M. Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer. C’est ce que je dis !

Mme Agnès Canayer. Un tel statut serait la première pierre de la différenciation, car, comme vous le savez, il n’y a pas un outre-mer, mais des outre-mer.

Prévoir le vote annuel d’une loi d’actualisation du droit d’outre-mer faciliterait la mise en œuvre des politiques locales tant par les élus ultramarins que par les administrations déconcentrées de l’État, et cela assurerait le lien et la cohérence entre les politiques publiques et les spécificités locales.

Par ailleurs, afin de répondre à la crise avant qu’elle n’ait lieu, il est temps de disposer d’une meilleure courroie de transmission entre les collectivités ultramarines et le Gouvernement, notamment lorsque les premières souhaitent formuler des propositions de modifications législatives. Il y a donc beaucoup à faire, monsieur le ministre, dans cette France tout entière, riche de ses territoires ultramarins.

Les problématiques structurelles concernant nombre de territoires ultramarins sont restées largement les mêmes durant le mandat. Elles devront être traitées tôt ou tard afin de rétablir aussi la confiance, avant que celle-ci ne soit totalement rompue. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Cyril Pellevat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Cyril Pellevat. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’imagine que nous sommes nombreux à nous être posé les mêmes questions devant les images des violences que nous avons vues la semaine dernière en Guadeloupe et en Martinique. De telles scènes ont-elles réellement eu lieu en France ? Comment est-ce possible ? Comment a-t-on pu en arriver là ?

Ce qui s’est passé ces derniers jours dans les Antilles semble tout bonnement impensable, mais ces événements ont bel et bien eu lieu. Ils sont symptomatiques d’une crise aux racines bien plus profondes qu’une contestation de l’obligation vaccinale des soignants et du passe sanitaire.

La crise qui se manifeste aujourd’hui dans les outre-mer est complexe. Elle est multiface et à plusieurs degrés, du plus urgent au plus profond.

La priorité qui devait être la nôtre était la sécurité. Il était urgent de rétablir l’ordre et de faire preuve de force et de fermeté face aux violences. Si les revendications des populations d’outre-mer sont légitimes, de telles actions étaient tout simplement inacceptables, et il devait y être mis fin au plus vite. Les tensions se sont désormais calmées et l’envoi de policiers et de militaires supplémentaires était bienvenu. Mais je ne peux que regretter que cette décision ait pris tant de temps à intervenir. Je souhaite désormais que la justice fasse preuve de la plus grande fermeté envers les auteurs de telles exactions, en particulier envers ceux qui se sont rendus coupables de violences sur les forces de l’ordre. Il est de notre devoir d’être intransigeants à cet égard.

La deuxième problématique qui doit être au centre de nos préoccupations a trait à la situation sanitaire. L’obligation vaccinale pour les soignants et le passe sanitaire sont, en surface, les raisons qui ont précipité les outre-mer dans une telle crise. Alors que près de 80 % de la population est vaccinée dans l’Hexagone, le taux de vaccination le plus élevé en outre-mer est de 60 % pour La Réunion et le plus bas n’atteint même pas 23 % en Guyane. Ces disparités doivent conduire à nous interroger et à nous adapter. Elles mettent en lumière une réelle absence de confiance des populations envers le pouvoir central et ses décisions, ainsi qu’en la médecine. Les récentes décisions du Gouvernement visant à repousser l’entrée en vigueur de l’obligation vaccinale et à prioriser les vaccins sans ARN pour les outre-mer étaient nécessaires, mais elles ne suffiront pas. Des mesures fortes devront être prises pour retisser les liens de confiance, qui – soyons honnêtes – ne sont plus là depuis de nombreuses années. Leur disparition résulte en réalité de considérations économiques, sociales et identitaires.

Les populations d’outre-mer se sentent abandonnées par l’État et n’arrivent plus à discerner son action. Cela ne signifie pas que celle-ci soit inexistante, mais elle est, à tout le moins, insuffisante pour satisfaire ces populations et leur permettre d’en voir les effets.

