passés entre les rectorats et les établissements, doivent être expérimentés à la prochaine rentrée de septembre dans trois académies. À terme, dès la rentrée de 2022, ces contrats pourraient remplacer l’actuel dispositif des réseaux d’éducation prioritaire, qui concerne plus de 700 collèges et leurs écoles de secteur.

Ces contrats devront apporter souplesse et efficacité à l’action des rectorats, qui pourront non seulement sélectionner les établissements susceptibles d’être les plus soutenus, mais aussi distribuer des moyens différenciés selon les besoins locaux : dotation en heures supplémentaires pour organiser de demi-groupes, primes d’attractivité pour les enseignants, décharges destinées à la coordination en équipe, etc.

Il s’agit d’une avancée majeure, qui permettra de rompre avec le pilotage national de l’éducation prioritaire. En effet, selon le rapport Mathiot-Azéma, quelque 70 % des enfants défavorisés sont scolarisés dans des établissements qui ne relèvent pas de l’éducation prioritaire. À l’inverse, 25 % des enfants de REP ne devraient pas y être au regard de leur indice de position sociale.

Les REP recouvrent des réalités très différentes, selon qu’on se situe dans des régions en fort décrochage économique ou non, périurbaines ou de centre-ville. Ainsi, des écoles, collèges et lycées qui ne bénéficient pas des avantages de l’éducation prioritaire pourront signer ces contrats de trois ans avec clause de rendez-vous.

De même, les zones rurales « en décrochage économique » et les établissements isolés, qui se situent hors de la carte de l’éducation prioritaire, majoritairement adossée aux quartiers prioritaires de la politique de la ville, pourraient bénéficier particulièrement de cette réforme.

Enfin, les écoles dites « orphelines », qui devraient être en REP en raison du profil de leurs élèves, mais qui dépendent d’un collège qui ne l’est pas, pourront également tirer profit du nouveau système.

Les critères d’attribution, déterminés à partir d’indicateurs sociaux, ne vont pas changer : le profil du collège et de ses élèves, le nombre de boursiers et les résultats aux évaluations, la proportion d’enseignants titulaires et leur âge moyen entreront toujours en ligne de compte.

À cela s’ajoutent de nouveaux leviers, comme le climat scolaire, le taux de décrocheurs, la proximité d’équipements culturels et sportifs.

De même, le taux d’attractivité des établissements et le taux de postes partagés seront pris en compte, afin d’intégrer le turnover d’enseignants, néfaste pour la vie d’équipe dans des établissements où la stabilité est primordiale.

Pour autant, toutes les ambiguïtés n’ont pas été levées. Madame la secrétaire d’État, vous nous assurez que la réforme ne va pas être financée sur les crédits dévolus aux REP et aux REP+ et qu’elle sera assurée par des moyens spécifiques. Où comptez-vous trouver ces crédits supplémentaires ? Aux dépens de quels programmes budgétaires ?

Enfin, je ne puis que vous encourager à conduire à son terme la réforme annoncée des bourses scolaires, dont une revalorisation se révèle plus que nécessaire au regard de la situation alarmante de notre jeunesse. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme le président. La parole est à M. Jérémy Bacchi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

M. Jérémy Bacchi. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, comme l’évoquait ma collègue Céline Brulin, la réforme à venir de l’éducation prioritaire pose de nombreuses questions.

Disons-le, nous doutons fortement de la pertinence des réponses que le Gouvernement souhaite apporter aux dysfonctionnements de l’éducation prioritaire.

Toutefois, et ce sera ma première remarque, il est difficile pour nous d’avoir un œil complet sur une réforme dont l’expérimentation commence dans quelques mois et pour laquelle nous avons, finalement, peu d’informations.

Mon département, les Bouches-du-Rhône, abrite une des académies tests. Pourtant, nous n’avons encore qu’un regard très flou sur le devenir des 328 écoles maternelles et primaires, ainsi que des 47 collèges aujourd’hui en REP ou en REP+.

Les premiers retours que nous avons, dans mon département, sur les groupes de travail préfigurant les contrats locaux d’accompagnement sont inquiétants. Ainsi, sur les 72 écoles initialement ciblées dans les Bouches-du-Rhône, seules 39 devraient être concernées. Quid des autres ? Et pourquoi ces écoles précisément ?

À ces deux questions, les organisations syndicales n’ont pas obtenu de réponse de la part du rectorat, à l’heure où je vous parle. Ces écoles sélectionnées devraient bénéficier de dix postes et de trente indemnités pour missions particulières. Comment seront répartis ces moyens ?

Pour reprendre les termes de Marc Douaire, le président de l’Observatoire des zones prioritaires, « passer d’une logique de politique territorialisée à une politique d’établissement constitue une rupture profonde ».

La notion de réseau mobilisant la communauté éducative, le monde associatif et les collectivités territoriales permet de créer un environnement stable et stimulant. Or c’est bien cet aspect social qui est retiré de l’éducation prioritaire.

Par ailleurs, c’est une véritable mise en concurrence des établissements qui va être mise en œuvre. Et comme dans toute mise en concurrence, les perdants sont souvent identifiables en amont de la procédure. On risque donc de se retrouver avec des établissements déjà en difficulté perdant leur label et les moyens qui vont avec.

D’ailleurs, madame la secrétaire d’État, pourriez-vous nous éclairer sur les méthodes de quantification et de qualification des projets ?

Vous nous aviez présenté certains éléments regroupant des critères sociaux, mais aussi des critères environnementaux comme le taux d’enseignants titulaires, le climat scolaire ou l’indice d’éloignement, mais cela ne répond pas à nombre de questions que se posent les enseignants et les parents, ce qui les inquiète. Cette inquiétude a même poussé le Syndicat national des lycées, collèges, écoles et du supérieur, le Snalc, traditionnellement plutôt classé à droite de l’échiquier politique, à exiger « l’abandon immédiat de cette expérimentation ».

À quel moment le rectorat considérera-t-il qu’un projet est prometteur ? À quel moment considérera-t-il qu’il a réussi ? Prendra-t-il en compte les « aides extérieures » sur lesquelles certains établissements pourront compter, notamment par le biais d’un surplus d’engagements des collectivités territoriales ?

Ne risque-t-on pas, comme le relève Jean-Yves Rochex, de retomber dans des formes de clientélisme comme nous avons pu en connaître sur d’autres sujets ? Pouvons-nous espérer, par exemple, une réforme de l’affectation des enseignants évitant la concentration des jeunes dans des établissements parfois très difficiles ?

Autre point sensible : la probable ouverture des dispositifs d’éducation prioritaire aux établissements privés, notamment confessionnels. Après la scolarisation obligatoire à trois ans, ce serait un nouveau cadeau du service public d’éducation nationale au secteur privé.

Pourtant, malgré les déclarations rassurantes du secrétaire général de l’enseignement catholique, on ne peut pas dire que l’enseignement privé soit un champion de la mixité sociale… Le risque que l’on voit venir, c’est que des établissements échangent des exonérations de frais pour les familles tout en se « remboursant » avec la manne de l’éducation prioritaire, via la contractualisation avec les rectorats.

Ce risque est d’autant plus grand que, comme vous l’avez dit, madame la secrétaire d’État, la réforme se fera à moyens constants. On touche ici à un vrai problème.

D’un côté, la Cour des comptes estime que 25 % des élèves qui relèvent des REP ne devraient pas y être ; de l’autre, 70 % de ceux qui devraient être « éligibles » ne le sont pas. On voit bien que, même si l’on pouvait opérer une bascule magique, le 1,4 milliard d’euros aujourd’hui déployé ne suffirait pas à assurer un régime efficace. Or, là, vous proposez d’élargir encore le spectre, quitte à faire bénéficier des établissements qui n’en ont pas besoin.

Par ailleurs, on aimerait plus de clarté de votre part. Devant notre commission, vous déclariez ceci : « Quant aux moyens supplémentaires, à ce stade de l’expérimentation, nous allons fonctionner à moyens constants. »

Devant nos collègues députés, vous commencez par évoquer « une voie parallèle avec des moyens propres », tout en maintenant le cap des moyens constants. Il est donc bien prévu d’aller chercher les fonds attribués à certaines écoles publiques aujourd’hui pour financer le secteur privé, ainsi que des écoles rurales isolées, qui, s’il est vrai qu’elles ont besoin de financements dédiés, ne peuvent être rhabillées en déshabillant des écoles urbaines en difficulté.

Je conclurai en rappelant un unique chiffre : l’an dernier, sur les 15 postes supprimés dans les Bouches-du-Rhône dans le secondaire, 10 concernaient des sections d’enseignement général professionnel adapté, des Segpa, et 5 des REP+. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

Mme le président. La parole est à Mme Annick Billon. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Annick Billon. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, quarante ans après la mise en place des premières zones d’éducation prioritaire, le constat est sans appel : 70 % des élèves socialement défavorisés ne sont pas scolarisés en réseau d’éducation prioritaire, tandis que la Cour des comptes dresse un bilan plutôt décevant de ces politiques.

La politique d’éducation prioritaire fait l’objet de nombreuses critiques : notamment un cadre trop rigide ou des effets de seuil qui rendent toute modification de la carte scolaire très difficile. Dès lors, une refonte globale semble nécessaire.

En 2019, nos collègues Laurent Lafon et Jean-Yves Roux avaient réalisé un travail de fond, que je salue, sur cette problématique de l’éducation prioritaire, avec la mission d’information sur les nouveaux territoires de l’éducation.

Ils constataient qu’un grand nombre d’élèves, pourtant défavorisés, étaient exclus des dispositifs de REP, et plaidaient alors pour une politique de l’éducation prioritaire définie aux niveaux académique et départemental, avec des critères territoriaux, en concertation avec les élus.

Cette recommandation trouve son application avec le dispositif des contrats locaux d’accompagnement, qui seront le socle de votre expérimentation, madame la secrétaire d’État.

Ce dispositif, qui se veut plus adaptable aux situations locales, permettra de répondre aux écueils des politiques actuelles, en ciblant deux catégories d’établissements : d’une part, des établissements à la lisière des réseaux d’éducation prioritaire ; d’autre part, des établissements ruraux isolés et ne relevant pas des politiques de la ville, dont les besoins sont spécifiques.

Cette expérimentation pourrait être une première réponse à la problématique des écoles dites « orphelines », soit 500 établissements. Ils cumulent toutes les caractéristiques des REP, c’est-à-dire un nombre élevé d’élèves boursiers, des parents issus de catégories socioprofessionnelles défavorisées et un taux de redoublement important.

Ces établissements ne peuvent intégrer ces réseaux d’éducation prioritaire, car leur collège de rattachement recrute une population mixte. Ce sont donc quelque 51 000 élèves qui ne peuvent bénéficier des compensations propres à l’éducation prioritaire, par exemple le dédoublement des classes de CP et de CE1.

Ce dispositif est pourtant efficace pour des élèves en apprentissage de la lecture et de l’écriture. Et ces établissements sont tout à fait identifiés par les élus locaux.

En intégrant une dimension territoriale à son élaboration, cette expérimentation permettra également de mieux prendre en compte les besoins spécifiques des écoles situées en zones rurales, grandes absentes des statistiques.

Certains territoires, particulièrement en zone isolée ou subissant une crise industrielle ou postindustrielle, voient se cumuler des difficultés sociales qui peuvent avoir des effets scolaires. Et ces dernières ont été aggravées par la crise sanitaire que nous traversons.

Dès lors, comment comprendre les fermetures de classes annoncées dans ces territoires, notamment pour les communes de moins de 5 000 habitants ? Ce sont justement ces territoires qui doivent bénéficier d’une attention particulière.

Par exemple, dans la commune vendéenne de Petosse, où je me trouvais la semaine dernière et qui fonctionne en regroupement pédagogique intercommunal avec la commune du Langon, une fermeture de classe est annoncée, alors qu’elle accueille un public connaissant des difficultés sociales et d’apprentissage.

Vous l’aurez compris, madame la secrétaire d’État, si l’idée est de rebattre les cartes pour coller au mieux aux besoins réels des établissements, nous soutiendrons votre expérimentation. Celle-ci ne pourra atteindre ses objectifs qu’en concertation avec les acteurs locaux, et avec des moyens humains.

J’y serai particulièrement attentive, puisque, sur les trois régions choisies pour l’expérimentation, la région Pays de la Loire a été retenue, donc la Vendée, avec des établissements situés sur l’île d’Yeu, à L’Île-d’Elle, à Fontenay-le-Comte, à La Châtaigneraie ou à Chaillé-les-Marais. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Marc Laménie applaudit également.)

Mme le président. La parole est à Mme Marie-Pierre Monier. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Marie-Pierre Monier. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’éducation prioritaire est au cœur de notre promesse républicaine ; c’est l’un des piliers de notre politique en faveur de l’égalité des chances.

Le Sénat examinera bientôt le projet de loi confortant le respect des principes de la République : il est bon de se rappeler que c’est d’abord par de tels outils que nous pouvons lutter efficacement contre les séparatismes.

Cela ne signifie pas que l’éducation prioritaire doit être pensée de façon figée. Le quinquennat précédent a permis une révision ambitieuse, la première depuis les lois Savary. Élaborée en lien étroit avec les acteurs de l’éducation prioritaire, elle a créé un indice social juste et objectif, élaboré une nouvelle carte de l’éducation prioritaire et impulsé une dynamique reposant sur un travail pédagogique en réseau.

Je remercie le groupe CRCE d’avoir proposé ce débat. J’espère que, à son issue, nous aurons des pistes pour répondre aux défis de l’éducation prioritaire : la nécessité d’une meilleure articulation avec la politique de la ville, la défense de la mixité sociale et scolaire, la problématique des établissements dits « orphelins », la revalorisation des personnels à la hauteur de leur investissement, et, bien sûr, la question des établissements ruraux.

Il est positif que ce débat fasse une place à leurs spécificités, d’autant plus que, dans certains départements, la carte scolaire de 2021 se constitue dans la douleur, par manque de moyens, ce qui met directement en concurrence des écoles en REP avec des écoles rurales.

Dans la Drôme, la rentrée se fera à moyens constants. Pour dédoubler des classes en REP, il faut prendre les postes quelque part. Et souvent, c’est dans les territoires ruraux ! Cette mesure de dédoublement est une bonne chose, mais les moyens pour la mettre en œuvre n’ont pas suivi.

J’espère sincèrement que ce sera l’occasion d’une prise de conscience. Les classes en REP et les classes rurales ont en commun d’avoir des besoins spécifiques, mais ceux-ci ne sont pas les mêmes et ne doivent pas être opposés. Il faut prendre les deux en compte et, surtout, les financer comme il se doit.

Nous faisons nôtre également une partie des constats mis en avant pour justifier cette réforme, mais cette expérimentation en vue de transformer l’éducation prioritaire semble créer plus de problèmes qu’elle n’en résout.

Le premier point qui pose question, c’est sa temporalité très courte. Comment se prononcer sur la pertinence d’une généralisation à partir d’une expérimentation d’un an seulement, alors que les contrats locaux d’accompagnement sont prévus pour une durée de trois ans ? Pourquoi lancer une opération dans la précipitation, alors que nous approchons de la fin du quinquennat ?

Cette évolution majeure du système d’éducation prioritaire doit au contraire être pensée dans le temps long, dans une optique de concertation avec les syndicats et la représentation nationale. Les réactions suscitées par l’annonce de cette réforme montrent combien c’est nécessaire.

Nous nous interrogeons aussi sur son financement. Madame la secrétaire d’État, vous avez annoncé un budget spécifique de 3,2 millions d’euros dans le cadre de l’expérimentation, dont la répartition dépendrait des contrats signés par les académies. Comment appréciera-t-on si son montant est adapté aux besoins réels ? Quels seront les critères de répartition ? Et sur quel budget cette somme sera-t-elle prise ?

Le risque vient également des nouveaux indicateurs de choix des établissements retenus : en plus des critères nationaux, vous avez indiqué que des indicateurs spécifiques « aux mains des académies » seront définis, par exemple le climat scolaire. La conséquence en sera évidemment une dilution des critères sociaux, pourtant au fondement même de l’éducation prioritaire.

Cette réforme s’appuie sur une vision de l’enseignement prioritaire contractualisé, émancipé de tout pilotage national au profit d’arbitrages locaux. Un tel changement conduira fatalement à une rupture d’égalité entre les territoires et à une mise en concurrence des établissements.

Nous partageons un constat : acteurs et actrices de terrain doivent être mieux associés pour constituer la carte de l’éducation prioritaire. Mais cela n’implique pas la disparition d’un cadre national.

Avec les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, je vous propose de retourner le problème : au lieu de s’appuyer sur des contractualisations locales, demandons dans un premier temps aux académies quels sont les besoins réels sur le terrain, pour ensuite, à partir de ces remontées, dessiner la carte nationale de l’éducation prioritaire. Cela permettrait de prendre en compte l’ensemble des besoins et de prévoir les financements adaptés.

Madame la secrétaire d’État, je vous invite à saisir cette occasion. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)

Mme le président. La parole est à M. Max Brisson. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Max Brisson. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je remercie le groupe CRCE d’avoir proposé ce débat.

« Le français, la morale, le calcul ! », proclamait Jules Ferry. Sa devise illustrait alors la priorité de l’école élémentaire obligatoire et gratuite : l’égal accès de tous aux apprentissages fondamentaux et aux capacités citoyennes.

Puis, progressivement, l’école a suivi le cours de l’évolution de la société, marquée par le besoin de spécialisation et de qualification. L’école capable d’offrir à tous l’égalité des chances par le travail, par la motivation et par le mérite est venue charpenter l’image de l’école vectrice de l’ascenseur social.

La promesse scolaire était alors non plus celle de l’instruction élémentaire pour tous, mais plutôt celle de l’égalité des chances, par le mérite tout d’abord, puis de plus en plus par la différenciation et l’adaptabilité.

Ainsi est née en 1981 l’éducation prioritaire, chargée de corriger les maux de la société pour mieux parvenir à l’égalité des chances. Pourtant, quarante ans après sa création, force est de constater que l’éducation prioritaire n’a atteint ni son objectif de mixité ni, surtout, celui de limiter à 10 % les écarts de niveau entre les élèves des zones prioritaires et les autres.

Au contraire, plus les élèves empruntent les voies du succès et de la réussite et plus la société leur accorde une offre scolaire de qualité et coûteuse. Ainsi, un lycéen français coûte près de 30 % plus cher en moyenne que son camarade issu de l’un des pays membres de l’OCDE, alors que l’élève de l’école élémentaire coûte, lui, 20 % moins cher.

Je crois en fait très profondément que l’éducation prioritaire a souffert du non-respect de son principe initial, c’est-à-dire son caractère temporaire.

Prévue à l’origine pour quatre ans, sa pérennisation par le zonage a marqué au fer les établissements désignés, accélérant le départ des familles les plus favorisées et le turnover des enseignants.

Mes chers collègues, soyons clairs : cette politique était indispensable ; pour autant, nous nous devons de discuter aujourd’hui de la modestie de ses résultats, d’en trouver les causes et de proposer des solutions concrètes. Pour cela, je vous livre aujourd’hui les constats que j’ai dressés.

La réduction des effectifs des classes a été et demeure un moyen trop peu souvent utilisé. Les enseignants affectés sont les moins expérimentés, l’absentéisme y est le plus marqué et les contractuels le plus nombreux. De fait, les mesures d’amélioration de l’attractivité de postes et de stabilisation des équipes éducatives ont été atténuées par la rigidité de gestion des enseignants.

Il est également nécessaire de souligner l’absence d’autonomie des établissements et de marges de manœuvre pour les chefs d’établissement.

Enfin, la labellisation des établissements en réseau d’éducation prioritaire et l’octroi des dérogations à la carte scolaire ont encouragé les stratégies d’évitement des familles et ont contribué à réduire encore la mixité sociale.

Madame la secrétaire d’État, si votre souhait est d’ouvrir le chantier de l’éducation prioritaire, lancez-vous dans la refonte d’un dispositif vacillant et dépassé, en vous détournant d’une politique centralisée à laquelle on vient, pourtant, de vous inviter encore. Ne vous limitez pas à une simple réforme paramétrique du dispositif, faisant fi des erreurs passées.

Pour faire réussir l’éducation prioritaire, il vous faudra adapter les modalités de gestion et d’affectation des professeurs afin d’attirer, de stabiliser, de former et de soutenir les équipes.

