compte rendu intégral

Présidence de M. Pierre Laurent

vice-président

Secrétaires :

M. Joël Guerriau,

Mme Marie Mercier.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

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Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 15 avril 2021 a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

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Décès d’anciens sénateurs

M. le président. Mes chers collègues, j’ai le regret de vous faire part du décès de nos anciens collègues Henri Goetschy, qui fut sénateur du Haut-Rhin de 1977 à 1995, et Marc Bécam, qui fut sénateur du Finistère de 1980 à 1986.

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Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, relative à l'avenir du régime de garantie des salaires
Discussion générale (suite)

Avenir du régime de garantie des salaires

Adoption d’une proposition de résolution

M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Les Républicains, l’examen de la proposition de résolution, en application de l’article 34-1 de la Constitution, relative à l’avenir du régime de garantie des salaires, présentée par M. Bruno Retailleau et plusieurs de ses collègues (proposition n° 463).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Serge Babary, auteur de la proposition de résolution.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, relative à l'avenir du régime de garantie des salaires
Discussion générale (fin)

M. Serge Babary, auteur de la proposition de résolution. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en demandant l’inscription à l’ordre du jour de la proposition de résolution relative à l’avenir du régime de garantie des salaires, dit AGS (Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés), le groupe Les Républicains a souhaité tirer une sonnette d’alarme. Cette initiative, conjointe avec nos collègues Les Républicains de l’Assemblée nationale, se veut constructive, dans un contexte économique et social qui ne permet pas de faux pas et exige de clarifier le débat public.

Avant même d’entrer dans le détail de ce sujet, je souhaiterais que nous fassions l’effort collectif de toujours nous interroger sur la motivation et l’opportunité de toute modification de la loi. L’instabilité législative que nous portons potentiellement, à chaque texte, est-elle justifiée par l’intérêt général ?

Dans le cas qui nous intéresse, est-il opportun de porter une réforme susceptible de déstabiliser un élément fondateur de la protection des salariés et des entreprises ? Alors que nous sommes « face au mur des faillites », pour reprendre l’expression d’une étude récemment publiée, comment justifier de risquer de remettre en cause la pérennité de l’AGS ? Pourquoi prendre un tel risque, alors que la destruction de 750 000 emplois est évoquée et que les projections sont pessimistes ? Le cabinet Euler Hermes prévoit une hausse de 32 % des défaillances d’entreprise en 2021, tandis que Coface estime que 22 000 entreprises ont survécu uniquement grâce aux aides et devraient mettre la clé sous la porte d’ici à 2022.

Dès lors, pourquoi cette réforme du droit des sûretés ? Le Parlement avait effectivement autorisé le Gouvernement à y recourir dans la loi Pacte, relative à la croissance et la transformation des entreprises, du 29 mai 2019, à la faveur d’une transposition simultanée de la directive Restructuration et insolvabilité.

Ne se contentant pas de limiter le texte aux ajustements nécessaires pour clarifier le droit et le coordonner aux évolutions européennes, le Gouvernement a ainsi voulu proposer un nouvel agencement de l’article L. 643-8 du code de commerce, débouchant sur ce que de nombreux commentateurs ont qualifié de « rétrogradation » de la créance superprivilégiée de l’AGS.

Je rappelle que les procédures collectives font en effet intervenir plusieurs acteurs, sous l’autorité du tribunal de commerce. Outre l’entreprise, il s’agit des administrateurs et mandataires judiciaires, des autres praticiens de la procédure et des créanciers de l’entreprise, qu’ils soient publics ou privés. L’actuel régime de garantie des salaires, créé en 1973 à l’initiative des employeurs qui le financent, est le principal créancier institutionnel privé.

L’AGS assure, en vertu de la loi, l’avance des créances salariales, à savoir les salaires antérieurs à l’ouverture de la procédure, mais aussi les indemnités de licenciement, de préavis ou de congés payés.

L’AGS engage ensuite, dans le cadre de la procédure collective, un processus de récupération des sommes avancées, avec un superprivilège prévu par la loi.

