compte rendu intégral

Présidence de Mme Pascale Gruny

vice-président

Secrétaires :

M. Pierre Cuypers,

M. Loïc Hervé.

Mme le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

Mme le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Mise au point au sujet d’un vote

Mme le président. La parole est à M. Gilbert Bouchet.

M. Gilbert Bouchet. Lors des scrutins publics nos 117 et 118 de la séance d’hier, ma collègue Catherine Procaccia souhaitait voter contre.

Mme le président. Acte est donné de votre mise au point. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin concerné.

3

 
Dossier législatif : projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales
Discussion générale (suite)

Développement solidaire et lutte contre les inégalités mondiales

Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission

Mme le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de programmation, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales (projet n° 404, texte de la commission n° 533, rapport n° 532, avis n° 529).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales
Article 1er A

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de lEurope et des affaires étrangères. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, messieurs les rapporteurs, monsieur le rapporteur pour avis, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, il y a quelques semaines, j’ai participé à Berlin à une rencontre de la Coalition pour le Sahel.

Il y a quelques jours, je me suis rendu en Inde, où j’ai eu des échanges nourris au sujet de la COP26 sur le climat, qui se tiendra l’automne prochain à Glasgow.

Mardi et mercredi derniers, je me trouvais à Londres, pour une réunion du G7.

Autant de rendez-vous internationaux qui m’ont permis de constater que le nouvel élan que nous sommes en train de donner à notre politique de développement solidaire, grâce au projet de loi qui nous rassemble aujourd’hui, est un nouvel élan pour l’ensemble de notre diplomatie.

La réponse à chacune des questions essentielles que j’ai abordées avec mes interlocuteurs de Berlin, de Delhi et de Londres passe, en effet, par le développement de la solidarité internationale.

C’est la clé pour rendre des perspectives d’avenir aux populations du Sahel après plus de huit années d’instabilité et de violence.

C’est la clé pour tenir les objectifs de l’accord de Paris et renforcer la résilience des pays les plus exposés aux premiers effets des dérèglements climatiques.

C’est la clé d’une relance durable, pour tirer tous les enseignements de la crise pandémique.

C’est pourquoi le texte que j’ai l’honneur de vous présenter aujourd’hui consacre notre politique de développement solidaire et de lutte contre les inégalités mondiales comme un pilier à part entière de notre politique étrangère.

C’est pourquoi il renforce et perfectionne les leviers d’action qui nous sont devenus indispensables pour faire face à la nouvelle donne internationale.

C’est pourquoi il constitue une étape décisive dans la refondation, au service des Françaises et des Français, d’une diplomatie des résultats, d’une diplomatie du XXIe siècle, d’une diplomatie des valeurs.

Une diplomatie des résultats, car, dans un monde d’interdépendances, la solidarité internationale est un impératif d’efficacité en même temps qu’une question de justice.

Aider les autres, c’est nous aider nous-mêmes. Je crois que chacun l’a bien compris depuis qu’une pandémie mondiale est brutalement entrée dans nos vies. Et c’est bien pour cela que nous travaillons depuis maintenant un an, avec ACT-A (Access to Covid-19 Tools Accelerator – accélérateur d’accès aux outils contre la covid-19) et Covax (collaborer pour un accès mondial et équitable aux vaccins contre le virus de la covid-19), à faire, très concrètement, des outils de lutte contre le virus de nouveaux biens publics mondiaux, accessibles partout sur la planète.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Depuis un an, j’y insiste.

Nous avons constamment été à l’initiative avec nos partenaires européens et avec l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Plus de 50 millions de doses de vaccins ont ainsi déjà été distribuées via Covax dans 121 pays, dont 72 pays en développement.

La France joue un rôle capital au sein d’ACT-A pour, d’une part, promouvoir les transferts de technologie et les partenariats industriels, et, d’autre part, distribuer des dons de doses de vaccins, comme elle a commencé à le faire à titre national en Mauritanie.