Cette ambition renouvelée impliquera nécessairement une augmentation des postes à profil, le renforcement de la formation, l’affectation d’enseignants chevronnés, des conditions de rémunération plus attractives et des modalités d’affectation spécifiques. Il faudra entrer dans une école du contrat, contrairement à ce qui vous a été dit il y a un instant, avec des contrats de mission destinés à permettre aux professeurs chevronnés de venir servir dans ces territoires difficiles.

Pour faire réussir l’éducation prioritaire, il vous faudra aussi adapter l’école à la diversité des territoires et, pour cela, consulter les élus et les équipes éducatives, en les interrogeant sur leur réalité, leur spécificité, en échangeant avec eux sur leurs attentes, leurs difficultés et leurs réussites, en les invitant à partager leurs idées, leurs propositions et même leurs revendications.

Bref, pour réussir, il vous faut faire du sur-mesure, au plus près des établissements, en laissant la main aux acteurs de terrain. Il vous faut desserrer l’étau de la centralisation et du zonage descendant auxquels on vous a encore appelée, pour permettre aux équipes de terrain de prendre une part active aux esquisses de l’école républicaine de demain.

Voilà le chantier de l’éducation prioritaire ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à M. Jean-Pierre Decool.

M. Jean-Pierre Decool. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, créée par Alain Savary en 1981, l’éducation prioritaire était conçue comme un dispositif temporaire de discrimination positive visant à compenser les inégalités sociales en matière scolaire, en renforçant les moyens de l’éducation nationale en direction des élèves des quartiers défavorisés.

L’objectif initial était de limiter à 10 % les écarts de niveaux observés entre les établissements des quartiers les plus défavorisés et les autres. Force est de constater que, quarante ans plus tard, les disparités restent élevées, avec 20 % à 35 % de différence entre établissements.

En 2017, le réseau de l’éducation prioritaire couvrait 1 000 collèges, dont 356 en REP+, et 7 000 écoles, dont 2 500 en REP+, pour un coût de 1,6 milliard d’euros. Les principaux critères pris en compte sont le taux d’élèves boursiers, le type de quartier, les catégories socioprofessionnelles et, pour les collèges, le nombre d’élèves ayant redoublé au moins une classe.

Toutefois, les moyens déployés manquent souvent leur cible, comme le souligne la Cour des comptes dans un rapport d’octobre 2018. Cette politique ne couvre que 30 % des élèves défavorisés, et les effets de bord sont importants : de nombreux établissements en difficulté sont écartés du dispositif ; une école placée en plein cœur d’un quartier prioritaire peut ainsi être exclue du réseau si son collège de rattachement n’en fait pas partie.

En parallèle, les effets pervers constatés par le Centre national d’étude des systèmes scolaires, le Cnesco, dans son rapport de 2016 ne sont pas négligeables : l’éducation prioritaire semble associée à la dégradation du niveau des élèves, en raison de la stigmatisation des établissements concernés.

Le processus est double : non seulement les familles les plus aisées évitent de scolariser leurs enfants dans ces établissements, mais les enseignants les plus expérimentés et les enseignants titulaires y sont moins nombreux et les taux d’arrêt maladie et de mutation s’y révèlent élevés.

La conjonction de ces deux facteurs – la concentration, d’une part, d’élèves en difficultés sociale et scolaire, de l’autre, d’enseignants peu expérimentés – annule les effets positifs escomptés du dispositif.

Le renouvellement de la politique d’éducation prioritaire depuis 2017 et la réforme en cours visent à remédier à ces problèmes.

Parmi les récentes réformes figure le dédoublement des classes de CP, de CE1 et de grande section de maternelle. Le Gouvernement a fait ce choix plutôt que celui du dispositif « Maître+ », plus flexible, visant à renforcer ponctuellement l’encadrement de la classe grâce à un enseignant supplémentaire ou un assistant.

Pourtant, les deux dispositifs semblent complémentaires. Des assistants pourraient être déployés dans certaines classes en difficulté pour seconder l’enseignant et améliorer l’accompagnement des élèves. La revalorisation des salaires des enseignants et le renforcement des effectifs du personnel non enseignant sont également des facteurs indispensables au succès du dispositif.

La mise en place des classes coopératives donne de bons résultats pour favoriser l’apprentissage du vivre-ensemble et traiter les problèmes de vie scolaire. De même, le dispositif Devoirs faits, déployé depuis 2017 dans les collèges du réseau, est très demandé.

En novembre dernier, le Gouvernement a annoncé la mise en place de contrats locaux d’accompagnement, ou CLA, dans les académies de Lille, Nantes et Aix-Marseille. À partir de septembre 2021, cette expérimentation permettra à certaines écoles, certains collèges et lycées, hors réseaux, de bénéficier au cas par cas de moyens supplémentaires, pour améliorer l’accompagnement des élèves.

Certains établissements implantés en milieu rural pourront bénéficier de ce dispositif. Si ses résultats se révèlent prometteurs, sa généralisation permettra aux 500 écoles dites « orphelines », présentant tous les critères d’une école de REP, mais rattachées à un collège hors réseau, d’en bénéficier également.

Nous considérons qu’une réforme globale du fonctionnement de l’éducation prioritaire est souhaitable, pour ne pas dire indispensable, au regard de l’insuffisance des résultats du dispositif actuel. Nous devons aller vers un maillage plus souple et plus réactif des écoles et des collèges du réseau ainsi que vers une dissociation des écoles et des collèges. Aussi, nous accueillons favorablement l’expérimentation des CLA.

En conclusion de son ouvrage Terre des hommes, le commandant Antoine de Saint-Exupéry s’interroge sur l’avenir du jeune enfant né dans la misère qu’il voit face à lui, dans un wagon de troisième classe en partance pour la Russie : « Ce qui me tourmente […], c’est un peu, dans chacun de ces hommes, Mozart assassiné. »

L’essentiel est de concentrer nos efforts dès le plus jeune âge, afin d’offrir à chaque enfant, quelle que soit son origine, l’accès à la lecture, à l’écriture et à une maîtrise suffisante du français. Ces prérequis sont le sésame dont dépend l’accès à tous les autres apprentissages ! (Mme Marie Mercier et M. Marc Laménie applaudissent.)

Mme le président. La parole est à M. Thomas Dossus.

M. Thomas Dossus. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, avant tout, je tiens à remercier les membres du groupe CRCE de ce débat.

La France est l’un des pays de l’OCDE où le lien entre la condition sociale de l’élève et sa performance scolaire est le plus fort. En d’autres termes, notre système éducatif est l’un de ceux qui reproduisent le plus les inégalités sociales ; et voilà plus de dix ans que notre pays trône dans les hauteurs de ce classement.

Cette réalité doit alerter celles et ceux qui font de l’école le pilier de l’émancipation des hommes et des femmes : nous devons regarder en face un système en panne. Elle est ressentie par toutes et tous, à commencer par les enseignants.

Le 25 janvier dernier, et durant les dix-sept jours suivants, deux enseignants du collège Lucie-Aubrac de Givors, au sud de Lyon, ont entrepris une grève de la faim pour demander le classement de leur établissement en REP : dix-sept jours pour demander de l’attention ; dix-sept jours pour demander des moyens pour leurs élèves et leur réussite scolaire ! Ce courage doit tous nous faire réagir.

Nous devons envisager différemment la lutte contre les inégalités, car notre politique d’éducation prioritaire fonctionne mal.

Doter en moyens humains et financiers les établissements selon des critères sociaux, alléger les classes pour assurer un meilleur suivi des élèves, renforcer la formation des enseignants : tous ces outils sont cruciaux.

Pourtant, les écarts dans la maîtrise des compétences de base en français en troisième sont actuellement de l’ordre de 35 % entre collèges des réseaux Écoles, collèges et lycées pour l’ambition, l’innovation et la réussite, ou Éclair, et collèges hors éducation prioritaire.

Madame la secrétaire d’État, ce chiffre nous appelle à repenser le système ; et c’est face à ce constat que votre gouvernement engage la refonte de l’éducation prioritaire.

Selon les quelques informations que nous avons obtenues jusqu’à présent, cette réforme se résume ainsi, dans ses grandes lignes : exit les établissements classés en REP – seuls les REP+ devraient être pérennisés ; exit la logique de réseau entre établissements – désormais, la contractualisation sera de mise, avec des moyens en fonction des besoins des établissements, mais selon des critères établis au niveau national.

L’ensemble de ces mesures doit être expérimenté dans trois académies à compter de la rentrée prochaine, en vue d’une généralisation en 2022.

Cette réforme, qui n’est pour l’instant qu’une esquisse, inspire plusieurs craintes.

Tout d’abord, qu’en sera-t-il du financement ? Lors de votre audition au Sénat en décembre dernier, vous avez annoncé que l’expérimentation se ferait à moyens constants, mais avec des moyens supplémentaires alloués.

Outre l’évidente contradiction entre ces deux affirmations, la question financière est au cœur du problème. En effet, si la logique de contractualisation est poussée à son terme, avec la volonté d’inclure de nouveaux établissements, le tout sans augmentation significative des moyens, des transferts financiers auront nécessairement lieu entre les établissements en difficulté. Il y aura forcément des gagnants et des perdants, sans que l’on sache aujourd’hui qui sera précisément concerné, ni si les établissements seront mis en concurrence.

Vient ensuite la question des critères. À cet égard, je relève une autre incohérence : vous voulez, d’une part, établir des critères nationaux objectifs pour ouvrir droit à cette nouvelle politique et, d’autre part, laisser la porte ouverte à la contractualisation, avec tout l’arbitraire qu’elle implique. Un tel choix pourrait créer de fortes disparités entre les territoires et même entraîner une rupture d’égalité.

Je le relève à mon tour : la réforme proposée pose également la question de l’enseignement privé.

Lors d’une conférence de presse, le secrétaire général de l’enseignement catholique s’est réjoui de l’entrée du privé catholique dans la nouvelle politique de l’éducation prioritaire.

Ce qui favorise la réussite d’une communauté éducative, c’est normalement la mixité entre des élèves bons et moins bons, issus de milieux plus ou moins aisés. Or le privé assèche certains territoires en attirant dans ses établissements les bons élèves qui peuvent se le permettre. Son action va à l’encontre des principes mêmes d’une politique éducative soucieuse de réduire les inégalités.

Dès lors, comment concevoir que ces établissements prétendent à des moyens et des fonds normalement dévolus à des structures en difficulté ? Cette décision est extrêmement problématique.

Madame la secrétaire d’État, nous ne réduirons pas les inégalités éducatives, qui sont, je le rappelle, les inégalités de revenu, de salaire et de logement, à périmètre financier constant, avec plus de bénéficiaires et en faisant des cadeaux à l’enseignement privé. Il nous faut, à l’échelle nationale, une grille claire et transparente de répartition des crédits, progressive, sur la base de critères socio-éducatifs et de mixité.

Pour réduire réellement les inégalités, il faudra transférer des fonds depuis les établissements qui réussissent le plus et qui ont le plus de moyens vers ceux qui sont en difficulté.

Au travers du logement social, nous travaillons à la mixité urbaine, en fixant un cadre de répartition afin que les villes les plus aisées prennent leur part. Dans la même logique, il est temps de travailler à la mixité dans nos établissements en fixant un cadre clair reposant sur des critères objectifs. Ce sera non pas un nivellement vers le bas, mais une politique solidaire, s’attaquant aux inégalités dans les deux sens.

« De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins » : en vertu de ce principe, qui est celui de notre sécurité sociale, tout le monde doit contribuer à l’intérêt général ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et CRCE.)

Mme le président. La parole est à Mme Sonia de La Provôté. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Sonia de La Provôté. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, comme l’a déjà souligné Annick Billon, nous ne pouvons que constater les lacunes de l’éducation prioritaire, quarante ans après sa création. La nécessité d’en repenser le système se fait pressante pour mieux répondre aux besoins des élèves et des établissements concernés.

L’expérimentation proposée s’inscrit dans cette logique : améliorer, sans pour autant les déstabiliser, les dispositifs existants, qui ont beaucoup apporté à l’édifice.

Les situations économiques et culturelles, sociales et familiales sont si diverses qu’elles doivent être abordées de façon protéiforme. C’est le seul moyen de s’y adapter et de trouver des solutions. Dès lors, ce projet de réforme, qui vise une approche plus territorialisée et plus large, peut apporter une réponse.

En effet, s’il a permis d’identifier des territoires exigeant des moyens renforcés, le zonage porte en lui-même la difficulté d’un effet frontière.

Au-delà du périmètre défini, l’éducation prioritaire ne serait plus si utile. Or, on le sait, il n’en est rien. La perte du label pour un établissement ou sa fermeture peut faire perdre le statut prioritaire des élèves qui le composaient : c’est absurde !

Qu’importe la structure, ce sont bien les élèves qui ne doivent jamais être perdus de vue ; le véritable enjeu, c’est l’accompagnement individualisé. Ainsi, une approche plus fine, en proximité, est judicieuse afin de n’oublier ni écoles, ni établissements, ni élèves de cet accompagnement renforcé.

Des points de vigilance existent néanmoins, car cet objectif ambitieux est difficile à atteindre à moyens constants.

Le premier écueil a trait à la répartition des moyens dans les contrats locaux. Les caractéristiques des établissements, des élèves, des enseignants et enfin des académies restent pour l’heure des critères théoriques, donc d’un maniement complexe.

Il ne faut pas diluer l’enjeu de lutte contre les inégalités sociales en matière de scolarité en diluant les moyens. Les problématiques des territoires ruraux et celles des quartiers ne sont pas les mêmes. Et s’il serait préjudiciable de les aborder de manière uniforme, la différenciation ne peut être menée qu’à la marge.

Un deuxième point de vigilance porte sur l’évaluation de cette expérimentation : qui l’effectuera, sur la base de quelles observations et quand ? Madame la secrétaire d’État, sur ce dernier point, vous avez indiqué que le bilan serait dressé au bout d’un an et qu’il serait possible d’étendre l’expérimentation à d’autres académies au-delà de ce délai.

Cette voie de l’extension est indispensable, car, si l’expérimentation est prometteuse, il est pertinent de l’adapter à d’autres territoires : cette réforme pourrait offrir une plus grande souplesse organisationnelle sur le terrain et un accompagnement plus large que le système actuel.

En parallèle, comment articuler ces initiatives et le zonage en vigueur, avec ses seuils REP et REP+ ? Les territoires éducatifs ruraux, les TER, que vous avez mis en place, visent à accompagner globalement l’enfant en mobilisant tous les acteurs en milieu rural, à savoir la communauté éducative et les élus locaux.

Cette approche transversale de contractualisation a fait ses preuves pour accompagner l’enfant dans son parcours et renforcer son environnement éducatif. Néanmoins, comment sera-t-il possible d’articuler ces expérimentations avec le maintien du zonage actuel et, ainsi, de faire progresser l’ensemble ?

La question du cas par cas se posera. Elle impliquera des arbitrages si les moyens sont constants, et vous le savez.

Enfin, l’accompagnement individualisé des enfants exige de réfléchir à une organisation complète avec les collectivités territoriales. Ces dernières n’ont pas toutes les mêmes facilités budgétaires : tout dépend de leur taille et de leurs ressources, particulièrement en milieu rural, et la réforme ne peut reposer sur elles seules.

Il a bien fallu trouver des postes pour dédoubler les classes : il faudra que l’État fasse de même pour assurer un accompagnement plus individualisé et plus territorialisé, afin de renforcer l’égalité.

Madame la secrétaire d’État, l’objectif à atteindre prend tout son sens dans l’école de la République : nul ne peut se satisfaire de la situation actuelle. C’est pour cela que nous suivrons avec attention les initiatives en cours de déploiement. Rien ne serait pire qu’un échec de cette réforme, faute de moyens adaptés et de temps. C’est un enjeu que nous faisons nôtre : il est, sans mauvais jeu de mots, prioritaire ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme le président. La parole est à Mme Sabine Van Heghe. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Sabine Van Heghe. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, avant tout, je tiens à remercier les sénateurs du groupe communiste républicain citoyen et écologiste d’avoir demandé ce débat sur la réforme en cours de l’éducation prioritaire.

Le zonage de l’éducation prioritaire ne concerne que 30 % des élèves en situation difficile. Ainsi, les écoles dites « orphelines », les lycées professionnels et les écoles rurales ne relèvent pas de ce dispositif ou n’en bénéficient que peu. Or – je le constate dans mon territoire du Pas-de-Calais – les écoles rurales ont un impérieux besoin de moyens supplémentaires.

Je suis favorable au renforcement des moyens dans des territoires pouvant connaître des situations conjoncturelles difficiles, liées à la fermeture d’usines par exemple. Malheureusement, le Pas-de-Calais connaît ces chocs conjoncturels et sociaux ; récemment encore, il a subi la fermeture du site Bridgestone de Béthune.

Madame la secrétaire d’État, l’annonce de votre expérimentation, en novembre dernier, a également suscité de nombreuses inquiétudes.

La Cour des comptes l’a souligné dans son rapport de 2018 : la politique d’éducation prioritaire est la seule politique nationale de lutte contre les inégalités sociales. Nous devons donc la réformer avec la plus grande prudence.

Pourquoi ne pas réviser la carte des REP et des REP+, qui laisse de côté 70 % des élèves défavorisés ?

Au fil de vos déclarations, le financement de cette expérimentation demeure incertain. Lors de la précédente révision des zones d’éducation prioritaires, en 2014, la majorité de gauche d’alors avait dégagé 350 millions d’euros de budget supplémentaires, dont 100 millions d’euros pour les indemnités de personnel.

Je crains que le renforcement des moyens pour les écoles rurales ne débouche sur le regroupement des établissements et, comme le redoutent les maires, sur des fermetures d’écoles. Il est d’ailleurs à noter que vous avez annoncé votre expérimentation sans concertation préalable avec les élus locaux.

Va-t-on assister à des transferts de moyens des ghettos urbains vers les zones rurales, alors que les problématiques ne sont pas du tout les mêmes ? Les écoles rurales ont besoin de moyens, mais de moyens spécifiques.

Les interrogations ont été renforcées par le lancement, en janvier dernier, d’une autre expérimentation : les territoires éducatifs ruraux, au sein des académies d’Amiens, de Nancy-Metz et de Normandie.

Ce dispositif entend englober le parcours de l’élève depuis sa petite enfance jusqu’à son insertion professionnelle. Le chevauchement de ces expérimentations augmente l’incertitude pour l’ensemble des acteurs concernés quant à l’approche privilégiée par le Gouvernement pour répondre aux enjeux spécifiques aux écoles rurales.

Les contrats locaux d’accompagnement, qui permettent aux recteurs d’octroyer des moyens supplémentaires à certains établissements, suscitent eux aussi des inquiétudes : si l’expérimentation est généralisée, elle signera la fin de la coordination nationale garantissant l’équité dans la répartition des moyens. Les moyens dévolus aux établissements pourraient varier selon la sensibilité de chaque recteur, ce qui nous exposerait, hélas, au risque de clientélisme.

Madame la secrétaire d’État, votre expérimentation a été lancée trop tardivement, et je m’interroge au sujet des critères de sélection des académies. Ainsi, je regrette que les outre-mer n’y soient pas représentés, compte tenu de leurs spécificités. Au reste, la Cour des comptes a récemment émis des critiques au sujet de l’éducation prioritaire dans les territoires ultramarins.

Cet embryon de réforme et la précipitation avec laquelle vous procédez suscitent de nombreuses interrogations et inquiétudes. Avec l’ensemble de mes collègues sénateurs socialistes, écologistes et républicains, je m’opposerai à toute tentative de détricotage de la politique menée en faveur des élèves les plus défavorisés ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme le président. La parole est à M. Olivier Paccaud.

M. Olivier Paccaud. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la République théorique, c’est l’égalité des droits ; la République idéale, c’est l’égalité des chances.

Si la loi sculpte et garantit les droits, c’est l’école qui peut, patiemment, mais sûrement, façonner, ciseler la clé des chances de surmonter les déterminismes sociaux. Ces chances, ce sont celles de s’épanouir, de s’insérer et de progresser sur l’échiquier de la société.

École et République sont donc consubstantielles dans le socle des valeurs qui fondent notre pacte social. Mais elles sont aussi unies historiquement, car c’est la République, la IIIe, au début de la décennie 1880, au temps de Jules Ferry, qui a rendu l’école gratuite, l’instruction primaire obligatoire et l’enseignement public laïc ; et c’est l’école qui, en métamorphosant ses élèves en citoyens instruits et éclairés, a profondément enraciné la République jusqu’à nos jours, si l’on excepte le sinistre épisode de Vichy.

