M. François Bonhomme. Et le vote à 16 ans ? (Sourires.)

Mme Mélanie Vogel. J’y viens, mon cher collègue, il me reste du temps !

Mettons fin à ce mythe selon lequel la démocratie représentative et le vote seraient en soi des horizons indépassables, les seuls indicateurs de la participation citoyenne.

Cela étant dit, le sujet qui nous occupe aujourd’hui est plus restreint : il s’agit simplement d’ouvrir le droit de vote à 16 ans. Je vais tenter de vous expliquer pourquoi les écologistes y sont favorables.

Personne n’a dit que cette solution était la seule et l’unique, ni qu’à elle seule elle résoudrait tout. Mais elle va dans le sens de l’Histoire. Il faut que la jeunesse nous demande des comptes, qu’elle pèse dans la décision publique, qu’elle prenne sa place dans la vie démocratique. Elle en a les moyens et la capacité.

J’entends des critiques selon lesquelles, à 16 ans, les jeunes seraient des bébés…

M. François Bonhomme. Il ne faut pas exagérer !

Mme Mélanie Vogel. … incapables d’exercer ce droit. Discutez avec n’importe quel mineur dans une manifestation sur le climat ! Vous verrez qu’il sera bien plus politisé et capable d’exprimer un choix démocratique que nombre d’électeurs.

J’entends d’autres critiques selon lesquelles les majorités civile et électorale doivent être concomitantes. Or cela n’a pas toujours été le cas dans l’Histoire et n’a rien d’immuable. Aujourd’hui, à 16 ans, on peut avorter, exercer l’autorité parentale ou encore travailler et donc payer des impôts. Certains ne se gênent pas pour vouloir abaisser la majorité pénale, mais quand il s’agit du droit de vote, cela les dérange…

En ce qui concerne la dissociation entre l’éligibilité et le droit de vote, je crois que notre collègue Olivier Paccaud a oublié que, parmi les gens qui l’ont élu, certains ne devaient pas être éligibles au mandat de sénateur… (Mme Martine Filleul ainsi que MM. Guy Benarroche et Rémi Cardon applaudissent.)

Par ailleurs, les travaux de sociologie le montrent : plus les jeunes attendent pour participer à la vie politique, moins ils s’engagent à l’âge adulte.

Voilà pourquoi nous n’avons plus le temps d’adresser une fin de non-recevoir aux demandes d’implication politique de la jeunesse. Le groupe écologiste votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jérémy Bacchi.

M. Jérémy Bacchi. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, « comme un baromètre, le niveau d’abstention est un indicateur du climat de l’opinion, du lien entre les citoyens et leur représentation politique, et plus largement de l’état de santé du système démocratique ». Ces mots de la sociologue Anne Muxel, spécialiste de la participation politique, datent de 2007 – ils résonnent d’autant plus aujourd’hui.

Nous constatons à chaque élection un taux d’abstention particulièrement fort et les jeunes sont parmi les premiers à ne pas se diriger vers les urnes. Si l’élection présidentielle mobilise toujours, la participation des 18-24 ans est inférieure en 2017 à la moyenne générale. Ce taux s’effondre à 31 % pour les élections législatives, puis à 28 % pour les élections municipales et enfin à 17 % pour les dernières élections régionales et départementales…

En tant que représentants de la République, ces chiffres ne peuvent que nous accabler et nous partageons l’objectif de cette proposition de loi de lutter contre l’abstention massive de nos jeunes.

Mais la réponse de nos collègues du groupe SER correspond-elle à la bonne question, à ce problème que nous identifions toutes et tous ? Nous ne le pensons pas.

Avant toute chose, nous tenons à dire que nous ne sommes pas opposés à encourager la participation politique des moins de 18 ans. Les dernières grandes manifestations pour le climat, les droits des femmes ou la lutte contre le racisme ont été de tels succès notamment grâce à la présence de ces jeunes.

Ce que nous ne partageons pas, c’est le raccourci entre le problème de l’abstention et l’élargissement de l’électorat à une population plus jeune, qui elle-même ne le demande pas.

Pire, une telle proposition entretient la confusion entre les droits et devoirs rattachés à la majorité électorale et ceux rattachés à la majorité civile et pénale. Distinguer ces majorités risquerait d’affaiblir la protection actuelle des mineurs, dont la responsabilité pénale est atténuée concernant les sanctions et pour lesquels peuvent être décidées des mesures d’assistance ou d’éducation. Nous ne sommes plus dans le même débat que dans les années 1970, où était en jeu un abaissement plus général de la majorité civile.