Il s’agit aussi pour la France de traiter de façon concrète et opérationnelle tous les goulots d’étranglement, singulièrement ceux de production, pour garantir la disponibilité des vaccins. Cela intègre, évidemment, les restrictions aux exportations ainsi que la levée des brevets.

La France n’a pas de tabou à ce sujet, mais il ne s’agit pas d’en faire « la recette miracle », comme cela a été trop rapidement et de façon parfois un peu simpliste mis en avant. L’urgence est bien la production.

Les évolutions portées par ce projet de loi nous sont aussi nécessaires pour bâtir une vraie diplomatie du XXIe siècle, ce siècle de défis communs.

Face au covid, face à l’urgence climatique, face aux migrations, tous les pays, toutes les sociétés civiles ont un rôle à jouer.

C’est dire que les solutions se trouvent aussi au Sud et que notre responsabilité est de veiller à ce qu’elles puissent y voir le jour.

Oui, il y va de notre responsabilité, car ces défis engagent l’avenir : l’avenir de notre pays, l’avenir des nouvelles générations, l’avenir de la planète que nous avons en partage.

Le développement solidaire, c’est enfin un instrument privilégié de la diplomatie des valeurs que nous voulons et devons mener aujourd’hui.

Car certains, vous le savez, sous couvert de solidarité, cherchent en réalité à imposer à nos partenaires les plus vulnérables des conditions et des contreparties qui ne sont pas compatibles avec les exigences de souveraineté et de respect des droits fondamentaux que nous portons pour nous-mêmes, mais aussi sur la scène internationale.

Notre intérêt – je le dis très clairement – n’est pas de voir ces exigences perdre du terrain dans la compétition des modèles lancée par les puissances autoritaires. Au contraire, notre intérêt est que ces exigences soient partagées par d’autres, à commencer par ceux des pays qui sont prioritaires dans notre aide publique au développement (APD). C’est aussi le sens de ce texte.

À la différence de la précédente loi sur le développement, celle de 2014, le présent texte fixe une trajectoire budgétaire.

Cette trajectoire nous permettra de concrétiser l’engagement du Président de la République de consacrer 0,55 % de la richesse nationale à notre aide publique au développement d’ici à 2022.

Pour toutes les raisons que je viens de rappeler, nous avons fait le choix de garder le cap que nous nous étions fixé, en dépit des perturbations, notamment économiques, que nous traversons aujourd’hui, et ce contrairement à certains de nos voisins qui ont pris le chemin inverse.

Je suis fier de ce choix, qui montre que nous continuons à nous projeter dans le temps long, qui est le temps du développement et des changements en profondeur dont nos partenaires ont besoin. Paradoxalement, les urgences de la crise actuelle sont d’ailleurs venues, à leur façon, nous rappeler la nécessité d’une transformation inscrite dans la durée.

Il s’agit également d’un projet de loi d’ambition puisque son examen en première lecture à l’Assemblée nationale a permis de compléter l’article 1er, en prévoyant que la France s’efforcera, en 2025, de consacrer à l’aide publique au développement 0,7 % de son revenu national brut, soit la cible fixée par les Nations unies. Cette formulation, qui recueillait l’accord du Gouvernement, a cependant été atténuée en commission, monsieur le président Cambon, et il conviendra donc, si vous le voulez bien, d’en discuter de nouveau.

Je sais, par ailleurs, qu’en commission vous avez demandé que nous soyons plus précis concernant la trajectoire budgétaire d’ici à 2025. Nous aurons bien sûr l’occasion d’y revenir au cours du débat. Mais je vous demande d’ores et déjà de prendre la mesure de ce que signifie ce premier pas. Après le vote de l’amendement auquel je fais référence, sur le taux de 0,7 %, les organisations de la société civile ont salué un moment historique. De cela aussi, je suis très fier, d’autant plus fier que ce combat, comme vous le savez, n’était pas gagné d’avance.

Ces moyens renforcés doivent permettre de faire une vraie différence sur le terrain. C’est particulièrement important à mes yeux, et je sais que vous y tenez aussi.

