Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics. Madame la présidente, monsieur le ministre – cher Bruno Le Maire –, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, dans le contexte macroéconomique brossé par le ministre de l’économie à l’instant, nous avons préparé un projet de loi de finances pour 2022 autour de quelques priorités que je souhaite rappeler au début de ce débat.

Notre premier objectif est évidemment de tenir les engagements pris par le Président de la République depuis 2017 et de mettre en œuvre les priorités politiques qui sont celles du Gouvernement. C’est la raison pour laquelle le budget que nous vous présentons prévoit de revaloriser un certain nombre de budgets, en commençant par les crédits accordés aux fonctions régaliennes de l’État.

Ainsi, comme les années précédentes, nous vous proposons de respecter la loi de programmation militaire, avec une augmentation de 1,7 milliard d’euros des crédits. Les crédits du ministère de l’intérieur sont, quant à eux, augmentés de 1,5 milliard d’euros. Nous avions initialement prévu, lors du débat d’orientation sur les finances publiques, une augmentation de 987 millions d’euros, mais cette somme a été revue à la hausse pour tenir compte des conclusions du cycle de concertation dit de Beauvau.

De la même manière, nous vous proposons d’augmenter le budget du ministère de la justice de 8 % pour la deuxième année consécutive, soit une augmentation de crédits de 670 millions d’euros. Ainsi, en 2022, nous aurons non seulement rattrapé la trajectoire de la loi de programmation pour la justice, mais nous serons même au-delà, avec une exécution à laquelle nous veillons, et qui a été l’objet de discussions, hier, à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances rectificative.

En parallèle, il est proposé de consacrer des crédits nouveaux à la préparation de l’avenir. Le budget du ministère de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports sera ainsi augmenté de 1,7 milliard d’euros, dont 200 millions d’euros seront consacrés au financement par l’État de la participation obligatoire des employeurs publics à la protection sociale complémentaire, à l’instar de ce que nous avons prévu pour tous les ministères.

Le budget du ministère de l’enseignement supérieur sera, lui, augmenté de 700 millions d’euros, à la fois, pour respecter les engagements de la loi de programmation pour la recherche, à hauteur de 550 millions d’euros, et pour financer les mesures en faveur de la vie étudiante. Je pense notamment à la revalorisation des crédits consacrés aux bourses du fait de l’augmentation du nombre d’étudiants boursiers, mais aussi à des mesures d’accompagnement de la sortie de crise.

Préparer l’avenir, c’est aussi anticiper et accompagner la transition écologique. À cette fin, le budget du ministère de la transition écologique augmentera de 1,5 milliard d’euros, ce qui nous permettra, notamment, de maintenir le niveau des crédits consacrés à MaPrimeRénov’ à 2 milliards d’euros et, ainsi, de garder le même rythme d’accompagnement de la rénovation des logements.

Autre priorité, nous avons aussi voulu accorder une attention particulière à celles et ceux de nos concitoyens qui sont les plus fragiles, autrement dit à la question de la solidarité, dans toutes ses dimensions et à l’égard de tous les publics, qui sont très divers.

Nous vous proposons de maintenir 190 000 places d’hébergement d’urgence, avec une logique de gestion annuelle et non plus en saison, comme c’était le cas auparavant. Cela nous amène ainsi à maintenir le budget consacré à l’hébergement d’urgence à hauteur de 2,7 milliards d’euros. Je souligne qu’au début du quinquennat ces crédits s’élevaient à 1,8 milliard d’euros – l’augmentation est donc de 900 millions d’euros.

Nous souhaitons par ailleurs revaloriser les crédits consacrés à l’allocation aux adultes handicapés (AAH). Là encore, il s’agit d’un poste de dépenses qui a beaucoup augmenté depuis le début du quinquennat, avec un accroissement des crédits de 2,4 milliards d’euros en cinq ans. En complément, nous vous proposons de mettre en œuvre un engagement pris devant vous par ma collègue Sophie Cluzel, consistant à prévoir un abattement sur les revenus des bénéficiaires de l’AAH vivant en couple. Cela permettra à 110 000 allocataires de bénéficier d’une revalorisation de 110 euros par mois.

Toujours dans le domaine de la solidarité, nous voulons maintenir notre effort en matière de lutte contre les discriminations et en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes. Le total des crédits consacrés à cette thématique, lorsque l’on agrège tous les ministères, s’élève à 1 milliard d’euros. Les crédits pilotés directement par le ministère délégué à l’égalité entre les femmes et les hommes sont plus modestes – ils financent le 39 19, qui est désormais ouvert sept jours sur sept, et différents appels à projets. Ils s’élevaient à 28 millions d’euros voilà deux ans et seront de 51 millions d’euros cette année.