Voyons les choses en face : tout est dégradé dans ces territoires. Les logements sont insalubres. Le taux de chômage explose et la pauvreté est endémique. Le pouvoir d’achat est en berne. Les services publics sont à l’abandon. Une grande partie de la population n’a pas accès à de l’eau potable.

Cette crise sociale et économique entraîne une crise identitaire et un sentiment de non-appartenance et de mise à l’écart des populations.

Parmi les questions que l’on peut lire en filigrane de ces événements, figure celle du droit à la différenciation, à la déconcentration et à la décentralisation des territoires, un droit pour lequel – cela a été rappelé par notre collègue Agnès Canayer – le Sénat plaide depuis des décennies. Je pense sincèrement que c’est peut-être là que réside une solution à la crise.

Ce n’est pas en donnant une autonomie aux outre-mer, comme vous l’avez suggéré, monsieur le ministre, que nous en viendrons à bout. D’ailleurs, il est presque indécent d’avoir évoqué ce sujet alors que cela ne faisait même pas partie des revendications de la population…

M. Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer. Si ! Je ne l’ai pas inventé !

M. Cyril Pellevat. Même les autonomistes s’en émeuvent ! C’est dire !

M. Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer. Moi, j’étais sur place !

M. Cyril Pellevat. Non ! Ce que nous devons faire, c’est, au contraire, appliquer enfin réellement ce droit à la différenciation. Cela vaut pour toute la France, pas seulement pour l’outre-mer. Je pense notamment aux territoires de montagne, dont vous savez combien ils sont chers à mon cœur. Ce droit existe ; il faut l’appliquer.

Au lieu de désengager l’État des outre-mer, nous devons au contraire l’y renforcer, réinvestir dans ces territoires et les accompagner tout en veillant à ce que celui-ci respecte leurs spécificités et s’y adapte. À mon sens, c’est le seul moyen de faire en sorte que les populations locales se réapproprient l’État et ne le voient plus comme un ennemi. Malheureusement, l’examen du projet de loi 3DS a été une occasion manquée.

J’espère que les événements nous ayant amenés à avoir ce débat auront au moins permis d’engager la réflexion et de prendre la mesure de l’urgence. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, j’avais préparé une intervention générale, mais je vais plutôt répondre à certaines des questions que les différents orateurs ont posées.

Les situations territoriales sont très différentes, par exemple entre les Antilles et la Nouvelle-Calédonie, même s’il existe des thématiques communes à l’ensemble des outre-mer. Je ne pourrai évidemment pas toutes les traiter en dix minutes, mais je sais que la délégation sénatoriale aux outre-mer se saisit régulièrement d’un certain nombre de sujets.

Cette prise de parole devant le Sénat est pour moi l’occasion de rendre compte de la situation dans laquelle nous nous trouvons aux Antilles. Je précise que les cas de la Martinique et de la Guadeloupe ne sont pas exactement identiques. Nous parlons de deux territoires distincts, avec des écosystèmes assez différents.

Ainsi que cela a été souligné, la première des crises est d’abord une crise de l’ordre public et de la sécurité publique, à distinguer d’une révolte sociale, monsieur le sénateur Gay. Ce qui se passe est sans précédent. Nous assistons à un réveil des voyous, à un retour du grand banditisme. (M. Fabien Gay sexclame.) Il existe malheureusement dans cette plateforme caribéenne une tradition de connexion entre trafics de drogue et détentions d’armes.

Des individus ont profité des contestations sociales pour, la nuit, non seulement commettre des méfaits sur les biens, mais surtout porter des atteintes d’une violence inédite aux fonctionnaires de police et aux militaires de la gendarmerie. Et j’insiste sur ce caractère inédit. J’ai rencontré les policiers du RAID et les militaires du GIGN. Certains ont témoigné n’avoir jamais été confrontés à un tel niveau d’engagement avec des armes à feu au cours de leur carrière.

