M. le président. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet, pour la réplique.

M. Jean-Raymond Hugonet. Monsieur le secrétaire d’État, je suis frappé de ce que l’on entend dans cet hémicycle chaque fois qu’une telle question est soulevée : la référence à la législation européenne !

Puisque vous êtes membre du Gouvernement, je compte sur vous, entre autres, pour indiquer au Président de la République l’urgence absolue de bien faire comprendre à nos concitoyens le nombre de sujets sur lesquels la législation européenne prend le pas sur la démocratie française et sur l’expression du peuple. Dans ce domaine comme dans d’autres, cela sera extrêmement dangereux dans les temps à venir !

M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier.

M. Guillaume Chevrollier. Monsieur le secrétaire d’État, comme vous l’avez dit, la dévitalisation de nos centres-villes recouvre de nombreux enjeux écologiques et sociaux.

On ne peut que saluer le nouveau programme Petites Villes de demain et ses mesures, qui vont dans le bon sens. Les petites communes en ont besoin, elles requièrent un soutien tant financier qu’en matière d’ingénierie pour réaliser leurs projets. Nous connaissons tous la situation de nos communes : elles se sentent de plus en plus dépossédées de compétences et de moyens. On a réduit leurs compétences alors que les finances des collectivités territoriales sont pourtant plus exemplaires que celles de l’État, à en juger par la dette : celle des collectivités représente moins de 10 % de la dette publique globale ; celle de l’État, plus de 80 %, et elle dérape !

Les élus locaux sont demandeurs de plus de coordination et, surtout, de plus de simplification. Il faut vraiment simplifier la tuyauterie budgétaire pour que les milliards d’euros du plan de relance ne soient pas de simples effets d’annonce, mais qu’il y ait des concrétisations dans les territoires.

Le plan Action cœur de ville de 2019 donnait la priorité aux villes moyennes ; certaines communes rurales en étaient exclues, ce qui était fort regrettable, notamment pour les territoires comptant beaucoup de communes de moins de 500 habitants.

Alors, monsieur le secrétaire d’État, quelle est la limite pour la prise en compte des projets par le plan Petites Villes de demain ? Plusieurs communes de mon département ne sont pas jugées assez désertifiées pour bénéficier d’une aide à la redynamisation, alors même qu’elles ont de beaux projets et sont vraiment attractives, a fortiori depuis la crise sanitaire.

Les contrats territoriaux de relance et de transition écologique (CRTE) ont vocation à intégrer les programmes Action cœur de ville et Petites Villes de demain, et à regrouper les démarches contractuelles existantes, au nombre desquelles figurent les opérations de revitalisation de territoire.

Les élus seront très attentifs à ce que l’empilement de ces programmes et dispositifs n’aboutisse pas, en fin de compte, à déshabiller l’un pour habiller l’autre ! Il nous faut une vraie vigilance en la matière.

Les élus sont également inquiets d’une éventuelle deuxième saison du contrat de Cahors, qui reviendrait sur des financements annoncés et créerait des contraintes supplémentaires. (M. Jérôme Bascher applaudit.)

M. Rémy Pointereau. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Joël Giraud, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Monsieur le sénateur Chevrollier, vous mettez l’accent sur les critères qui ont présidé au choix des bourgs-centres, notamment dans le programme Petites Villes de demain.

Rappelons que pour être une petite ville de demain, il faut deux choses : avoir une fonction de centralité et présenter des signes de fragilité. L’appréciation de ce second point peut être subjective, bien évidemment, mais c’est bien le principe général qui a été retenu. Il est important de souligner l’absence totale de plancher de population : dans certains départements extrêmement ruraux, on est descendu jusqu’à 220 habitants, parce que c’était la seule centralité appréciable au milieu d’un ensemble de communes rurales dont vous connaissez comme moi le type général : la mairie d’un côté, l’église en face et un ensemble de fermes. La centralité n’est pas forcément évidente !

Évidemment, tout cela peut conduire à une certaine subjectivité de l’appréciation, mais quelque chose d’extrêmement objectif a été globalement mis en œuvre dans les territoires que j’ai visités. Peut-être y a-t-il un cas particulier dans la Mayenne dont je n’ai pas eu connaissance !

Les communes qui ne sont pas intégrées à ces programmes sont soutenues par des moyens classiques d’intervention de l’État, de manière renforcée sous le présent gouvernement, en particulier dans le cadre du plan France Relance. Je veux en prendre deux exemples.