Or l’égalité des chances ne se décrète pas ; elle s’élabore pas à pas, mais reste fragile et le fameux âge d’or de la IIIe République doit être nuancé. Après l’école primaire, la poursuite des études y était rare. L’Ancien Régime et les privilèges avaient certes été effacés, mais les castes et les classes perduraient. Mieux valait être bien né pour accéder à des fonctions éminentes. Selon que vous étiez puissant ou misérable, les portes s’ouvraient ou restaient closes.

La prolongation de la scolarité obligatoire à seize ans, en 1959, et la création du collège unique, en 1975, avaient aussi pour but l’égalité des droits et des chances. Las, les résultats des élèves sont restés très inégaux et largement liés à l’origine sociale.

Est alors née officiellement, en 1981, la politique d’éducation prioritaire. Son principe, la discrimination positive, apparue notamment aux États-Unis dans les années 1960, consiste à donner plus à ceux qui ont moins, à favoriser les défavorisés.

Cette politique de différenciation territoriale concerne aujourd’hui un peu plus de 1,7 million d’élèves, soit 20 % des 8,5 millions d’enfants scolarisés dans les écoles et collèges publics, 110 000 enseignants et – les précédents orateurs l’ont rappelé – 1 100 réseaux d’éducation prioritaire. Elle mobilise environ 1,5 milliard d’euros. Pour être précis, ce « surcoût » représente 4 % du total des moyens consacrés aux écoles et collèges publics.

Aujourd’hui, personne ne remet en cause la pertinence de l’éducation prioritaire, mais ses modalités doivent être revues pour que le système devienne plus juste et plus efficace.

Le système est-il juste ? Non, malheureusement. Un seul chiffre l’illustre, rappelé de nombreuses reprises : quelque 70 % des enfants socialement défavorisés sont aujourd’hui hors des dispositifs d’éducation prioritaire. La Cour des comptes a d’ailleurs insisté sur cette réalité.

Nous connaissons tous, dans nos départements, des écoles ou des collèges avec un public socialement fragile, qui mériterait de bénéficier de moyens supplémentaires.

La ruralité se révèle la grande oubliée et même l’injuste exclue de l’éducation prioritaire. Le ministère en est conscient. Il vient de lancer une expérimentation, modeste, autour de quelques territoires éducatifs ruraux : tant mieux !

Pour rendre la politique d’éducation prioritaire plus juste, il est indispensable de refondre son périmètre et de réfléchir à la pertinence d’un des critères en vigueur : la nécessité de relever, géographiquement, d’un quartier prioritaire de la politique de la ville.

Mon département de l’Oise, dont plus de la moitié des habitants sont ruraux, comptait jadis deux collèges et leurs écoles de campagne en REP et en REP+. Aujourd’hui, ces établissements n’appartiennent plus auxdits réseaux. Pourtant, les difficultés touchant la population perdurent : elles ont même empiré.

Une mesure de bon sens serait de passer d’une logique de réseaux à une logique d’écoles d’éducation prioritaire, car, au sein du même secteur, de la même petite ville, on observe souvent des situations très différentes. Ne serait-il pas temps – les précédents orateurs l’ont également souligné – de faire confiance aux territoires, qui connaissent leurs forces et leurs faiblesses, pour mieux répartir les moyens d’action ?

Le système est-il efficace ? Bien des observateurs sont dubitatifs. Les résultats restent modestes, et l’écart demeure malheureusement important, au titre du brevet des collèges par exemple. Le Cnesco pointe à la fois la dilution des moyens et un mauvais calibrage du zonage des bénéficiaires.

Le dédoublement des classes de CP, de CE1 et désormais de grande section, engagé en 2017, peut apporter une réponse appréciable, même s’il est trop tôt pour crier victoire. Certains enseignants insistent d’ailleurs sur le revers de la médaille : certains élèves perdent une relative aptitude à l’autonomie.

En parallèle, prenons garde à ne pas créer de frustrations dans certaines zones périphériques des réseaux d’éducation prioritaire. En effet, les parents acceptent mal de voir leur enfant dans une classe à triple niveau avec 28 élèves, alors que, à quelques kilomètres, d’autres classes n’en comptent que 12. N’oublions jamais que le parent d’élève est aussi citoyen et contribuable.

Gardons également à l’esprit une catégorie d’élèves dont nous n’avons pas parlé : les lycéens des zones rurales dépourvues de lycées, qui partent tôt le matin pour rentrer tard le soir. Peut-on parler d’égalité des chances pour ces jeunes, qui passent deux à trois heures par jour dans les transports ? Non !

Que la République redevienne républicaine,…

Mme le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Olivier Paccaud. … qu’elle soit le terreau fertile d’une véritable égalité des chances, dont notre pays a besoin pour sortir de la crise morale qui le ronge,…

Mme le président. Merci, monsieur Paccaud !

M. Olivier Paccaud. … tel doit être notre objectif,…

Mme le président. Vous reviendrez ! (Sourires.)

M. Olivier Paccaud. … un Graal impossible à atteindre sans une école lucide et prodigue, ce « cœur de Marianne »… (Mme le président coupe le micro de lorateur.)

Mme le président. Mes chers collègues, il faut respecter votre temps de parole. Je ne ferai aucune exception.

La parole est à Mme Sabine Drexler.

Mme Sabine Drexler. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la politique d’éducation prioritaire, mise en place dans l’urgence en 1981 pour « donner plus à ceux qui ont le moins », devait faire réussir tous les élèves. C’est sans doute ce défi qui m’a donné envie, cette année-là, de devenir enseignante.

Jusqu’à mon élection au Sénat en septembre dernier, j’exerçais ma profession dans un réseau d’aides spécialisées aux élèves en difficulté, un Rased, d’abord à Mulhouse, puis dans le Sundgau, un territoire rural du sud du Haut-Rhin.

Lorsque cette structure n’a plus été en mesure de remplir ses missions auprès des élèves, mon rôle a consisté à accompagner les enseignants qui avaient mobilisé et épuisé les moyens mis à leur disposition pour tenter d’aider les élèves dépassés par les attentes de l’école.

J’ai également accompagné des parents en détresse : vers qui se tourner quand le milieu rural se révèle être un désert sanitaire et quand la première antenne de soins médico-psycho-pédagogique se trouve à plus d’une heure de route, avec une liste d’attente de deux années ?

J’ai ainsi vécu sur le terrain l’évolution de cette politique publique, avec laquelle a précisément commencé ma vie professionnelle, et je suis heureuse de pouvoir aujourd’hui vous faire part de mon expérience.

Mon premier constat, c’est que jamais, durant ma carrière, l’éducation nationale n’aura pris en compte la ruralité et ses spécificités. La politique de l’éducation prioritaire a été collée sur la politique de la ville, et de larges moyens ont été affectés aux zones urbaines, au détriment des autres territoires.

Aujourd’hui, on se retrouve avec une fracture entre l’école des villes et l’école des champs, alors que plus de dix millions de jeunes de moins de 20 ans vivent en zone rurale et que 75 % des élèves socialement défavorisés ne sont pas scolarisés en REP ou en REP+.

Depuis les années 1980, l’école en milieu rural fait l’objet d’une politique par défaut. Depuis quarante ans, elle sert de variable d’ajustement de la politique de la ville, qui a concentré un maximum de moyens sans avoir produit les résultats escomptés.

À l’arrivée, ceux qui en font les frais sont ceux que l’on croyait épargnés : des élèves qui vivent dans des territoires sans équipements culturels ou socio-éducatifs, scolarisés dans des classes à multiniveaux, soutenus à bout de bras par des enseignants qui n’ont ni la formation adéquate ni la disponibilité nécessaire pour faire face à la grande difficulté scolaire et aux troubles du comportement qui explosent partout depuis une dizaine d’années.

Mon second constat est encore plus alarmant. Les professionnels sont à bout de souffle, épuisés, parfois même soupçonnés d’incompétence, alors qu’ils sont simplement dans l’impossibilité d’apporter des réponses adéquates au sein même de l’école, trop souvent faute de marges de manœuvre suffisantes accordées aux autorités académiques.

Madame la secrétaire d’État, j’en suis convaincue : aujourd’hui, il faut accorder déployer davantage de moyens humains dans les écoles, dans toutes les écoles. Il faut réduire le nombre d’élèves par classe partout et non uniquement dans les zones dites « sensibles ».

Il faut renforcer les réseaux de professionnels spécialisés qui interviennent à l’école aux côtés des enseignants. Ces personnels sont à même de traiter des situations de détresse affective et éducative par un suivi personnalisé de chaque élève en difficulté et de sa famille.

Madame la secrétaire d’État, il faut prévenir la difficulté scolaire et la traiter à temps aujourd’hui, car elle porte en elle le germe des détresses de demain.

Comme l’évoquaient très justement Mme Azéma et M. Mathiot dans leur rapport, il est urgent d’engager des politiques coconstruites au sein même des académies, de donner à ces dernières des marges de manœuvre humaines et financières suffisantes, ainsi qu’aux collectivités territoriales et aux agences régionales de santé, les ARS, pour désenclaver les territoires et déployer des structures de soins médico-psycho-pédagogiques, au plus près des familles.

L’école est un formidable outil pour rétablir la paix sociale.

Mme le président. Il faut conclure, ma chère collègue.

Mme Sabine Drexler. Notre avenir à tous s’y joue en ce moment,…

Mme Sabine Drexler. … pas seulement celui de nos enfants, mais le nôtre aussi, car c’est du leur qu’il dépend !

Mme le président. Je suis épuisée, mes chers collègues, car j’ai passé l’après-midi à couper la parole aux orateurs.

Si chacun prend trente ou quarante secondes en plus, cela aboutit à des dépassements importants, au détriment des débats suivants. Je vous remercie donc de respecter votre temps de parole.

La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Nathalie Elimas, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de léducation prioritaire. Je vous remercie, mesdames, messieurs les sénateurs, d’avoir organisé ce débat sur l’éducation prioritaire. C’est en effet ma charge ministérielle, et je suis heureuse d’échanger sur ce sujet avec vous, de lever les doutes qui ont été exprimés, ainsi que je l’ai entendu, et de répondre à vos questions.

Permettez-moi de commencer par l’intitulé de ce débat, qui porte sur « la réforme […] de l’éducation prioritaire ». Madame la sénatrice Céline Brulin, je souhaite clarifier ce point : il s’agit non pas d’une réforme, mais d’une expérimentation.

Les mots ont un sens. Réformer, c’est modifier l’existant, en apportant, si possible, une amélioration. Or il se trouve que je ne touche pas à l’existant ; je mène une expérimentation. Comme en matière de sciences, il s’agit d’essayer quelque chose de nouveau.

Le sénateur Bargeton l’a rappelé, ce secrétariat d’État est une création, sous la Ve République. (Marques dironie sur les travées du groupe CRCE.) C’est loin d’être anecdotique, et cela confirme la volonté du Président de la République de permettre à tous nos élèves un égal accès à la réussite.

Ma feuille de route me conduit à travailler tout aussi activement à la lutte contre les inégalités sociales et les inégalités territoriales ; mon action au secrétariat d’État à l’éducation prioritaire ne consiste donc pas à casser, à détruire, mais au contraire à renforcer et à élargir les moyens et les dispositifs permettant de mieux accompagner nos élèves, nos familles et nos professeurs.

Avant de répondre à vos différentes questions, je veux vous faire part de deux éléments.

Tout d’abord, je porte depuis toujours, dans mon engagement, deux convictions fortes, qui sont pour moi deux lignes conductrices : la première, c’est la protection de l’enfance ; la seconde, la lutte contre les inégalités.

Si vous souhaitez le vérifier, je vous invite à consulter mes différents travaux parlementaires concernant la lutte contre les violences sexuelles, le handicap, les jeunes aidants, les enfants – donc la famille –, ou encore à vous référer à la loi, que j’ai portée et qui a été votée ici à l’unanimité, visant à renforcer la prise en charge des cancers pédiatriques. Je n’en dirai pas davantage.

Ensuite, dans mon parcours personnel et professionnel, j’ai été cadre dans les ressources humaines, puis autoentrepreneuse, avant, un jour, de choisir de devenir professeure des écoles. J’ai alors exercé en éducation prioritaire. Je connais donc bien ces publics, ces élèves, leurs difficultés, ainsi que nos professeurs, nos équipes pédagogiques et leur engagement sans faille.

Il me semblait important de vous dire cela avant de vous répondre, de façon que vous compreniez combien mon objectif n’est absolument pas de casser l’éducation prioritaire !

Je vais maintenant tenter d’aborder l’ensemble de vos questions par un propos général, dans lequel vous trouverez, je l’espère, l’ensemble des réponses que vous attendez.

Depuis 2017, Jean-Michel Blanquer a fait beaucoup pour l’éducation prioritaire. Je peux citer, par exemple, le dédoublement des classes de CP et de grande section, aujourd’hui à taux plein, qui concernent 300 000 de nos élèves en éducation prioritaire.

Je suis en train, avec le ministre, de dédoubler les classes de grande section. Nous allons progressivement monter en puissance pour atteindre cet objectif dès 2022. Une réforme parallèle a été engagée, en vue, notamment, de réduire les effectifs dans nos classes à vingt-quatre élèves.

Je puis vous parler également de la mesure Devoirs faits, qui est beaucoup plus qu’une simple aide aux devoirs : c’est un véritable accompagnement pour tous nos élèves en difficulté. C’est aussi – on ne le dit jamais assez – une véritable mesure de justice sociale, car elle est à 100 % gratuite.

Vous l’avez dit, 50 % de nos élèves en éducation prioritaire en bénéficient, mais j’ai constaté des biais à l’occasion de mes nombreux déplacements. Vous êtes en effet une douzaine aujourd’hui à être intervenus, et je me suis déjà rendue dans une dizaine de vos territoires. Vous direz peut-être que je répète les propos du Premier ministre, mais je suis très attachée aux territoires et je ne m’arrête pas à la descente des trains dans les grandes villes : je vais au-delà.

Mme Marie Mercier. Nous aussi !

Mme Nathalie Elimas, secrétaire dÉtat. C’est ainsi que j’ai pu constater ce biais : bon nombre de nos élèves dans les zones rurales, dans les zones de montagne, dans les territoires enclavés, dépendent trop souvent d’un transport scolaire pour rentrer à la maison et ne peuvent pas bénéficier de la mesure Devoirs faits, dont la valeur ajoutée pédagogique, éducative et sociale, est forte. C’est la raison pour laquelle j’ai développé Devoirs faits à distance, afin de répondre à cette problématique des territoires.

J’ai beaucoup entendu parler de la ruralité, et vous avez été nombreux à dire que l’on avait fait trop peu pour ces zones. Je vais vous dire concrètement, ce que je fais pour nos territoires ruraux : Devoirs faits à distance répond donc à cette problématique, et, dans le contexte sanitaire si difficile où nous ne trouvons, cela permet de toucher davantage ces élèves en difficulté, sans pour autant les brasser.

Je pourrais également évoquer les cités éducatives. Monsieur le sénateur Paccaud, j’étais récemment à Beauvais, dans l’Oise, pour annoncer le lancement d’une nouvelle cité éducative.

Madame de La Provôté, vous avez évoqué Territoires éducatifs ruraux, une mesure qui est en quelque sorte le duplicata des cités éducatives. Oui, nous travaillons dans la ruralité à construire ces alliances éducatives, pour accompagner tous nos élèves, depuis la petite enfance jusqu’à l’insertion professionnelle, en mobilisant l’ensemble des forces vives sur nos territoires.

Je pourrais également évoquer les internats d’excellence, avec 240 projets à l’étude, pour accueillir 13 000 élèves supplémentaires, ou encore les cordées de la réussite, qui sont déjà à taux plein dans les zones rurales – 20 000 de nos élèves ruraux sont « encordés » – et tant d’autres dispositifs que je porte au secrétariat d’État, à la suite de tout ce qui a été fait par le ministre Jean-Michel Blanquer.

Mme Éliane Assassi. Bref, tout va bien !

Mme Nathalie Elimas, secrétaire dÉtat. Revenons maintenant à ce qui a mobilisé bon nombre de vos questions, à savoir les contrats locaux d’accompagnement. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.) Si vous ne m’écoutez pas, mesdames, messieurs les sénateurs, ne venez pas vous plaindre ensuite de ne pas avoir d’informations !

M. Pierre Ouzoulias. Mais nous sommes très attentifs, madame la secrétaire d’État !

Mme Nathalie Elimas, secrétaire dÉtat. Ces contrats sont nés à la fois des constats que j’ai dressés lors de mes déplacements et des lectures très enrichissantes que j’ai pu faire : le rapport Azéma-Mathiot, le rapport de Salomé Berlioux et le rapport de la Cour des comptes.

J’ai en effet constaté que le zonage, ce « tout ou rien », avait des limites et créait des effets de seuil. Un peu plus de 70 % de nos élèves ne sont pas concernés aujourd’hui par les moyens de l’éducation prioritaire ; il y a donc une zone grise. Les écoles orphelines, les établissements en perte d’attractivité ont été évoqués, mais pas les lycées professionnels. Ceux-ci, pourtant, entreront dans les moyens de l’éducation prioritaire, grâce aux contrats locaux d’accompagnement.

Il a beaucoup été question de ruralité, à raison : à mon arrivée, j’ai constaté que, trop souvent, l’éducation prioritaire était perçue exclusivement au prisme des quartiers de la politique de la ville, les QPV, et des zones urbaines. Pourtant, l’éducation prioritaire concerne aussi la ruralité, laquelle a été très mal desservie à l’occasion de ce dernier zonage. C’est donc sur la base de l’ensemble de ces constats que j’ai décidé de lancer cette expérimentation.

S’agissant de la méthode, j’ai entendu dire que je n’aurais pas mené de concertations. C’est évidemment faux. À l’heure où je vous parle et depuis la fin du mois de septembre, nous avons déjà mené une trentaine d’audiences avec l’ensemble des organisations syndicales.

J’ai également à cœur de travailler avec tous les élus. J’ai été moi-même une élue municipale, une élue régionale et une parlementaire ; je ne sais que trop combien il est important de travailler en concertation avec l’ensemble des élus. Cette expérimentation a donc été annoncée, travaillée et préparée avec les élus et les organisations syndicales, et nous continuerons à agir de cette façon.

En ce qui concerne le calendrier, l’expérimentation a été annoncée au mois de novembre dernier ; depuis lors, nous avons installé un comité de pilotage.

Trois académies sont expérimentatrices : Nantes, Lille et Aix-Marseille. Vous comprenez bien leur répartition géographique : elles présentent chacune des particularités, et nous considérons qu’elles constituent un échantillon qui pourrait être représentatif de ce que donneraient ces mesures si nous les généralisions – j’y insiste : je parle au conditionnel.

Nous avons mis en place un comité de pilotage national, qui est composé de mon secrétariat d’État, de l’administration centrale et des académies concernées. J’ai très clairement mandaté ces dernières, parce que je souhaite faire entrer de nouveaux publics et de nouveaux territoires dans cette expérimentation. Je leur ai donc demandé d’être particulièrement attentives à nos écoles orphelines, à nos lycées professionnels et à nos territoires ruraux. Ainsi, 172 établissements sont aujourd’hui présélectionnés pour en faire partie.

Un budget est consacré à cette expérimentation. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez indiqué que j’avais parlé d’un budget constant. Je vais clarifier les choses : cette expérimentation n’est pas une réforme, je le répète, mais une voie parallèle. Cela signifie que je ne touche pas au zonage existant, c’est-à-dire aux REP et aux REP+, non plus qu’aux moyens qui sont alloués à cette carte. C’est en ce sens que j’ai parlé de moyens constants. Néanmoins, l’expérimentation menée en parallèle bénéficie d’un budget spécifique, de 3,2 millions d’euros.

J’ai entendu dire que nous aurions fait peu, très peu, trop peu pour l’éducation prioritaire. Or plus de 2 milliards d’euros lui sont aujourd’hui alloués, soit une augmentation d’environ 30 % depuis 2017. S’y ajoutent 3 millions d’euros spécifiquement consacrés à cette expérimentation en parallèle. J’espère donc avoir été suffisamment claire à la fois sur les objectifs et sur les moyens qui lui sont alloués.

Revenons au calendrier. Ce comité de pilotage est dédoublé, dans les académies, par des comités de suivi. Vous avez souhaité y être associés ; tel est bien le cas. Dans chaque académie expérimentatrice, l’ensemble des acteurs est associé : l’éducation nationale, bien sûr, les cadres de la maison, mais également les élus. Pour moi, c’est très important. J’y insiste : vous êtes largement associés à cette expérimentation.