Le régime de garantie des salaires en France est un élément essentiel de notre droit des entreprises en difficulté, avec un objectif en termes d’emplois. C’est une spécificité française dont nous devons nous féliciter et qu’il nous faut impérativement sauvegarder.

L’AGS est un véritable « amortisseur social », qui permet de préserver l’emploi et de maintenir la viabilité économique des entreprises en difficulté, mais aussi, plus largement, de soutenir le rebond de l’activité économique française.

Pour résumer le nouvel ordre proposé par le projet d’ordonnance pour les créances, la récupération des salaires et indemnités passerait notamment après les « frais de bon déroulement de la procédure », dont les rémunérations des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires (AJMJ), et les frais d’experts, par exemple les cabinets d’avocat.

Pourtant, depuis plus de vingt ans, ces frais sont critiqués pour leur niveau parfois excessif, leur manque de transparence et de contrôle. En effet, les abus de certains, dans quelques procédures, ne cessent de jeter l’opprobre sur l’ensemble de ces professionnels. L’absence de contrôle laisse régulièrement la place libre à des situations maintes fois dénoncées, depuis Arnaud Montebourg en 2001 jusqu’à Richard Ferrand plus récemment, ou encore l’Autorité de la concurrence.

Dans un contexte de crise économique sans précédent, comment pourrions-nous ne pas être choqués par un tel projet d’ordonnance, d’autant que la réforme proposée par la Chancellerie, en rétrogradant la place des créances de l’AGS, remettrait en cause sa pérennité économique ? Les projections de récupération des créances ainsi déclassées situent la perte à 300 millions ou 400 millions d’euros par an.

Par conséquent, seules deux options seraient alors possibles. La première serait de réduire le périmètre de prise en charge par l’AGS, en amputant les sommes perçues ou en excluant certaines dépenses. La seconde serait de relever substantiellement le taux de cotisation des entreprises en le triplant. Aucune de ces hypothèses ne nous paraît acceptable dans cette période de crise, où de très nombreuses entreprises, notamment les TPE et PME, luttent pour survivre.

Tous les sénateurs qui se sont exprimés sur ce projet de réforme au sein de la délégation sénatoriale aux entreprises, que je préside, se sont dits choqués, quel que soit leur groupe politique. La consternation était donc politiquement unanime.

Je me tourne donc vers vous, madame la ministre, et reviens à mes questions introductives. Pourquoi vouloir prendre le risque d’un tel bouleversement en pleine crise économique ? Où est l’intérêt général dans cette démarche ?

Vous avez fort heureusement confié une mission à René Ricol, qui a su réintroduire du bon sens et évoquer des chantiers pour l’avenir. La « sagesse » sénatoriale salue celle de M. Ricol, qui demande le maintien à droit constant du privilège dont bénéficie aujourd’hui l’AGS. Il est urgent de ne rien changer pour garantir la pérennité de notre système, l’un des plus protecteurs de l’emploi en Europe. Les réformes non imposées par la transposition de la directive doivent être appréhendées dans le cadre d’un projet de loi, et non subrepticement par le biais d’une ordonnance. Le Sénat sera heureux de s’y associer, en prenant notamment en compte les travaux de nos collègues de la commission des lois sur les outils juridiques de prévention et de traitement des difficultés des entreprises, qui seront présentés le 19 mai prochain.

Comme le souligne M. Ricol, et ainsi que nous l’avions fait dans notre proposition de résolution, il est essentiel aujourd’hui d’élargir le débat à d’autres sujets, alors que tout le monde s’attend à des défaillances d’entreprise en cascade.

Ainsi, pourquoi ne pas envisager un rôle élargi de l’AGS dans les mesures de reclassement des salariés ou dans les procédures de prévention ? Pourquoi ne pas prévoir son intervention auprès des groupements d’employeurs – ces derniers servent aujourd’hui d’amortisseur social pour leurs membres en difficulté, mais ils ont rarement la solidité financière pour assumer ce rôle en cas de difficultés à la chaîne ? Et pourquoi ne pas faire intervenir l’AGS pour garantir les sommes dues aux travailleurs indépendants, trop souvent exclus des mesures visant à soutenir l’emploi ?