Premièrement, l’ANCT, créée le 1er janvier 2020, en complément des programmes qu’elle met en œuvre, soutient en ingénierie les collectivités qui en font la demande auprès des préfets de département ; ce dispositif sur mesure a permis à l’agence d’accompagner, depuis sa création, 513 projets, dont 91 projets de revitalisation commerciale ou artisanale.

Deuxièmement, l’ensemble des collectivités peut solliciter un soutien de l’État pour ses commerces, par exemple, dans le cadre du plan France Relance. Cela peut se traduire par une aide directe aux commerces, mais aussi par le financement des managers de commerces, à hauteur de 20 000 euros pendant deux ans, ou encore d’un diagnostic de la situation commerciale.

En somme, le simple fait de ne pas être retenu dans un dispositif donné n’exclut pas de bénéficier d’un certain nombre de financements publics, notamment dans le cadre des crédits déconcentrés du plan France Relance.

M. le président. La parole est à M. Serge Babary.

M. Serge Babary. Monsieur le secrétaire d’État, ce débat sur la revitalisation peut paraître récurrent, notamment parce que les politiques publiques se succèdent, mais que leurs résultats ne sont pas toujours suffisants, adaptés ou pérennes.

En outre, la crise sanitaire a joué un rôle d’électrochoc, renforçant le désir de proximité et de commodité, ainsi que la recherche de sens dans l’acte de consommer, pour de nombreux citoyens.

Face à ces évolutions, plusieurs grandes enseignes ont su développer de nouveaux formats de proximité afin de réinvestir les centres-villes. Elles contribuent, avec l’ensemble des commerçants et des artisans, à attirer la population et à animer les communes.

Mais pérenniser ces évolutions suppose d’aider ces enseignes à relever les défis de logistique urbaine, du fait de la nécessité de réapprovisionner parfois plusieurs fois par jour les magasins. Ils ont besoin de lieux d’entreposage ! Il faut donc sortir du paradoxe actuel qu’entraîne la conjugaison des nouvelles attentes des consommateurs avec l’objectif de zéro artificialisation des sols, dont une trop stricte application pourrait entraver les démarches de proximité.

On assiste aussi à des initiatives telles que des magasins éphémères, qui sont malheureusement freinées par des règles juridiques inadaptées.

Quant aux derniers commerces des petits bourgs, dont une partie seulement des activités a été interdite administrativement pendant les confinements – tel est le cas des épiceries-cafés –, ils ne perçoivent pas d’aides et sont en grande difficulté. Alors que les élus locaux se battent pour les maintenir, il est plus qu’urgent de trouver une solution !

Le Gouvernement pourrait s’appuyer sur le réseau des chambres de commerce et d’industrie pour instruire les dossiers, puisqu’il semble que les préfectures ne peuvent pas s’en charger.

Les logiques d’aménagement du territoire doivent être encouragées et non entravées par les politiques publiques. Outre que les programmes Action cœur de ville et Petites Villes de demain ne concernent qu’un nombre limité de communes, ils ne suffiront pas à redonner du dynamisme à nos villes.

Alors, quelle nouvelle politique de revitalisation des centres-villes nous proposez-vous pour l’après-crise, monsieur le secrétaire d’État ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Joël Giraud, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Monsieur le sénateur Babary, je partage tout à fait votre position sur la combinaison entre commerce digital et commerce physique comme moyen d’attirer de nouveaux consommateurs et de sauver les commerces de centre-ville en étendant la zone de chalandise.

Cet enjeu a bien été pris en compte par le Gouvernement, qui a mis en œuvre avec la Banque des territoires un système de soutien à ces plateformes numériques. Un plan de soutien spécifique à la digitalisation des commerces a été également lancé en novembre : il comporte notamment un chèque de 500 euros, surnommé « chèque France Num », destiné à aider les TPE, catégorie à laquelle un grand nombre de commerces de centre-ville appartiennent, à acquérir des solutions de vente à distance.

Vous évoquez également la question des commerçants en multiactivité qui sont passés entre les mailles du fonds de solidarité, car ils n’ont pas perdu 50 % de leur chiffre d’affaires. C’est un sujet que je connais bien : dans les Alpes, la multiactivité est quand même assez fréquente ! Ce point a bien été traité par mon collègue Alain Griset, ministre délégué chargé des PME, qui a annoncé que ces entreprises bénéficieraient d’une aide à la prise en charge d’une partie de leurs coûts fixes.