L’abstention des jeunes nous renvoie à l’état de notre démocratie, à l’état du lien entre les citoyens et leurs représentants. Ce lien est aujourd’hui abîmé.

Pour ramener les plus jeunes électeurs aux urnes, il faut susciter leur intérêt politique ; cela passe par les politiques publiques que nous votons et qui ne sont pas assez orientées vers ce public, ses besoins et ses attentes.

Avant de se lancer sans crier gare dans un élargissement de l’électorat, attelons-nous à rapprocher la politique des électeurs actuels. Ces dernières années a été dénoncé le manque de transparence de la vie politique et de reconnaissance des électeurs ou du vote blanc.

Le droit de vote ne fait pas tout, il ne s’entretient pas par le seul fait d’exister. La croyance en son utilité est essentielle, tout comme l’apprentissage de ce rituel républicain.

Comme l’explique la sociologue Céline Braconnier, « si on se contente d’abaisser l’âge sans interroger le rôle de l’école, on risque de ne faire qu’augmenter l’abstention ». À ce titre, nous défendons le développement de lieux et de moments où l’éducation politique se déploie. C’est par les libertés citoyennes et politiques que se forge l’opinion des jeunes, et nous sommes contre le musellement de l’expression des élèves dans les cours des lycées, élèves auxquels l’article L. 511-2 du code de l’éducation demande aujourd’hui une « neutralité » qui est bien illusoire.

Nous ne pensons pas que les articles 2 et 3 de cette proposition de loi puissent apporter quelque chose de nouveau. Plutôt que d’alourdir de manière répétitive les programmes existants, il conviendrait de revaloriser l’enseignement moral et civique qui ne représente que trente minutes par semaine. Les objectifs cités dans ce texte sont déjà censés être largement couverts et la proposition qui nous est faite peut être vue comme une défiance envers le corps enseignant, lequel fait pourtant au mieux avec les moyens qui lui sont attribués et qui sont malheureusement si faibles.

La normalisation de la participation électorale permettrait aussi de rendre l’acte de vote plus naturel. En France, les échéances électorales sont espacées et les citoyens sont finalement peu sollicités en comparaison, par exemple, avec le système suisse et ses référendums. La proximité des élections présidentielle et législatives a aussi fait perdre de la valeur à ces dernières élections, souvent considérées comme une simple validation de la première.

Enfin, je voudrais évoquer le phénomène de la mal-inscription ou de la non-inscription sur les listes électorales, qui a concerné 13 millions de personnes en 2017. Ce sont les citoyens les plus mobiles qui sont particulièrement concernés, ainsi que les étudiants et les jeunes. Ne pas être inscrit dans le bureau de vote de sa commune multiplierait par trois le risque d’être un abstentionniste constant. La réforme de l’inscription va dans le bon sens, en permettant un allongement des délais, mais d’autres dispositifs sont à trouver pour faire du vote non pas un fardeau administratif, mais bien un droit des citoyens inhérent à leur quotidien.

Pour toutes ces raisons, nous voyons en cette proposition de loi un appel à lutter contre l’abstention, mais la solution de nos collègues manque son objectif. C’est pourquoi le groupe CRCE ne votera pas ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Franck Menonville.

M. Franck Menonville. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’abstention suscite des craintes bien légitimes, car chaque fois qu’elle progresse, c’est la démocratie qui s’affaiblit et qui recule.

Malheureusement, depuis plusieurs décennies, notre vie électorale est marquée par une abstention récurrente. Si dans les années 1970, la participation était supérieure à 80 %, l’abstention a depuis progressé de façon régulière pour dépasser aujourd’hui la moitié des inscrits.

Seule l’élection présidentielle semble échapper, pour le moment, à cette tendance. Elle reste l’élection qui enregistre les taux de participation les plus élevés. Néanmoins, au premier tour du scrutin présidentiel de 2017, un tiers des 18-25 ans n’a pas voté.

Plus récemment, lors des élections départementales et régionales de juin 2021, plus de 60 % des électeurs ne se sont pas déplacés et ces chiffres ont atteint 86 % chez les jeunes.

Devant ce constat d’affaiblissement de la participation électorale, de nombreuses initiatives parlementaires ont vu le jour. Ainsi, la proposition de loi que nous examinons cet après-midi entend apporter une solution à l’abstention massive des jeunes âgés de 18 à 24 ans. Elle vise notamment à ouvrir le droit de vote dès l’âge de 16 ans et à instituer des conseils de jeunes dans les communes de plus de 5 000 habitants, ainsi qu’au sein des conseils départementaux.

