Mme la présidente. La parole est à M. Claude Kern. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Claude Kern. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le 17 mars 2021 a marqué le triste anniversaire du début du premier confinement en France. La crise sanitaire que nous vivons a permis à l’Europe de montrer qu’elle était capable d’apporter une réponse forte et coordonnée sur plusieurs sujets, par exemple le plan de relance voté par le Parlement européen le 11 février dernier. Ce dernier permettra de réinjecter 672,5 milliards d’euros dans l’économie européenne.

Si cet effort de coordination doit être salué, force est de constater que nous ne retrouvons pas cette même coordination dans la vaccination des populations des différents pays de l’Union européenne.

La Commission européenne a autorisé la mise sur le marché conditionnelle de quatre vaccins, permettant aux États membres d’entamer leurs campagnes de vaccination dès le 27 décembre. Celles-ci ont été ralenties par les problèmes de production rencontrés par les laboratoires.

Au 15 mars, 7,8 % de la population française avait reçu au moins une première injection de vaccin, une proportion inférieure à la moyenne observée dans l’Union européenne, qui était alors de 8,2 %.

La progression de la vaccination sur le territoire de l’Union européenne semble bien plus lente qu’au Royaume-Uni, aux États-Unis ou encore en Israël, ce qui nous conduit à nous interroger sur la stratégie vaccinale européenne.

Malgré les problèmes d’approvisionnement, la Commission européenne tente de coordonner la distribution des doses et les campagnes de vaccination dans l’ensemble des États membres. Elle a ainsi garanti l’égal accès des Vingt-Sept aux doses de vaccin. C’est un objectif important, que nous saluons, mais, au vu des importants flux de population qui traversent l’espace européen, nos pays sont particulièrement interdépendants. En d’autres termes, parvenir à l’immunité collective en France sans l’atteindre en Espagne n’aurait que peu d’utilité.

Or, pour l’instant, la proportion des personnes vaccinées au sein des populations des États membres varie de un à quatre. En témoigne la carte actualisée par le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies, qui permet de suivre l’évolution des campagnes de vaccination de chaque pays. Comment expliquer ces différences avec nos voisins ?

Cet engagement montre ses limites, à en croire notre ministre de la santé, Olivier Véran. Alors que Paris avait annoncé qu’il disposerait de 1 million de doses du vaccin au 31 décembre, ce dernier a affirmé, le 5 janvier, que la Commission européenne avait décidé de plafonner les livraisons par pays à 520 000 doses par semaine afin de faciliter la logistique et d’assurer un traitement équitable entre tous les pays.

Les premières livraisons de doses du vaccin de Moderna, à hauteur de 500 000 par semaine en ce qui concerne la France, devaient permettre de dissiper les craintes quant à une potentielle pénurie. Il n’en a rien été.

Conséquence de ce manque de doses, l’Allemagne, pays traditionnellement partisan d’une approche coordonnée au niveau européen, a signé des contrats bilatéraux avec Pfizer-BioNTech, Moderna et CureVac, a-t-on appris par voie de presse. Si Berlin a rappelé que ces contrats avaient été signés après les négociations au niveau européen, permettez-nous de nous étonner de cette démarche.

En parallèle, le Danemark et l’Autriche ont lancé un projet de production de vaccin de deuxième génération avec Israël, tandis que la Pologne se tourne pour sa part vers le vaccin chinois Sinopharm et la Slovaquie vers Spoutnik V. Autant d’initiatives bilatérales qui témoignent des inquiétudes des États membres face aux lenteurs de la stratégie vaccinale européenne.

Le manque de coordination entre nos pays ne semble pas se limiter à la stratégie vaccinale. Comme ma collègue Véronique Guillotin, je pense au cas des travailleurs transfrontaliers de la Moselle. Ainsi, 16 000 travailleurs doivent, depuis le 2 mars, pratiquer un test antigénique toutes les quarante-huit heures pour être autorisés à entrer dans le Land de la Sarre.

Étant donné le niveau de contrainte que cela représente pour nos concitoyens concernés, ces décisions sont d’autant moins comprises que nos voisins allemands sont, eux, autorisés à venir faire leurs courses dans un rayon de 30 kilomètres et sans test. Comment expliquer ces mesures à deux vitesses ?

M. Bruno Sido. Ce n’est pas normal !

M. Claude Kern. Sur une note un peu plus optimiste, je souhaiterais évoquer le projet de règlement de la Commission européenne, publié le 17 mars dernier, concernant l’émission d’un passeport digital vert permettant, notamment, la reprise du trafic des voyageurs entre les pays européens.