Dans le cadre de la crise sanitaire et du plan de relance, on a déjà sensiblement renforcé les outils qui sont mis en œuvre dans le cadre des programmes Action cœur de ville et Petites Villes de demain, qui donnent aujourd’hui de bons résultats sur le terrain et doivent être, à mon sens, véritablement pérennisés et consolidés pour jouer pleinement le rôle qui leur était initialement dévolu. Les villes qui bénéficient de ces programmes peuvent en outre bénéficier du fonds Friches, du fonds de restructuration des locaux d’activité et des différents outils budgétaires et fiscaux du plan France Relance.

Enfin, vous m’avez posé une question très particulière sur la problématique des magasins éphémères. J’avoue ne pouvoir vous apporter une réponse maintenant, mais j’interrogerai sur ce point mes collègues de Bercy afin de vous apporter la réponse la plus précise possible.

Conclusion du débat

M. le président. En conclusion de ce débat, la parole est à M. Louis-Jean de Nicolaÿ, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Louis-Jean de Nicolaÿ, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi de remercier l’ensemble des intervenants, ainsi que le groupe Les Républicains, à l’initiative de ce débat particulièrement important pour nos territoires en ces temps de crise. Je veux aussi rappeler le rôle moteur du Sénat comme force de proposition sur l’ensemble de cette problématique ; fort heureusement, ses idées sont souvent reprises par le Gouvernement, qui les met en œuvre aujourd’hui.

La question des opérations de revitalisation exige une vision et une action structurelles et transversales sur de nombreux domaines comme le commerce, l’habitat, le numérique, les mobilités, la culture, ou encore les services publics. Y répondre nécessite d’actionner des leviers pragmatiques et facilitateurs, tels que la simplification normative, ainsi que de mettre en œuvre des solutions fiscales et de financement innovantes et souples, mobilisant tous les interlocuteurs du secteur.

Je souhaite donc profiter de mon passage à cette tribune pour féliciter et saluer l’ensemble de mes collègues sénateurs qui, par leurs réflexions et travaux convergents, ont activement participé à façonner le paysage actuel. Je pense bien sûr à Hervé Maurey, Rémy Pointereau et Martial Bourquin, mais aussi à Philippe Bas, Bruno Retailleau et Mathieu Darnaud pour leur proposition de loi, sans oublier le groupe de travail sur la revitalisation des centres-villes piloté par les délégations aux collectivités territoriales et aux entreprises présidées respectivement par Françoise Gatel et Serge Babary.

Nos travaux ont permis de mettre en avant la nécessité d’une offre d’ingénierie solide et d’une maîtrise du foncier par des procédures d’urbanisme moins lourdes. Il convient aussi de rééquilibrer les rapports vis-à-vis de la grande distribution et du commerce en ligne, de décloisonner les actions d’aménagement, mais de relocaliser les services publics, d’amorcer le retour des investisseurs privés, comme cela a notamment été le cas autour de projets du type « 1 000 cafés », de réfléchir à une fiscalité innovante visant à favoriser l’implantation d’activités en centre-ville, en plus de l’ANCT, et enfin de mettre en place des modes alternatifs de mobilité, sans oublier les parkings, chers à Jérôme Bascher !

En effet, ce n’est qu’en fédérant les énergies existantes dans une logique de complémentarité innovante, souple, pragmatique et cohérente que la politique publique destinée à redynamiser les centres-villes et centres-bourgs sera efficacement garantie.

Les initiatives du Gouvernement en ce sens sont autant de signaux positifs à l’endroit de territoires longtemps demeurés les oubliés des politiques d’un État qui s’est par trop souvent inscrit dans un tropisme métropolitain.

Je salue notamment les ORT, les programmes Action cœur de ville et Petites Villes de demain, mais aussi, au sein du plan de relance, le fonds Friches de 300 millions d’euros qui permettra de réhabiliter certaines friches industrielles en agglomération, comme l’a souligné noter collègue Martine Filleul. Le rôle et l’efficacité de l’ANCT sont aujourd’hui d’autant plus importants qu’elle va prendre part au pilotage de ces fonds ; je tiens à ce propos à saluer l’action de son directeur général Yves Le Breton et de son équipe.

Mais il reste du travail à accomplir, comme l’a souligné notre collègue Franck Montaugé. Certains points doivent encore retenir notre vigilance pour être améliorés, voire corrigés.