Il s’agit donc non pas seulement de faire plus, mais aussi de faire mieux, afin d’obtenir des résultats tangibles que la représentation nationale pourra apprécier sur des bases objectives et détaillées, grâce à la création d’une commission d’évaluation indépendante rattachée à la Cour des comptes.

Cette commission sera chargée de mesurer l’impact concret des projets que nous soutenons et de se prononcer sur l’efficacité de notre aide publique au développement. Puisque des moyens accrus vont être consacrés au développement, il est légitime que nos concitoyens sachent à quoi ils serviront. Je crois que nous serons tous d’accord sur ce point et je sais que nous partageons ce même objectif.

Faire mieux, c’est d’abord clarifier nos priorités géographiques. Dans la continuité des décisions prises lors du comité interministériel de la coopération internationale et du développement, le Cicid, en 2018, nous proposons d’orienter notre aide en dons sur 19 pays prioritaires qui concentrent les fragilités : Haïti et 18 pays d’Afrique subsaharienne.

Je pense, en particulier, aux 5 pays du Sahel où nos efforts – j’ai eu l’occasion de le rappeler il y a peu à cette tribune – s’inscrivent dans le cadre d’une approche globale et intégrée, qui articule engagement militaire, aux côtés des forces du G5 et de nos partenaires européens et internationaux, et soutien aux populations, sur tout l’arc de la solidarité internationale, qui va de l’humanitaire au développement, sans oublier l’étape cruciale de la stabilisation.

Depuis quelques années, les moyens affectés aux pays du Sahel sont en constante augmentation.

Entre 2016 et 2019, notre aide publique au développement en faveur des pays du G5 Sahel est passée de 382 millions d’euros à plus de 503 millions d’euros. Sa part bilatérale a progressé de 34 % par rapport à 2018. Elle s’élevait, en 2019, à 362 millions d’euros.

Pour ne citer que ces quelques exemples qui permettent de comprendre de quoi il retourne concrètement, nous avons récemment raccordé des foyers à l’électricité, permis la réalisation de barrages hydrauliques dans la région de Ménaka, maintenu 200 000 enfants nigériens à l’école primaire et réhabilité près de 2 000 classes au Mali.

Prises ensemble, ces avancées nous permettent de faire reculer durablement la menace terroriste au Sahel, qui est aussi – nous en sommes tous conscients – une menace pour la sécurité des Français et des Européens.

Faire mieux, c’est aussi clarifier nos priorités thématiques autour de nos biens communs – la santé, mais aussi le climat et la biodiversité –, autour de ces formidables leviers de développement que sont l’éducation et l’égalité entre les femmes et les hommes, et autour d’un objectif global de lutte contre les fragilités, qui sont des facteurs d’instabilité pour les sociétés, et donc des facteurs d’instabilité pour le monde entier.

Évidemment, ces sujets sont liés les uns aux autres. Faire mieux, c’est donc également veiller à les traiter comme un tout, pour répondre à la complexité des problèmes qui se posent sur le terrain et décupler l’efficacité de nos actions.

D’où l’attention que nous apportons à des questions comme celles de la scolarisation des filles ou encore des interactions entre santé humaine et santé animale, qui sont au confluent de nos différentes priorités.

D’où, pour ne prendre qu’un seul exemple, le soutien que nous apportons à la relance du projet de la « grande muraille verte » au Sahel, qui crée une dynamique vertueuse entre écologie et emploi des populations.

Faire plus, faire mieux, mais aussi faire avec : avec nos partenaires du Sud, et pas simplement pour eux. C’est aussi cela, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, une diplomatie du XXIe siècle.

C’est pourquoi nous proposons également un changement de méthode.

Nous voulons travailler autrement avec les pays du Sud, en particulier avec leurs sociétés civiles, pour bâtir et réaliser ensemble les projets dont les populations ont besoin.