Je le disais, celle-ci s’adresse à un nouveau public, sur un nouveau territoire, avec un raisonnement complètement différent, qui sort du zonage et de la logique du tout ou rien, pour aller vers plus d’équité, de justice, de souplesse et une meilleure allocation des moyens, répartis, non pas en paquets, comme c’est le cas aujourd’hui, avec un paquet de moyens pour les REP et un paquet de moyens pour les REP+, mais bien en fonction des besoins spécifiques des établissements.

Ces moyens seront donc aussi variables que le sont ces besoins : ici du crédit pédagogique ; là, une diminution d’effectif des classes ; ailleurs, un renforcement des fonds sociaux. Bref cela sera variable.

Une expérimentation ne vaut pourtant que si elle est évaluée. C’est pourquoi nous sommes en train de mettre en place un protocole à cette fin.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous m’avez fait dire bien des choses, aujourd’hui. J’aurais, en particulier, annoncé la généralisation de cette expérimentation en 2022. Je n’ai jamais tenu de tels propos !

Ce que j’ai dit, très précisément, c’est que l’expérimentation commencera en septembre prochain, que nous l’évaluerons et que, si nous jugeons pertinent de l’élargir en 2022, nous l’étendrons alors à quelques académies supplémentaires. Nous préparons cette mesure, parce que nous souhaitons anticiper et parce qu’une telle évolution reposerait sur une ligne budgétaire spécifique au PLF 2022.

Le budget atteint donc aujourd’hui 3,2 millions d’euros, pour 172 établissements annoncés à ce stade. Je vous l’ai dit, j’ai passé une commande très claire à l’ensemble des recteurs d’académie : seront inclus très précisément une trentaine de lycées professionnels et une trentaine d’établissements, d’écoles et de collèges, dans les territoires ruraux, parce que c’est très important à mes yeux, vous l’avez compris.

Avec Jean-Michel Blanquer, j’ai la volonté de travailler toujours plus en faveur de l’école rurale. C’est ce que nous faisons au travers des territoires éducatifs ruraux et d’autres mesures, comme les cordées de la réussite.

Vous m’avez interrogée également sur les outre-mer, en affirmant que ceux-ci ne seraient pas concernés par l’expérimentation. Outre-mer, l’éducation prioritaire est très présente. S’ils ne sont pas associés aujourd’hui à l’expérimentation des contrats locaux d’accompagnement, nous travaillons avec ces territoires à un projet spécifique adapté à leurs particularités.

J’ai également été interrogée sur la carte scolaire. Vous m’avez dit que bon nombre de nos classes seraient fermées à la rentrée. Je rappelle l’engagement du Président de la République : pas de fermeture d’école sans accord du maire pour les communes de moins de 5 000 habitants. Pour la rentrée de 2020, en raison du contexte sanitaire très particulier, il a été décidé qu’il n’y aurait pas non plus de fermeture de classe sans accord du maire.

Comme vous le savez, nous sommes au cœur des discussions sur la carte scolaire, et nous examinons localement les situations, au cas par cas, en concertation avec l’ensemble des acteurs sur le territoire ; vous-mêmes, en tant qu’élus, êtes particulièrement concernés et associés.

Je vous indique tout de même que, depuis plusieurs années, nous constatons une diminution récurrente et progressive des effectifs. Nous avons ainsi perdu environ 65 000 élèves. Pour autant, nous n’avons cessé d’augmenter les moyens, en particulier sur le premier degré, parce qu’il est très important, pour le ministre comme pour moi-même, de travailler à consolider les fondamentaux, à savoir lire, écrire, compter et respecter autrui.

J’ai été interrogée également sur la différenciation ; à mon sens, les contrats locaux d’accompagnement constituent la réponse à cet enjeu.

Vous m’avez demandé comment ces établissements avaient été sélectionnés. Cela relève de la différenciation, certes, mais la politique d’éducation prioritaire reste une politique nationale, appuyée sur un référentiel national très présent et inchangé. Nous avons simplement offert quelques leviers supplémentaires aux académies pour leur permettre de travailler de façon très locale. On a parlé à ce sujet de cousu main, voire de sur-mesure ; c’est bien l’objectif !

C’est en croisant l’ensemble de ces indicateurs que les recteurs et les services académiques ont produit cette liste de 172 établissements à laquelle j’ai prêté la plus grande attention, étant particulièrement sensible à ces nouveaux publics. Je vous ai ainsi parlé de l’école orpheline et des lycées professionnels. Rappelons que ces derniers recrutent bon nombre de leurs élèves dans l’éducation prioritaire, mais n’ont plus aucun moyen depuis la mise en place de ce zonage, qui les a exclus de l’éducation prioritaire.

Vous m’avez interrogée également sur les bourses scolaires. Ma feuille de route, vous l’avez bien compris, comprend cette expérimentation sur l’éducation prioritaire, les dispositifs, conduits par le ministre, que je déploie, et d’autres que je crée, ainsi que, enfin, un troisième pilier, qui me tient particulièrement à cœur, qui est adossé au plan de lutte contre la pauvreté et qui répond parfaitement à cette question.

En effet, je travaille activement à restructurer nos fonds sociaux. J’ai constaté que, dans bon nombre de nos établissements, ceux-ci ne sont pas consommés ou sont sous-consommés. Or trop de nos élèves ne bénéficient pas de leur bourse, avec un taux de non-recours encore très élevé.

Pour répondre à ces deux problématiques, je travaille à la restructuration de ces fonds sociaux, avec des messages très clairs et volontaristes adressés à l’ensemble de nos cadres, pour que ceux-ci s’en saisissent mieux. Je souhaite qu’ils aillent, le plus tôt possible, dès la fin de l’année scolaire, au moment des inscriptions ou des réinscriptions, solliciter les familles, qui, dans le contexte si particulier que nous traversons, sont de plus en plus nombreuses à avoir des besoins et, malheureusement, ne connaissent pas ces dispositifs ou n’osent pas les demander.

J’étudie également, avec Olivier Dussopt, la possibilité d’automatiser l’information d’un droit à la bourse.

Enfin, je travaille sur une mesure que vous connaissez bien : les petits-déjeuners. Trop nombreux sont nos élèves qui arrivent à l’école le ventre vide. Il y a trois ans, quand cette mesure a été mise en place, nous estimions qu’entre 250 000 et 300 000 de nos élèves arrivaient à l’école le matin sans avoir petit-déjeuné. Avec la crise sociale que nous traversons, ce chiffre a probablement augmenté. C’est la raison pour laquelle, avec Olivier Véran, je réfléchis à un nouveau mode de distribution de ces petits-déjeuners dans nos établissements.

Je reviens aux contrats locaux d’accompagnement. Vous considérez que leur temporalité est trop courte : pourquoi une évaluation au bout d’un an ? Que va-t-il se passer ensuite ? Effectivement, nous allons évaluer l’expérimentation dans l’année qui suit, avec l’objectif de l’améliorer. C’est le principe de l’expérience et du tâtonnement : on fait, puis on s’améliore.

Ces contrats locaux d’accompagnement sont conclus pour trois ans, avec, peut-être, une clause de rendez-vous. « Peut-être » parce que, aujourd’hui, je ne sais pas si cette clause de rendez-vous sera nécessaire et si elle le sera pour un, deux ou trois ans. Vous voyez donc que cette expérimentation accorde localement beaucoup de souplesse sur les territoires aux recteurs et à nos établissements.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je crois avoir répondu à l’ensemble de vos questions sur la méthode, sur le calendrier, sur l’évaluation de cette expérimentation, sur son hypothétique élargissement – je ne sais pas si elle sera généralisée et je n’ai jamais dit que ce serait le cas à la rentrée de 2022 –, sur la carte et les moyens de l’éducation prioritaire, qui restent inchangés, sur le fait que cette expérimentation est une voie parallèle bénéficiant d’un financement spécifique, enfin sur les critères retenus pour désigner ces établissements.

Comme vous le voyez, il n’y a ni hasard ni clientélisme, comme je l’ai entendu dire. Cela n’a pas été fait au doigt mouillé, mais bien avec rigueur et avec méthode.

Puisque l’on a cité Saint-Exupéry, permettez-moi, mesdames, messieurs les sénateurs, de partager une citation qui m’est chère. Pythagore disait : « Un homme n’est jamais si grand que lorsqu’il est à genoux pour aider un enfant. » C’est précisément ce à quoi je m’emploie au secrétariat d’État à l’éducation prioritaire pour assurer l’élévation générale du niveau de nos élèves et la réussite de tous nos enfants sur tous nos territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « La réforme en cours de l’éducation prioritaire ».

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt heures trente, est reprise à vingt-deux heures, sous la présidence de M. Vincent Delahaye.)

PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

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Situation et devenir de l’économie sociale et solidaire

Débat organisé à la demande du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires, sur le thème : « Situation et devenir de l’économie sociale et solidaire. »

Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je vous rappelle que l’auteur du débat dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.

À l’issue du débat, l’auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.

Dans le débat, la parole est à M. Guy Benarroche, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Guy Benarroche, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’économie sociale et solidaire, ou ESS, regroupe l’ensemble des structures économiques dont le statut, l’organisation, le fonctionnement et l’activité sont fondés sur les principes de la solidarité, de l’équité et de l’utilité sociale. Leur objectif est de favoriser la création d’emplois dans une perspective d’insertion ou de réinsertion, ainsi que d’une plus grande cohésion sociale.

Principalement constituées en associations, en mutuelles, en coopératives ou en fondations, les entreprises de l’ESS adoptent des dispositifs de gestion et de décision participatifs et démocratiques, avec un encadrement strict de l’utilisation des résultats financiers – pas de profit personnel, réinvestissement des bénéfices.

Comme M. Jourdain faisait de la prose sans le savoir, nombre de nos concitoyens participent ou ont affaire à des entreprises de l’ESS sans s’en douter. Ce déficit de notoriété, auprès des citoyens comme des décideurs politiques, est bien l’un des soucis majeurs de ce qui peut être considéré comme un modèle économique alternatif et différent.

De plus, si certaines des entreprises de l’ESS répondent à ces principes originels, d’autres, au fil du temps, ont eu tendance s’en éloigner ou, a minima, à moins les brandir en étendard.

Comprenons-nous bien, il ne s’agit pas d’une sorte de reproche, car toutes les entreprises de l’ESS partagent toujours ces principes, mais ces derniers ne sont souvent ni rappelés ni connus des nouvelles générations et de nombre de décideurs, la perte de reconnaissance amenant ainsi à une perte de connaissance.

Aussi, au travers de ce débat, souhaité par le groupe GEST, nous souhaitons mieux faire connaître ce que porte et représente l’ESS, alerter sur la fragilisation de ses structures pendant la crise sanitaire et sur sa place dans les plans de relance économique, et, enfin, formuler des propositions lui permettant de peser de tout son poids dans la perspective de la transition écologique, sociale et solidaire qui nous apparaît impérative.

Les différents acteurs de l’ESS se sont donc structurés peu à peu pour défendre et promouvoir ses valeurs et encourager son financement par la mise en place de partenariats, tant publics que privés.

En France, parmi les organisations les plus représentatives, on peut citer le Conseil national des chambres régionales de l’économie sociale et solidaire, le CNCress, le Mouvement associatif, Coop FR, qui est le mouvement des coopératives, le Mouvement des entrepreneurs sociaux, ou Mouves, la Fédération nationale de la mutualité française, et j’en passe.

Le poids économique est de plus en plus significatif : 2,4 millions de salariés, dont 68 % de femmes ; 22 millions de bénévoles ; 222 000 structures labellisées ESS ; 10,5 % de l’emploi total ; 14 % des emplois privés ; 10 % du PIB ; 35 millions d’adhérents à une mutuelle de santé. Dans les territoires fragiles, elle représente 22 000 établissements et 161 000 salariés en milieu rural, ainsi que 10 000 établissements et 104 000 salariés dans les quartiers de la politique de la ville.

Le modèle le plus connu, celui de la coopérative, est une association autonome de personnes volontairement réunies pour satisfaire leurs aspirations et besoins économiques, sociaux et culturels communs au moyen d’une entreprise dont la propriété est collective et où le pouvoir est exercé démocratiquement.

La coopérative est un des uniques modèles économiques qui permette réellement de concilier performance économique, respect de l’humain, gouvernante démocratique, création d’emplois durables et innovation.

Il faut noter le cas unique de Railcoop, une entreprise ferroviaire, et les expériences de coopératives créées par les travailleurs après une faillite ou un conflit social, comme Scop-Ti, producteur de thés à Gémenos, symbole de la pérennité des coopératives se substituant à des entreprises capitalistes classiques qui se mettent en faillite.

En 2018, quelque 22 600 entreprises coopératives en France emploient 1,3 million de salariés. La loi du 31 juillet 2014 relative à l’ESS, complétée en septembre 2016, est destinée à fixer et consolider les règles et la gouvernance de l’économie sociale et solidaire, ainsi que ses modes de financement. Elle ouvre notamment l’ESS aux structures à statut commercial, optant pour ses principes et intégrant des objectifs d’utilité sociale.

La loi prévoit en outre un dispositif d’agrément réactualisé dit « ESUS ». Elle marque la reconnaissance législative « d’un mode d’entreprendre différent ». Elle permet notamment de définir clairement une organisation nationale et régionale de l’ESS. Il apparaît essentiel de ne pas toucher à ce socle légal.

La crise sanitaire a vu, comme pour l’ensemble des acteurs économiques, les activités et les emplois de l’ESS fortement touchés, notamment dans les secteurs des services d’action sociale, de l’éducation et des services à la personne.

Le secrétariat d’État a mobilisé un fonds d’urgence de 30 millions d’euros pour les structures du secteur de moins de 10 salariés. Pour autant, plus globalement, d’après vos propres chiffres, madame la secrétaire d’État, l’ESS ne pèse que 1,3 milliard d’euros sur les 100 milliards d’euros du plan de relance, alors qu’elle représente un emploi sur dix et mobilise 22 millions de bénévoles.

J’en viens aux pistes pour le devenir de l’économie sociale et solidaire, que je tenais à mettre en avant.

La loi de 2014 apporte une reconnaissance des acteurs représentant l’ESS aux échelons régional, avec les chambres régionales de l’économie sociale et solidaire, les Cress, et national, avec ESS France. Elle a surtout fixé un certain nombre de dispositions essentielles à l’organisation de ces acteurs, et au développement, à l’identification et à la structuration territoriale du secteur.

Les financements de l’État, en contrepartie de ses missions, oscillent, selon la taille des Cress, entre 60 000 euros et 130 000 euros, soit à peine deux à quatre équivalents temps plein, ce qui ne leur permet pas de remplir correctement les missions légales qui leur sont confiées. Sans entrer plus dans le détail, il conviendrait de donner des moyens qu’elles n’ont pas actuellement aux chambres consulaires que sont les Cress, au même titre qu’aux chambres de commerce.

Toujours sur les financements publics, les crédits déconcentrés reçus de l’État sont relativement inchangés depuis 2014. Cette part est assez faible, et, surtout, il en résulte que les actions et projets au-delà du socle de missions communes varient fortement d’un territoire à l’autre.

Les Cress ont dû développer des relations avec les conseils régionaux. Cela représente l’avantage d’une meilleure adaptation territoriale, mais a pour conséquence de rendre difficile une consolidation à l’échelle nationale de leurs données, notamment dans l’analyse et la qualification des besoins des entreprises de l’ESS.

Nous jugeons indispensable un renforcement des crédits déconcentrés, pour assurer le financement de ce socle et ouvrir de nouvelles actions d’accueil, d’information et d’orientation permettant de consolider la qualification de la chaîne de l’accompagnement à l’échelle nationale.

Il est également nécessaire d’établir un état des lieux périodique du financement de l’ESS, qui en décrirait les caractéristiques et tendances, estimerait les besoins de financement futurs par famille et secteur, et, enfin, suggérerait les adaptations. Cet état des lieux requiert la mise à disposition par l’administration de données en open data.

Par ailleurs, il importe de garantir l’accessibilité aux dispositifs ouverts aux entreprises commerciales pour toutes les entreprises de l’ESS.

Il devient aussi urgent de rappeler aux décideurs publics que de nombreuses entreprises de ce secteur ne bénéficient pas forcément de l’agrément ESUS. Aussi, une vigilance particulière dans l’application des politiques publiques et la mise à disposition des fonds dédiés devrait s’exercer afin de s’assurer que ces entreprises parviennent réellement à bénéficier des aides ciblées.

Le mouvement associatif, acteur important de l’ESS, a souligné un fort taux de non-recours aux dispositifs de soutien mis en place, en raison non seulement de l’inadaptation de certains dispositifs, mais également de difficultés d’accès à l’information et du manque d’ingénierie pour la recherche et l’obtention de ces financements.

Pour y remédier, nous pourrions proposer le développement d’une cotisation foncière des entreprises, une CFE, propre aux entreprises de l’ESS gérée par les Cress. Par ailleurs, il pourrait être prévu dans les appels à projets une aide ou un financement permettant l’accessibilité dudit appel à projets à l’ensemble de ces structures.

Il apparaît aussi indispensable de restructurer les fonds propres des petites entreprises de l’ESS, en permettant aux associations dont l’activité dépend d’une tarification publique ou de subventions pour délégation d’action la mise en réserve d’une partie de leur résultat d’exploitation.

Au-delà, mieux financer l’innovation sociale doit être au cœur de notre réflexion. Nous pourrions par exemple envisager de favoriser la reprise d’entreprise, notamment dans le cas de départ à la retraite de l’employeur. Là encore, cela nécessiterait plus de moyens pour les Cress.

Enfin, pourquoi ne pas explorer de nouvelles pistes au travers d’un partenariat avec l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisi et confisqués, organisme qui gère les biens immobiliers confisqués par l’État dans le cadre d’une procédure pénale ?

Il s’agirait de mettre ces derniers à disposition d’associations reconnues d’intérêt général ou d’entreprises solidaires d’utilité sociale agréées à des fins de réutilisation sociale. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mmes Cathy Apourceau-Poly et Marie-Noëlle Lienemann, ainsi que M. Joël Bigot, applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Olivia Gregoire, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargée de léconomie sociale, solidaire et responsable. Monsieur le sénateur Benarroche, je souhaite tout d’abord remercier très sincèrement le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires de l’organisation de ce débat, ce soir, sur la situation et le devenir de notre économie sociale et solidaire.

Cela faisait plusieurs années que ce débat ne pouvait se tenir, et pour cause : il manquait un portage gouvernemental et une ou un ministre chargé de l’économie sociale et solidaire. Ce manque est comblé !

Il était légitime, je crois, de faire revenir l’économie sociale et solidaire à sa vocation première – vous avez mentionné 2014 et la loi pour l’ESS –, c’est-à-dire à l’économie, ce qui implique la tutelle de Bercy.

C’était d’autant plus important que la représentation de l’ESS au Gouvernement a quasiment coïncidé avec le début d’une crise sanitaire, qui s’est très vite muée en une crise économique, laquelle met encore à rude épreuve les structures de l’économie sociale et solidaire, comme le reste des entreprises conventionnelles.

En effet, cette crise inédite prive nombre de ces structures d’activité et les force à puiser dans leur trésorerie. Or nous savons bien que le modèle même de l’économie sociale et solidaire, qui repose sur un caractère lucratif limité, conduit à une fragilité structurelle des fonds propres de ces structures.

S’y ajoute un accès limité aux financements bancaires et publics. L’exemple symptomatique est bien sûr celui des petites associations employeuses, qui, d’un côté, subissent la réticence des banques, et, de l’autre, ne connaissent pas forcément les dispositifs d’aides de l’État ou estiment même parfois, voire trop souvent, qu’ils ne leur sont pas destinés.

C’est le premier chantier auquel j’ai souhaité m’atteler en arrivant l’été dernier à Bercy. Pour reprendre l’expression de M. le sénateur Benarroche, ce manque de connaissance, parfois même des acteurs publics, ce manque de reconnaissance, aussi, des acteurs de l’économie sociale et solidaire, m’ont conduit à répondre d’abord et avant tout à l’urgence, en luttant contre le non-recours.

Depuis juillet dernier, nous avons successivement mis en place un guide pour expliquer à l’ensemble des acteurs de l’ESS comment bénéficier des aides d’urgence, mis à jour l’ensemble des informations pour recenser tous les appels à projets du plan de relance qui concernent l’ESS, et fait en sorte, en septembre dernier, que le numéro vert permettant aux entreprises conventionnelles d’obtenir des réponses, que ce soit sur le fonds de solidarité, le prêt garanti par l’État, ou PGE, ou bien des exonérations fiscales et sociales, puisse aussi répondre aux questionnements de nos entrepreneurs sociaux et aux acteurs engagés dans l’ESS.