Par ailleurs, nous voulons mettre en avant les questions relatives à la solidarité internationale. Ainsi, comme les années précédentes, nous vous proposons d’augmenter de nouveau les crédits affectés à l’aide publique au développement, ce qui nous permettra, en 2022, de consacrer 0,55 % du revenu national brut à ce poste budgétaire, et ainsi d’avoir rempli l’engagement pris par le Président de la République, qui était d’atteindre le taux de 0,5 %. Ce budget est certainement l’un de ceux qui auront le plus évolué.

Toujours pour illustrer les orientations et les priorités de ce projet de loi de finances, je veux enfin m’arrêter un instant sur les relations financières entre l’État et les collectivités locales. Ce budget présente dans ce domaine des éléments de stabilité : la dotation globale de fonctionnement (DGF) est reconduite à hauteur de 26,8 milliards d’euros ; la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR) est reconduite à hauteur de 1 milliard d’euros ; la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL) est, elle aussi, reconduite à hauteur de 1 milliard d’euros, que nous allons revaloriser de 350 millions d’euros supplémentaires, avec la volonté de flécher principalement cette somme sur les projets inscrits dans les contrats de relance et de transition écologique, dont nous souhaitons la signature avec les intercommunalités.

S’agissant des relations financières entre l’État et les collectivités, nous voulons consacrer un principe de stabilité fiscale. Comme vous le savez, la fiscalité locale a beaucoup évolué, ce qui a occasionné des débats souvent longs et parfois même complexes entre le Gouvernement et la Haute Assemblée. Nous vous proposons donc la stabilité, avec la mise en œuvre d’une tranche supplémentaire de suppression de la taxe d’habitation, ce qui ne change pas désormais le panier de ressources des collectivités. C’est aussi au nom de cette stabilité que nous avons pris la décision de ne pas inscrire dans ce projet de loi de finances la réforme de l’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (IFER), que beaucoup attendaient, notamment du côté des opérateurs de téléphonie. Nous avons considéré qu’il fallait davantage de concertation afin d’aboutir à une réforme plus consensuelle que celle qui pouvait être évoquée.

Enfin, s’agissant toujours des collectivités, nous prévoyons des crédits supplémentaires pour accompagner un certain nombre de mesures importantes dans les territoires. Je pense à l’augmentation des crédits consacrés au Fonds national d’aménagement et de développement du territoire (FNADT), à hauteur de 35 millions d’euros, pour accompagner le déploiement des maisons France Services. Je pense aussi à l’augmentation des crédits du ministère chargé de la politique de la ville, pour 47 millions d’euros, à la fois pour accompagner le déploiement d’éducateurs spécialisés et pour financer 200 cités éducatives, puisque cette expérience a montré tout le bénéfice qu’elle pouvait apporter – nous souhaitons ainsi l’élargir.

Telles sont les priorités que nous finançons, et nous le faisons en respectant trois lignes directrices en matière budgétaires.

La première ligne directrice ne vous surprendra pas, puisque c’est celui que nous suivons depuis le début du quinquennat : il s’agit de l’allégement de la fiscalité. Ce projet de loi de finances, comme je viens de l’indiquer, met en œuvre la suppression d’une deuxième tranche de taxe d’habitation pour les 20 % de ménages qui la paient encore. De la même manière, nous achevons la trajectoire de baisse de l’impôt sur les sociétés. Ainsi, en 2022, l’engagement de voir l’ensemble des sociétés assujetties à un taux de 25 % sera tenu.

Cet engagement en matière de fiscalité nous permet d’atteindre nos objectifs. Nous reviendrons en 2022 à un taux de prélèvements obligatoires de 43,4 %, soit un taux équivalent à celui de 2010, ce qui signifie qu’en l’espace d’un quinquennat nous aurons effacé les conséquences en matière de prélèvements obligatoires des deux chocs fiscaux qui ont conduit à un relèvement de la fiscalité : celui, juste après 2010, qui a plutôt concerné les ménages, et celui de 2012-2013, qui portait davantage sur les entreprises.