Nous voulons mieux valoriser le rôle des ONG françaises, auxquelles nous proposons de reconnaître un droit d’initiative.

Nous voulons encourager la coopération décentralisée, qui permet à nos communes, à nos départements et à nos régions de partager leur expertise et leur expérience avec les collectivités locales des pays en développement.

Nous voulons réinventer le volontariat de solidarité internationale en ouvrant ce dispositif emblématique à la jeunesse du Sud, qui pourra venir prêter main-forte à nos associations, ici, en France.

Nous voulons mettre à contribution les diasporas africaines en France, qui sont des relais précieux entre la France et le continent africain.

Dire que le développement est un pilier de notre politique étrangère a des conséquences très concrètes. Cela signifie que le pilotage par l’État de notre action dans ce domaine doit être renforcé et que cette action doit répondre à des impératifs stratégiques. Cette volonté, nous la partageons ensemble ; nous avons eu l’occasion d’en discuter à plusieurs reprises lors de nos débats sur les projets de loi de finances successifs.

Les rapporteurs, MM. Saury et Temal, dont je salue l’investissement sur ce texte et la qualité de leurs travaux,…

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Excellents !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. … sous l’égide du président Cambon,…

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Pas mal non plus ! (Sourires.)

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. … ont d’ailleurs fait des propositions en ce sens en commission pour mieux cibler notre APD et mieux définir l’action de l’Agence française de développement.

Ce texte prévoit ainsi la mise en place d’une chaîne de commandement et de responsabilité nettement réaffirmée, du plus haut niveau, avec le Conseil présidentiel du développement, qui s’est réuni pour la première fois en décembre dernier, jusque dans nos pays partenaires, où le rôle dévolu aux ambassadrices et ambassadeurs sera renforcé, dans le cadre d’un conseil local du développement qui rassemblera régulièrement, sous leur présidence, toutes celles et tous ceux qui contribuent à cette politique au quotidien, en lien direct avec les populations bénéficiaires.

Il convient de passer, bien sûr, par nos opérateurs, notamment par Expertise France que nous voulons enfin intégrer dans le groupe AFD en vue de réarmer notre pays sur le terrain de la coopération technique, en l’articulant mieux avec la gamme de tous nos outils financiers : dons, prêts, garanties, etc. Nous pourrons ainsi agir avec toute la palette de nos instruments.

Monsieur le président Cambon, pour répondre à votre préoccupation majeure, je précise qu’avec l’ensemble de ces changements il s’agit, en un mot, de remettre le développement sur ses pieds, car – disons-le – notre politique de développement n’en est pas vraiment une tant qu’elle semble menée par les instruments qu’il lui revient d’utiliser.

Je dois remercier le Sénat, qui a toujours fait preuve d’une grande vigilance sur ce point, notamment lors de l’examen des projets de loi de finances, afin qu’il n’y ait pas de confusion entre les objectifs politiques que nous visons et les moyens que nous mettons ensuite à disposition pour les atteindre.

Cette politique de développement solidaire, nous devons, dans la compétition des modèles qui fait rage aujourd’hui, la mettre au service d’une géopolitique des valeurs.

Ce tournant, je le revendique : je pense, en effet, que nous n’avons rien à gagner à laisser le champ libre à ceux qui confondent délibérément aide au développement et mise au pas des sociétés. Nous ne devons pas non plus laisser le champ libre à ceux qui font du clientélisme vaccinal un levier de puissance.

Si nous ne mettions pas à profit nos instruments de solidarité internationale pour proposer à nos partenaires du Sud une autre voie que celle de la dépendance, voire de la sujétion, nous commettrions une faute et une erreur.

Ce serait une véritable faute et un manquement aux valeurs que nous portons de les laisser pris au piège d’un tête-à-tête avec des puissances prédatrices prêtes à bafouer leur souveraineté.

Ce serait une très grave erreur – une erreur stratégique – de ne pas défendre, là où elles sont attaquées, les valeurs universelles qui font de l’horizon du développement durable, tel qu’il a été défini dans l’Agenda 2030 adopté par les Nations unies en 2015, un véritable horizon de progrès.