D’autres sujets nous semblent également prioritaires compte tenu de la situation de crise que traversent nos entreprises, notamment les TPE et PME. Pourquoi ne pas créer une fois pour toutes les conditions de la transparence et d’un contrôle raisonnable des frais de l’ensemble des professionnels intervenant dans les procédures collectives ? N’est-il pas urgent de définir un cadre permettant de faire évoluer les pratiques ?

Enfin, compte tenu des délais observés pour mener à bien certaines procédures collectives, pourquoi ne pas prévoir des formules simplifiées et accélérées, comme notre délégation aux entreprises le préconisait déjà, il y a trois ans, dans un rapport de notre collègue Olivier Cadic sur la liberté d’entreprendre ?

Madame la ministre, le groupe Les Républicains espère que vous pourrez, bien en amont de la ratification de ladite ordonnance, nous rassurer sur les suites qui seront données au rapport de René Ricol. Le Parlement ne veut plus découvrir à la dernière minute des textes dont la technicité et la complexité des situations le privent d’un vote éclairé. Les enjeux sont trop importants pour que nous puissions nous en accommoder.

Mes chers collègues, compte tenu de la gravité de la situation économique et sociale, je vous demande de voter en faveur de la proposition de résolution n° 463 relative à l’avenir du régime de garantie des salaires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Michel Canevet applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot.

Mme Colette Mélot. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le texte dont nous débattons à présent concerne l’avenir d’un mécanisme éprouvé et essentiel pour le monde économique : le régime de garantie des salaires. Nous avons la chance de disposer en France d’un système parmi les plus protecteurs en Europe, permettant de garantir le versement des salaires lorsqu’une entreprise placée en procédure collective n’est plus en mesure de le faire.

L’Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés est approvisionnée par un double financement : les cotisations patronales, d’une part ; les créances prises sur les entreprises, d’autre part. Ce dernier financement, représentant 36 % de ses ressources en 2019, est possible grâce au superprivilège dont bénéficie l’AGS, qui lui permet de figurer au troisième rang dans l’ordre des créanciers.

Cette pratique est actuellement remise en question du fait d’un conflit ouvert entre le régime de garantie des salaires et les administrateurs et mandataires judiciaires. Jusqu’à présent, l’AGS s’engageait à restituer sur demande les fonds nécessaires à la couverture des frais de justice et de procédure. À la suite d’abus constatés, l’AGS refuse désormais de payer ces avances.

Le projet de réforme préparé par le ministère de la justice prévoit de transposer la directive européenne Restructuration et insolvabilité, adoptée le 20 juin 2019.

Elle introduirait des classes de créanciers et conduirait à rétrograder le rang de l’AGS dans l’ordre des créanciers à la sixième position, au profit des administrateurs et mandataires judiciaires qui en ont fait la demande. Cette réforme, si elle était adoptée en l’état, fragiliserait le financement de la garantie des salaires et conduirait à une hausse du taux des cotisations patronales ou à une réduction de la prise en charge des salaires.

Ce déséquilibre financier à venir est d’autant plus dommageable qu’il intervient en pleine crise sanitaire, laquelle entraîne non seulement une diminution de 9 % des comptes de l’AGS, du fait des mesures de chômage partiel, mais fragilise aussi l’ensemble du monde économique.

Le mois de mars dernier a été marqué par une explosion du nombre de liquidations directes d’entreprises en cessation de paiements, avec une hausse de 155 % des défaillances. Les mesures de soutien du Gouvernement ont permis de retarder les défaillances en 2020, des milliers d’entreprises étant placées sous perfusion.

L’allongement des délais de déclaration des cessations de paiement a également contribué à décaler dans le temps les procédures judiciaires. Les effets de la pandémie sur les économies vont se répercuter à long terme. La BCE anticipe une vague d’insolvabilités et préconise de cibler les aides publiques sur les entreprises viables, susceptibles de survivre sans le soutien des États. Avec la fin des aides et le retour à la normale de l’activité économique, la France pourrait comptabiliser 22 000 entreprises non viables.