En Martinique, en seulement quatre ou cinq jours, une centaine de coups de feu ont été tirés sur les forces de police et sur des militaires de la gendarmerie. C’est ce qui explique les renforts du RAID et du GIGN. En effet, il y avait besoin de techniques d’intervention n’ayant rien à voir avec le maintien de l’ordre en journée, qui relève des policiers et des gendarmes « conventionnels ». La nuit, ce sont le RAID et le GIGN qui sont engagés. Je tenais à le souligner pour éviter certains amalgames. Entre parenthèses, monsieur le sénateur Pellevat, je signale que les renforts sont arrivés immédiatement. Tout cela peut être établi.

Au moment où je vous parle, cinq escadrons de gendarmes mobiles sont engagés sur chacun des territoires concernés. Les axes de circulation – vous y avez fait référence, madame la sénatrice Guidez – sont en train d’être libérés. Et, encore une fois, les barrages ne sont pas tenus que par des syndicalistes ou des militants pacifiques. On y rencontre aussi des voyous. Qu’il y ait des bonbonnes de gaz sur des barrages est tout de même le signe d’une démarche particulièrement violente. Et cela oblige malheureusement les forces de l’ordre à recourir à des techniques d’intervention particulières.

La deuxième crise est – je ne le nie évidemment pas – une crise sociale au sein des hôpitaux, voire du monde médico-social en général. Les sollicitations dans les établissements ont été très fortes durant les différentes vagues de l’épidémie de covid-19. Nous avons tous en tête l’actualité du mois d’août. Nous pouvons, me semble-t-il, tous en convenir, les gouvernements successifs ont souvent négligé la santé publique outre-mer. Les hôpitaux d’outre-mer sont dans un état tout à fait préoccupant. Le rattrapage du Ségur est l’une des premières réponses. Je ne prétends pas qu’elle sera suffisante.

Au demeurant, certaines problématiques spécifiques à la médecine libérale ne sont pas propres aux outre-mer. On les retrouve ailleurs, y compris en métropole.

Face à une telle crise sociale à l’hôpital, un dialogue social particulièrement exigeant s’impose. En tant qu’employeur, l’État doit se montrer exemplaire dans les réponses apportées aux soignants qui font ou feront l’objet d’une suspension.

Cela étant, comme je l’ai rappelé hier en Martinique, il y a un principe de réalité sanitaire et sociale qui s’impose à nous. Et cela me permet d’évoquer la troisième crise.

Car il y a bien une crise démocratique et principielle. Je le dis ici, à la tribune de la Haute Assemblée, alors qu’une loi a été adoptée par l’Assemblée nationale et le Sénat – certes, vous n’avez peut-être pas forcément tous voté pour, mais c’est le jeu démocratique, et je pense que nous défendons tous notre modèle de démocratie représentative – et qu’elle a été validée par le Conseil constitutionnel, on me dit localement qu’on ne veut pas l’appliquer.

M. Fabien Gay. Ou qu’on ne peut pas !

M. Sébastien Lecornu, ministre. Je reviendrai sur ce point dans quelques instants, monsieur le sénateur. En l’occurrence, on m’a bien dit qu’on ne voulait pas. C’est très différent, et cela pose un problème démocratique majeur.

Je suis désolé, monsieur le sénateur Pellevat, mais, au cours de mes dernières heures de consultation, plusieurs élus de premier plan, pas forcément des parlementaires – mais certains l’avaient été ! –, m’ont dit que les décisions relatives à la Guadeloupe devaient être prises par les Guadeloupéens, et non par des députés ou des sénateurs à Paris. Là, on entre bien dans un débat qui n’a plus grand-chose à voir avec la différenciation, la décentralisation, la déconcentration, voire l’autonomie !

J’ai donc pris ces élus au mot, mais en rappelant que, dans un département de la République française – la Guadeloupe, où de tels propos avaient été tenus, en est un, de même que la Martinique –, la loi de la République française a vocation à s’appliquer ! Il n’y a pas de discussion à avoir sur ce point.

Remettons donc les choses dans leur contexte. Vouloir adapter une loi sanitaire, c’est aller bien au-delà de la différenciation.