Un horizon qui, indissociablement, lie ensemble la lutte contre la pauvreté, le combat pour la planète, la mise en commun des savoirs et de la recherche scientifiques, les libertés fondamentales et les principes de l’État de droit et de la gouvernance démocratique.

À ce propos, je tiens à saluer l’amendement adopté sur l’initiative de l’Assemblée nationale qui permettra la création d’un dispositif de restitution des produits de cession des « biens mal acquis » et qui reprend une proposition de loi de Jean-Pierre Sueur, dont je salue le travail sur ce sujet.

C’est un moyen très concret de lutter contre les ravages de la corruption et de la prévarication, qui s’inscrit parfaitement dans l’esprit de notre texte. Des précisions ont été apportées au cours de vos débats en commission ; je me félicite de ce travail constructif : il a permis de renforcer l’association des organisations de la société civile aux projets de développement financés par ce biais afin qu’ils bénéficient bel et bien aux populations concernées.

Aujourd’hui, nous en avons de tristes exemples chaque semaine, cet horizon humaniste, qui est l’essence même du développement, est remis en cause par de nouveaux acteurs sans scrupules, notamment en Afrique. C’est l’un des aspects de la brutalisation de la vie internationale.

Face à cet état de fait, notre intérêt – là aussi, de long terme – est de mobiliser les leviers de notre politique de développement solidaire, aux côtés de nos leviers d’action multilatéraux, pour faire vivre concrètement les valeurs que nous voulons voir au centre du monde de demain.

C’est la raison pour laquelle nous souhaitons que davantage d’organisations internationales s’implantent en France. Ce projet de loi vise donc aussi à renforcer l’attractivité de notre pays, notamment en simplifiant et en accélérant l’octroi des privilèges et immunités, pour renforcer notre capacité d’influence. Ces deux mouvements sont complémentaires.

Madame la présidente, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, vous m’avez entendu y faire allusion à plusieurs reprises, le texte qui vous est soumis aujourd’hui s’est enrichi au fil des échanges que j’ai eus, en février, avec vos collègues de l’Assemblée nationale.

Vous-mêmes, vous vous en êtes pleinement saisis dans le cadre de vos travaux en commission des affaires étrangères, mais également, monsieur Requier, en commission des finances. Je crois pouvoir dire que nous nous retrouvons sur de nombreuses propositions que vous avez souhaité intégrer.

Dans ce travail collectif, qui s’inscrivait dans le prolongement de plusieurs années de réflexion et de discussions extrêmement fructueuses menées avec la représentation nationale, sous l’égide de la regrettée Marielle de Sarnez et du président Cambon, et les organisations de la société civile, j’ai vu un très beau signal, confirmé par le vote du texte à l’unanimité en première lecture à l’Assemblée nationale.

Un signal à l’adresse de nos partenaires du Sud et de la communauté du développement, bien sûr, mais aussi, et même avant tout, un signal à l’égard des Françaises et des Français. À mes yeux, le consensus qu’ils ont vu se dessiner fait honneur à notre démocratie.

Il répond, de manière pragmatique, à la nécessité de regarder en face les bouleversements du monde, pour leur apporter des solutions efficaces avant qu’ils ne viennent percuter notre quotidien, comme l’a fait la crise pandémique.

Dans un monde également bouleversé, trop souvent, par une forme de perte de sens, il répond à notre volonté, que vous partagez – j’en suis certain –, de redonner un sens concret aux valeurs qui nous sont chères : la solidarité, le progrès, une certaine idée de l’humain et de sa dignité.

J’espère, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, que vous aurez à cœur de travailler avec moi à renouveler, en le faisant vôtre, ce signal de responsabilité et de détermination. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, sur des travées des groupes RDSE, UC et Les Républicains, ainsi quau banc des commissions.)

Mme le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Olivier Cigolotti applaudit également.)

