Mme le président. Il faut conclure, monsieur le ministre !

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué. Le débat doit donc impliquer toutes les parties prenantes : les usagers particuliers, les entreprises, les collectivités territoriales et l’État, bien sûr. Nos autoroutes doivent rester un atout pour la France, pour les Français, pour leurs déplacements. Elles doivent, mieux qu’avant, embrasser les enjeux écologiques et sociaux de notre temps.

Débat interactif

Mme le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.

Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires à condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.

Dans le débat interactif, la parole est à Mme Christine Lavarde.

Mme Christine Lavarde. Monsieur le ministre, les travaux de la commission d’enquête ont montré que la rentabilité pour les actionnaires serait atteinte autour de 2022. J’entends que vous contestez ces chiffres.

Certes, comme vous l’avez souligné, les nouveaux contrats sont mieux conçus puisqu’ils comportent des clauses de retour et de partage cette sur-rentabilité.

Pour autant, ce n’est pas le cas des contrats historiques puisque rien n’a été prévu lors de la privatisation de 2006. Il a fallu attendre le plan de relance autoroutier de 2015 pour y insérer des clauses, mais elles sont beaucoup moins nombreuses – deux pour les contrats historiques contre quatre pour les nouveaux contrats. De surcroît, ces clauses ne sont applicables qu’à partir de seuils de déclenchement.

Or l’Autorité de régulation des transports, puisque vous donnez foi à ses documents, qualifie dans son rapport de juillet 2020 le seuil de déclenchement de « hautement improbable ». Cela m’amène à vous poser un certain nombre de questions, notamment afin de trouver des solutions pour parvenir à rééquilibrer le partage de cette sur-rentabilité.

Le Gouvernement va-t-il donner à l’ART les moyens de collecter auprès des sociétés d’autoroutes les informations nécessaires à l’analyse des variations de la rentabilité depuis 2002 ?

Le Gouvernement va-t-il soutenir la proposition de loi déposée par le président du groupe Les Républicains, qui vise à durcir les clauses prévues pour les contrats historiques, à savoir les clauses de « péage endogène » et de « durée endogène » ? Si tel n’était pas le cas, quelles sont les solutions du Gouvernement ?

Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports. Madame la sénatrice Lavarde, je vous répondrai en quelques points.

Je reviendrai d’abord sur l’hypothétique sur-rentabilité des concessions et citerai plus précisément les chiffres du rapport quinquennal de l’ART remis à l’été 2020, qui paraissent diverger avec les conclusions des travaux de la commission. Selon l’ART, les rentabilités des contrats des sociétés historiques, puisque c’est souvent à elles que l’on fait référence, sont estimées autour de 7,8 %, dans une fourchette oscillant entre 6,4 % et 9,2 %. Il est aussi indiqué que les taux de rentabilité interne ont enregistré une évolution favorable, mais modérée depuis 2007 en raison de la situation macroéconomique.

Par ailleurs, et vous le savez, le plan de relance autoroutier de 2015 n’a pas engendré de surcompensation. Les investissements prévus, à hauteur de 3,2 milliards d’euros, ont essentiellement porté sur des élargissements de sections et sur la construction ou la modification d’échangeurs. L’équilibre de la compensation dans le plan de relance autoroutier a été confirmé, je le soulignais dans mon propos liminaire, par la commission lors de sa décision du 24 octobre dernier.

C’est la sous-estimation du taux de rentabilité interne (TRI) par le rapport qui conduit à conclure à une surcompensation chiffrée à 4 milliards d’euros, soit plus que la valeur des investissements du plan, ce qui n’est pas compréhensible.

En ce qui concerne les mécanismes limitant les surprofits dans les contrats historiques, en cas de surperformance économique sur la période d’allongement du contrat soit les tarifs de péage sont revus à la baisse, soit la durée de la concession est réduite.

Par ailleurs, le gain financier issu de tout décalage dans l’exécution des investissements par ces sociétés est également et intégralement restitué au concédant. Nous avons donc là un dispositif qui nous permet de bien encadrer l’équilibre économique des contrats.

En ce qui concerne les moyens de l’ART, cette autorité embrasse aujourd’hui des compétences beaucoup plus larges et est tout à fait à la hauteur des missions qui lui sont assignées.

Mme le président. La parole est à Mme Christine Lavarde, pour la réplique.