Comme l’Association des maires de France a pu le souligner, il faut s’assurer, au sein des CRTE qui intègrent tous ces dispositifs, que les aides financières versées ne le soient pas au détriment des aides déjà attribuées à des collectivités non retenues. Notre collègue Guillaume Chevrollier a attiré notre attention sur ce point.

Attention également, au sein de ces CRTE, à une légère incohérence quant au financement des offres d’ingénierie : il ne serait pas pris en charge, alors qu’il l’est dans les programmes Action cœur de ville et Petites Villes de demain.

De même, les différentes temporalités doivent être alignées dans le sens de la durée d’un mandat pour être efficaces.

Reste la problématique de la multiplicité des appels à projets, souvent compliqués, sélectifs et à l’appréhension malheureusement rebutante pour certains territoires.

Mme Françoise Gatel. C’est vrai !

M. Louis-Jean de Nicolaÿ. Enfin, je voudrais insister sur le rôle charnière que doivent jouer la concertation avec l’ensemble des acteurs, la souplesse et l’intelligence de déploiement pour coller au « sur-mesure » dont les territoires ont besoin. C’est primordial !

À ce titre, il serait important de mettre en exergue une polyvalence des chefs de projet, une approche pragmatique de mutualisation, ainsi qu’un recours privilégié au nouveau dispositif des volontaires territoriaux en administration, qui vous est cher, monsieur le secrétaire d’État.

Pour conclure, en alliant le beau et l’agréable à vivre, il ne faut pas oublier le rôle sociétal et culturel des centres-villes et centres-bourgs, qui doivent aussi pouvoir bénéficier des innovations fiscales et des aides au financement, leviers indispensables à toute réussite. Il faut donc agir collectivement, efficacement et de manière synchronisée. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Revitalisation des centres-villes : quelles stratégies, quels résultats ? »

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures cinquante et une, est reprise à seize heures cinquante-trois.)

M. le président. La séance est reprise.

5

Quelle portée de l’intervention du Parlement dans l’élaboration du projet de loi de finances ?

Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, sur le thème : « Quelle portée de l’intervention du Parlement dans l’élaboration du projet de loi de finances ? »

Dans le débat, la parole est à M Pascal Savoldelli, pour le groupe auteur de la demande. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

M. Pascal Savoldelli, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la Constitution de 1958 a créé un déséquilibre entre un pouvoir exécutif renforcé, dominé par un Président de la République aux pouvoirs considérables, légitimé par l’élection au suffrage universel direct, d’une part, et un pouvoir législatif aux compétences réduites, d’autre part.

Ce déséquilibre démocratique dénoncé par certains, dont nous, dès le début, s’est considérablement renforcé au cours des années. Ce que l’on a appelé « hyperprésidentialisation » du temps de Nicolas Sarkozy ou aujourd’hui encore avec Emmanuel Macron est la conséquence d’un régime qui donne la clé du pouvoir au chef de l’État, qui a en particulier la possibilité de dissoudre l’Assemblée nationale.

Au fil des années, les pouvoirs du Parlement ont été réduits, rabotés et – c’est le maître mot – « rationalisés ». Qui, ici, ne constate pas cet affaiblissement continu ? Qui d’entre nous, sur l’ensemble de nos travées, ne s’en plaint pas ?

Le Président du Sénat lui-même s’est élevé contre la révision constitutionnelle proposée en 2018 par Emmanuel Macron, qui, entre autres méfaits constitutionnels, remettait en cause la navette parlementaire elle-même.

Le « cœur du métier parlementaire », selon Gérard Larcher, est le travail législatif. Mais peut-il en être autrement lorsqu’il s’agit de l’élaboration du budget de notre pays ? La loi de finances, c’est la clé de voûte de l’action de l’État ; c’est le texte qui détermine la politique de la Nation.

Or l’évolution du débat budgétaire au Parlement et la déchéance des députés et des sénateurs de leur pouvoir d’influer sur le projet de loi de finances présenté par le Gouvernement sont le symbole de la relégation de nos assemblées.

M. Gérard Longuet. C’est vrai !

M. Pascal Savoldelli. Depuis vingt ans, depuis l’édiction et la mise en œuvre de la LOLF, la loi organique relative aux lois de finances, à laquelle s’ajoutent restrictions constitutionnelles et réglementaires du droit d’intervention en la matière, on peut constater la faiblesse de notre pouvoir d’intervention en matière budgétaire : il est temps, grand temps de le faire !