J’imagine le sourire goguenard que peut susciter l’évocation même d’un numéro vert, mais je connais aussi très bien la détresse de l’employeur qui ne trouve pas de réponses à ses questions.

J’ai donc non seulement souhaité que les services de l’État disposent des réponses susceptibles d’être posées par les acteurs de l’ESS, mais aussi très directement missionné mon cabinet, pour garantir aux acteurs des réponses à leurs questions, si tant est qu’ils ne les aient pas trouvées par les autres moyens mentionnés. Et je puis vous assurer que c’est le cas très souvent.

Depuis le début de la crise, je me mobilise, avec Bruno Le Maire, pour rappeler que les structures de l’ESS sont très simplement des acteurs économiques à part entière, et que, de ce fait, tout aussi simplement, elles sont légitimes à être éligibles à toutes les mesures de droit commun. C’est le cas aujourd’hui.

Je ne le sais que trop bien, les spécificités de l’ESS la rendent plus fragile, et les mesures de droit commun peuvent se révéler soit mal calibrées, soit insuffisantes, voire, je le répète, trop souvent méconnues par les structures mêmes de l’économie sociale et solidaire. C’est ce fameux non-recours contre lequel je me bats.

C’est pourquoi j’ai souhaité demander, lors de l’examen du dernier projet de loi de finances, une hausse substantielle, de l’ordre de 30 %, des moyens alloués au dispositif local d’accompagnement, le fameux DLA, qui permet, dans nos territoires, de soutenir le recours des associations à des prestataires externes pour se développer et mieux répondre aux appels à projets.

C’est pourquoi, enfin, j’ai fait voter en collectif budgétaire, et vous l’avez mentionné, monsieur Benarroche, le fonds UrgencESS, doté de 30 millions d’euros, à destination des petites structures employeuses de l’ESS. Avec ce fonds, nous souhaitons toucher tous les acteurs, surtout ceux qui n’ont pas coutume de demander des aides publiques ou à qui elles ont été refusées.

Aussi, j’ai fait en sorte qu’il soit le plus simple d’accès possible. Il a été confié à un acteur que vous connaissez bien, et qui connaît bien les territoires, à savoir France Active. Il a un fonctionnement très simple : un guichet unique sur urgence-ess.fr ; un diagnostic simple individualisé, qui permet d’identifier les aides de droit commun auxquelles la structure peut prétendre ; une subvention allant de 5 000 à 8 000 euros en fonction des besoins, ainsi qu’un accompagnement renforcé par le DLA pour les structures éligibles.

Depuis le 22 janvier dernier, mesdames, messieurs les sénateurs, nous recevons chaque jour environ 300 demandes venant d’associations, de coopératives, d’entreprises sociales ou de structures d’insertion.

Ces chiffres reçus aujourd’hui témoignent d’un fort intérêt ces derniers jours : à la fin du mois de février, 7 373 structures avaient fait une demande sur le portail ; 4 534 dossiers sont en cours d’instruction, et, aujourd’hui, ce sont 1 600 dossiers qui sont déjà en cours de traitement pour cette aide d’une première tranche de 10 millions d’euros. Ce mouvement s’est enclenché en moins d’un mois.

Il est important de préciser que, pour les deux tiers, il s’agit d’acteurs qui n’étaient jusqu’à présent pas identifiés par France Active. Il y a ainsi des acteurs qui sollicitent des aides pour la première fois.

Il y a deux manières de considérer cette réalité : c’est à la fois un sujet d’inquiétude, car cela montre la grande fragilité de notre tissu économique social et solidaire, mais c’est aussi un motif relatif de satisfaction, parce que cela veut dire que ce combat contre le non-recours que nous menons commence tout juste à porter ses fruits.

Quoi qu’il en soit, j’entends poursuivre le travail pour que le « quoi qu’il en coûte » s’applique à l’économie sociale et solidaire.

À mon sens, la question n’est pas tant, pour le moment du moins, d’injecter de nouveaux millions ou même des milliards d’euros, que de faire en sorte que l’écosystème de l’économie sociale et solidaire utilise bien la somme de 1,3 milliard d’euros déjà disponible dans le plan de relance.

Comme vous l’avez rappelé, monsieur Benarroche, j’ai obtenu qu’une telle somme soit fléchée directement vers l’ESS, mais il faut aussi prendre en compte les 3,9 milliards d’euros de crédits destinés à des secteurs où l’ESS est particulièrement représentée, comme l’économie circulaire, les ressourceries, les recycleries, le secteur médico-social ou le soutien à l’emploi des personnes en situation de handicap.

Je crois profondément que l’ESS a un avenir, non pas juste pour elle-même, mais pour toute notre économie. Ce n’est pas le débat de ce soir, certes, mais force est de constater que les pratiques de notre économie sociale et solidaire sont en train d’essaimer dans notre économie. Nous le voyons sur la gouvernance, qui se démocratise, sur la limitation des profits, sur la prise en compte de l’impact écologique et social des activités économiques.

C’est cette influence que je souhaite aider l’ESS à valoriser. C’est d’ailleurs, et j’en terminerai sur ce point, la philosophie des contrats à impact que j’ai relancés au début de mon mandat. Il s’agit d’une nouvelle source de financement pour les acteurs de l’économie sociale et solidaire. Aussi, je veux partager avec vous ce constat d’une véritable appétence pour ces contrats à impact, pour faire passer des projets à l’échelle de nos territoires.

Sur le premier que nous avons lancé, et qui concerne l’économie circulaire, nous avons reçu vingt-huit candidatures qui sollicitaient 72 millions d’euros. C’est pourquoi je suis en mesure de vous annoncer ce soir que j’ai décidé, avec l’Ademe, de tripler le montant des aides prévu dans ce premier contrat à impact, pour le porter à 30 millions d’euros.

Je conclurai sur cette note d’optimisme pour le devenir de l’économie sociale et solidaire. Certes, nous devons encore tout faire pour aider l’ESS à passer la crise. Toutefois, je partage avec vous, sincèrement, la conviction que l’économie sociale et solidaire nous aidera à nous dépasser par la suite.

Débat interactif

M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, suivie d’une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.

Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.

Dans le débat interactif, la parole est à M. Éric Gold.

M. Éric Gold. Madame la secrétaire d’État, l’économie sociale et solidaire et l’économie circulaire sont fondées sur des valeurs qui se rejoignent et, souvent, se recoupent. La première vise un objectif d’utilité sociale, la seconde a pour objet d’optimiser l’utilisation des ressources naturelles afin de mieux les préserver. Qui peut prétendre que ces buts n’ont pas d’utilité sociale ?

La consommation durable se situe à l’intersection de ces modèles économiques. C’est sur ce point que je souhaiterais attirer votre attention, et plus particulièrement sur le reconditionnement des produits d’occasion.

Dans le cadre des débats autour de la proposition de loi visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France, le Gouvernement a avancé la possibilité d’assujettir les produits d’occasion reconditionnés à la redevance « copie privée ».

Cette taxe a été créée en 1985 pour compenser un manque à gagner des ayants droit sur les produits copiés. Si elle était appliquée, le secteur français de l’économie circulaire pourrait connaître une perte estimée à plus de 150 millions d’euros de chiffre d’affaires. S’il semble légitime de protéger la culture, cela ne doit évidemment pas mettre en péril l’emploi local ou les modes de consommation responsable.

En effet, l’économie circulaire a permis la création en France de plus de 5 000 emplois, notamment dans des entreprises du secteur marchand et des organisations solidaires intégrant des personnes en formation, en insertion, en situation de handicap.

En outre, le reconditionnement, c’est permettre de prolonger la durée de vie d’un produit et, partant, éviter d’utiliser davantage de matières premières afin de produire de nouveaux biens.

Enfin, reconditionner, c’est rendre accessible au plus grand nombre les nouvelles technologies de l’information et de la communication, puisque plus de 70 % des Français achètent régulièrement des produits d’occasion.

Madame la secrétaire d’État, au regard de ces implications, à la fois économiques et environnementales, la redevance pour copie privée sur les produits d’occasion reconditionnés est-elle vraiment pertinente ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Olivia Gregoire, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargée de léconomie sociale, solidaire et responsable. Je vous remercie, monsieur le sénateur Gold, de souligner l’importance de la filière du reconditionnement. C’est en effet pour moi l’exemple même de ce que nous voulons faire en matière de croissance verte, c’est-à-dire une croissance fondée non seulement sur la baisse de notre empreinte carbone, mais aussi sur un emploi de proximité.

Le Parlement examinera bientôt, vous le savez, le projet de loi « climat et résilience », dont plusieurs dispositions vont précisément venir encourager les acteurs de cette croissance verte, que ce soit dans l’alimentation, le bâtiment ou, bien sûr, la réparation, avec l’obligation de mise à disposition de pièces détachées.

Dans ces conditions, je ne puis que vous confirmer le plein soutien du Gouvernement à ce secteur du reconditionnement. Quelques start-up françaises s’y affirment de plus en plus, et il faut, je crois, s’en féliciter, parce que cela montre que l’économie circulaire est un vrai marché pourvoyeur d’emplois.

Cependant, je tiens tout de même à rappeler que le reconditionnement permet de faire travailler bon nombre d’entreprises de l’ESS, notamment des entreprises d’insertion, qui sont d’ailleurs souvent sollicitées par ces nouvelles plateformes.

L’enjeu est de taille, comme vous l’avez rappelé. L’électronique reconditionnée pourrait créer dans les années à venir plus de 20 000 emplois, sachant que, pour chaque téléphone reconditionné, c’est l’équivalent de 30 kilogrammes de CO2 évités.

À l’heure actuelle, je crois que le débat est essentiellement juridique. Il s’agit en réalité de savoir si un portable reconditionné est mis sur le marché ou remis sur le marché, ce qui est le premier déterminant de la redevance « copie privée ».

C’est la question qu’il faudra trancher et sur laquelle les réflexions, à cette heure, sont encore en cours. Mon cabinet suit évidemment cela de très près. J’ai aussi, bien évidemment, mon opinion personnelle, mais vous comprendrez aisément, au risque de finir par une pirouette, qu’en tant que secrétaire d’État à l’économie sociale et solidaire je me devrai d’être solidaire de la position qu’adoptera finalement le Gouvernement sur cette question, dont je maintiens qu’elle est essentielle.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Mes chers collègues, à notre tour, nous remercions nos amis écologistes d’avoir mis ce sujet à l’ordre du jour.

L’économie sociale et solidaire est touchée par la crise, comme bien d’autres secteurs. Mais, d’une certaine façon, elle constitue une voie de sortie de cette crise. C’est dans cet esprit, je le crois, que nous pouvons tous nous mobiliser.

Si notre économie a besoin de ce pilier de l’économie de marché qu’est l’entreprise privée, ainsi que des entreprises publiques ou d’une intervention publique forte, elle a également besoin de ce tiers secteur qu’est l’économie sociale et solidaire.

J’ai bien entendu, madame la secrétaire d’État, votre argumentaire consistant à dire que les crédits destinés à l’ESS ne se résument pas à ceux qui figurent dans le plan de relance.

Dans le peu de temps qui m’est consacré, je voudrais insister sur le système des coopératives, qui peut représenter un levier intéressant pour la réindustrialisation de notre pays que nous souhaitons.

Par exemple, les médicaments que l’on n’arrive plus à produire, parce que leur rentabilité est faible, pourraient être fabriqués, comme aux États-Unis paradoxalement, par les réseaux de coopératives, sous la forme de sociétés coopératives d’intérêt collectif, les SCIC, avec l’intervention des collectivités publiques et, pourquoi pas, dans certains cas, de certains hôpitaux.

Des secteurs de production coopératifs seraient ainsi constitués, qui dégageraient des profits uniquement pour faire vivre l’outil productif. Nous pourrions créer un vrai réseau de reconquête des médicaments, dont une partie des principes actifs aujourd’hui ne sont plus suffisamment « rentables » pour les grandes entreprises multinationales.

On peut aussi penser que va se poser un énorme problème de reprise d’entreprises, un certain nombre de dirigeants choisissant d’accélérer leur départ à la suite du choc que nous sommes en train de vivre. Madame la secrétaire d’État, je vous rappelle que la loi de 2014 avait créé de nouveaux outils permettant un portage lissé, parce que la rentabilité n’est pas tout de suite au rendez-vous après une reprise. Il était également question d’informer au bon moment les salariés, pour qu’ils puissent préparer le projet de reprise.

Pour résumer mon propos, il nous apparaît important de faire des SCIC des acteurs de la réindustrialisation et d’accélérer et améliorer les reprises après consultation des salariés à travers des sociétés coopératives et participatives, des SCOP. Madame la secrétaire d’État, le Gouvernement est-il prêt à s’engager sur ces deux sujets ?

M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. C’est aussi une question d’ancrage territorial. L’ESS porte en elle toutes les valeurs qui sont essentielles pour notre avenir.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Olivia Gregoire, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargée de léconomie sociale, solidaire et responsable. Madame Lienemann, au risque d’être redondante, je tiens à remercier de nouveau le Sénat d’avoir permis que l’on discute de ce sujet, qui occupe mes jours et mes nuits : l’économie sociale et solidaire.

Je ne le répéterai à chaque réponse, mais elle est résolument une économie de nos territoires. C’est d’ailleurs pourquoi je passe la plupart de mon temps en déplacement, pour observer les structures de l’économie sociale et solidaire. Il n’y a pas débat, je l’ai déjà dit, l’économie sociale et solidaire est une bonne partie de la solution de sortie de crise.

On peut avoir une autre analyse sur le 1,3 milliard d’euros directs et les 3,9 milliards d’euros indirects, mais il s’agit tout de même d’espèces sonnantes et trébuchantes. Les appels à projets sont tous disponibles sur le site de Bercy. Les acteurs de l’ESS le savent, puisqu’ils commencent à y répondre, et je peux mesurer leur intérêt, accompagnés qu’ils sont par le DLA, qui les aide à bien répondre aux appels à projets.

J’ai bien mesuré aussi, pour être précise, que les appels à projets, les AAP, sont moins faciles pour les acteurs de l’ESS que les appels à manifestation d’intérêt, les AMI. C’est aussi pour cela que j’ai souhaité très vite augmenter le DLA de 2,8 millions d’euros, pour faire en sorte qu’on les accompagne davantage.

Vous avez raison, madame la sénatrice, il y a dans la loi de 2014 de nouveaux outils, de nouvelles structures, notamment les SCIC et les coopératives d’activité et d’emploi, ou CAE. Pour tout vous dire, je pense qu’il faut encore travailler un peu au plan réglementaire sur ces organismes, qui connaissent un vrai succès, mais qui doivent être un peu consolidés juridiquement.

C’est pourquoi, et j’en terminerai là, je disposerai, d’ici à la fin du mois d’avril, d’un rapport que j’ai demandé à l’inspection générale des finances, l’IGF, et à l’inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, sur la consolidation des CAE et des SCIC. S’il faut prendre des mesures réglementaires simples pour faire en sorte qu’elles puissent se développer plus facilement, je proposerai au Gouvernement que nous les prenions.

Je le répète, ce rapport sera rendu fin avril, et j’aurai grand plaisir à le partager avec les sénateurs. L’IGF et l’IGAS sont mobilisées, et j’ai bien l’intention de consolider le modèle de la loi 2014, auquel je crois.

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud.

M. Jean-Michel Arnaud. Madame la secrétaire d’État, les crises que traverse notre pays montrent la nécessité de prendre en compte la dimension sociale et écologique dans les logiques économiques et financières, comme cela vient d’être rappelé.

Conjuguant l’objectif de rentabilité, l’utilité sociale et le respect de l’environnement, l’ESS est devenue une référence en matière de développement économique durable. Le poids qu’elle représente dans l’économie globale ne cesse de s’accroître d’année en année.

Mon département, les Hautes-Alpes, en offre une excellente illustration. C’est un territoire rural, où la proximité, la solidarité et la production locale de biens et de services reposent sur un grand nombre d’organisations coopératives, mutualistes et associatives, mobilisant à la fois des salariés et des bénévoles. L’ESS représente ainsi 20 % des emplois privés dans mon département et près de 25 % dans l’agglomération où je suis par ailleurs élu.

Pour soutenir ce secteur d’activité, vous avez, madame la secrétaire d’État, lancé un plan de plus d’un milliard d’euros, qui se décline notamment dans de multiples appels à projets. Si cela va dans le bon sens, il s’agit cependant d’un ensemble d’aides disparates rattachées à divers fonds de soutien, souvent trop peu visibles et difficilement actionnables par la multitude d’acteurs de l’ESS. Je regrette un manque de cohérence globale de tous ces outils.

Madame la secrétaire d’État, pourquoi ne pas créer un fonds unique et spécifique d’investissement dédié à l’économie sociale et solidaire ? Une telle structure permettrait de soutenir directement les différents acteurs de l’ESS, tout en mettant en valeur leurs vertus sociales et écologiques dans l’économie concurrentielle.

Par ailleurs, vous avez évoqué une enveloppe de seulement 100 millions d’euros à destination des associations de lutte contre la pauvreté.

Dans mon département, je constate, hélas, que les fonds de ces associations sont quasiment réduits à néant à cause de la crise qui sévit depuis un an. Comment le Gouvernement compte-t-il les aider concrètement, alors que les sollicitations financières dont elles sont l’objet ont explosé depuis un an ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Olivia Gregoire, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargée de léconomie sociale, solidaire et responsable. Monsieur le sénateur Arnaud, j’ai bien conscience qu’un certain nombre d’acteurs de l’économie sociale et solidaire ne sont pas toujours informés des aides auxquelles ils sont éligibles.

Rappelons – M. Benarroche a déjà mentionné les Cress – que la diffusion de cette information est l’une des missions d’ESS France, qui a la tutelle du Conseil national des Cress depuis un certain temps. J’ai des échanges très fréquents avec ESS France ; je discute encore plus souvent avec les têtes de réseau. Il est important que chacune des familles de l’économie sociale et solidaire fasse connaître l’ensemble des aides ; c’est aussi le sens du soutien budgétaire, bien légitime, que j’offre à ces têtes de réseau.

Au travers d’entretiens bimensuels, que ce soit avec les préfectures, avec les régions, ou avec les départements – MM. Muselier et Bussereau pourront en témoigner –, je n’ai de cesse de faire circuler les informations sur les dispositifs destinés aux acteurs de l’économie sociale et solidaire, mais aussi de faire remonter les difficultés qu’ils peuvent rencontrer. Je fais tout ce qui est en mon pouvoir, alors que le temps qui m’est imparti est assez court, pour faire savoir aux acteurs ce à quoi ils ont droit en mobilisant l’ensemble de l’écosystème.

Vous avez également mentionné, monsieur Arnaud, le sujet précis du plan de soutien aux associations de lutte contre la pauvreté, doté de 100 millions d’euros, et de la somme équivalente qui a été programmée pour l’hébergement d’urgence, qui est opéré à plus de 90 % par des associations.

Je suis à votre disposition, de même que mon cabinet, pour poursuivre la discussion sur ce point, puisque c’est toujours un défi que d’apporter une réponse précise dans le délai de deux minutes dont je dispose ici. Toutefois, je m’étonne que, pour le dire simplement, vous n’ayez pas vu la couleur de cet argent. Il faudra que nous discutions de nouveau.

Des appels à projets ont été lancés, la première tranche de 50 millions d’euros a été publiée, les associations peuvent y répondre et le DLA est là pour les y aider. Le Mouvement associatif est mobilisé, les Cress le sont aussi, l’argent est là, et je puis vous garantir que les appels à projets sont publiés. On doit donc pouvoir trouver une solution.

Nous sommes en tout cas à votre entière disposition pour examiner précisément le problème que vous m’indiquez sur votre territoire. Pardonnez-moi de ne pouvoir vous apporter une réponse plus précise, mais il nous faudra prendre le temps de nous pencher ensemble sur ce problème, et ce au plus vite, dès les prochains jours.

M. le président. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Florence Blatrix Contat. Madame la secrétaire d’État, l’économie sociale et solidaire fonctionne selon des règles de gestion souvent singulières, avec un engagement fort de celles et ceux qui en sont les animateurs.

Parallèlement, elle souffre d’une grande difficulté à obtenir des financements à la mesure de ses besoins. C’est ce qui ressort des entretiens que j’ai eus avec de nombreux professionnels de l’ESS.