Aussi est-il plus que jamais indispensable de conserver le système de garantie AGS, institué par la loi du 27 décembre 1973. Cette procédure joue depuis des années un rôle d’amortisseur social et contribue au financement des entreprises en faillite.

Le récent rapport sur le sujet remis par René Ricol au Gouvernement va dans le sens d’une préservation de la priorité du paiement des salaires sur le financement des honoraires des administrateurs et mandataires judiciaires. L’AGS garantit chaque année le versement de leur salaire à plus de 150 000 salariés. L’avant-projet de réforme dégraderait directement la situation financière des salariés concernés par des faillites. C’est la raison pour laquelle nous considérons qu’il doit évoluer afin de préserver le superprivilège des salariés en cas de liquidation judiciaire.

Le groupe Les Indépendants votera donc la présente proposition de résolution.

M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.

Mme Raymonde Poncet Monge. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de résolution de notre collègue prolonge le rapport de René Ricol remis au Premier ministre à la suite des premières réactions sur le projet d’ordonnance du ministère de la justice visant à transposer la directive européenne Restructuration et insolvabilité, sur fond de dégradation des relations entre les administrateurs et mandataires judiciaires et l’AGS.

Le rapport Ricol confirme qu’une mesure de ce projet, largement contestée par les organisations syndicales des salariés et du patronat, rétrograderait l’AGS derrière les frais de justice en cas de liquidation judiciaire. Le projet d’ordonnance ne se ferait dès lors plus à droit constant, avec des créances salariales superprivilégiées, puis le paiement des frais de justice postérieurs au jugement d’ouverture.

Rien n’oblige pourtant le projet de transposition à modifier l’ordre des créanciers privilégiés, la directive européenne ne comprenant pas d’objectif d’harmonisation en la matière.

La présente proposition de résolution vise, au contraire, à maintenir l’état actuel du droit. Le groupe écologiste soutient cette position, soucieux de défendre un outil efficace de protection de salariés déjà éprouvés lors des procédures collectives.

Toute rétrogradation du rang de la créance de superprivilège des salariés, comme dans une moindre mesure de celle de privilège, entraînera une plus faible récupération des avances consenties par l’AGS.

Logiquement, plus des trois quarts des récupérations au profit de l’AGS ont aujourd’hui pour origine des avances faites au titre d’une créance superprivilégiée. Les autres avances qu’elle consent sont bien plus faiblement récupérées, ce qui explique un taux de couverture final de 37 % seulement en moyenne.

Or, à cotisation patronale inchangée, nul ne peut ignorer que la baisse prévisible du taux de couverture des avances par les récupérations déséquilibrera le régime.

Dès lors, les deux autres paramètres de l’équation financière risquent à terme d’être revus, notamment le niveau et la nature des créances garanties aux salariés, pour les aligner sur des standards européens moins protecteurs. Les plafonds de garantie de toutes les catégories salariales, y compris les techniciens, ingénieurs et cadres, pourraient ainsi être abaissés, et certaines créances salariales autres que les salaires, comme les congés payés ou les dommages et intérêts, pourraient être exclues, comme en Allemagne.

Le taux de cotisation patronale des entreprises, qui avait augmenté en 2009, par deux fois, jusqu’à 0,40 % de la masse salariale, et qui s’établit depuis 2017 à 0,15 % de celle-ci, pourrait aussi être requis pour rétablir l’équilibre, ce qui inquiète l’organisation patronale.

Le taux de couverture des avances de créances salariales par les recettes de cotisations patronales a en effet nettement baissé depuis 2017. Ajouté aux récupérations, il assure à peine l’équilibre du régime. La modification de l’ordre des créances ferait ainsi définitivement basculer le régime dans le déséquilibre financier.