Nous sommes dans la chambre des territoires. Il est un modèle d’autonomie que nous connaissons bien : celui que la Constitution a instauré pour la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie. Qu’est-ce que l’autonomie ? Il est un peu triste, en 2021, de devoir redéfinir des notions supposément connues de tous. Si je devais caractériser en une expression, pour la presse ou pour l’opinion publique, l’autonomie, je dirais que c’est la décentralisation à l’extrême.

Vouloir adapter en Guadeloupe un texte aussi important qu’une loi de sécurité sanitaire applicable à des fonctionnaires hospitaliers, c’est prôner un changement de modèle. C’est la raison pour laquelle j’ai appelé les élus concernés à faire preuve de franchise et à aller au bout de leur logique en demandant une évolution statutaire.

J’espère donc avoir répondu une fois pour toutes à cet égard. Mais peut-être le contexte politique national actuel a-t-il conduit certains à souhaiter habilement entretenir la confusion entre autonomie et indépendance…

Je le rappelle, en Nouvelle-Calédonie – je suppose que nous aurons l’occasion d’en discuter au cours du débat interactif –, celles et ceux que l’on appelle les « loyalistes », c’est-à-dire les personnes qui font campagne pour le maintien de la Nouvelle-Calédonie dans la République, sont eux-mêmes des militants de l’autonomie.

Les problématiques propres à l’outre-mer nous ouvrent ainsi beaucoup d’horizons, y compris les horizons juridiques les plus compliqués.

Le collectif contre l’exploitation outrancière, ou Liyannaj kont pwofitasyon (LKP), qui est une plateforme syndicale connue en Guadeloupe, est venu nous voir en posant deux préalables avant toute discussion. Le premier était l’abrogation de la loi sur l’obligation vaccinale. J’imagine que si un ministre avait répondu favorablement à une telle exigence, les parlementaires, toutes opinions politiques confondues, auraient tout de même trouvé cela démocratiquement bizarre et dangereux. Et le second portait sur la suspension des poursuites judiciaires ou l’amnistie pour les personnes arrêtées pour avoir ouvert le feu sur des policiers et des gendarmes. Vous comprenez donc pourquoi il a rapidement été mis fin aux discussions.

En Martinique, l’intersyndicale nous a indiqué que les responsables concernés ne savaient pas appliquer la loi, ce qui n’a rien à voir avec la situation précédente. Soyons précis : quand des partenaires sociaux et des élus indiquent ne pas pouvoir appliquer la loi compte tenu de la situation particulière de la Martinique, c’est très différent d’une demande d’abrogation de la loi ou d’amnistie pour des personnes qui tirent sur des policiers et des gendarmes ! J’espère que vous me pardonnerez cette remarque de bon sens.

En Martinique, l’accord de méthode signé entre les élus locaux, l’intersyndicale et l’État va continuer à se décliner. Une méthodologie de dialogue s’est installée, avec notamment un atelier santé, c’est-à-dire un dialogue social au sein des structures hospitalières. Cela va nous permettre d’examiner l’applicabilité de la loi. Mais le principe est que l’obligation vaccinale des soignants doit s’appliquer.

Je le dis notamment devant une sénatrice de la Guadeloupe : je forme le vœu que nous puissions très vite reprendre le chemin du dialogue dans votre île.

La quatrième crise est commune à l’ensemble des outre-mer. Les problématiques auxquelles nous sommes confrontés viennent évidemment s’arrimer à des crises plus anciennes, voire systémiques. Certaines sont propres à l’insularité. D’autres sont malheureusement liées – je suis assez d’accord avec vous sur ce point, monsieur le sénateur Gay –, à l’histoire, avec ses ombres et ses lumières, pour faire écho à la très jolie formule de l’accord de Nouméa. Il faut les regarder en face.