La deuxième ligne directrice, c’est de continuer à mener un certain nombre de réformes. Nous aurons l’occasion de revenir, à l’article 3 en particulier, sur la mise en place d’une avance immédiate en ce qui concerne le crédit d’impôt pour les services à la personne et de vous proposer d’aller plus avant en matière de réforme de l’unification du recouvrement. D’autres réformes sont abordées, notamment en matière d’opérateurs et d’établissements.

Même si nous avons fait le choix de ne pas inscrire dans ce projet de loi de finances des mesures extrêmement structurées et dures, qui auraient peut-être été de nature à accélérer le redressement des finances publiques, nous continuons à moderniser et à simplifier à chaque fois que nous le pouvons. Notre volonté est d’accompagner la relance de la croissance, car c’est ce qui va nous permettre de faire face à nos engagements financiers. Nous ne voulons pas répéter l’erreur de vouloir redresser trop rapidement les comptes publics, au risque d’étouffer la croissance. C’est la raison pour laquelle nous sommes plutôt sur une voie de normalisation.

À cet égard, et j’en terminerai avec la troisième ligne directrice, le projet de budget marque la fin du « quoi qu’il en coûte », avec l’extinction des mesures d’urgence et la volonté d’aller au bout du plan de relance. Bruno Le Maire l’a indiqué, 70 % des mesures du plan seront mises en œuvre au 31 décembre prochain, et l’année 2022 nous permettra d’engager, et surtout de décaisser, les crédits correspondant au reste.

Hors dépenses consacrées au plan de relance et hors reste à payer consacré aux mesures d’urgence, les dépenses dites ordinaires de l’État sont donc maintenues et maîtrisées. Ainsi, nous vous proposons un projet de loi de finances qui s’appuie sur une hypothèse d’évolution des dépenses publiques hors relance et hors urgence, toutes administrations confondues, à 1 % en volume, ce qui est aussi le signe et l’illustration d’une forme de normalisation en matière de finances publiques.

Pour conclure, quels sont les résultats que nous vous proposons d’atteindre avec ce projet de loi de finances ?

Nous voulons d’abord respecter l’engagement que nous avons pris devant vous de décrue progressive du déficit public. Nous étions à 9,1 % en 2020, et nous serions, avec ce budget, à 8,2 % pour 2021, mais la perspective d’une croissance plus importante que celle que nous avions envisagée à la fin du mois d’octobre peut entraîner des recettes supplémentaires de nature à diminuer le déficit. Dans ces conditions, peut-être pourrions-nous espérer atteindre 8 %, voire 7,9 %. Enfin, nous serons sur un déficit égal ou inférieur à 5 % en 2022, ce qui est la marque d’une trajectoire de redressement et l’annonce d’un retour à une situation, qui, si elle reste dégradée, nous paraît un peu plus normale et soutenable.

Le niveau de la dette sera lui aussi moins important que prévu, comme je l’ai indiqué hier. Nous prévoyons pour 2022 une dette représentant 113,5 % du PIB, alors qu’il y a quelques mois encore nous craignions d’atteindre les 120 %.

Le poids de la dépense publique par rapport au PIB sera également revu à la baisse, à hauteur de 56 % à 57 %, ce qui correspond peu ou prou au niveau de 2018. Je rappelle que nous avions atteint 53,5 % en 2019. C’était également l’un des engagements qui avaient été pris.

S’agissant des prélèvements obligatoires, je l’ai déjà dit, nous serons à 43,4 %.

Ces quatre indicateurs tiennent compte de l’intégration par l’Assemblée nationale, à la fois, des crédits consacrés au plan d’investissement, des pertes de recettes que représente le bouclier tarifaire en matière énergétique, que nous avons proposé pour accompagner les Français face à la crise, ainsi que de la mise en œuvre de l’indemnité inflation, en grande partie portée par le projet de loi de finances rectificative.

Nous vous présentons donc un budget qui permet d’accompagner la relance, d’aller vers une forme de normalisation en matière de finances publiques et de tenir les engagements du Président de la République et de sa majorité. Je ne doute pas que les heures et les jours à venir de discussions sur ce budget nous permettront d’approfondir nos réflexions et d’améliorer le texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur général. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Madame la présidente, messieurs les ministres, monsieur le président de la commission des finances, mes chers collègues, l’an dernier, à la même place, nous ouvrions l’examen du projet de loi de finances dans le contexte d’un reconfinement de la France et du retour à grande force du virus de la covid-19.