Certes, des formules spécifiques de financement existent ; je pense notamment aux titres associatifs. Des formules ouvertes à d’autres secteurs économiques sont également susceptibles d’être utilisées, notamment les titres obligataires. Je n’ignore pas non plus que le secteur bancaire dispose de fonds a priori ciblés pour le secteur de l’ESS.

Néanmoins, si tous ces dispositifs sont utiles, ils ratent en partie leur cible. En effet, ils sont le plus souvent méconnus, même si j’ai conscience de votre action la matière, madame la secrétaire d’État. Surtout, les opérateurs du secteur bancaire connaissent mal les spécificités de l’ESS ; ce secteur si spécifique a notamment besoin de règles prudentielles particulières. Enfin, la mise en œuvre de ces dispositifs est souvent trop technique et complexe pour les entreprises sociales et solidaires de petite taille, qui sont présentes sur tout le territoire.

Madame la secrétaire d’État, comment pensez-vous contribuer concrètement à faire en sorte que, dans les territoires, les interlocuteurs des associations maîtrisent les outils de financement existants et puissent proposer une expertise technique pour les mettre en œuvre et accompagner les acteurs de l’ESS dans leur financement ?

Comment envisagez-vous de faire prendre en compte, à terme, les spécificités de ce secteur et de ses besoins de financement par les investisseurs et l’ensemble du secteur bancaire ?

À l’heure où l’épargne forcée des ménages serait devenue surabondante en raison de la crise du covid-19, ne serait-il pas envisageable d’orienter une partie de cette épargne vers l’ESS, qui participe à l’amélioration du bien-être et de la cohésion de notre société ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Olivia Gregoire, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargée de léconomie sociale, solidaire et responsable. Madame la sénatrice Blatrix Contat, vous évoquez deux sujets : les difficultés rencontrées par les petites structures, d’une part, et le traitement des besoins en financement de l’ESS par le secteur bancaire, d’autre part.

La question du financement de l’ESS est évidemment primordiale. Comme on l’a rappelé, dans ce secteur, les fonds propres sont structurellement faibles et la trésorerie est fragile. C’est lié au modèle même que porte l’ESS dans son ADN, notamment à sa lucrativité limitée.

Je veux illustrer mon propos par l’exemple du fonds de solidarité et des fonds régionaux. Je risque de me répéter, mais je vous prie de m’en excuser : c’est la réalité à laquelle je me cogne tous les jours ! Environ 14 milliards d’euros ont été décaissés à ce jour pour le fonds de solidarité ; 200 millions d’euros sont allés directement aux associations, cœur de l’ESS. C’est mon travail quotidien que de faire en sorte qu’elles y soient éligibles et de les amener à ces fonds.

Il s’agit d’un travail transpartisan, dans l’esprit de la question posée par Mme Lienemann. L’économie sociale et solidaire est l’un des îlots sur lesquels nous pouvons nous retrouver, quelles que soient nos sensibilités politiques, car il s’agit d’une économie des territoires. Dans tous mes déplacements, je me rends compte que, à tous les niveaux, l’État, les régions et les départements travaillent ensemble.

Je veux porter un message positif : de bonnes initiatives sont prises. Ainsi, la Cress de Provence-Alpes-Côte d’Azur a mis en place, en plus des aides de l’État et du dispositif d’urgence, un fonds régional complémentaire nommé ESS’OR, destiné à compléter le financement des structures de l’économie sociale et solidaire. Certaines Cress et certaines régions prennent donc en main le financement de ces structures, en bonne intelligence avec l’État, dans une logique de complémentarité : je veux saluer l’exemplarité de ces initiatives.

Vous avez également mentionné, madame la sénatrice, le secteur bancaire. Qu’il s’agisse de la Banque de France ou de la Fédération bancaire française, je veux que mon propos soit clair et fort : j’ai appelé ces organismes à l’automne dernier, pour leur demander de la bienveillance avant que n’arrivent les fonds de 30 millions d’euros que, grâce à vous, nous avons pu obtenir au sein de la quatrième loi de finances rectificative pour 2020.

Ces fonds devaient arriver à compter du 22 janvier ; ces acteurs devaient comprendre la nécessité d’attendre jusqu’à cette date. Eh bien, je ne veux pas laisser entendre que l’ESS ne serait pas écoutée par les banques privées ou la Banque de France : je veux vous dire que nous avons été entendus !

Plus largement, la médiation du crédit accompagne les structures de l’ESS dans l’ensemble de vos territoires. Même si je suis bien consciente que beaucoup de travail reste à accomplir, il me semble que les lignes sont en train de bouger.

Cela fait sept mois et demi que je me consacre à cette tâche ; il y a encore beaucoup de pain sur la planche, et le sujet du financement demeure stratégique, comme vous le soulignez, mais bien des choses bougent déjà, notamment à l’échelle régionale.

M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Blanc. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Baptiste Blanc. Madame la secrétaire d’État, je veux tout d’abord honorer, en quelques mots, celles et ceux qui œuvrent au quotidien au sein de nos associations, tout spécialement en cette période ; ils méritent notre considération et notre plus profond respect.

Dans la crise que nous traversons, notre cohésion sociale est particulièrement mise en l’épreuve ; nous avons donc plus que jamais besoin d’un tissu d’associations, de coopératives et de mutuelles. Dès le début de cette crise, nous avons observé une formidable levée de citoyenneté. J’ai pu constater, dans mon département, une incroyable solidarité, y compris en milieu rural, pour faire vacciner nos concitoyens.

Évidemment, ce qui nous inquiète, c’est que la crise n’est pas finie : les difficultés financières seront importantes et les demandes toujours croissantes.

Deux points nous inquiètent encore, madame la secrétaire d’État.

Tout d’abord, quoi que l’on en dise, des signaux négatifs sont envoyés au tissu associatif depuis quelques années : on pourrait évoquer la fin des contrats aidés, la baisse des subventions publiques, la suppression de la réserve parlementaire, ou encore l’inadéquation du fonds pour le développement de la vie associative, sans parler de toutes les petites mesures qui ont eu un impact sur la collecte des dons, comme le prélèvement à la source.

Ensuite, nous avons l’impression que le modèle de l’économie sociale et solidaire est malmené. Ce n’est pas moi qui le dis, mais l’un de vos prédécesseurs, Jean Gatel, dans un excellent ouvrage que vous avez sans doute lu, LÉconomie sociale et solidaire – Un nouveau modèle de développement pour retrouver lespoir. On en tire l’impression que le compte n’y est pas !

J’allais donc lancer un appel vibrant au renforcement du plan d’urgence, mais vous avez annoncé des chiffres forts : 1,3 milliard d’euros directement, 3,9 milliards indirectement, et un fonds d’urgence de 30 millions d’euros. Nous verrons bien si tout cela est suffisant ; en l’état, nous entendons surtout des cris de détresse et d’alarme.

C’est pourquoi nous vous interpellons. Soyons donc très attentifs, car ce secteur est extrêmement fragile, alors que c’est notre pacte social qui en dépend.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Olivia Gregoire, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargée de léconomie sociale, solidaire et responsable. Je vous remercie de votre question, monsieur le sénateur Blanc.

Oui, le plan d’urgence fonctionne ; je ne sais trop s’il faut s’en inquiéter ou, d’une certaine manière, s’en réjouir. Même si me féliciter des urgences n’est pas dans ma nature, je ne puis que me satisfaire de la mise en œuvre de ce plan : en moins d’un mois, on a déjà décaissé 10 millions d’euros pour accompagner 1 600 structures. Ce n’est pas demain ou après-demain que cela se passe, monsieur le sénateur, c’est bien aujourd’hui ; j’ai tenu à vérifier ce point auprès du président de France Active avant ce débat.

Cela sera-t-il suffisant ? Je ne sais pas. Il nous faudra reprendre rendez-vous quand nous aurons tous ensemble, avec vous qui êtes au cœur des territoires, décaissé ces 30 millions d’euros. Si nous sommes bons en la matière – et nous le serons, tous ensemble ! –, cela sera fait au début du printemps ou d’ici à la fin du mois d’avril prochain.

Ce n’est pas à vous que j’apprendrai que c’est la meilleure façon d’aller légitimement redemander plus à Bruno Le Maire, mais aussi au Premier ministre, Jean Castex : je tiens en tout cas à vous garantir l’attention que cet ancien élu local prête au tissu associatif. Je sais que je suis entendue : s’il faut accompagner davantage, le Gouvernement le fera.

Au-delà de l’urgence, je veux œuvrer à la relance : la meilleure façon de soutenir de façon pérenne les petites associations et d’assurer leur financement, c’est de bien les enclencher dans le plan de relance. C’est pourquoi le dispositif local d’accompagnement est très important et il est crucial d’aider et d’accompagner les associations en matière de compétences, pour qu’elles puissent répondre à ces appels à projets.

J’entends l’expression de « modèle malmené », et ce n’est certainement pas à moi de porter une telle qualification ; je ne fais que reprendre votre expression. Sachez que je fais tout pour mieux le mener ! En tout cas, j’ai apprécié les mots de M. Benarroche : il faut que ce secteur soit mieux connu, mais aussi mieux reconnu. Cette reconnaissance est bien ce que nous devons aujourd’hui à l’économie sociale et solidaire.

Telle est ma mission, que je porte avec cœur : faire connaître et reconnaître les femmes et les hommes qui portent cette économie, qui représente tout de même, il est toujours bon de le rappeler, quelque 10 % de notre PIB et 14 % de nos emplois salariés.

M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing.

M. Daniel Chasseing. Madame la secrétaire d’État, ma question concerne l’inclusion des personnes en situation de handicap et leur orientation vers des entreprises adaptées, ou EA.

Le Gouvernement a projeté de doubler, sur le quinquennat, le nombre de places en EA. Il a accéléré, en mai dernier, le déploiement de la plateforme « Mon Parcours Handicap », pour simplifier l’accès des personnes handicapées aux services adaptés.

Ces initiatives vont dans le bon sens, mais il reste beaucoup de travail pour améliorer la fluidité des parcours. Je pense en particulier au passage de certains pensionnaires stabilisés d’un foyer de vie occupationnel à une entreprise adaptée.

Aujourd’hui, une telle transition doit logiquement se faire par l’intermédiaire d’un établissement ou service d’aide par le travail, un ÉSAT, mais certains territoires, notamment dans l’hyper-ruralité, peuvent être pourvus de foyers occupationnels et d’entreprises adaptées, alors qu’ils manquent d’un ÉSAT.

Certains pensionnaires identifiés pourraient aller vers cette inclusion dans une EA, à la condition d’un encadrement spécifique en amont et pendant leur insertion, en commençant par un mi-temps, quitte à ce que ces personnes retournent finalement dans un foyer, dans le cas où le travail en EA ne s’avérerait pas possible.

Madame la secrétaire d’État, que compte faire le Gouvernement pour fluidifier ces parcours et favoriser l’inclusion par l’activité ?

Par ailleurs, vous avez évoqué les aides reçues par les entreprises adaptées pour leur équipement, mais elles restent modestes. Que prévoit le Gouvernement pour renforcer l’investissement de ces entreprises pendant la crise ?

Enfin, lorsque des travailleurs classés « travailleurs handicapés » par leur maison départementale des personnes handicapées, leur MDPH, et chômeurs à plus de 20 % demandent à travailler dans des EA, Pôle emploi leur refuse s’ils travaillent, même partiellement, en milieu ordinaire. Pourquoi ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Olivia Gregoire, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargée de léconomie sociale, solidaire et responsable. Concernant votre dernière question, monsieur le sénateur Chasseing, je n’ai pas la prétention de répondre quand je ne dispose pas de la réponse. Si vous m’y autorisez, je me permettrai donc de vous joindre avant la fin de cette semaine, afin de vous apporter une réponse.

Pour ce qui est de vos deux premières questions, je veux rappeler, sur ce sujet qui me tient particulièrement à cœur, que le Gouvernement s’est engagé dans une politique volontariste et surtout pragmatique d’amélioration du quotidien des personnes en situation de handicap, mais aussi de leurs proches.

Cet engagement, porté avec force par Sophie Cluzel, se déploie dans une pluralité d’actions dont l’ambition majeure est l’amélioration, mais aussi la simplification de l’accès au droit de façon équitable dans tous les départements. Une feuille de route importante est aujourd’hui engagée par Sophie Cluzel, avec qui je vais m’entretenir dans les prochains jours, afin de pouvoir apporter une réponse à votre deuxième question.

Quant aux aspects financiers du problème, dans le cadre du plan France Relance, nous agissons pour l’emploi des personnes en situation de handicap. Le Gouvernement a décidé de mettre en place une aide à l’embauche visant à favoriser l’emploi de ces personnes.

Cette aide, d’un montant maximum de 4 000 euros, est attribuée aux entreprises et aux associations, quelles que soient leur taille et leur structure, qui auront embauché entre le 1er septembre 2020 et le 30 juin 2021 un salarié travailleur handicapé en CDI ou en CDD d’au moins trois mois rémunéré jusqu’à deux fois le SMIC.

Parmi les mesures fléchées vers les entreprises adaptées, rappelons que 300 millions d’euros ont été déployés depuis l’été dernier, en direction de près de 5 000 entreprises sociales inclusives et, en particulier, de 800 entreprises adaptées. Ce plan a reçu 20 millions d’euros supplémentaires en décembre dernier, compte tenu du succès rencontré par ces projets créateurs d’emplois.

Ce sont donc à ce jour 320 millions d’euros qui sont, à ce jour, employés à consolider les emplois existants dans les 5 000 entreprises soutenues sur tout le territoire, mais aussi à créer 40 000 emplois nouveaux entre 2021 et 2022, dont 27 000 dès cette année.

M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon.

M. Daniel Salmon. Madame la secrétaire d’État, comme cela a déjà été rappelé, l’ESS représente un gisement colossal d’emplois durables, qui doivent participer à la relance économique, sociale, industrielle et écologique de notre pays.

L’ESS démontre chaque jour que nous pouvons faire autrement, en plaçant l’humain au cœur de l’économie. En nous appuyant sur ce formidable réseau de compétences, d’action et de démocratie, nous pourrons apporter des solutions pertinentes à la crise sanitaire, écologique et économique.

Madame la secrétaire d’État, je ne puis que saluer votre engagement pour ce secteur, qui s’est notamment traduit par la mise en place du fonds d’urgence dédié à l’ESS, ou encore par la prise en compte des spécificités de ce secteur, pour que ses entreprises puissent bénéficier des mesures de soutien mises en place par l’État depuis la crise du covid-19.

Cela étant, je souhaite insister sur un point spécifique : il est nécessaire de structurer un écosystème capable d’aider les entreprises du secteur.

Vous avez déjà évoqué les têtes de réseaux, qui ont pour mission d’accueillir, d’informer et d’accompagner. J’insiste sur la notion d’accompagnement et d’appui des structures, notamment en matière de levée de fonds et de développement commercial, compétences parfois peu représentées dans les organisations de l’ESS, ce qui tend à favoriser les plus grosses structures au détriment des plus petites.

Cela s’est ressenti lors de la première séquence de la crise. Le Mouvement associatif a pointé la faible consommation par les associations des dispositifs mis à leur disposition pour les soutenir. Aussi, pourquoi ne pas imaginer le développement d’un centre de formalité des entreprises dédié aux entreprises de l’ESS et géré par les Cress, à l’image de ce que font déjà les chambres de commerce et d’industrie ?

Madame la secrétaire d’État, malgré vos efforts, il reste du chemin à effectuer. Que pensez-vous de cette piste ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Olivia Gregoire, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargée de léconomie sociale, solidaire et responsable. La tâche est lourde, monsieur le sénateur Salmon ; vous faites bien de le rappeler. C’est toujours un honneur que d’être appelé à faire partie du Gouvernement, mais c’est aussi une sacrée pression, surtout quand on n’a que peu de temps devant soi, ce qui est mon cas, même si j’ai eu l’honneur d’être parlementaire avant d’être nommée secrétaire d’État.

Il reste beaucoup à faire, qui plus est durant cette crise, pour un écosystème en pleine croissance et porteur d’avenir, dont les spécificités sont encore trop méconnues.

Je veux rappeler à ce propos un événement que l’on ne connaît peut-être pas assez. L’été dernier, peu après ma nomination au Gouvernement, je devais signer avec la Caisse des dépôts et consignations une convention d’un montant de 210 millions d’euros, pour soutenir directement le financement de l’économie sociale et solidaire dans les territoires. En fin de compte, à l’automne, la convention que j’ai signée portait sur un montant de 300 millions d’euros, soit 90 millions de plus que ce qui était prévu initialement.

Je tiens à le rappeler, car cela répond aussi à la question qui m’a été posée un peu plus tôt sur le financement de ce secteur. Les problématiques sont parfois techniques et complexes. Mais, qu’il s’agisse de la Caisse des dépôts et consignations, des banques privées ou de la Banque de France, je puis vous garantir que les hommes qui sont à leur tête – pour le coup, ce sont des hommes ! – sont attentifs à l’ESS. Ainsi, Éric Lombard, directeur général de la Caisse des dépôts, compte parmi ceux qui ne lésinent pas en matière de financement pour l’économie sociale et solidaire.

À nous d’agir ensemble ! C’est pourquoi, à défaut de rencontres physiques, je mène de nombreuses visioconférences avec les préfets et même les sous-préfets d’arrondissement. J’ai écrit à eux tous, ainsi qu’à l’ensemble des présidents de région et de département. Nous faisons tout ce que nous pouvons pour faire savoir que ces outils existent et mettre en relation France Active, les acteurs du secteur, le DLA, la Caisse des dépôts, les têtes de réseau, ou encore Bpifrance.

Je n’avais pas encore mentionné ce dernier acteur, mais il faut évoquer les prêts d’honneur que Bpifrance octroie, à hauteur de 130 millions d’euros, au sein des 230 millions d’euros qui lui reviennent parmi le 1,3 milliard d’euros du plan de relance consacré à l’ESS. Ces prêts d’honneur solidaires peuvent apporter jusqu’à 8 000 euros d’aide directe à taux zéro ; à l’heure actuelle, un peu plus de 2 000 prêts ont été ainsi octroyés, il reste encore beaucoup de marge.

J’ai donc une seule réponse à vous apporter, monsieur le sénateur : oui, il y a encore beaucoup de travail, et ce n’est qu’ensemble qu’on peut l’accomplir.

M. le président. Il faut conclure, madame la secrétaire d’État.

Mme Olivia Gregoire, secrétaire dÉtat. Je ne suis pas sûre pour autant qu’il faille créer d’autres structures et d’autres tâches. Je dirais plutôt : utilisons ce qui existe déjà ! Ce n’est pas là une fin de non-recevoir, mais plutôt une invitation à utiliser l’existant, notamment les Cress.

M. le président. La parole est à Mme Nadège Havet.

Mme Nadège Havet. Madame la secrétaire d’État, ma question portera sur le guichet UrgencESS ouvert en janvier dernier par le Gouvernement, mais aussi sur la communication qui est faite sur l’existence de ce dispositif et du fonds dédié de 30 millions d’euros qui lui est associé.

En tout, 2,5 millions de salariés travaillent dans ce secteur, soit 14 % des emplois en France. Avec la crise, et malgré une activité soutenue au premier trimestre de 2020, une nette chute a suivi. Entre juin 2019 et juin 2020, 52 500 emplois dans des coopératives, des mutuelles, des associations et des entreprises ont disparu.

Si l’économie sociale et solidaire a joué et joue encore un rôle essentiel dans la crise, il n’en reste pas moins qu’elle en a aussi beaucoup souffert. Selon l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, plus de 11 000 structures, parmi les 220 000 acteurs que compte l’ESS n’apparaissent plus dans les fichiers.

Cette évolution inquiétante est majoritairement due au secteur associatif, qui perd plus de 7 % de ses établissements. Trois secteurs ont été particulièrement affectés : l’art et le spectacle, l’hébergement et la restauration, ainsi que le sport.

Face à cet état de fait, votre secrétariat d’État a mobilisé un fonds d’urgence de 30 millions d’euros pour les structures de l’ESS de moins de 10 salariés qui souffrent du contexte sanitaire. Nous avons soutenu cette réponse nécessaire et importante lors de l’examen du quatrième projet de loi de finances rectificative pour 2020.

L’aide déployée par le mouvement associatif France Active doit permettre aux structures relevant de l’économie sociale et solidaire de poursuivre leur activité pendant la crise, de financer les emplois de leurs salariés et de pallier les difficultés liées à la trésorerie.