Je pense d’abord à la vie chère, en distinguant le cas de l’énergie de celui des autres denrées ou biens. En effet, les structures de réponses ne sont pas les mêmes. Je suis sensible à ce que le sénateur Philippe Folliot a indiqué tout à l’heure sur la transition agricole. Sur ce sujet, la crise liée au covid-19 a pu modifier des comportements et des pratiques. Il faut avancer et aller plus loin.

Il y a aussi un énorme sujet sur la jeunesse en outre-mer.

D’aucuns ont également évoqué le rattrapage sanitaire ou la transition agricole.

Pour ma part, j’aimerais insister sur la transition énergétique. Il me paraît pour le moins curieux d’être encore aussi dépendants des hydrocarbures dans des territoires insulaires qui ne manquent ni d’eau, ni d’énergie, ni de vent, ni de soleil. Nous devrons travailler sur ce dossier.

La problématique de l’eau nous renvoie à la question des responsabilités locales. Je remercie le sénateur Gontard de la cohérence dont il a fait preuve en réclamant que l’État reprenne la main. Au moins, sa position est claire.

Mais nous sommes dans la chambre des territoires, et je m’en sens un peu membre. (Sourires.) Soyons cohérents. Nous sommes tous, me semble-t-il, des militants de la décentralisation. Il y a peu de jacobins sur ces travées. On peut aimer l’État en étant décentralisateur.

Or il est une chose que les lois de décentralisation, en 1982 comme en 2003, n’ont pas prévue. Quid lorsque la puissance publique locale se retrouve en défaut et n’exécute pas une mission, soit qu’elle ne le peut pas, soit qu’elle ne le veut pas ? Aujourd’hui, dans la loi de la République, rien n’est prévu dans une telle situation. Le préfet peut toujours faire des réquisitions ; d’ailleurs, il en a fait. Nous pouvons également passer par la loi, comme vous l’avez fait pour la création du syndicat des eaux, ce dont je vous remercie.

Monsieur Gontard, la gouvernance de l’eau est un sujet majeur. Ce n’est pas qu’une question d’argent. Même si cela peut paraître invraisemblable, actuellement, beaucoup de crédits consacrés à l’eau ne sont pas consommés en Guadeloupe !

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous ne ferons pas l’économie d’une réflexion collective sur la décentralisation et, malheureusement, sur l’échec de la mise en œuvre d’un certain nombre de politiques publiques.

Il arrive que l’État soit mis en cause à juste titre. Mais, sur la question de l’eau, il fait partie de la solution, et certainement pas du problème.

Je vous remercie de la bienveillance dont vous avez fait preuve à mon égard, madame la présidente.

Mme la présidente. Monsieur le ministre, il était normal de vous laisser, ainsi qu’aux orateurs des groupes, du temps pour vous exprimer sur un sujet aussi sensible et d’actualité.

Cela étant, j’appelle chacune et chacun à respecter le temps de parole qui lui est imparti dans le cadre du débat interactif, afin que nous puissions tenir les autres débats inscrits à notre ordre du jour dans les délais prévus.

Débat interactif

Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque groupe dispose d’une question de deux minutes maximum, y compris l’éventuelle réplique. Le Gouvernement dispose pour sa réponse d’une durée équivalente.

Dans le débat interactif, la parole est à M. Jean-François Longeot.

M. Jean-François Longeot. Le 12 décembre prochain, un troisième et dernier référendum se tiendra sur l’accession de la Nouvelle-Calédonie à l’indépendance.

La date du scrutin a été maintenue, la situation épidémique étant désormais sous contrôle, mais elle continue de faire l’objet de trop nombreuses polémiques. Elle a pourtant été soutenue par des personnalités de la société civile appelant à mettre fin à l’incertitude institutionnelle, qui n’a – nous en sommes tous convaincus – que trop duré.

Après deux précédentes consultations ayant confirmé la volonté du peuple calédonien de demeurer dans la République, cette dernière consultation optionnelle sera – j’en suis sûr – l’occasion de sortir d’une telle impasse et d’éviter une surenchère.

Je tiens à réaffirmer ma volonté que la consultation aille à son terme dans les meilleures conditions et qu’elle permette d’ouvrir une nouvelle page, un nouveau contrat social, entre la métropole et le Caillou.