Cette année, alors que la reprise économique s’avère plus forte que nous l’avions espérée au cours des derniers mois, c’est un budget livré « en kit » que nous nous apprêtons à discuter. Lors de son dépôt, le 22 septembre, il a même été qualifié d’incomplet par le Haut Conseil des finances publiques lui-même, dans la mesure où les principales mesures annoncées au cours des derniers mois, à savoir, notamment, le grand plan d’investissement, devenu France 2030, et le revenu d’engagement, devenu contrat d’engagement jeune, n’y figuraient pas.

Depuis, au gré des déplacements présidentiels et ministériels, de nouvelles annonces se font jour, se concrétisant, pour la plupart d’entre elles, dans le projet de loi de finances au fil de son examen à l’Assemblée nationale.

D’un budget incomplet, nous sommes passés, autant le dire, à un budget de campagne, assorti de mesures pour le moins hétéroclites. Il y en a pour tout le monde, ou presque !

Pour cela, l’exécutif profite d’une embellie économique inespérée, puisque la croissance pour 2021 pourrait atteindre plus de 6,6 %, et même 6,8 % – monsieur le ministre, je suis plutôt d’accord avec vous sur ce point.

L’ampleur de la reprise en 2021 constitue évidemment une bonne nouvelle et elle offre une rampe de lancement particulièrement favorable pour l’économie en 2022. Ainsi, dans l’hypothèse pessimiste où l’activité ne progresserait pas au cours du quatrième trimestre, l’acquis de croissance en 2022 pourrait s’élever à 1,8 %, niveau qui n’a été dépassé que trois fois en trente ans.

Pour autant, les conjoncturistes jugent que la prévision de croissance à 4 % en 2022 est optimiste, sachant que la forte croissance en 2021 témoigne davantage d’un rattrapage plus précoce que d’une amélioration de nos fondamentaux économiques.

En outre, d’importants aléas pèsent sur la croissance. Ainsi, le niveau de consommation des ménages pourrait, d’un côté, être porté par la libération de l’épargne de précaution accumulée pendant la crise épidémique et, de l’autre, être réduit sous l’effet de l’inflation, en particulier de la flambée des prix de l’énergie. Les données publiées par l’Insee à la fin du mois d’octobre invitent à considérer que les prévisions gouvernementales, auparavant crédibles, sont désormais dépassées, au moins pour 2021, avec une inflation de l’indice des prix à la consommation harmonisé de 2 %, contre 1,7 % prévu.

L’éventuelle poursuite de la hausse des prix de l’énergie pourrait réduire la croissance en pesant non seulement sur la consommation des ménages, mais aussi sur la compétitivité des entreprises. La direction du Trésor et l’Insee estiment, à cet égard, qu’une hausse de 10 dollars des prix du pétrole réduit le PIB d’environ 0,1 point l’année suivante.

Il faut, par ailleurs, garder à l’esprit que la question des prix de l’énergie s’articule avec l’augmentation tendancielle des prix des matières premières et des difficultés de recrutement : autant de facteurs qui ont in fine un impact sur les prix de vente et donc sur l’inflation ou sur la profitabilité et la compétitivité des entreprises.

Enfin, une reprise importante de l’épidémie de covid-19 ne serait, bien sûr, pas sans conséquence.

Face à ces aléas, le Gouvernement a apporté une réponse au fil de l’eau, en direction des ménages et des fournisseurs d’électricité.

S’agissant de l’état de nos finances publiques, je ne cache plus mon inquiétude. Depuis le début de l’épidémie, nous avons été soucieux de donner au Gouvernement les moyens d’agir dans l’urgence face à la crise, ainsi que pour la relance. Un volume important de dépenses ou de baisses de recettes a été autorisé pour soutenir notre économie, ce qui n’a pas été un mauvais choix : au sortir de la crise, nos capacités de production ont été préservées.

Pour autant, cette situation extraordinaire ne saurait avoir ni effacé la mémoire de notre commission ni exonéré le Gouvernement de toute responsabilité en matière de maîtrise des comptes publics.

Ainsi, contrairement à ses engagements pris en loi de programmation et à l’effort assez ambitieux qu’il s’était assigné, le Gouvernement a abandonné tout effort de maîtrise des dépenses à compter de 2019.

Concrètement, ce relâchement signifie que les dépenses primaires ont poursuivi une trajectoire de hausse très importante tout au long du quinquennat, avec une croissance en volume de l’ordre de 1,2 % par an. En comparaison avec les objectifs fixés en début de quinquennat, la dépense primaire devrait ainsi accuser un écart de 65 milliards d’euros en 2022.