M. Hugues Saury, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est aujourd’hui une satisfaction de pouvoir débattre de ce projet de loi relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, que nous attendions depuis plus de deux années. Notre commission suit depuis longtemps cette politique avec beaucoup d’attention, car les enjeux en sont essentiels. En particulier, ni la France ni l’Europe ne peuvent se désintéresser de la situation du continent africain, notre voisin.

Le texte transmis au Sénat comporte, monsieur le ministre, de nombreuses avancées. Notre commission s’est toutefois efforcée de l’améliorer sur plusieurs points.

D’abord, ce projet de loi dit « de programmation » ne couvre en réalité que l’année 2022. Cela nous a paru insatisfaisant et nous nous sommes efforcés d’y remédier.

Certes, les incertitudes de la situation économique rendent l’exercice délicat. Nous sommes partis des prévisions du FMI (Fonds monétaire international), pour dessiner une trajectoire avec des marches annuelles d’environ 800 millions d’euros.

Parallèlement, nous avons prévu un rendez-vous en 2023, pour réviser cette évolution en fonction de la conjoncture et, éventuellement, remettre au premier plan les 0,7 % du RNB (revenu national brut). Nous pourrons toutefois débattre de la forme exacte de cette programmation, notamment à l’occasion d’un amendement qui sera présenté par le rapporteur pour avis de la commission des finances.

Par ailleurs, le volume de nos engagements financiers ne doit pas constituer l’alpha et l’oméga de cette politique de développement solidaire. Le choix des pays vers lesquels nous orientons nos financements, la nature des projets financés, la manière même dont nous les finançons sont tout aussi importants. Ainsi, seulement 18 % de notre aide dite « pays programmable » va vers les pays les moins avancés, quand la plupart de nos partenaires sont à 30 % ou à 40 %.

Nous avons par ailleurs la deuxième plus faible part de dons et de dépenses bilatérales de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques).

Sur ces points essentiels, le texte initial ne faisait que reconduire des objectifs qui datent de 2013. Notre commission a adopté des amendements pour remédier à cette situation de manière progressive. Ils permettront de recentrer notre aide au développement sur les pays qui en ont le plus besoin ainsi que sur les services essentiels : éducation, santé, agriculture et alimentation. Car notre aide au développement s’est parfois un peu égarée en s’efforçant de maximiser les volumes de prêts, le plus souvent à taux de marché, au bénéfice des pays émergents.

Si les apports de notre commission peuvent conduire à stabiliser, voire à freiner un peu l’activité bancaire de l’AFD (Agence française de développement) au profit de sa gestion des dons, nous l’assumons. Il s’agit aussi de redonner du sens à cette politique et de la rendre plus lisible pour nos concitoyens.

Troisième sujet, traité selon nous de manière incomplète par le projet de loi : la question du pilotage et de la gouvernance de cette politique.

La Cour des comptes, dans son rapport de 2020 sur les opérateurs de l’action extérieure de l’État, en a souligné la complexité actuelle. Les instances de direction, de concertation et de consultation sont nombreuses, leurs missions enchevêtrées. Les dispositions qui figurent au sein du cadre de partenariat global annexé n’apportent pas de simplification majeure dans ce domaine. Notre commission a donc adopté des modifications afin de réaffirmer le rôle prééminent du ministre chargé du développement.

Nous saluons cependant la création d’un conseil local du développement, placé auprès de l’ambassadeur. Il contribuera à l’un des impératifs que nous souhaitons particulièrement souligner : celui d’un meilleur alignement de notre politique de développement solidaire, non seulement avec les orientations de la diplomatie française, mais aussi avec nos autres politiques publiques. Car l’aide au développement ne doit pas être coupée de nos propres réalités.

L’« Équipe France » doit promouvoir de manière cohérente nos objectifs de solidarité avec ceux qui sont les nôtres en matière de développement économique, de sécurité globale ou encore de rayonnement de la langue française au travers du soutien à son apprentissage.