Notons enfin l’effet de ciseaux du contexte économique. Au-delà du taux, les cotisations des entreprises sont procycliques : elles suivent à la baisse le contexte de crise. Dans le même temps, les défaillances d’entreprises – le chiffre prévisionnel de 22 000 a été avancé – entraîneront une dynamique de hausse des avances consenties, dès le retrait des mesures de soutien du Gouvernement. L’OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques) estime à 180 000 les emplois qui devraient disparaître en 2021 ; il s’agit d’une prévision basse, certains évoquant un véritable tsunami social.

La trésorerie du régime sera touchée, ce qui rendra difficile le maintien de la réactivité de paiement aux mandataires, et donc aux salariés, caractéristique du régime français.

Dans ces conditions, la crise sociale actuelle et à venir ne saurait être aggravée par l’affaiblissement du rôle d’amortisseur social de l’AGS au sein de notre protection sociale.

Le maintien des créances salariales au troisième rang du superprivilège dans l’ordre des créanciers ne nous apparaît donc pas négociable.

Au-delà, il conviendra, compte tenu de l’existence de contentieux persistants entre l’AGS, d’un côté, les administrateurs et mandataires judiciaires, de l’autre, de poursuivre le travail de clarification et d’œuvrer à plus de transparence, de maîtrise et de contrôle des frais de justice.

Tous les acteurs des procédures collectives se disent néanmoins attachés à la pérennité de notre système de garantie. Nous devons donc parvenir à transposer la directive à droit constant pour les salariés.

C’est pourquoi, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe écologiste votera la proposition de résolution.

M. le président. La parole est à M. Martin Lévrier.

M. Martin Lévrier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le texte déposé par M. le président Bruno Retailleau et plusieurs membres du groupe Les Républicains témoigne de la préoccupation que les parlementaires peuvent avoir pour les entreprises et salariés de notre pays.

En effet, ce projet d’ordonnance pourrait mettre en péril le paiement des salariés dont les entreprises seraient en situation de faillite. Vous n’êtes pas les seuls à avoir pointé cette limite, mes chers collègues. Dans un climat à haut risque de faillite, votre préoccupation est parfaitement justifiée.

Il est d’abord important de souligner que la transposition de la directive européenne est permise par la loi Pacte, qui a été approuvée dans cet hémicycle, plus précisément par ses articles 60 et 196.

Il me semble ensuite essentiel de mettre en lumière le travail de concertation, pour s’assurer que toutes les parties prenantes participent à la rédaction des ordonnances, notamment au vu des répercussions que celles-ci pourront avoir.

L’AGS, en 2019, c’est 1,5 milliard d’euros avancés, 182 000 salariés bénéficiaires, la quasi-totalité des avances versées dans un délai de cinq jours et un régime de protection des créances des salariés qui ne coûte pas un centime au contribuable.

Cela a été rappelé, l’efficacité de ce système de garantie des salaires tient pour partie au superprivilège dont jouit l’AGS. Celle-ci apparaît comme prioritaire dans l’ordre des créanciers d’une entreprise en procédure collective, bien que cet ordre ne soit pas explicitement établi. C’est d’ailleurs l’intégration d’un ordre explicite qui est à la source de la difficulté, car les pratiques existantes ne sont pas clairement définies par un cadre réglementé.

Une telle déstabilisation du régime de garantie des salaires pourrait conduire à l’ébranlement de l’équilibre financier de l’AGS, et donc avoir des répercussions sur son rôle envers les salariés d’entreprises en faillite.

Pour autant, notons que les paiements à l’échéance des frais judiciaires précèdent déjà les récupérations au profit de l’AGS. Rappelons également que notre système repose sur un équilibre entre l’amortisseur social que représente la garantie des salaires, d’une part, et le rôle crucial des administrateurs et mandataires judiciaires, d’autre part. M. Ricol l’exprime clairement dans son rapport : « [Si] la protection des créances salariales constitue un enjeu majeur dans le dispositif français, l’efficacité des procédures collectives doit aussi être un objectif essentiel. » Cet équilibre, nécessaire, doit être protégé.

Oui, la rétrogradation à un rang inférieur dans l’ordre des créanciers pourrait avoir comme effet de réduire mécaniquement les remboursements de créances que l’AGS parvient à récupérer.