Car la métropole n’a jamais laissé de côté la Nouvelle-Calédonie. Depuis le mois de juin 1988, la paix et l’exercice pacifique du droit à l’indépendance ont éclipsé la violence et l’incompréhension.

Au mois de septembre dernier, une centaine de réservistes sanitaires ont été envoyés pour aider la population.

En 2021, quelque 178 milliards de francs CFP ont été investis par l’État pour la Nouvelle-Calédonie, partagés notamment entre les dépenses d’intervention et l’aide fiscale à l’investissement.

Dès lors, monsieur le ministre, comment abordez-vous ce scrutin aussi stratégique que détourné de son objectif véritable ? Comment ouvrir une nouvelle page dans la relation entre la France et la Nouvelle-Calédonie ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer. Monsieur le sénateur Longeot, je vous remercie de me donner l’occasion d’évoquer la Nouvelle-Calédonie.

Tout d’abord, les conditions sanitaires et organisationnelles pour tenir le référendum du 12 décembre sont remplies. Le taux d’incidence est stabilisé entre 70 et 80 cas pour 100 000 habitants. En pratique, plus de 200 observateurs sont en route vers la Nouvelle-Calédonie. Les maires, qu’ils soient indépendantistes ou non, organisent le scrutin de manière républicaine en respectant l’esprit de l’accord.

Ensuite, je souhaite insister sur le rôle de l’État, qui a tenu parole. Je pourrais évoquer la déclaration de Nainville-les-Roches, que tout le monde a oubliée, qui mentionne « les victimes de l’histoire ». J’ai également en mémoire les accords de Matignon de 1988 et les accords de Nouméa de 1998. D’après certains signataires, y compris celui qui siège encore parmi vous, Pierre Frogier, d’aucuns considéraient à l’époque que l’accord n’irait peut-être pas complètement au terme des trois référendums. Or nous sommes entrés dans ce moment ultime où peuvent parfois naître les tensions.

Il s’agit en effet d’imaginer le lendemain. L’État et le Gouvernement l’ont fait, au travers de la déclaration du 1er juin dernier, qui vient sécuriser la fin de l’application de l’accord de Nouméa, ouvrir une période de transition jusqu’en juin 2023 et, ainsi, stabiliser également la situation économique, sociale, politique et juridique de l’archipel.

Dieu sait que ce dernier en a bien besoin : la relance économique devra se faire en Nouvelle-Calédonie comme ailleurs.

Dans cette affaire, l’État est neutre, je le rappelle. Si les parlementaires et les membres du Gouvernement peuvent émettre des opinions politiques, l’État, en tant que partenaire d’un accord, se doit de garder sa neutralité, comme il le fait lors des élections sénatoriales ou municipales.

J’observe que, d’un côté, certains nous poussent à nous montrer plus partisans que par le passé quand, d’un autre côté, d’autres nous reprocheraient presque, au travers de tribunes publiées dans des journaux de l’après-midi, d’être violemment anti-indépendantistes pour ne pas dire anti-Kanaks, ce qui est d’ailleurs assez scandaleux.

Au fond, je me dis que nous avons sans doute trouvé un équilibre, conforme à l’engagement d’appliquer cet accord véritablement jusqu’à son terme.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez.

M. Jean-Pierre Corbisez. Monsieur le ministre, cela a été dit, mais il faut encore le souligner : la crise du covid-19 a eu, indéniablement, des répercussions sociales et économiques désastreuses dans les outre-mer.

La mise en berne des activités économiques à la suite du confinement et des mesures de restrictions sanitaires ont exacerbé les faiblesses structurelles du tissu entrepreneurial ultramarin, majoritairement composé de petites entreprises et fortement dépendant du tourisme.

Je rappelle que, pour tenter d’endiguer la crise, le Gouvernement a étendu dans les outre-mer les dispositifs de soutien que sont le fonds de solidarité pour les entreprises ou encore les prêts garantis par l’État.