Pouvez-vous nous préciser, monsieur le secrétaire d’État, les arbitrages arrêtés quant à l’utilisation d’un tel certificat ? Faudra-t-il être vacciné pour pouvoir se déplacer librement au sein de l’Union européenne ou un simple test négatif enregistré dans ce certificat pourra-t-il suffire ? Qu’en est-il des ressortissants européens vivant en dehors de l’Union ? Pourront-ils se faire vacciner avec un vaccin autre que ceux qui sont autorisés par l’Union européenne et circuler dans nos vingt-sept pays ?

Enfin, seront abordées mercredi les relations entre l’Union européenne et la Turquie.

Les dirigeants des institutions européennes se sont entretenus vendredi dernier avec le président Erdogan, plaidant pour un apaisement des relations entre l’Union européenne et son pays. La Turquie a pourtant acté, samedi, son retrait de la convention d’Istanbul sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, et ce quelques heures après la tenue, par la commission permanente de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, d’un débat déplorant les attaques majeures des autorités turques contre les droits de l’homme et la démocratie.

La première victime de cette politique populiste et réactionnaire sera de nouveau le peuple turc. Comment interpréter ce signe inquiétant ? Quelles seront les réactions de nos dirigeants européens face à cette décision ?

Telles sont les quelques questions que je souhaitais vous poser, monsieur le secrétaire d’État. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Florence Blatrix Contat. Le prochain Conseil européen, au-delà de la stratégie vaccinale, traitera particulièrement des grandes priorités pour le marché unique, des grands axes de la politique industrielle et de la transformation numérique. J’aimerais, monsieur le secrétaire d’État, vous faire part de quelques remarques et vous poser des questions sur ces points de l’agenda.

La pandémie de covid-19 impacte profondément l’Union européenne et nous incite à préciser ses priorités, dans la fidélité à ses valeurs fondamentales de démocratie et de solidarité.

On dit souvent que nos concitoyens tendent à prendre leurs distances avec le projet européen. En réalité, ils souhaitent de l’efficacité. Ils nous demandent surtout d’axer les politiques européennes dans les domaines qui leur semblent les plus pertinents, qui leur apparaissent les plus structurants. Comme hier pour la sidérurgie, le charbon ou l’énergie, il nous faut aujourd’hui déterminer les secteurs d’activité qui assureront, demain, à nos concitoyens et à leurs enfants emplois et revenus décents. Pour cela, ils réclament des engagements clairs, lisibles et démocratiquement débattus.

Une Déclaration commune du Parlement européen, du Conseil de l’Union européenne et de la Commission européenne a officiellement lancé, le 10 mars 2021, la Conférence sur l’avenir de l’Europe. Comme assemblée parlementaire, comme groupes politiques, nous y prendrons toute notre part.

Nous devons conduire une stratégie industrielle offensive pour l’Union européenne En la matière, nous n’oublions pas que, pour l’heure, l’Union ne dispose, selon les traités, que de compétences limitées, « de soutien et de coordination » essentiellement. Néanmoins, dans ce contexte étroit, l’Union est parvenue à faire beaucoup ces dernières années. Ainsi, le plan Juncker a été un moment clé pour la prise de conscience de la nécessité de développer une stratégie économique et industrielle ambitieuse. Cela a été poursuivi par la présidente von der Leyen.

La Communication de la Commission européenne du 10 mars 2020 intitulée « Une nouvelle stratégie industrielle pour l’Europe » a été une autre étape cohérente. Les cinq grands axes alors définis demeurent très largement valides dans la période. Néanmoins, le contexte que nous connaissons avec la crise sanitaire nous incite à les adapter sans doute plus rapidement et fortement.

L’accord du 10 novembre 2020 entre les institutions européennes sur le budget à long terme de l’Union et sur le plan de relance donne des moyens nouveaux. Cependant, avec la crise qui s’installe dans la durée, ne devrait-on pas envisager avec pragmatisme un renforcement ?

Ce qui nous semble essentiel, monsieur le secrétaire d’État, c’est l’affirmation de l’autonomie stratégique de l’Europe dans le domaine industriel. De ce point de vue, nous souhaitons pouvoir disposer du document d’actualisation de la stratégie industrielle pour l’Europe, qui devait être publié depuis plusieurs semaines déjà.