Aussi, le Premier ministre a confié à René Ricol une mission sur l’articulation entre le régime de garantie des salaires et le rôle des administrateurs et mandataires judiciaires dans le cadre des procédures collectives. Le rapport, rendu le 15 avril dernier, traite tout particulièrement de l’implication pour l’AGS de la transposition de la directive européenne et présente des recommandations pour améliorer l’avant-projet d’ordonnance.

Il souligne la réalité de ce déclassement, mais aussi la nécessité de le relativiser. La réalité est plus complexe, et les modalités actuelles de fixation de l’ordre des créanciers le sont tout autant.

Il est donc nécessaire de s’appuyer sur les conclusions du rapport Ricol, qui suggère un compromis consistant à écouter les craintes des partenaires sociaux tout en permettant une transposition adéquate de la directive. Ce projet d’ordonnance permettra de clarifier les interprétations aujourd’hui divergentes du droit sur l’articulation entre les frais de justice et les remboursements de l’AGS, au bénéfice d’une meilleure lisibilité pour toutes les parties prenantes.

L’essence même d’un avant-projet est de consulter toutes les parties prenantes et de prendre en considération leurs avis, si divergents soient-ils. Ces éléments d’appréciation sont nécessaires.

Pour autant, je comprends votre souhait de soumettre aujourd’hui ce texte à notre vote, mes chers collègues. Les résolutions constituent sans nul doute l’une des voies d’affirmation du Parlement, en permettant une expression distincte de la réponse législative. Votre initiative parlementaire et le débat que nous avons aujourd’hui concourront sans nul doute à l’amélioration de l’avant-projet : soyez-en sincèrement remerciés.

Mes chers collègues, le communiqué de presse du Gouvernement démontre la volonté de retravailler cet avant-projet en tenant compte du rapport Ricol, qu’il s’agisse de réécrire les ordonnances ou d’engager des travaux sur des pistes de réforme à plus ou moins long terme. Selon le Premier ministre, « l’AGS est un élément essentiel de l’organisation des procédures françaises, auquel le Gouvernement est très attaché ».

Le rôle essentiel de notre système de garantie des salaires étant ainsi réaffirmé, les deux éléments centraux de la présente proposition de résolution nous apparaissent donc satisfaits.

Notons enfin que les multiples politiques publiques mises en œuvre par le Gouvernement visent à éviter les faillites d’entreprises, en soutenant celles-ci face à la crise sanitaire. La prolongation du fonds de solidarité mis en place pour aider les entreprises particulièrement touchées par les conséquences de l’épidémie de covid-19 et par les mesures de confinement jusqu’au 30 juin 2021 en est un exemple.

Mes chers collègues, vous l’aurez compris, le groupe RDPI votera contre cette proposition de résolution.

M. le président. La parole est à M. Fabien Gay.

M. Fabien Gay. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’AGS, dont nous discutons aujourd’hui, est une structure qui, bien qu’imparfaite dans sa gestion, est fondamentale pour les salariés et les entreprises. Pourtant, elle est aujourd’hui menacée par une réforme à laquelle s’opposent des organisations syndicales et patronales.

Je remercie sincèrement nos collègues Bruno Retailleau et Serge Babary, ainsi que l’ensemble du groupe Les Républicains, de nous donner l’occasion d’affirmer ici la nécessité de préserver cette association essentielle.

Créée en 1973, l’Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés, dite AGS, garantit le versement de leurs salaires aux employés d’une entreprise en liquidation judiciaire, si celle-ci ne peut les prendre en charge.

Rien qu’en 2019, 1,5 milliard d’euros ont été avancés à 182 000 salariés et la quasi-totalité des avances a été versée dans un délai de cinq jours.

En ces temps de crise sanitaire, sociale et économique, dont les effets se feront sentir de manière durable, l’utilité de ce régime et son caractère fondamental ne peuvent être remis en cause.