Compte tenu du scénario de croissance et des dépenses nouvelles qui s’ajoutent à ce qui était prévu initialement dans le projet de loi de finances, le solde public atteindrait donc 5 % du PIB en 2022, avec un taux d’endettement de 113,5 %.

Est également particulièrement critiquable le fait que 40 milliards d’euros de dépenses primaires soient à ce jour constatés. La dernière fois que nous avions pu assister à une hausse de cette ampleur, c’était en 2017, à l’aube – est-ce une surprise ? – d’une autre campagne présidentielle.

Quoi qu’il en soit, le Gouvernement n’a pas voulu mettre à profit les bénéfices d’un regain inattendu de la croissance pour réduire notre endettement et assainir nos finances publiques.

J’observe que, parallèlement, les administrations publiques locales produisent, elles, les efforts demandés. Leurs dépenses de fonctionnement augmenteraient ainsi seulement de 0,9 % en volume en 2022, ce qui signifie qu’elles auraient progressé de 1,1 % en moyenne depuis 2019. Avouez, messieurs les ministres, que c’est un effort substantiel et méritoire de maîtrise des dépenses de la part des collectivités territoriales, dans la mesure où, sur une longue période, ces dépenses croissent tendanciellement d’environ 1,9 % par an en volume.

La stratégie affichée du Gouvernement en matière de maîtrise des comptes publics pour l’avenir ne laisse pas de m’inquiéter. Il propose en effet de limiter la croissance annuelle de la dépense primaire hors mesures d’urgence et de relance à 0,4 % par an en volume entre 2022 et 2027.

Un tel résultat serait empiriquement inédit, et je ne peux que redire combien il nécessite, pour être crédible, de déterminer et de présenter les moyens envisagés pour y parvenir. Or une telle documentation n’existe pas et le Gouvernement se contente, à ce stade, de donner une cible, sans préciser comment elle serait atteinte. En tout état de cause, ce n’est pas le budget 2022 qui amorcera le processus.

D’ailleurs, en pratique, le Gouvernement s’était déjà engagé sur un objectif comparable en début de quinquennat. Il réitère donc aujourd’hui une promesse qu’il n’a pas su tenir. Devant l’absence de résultats, la trajectoire proposée par le Gouvernement s’apparente, de mon point de vue, à une simple mesure d’affichage.

La crise sanitaire ne peut masquer ni le manque de sérieux budgétaire du Gouvernement au cours du quinquennat ni l’absence de perspectives crédibles d’amélioration des comptes publics. Pourtant, la maîtrise de la dépense publique et l’assainissement de nos comptes publics sont une nécessité absolue. Il y a une véritable urgence à transformer la simple promesse en un véritable engagement.

S’agissant plus précisément du budget de l’État, après un niveau inédit en 2021, avec un déficit de 205 milliards d’euros, selon les prévisions du projet de loi de finances rectificative de fin d’année, le budget 2022 affiche désormais un déficit qui reste particulièrement élevé, à 155,1 milliards d’euros, dont près de 12 milliards supplémentaires sous le seul effet des mesures adoptées par l’Assemblée nationale, tant en recettes, avec le bouclier tarifaire, qu’en dépenses. Le Gouvernement semble donc considérer que le niveau de déficit atteint au plus fort de la crise de 2009 et 2010 est désormais, en quelque sorte, un régime de croisière normal pour le paquebot de l’État.

Or ce paquebot s’alourdit d’une dette qui ne cesse de croître et de s’aggraver, avec des émissions nouvelles de 260 milliards d’euros pour la troisième année consécutive. À cet égard, le « remboursement » de la dette covid à hauteur de 1,9 milliard d’euros, proposé par le Gouvernement, n’est en réalité qu’un artifice comptable consistant à emprunter pour rembourser la dette, dont il ne réduit pas du tout le niveau.

Le déficit n’est pas dû aux recettes, qui bénéficient, elles, de la reprise économique. Le bouclier tarifaire introduit par amendement à l’Assemblée nationale réduit toutefois ces recettes de 5,3 milliards d’euros, mais cela sera certainement davantage, puisque ce chiffre a déjà été révisé à 5,9 milliards d’euros.