Par ailleurs, au-delà des retards dans sa campagne vaccinale, la France, berceau historique de la recherche médicale en Europe et dans le monde, a reçu un terrible camouflet en se révélant incapable de produire un vaccin. Comment le Gouvernement et les pouvoirs publics entendent-ils aujourd’hui redresser cette situation et faire de nos laboratoires, de nouveau, des leaders européens ?

En France, lorsque l’on évoque une réussite industrielle emblématique de l’Europe, on se tourne souvent vers le secteur aéronautique et la réussite d’Airbus face à ceux que l’on appelait, à l’époque, les « géants » américains.

On réduit cette réussite aux vingt ou vingt-cinq dernières années et à l’accord capitalistique ayant donné naissance à EADS puis au groupe Airbus. Or il y a eu en amont, avec le concours d’industriels, mais aussi de responsables administratifs et politiques de différents pays, tout un travail de développement de projets communs, de petites et grandes coopérations. C’est cette dynamique vertueuse qu’il s’agit de recréer pour de nouveaux secteurs qui, demain, permettront à l’Union européenne de compter et de s’imposer face aux géants mondiaux.

Le développement méthodique d’écosystèmes industriels, grâce à la coopération entre grandes entreprises, PME innovantes, à la recherche et à une main-d’œuvre qualifiée, est une des clés de la réussite de demain. C’est particulièrement évident pour des secteurs d’activité récents, comme la transition énergétique ou numérique. Sur ce point, nous souhaiterions des éclaircissements sur vos orientations.

Catherine Morin-Desailly a évoqué l’indispensable action française pour l’industrie du numérique, qui sera décisive pour notre avenir. J’ai travaillé avec elle, au sein de cette assemblée, sur les propositions législatives européennes relatives aux marchés et services numériques. Nous avons finalisé un travail sur la désinformation en ligne et les atteintes aux processus électoraux, et nous prolongerons ces travaux au cours des mois prochains.

Je salue la publication par la Commission européenne, voilà quelques jours, de son plan d’action « Boussole numérique 2030 ». La crise sanitaire met en évidence une accélération des besoins dans le domaine du numérique. C’est une opportunité qu’il convient de saisir pour en faire un pilier de la relance européenne et un axe de l’autonomie stratégique européenne dans le futur.

Pour cela, l’Union européenne doit améliorer fortement sa capacité d’acheminement, de stockage et de traitement des données, pour la recherche comme pour les entreprises, afin de ne pas avoir à les traiter hors d’Europe, comme l’a souligné ma collègue.

Les besoins en investissements publics et privés, notamment en France, sont considérables, en particulier dans la réalisation d’infrastructures. Il convient d’augmenter la connectivité partout, de produire davantage de composants et de semi-conducteurs en Europe, de développer les technologies quantiques : autant de défis stimulants pour nos chercheurs, nos entreprises, nos travailleurs, français et européens.

Monsieur le secrétaire d’État, comment porterez-vous ces enjeux de souveraineté numérique, fondamentaux d’un point de vue tant économique que démocratique ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Cyril Pellevat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Cyril Pellevat. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le Conseil européen se réunira donc ces deux prochains jours. Une fois n’est pas coutume, son ordre du jour n’est pas des plus chargés, mais il se penchera tout de même sur des sujets d’importance pour l’Union européenne, comme la lutte contre la covid-19, et plus spécifiquement le déploiement des vaccins, mais aussi les relations avec la Turquie et la Russie, ou encore le marché unique et la transformation numérique. C’est sur ce dernier point que je souhaite m’attarder, et notamment sur la « boussole numérique » que la Commission a récemment présentée, et qui sera examinée par les chefs d’État et de gouvernement.

Cette boussole vient fixer des objectifs en matière de numérique pour l’Union européenne à l’horizon 2030. J’ai plusieurs fois plaidé pour que l’Union ait des ambitions plus grandes en la matière. Je ne peux donc que me réjouir de ces orientations et de cette planification en amont, qui permettra de compléter la stratégie de l’Union européenne en matière de nouvelles technologies. La politique actuelle reste en effet largement insuffisante face aux mastodontes que sont la Chine et les États-Unis. L’Europe est toujours fortement dépendante de ces pays, malgré ses efforts.

À ce sujet, la Commission européenne a très justement indiqué que l’Union devait renforcer l’investissement dans le numérique. Elle prévoit un objectif de 20 % de dépenses dans ce domaine, par le biais de la facilité pour la reprise et la résilience, et ce en complément du budget européen déjà dédié à ce secteur.