Mme Christine Lavarde. En préambule, j’avais pris la peine de souligner que M. le ministre ne partageait pas notre constat sur la sur-rentabilité, mais je l’ai invité à nous dire ce qu’il envisageait pour le futur. J’avoue que je n’ai eu absolument aucune réponse. Mes questions étaient pourtant assez précises, d’autant que je donnais des outils pour demain, qu’il s’agisse du renouvellement des concessions ou s’il s’avérait que les chiffres de la commission d’enquête soient exacts.

Je me suis appuyée sur le rapport de l’autorité de régulation de juillet 2020. Sur les clauses que vous nous avez décrites comme devant permettre de prévoir « un retour à meilleure fortune » du concédant et surtout de l’usager, l’autorité écrit elle-même que « le déclenchement des clauses de “péage endogène” apparaît plausible […] tandis que celui des clauses de “durée endogène” semble hautement improbable, c’est-à-dire qu’il se produit uniquement dans des cas que l’Autorité juge invraisemblables ». Il me semble donc que la lecture était perfectible !

Mme le président. La parole est à M. Pierre Médevielle.

M. Pierre Médevielle. Monsieur le ministre, mes chers collègues, l’évolution des concessions autoroutières est régulièrement évoquée en France depuis des décennies par des représentants de tous les bords politiques.

En 2015, alors membre du groupe de travail sur les sociétés concessionnaires d’autoroutes, j’ai refusé de signer les conclusions présentées par ce groupe pour une raison simple. Le calcul virtuel de la rentabilité à l’instant t par l’Autorité de la concurrence omettait deux éléments essentiels : le montant du rachat autour de 22,5 milliards d’euros et la reprise de la dette pour plus de 17 milliards d’euros – excusez du peu ! Cette présentation était donc erronée et ne permettait pas d’évaluer la rentabilité réelle des concessions.

Je ne remets, bien sûr, pas en cause la rentabilité de ces dernières, mais je remets en cause les montants de cette manne financière. Le rapport de la commission d’enquête ne tient pas compte non plus de l’inflation depuis 2006. Doit-on rappeler que la privatisation date d’il y a quinze ans ? Il ne fait également pas référence aux pertes engendrées par les confinements successifs.

Je rappelle que le prolongement des concessions si décrié est dû à une volonté de l’État qui n’a pas pu honorer ses engagements en matière d’investissements pour l’extension du réseau.

Comme toujours on se pose la question de la fin des concessions et du retour de l’État dans la gestion des autoroutes. Le rapport d’enquête est clair : le rachat des concessions, vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, s’élèverait à environ 50 milliards d’euros !

Outre le fait que nous traversons une crise majeure, qui demande des moyens financiers importants, j’identifie deux problèmes supplémentaires : celui des recettes et celui du risque de non-affectation à l’entretien de notre réseau, qui est l’un des meilleurs d’Europe.

Rappelons que l’État, avant la privatisation, percevait une manne très faible de la part des sociétés publiques qui exploitaient ce réseau. La réflexion autour de contrats plus équilibrés me paraît ainsi être la proposition la plus juste. La crédibilité de l’État français et de sa parole est en jeu…

Mme le président. Vous avez épuisé votre temps de parole, mon cher collègue.

La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports. Monsieur le sénateur, un point d’abord sur le bilan objectif que vous avez partiellement tracé, mais qui est un bilan positif du modèle concessif. Nous sommes quand même passés en soixante-dix ans en France de 80 kilomètres d’autoroutes à plus de 9 000 kilomètres qui sont bien entretenus, sécurisés et qui ont permis de désenclaver et de moderniser avec succès un certain nombre de territoires au moment où la route était le moyen de transport plébiscité.

En ce qui concerne l’équilibre économique des contrats, je n’y reviendrai pas, car nous en avons discuté préalablement. Par ailleurs, j’ai essayé de dresser un bilan le plus complet possible lors de mon intervention liminaire. En plus de l’encadrement, le confinement et l’époque récente nous apprennent – mais nous savions déjà depuis 2008 – que le risque lié aux fluctuations du trafic est bien réel, y compris pour les concessions autoroutières.

Vous avez évoqué des points positifs comme la plus faible inflation ou l’environnement de taux bas. Mais des risques avaient également été soulignés, qui se sont révélés bien réels : c’est le cas du risque « trafic » qui a fait perdre aux sociétés plusieurs milliards d’euros à la suite du confinement.