Les dispositions de ce texte appellent plusieurs remarques.

Tout d’abord, la majorité électorale et la majorité civile sont fixées à 18 ans depuis la loi du 5 juillet 1974 et l’ouverture du droit de vote à 16 ans irait à l’encontre de la Constitution qui fait coïncider les majorités électorale et civile : abaisser la première exigerait soit une révision constitutionnelle, soit l’abaissement concomitant de la seconde.

Ensuite, il ne semble pas opportun d’examiner de telles dispositions dans le simple cadre de l’ordre du jour réservé à un groupe parlementaire. L’importance du sujet nécessite un débat beaucoup plus large au niveau national.

Enfin, les dispositions visant à renforcer les obligations pesant sur les collectivités territoriales en matière de conseils de jeunes sont, à mon sens, malvenues. Bien au contraire, il apparaît primordial de sauvegarder l’initiative et l’autonomie des élus municipaux et départementaux en la matière.

L’article 55 de la loi relative à l’égalité et à la citoyenneté prévoit d’ores et déjà qu’une collectivité territoriale ou un EPCI peut créer un conseil de jeunes pour émettre un avis sur les décisions relevant notamment de la politique de la jeunesse. Faisons confiance aux élus pour faire participer les jeunes de leur territoire à la vie démocratique, sans les étouffer par des contraintes excessives.

Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, devant le constat préoccupant du faible taux de participation électorale, nombreux sont les élus à avoir réagi.

Nos collègues du Nord Jean-Pierre Decool et Dany Wattebled ont voulu apporter leur contribution à travers une étude sur les sources de l’abstention et les outils pour lutter contre ce phénomène, publiée en novembre dernier. Ils proposent notamment d’ouvrir aux lycéens la possibilité de venir aider techniquement les assesseurs dans les bureaux de vote afin de les sensibiliser à la vie démocratique. Cette mesure, qui relève de la partie réglementaire du code électoral, m’apparaît pertinente.

Il faut également renforcer – nous en débattions la semaine dernière – l’éducation civique et morale et le service civique.

Je vais prendre un autre exemple. Je préside l’association départementale des communes forestières de la Meuse ; nous avons mis en place un dispositif que nous avons appelé Forêt pédagogique : ce très bel outil permet, en lien avec les enseignants, de sensibiliser les enfants aux questions liées à la gestion forestière et au rôle des élus en la matière.

Pour conclure, le groupe Les Indépendants ne votera pas en faveur de cette proposition de loi.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez.

M. Jean-Pierre Corbisez. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, chère Martine Filleul, défiance vis-à-vis de la classe politique, mise en cause de la démocratie représentative, perte de confiance à l’égard des institutions, multiplication des inquiétudes quant à l’avenir, qu’il s’agisse de la crise sanitaire, du réchauffement climatique ou encore des nombreuses fractures qui fragilisent nos sociétés, les explications sont multiples et le diagnostic est aujourd’hui bien établi pour éclairer la crise citoyenne qui affecte notre pays et touche davantage encore les plus jeunes de nos concitoyens.

Je suis de ceux qui pensent que toute initiative qui poursuit l’objectif de trouver des remèdes à cette crise mérite d’être soulignée et encouragée.

Pour répondre à notre collègue Arnaud de Belenet, j’ai moi-même déposé en janvier dernier une proposition de loi pour rendre le vote obligatoire, comme en Belgique et dans d’autres pays du nord de l’Europe, et faciliter l’exercice du droit de vote. J’espère que nous aurons l’opportunité d’en débattre un jour…

Bien évidemment, aucune de ces propositions n’apportera à elle seule de solution miracle et nous sommes tous ici suffisamment aguerris pour être conscients qu’une telle solution n’existe pas. J’en suis persuadé, c’est par la conjonction de nos propositions, la confrontation de nos idées et la convergence de notre volonté commune de recréer cette conscience politique et citoyenne, qui fait cruellement défaut et met en danger notre République, que nous parviendrons à infléchir cette courbe préoccupante, pour ne pas dire dangereuse.

Alors oui, j’entends les objections de notre rapporteure sur les risques attachés à la décorrélation entre la majorité civile et la majorité civique et sur la nécessité d’en passer par une révision constitutionnelle.