Ces financements devraient alors permettre une véritable transformation digitale et un plus grand développement en Europe des nouvelles technologies, telles que les voitures connectées, les intelligences artificielles ou encore les supercalculateurs. Concernant ces derniers, le Sénat avait adopté une résolution, que nous avions déposée avec mes collègues André Gattolin, Claude Kern et Pierre Ouzoulias. Celle-ci rappelait l’importance stratégique du calcul à haute performance et encourageait les efforts faits par l’Union européenne en ce sens.

Néanmoins, si l’Europe veut devenir un véritable leader en matière de calcul à haute performance, il est nécessaire que des progrès soient faits pour asseoir la souveraineté de l’Union sur toute la chaîne de valeur scientifique et industrielle. Implanter des supercalculateurs en Europe est une bonne chose, mais cela ne suffira pas si ceux-ci sont fabriqués par des entreprises étrangères.

À ce jour, une grande partie des appels d’offres lancés en Europe pour de tels équipements sont remportés par des entreprises américaines et chinoises, faute d’une compétitivité suffisante des entreprises européennes. Utiliser des pièces étrangères pose pourtant des problèmes de sécurité, car cela rend difficile la détection de logiciels espions qui pourraient être implantés par les pays tiers fabriquant ces pièces. Il est donc extrêmement important que l’Union européenne ait une vision ambitieuse et qu’elle s’impose sur toute la chaîne de valeur.

Monsieur le secrétaire d’État, quels leviers seront-ils mobilisés pour atteindre ces objectifs ?

En outre, la question des intelligences artificielles sera abordée. La boussole numérique devrait également permettre d’investir plus massivement dans ce secteur d’avenir. L’Europe accuse pour le moment du retard, et il est important qu’elle s’attache à le rattraper si elle ne souhaite pas devenir dépendante de l’Amérique du Nord et de la Chine, comme elle l’est aujourd’hui en matière de numérique.

L’Union européenne a déjà mis en place de nombreux mécanismes pour investir dans l’intelligence artificielle, mais cela ne suffit pas. Le Conseil européen avait d’ailleurs invité la Commission, en octobre, à se pencher sur les moyens d’accroître les investissements publics et privés dans la recherche, l’innovation et le déploiement des intelligences artificielles.

Le Sénat avait, quant à lui, dès 2019, invité l’Union à faire de l’intelligence artificielle un projet important d’intérêt européen commun (PIIEC), par le biais d’une résolution européenne. Pourtant, cette recommandation n’a pas été suivie d’effet, la mise en place d’un tel projet n’ayant été reprise ni dans le Livre blanc de la Commission sur l’intelligence artificielle ni dans la boussole numérique.

Faire de l’intelligence artificielle un PIIEC serait pourtant l’un des moyens de renforcer les investissements dans ce domaine, les règles relatives à la concurrence au sein de l’Union empêchant de faire émerger des champions européens dans des domaines stratégiques.

Les PIIEC sont l’une des seules façons de contourner ces règles et de permettre aux États d’aider certaines entreprises en menant une véritable politique industrielle. L’intelligence artificielle remplit la totalité des critères fixés pour en bénéficier, et des garanties sont prévues pour maintenir les exigences de transparence et éviter de trop grandes distorsions de concurrence. Alors, pourquoi refuser de mobiliser ce mécanisme, alors même qu’il est l’outil idéal pour aller dans le sens des orientations fixées par la Commission ?

Il ne suffit pas de conclure qu’il faut investir davantage, si les moyens dont l’Europe dispose pour ce faire ne sont pas mis en œuvre… Aussi, monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous indiquer si la France compte soutenir la mise en place d’un PIIEC pour l’intelligence artificielle ? Savez-vous pourquoi la Commission n’a pas prévu de le proposer pour l’instant ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. André Gattolin applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marta de Cidrac. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Marta de Cidrac. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le Conseil européen de jeudi et vendredi prochains traitera pour partie de la transition numérique de l’Union européenne. Outre la fiscalité du secteur, les chefs d’État et de gouvernement aborderont plus globalement la stratégie européenne en matière de numérique à l’horizon 2030.

Cette stratégie, la boussole numérique de la décennie pour l’Union européenne, a été récemment présentée par la Commission et se décompose en quatre axes : transformation numérique des entreprises ; numérisation des services publics ; compétences ; infrastructures numériques sûres et durables.