Je veux redire combien nous sommes ouverts à la réflexion sur un futur modèle moderne de gestion des autoroutes concédées et des réseaux au sens large, ainsi que sur la place de l’État. Nous parlons là d’infrastructures à l’horizon de 2040 ou de 2050, avec un très grand rééquilibrage de la route et l’émergence d’autres modes de transport. Il n’est pas tout à fait impossible de concevoir de nouvelles concessions qui seraient davantage multimodales, et tournées vers les enjeux écologiques et sociaux auxquels j’ai fait référence.

Mme le président. La parole est à M. Jacques Fernique. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Jacques Fernique. Monsieur le ministre, mes chers collègues, le verdissement de nos autoroutes est une nécessité qui, loin d’être nouvelle, s’impose aujourd’hui fermement.

Il est essentiel que les concessionnaires encouragent les mobilités à faible empreinte carbone, mais sans reproduire les erreurs passées. Le soutien à des mobilités écologiquement vertueuses doit se faire sans contreparties financières supplémentaires, car personne ne contestera la rentabilité économique des sociétés d’autoroutes. Ce n’est pas faire du concession bashing démagogique que de dire que la hausse de leurs profits pour la décennie à venir est indéniable. Selon les projections du rapport, la rentabilité « actionnaires » serait atteinte dès 2022. Les dividendes distribués pourraient atteindre la somme de 40 milliards d’euros d’ici à 2036.

Voilà l’argument que le concédant doit avancer au cours de la prochaine négociation pour « verdir » les tarifs et orienter les investissements vers la décarbonation sans compensation nouvelle. La prise en compte des enjeux environnementaux doit être une obligation contractuelle. C’est le principe même de l’écoconditionnalité.

Pour préparer l’avenir, il faut rééquilibrer les contrats en faveur de l’intérêt public. Il s’agit de définir concrètement la responsabilité sociale et environnementale des concessionnaires.

Dans le prolongement de la loi d’orientation des mobilités, le déploiement des bornes de recharge électrique doit passer à la vitesse supérieure. L’aménagement de voies réservées au covoiturage et aux transports collectifs doit nettement progresser, et des incitations tarifaires significatives être proposées aux véhicules les plus vertueux, en particulier pour les poids lourds. Sur les tronçons autoroutiers publics, une réduction tarifaire importante est d’ores et déjà proposée aux véhicules électriques.

Ma question est donc la suivante : comment amener les concessionnaires à un cahier des charges ambitieux de décarbonation pour garantir que ces acteurs incontournables prennent réellement en compte l’objectif de l’accord de Paris ?

Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports. En matière d’enjeu écologique, le tournant a été pris au début des années 2000 avec le paquet vert autoroutier. Dans les plans de relance de 2015 et l’avenant de 2018, plus de 400 millions d’euros cumulés ont été consacrés à ces investissements, qui étaient à l’époque historiques : ils ont permis de réaliser des ouvrages protégeant la biodiversité, d’améliorer l’assainissement ou encore de supprimer des points noirs du bruit.

Pour autant, vous avez raison de le dire, il faut aller plus loin. Des expérimentations sont aujourd’hui pleinement satisfaisantes : je pense notamment à celles sur les flux libres. Nous avons lancé, en lien avec les concessionnaires, un grand plan de déploiement des bornes de recharge électrique. À la fin de l’année, plus de 60 % des aires de recharge sur le réseau concédé seront dotées de bornes à grande puissance, à périmètre constant des contrats. Ce dispositif matérialise bien le co-investissement équilibré entre l’État et les sociétés concessionnaires dans cette grande transformation écologique que nous accompagnons aujourd’hui.

L’ensemble des propositions que nous avons reçues, tout comme les débats que nous avons pu avoir avec les élus, intègrent pleinement la dimension environnementale, et je sais les concessionnaires parfaitement engagés sur le sujet.

Mme le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger.

Mme Patricia Schillinger. Avec un maillage autoroutier de près de 9 500 kilomètres, la France se situe, avec son voisin allemand, en pole position des pays européens en termes de longueur du réseau. Symbole du modernisme des Trente Glorieuses, ce réseau, concédé à 90 % à des sociétés à capitaux privés, a perdu de sa superbe.