Or j’attire votre attention, monsieur le ministre, sur un point jusqu’ici peu évoqué : si l’impact des premières vagues épidémiques a été généralement moindre dans les outre-mer qu’en métropole, ces derniers subissent aujourd’hui de plein fouet la double crise sanitaire et économique.

Il est donc urgent, et même vital, de synchroniser les dispositifs d’aide économique aux outre-mer, pour tenir compte de ce décalage de l’épidémie dans le temps.

Monsieur le ministre, puisque les mesures économiques ont précédé l’explosion de la pandémie dans les outre-mer, comptez-vous réadapter rapidement ces dernières à la crise actuelle ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer. Monsieur le sénateur Corbisez, à question claire, j’apporterai une réponse claire.

Jusqu’à présent, nous avons toujours adapté les mesures d’accompagnement aux mesures de freinage telles que le couvre-feu ou le confinement.

La Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie, pays d’autonomie, étaient dans une situation particulière : nous y avons tout de même déclenché, vous le savez, les outils de solidarité – fonds de solidarité, prêts garantis par l’État (PGE). Seul le chômage partiel a fait l’objet d’une exception, dans la mesure où il relève de la compétence des pouvoirs locaux.

Ces territoires étant bien français, la solidarité nationale s’y est exprimée.

Nous avons également adapté la mise en œuvre du passe sanitaire : instaurer un passe sanitaire sur un territoire dans lequel les restaurants étaient fermés n’aurait pas eu de sens. Nous avons donc agi avec bon sens.

Nous continuerons à nous adapter en permanence, notamment dans les territoires soumis à l’état d’urgence sanitaire comme la Martinique, dont je reviens et où les indicateurs sont fragiles.

Nous continuerons, chaque fois que nécessaire, à bâtir dans les différents territoires concernés les systèmes d’accompagnement en fonction de la cinétique de l’épidémie.

Malheureusement, au vu du faible taux de vaccination dans certains territoires, nous n’en avons pas terminé.

Mme la présidente. La parole est à Mme Viviane Artigalas.

Mme Viviane Artigalas. Monsieur le ministre, je vous pose ici la question de Victorin Lurel, qui ne peut malheureusement être parmi nous cet après-midi en raison d’une urgence personnelle. M. Lurel m’a demandé de vous présenter ses sincères excuses.

Voici sa question : « Monsieur le ministre, je souhaitais saisir l’occasion de ce débat pour clarifier un peu les choses et nous permettre, collectivement, d’avancer à la suite de votre déplacement.

« Nous ne serons jamais de ceux qui contestent votre fermeté face aux demandes d’amnistie des délinquants, pas plus que votre volonté de rétablir l’ordre.

« Pour autant, nous considérons que le choix délibéré d’une visite express, à la symbolique militaire et à la posture martiale et autoritariste, est une grave erreur politique.

« Vous ne pouvez ignorer que cela a braqué, a choqué et surtout – c’est là le plus grave – légitimé l’action politique de ceux qui, de toute façon, ne sont pas là pour discuter.

« Il était tout aussi maladroit de prétendre que tous les problèmes de l’île relèvent uniquement de compétences locales. Cette défausse ne pouvait que tendre le dialogue, y compris avec vos alliés politiques locaux et membres de votre majorité.

« En définitive, par ses excès, ce malheureux épisode n’a fait que renforcer la stratégie de pourrissement voulue par certains.

« Dans le même temps, et bien que vilipendés et délégitimés, les élus prennent leurs responsabilités en écoutant et en proposant. À l’État désormais de prendre les siennes.

« Monsieur le ministre, dans quels délais, sous quel format, avec quels experts, quels collègues et surtout avec quelle volonté reviendrez-vous en Guadeloupe pour non pas renouer, mais bel et bien nouer le dialogue et ainsi éviter la montée aux extrêmes et les morts ?

« Cette crise ne doit pas devenir une occasion d’envenimer le climat pour plaire à une frange radicalisée de l’opinion publique hexagonale en période de précampagne présidentielle. »