C’est une question démocratique fondamentale. Redonner confiance dans l’action politique, dans le débat politique, c’est inverser le cours des choses pour que nos concitoyennes et nos concitoyens n’observent plus, jour après jour, l’impuissance de ceux qu’ils ont élus à peser sur l’évolution de la société.

La diminution des pouvoirs du Parlement en matière budgétaire est strictement parallèle au renforcement des contraintes imposées par l’Union européenne et ce que j’appelle volontiers son « bras armé », la Commission européenne, dont notre peuple ne perçoit justement pas le fondement démocratique. Nous sommes au cœur du débat sur la souveraineté populaire.

Lorsque nous parvenons à vous imposer, si j’ose dire, monsieur le ministre, un débat sur ces questions, votre réponse est sans appel : ça ne se décide pas à notre échelle, dans notre hémicycle. Le maître mot depuis vingt ans est celui-ci : ce n’est pas « eurocompatible » !

Les taux du prélèvement injuste qu’est la TVA sont encadrés par des règles européennes : on n’y touche pas !

La baisse de la trajectoire de l’impôt sur les sociétés de 8 points serait une obligation dans une économie mondialisée : on n’y touche pas !

La taxe sur les transactions financières, qui rassemble désormais largement les partisans d’une plus grande justice fiscale, relève d’une négociation européenne. Ce n’est pas pour nous : on n’y touche pas !

« Si vous agissez, nous dit-on, c’est la fuite des capitaux ! » Emmanuel Macron lui-même a fixé la ligne : « Est-ce qu’on peut massivement taper les gros contribuables, idée qu’on adore chez nous ? On peut le faire, mais les gros s’en vont. » Ce chantage à la fuite des premiers de cordée débouche sur une impossibilité à modifier tant l’impôt sur le revenu que l’impôt sur les sociétés pour améliorer leur progressivité. Là non plus, on n’y touche plus !

Comme le développera mon collègue Éric Bocquet, le droit d’intervention sur les lois de finances a connu une réduction drastique. Le droit d’amendement y est réduit à sa portion congrue sous la pression de l’article 40 de la Constitution, que nous proposons d’abroger, ou pour le moins d’assouplir, et de la LOLF. Ces outils accompagnent inexorablement la montée en puissance des autorités européennes en dehors d’un contrôle démocratique réel et permanent.

Quand nous commençons à examiner le projet de loi de finances, il a déjà été validé par la Commission européenne. Le Haut Conseil des finances publiques et la Cour des comptes ont vérifié s’il ne sortait pas des clous de ladite programmation des finances publiques, qui établit la conformité de notre politique budgétaire aux objectifs financiers, économiques et sociaux de la Commission européenne.

Oui, je l’affirme, la déferlante d’irrecevabilités, notre réduction du temps de parole en la matière et l’étroitesse de la marge de manœuvre résultent de choix fondamentaux qui, selon nous, posent un problème démocratique grave.

Mes chers collègues, vous l’aurez compris, c’est dans une démarche critique, mais aussi constructive, que nous avons de l’ambition.

Réhabiliter les prérogatives du Parlement en matière budgétaire exige bien entendu des réformes structurelles lourdes, extrêmement lourdes. Il faudrait changer l’Europe, changer notre Constitution et changer notre règlement.

Nous avons engagé un travail, avec nos collègues députés, pour livrer un contre-projet à la réforme dite « de modernisation des finances publiques » qui rassemble de La République En Marche jusqu’aux Républicains à l’Assemblée nationale. Nous vous opposerons un projet d’abord focalisé sur la planification des besoins de la Nation et fondé sur la démocratisation de la procédure budgétaire.

Nous refusons l’idée qu’une loi de programmation consiste seulement à sanctionner les parlementaires et les ministères dépensiers, pris dans des comptes d’apothicaires, toujours corsetés par la lancinante et persistante musique de la dette.

Même si certains ici aspirent à voir inscrire une « règle d’or » dans la Constitution,…

M. Pascal Savoldelli. … nous mettons en avant une planification des nécessités de notre pays. Dans cette perspective, ce ne serait plus le niveau des dépenses qui serait pris en compte, mais son degré d’utilité sociale…

M. Gérard Longuet. Et comment le définirez-vous ?

M. Pascal Savoldelli. … et sa capacité à donner aux citoyennes et aux citoyens les moyens dont ils ont besoin pour transformer l’économie, la décarboner, la réindustrialiser, la rapprocher du consommateur, la rendre résiliente et redistributive. Voilà les défis qu’une programmation pluriannuelle cohérente nous permettra de relever !