En effet, notre parc autoroutier, s’il est nécessaire et performant pour nos usagers, doit se réinventer, notamment pour se conformer aux nouvelles exigences environnementales.

Pour autant, nous sommes défavorables à la renationalisation de nos autoroutes. L’État ne pourrait se permettre de gonfler son déficit de 50 milliards d’euros supplémentaires en rachetant les concessions, dont les premières arrivent à échéance en 2031.

Nous sommes en revanche favorables à un rééquilibrage des relations entre l’État et les sociétés concessionnaires, notamment en termes d’accompagnement vers les nouvelles mobilités.

Des investissements importants pourraient être mis en place en faveur du covoiturage, des parkings relais et des transports collectifs. Le projet de loi Climat et résilience, que nous examinerons prochainement, sera un véhicule pertinent pour proposer ces nouvelles alternatives durables.

Monsieur le ministre, comment comptez-vous accompagner les sociétés concessionnaires d’autoroutes pour qu’elles puissent se conformer à ces exigences ?

Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports. Madame la sénatrice, ce que nous faisons en matière de véhicules électriques est un bon exemple des exigences réciproques de l’État et des sociétés concessionnaires et du respect du droit des contrats.

Vous le savez, nous avons lancé un grand plan de déploiement des bornes électriques – je le disais à l’instant – à la fois sur les réseaux concédés et non concédés et, plus largement, partout en France, de manière à permettre l’itinérance, qui est un élément essentiel de la confiance des consommateurs.

D’ici à la fin de l’année, 60 % des aires des réseaux concédés seront couvertes et 100 % le seront d’ici à la fin de 2022. Dans le même temps, nous menons ce chantier sur le réseau routier non concédé. J’évoquais l’équilibre économique parce que, dans cette « petite affaire », l’État investit 100 millions d’euros du plan de relance, ce qui est important, et les sociétés concessionnaires 500 millions d’euros, et ce dans une durée très courte. Comme vous pouvez l’imaginer, cet investissement implique des textes réglementaires, la mise en place du raccordement physique de la distribution énergétique, etc.

Ce plan est vraiment, je le crois, l’illustration d’un équilibre contractuel opérationnel et d’une vision partagée avec les sociétés concessionnaires au service des Français et dans une temporalité très réduite. Cet équilibre augure de belles choses pour l’avenir.

Mme le président. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez.

M. Jean-Pierre Corbisez. Monsieur le ministre, le rapport de la commission d’enquête indique que les dividendes versés aux actionnaires des concessions autoroutières devraient atteindre 40 milliards d’euros au-delà de 2022, chiffre que vous contestez.

La privatisation de 2006 dont vous et nous héritons aujourd’hui s’est donc faite au détriment des contribuables, des usagers des autoroutes concédées, mais aussi des usagers des autres infrastructures de transport et du désenclavement des territoires. Cette manne aurait pu servir à financer une bonne partie du réseau routier national non concédé, à désengorger certains axes, à entretenir et développer nos infrastructures ferroviaires et à assumer des investissements qui nous ont fait tant défaut ces dernières années.

Dans son référé en date du 23 janvier 2019, la Cour des comptes a affirmé que les divers plans de relance autoroutiers décidés en faveur du réseau concédé présentaient un risque de surinvestissement qui contrastait « avec le sous-investissement constaté sur le réseau non concédé ». Aussi, j’adhère totalement à l’axe 3 du rapport de la commission qui vise à négocier une amélioration du service rendu aux usagers. La réflexion porte sur le verdissement des tarifs des péages, les véhicules les plus propres, les bornes de recharge électrique, auxquels j’aimerais inclure les points de ravitaillement en hydrogène.

En outre, il serait souhaitable que les sociétés concessionnaires d’autoroutes contribuent davantage au financement des autres infrastructures de transport, comme cela avait été décidé timidement en 2015 après l’abandon de l’écotaxe poids lourds, qui a engendré un manque à gagner de plus de 500 millions d’euros par an pour l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf).

Monsieur le ministre, comment le Gouvernement entend-il optimiser l’allocation des investissements dans les infrastructures de transport, en les réorientant prioritairement vers celles qui sont structurantes pour l’aménagement du territoire et en encourageant la transition écologique dans le domaine des transports ?

Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports. Monsieur le sénateur, je répondrai sur deux points.

D’abord, sur la contribution financière des sociétés concessionnaires au financement des infrastructures. Je l’ai rappelé dans mon propos liminaire, l’activité des concessions autoroutières a produit 50 milliards d’euros de recettes fiscales entre 2006 et 2018. Par ailleurs, une contribution de plus de 10,5 milliards d’euros a été versée à l’Afitf, ce qui représentait un tiers du budget de l’agence, au bénéfice de nombreux autres projets, y compris ferroviaires.

Nous voyons bien là le caractère vertueux du financement du mode routier, autoroutier en l’occurrence, au bénéfice d’autres modes de transport, comme nos petites lignes ferroviaires, nos routes non concédées ou nos ponts.

Ensuite, le deuxième sujet que vous avez, à raison, abordé est le sous-investissement chronique qu’ont subi les réseaux dits secondaires ou le réseau non concédé s’agissant de la route. Or, depuis 2017 et de façon constante, nous avons progressivement, tant sur les nouveaux investissements que sur la régénération et l’entretien, augmenté ces budgets pour passer approximativement de 700 millions à 1 milliard d’euros. Nous avons lancé, il y a quelques semaines à peine, un grand appel à projets « Ponts connectés » afin de nous assurer que nous avons les capacités de connaître notre patrimoine et de veiller à ce qu’il soit bien entretenu.

Monsieur le sénateur, depuis 2017, nous avons adopté une loi d’orientation des mobilités qui est équilibrée et financée. Vous avez parlé du trou de 500 millions d’euros : il a été comblé depuis. Vous le savez, 11 milliards des 100 milliards d’euros du plan de relance ont été consacrés aux transports pour répondre à l’ensemble des enjeux de transition écologique et d’équité dans nos territoires. Je crois que nous avons répondu là précisément et de façon très volontaire à votre questionnement.

Mme le président. La parole est à M. Éric Bocquet.

M. Éric Bocquet. Le Sénat a fait œuvre utile avec cette commission d’enquête sur la régulation des concessions autoroutières, et j’en remercie son rapporteur et son président.

Mieux qu’un rapport, ces travaux constituent un point d’appui utile et étayé pour mener le combat permettant le retour d’un État stratège en matière d’infrastructures d’intérêt national et d’aménagement du territoire.

Depuis de trop nombreuses années, ce scandale perdure sans que rien s’oppose aux mastodontes privés. Les sociétés concessionnaires sont de véritables machines à cash puisque, même en temps de crise, même en 2020, les dividendes s’élèvent à 2 milliards d’euros.

Entre 2006 et 2019, ce sont 24 milliards d’euros qui ont été distribués. Un « pognon de dingue » qui aurait été plus utile à la solidarité nationale…

Pourtant, les pouvoirs publics ne sont pas démunis.

Je souhaiterais attirer votre attention, monsieur le ministre, et avoir votre avis sur un point précis. Il s’agit des obligations reposant normalement sur le concessionnaire au titre de l’article L. 3131-5 du code de la commande publique relatif notamment à l’inventaire du patrimoine. À ma connaissance, ce rapport n’a jamais été remis à l’autorité concédante, donc à l’État. Comment justifier cette opacité ? Comment, dans ce cadre, travailler à une reprise des concessions ? Comment comprendre que l’État, encore une fois, ne fasse pas respecter ses droits, au nom de l’intérêt public ?

Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports. Monsieur le sénateur, je vais essayer de répondre le plus précisément possible à cette question technique. Vous avez raison de dire que l’établissement de l’inventaire du réseau est un enjeu clé, indispensable, lié à la définition du bon état cible du réseau en fin de concession sur lequel je reviendrai.

Je tiens à rappeler un chiffre important, que nous avons déjà évoqué : celui de 150 milliards d’euros, qui représente la valeur du patrimoine autoroutier français. À défaut d’un entretien soigné et régulier, ce patrimoine se détériore sous l’action du trafic et des agressions naturelles et nécessite alors des travaux de régénération considérables.

La rénovation et le renouvellement de ce patrimoine se planifient et requièrent des travaux s’étalant sur plusieurs années dont les concessionnaires ont la responsabilité. En amont des fins de concession, l’action du concédant, c’est-à-dire l’État, en matière de contrôle du patrimoine et de politique d’entretien doit s’intensifier – c’est la fameuse clause des sept ans – afin d’éviter qu’un sous-investissement ne se traduise par une dégradation du patrimoine en fin de contrat.