Oui, je comprends ses réserves quant à la préservation de la liberté des collectivités et à la nécessité de leur faire confiance pour renforcer l’implication des plus jeunes dans leurs instances participatives.

Et oui, les programmes scolaires prévoient déjà l’enseignement des bases de notre système politique et de l’histoire de nos institutions.

Mais force est de constater que ce n’est pas suffisant. Tant s’en faut ! Les causes de cette crise sont multiples et les solutions doivent l’être aussi.

Pour utiliser une expression devenue commune aujourd’hui, ne faut-il pas provoquer un choc de la citoyenneté ? N’est-il pas temps d’en passer par plus d’encadrement, voire de contraintes, pour accompagner cette transformation nécessaire de notre société ? Sauf à considérer que ce déclin du fait politique n’est pas réversible, ce à quoi je ne me résigne pas !

Je sais parfaitement que la citoyenneté ne se dicte pas et qu’elle doit se construire par un travail de conviction et d’explication, par une compréhension de ses enjeux, par une conscientisation des combats et des sacrifices qui ont permis à chacun de pouvoir aujourd’hui exercer ses droits de citoyen libre et éclairé. Mais chacun sait aussi les dangers qui guettent notre démocratie. Une échéance électorale fondamentale se profile et nous voyons tous se multiplier les discours extrêmes, les provocations et les incitations à accroître les fractures et les tensions.

La crise démocratique devient pour certains un argument de campagne et alimente le climat nauséabond de « dégagisme » général, porté par ceux qui se disent en dehors du système, mais dont le seul but est de le conquérir…

Il est de notre responsabilité de montrer à nos concitoyens que les élus de la République ont pleinement conscience de ces problématiques et qu’ils s’en emparent pour tenter d’y apporter des réponses, aussi imparfaites et insuffisantes soient-elles…

La proposition de loi qui nous réunit aujourd’hui apporte sa contribution à cette nécessaire réflexion. Et les arguments sont tout aussi nombreux pour la défendre.

Des analyses montrent que voter jeune produit des citoyens durablement mobilisés lors des élections. Notre société a changé : à 16 ans, la maturité et l’autonomie sont déjà très avancées et c’est un âge auquel des responsabilités importantes sont déjà attachées – possibilité de travailler, apprentissage de la conduite, responsabilité pénale, engagement bénévole, etc. D’autres pays se sont déjà engagés sur cette voie et le Conseil de l’Europe s’y déclare favorable.

Enfin, voter à 16 ans n’est-il pas tout simplement une nouvelle étape dans l’histoire de notre droit de vote, qui a été étendu à mesure que la société se transformait ?

Aussi, quand bien même le groupe du RDSE se prononcera en grande majorité contre ce texte, je souhaite soutenir l’initiative de notre collègue Martine Filleul.

Chacun sait que les lycéens ont leurs codes, leur système de réflexion – j’ai la chance d’en avoir deux à la maison… C’est à nous de les comprendre, en les autorisant à s’exprimer. Je ne prendrai qu’un exemple : aux dernières élections régionales, une candidate tête de liste dans les Hauts-de-France a fait une première affiche devant laquelle les lycéens passaient sans s’y intéresser ; elle en a alors placardé une autre sous forme de dessin, de manga d’une certaine façon, et d’un seul coup les jeunes ont « kiffé grave » – veuillez m’excuser pour cette expression. (Sourires.) Cet exemple nous montre bien que, si on ne pénètre pas le monde des jeunes, on ne peut pas les comprendre.

Il me semble que si nous ouvrons le droit de vote à 16 ans, les jeunes de 18 à 25 ans, qui sont dans une période critique de leur vie, deviendront plus facilement des citoyens à part entière. (Mme Martine Filleul applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Kanner.

M. Patrick Kanner. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je veux tout d’abord remercier les collègues qui ont bien voulu rappeler les apports de la loi relative à l’égalité et à la citoyenneté – cela fait évidemment plaisir à l’ancien ministre qui portait ce texte.

Notre collègue Éric Kerrouche a parfaitement exposé la position de notre groupe sur la question du vote à 16 ans. Je vais profiter du temps, court, qui m’est imparti pour évoquer le traitement que vous réservez, madame la secrétaire d’État, à la jeunesse de ce pays, en dehors des vidéos TikTok que vous publiez…

J’étais interpellé mercredi dernier par les mots que vous avez prononcés ici même. Je vous ai écouté vous enorgueillir de votre bilan à l’égard de la jeunesse : à vous entendre, vous auriez tout fait et tout bien fait.