Le projet de loi de finances n’introduit pas de réforme fiscale de grande ampleur et se place dans la continuité des années précédentes. Sur l’ensemble du quinquennat, le niveau global des recettes fiscales nettes est stable, autour de 290 milliards d’euros, et on peut observer un choix marquant du Gouvernement consistant à transférer de plus en plus de parts de fiscalité à des tiers, tels que la sécurité sociale ou les collectivités : ainsi, la fiscalité affectée est désormais de 335 milliards d’euros et dépasse le montant des recettes fiscales revenant à l’État lui-même. Par conséquent, le surcroît des recettes qui résulterait de la croissance ne profiterait que partiellement à l’État, ce qui rendra le remboursement de la dette encore plus difficile.

C’est donc aux dépenses que le déficit est dû à titre principal. Le sujet est pour le moins mouvant, compte tenu des 277 amendements que l’Assemblée nationale a adoptés en seconde partie de la loi de finances, dont 113 présentés par le Gouvernement. Autant le budget déposé en septembre était famélique et incomplet, autant celui qui nous est transmis porte des mesures de dépenses en surabondance.

Rendez-vous compte : hors missions « Plan de relance » et « Plan d’urgence », les dépenses dites pilotables étaient, dès le dépôt du texte en septembre, donc avant les mesures nouvelles, en augmentation de 11,8 milliards d’euros, soit 4,1 %, à périmètre constant, par rapport à la loi de finances initiale pour 2021.

Les dépenses courantes continuent la progression qui a marqué l’ensemble du quinquennat, loin, très loin des objectifs de diminution fixés voilà quatre ans. Nous assistons là à une véritable dérive.

Et la quasi-totalité des missions du budget général est concernée par les augmentations de dépenses. Il y en a vraiment pour tout le monde ! Le plus marquant est bien sûr l’amendement, inédit sous la Ve République par son montant, qui ouvre 34 milliards d’euros d’autorisations d’engagement pour le plan d’investissement France 2030, dont nous ignorons toutes les modalités, et qui pèse déjà à hauteur de 3,5 milliards d’euros sur le solde en 2022.

Cet amendement est l’exemple même des mesures qui, prises en toute fin du quinquennat, augmentent les engagements de l’État et instaurent une contrainte à la hausse sur les dépenses des prochaines années et pour le prochain président de la République.

S’agissant enfin des emplois, 850 équivalents temps plein sont créés dans les ministères au titre des missions du budget général. Toutefois, le Gouvernement a réduit artificiellement les plafonds d’emplois de près de 7 000 équivalents temps plein travaillés en excluant tout simplement les apprentis de leur décompte. Sur l’ensemble du quinquennat, le nombre d’emplois est stable, le Gouvernement ayant totalement abandonné l’objectif initialement fixé d’une baisse de 50 000 emplois, tandis que la masse salariale poursuit inexorablement son augmentation.

En conclusion, la commission des finances a proposé d’adopter la première partie de ce projet de loi de finances, sans entrain et avec un nombre limité d’amendements techniques et de correction des dispositifs qui lui étaient transmis par l’Assemblée nationale.

Je lui proposerai demain matin, en complément, d’adopter deux amendements, déjà annoncés, qui me paraissent devoir être présentés du fait de l’importance de leurs sujets.

Le premier concerne les collectivités locales, car j’estime nécessaire de prévoir une compensation intégrale de la perte de recettes de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), estimée à 5 % en 2022. Il s’agit là non seulement d’une conséquence de la crise, du fait de la mécanique de cette cotisation, mais aussi d’une forme de reconnaissance et d’un juste retour de l’action et de la présence des collectivités territoriales, en première ligne pendant la crise.

Le second vise à s’attaquer à la fraude, puisque je proposerai un renforcement du dispositif de lutte contre les arbitrages de dividendes, pratique mise en lumière par l’affaire des « CumEx Files » en 2018 et contre laquelle la commission des finances avait déjà présenté un amendement.

Le sujet est revenu dans l’actualité et le bilan du dispositif a minima que l’Assemblée nationale a finalement adopté me semble insuffisant.

Du côté des dépenses, la commission a eu l’occasion de formuler lors de ses réunions de nombreuses critiques sur les choix politiques qui guident l’élaboration des budgets alloués à bien des politiques publiques. Cela nous a conduits à proposer de ne pas adopter les crédits de plusieurs missions et comptes d’affectation spéciale.

Ainsi peuvent être résumés les résultats des travaux de la commission des finances avant d’aborder l’examen en séance d’un budget à la fois évolutif et manifestement tourné vers la prochaine campagne présidentielle, dont il porte très clairement la marque. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)