Depuis plusieurs années, l’État élabore une stratégie et un plan d’action pour structurer et renforcer l’efficacité de son intervention dans ce domaine. Trois chantiers ont ainsi été engagés avec les concessionnaires. Il s’agit d’abord de dresser un inventaire du patrimoine autoroutier concédé, ensuite de définir les outils et les méthodes permettant de mieux connaître, contrôler et suivre l’état fonctionnel du patrimoine, et enfin d’établir le bon état cible de ce patrimoine en vue de la préparation de la fin de contrat.

Comme je l’évoquais précédemment, cet inventaire a été réalisé pour les ponts de Tancarville et de Normandie qui arriveront à échéance en 2027 et pour lesquels les échanges et les expertises techniques entre concédant et concessionnaire se sont déroulés sur près de deux ans entre la fin de 2018 et la mi-2020. La discussion n’a pas encore été engagée sur les contrats historiques puisque la clause des sept ans s’appliquera, par définition, sept ans avant les échéances de 2031 à 2036.

Je souhaite que mon ministère, qui dispose de compétences et de moyens propres, continue d’assurer ces missions, en s’appuyant le cas échéant sur les équipes techniques du Centre d’études des tunnels (CETU) et du Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema). Je suis comme vous particulièrement attaché à ce sujet important.

Mme le président. La parole est à M. Éric Bocquet, pour la réplique.

M. Éric Bocquet. Monsieur le ministre, je ne pense pas avoir entendu de réponse précise concernant le défaut de transmission du rapport annuel par les concessionnaires à l’autorité concédante, donc à l’État. En fait, tout dans ce dossier est ubuesque, de la conclusion des contrats aux sous-délégations qui favorisent les ententes en passant par la définition du niveau des péages.

Dans une étude de 2020, deux universitaires français rappellent l’illégalité des surcompensations ainsi que celle du décret de 1995 indexant les péages sur l’inflation. Ces dispositifs pourraient être considérés soit comme des aides d’État au sens du droit européen, soit comme contraires aux règles définies par le code monétaire et financier, ce qui pourrait justifier une rupture anticipée. Pour cela, il faudrait une vraie volonté politique, dont je constate qu’elle est malheureusement absente.

Mme le président. La parole est à M. Jean-François Longeot.

M. Jean-François Longeot. Les conclusions de la commission d’enquête doivent permettre de préparer l’avenir, et c’est sur ce point que je souhaite vous interroger, monsieur le ministre.

À l’heure de la transition écologique, on peut regretter que notre pays soit en retard sur le passage au péage sans barrière, qu’il est coutume d’appeler « flux libre ». En effet, l’intérêt d’un tel modèle est d’abord écologique : un poids lourd consomme deux litres de carburant supplémentaires en s’arrêtant et en redémarrant aux barrières de péage. Et ce sont de surcroît autant de surfaces imperméabilisées qui pourront être rendues à la nature.

Monsieur le ministre, quels objectifs relatifs à ce modèle de péage du futur ont été fixés aux concessions autoroutières ?

Dans un second temps, comme vous le savez, de nombreux poids lourds en transit évitent les autoroutes et empruntent des itinéraires parallèles via les routes nationales ou départementales en raison de leur gratuité.

Or la surfréquentation induite par une telle pratique pose des problèmes de sécurité parfois dramatiques, de dégradation évidente des infrastructures ou encore de nuisances sonores, sans parler d’une pollution de l’air accrue, quand les autoroutes sont mieux adaptées pour accueillir ces poids lourds.

Alors qu’une mission d’information créée sur l’initiative de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable doit prochainement rendre ses conclusions sur le transport de marchandises face aux impératifs environnementaux, quelles sont vos propositions pour éviter ce report de trafic sur le réseau secondaire ? Pourquoi ne pas imaginer un dispositif sur le modèle des zones à faibles émissions pour les poids lourds ? Pensez-vous qu’il faille renforcer davantage les dispositifs réglementaires en confortant les arrêtés préfectoraux ou bien recourir à une écocontribution régionale, telle qu’elle est prévue dans le projet de loi Climat et résilience prochainement examiné par notre assemblée ?