Je vous l’ai dit, le peuple doit retrouver confiance dans les décisions politiques à caractère budgétaire et fiscal. Pour lui en donner l’occasion, il nous faut réorganiser les règles budgétaires, condition indispensable pour recréer du consentement.

Le Conseil constitutionnel, en 2006, s’est trouvé obligé de censurer un article qui créait un plafonnement des avantages fiscaux. Pour quelle raison ? La règle fiscale ainsi votée par le Parlement n’était pas compréhensible et risquait de léser les contribuables.

Il nous faudra clarifier le périmètre des missions, intégrer toutes les formes de dépenses et tracer les crédits par politiques publiques. Une fois accomplie cette indispensable simplification, il nous faudra consulter les citoyens et ne pas les laisser aux portes du Parlement subir, pendant cinq ans, les orientations fiscales et budgétaires décidées par la majorité présidentielle.

Contrairement à la révision constitutionnelle avortée d’Emmanuel Macron, qui refusait cette possibilité, nous n’excluons pas que les contribuables puissent décider par référendum des grandes problématiques fiscales. Ils pourraient être consultés lors de l’examen des lois de programmation, sur une ou plusieurs thématiques, par le biais d’une plateforme numérique populaire. Je verse cette réflexion au débat.

Parce qu’une idée minoritaire peut devenir majoritaire, les propositions sur la fiscalité que nous présentions sortent renforcées par toute forme d’expression citoyenne et nous engagent à continuer de les défendre dans l’hémicycle. Je pense notamment à l’augmentation du taux de la taxe sur les transactions financières et à un élargissement de son assiette pour allouer cet argent à la transition écologique.

Toutes celles et tous ceux qui sont attachés à la défense des droits du Parlement peuvent s’atteler à la tâche. Nous vous y invitons, avec solennité, car c’est bien l’avenir de la démocratie qui est en jeu.

En conclusion, revenons à la lettre de l’article XIV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, dévoyé successivement par la Constitution de la Ve République, puis par la LOLF, qui a scellé notre impuissance collective. Nous ne nous y résignons pas.

En somme, deux projets sont envisagés : l’un réclame plus de rigueur budgétaire et plus d’économies,…

M. Pascal Savoldelli. … l’autre prône plus de service public, plus de participation citoyenne, plus d’efficacité et plus de Parlement.

Monsieur le ministre, quand pensez-vous instaurer un véritable droit d’initiative parlementaire en matière financière, par considération pour nos débats dans cet hémicycle ? Quelles mesures nouvelles, favorables à des pratiques respectueuses de nos prérogatives parlementaires sur le budget, pourriez-vous encourager ?

Enfin, je veux remercier l’ensemble de nos collègues ici présents de leur attention ; j’espère que nos échanges permettront de rénover la pratique parlementaire dans l’élaboration et l’examen des lois de finances. Il y va de la confiance dans la politique et dans notre avenir commun ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

M. le président. La parole est à M. Rémi Féraud.

M. Rémi Féraud. Monsieur le président, mes chers collègues, sur l’initiative du groupe CRCE, nous discutons aujourd’hui de la place du Parlement dans l’élaboration du projet de loi de finances (PLF).

Si cette question s’inscrit dans un débat plus large sur le rôle de nos assemblées dans la construction des politiques publiques, je veux profiter de cette prise de parole pour faire quelques observations sur notre rôle de parlementaires, lors des discussions budgétaires, ou plutôt sur nos marges de manœuvre très réduites.

Sans verser dans la critique facile de la technocratie, force est de constater que cette dernière conserve une certaine prévalence sur le politique, en particulier dans le domaine des lois de finances. Nul besoin d’en rajouter : chacun connaît le poids de Bercy dans notre pays, quel que soit le gouvernement en place.

Certes, le passage de l’ordonnance du 2 janvier 1959 à la LOLF de 2001 était porteur d’évolutions ; sans doute les choses se sont-elles améliorées avec le vote de nos budgets au premier euro. Mais les dispositions mêmes de la LOLF contraignent beaucoup l’initiative des parlementaires. Le principe de la fongibilité asymétrique, par exemple, limite très fortement leurs marges de manœuvre. Il conduit, de fait, à réserver au Gouvernement le véritable choix des orientations budgétaires – vous en conviendrez sûrement, monsieur le ministre.