Oui, la jeunesse est insaisissable. Elle est diverse. Cependant, les faits sont têtus.

Avant même la crise du covid, le Secours catholique relevait que le niveau de vie des 15-34 ans s’était très largement dégradé au regard du seuil de pauvreté. N’avez-vous pas vu ces milliers de jeunes faire la queue à la soupe populaire ? Que répondez-vous ? Vous baissez les aides personnalisées au logement et vous leur refusez un revenu minimum que nous avons proposé.

Nombre d’études montrent aussi que la jeunesse perd le paradigme du collectif, c’est-à-dire de l’État, des partis politiques, des syndicats, qui n’appartiennent pas à leur mémoire collective. Vous faites mine de vous en étonner.

Cette jeunesse partage pourtant un engagement commun : la protection de la planète. Qu’avez-vous fait ? Une loi Climat bien en deçà de ce que réclame la cause, un simulacre de participation citoyenne et pas une place accordée aux jeunes dans le débat.

Les jeunes ne sont plus que 11 % à considérer qu’ils peuvent avoir une influence réelle sur les destinées de la France, selon la dernière étude de Frédéric Dabi, intitulée La Fracture. Entre les jeunes qui occupent des postes moins qualifiés que leurs parents et des emplois disponibles inférieurs au niveau de formation, la désillusion est très grande.

Que leur proposez-vous ? L’entrepreneuriat individuel, l’ubérisation, la précarisation… Le Président de la République n’a-t-il pas dit lui-même que travailler pour Uber soixante ou soixante-dix heures en touchant le SMIC permettait au moins d’entrer dans la dignité ?

Et vous, tranquillement, vous considérez qu’avec des demi-mesures comme les vacances apprenantes, la rénovation de quelques logements, un chèque psy, le BAFA ou un contrat d’engagement, assumé comme une pâle copie de la garantie jeunes, vous répondez aux aspirations de la jeunesse.

Mais quelle société leur proposez-vous ? C’est le cœur du problème !

Selon l’Insee, les syndromes dépressifs chez les 18-29 ans sont en forte augmentation. Le niveau de bonheur s’effondre, selon Frédéric Dabi. En 2021, 42 % des jeunes de 18 à 30 ans déclarent nécessaire d’avoir un idéal pour vivre : ce chiffre n’a jamais été aussi bas ; il était deux fois plus élevé il y a seulement vingt ans. La chute est vertigineuse. La jeunesse partage majoritairement la conviction que le monde tel qu’il est va vers une forme inconnue de désastre.

La société que vous leur proposez est un monde où les jeunes sont sommés de gagner une place dans la compétition planétaire, un monde qui oppose celles et ceux qui bénéficient du système à celles et ceux qui ne parviennent pas à y entrer.

À l’arrivée, il y a ceux qui réussissent et ceux qui ne sont rien, comme l’explique le Président de la République qui exhorte les jeunes Français à vouloir devenir milliardaires en traversant la rue…

L’impératif de réussite s’est imposé. Performant, compétitif, flexible, souvent issu d’un milieu culturellement favorable, tel est le profil du jeune « winner » dans la perspective darwinienne de l’économie libérale que vous proposez et que vous revendiquez depuis le premier jour – je vous le reconnais. L’individu que vous voulez est non pas un coopérateur, mais un compétiteur.

Ce système est une machine à broyer la solidarité, un système que vous appuyez sur l’illusion méritocratique : « quand on veut, on peut », tel est votre mantra.

Vous considérez qu’au fond celui qui « réussit », c’est parce qu’il en a les qualités : il s’est efforcé d’y parvenir et donc il a une dignité supplémentaire par rapport à celui qui n’a pas « réussi », parce qu’il serait paresseux, incompétent, sans talent. C’est une analyse erronée qui vous permet de dire aux individus qu’ils sont seuls responsables de leur destin, et de mettre en œuvre des politiques conservatrices plutôt que de remettre en cause ce déterminisme social et culturel.

Je sais, avec Charles Péguy, qu’« un beau soir, l’avenir s’appelle le passé, c’est alors qu’on se tourne et qu’on voit sa jeunesse ».