L’actualité devrait me pousser à évoquer la sûreté des infrastructures numériques, après l’incendie de l’entreprise OVH à Strasbourg, qui renforce nos interrogations sur les centres de données européens et leur sécurité. Alors que les Gafam pénètrent l’Europe avec une force concurrentielle immense depuis plusieurs années, l’une des seules entreprises françaises et européennes du marché risque d’éprouver des difficultés à la suite de cet incident, ce qui doit pousser l’Union européenne à accélérer le mouvement sur ce sujet d’importance.

Néanmoins, je souhaite plutôt m’attarder ce soir sur les effets du numérique sur le climat et l’environnement.

L’empreinte environnementale du secteur est une source de préoccupations pour les années à venir. Le numérique représente, au niveau mondial, plus de 2 % des émissions de gaz à effet de serre, soit autant que l’ensemble du trafic aérien. Sans action particulière, il pourrait représenter 14 % des émissions mondiales d’ici à 2040. L’enjeu est donc bel et bien devant nous si nous souhaitons atteindre l’objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050.

La Commission européenne, dans sa Communication pour façonner l’avenir numérique de l’Europe, s’est saisie de ce défi. Deux grandes mesures sont développées dans ce document.

En premier lieu sont préconisés l’adoption de mesures en matière d’efficacité énergétique et d’économie circulaire pour les réseaux et les équipements, ainsi qu’un travail sur les marchés publics durables. L’écoconception des appareils et leur cycle de vie sont d’ailleurs évoqués dans le plan d’action pour l’économie circulaire présenté récemment, et qui nécessitera des ajustements législatifs.

Ces questions touchant à la vie quotidienne des Européens, il faut que ces propositions se concrétisent dans les années à venir. L’engagement des États membres sur cette question est crucial.

En second lieu, la Commission européenne prône des mesures d’efficacité énergétique pour les centres de données, avec un objectif de neutralité sur le plan climatique d’ici à 2030.

Les centres de données sont par ailleurs de véritables leviers de flexibilité énergétique, puisqu’ils permettent de stocker l’électricité des installations d’énergies renouvelables intermittentes. De telles solutions sont déjà développées dans plusieurs pays européens, dont le Royaume-Uni, l’Irlande ou la Suède. Ce sont principalement des initiatives issues des échelons locaux. Il est donc important que les collectivités territoriales soient associées à cette initiative européenne.

Le Sénat s’est saisi du sujet de l’empreinte environnementale du numérique, d’abord à travers une mission d’information conduite par mes collègues Patrick Chaize, Guillaume Chevrollier et Jean-Michel Houllegatte, puis avec une proposition de loi, adoptée à la quasi-unanimité de notre assemblée. L’objectif de ce travail parlementaire était bel et bien d’aller au-delà de la feuille de route présentée par le Gouvernement.

Comme le préconise le Haut Conseil pour le climat, le Sénat s’est intéressé à l’ensemble de la chaîne de valeur du secteur afin de traiter l’enjeu de manière globale. Infrastructures, terminaux, usages, réseaux : les mesures à envisager sont nombreuses, mais ce travail de mes collègues soulignait aussi l’importance de les articuler à l’action européenne.

Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières est un premier levier pour intégrer les émissions pour la production et l’importation des terminaux dans le prix d’achat. Cette mesure rendra de facto les appareils issus du reconditionnement et de la réparation beaucoup plus attractifs qu’actuellement. La question des usages vidéo doit également se régler à l’échelle européenne, puisqu’elle nécessite une discussion avec les géants du numérique.

Transitions écologique et numérique doivent être menées de front à l’échelle européenne.

Monsieur le secrétaire d’État, quelle position la France portera-t-elle sur la réduction de l’empreinte environnementale du numérique ? Quelles mesures l’Union européenne pourrait-elle adopter sur cette question ?

Cette réflexion est d’autant plus importante à l’aune de la pandémie que nous subissons depuis maintenant plus d’un an. Celle-ci a en effet conduit le numérique à prendre une place encore plus importante dans nos vies quotidiennes, et notamment nos vies professionnelles avec le développement du télétravail.

La seule porte de sortie identifiée de cette pandémie à l’heure actuelle est la vaccination. Les commandes de vaccins ont été opérées à l’échelle européenne, mais – l’ensemble des dirigeants européens s’accordent à le dire –, l’approvisionnement en vaccins du continent doit s’accélérer.

Il est donc impératif que l’ensemble des commandes soient assurées par les laboratoires et que le rythme de vaccination augmente significativement. La reprise de l’ensemble des activités en dépend, notamment en France.

Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous assurer que cette montée en puissance sera effective aux échelons européen et français ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Pascale Gruny. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Pascale Gruny. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les dirigeants de l’Union européenne se retrouvent jeudi et vendredi à Bruxelles pour discuter, entre autres sujets, de la riposte à la pandémie de covid-19 et dresser un nouveau bilan de la stratégie vaccinale européenne.

Cette stratégie repose sur deux piliers : la solidarité et l’équité. On ne peut que s’en réjouir, car, compte tenu de l’interdépendance des économies européennes, il est indispensable que les Vingt-Sept puissent avoir accès au vaccin au même moment et aux mêmes conditions de prix.

L’accord conclu entre les États membres et la Commission en juin 2020 répartit clairement les rôles de chacun : à la Commission de négocier avec les entreprises pharmaceutiques pour l’achat anticipé de vaccins ; aux États membres de commander, acquérir et régler les doses de vaccin auprès des producteurs, selon leurs demandes et leur responsabilité.

La politique de vaccination reste donc bien de la compétence des États membres. C’est ce qui explique, d’ailleurs, le retard pris par la France sur ses voisins en matière de vaccination.

En privilégiant le vaccin AstraZeneca, moins cher que ses concurrents, notre pays subit les retards de production et de livraison de l’entreprise pharmaceutique, qui ne pourra fournir que 70 millions de doses sur les 300 millions prévues d’ici au mois de juin.

Au-delà de nos problèmes franco-français, nous aurons, le moment venu, à tirer les conséquences de cette gestion de la crise sanitaire par l’Union européenne.

Les statistiques de vaccination restent peu flatteuses en Europe lorsqu’on les compare au reste du monde : 9 % de primo-vaccinés contre 33 % au Royaume-Uni et même 55 % en Israël. Et que dire des start-up biotech ou des géants pharmaceutiques, qui n’ont pas eu l’écoute nécessaire au sein de l’Union européenne ?

La pénurie de masques, de composants et de matières premières pour les vaccins rend également indispensable une réindustrialisation de l’Europe dans ces secteurs stratégiques. Se posera aussi la question de la juste répartition des compétences entre États membres et Union européenne en matière de santé.

Si les Français réclament une plus grande coordination sanitaire au niveau européen, les traités excluent toute idée d’harmonisation afin de tenir compte des spécificités de chaque État membre. Le Sénat l’a rappelé à la Commission dans une résolution pour non-respect du principe de subsidiarité. Les États membres doivent pouvoir garder la main sur leur politique de santé.

Le Conseil européen doit également se pencher sur la question de la taxation du numérique. Les négociations internationales sur le sujet reprennent sous des auspices plus favorables avec l’élection de Joe Biden. Cela retarde la proposition législative qu’est censée faire la Commission sur le sujet d’ici au 1er juin. Pouvez-vous nous garantir, monsieur le secrétaire d’État, que le calendrier prévu sera respecté ?

Je voudrais enfin mentionner la nouvelle réforme de la PAC, en voie d’adoption, laquelle ne correspondra manifestement pas aux demandes du Sénat exprimées dans les quatre résolutions européennes que nous avons adoptées depuis 2017. Nos principales sources d’inquiétudes portent sur sa mise en œuvre, qui va aboutir à une renationalisation, autrement dit à un remplacement d’une politique commune par vingt-sept politiques agricoles nationales, sur fond de distorsions de concurrence supplémentaires et de dumping social et environnemental.

Nous avons également des réserves sur la stratégie biodiversité de la Commission européenne, qui prévoit, à l’horizon 2030, soit dans neuf ans seulement, de renoncer à 10 % de la surface agricole utile européenne, tout en diminuant de 50 % l’utilisation des pesticides et en quadruplant les terres converties au bio.

Nous sommes tous d’accord pour verdir les activités agricoles, et les agriculteurs y ont pris toute leur part en faisant beaucoup d’efforts depuis déjà quarante ans. Mais il faut pouvoir disposer de produits de substitution efficaces et assurer un revenu décent à nos agriculteurs.

Espérons que le Conseil et la Commission sauront reprendre les apports positifs du Parlement européen pour la nouvelle PAC.

L’enjeu est crucial, car l’Europe est aujourd’hui à la croisée des chemins. Les États-Unis ont récemment tablé sur une diminution de 12 % de la production agricole européenne à l’horizon 2030. Si ces prédictions se révélaient exactes, c’est que nous aurions collectivement accepté de renoncer à notre ADN : nourrir le reste du monde et assurer la souveraineté alimentaire de notre continent. Nous comptons sur vous, monsieur le secrétaire d’État ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)