L’objectif de soutenir 5 000 structures avant le printemps 2021 sera probablement atteint, puisque vous avez rappelé que 1 600 établissements ont déjà bénéficié de ces fonds en un mois. Dès lors, le nombre de structures soutenues pourra-t-il être revu à la hausse ? Ce guichet unique est-il aujourd’hui bien identifié par celles et ceux à qui il s’adresse en priorité ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Olivia Gregoire, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargée de léconomie sociale, solidaire et responsable. Madame la sénatrice Havet, je souhaite avant tout vous féliciter, brièvement, mais sincèrement, pour la mission qui vous est confiée sur la commande publique. C’est un sujet important pour les structures de l’économie sociale et solidaire, notamment pour que les plus petites structures puissent répondre à cette commande publique et accéder à ces marchés.

Ce sera pour moi un plaisir que de travailler avec vous sur ces sujets autour de l’article 15 du projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique, sur lequel l’Assemblée nationale se penchera, en commission, dès la semaine prochaine.

Il y a toujours de nouveaux détails à apporter quand il s’agit de mieux faire connaître le fonds d’urgence. J’ai déjà essayé de vous répondre sur ce qu’il permettait, mais je veux encore rappeler quelques éléments importants.

Oui, le secteur associatif souffre, comme nous l’a exprimé le Mouvement associatif lors de la visioconférence que le Premier ministre et moi-même avons eue la semaine dernière avec lui, mais aussi l’Union des employeurs de l’économie sociale et solidaire, l’UDES, et d’autres structures associatives pour faire le point.

Oui, nous craignons la disparition de 10 000 associations ; c’est à peu près le nombre de celles qui ont disparu des fichiers depuis le début de la crise.

Cela dit, entre pessimisme d’humeur et optimisme de volonté, je suis résolument optimiste, bien que j’aime Cioran, ce qui pourrait faire l’objet d’un autre débat ! Nous avons vocation à sauver entre 5 000 et 10 000 associations – soyons ambitieux ! – au moyen de ce fonds d’urgence. L’idée est non pas de compenser la disparition d’associations indispensables, mais de promouvoir la création de nouvelles associations et de les soutenir.

Aujourd’hui, nous avons reçu 7 400 demandes, qui émanent pour 60 % d’entre elles de structures n’ayant pas bénéficié du fonds de solidarité. Il est intéressant de constater que l’on vient pallier ce manque d’accès, conformément à notre objectif. Soyons précis : une première attribution de 1 620 primes a été faite, ce qui correspond à une première tranche de 10 millions d’euros. L’objectif de soutien de 5 000 à 10 000 structures doit être atteint autour de la fin du mois d’avril, comme je le mentionnais.

Nous constatons aussi avec intérêt que les associations des secteurs sportif et culturel ont largement fait appel au fonds UrgencESS, qui peut apporter un soutien complémentaire des fonds sectoriels du ministère des sports ou du ministère de la culture – ce dernier avait offert 60 millions d’euros d’aides aux associations.

M. le président. La parole est à M. Michel Canevet.

M. Michel Canevet. Madame la secrétaire d’État, la Bretagne est une terre particulièrement favorable à l’économie sociale, solidaire et responsable, notamment parce que l’on y trouve implantées beaucoup de coopératives, mais aussi de nombreux établissements mutualistes, des fondations et, bien sûr, nombre d’associations qui œuvrent au quotidien pour aider au développement de la région et apporter un certain nombre de services à la population.

En parallèle de ce qui a été fait par le Gouvernement pour apporter à ces structures le coup de main nécessaire dans ces moments difficiles, nous constatons que le niveau d’épargne de la population est relativement important.

Il me semble donc qu’il serait important de pouvoir mobiliser cette épargne populaire, à côté des prêts bancaires classiques, au service d’actions utiles à l’économie sociale, solidaire et responsable, pour permettre le développement des territoires. Quelles mesures le Gouvernement pourrait-il préconiser en la matière ?

Ma seconde question porte sur le rôle que le secteur de l’économie sociale, solidaire et responsable peut jouer en matière d’éducation et de formation des jeunes. On sait qu’un certain nombre de ces derniers restent en difficulté, en marge du système éducatif traditionnel. Il importe de pouvoir leur apporter des réponses ; or il me semble que ce secteur d’activité est plutôt bien adapté à une telle entreprise et que son cadre juridique serait particulièrement approprié.

Que pourrait envisager le Gouvernement pour apporter une réponse aux besoins exprimés par ces jeunes et permettre leur meilleure insertion professionnelle ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Olivia Gregoire, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargée de léconomie sociale, solidaire et responsable. La terre bretonne est bien la première terre d’ESS dans notre beau pays, monsieur le sénateur Canevet. C’est également en Bretagne que j’ai fait mon premier déplacement dans les territoires l’été dernier. On y trouve en effet un écosystème très fort.

À vos deux questions, j’essaierai d’apporter deux réponses très simples. Si vous m’y autorisez, je commencerai par la seconde. Au sein du plan de relance, 1,3 milliard d’euros sont consacrés à l’ESS ; dans cette somme, 600 millions d’euros sont mis en service de l’emploi dans ce secteur, parmi lesquels un peu plus de 200 millions d’euros doivent aller aux parcours emploi compétences, ou PEC.

Environ 40 000 de ces PEC, soit 50 % d’entre eux, sont directement fléchés vers les structures de l’économie sociale et solidaire.

L’objectif est d’embarquer des jeunes dont vous avez à juste titre rappelé l’attirance pour les structures de l’ESS, qui découle de multiples raisons : ces acteurs partagent la valeur et le pouvoir, car leur gouvernance est différente ; en outre, au cœur même du modèle coopératif dont on a parlé, on trouve le principe : « Un homme, une femme, une voix ». Tout cela est au cœur même de ce qui attire notre jeunesse, car cette économie-là fait sens.

C’est pourquoi, aujourd’hui, plus de 200 millions d’euros sont consacrés à la mise en place de parcours emploi compétences permettant d’embarquer nos jeunes dans ce secteur.

Encore faut-il expliquer comment faire. C’est pourquoi un mode d’emploi très basique, élaboré en concertation avec Élisabeth Borne et le ministère du travail, sera très bientôt publié, afin que les structures de l’ESS sachent comment activer un PEC rapidement – ce n’est pas si aisé que cela. Le guide est prêt, il est simple et sera publié très prochainement. Il doit permettre de booster ces 40 000 emplois.

En ce qui concerne l’épargne, j’ai demandé à la Banque de France, qui est mobilisée sur l’ESS, je vous l’ai dit, en lien avec les banques, de conduire des travaux statistiques pour suivre les évolutions de l’arrêté de 2020, qui prévoit que la quote-part minimale égale à 5 % de l’épargne non réglementée soit allouée à l’ESS.

Nous étudierons l’intérêt de porter ce seuil de 5 % à 10 %, en concertation avec le Conseil supérieur de l’économie sociale et solidaire. Ce dossier est sur mon bureau, et nous aurons l’occasion de vous en reparler. En fonction des statistiques qui nous seront transmises, nous prendrons possiblement une décision sur l’orientation de l’épargne vers l’ESS.

M. le président. La parole est à M. Michel Canevet, pour la réplique.

M. Michel Canevet. Je suis satisfait que le Gouvernement se préoccupe de mobiliser l’épargne vers le secteur de l’économie sociale et solidaire. Il faut trouver pour l’insertion des jeunes en situation difficile des solutions extrêmement simples.

J’en profite aussi, madame la secrétaire d’État, pour attirer votre attention sur les difficultés que rencontrent aujourd’hui les centres d’hébergement des classes de mer, non seulement parce qu’ils ont très peu d’activités en ce moment – ils sont aidés à ce titre –, mais surtout parce qu’ils ont peu de perspectives pour l’avenir, leurs carnets de commandes étant quasiment vides. La situation post-covid nous inquiète.

M. le président. La parole est à M. Joël Bigot.

M. Joël Bigot. Je salue l’initiative du groupe GEST, qui nous a proposé le débat qui nous occupe aujourd’hui, lequel est tout à fait d’actualité.

La crise de la Covid-19 a eu de lourds effets sur l’activité du secteur de l’ESS. À titre exemple, selon les chiffres de l’Observatoire de la Cress des Pays de la Loire, près de 800 emplois ont été détruits en Maine-et-Loire et 3 500 dans l’ensemble de la région en un an. L’ESS est un secteur qui reste fragile.

Nous avons évoqué l’ESS à l’échelon national, mais c’est également un sujet européen. L’ESS représente en effet près de 20 millions d’emplois dans l’Union européenne et environ 9 % de la population active du continent.

Les 26 et 27 mai 2021 aura lieu le Sommet européen de l’économie sociale à Mannheim. L’objectif est de définir un plan d’action européen pour l’ESS pour 2021, conformément au souhait de la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, ce plan devant s’intégrer plus largement dans le Green Deal.

Comme vous le savez, le secteur de l’ESS entre aujourd’hui en concurrence avec des acteurs lucratifs qui ne défendent pas les valeurs des acteurs de l’ESS : la démocratie, la lutte contre les inégalités sociales, l’intérêt général et la transformation économique et écologique.

Lors d’une interview au journal Le Monde en novembre 2020, vous avez indiqué, madame la secrétaire d’État, que vous vous battriez pour la reconnaissance du modèle économique de l’ESS et de la spécificité de ce secteur à l’échelon européen. Dont acte, madame la secrétaire d’État !

Aussi, pouvez-vous nous préciser le calendrier des négociations en cours et nous indiquer quelles démarches vous avez d’ores et déjà effectuées à l’échelle européenne pour amplifier la dynamique de l’ESS, sans en dénaturer l’esprit, alors que des décisions sont en gestation ?

Enfin, comment la Commission a-t-elle accueilli vos propositions, s’agissant notamment de la création de nouveaux instruments de financement

La France va prendre la présidence de l’Union européenne en 2022 et se doit d’être au rendez-vous et à la hauteur des enjeux. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Olivia Gregoire, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargée de léconomie sociale, solidaire et responsable. Monsieur le sénateur Bigot, je l’ai écrit en novembre 2020 et je vous le confirme en mars 2021 : la Commission européenne a confié la mission de mettre en œuvre un plan d’action pour l’ESS au commissaire Nicolas Schmit, avec qui j’en ai discuté à plusieurs reprises, notamment le 15 décembre dernier à Bruxelles. Ce plan d’action est en cours d’écriture – un point d’étape sera réalisé à Mannheim au mois de mai –, et il prendra forme définitivement à l’entrée de l’hiver, en octobre ou en novembre 2021.

Dans le cadre de nos échanges européens, nous avons poussé nos idées, notamment nos trois priorités que sont la reconnaissance du statut et des actions portant lucrativité limitée – c’est un sujet important – ; le renforcement de la Banque européenne d’investissement dans le financement de l’économie sociale et solidaire ; enfin, l’accompagnement financier. Ce dernier point est un réel problème à l’échelon européen – comme du reste à l’échelon national, certains d’entre vous l’ont évoqué.

On constate en effet un goulot d’étranglement à l’échelon européen. Nous avons donc demandé que les acteurs de l’ESS bénéficient d’un point d’entrée dédié au sein de la BEI.

Aujourd’hui, les propositions formulées par la France ont fait l’objet d’un « non-papier », que nous avons partagé avec nos homologues européens et qui a été bien accueilli.

Le commissaire Nicolas Schmit porte un intérêt réel aux dispositifs que je déploie, aux social impact bonds, les contrats à impact social. L’Europe a porté les green bonds. Il se pourrait, vous le savez, que l’Europe, mais aussi d’autres pays européens, duplique le modèle de contrat à impact que nous déployons en France. La Belgique, notamment, est assez exemplaire à cet égard.

J’espère que ce modèle sera étendu à l’échelon européen et que l’Europe sera en mesure de financer de tels contrats.

M. le président. La parole est à M. Joël Bigot, pour la réplique.

M. Joël Bigot. Je vous remercie, madame la secrétaire d’État, de ces réponses. L’ESS représente un véritable espoir. Nos territoires le savent bien.

L’ESS peut incarner le monde d’après et l’économie de demain. Il faut que ce modèle soit étendu à l’échelon européen. On espère que la France sera à la hauteur des enjeux.

M. le président. La parole est à Mme Frédérique Puissat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Frédérique Puissat. À mon tour, je remercie nos collègues du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires d’avoir demandé l’inscription à l’ordre du jour de nos travaux de ce débat sur l’économie sociale et solidaire, laquelle nous concerne et nous mobilise tous, au quotidien, en particulier dans cet hémicycle.

À cet égard, je vous rappelle, madame la secrétaire d’État, que nous avons porté ici la loi relative au renforcement de l’inclusion dans l’emploi par l’activité économique et à l’expérimentation « territoire zéro chômeur de longue durée », qui traite entre autres des structures d’insertion par l’activité économique, les SIAE, et des entreprises à but d’emploi, les EBE, qui font partie intégrante de l’économie sociale et solidaire. Je pense que nous avons modestement apporté notre pierre à l’ESS.

Au-delà, le Gouvernement, vous l’avez souligné, madame la secrétaire d’État, grâce aux fonds d’urgence, a permis à ces entreprises de passer un cap dans la crise sanitaire qu’elles traversent aujourd’hui.

Les conseils régionaux jouent aussi un rôle important dans le soutien de l’ESS, qui apparaît souvent comme un acteur essentiel de l’économie de proximité et qui constitue fréquemment une opportunité pour favoriser l’émergence d’activités et renforcer la cohésion territoriale.

Certes, cher Michel Canevet, la région Auvergne-Rhône-Alpes, ou région AURA, n’est pas la Bretagne, mais l’ESS y représente 10 % de l’appareil productif et plus de 300 000 emplois.

Une synergie entre les régions et l’État est donc indispensable si l’on veut notamment incarner une plus grande ambition collective pour l’économie sociale et solidaire.

Madame la secrétaire d’État, je vous poserai deux questions.

Le label French Impact, né d’une initiative gouvernementale en 2018, vise à fédérer les acteurs de l’innovation sociale. Un budget de 1 milliard d’euros leur avait été promis, mais, à ce jour, hormis un site internet et des échanges, il ne s’est pas passé grand-chose.

Par ailleurs, les moyens des chambres régionales de l’ESS sont dix fois moins financés par l’État qu’une chambre de commerce et d’industrie classique, comme l’a souligné notre collègue Benarroche.

Pouvez-vous nous indiquer quelles suites opérationnelles et financières seront données au label French Impact et si vous envisagez de vous appuyer davantage sur les Cress pour pousser et soutenir les acteurs de ce secteur ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Olivia Gregoire, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargée de léconomie sociale, solidaire et responsable. Madame la sénatrice Puissat, je ne puis que louer l’émulation interrégionale entre acteurs de l’ESS ! Il ne tient qu’à la région AURA, qui est très active, de doubler la Bretagne, qui a, il est vrai, une histoire forte dans ce domaine ! (Sourires.) Je ne doute pas que d’autres territoires y parviendront également.

Vous avez évoqué le rôle des conseils régionaux. Lors de mes déplacements chaque semaine, j’ai des échanges avec les Cress et j’en appelle à une hybridation des financements entre l’État et les conseils régionaux.

Alors que les régions contribuent très directement au plan de relance – les fonds régionaux représentent 400 millions d’euros –, on constate malheureusement que le taux de non-recours aux fonds de solidarité régionaux est très élevé. J’essaie de diffuser l’information à cet égard et je ne peux qu’encourager les régions à faire de même le plus possible.

Vous m’interrogez également sur le label French Impact : le milliard d’euros est porté par vingt fonds à impact. J’ai demandé à French Impact de concentrer son action sur le financement des projets portés par les acteurs de l’ESS dans les territoires. Nous avons donc aujourd’hui recentré notre action sur la finance à impact, plutôt que sur d’autres thématiques.

Je pense que, en période de crise notamment, il faut se concentrer, plutôt que de se disperser, et apporter des financements aux porteurs de projets de l’économie sociale et solidaire.

Aujourd’hui, je le redis, le milliard d’euros est porté par vingt fonds à impact. Il ne tient qu’à nous d’amplifier le mouvement au cours des prochains mois. Pour ma part, je crois à la finance à impact et je prendrai une initiative de place au cours des prochains mois à Paris pour démontrer le soutien du Gouvernement.

M. le président. La parole est à M. Rémi Cardon. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Rémi Cardon. Madame la secrétaire d’État, l’ESS peut être au cœur de la transformation de notre économie : elle peut favoriser les transitions vers des modèles plus résilients en matière écologique, économique et sociale, en s’appuyant sur leur potentiel démocratique et de coopération.

Il faut soutenir les entreprises de l’ESS en faveur de la transition sociale et écologique. Il faut soutenir le développement de l’ESS dans un contexte marqué par la crise sanitaire, économique et sociale et formuler des propositions en ce sens. Cela va sans dire, mais cela va mieux en le disant !

Permettez-moi de revenir sur une question qui a déjà été posée lors de l’examen du projet de loi de finances sur la fiscalité applicable à certaines activités de l’ESS.

L’implantation de l’ESS dans le secteur des déchets et de l’économie circulaire a permis ces dernières années d’accélérer les transitions en matière de consommation.

Dans la seule filière textile, les tonnages de déchets collectés ont été multipliés par trois en dix ans et sont passés de 75 000 tonnes en 2008 à 250 000 tonnes en 2019. L’ESS occupe une place importante dans cette filière puisqu’elle gère 36 centres de tri sur les 63 existants. Je pense par exemple aux activités du Relais et d’Emmaüs, etc.

Le réseau Envie, quant à lui, qui compte une soixantaine d’établissements en France, collecte entre 25 % et 30 % des déchets d’équipements électriques et électroniques en France et rénove plus de 120 000 appareils par an.

Madame la secrétaire d’État, pourquoi ne pas mettre en place un dispositif fiscal incitatif pour les activités de réparation, de réemploi et de réutilisation, en abaissant le taux de TVA à 5,5 % pour ces prestations ? Une telle baisse pourrait constituer un important levier de changement en matière de consommation. On estime ainsi aujourd’hui que 1,5 million de vélos seraient détruits par an, principalement en raison du coût que représente leur réparation.

Des taux de TVA réduits, entre 5 % et 8 %, applicables notamment à la réparation de vélos, ont déjà été mis en place dans sept pays de l’Union européenne. Pourquoi ne pas en instaurer en France, madame la secrétaire d’État ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Olivia Gregoire, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargée de léconomie sociale, solidaire et responsable. Monsieur le sénateur Cardon, je vous donne rendez-vous la semaine prochaine, pour l’examen du projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.

Quelque 3 700 amendements ont déjà été déposés sur ce texte. Je pense que nous allons passer la barre des 4 000, ce qui représente beaucoup d’idées. Je ne doute pas que certains d’entre eux viseront à proposer des dispositifs fiscaux, afin de favoriser la réutilisation et le recyclage, après le vote de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire et toutes les mesures que nous avons déjà prises en faveur de ce secteur.

Je ne dresserai pas la liste de toutes les dispositions que j’ai défendues dans le cadre du dernier projet de loi de finances, que ce soit en faveur des ESUS ou de l’ESS. Les dispositifs fiscaux sont nombreux. Ce n’est certainement pas à vous que je vais apprendre que la création d’un nouveau dispositif, même si nous pourrons en discuter dans le cadre du projet de loi Climat et résilience – nous aurons évidemment un débat sur ce sujet ici au Sénat –, relèvera, si elle est possible, du dernier projet de loi de finances de la mandature.

J’ai eu l’occasion de mesurer durant trois ans et demi, ce qui est peu, la complexité fiscale au sein de la commission des finances de l’Assemblée nationale. Je pense que le recyclage et la réparation constituent une véritable économie. Beaucoup de choses ont déjà été faites, mais peut-être faut-il en faire plus ? Nous en débattrons dès la semaine prochaine.

Je ne doute pas que les amendements déposés sur le texte seront intéressants, que ce soit au Sénat ou à l’Assemblée nationale. Je compte sur la créativité des parlementaires. Je ne suis pas inquiète à cet égard !

M. le président. La parole est à Mme Corinne Imbert. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Corinne Imbert. J’évoquerai l’économie sociale et solidaire sous le prisme du logement.

Nous le savons tous, le logement est un élément prépondérant des politiques publiques, tant à l’échelon national qu’à l’échelon local. Transversales par définition, les difficultés en matière d’accès au logement ont des conséquences directes dans les domaines de l’éducation, de l’intégration et de l’insertion professionnelle. L’économie sociale et solidaire a toute sa place dans l’accompagnement dans le logement, que l’on en soit un acteur ou un bénéficiaire.