L’AGS a été créée pour protéger les salariés, non pour payer les frais de justice : il est donc important de lui conserver son but initial, d’autant que, dans cette crise comme dans toutes les autres, les salariés se trouvent en première ligne. En outre, on ne compte plus les licenciements survenus au cours des derniers mois.

Mais surtout, c’est un second coup dur pour le monde salarial, car à la casse programmée du modèle de l’AGS s’ajoute, madame la ministre, votre réforme inique de l’assurance chômage, qui se concrétise notamment par la baisse des indemnités pour plus d’un million de personnes – l’Unédic l’a encore rappelé hier.

Quel est donc votre but, madame la ministre du travail ? Si vous vouliez souffler sur les braises de la colère sociale, vous ne vous y prendriez pas autrement.

L’AGS est financée par des cotisations patronales et une créance qu’elle prend sur l’entreprise en liquidation ; elle est ensuite remboursée en priorité, ce qui représente environ 25 % de ses ressources. Elle ne coûte donc rien à l’État – il est important de le rappeler.

Il est vrai que l’AGS n’est pas parfaite et que sa gestion mérite d’être discutée et débattue. Ce n’est pas un organisme paritaire, puisqu’elle est entièrement administrée par les organisations patronales. Débattons-en ! L’Unédic elle-même, qui en est responsable financièrement, n’a pas de droit de regard sur elle. Discutons-en ! Il est nécessaire de remédier à ces failles, qui sont certaines.

Mais au lieu d’ouvrir un débat sur sa transparence ou sa gestion, vous voulez en changer le but initial et ce n’est pas tout à fait la même chose !

Ce projet de réforme est issu de l’habilitation à légiférer par ordonnance contenue dans la loi Pacte, discutée au Parlement en 2019. Les organisations patronales et de salariés y sont unanimement et fermement opposées, ce qui vaut, en soi, qu’on s’y arrête.

Ce projet, nous dit-on, ne serait que la transposition de la directive européenne sur la restructuration et l’insolvabilité du 20 juin 2019. C’est là confondre, selon nous, transposition et surenchère, car rien dans cette directive ne concerne l’ordre de priorité des créanciers. Or c’est précisément cet ordre que votre gouvernement se propose de modifier.

L’AGS est aujourd’hui prioritaire, et c’est ce qui lui permet de reconstituer sa trésorerie. Cette réforme la verrait passer du troisième au sixième rang des créanciers. Le privilège actuel des salariés se verrait ainsi rétrogradé au profit des frais de justice, donc des administrateurs judiciaires et des banques.

Même si, dans une deuxième mouture, vous proposez de ne pas toucher au rang de l’AGS, vous remontez quand même les frais de justice au deuxième rang, donc avant celui de l’AGS, ce qui revient exactement au même !

S’il existe une difficulté pour payer les frais de justice des administrateurs et des mandataires – là aussi, vous en conviendrez, il faudrait davantage de transparence –, créons un fonds de garantie pour les payer, plutôt que de déstabiliser tout le système.

Les salariés se trouvent une nouvelle fois précarisés et encore davantage soumis aux aléas du marché et à la gestion de leur entreprise, dont ils ne sont aucunement responsables. Ils doivent en être préservés.

Avec cette réforme, le Gouvernement opérerait une transformation sérieuse, aux conséquences potentiellement majeures, puisqu’elle porterait atteinte aux fonds propres de l’association, alors que la hausse des dépôts de bilan attendue pour l’automne, avec la fin annoncée des aides publiques, nous enjoint de défendre clairement le superprivilège de l’AGS. Cela pourrait également conduire à une augmentation des cotisations pour les entreprises dans un contexte déjà difficile – elles pourraient être multipliées par trois.

Pour conclure, je veux rappeler que l’AGS est déjà affaiblie par l’ordonnance du 20 mai 2020, qui permet de racheter sa propre entreprise en liquidation, l’AGS et Pôle emploi se voyant ainsi contraints de liquider le passif de l’entreprise, y compris pour des groupes comme Mulliez.

Cette proposition de résolution s’inscrit dans la continuité de l’opposition des organisations syndicales et patronales. Le groupe CRCE la votera donc avec grand plaisir.