Autre apport majeur du texte, la création d’une commission indépendante d’évaluation de la politique de développement solidaire. Il s’agit là d’une de nos préconisations de longue date.

Le nouvel organisme, inspiré de la commission d’évaluation britannique, possédera à la fois l’indépendance et l’expertise technique.

Il fournira ainsi au Gouvernement, mais aussi au Parlement, les éléments pour instaurer un véritable « pilotage par les résultats ».

Nous avons souhaité mieux définir la composition de ce nouvel organisme, en entérinant son placement auprès de la Cour des comptes, gage d’indépendance, mais aussi en prévoyant la présence de deux parlementaires de chaque assemblée en son sein. En outre, nous avons précisé le pouvoir de saisine des assemblées et le délai de réponse de la commission.

Sous réserve de ces modifications, le présent projet de loi nous semble constituer un cadre pertinent pour cette politique de développement solidaire, dont la pandémie actuelle nous rappelle, s’il en était besoin, l’absolue nécessité. Les apports issus des nombreux amendements déposés permettront sans nul doute d’aller plus loin et d’améliorer encore le texte. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et RDPI, ainsi quau banc des commissions. – Mme Marie-Arlette Carlotti, MM. Jean-Pierre Sueur et Olivier Cigolotti applaudissent également.)

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Très bien !

Mme le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Rachid Temal, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le ministre, je tiens tout d’abord à saluer votre travail : la première loi de programmation sur le sujet, adoptée en 2014, est arrivée à bon port en 2019, puis il a fallu batailler pour que le présent projet de loi soit présenté aujourd’hui.

Il convient de rappeler que la politique que nous menons compte dans la stratégie internationale de la France. Il importe que nous ayons ce débat plus fréquemment, d’autant que quelques mois nous séparent de l’élection présentielle.

Il faut le rappeler aux Français, nous devons éviter quelques écueils, au moment où certaines et certains souhaitent extraire la France des affaires du monde et de l’Europe. Au nom de notre histoire et de l’avenir commun qui nous lie à de nombreux pays, il est important que nous menions au XXIe siècle une politique d’aide, de développement et de coopération. Dans ce contexte, je tenais à saluer l’exercice de transparence qui a été réalisé.

Mon collègue rapporteur vient de le dire, nous avons fait en sorte, collectivement, d’améliorer le texte qui nous a été soumis.

Pour ce qui concerne le « narratif », nous avons souhaité, au premier article, apporter davantage de clarté et hiérarchiser trois axes essentiels : d’abord, l’aide au développement « classique », qui vise à lutter contre la pauvreté en fournissant des services essentiels ; ensuite, la défense des droits humains et la bonne gouvernance ; enfin, la préservation des « biens publics mondiaux », comme le climat.

Nous avons également travaillé sur la trajectoire budgétaire.

Vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, l’un des apports de ce projet de loi par rapport au texte présenté lors du précédent quinquennat était précisément cette trajectoire.

Nous avons essayé d’aller plus loin et de vous aider, dans la mesure où le projet de loi était dépourvu de chiffres. Notre commission ainsi que celle des finances en ont donc inscrit dans le texte. Le sens même d’une loi de programmation est en effet de présenter des éléments chiffrés. Il était, je crois, important de le faire.

Nous avons ainsi travaillé sur la taxe sur les transactions financières (TTF), qui a été créée pour l’aide au développement et qui rapporte 1,7 milliard d’euros, mais dont seuls 30 % du produit sont dévolus à cette aide. La commission des affaires étrangères, notamment Hugues Saury et moi-même, a voulu que ce taux passe de 30 % à 60 %.

Un énorme travail a été mené sur l’AFD. Vous l’avez dit, monsieur le ministre, les engagements de cette agence sont passés de 6 milliards d’euros en 2009 à 14 milliards en 2019. La progression est forte. Il nous a semblé que la stratégie suivie avait atteint ses limites : nous faisons la « politique de notre instrument », l’AFD, au lieu d’avoir les instruments de notre politique.