En France, on dénombre environ 300 000 personnes sans domicile fixe, soit le double par rapport à 2012. Cette triste réalité nous rappelle que, si ce sujet est régulièrement évoqué et pris en compte par les décideurs publics, nous n’avons pas encore trouvé de baguette magique afin d’enrayer ce triste constat.

En 2007, l’association Toit à moi a été créée, afin de venir en aide aux personnes sans domicile fixe. Partant du constat qu’une association est bien plus efficiente si elle est propriétaire des logements qu’elle propose aux plus démunis, cette association a mis en œuvre un principe simple pour lever des fonds, certes modestes, mais tout de même : si cent personnes donnent 20 euros par mois pendant cinq ans, l’association devient propriétaire d’un logement à l’issue de cette période, les donateurs pouvant bénéficier d’une réduction fiscale.

Ainsi, cette association s’est constituée au fil des années un parc immobilier, certes modeste comparé à celui d’un bailleur social, mais qui lui permet de répondre, à son échelle, à la demande de logement des sans-abri d’un territoire. Les personnes restent environ trois ans dans ces logements, avant de retrouver une autonomie durable.

Madame la secrétaire d’État, quelles mesures êtes-vous susceptible de mettre en place afin de développer ce modèle d’accompagnement des personnes sans-abri, en particulier pour les personnes qui souhaiteraient se réinsérer professionnellement dans le domaine de l’économie sociale et solidaire ? Le développement d’une telle association est un véritable projet entrepreneurial.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Olivia Gregoire, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargée de léconomie sociale, solidaire et responsable. Madame la sénatrice Imbert, je connais l’association Toit à moi, qui effectue un travail remarquable. Elle fait d’ailleurs partie des Pionniers French Impact et est soutenue dans le cadre du pass Pionnier, à hauteur de 400 000 euros sur deux ans.

Le Gouvernement soutient très clairement les associations. Je le vois lors de chacun de mes déplacements : l’ESS est une économie souvent très ingénieuse.

Je le redis, le plan France Relance prévoit 100 millions d’euros pour le soutien aux associations engagées dans la lutte contre la pauvreté. Un appel à projets est déployé sur deux ans, à hauteur de 50 millions d’euros par an. Il permettra aux associations d’être financées directement et de mettre en œuvre des actions spécifiques exceptionnelles. Il s’agit d’irriguer un tissu associatif de manière réactive.

Une autre enveloppe de 100 millions d’euros est par ailleurs prévue dans ce même plan pour développer et améliorer les structures d’hébergement et de logement temporaires.

Sur ces 100 millions d’euros, 50 millions d’euros serviront à créer des places d’hébergement supplémentaires et à réaliser des travaux dans les centres d’hébergement ; 30 millions d’euros serviront à expérimenter le rachat d’hôtels destinés à être transformés en résidences sociales, en complément de ce que font déjà des associations remarquables comme Toit à moi.

Il est indispensable que des associations actives et aussi utiles que Toit à moi candidatent à de tels appels à projets, possiblement avec l’aide du dispositif local d’accompagnement, le DLA. Je me bats pour que de telles associations candidatent au plan de relance pour bénéficier des 200 millions d’euros qui leur sont destinés.

M. le président. La parole est à Mme Marta de Cidrac. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Marta de Cidrac. Madame la secrétaire d’État, l’insertion professionnelle des jeunes est l’un des piliers fondateurs de l’économie sociale et solidaire. Cette importance a été reconnue dans le cadre du plan de relance puisque la moitié des sommes engagées pour le secteur sont dédiées à l’insertion.

Un tel effort est important, mais nécessaire, quand on sait combien l’ESS est une manière concrète de faire vivre l’égalité des chances. Cette branche permet en effet aux jeunes de faire leurs preuves dans un cadre adapté.

Dans le seul département des Yvelines, on dénombre plus de 40 structures d’insertion par l’activité économique, représentant 900 salariés. Bien d’autres structures de l’ESS mettent en œuvre des démarches de lutte contre l’exclusion. Cependant, elles se révèlent bien souvent fragiles du fait de leur modèle économique. La question de leur pérennité économique se pose pour la grande majorité des projets, à juste titre, car peu de structures tendent malheureusement vers cet horizon.

Si les entreprises et les associations de l’ESS reconnaissent l’effort fait par le Gouvernement, elles pointent aussi un manque de cohérence globale et quelques trous dans la raquette.

Deux points sont régulièrement mentionnés : d’une part, le besoin d’attirer les jeunes plus qualifiés afin de bénéficier de leurs compétences ; d’autre part, les difficultés de trésorerie au-delà de la période de crise actuelle, pour lesquelles il faut trouver des solutions pérennes. Il convient donc de répondre aux difficultés structurelles de l’ESS tout en poursuivant la dynamique pour l’insertion des jeunes, des plus éloignés de l’emploi.

Madame la secrétaire d’État, comment comptez-vous accentuer le lien entre les structures de l’ASS et les services de l’emploi – je pense particulièrement aux missions locales, entre autres – et renforcer les structures de l’ESS pour accroître l’insertion des jeunes ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Olivia Gregoire, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargée de léconomie sociale, solidaire et responsable. Je vous remercie de votre question, madame la sénatrice. En réalité, c’est une question gigogne, qui en contient plusieurs. J’y répondrai rapidement, en commençant par évoquer les missions locales.

Les missions locales qui œuvrent pour l’accompagnement de nos jeunes aujourd’hui bénéficient de 190 millions d’euros au sein du plan de relance. Il est bien normal qu’on les soutienne dans la période que nous traversons.

Vous soulevez ensuite deux points concernant l’emploi : le premier concerne nos jeunes, le second, au-delà de la période de crise actuelle, les difficultés de trésorerie.

On me critique souvent dans les territoires, et à raison – ce fut le cas à Marseille –, au motif que j’emploie de nombreux sigles et acronymes utilisés dans le secteur de l’IAE, ou insertion par l’activité économique, « IAE » étant lui-même un sigle.

J’entends le manque de cohérence globale que vous évoquez, mais ce que je trouve intéressant dans l’IAE, c’est qu’elle porte en elle à la fois le volet relatif à l’insertion, qui dépend du département, et le volet relatif à l’activité économique, qui repose sur la région.

Quand on est un acteur de l’ESS, en général une association ou une coopérative au service des autres, on ne sait pas forcément vers qui se tourner – le département, la région ou l’État. Un travail de fond sur cette complexité doit être effectué, mais il est difficile de le faire dans l’urgence. C’est un sujet important.

Vous évoquez le besoin d’attirer les jeunes plus qualifiés vers l’ESS. Hugues Vidor, le président de l’UDES, l’Union des employeurs de l’économie sociale et solidaire, porte avec force cette thématique. Nous sommes convenus que l’urgence est d’utiliser les 40 000 parcours emploi compétences qui sont d’ores et déjà prévus dans le plan de relance. Je suis disposée à favoriser l’emploi de jeunes plus qualifiés dans l’ESS, mais utilisons d’abord les moyens prévus dans le plan de relance avant d’envisager d’autres dispositifs.

J’ai dépassé le temps de parole qui m’est allouée ; j’en suis désolée, madame la sénatrice. Je répondrai par écrit à votre dernière question.

M. le président. La parole est à Mme Marta de Cidrac, pour la réplique.

Mme Marta de Cidrac. Je vous remercie de votre tentative de réponse, madame la secrétaire d’État.

Ma question était pourtant très simple : j’aurais aimé que vous nous disiez de quelle façon conjuguer économie sociale et solidaire et insertion et emploi des jeunes.

M. le président. La parole est à M. Gilbert Favreau.

M. Gilbert Favreau. Madame la secrétaire d’État, une chose paraît acquise, c’est que l’économie sociale et solidaire a le vent en poupe, comme en témoignent tous les chiffres qui ont été cités : peu d’entreprises ou de secteurs d’activité peuvent se vanter d’avoir connu une telle progression au cours des années passées.

Aujourd’hui, l’ESS représente 14 % de l’emploi du secteur privé, soit 2,4 millions de salariés. Le domaine social est particulièrement actif, quelque 41 % des emplois de ce secteur relevant de l’économie sociale et solidaire.

Pour ma part, j’évoquerai l’économie sociale et solidaire sous l’angle de l’éducation, pour plagier ma collègue Corinne Imbert, qui l’a évoquée, elle, sous l’angle du logement.

Actuellement, l’Éducation nationale semble faire de l’ESS davantage un objet de découverte qu’un élément de programme. Ainsi, du 22 au 27 mars prochain sera organisée en France la semaine de l’économie sociale et solidaire à l’école. Différentes ressources seront mises à la disposition des enseignants et des lycéens, comme un dossier pédagogique et des fiches pratiques.

Cette présentation de l’ESS s’inscrit plus dans une logique d’initiation que dans une logique d’enseignement, notamment au travers du parcours d’avenir, qui permet aux élèves, de la sixième à la terminale, de construire progressivement, et tout au long de leurs études secondaires, une véritable compétence à s’orienter.

À un moment où la préoccupation majeure de la France est l’accès de ces jeunes au travail, ne serait-il pas préférable d’inscrire l’économie sociale et solidaire dans le programme des élèves de la seconde à la terminale, pour en faire un enseignement de base, de nature à renforcer leur insertion dans la vie professionnelle et à susciter des vocations ?

J’ai lu voilà quelques jours l’article 2 du projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, qui devrait peut-être nous inspirer. Il prévoit en effet que « l’éducation à l’environnement et au développement durable » prépare les élèves « à l’exercice de leurs responsabilités de citoyen ». Peut-être pourrait-on faire la même chose pour l’économie sociale et solidaire ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Olivia Gregoire, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargée de léconomie sociale, solidaire et responsable. Monsieur le sénateur Favreau, l’un n’est pas exclusif de l’autre. Je pense que l’on peut tout à fait éveiller les élèves dans les petites classes et faire de l’ESS un élément d’enseignement, voire de formation, de la troisième à la terminale, en vue du post-bac. Des délégués du développement durable existent déjà dans les classes au collège. Je dirai donc : les deux, mon général, si vous m’autorisez cette expression.

Je ne pense pas qu’il faille mettre fin à l’initiation de la sixième à la troisième, qui est très utile, car elle permet de développer les pratiques du quotidien et d’éveiller l’esprit de nos plus jeunes, de leur faire comprendre peu à peu que l’ESS est un écosystème d’avenir, source d’emplois et de création d’entreprises.

Les deux approches sont complémentaires et participent à la fois de l’éducation au développement durable et de la pratique d’une économie. Elles permettent une formation écoresponsable.

Je peux vous dire une chose : nous accordons un grand intérêt à la semaine de l’ESS à l’école et c’est une initiative que je soutiens. Je crois qu’il est important de faire contribuer les plus jeunes à un projet collectif : le coopératif est au cœur de l’économie sociale et solidaire. Nous avons tout à gagner à les faire bénéficier d’un tel apprentissage le plus tôt possible.

Je pense donc que nous pouvons faire les deux. Peut-être faut-il renforcer l’enseignement de l’ESS au lycée, mais il me semble aussi très utile d’avoir une sensibilisation et une éducation à l’économie sociale et solidaire et au développement durable dès la sixième.

M. le président. La parole est à M. François Bonhomme.

M. François Bonhomme. Madame la secrétaire d’État, j’évoquerai les problèmes rencontrés par les ressourceries et les recycleries.

Comme vous le savez, un certain nombre de ces structures de l’économie sociale et solidaire intervenant dans le secteur du réemploi et de la réutilisation connaissent ou vont connaître des difficultés financières importantes. Elles disposent bien souvent d’une trésorerie insuffisante ou de fonds propres trop faibles pour affronter les conséquences de la pandémie de la covid-19.

Or ces structures participent à la préservation des ressources et à la réduction des déchets tout en présentant des atouts socioéconomiques. Elles contribuent évidemment au recyclage et à l’économie circulaire, mais créent également du lien social ainsi qu’une dynamique positive dans un certain nombre de territoires. Elles favorisent la création d’emplois, souvent au bénéfice de personnes en réinsertion professionnelle ou en situation de précarité. Elles aident des familles ayant peu de moyens à s’équiper en offrant une seconde vie aux produits. Leur approche transversale permet donc une conjugaison à mon sens bienvenue des différentes politiques publiques : prévention des déchets, développement économique et social…

Les collectivités jouent un rôle important dans le développement des projets de recycleries.

Ainsi que cela a été souligné, le ministère de la transition écologique et l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) ont proposé au mois de septembre dernier un plan qualifié d’« exceptionnel » pour apporter un soutien de 10 millions d’euros et éviter des arrêts d’activité.

Or si ce plan s’adresse opportunément aux petites structures de l’économie sociale et solidaire de moins de trois salariés, il semble en revanche exclure les ressourceries et recycleries qui emploient en moyenne vingt et une personnes. Quels sont précisément les critères d’éligibilité en vigueur ?

Madame la secrétaire d’État, pourriez-vous rassurer les acteurs du secteur, qui œuvrent au quotidien, mais semblent parfois rencontrer des difficultés ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Olivia Gregoire, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargée de léconomie sociale, solidaire et responsable. Monsieur le sénateur, je vous remercie de soulever cette question. Le fonds pour le réemploi solidaire est un dossier que je suis depuis l’été dernier.

Vous le savez, la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, dite loi AGEC, a prévu la mise en place de nouveaux fonds par les éco-organismes à des filières à responsabilité élargie des producteurs. Les filières qui produisent des produits électriques ou électroniques, des meubles ou des articles de bricolage ou de jardinage devront y participer à hauteur de 5 % de leur écocontribution. Cela devrait représenter une enveloppe de 30 millions d’euros à destination des recycleries, ressourceries et autres structures de l’ESS.

Le décret du 27 novembre 2020 qui met en œuvre ces dispositions de la loi AGEC prévoit une attribution des financements sur la base de procédures ouvertes à toute personne éligible qui en formule la demande et l’allocation d’au moins 50 % des ressources du fonds aux personnes disposant de l’agrément Entreprise solidaire d’utilité sociale (ESUS).

Je le souligne, ce taux est un minimum et les critères d’attribution pour tout projet doivent se conformer à un principe de proximité : la fixation d’une distance maximale entre le lieu de dépôt du produit et celui de la réalisation des opérations garantissant que ces aides bénéficient aux petites entreprises locales, même hors ESS.

J’entends la crainte des différents acteurs associatifs, parfois relayée – c’était encore le cas à l’instant – par des parlementaires : les fonds pourraient finir par profiter à des entreprises industrielles méconnaissant les objectifs de retour à l’emploi et de limitation du gaspillage des ressources qui sont au cœur de l’article 62 de la loi AGEC. Je poursuis actuellement les discussions avec le ministère de la transition écologique pour définir comment nous assurer au mieux du fléchage nécessaire.

S’il faut envisager une clause de revoyure, nous l’envisagerons. Simplement, aujourd’hui, le fonds pour le réemploi solidaire, c’est 50 % pour les ESUS et 50 % pour les autres acteurs. Nous avons simplifié le dispositif en faisant un guichet unique, car le fonctionnement par appel à projets est souvent compliqué, notamment pour les acteurs de l’ESS.

Nous ferons le point avec Barbara Pompili dans quelques mois. Je ne manquerai alors pas de vous tenir informés.

Conclusion du débat

M. le président. En conclusion du débat, la parole est à M. Guy Benarroche, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER.)

M. Guy Benarroche, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. Mes chers collègues, je vous remercie d’avoir participé à ce débat. J’ai particulièrement apprécié la richesse de vos interventions, ce qui m’amène à poser cette question : l’ESS est-elle un facteur important de transformation de notre modèle économique et social ? En effet, au-delà du consensus qui existe entre nous sur un certain nombre de points, l’ESS doit être considérée comme un modèle économique de remplacement. C’est, me semble-t-il, le sujet central.

Les réponses ou les absences de réponses ciblées aux besoins des entreprises de l’ESS dans un certain nombre de pays européens libéraux – cela ne concerne pas uniquement la France – montrent la faible compréhension de l’ESS par les administrations publiques centrales.

Comment faire de l’ESS un levier majeur, peut-être la clé de voûte de la relance économique, en tout cas d’une certaine relance économique, celle du « monde d’après », dans une logique de résilience, d’innovation et de coopération ?

L’ESS promeut la citoyenneté active, la démocratie participative et la pluralité des systèmes économiques, qui sont essentielles pour toucher les groupes les plus vulnérables et les plus marginalisés ; nous en avons eu plusieurs illustrations au cours du débat. Il est nécessaire que ces valeurs fondamentales demeurent présentes et actives au sein de toutes les entreprises de l’ESS.

Le principe de la lucrativité limitée, c’est-à-dire la mise au service des hommes et du développement de projets des excédents, donc des bénéfices dégagés, la rémunération limitée ou nulle du capital et l’encadrement de l’échelle des salaires, avec en particulier un ratio entre les salaires les plus hauts et les salaires plus bas, caractérisent aussi l’ESS et ses entreprises ; ne l’oublions pas. C’est un autre modèle économique qui est proposé.

Des études récentes, notamment celles de Social Economy Europ (SEE) et de United Nations Inter-Agency Task Force on Social and Solidarity Economy (UNTFSSE), soulignent l’importance de s’inspirer des principes et pratiques de l’ESS pour reconstruire un monde durable, afin de créer ce nouveau paradigme économique appuyé sur les logiques de l’économie circulaire, de la sécurité alimentaire, de l’échange de bonnes pratiques, du développement économique local, de l’innovation sociale et du bien commun.

L’ESS, c’est vert, c’est durable et c’est humain ! La plupart des entreprises de l’ESS s’appuient sur leurs membres, sont ancrées dans leur communauté, où elles jouent un rôle essentiel dans le développement économique et la gouvernance locale.

Ainsi, dans le cadre de la relance, l’ESS peut favoriser la création d’emplois décents, mais aussi un développement plus centré sur les personnes à l’échelon local. Les entreprises de l’économie sociale et solidaire visent plutôt à fournir des biens et des services à leurs membres et aux communautés dont elles sont proches. Elles sont souvent dirigées ou détenues par ces communautés, donc enclines à relever à la fois les défis du changement climatique et de la réduction de la pauvreté.

Le Gouvernement devrait inclure les ESS dans la conception et la mise en œuvre des mesures d’intervention et de reconstruction. Il est nécessaire de saisir les occasions de passer à des économies plurielles qui incluent et promeuvent des modèles d’entreprises alternatifs orientés vers la personne et la planète. Les politiques publiques visant à créer et renforcer des écosystèmes pour l’ESS sont décisives pour pouvoir mettre en place un programme de développement transformateur de notre modèle économique et social, donc de notre société.

Pour mes camarades des associations et des coopératives – je pense notamment à ceux de Scop-TI, à Gémenos, qui ont repris l’usine de thé Fralib Unilever à la suite du conflit social –, je reviendrai sur deux ou trois mesures importantes.

Ainsi que Mme Puissat l’a évoqué, les chambres régionales de l’économie sociale et solidaire (Cress) et ESS France sont aujourd’hui, me semble-t-il, demandeuses d’un véritable financement et veulent avoir un rôle comparable à celui des chambres de commerce et d’industrie. Leurs représentants m’en ont parlé. Je pense que c’est un sujet important. Afin de pouvoir jouer le rôle dont vous avez parlé, madame la secrétaire d’État, les structures concernées ont besoin de moyens, et pas seulement de moyens financiers. Pour l’instant, elles ne les ont pas, ou pas suffisamment.

Enfin, peut-être faudrait-il s’interroger sur le flou juridique qui entoure la possibilité pour les collectivités territoriales d’acquérir des titres associatifs. C’est un problème pour elles comme pour les associations. Ouvrir cette possibilité permettrait sans doute de résoudre un certain nombre de difficultés de financement.

L’« ESSisation », barbarisme utilisé par un certain nombre de mutuelles, est une nécessité pour une économie durable et performante ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Situation et devenir de l’économie sociale et solidaire. »

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Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mercredi 3 mars 2021 :

À quinze heures :

Questions d’actualité au Gouvernement.

À seize heures trente :

Débat sur l’accord de commerce et de coopération entre le Royaume-Uni et l’Union européenne ;

Débat sur les conclusions du rapport « Mobilités dans les espaces peu denses à l’horizon 2040 : un défi à relever dès aujourd’hui ».

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt-trois heures quarante.)

Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,

le Chef de publication

ÉTIENNE BOULENGER