Madame la secrétaire d’État, je m’inquiète pour notre jeunesse, la jeunesse de notre pays. Notre proposition de loi est, à l’inverse, un message de confiance et d’espoir. C’est pour cette raison que je demande au Sénat de la soutenir. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Sarah El Haïry, secrétaire dÉtat. Notre débat portait jusqu’alors sur la manière d’accompagner au mieux les jeunes dans le parcours pour devenir citoyen, mais cette dernière intervention nous engage quasiment sur la voie d’une déclaration de politique générale…

Sachez, mesdames, messieurs les sénateurs, que le Gouvernement a plus que jamais confiance dans la jeunesse. Nous croyons fondamentalement que ce sont l’éducation et le travail qui permettent son émancipation, et nous accompagnons chaque jeune sur ce chemin.

Le débat qui nous occupe aujourd’hui est de savoir comment les jeunes s’engagent, comment ils deviennent des citoyens à part entière, comment ils acquièrent de la confiance. Et je dois vous dire que, dans la situation où nous sommes aujourd’hui, nous ne croyons pas à la baguette magique du droit de vote à 16 ans.

Nous souhaitons renforcer l’éducation civique et morale et l’éducation populaire, nous souhaitons que les enseignants disposent de plus de temps.

Oui, nous croyons au programme des vacances apprenantes, monsieur le sénateur Kanner : il permet à un million de jeunes, qui ne le pourraient pas autrement, de partir en vacances, par exemple en colonie, de découvrir d’autres territoires.

Oui, nous rénovons des bâtiments universitaires, même si nous savons bien que ce n’est sûrement pas assez et qu’il reste à faire.

Nous faisons confiance à la jeunesse, en l’incitant à voyager et à grandir. Pour cela, nous développons le service civique, en particulier au niveau européen où s’organise un corps européen de solidarité.

Monsieur le sénateur Kanner, ce que nous souhaitons pour notre jeunesse, c’est qu’elle soit pleinement actrice de sa vie. Pour cela, il n’y a pas de baguette magique. Vous en avez appelé au RSA, nous en appelons au contrat d’engagement qui permet de travailler et qui, par conséquent, libère.

Notre débat, je le disais, portait sur la citoyenneté, sur le renforcement de l’éducation civique et morale, sur la confiance dans nos institutions, sur l’accompagnement des élus locaux qui font déjà tellement pour faire vivre la démocratie dans nos territoires.

Le Gouvernement a montré qu’il accompagnait étape par étape l’apprentissage de la citoyenneté. De votre côté, monsieur le sénateur Kanner, vous avez souhaité faire une déclaration de politique générale.

M. Patrick Kanner. Nous jugerons votre bilan !

Mme Sarah El Haïry, secrétaire dÉtat. Vous avez raison, les Français jugeront notre bilan dans les urnes, mais je voulais tout simplement rappeler que notre débat portait sur la citoyenneté.

Je ne serai pas plus longue, monsieur le sénateur, madame la présidente, afin que vous puissiez terminer l’examen de ce texte dans les temps impartis à cet ordre du jour réservé.

Mme la présidente. La discussion générale est close.

La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.

proposition de loi pour un nouveau pacte de citoyenneté avec la jeunesse par le vote à 16 ans, l’enseignement et l’engagement

Chapitre IER

Un droit de vote élargi

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi pour un nouveau pacte de citoyenneté avec la jeunesse par le vote à 16 ans, l'enseignement et l'engagement
Article 2

Article 1er

À l’article L. 2 du code électoral, le mot : « dix-huit » est remplacé par le mot : « seize ».

Mme la présidente. La parole est à M. François Bonhomme, sur l’article.

M. François Bonhomme. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, fort logiquement, chacun a défendu le principe de participation, ce qui peut très bien se faire ; je ferai simplement remarquer que l’on peut tout aussi bien admettre la liberté de ne pas participer, y compris chez les jeunes. Nous sommes un pays de liberté, ce qu’il faut entendre dans toute son acception.

Selon moi, la participation est une invitation et non une injonction, même si elle a dans le passé souvent servi de prétexte pour faire adopter des mesures qui en étaient somme toute très éloignées. En témoignent bien des textes que notre assemblée a eu à examiner : l’instauration d’une circonscription nationale pour les élections européennes, par exemple, qui n’a pourtant pas bouleversé la donne en matière de participation, ou encore certaines propositions qui auraient rendu le vote électronique obligatoire, alors même que cela viendrait fragiliser la sérénité du vote. En somme, la participation ne doit pas être un totem !

En outre, l’abaissement de la majorité électorale à 16 ans pose des problèmes juridiques substantiels, quand bien même M. Kerrouche préfère les ignorer, ce que je peux comprendre, mais ces problèmes ne sont pas seulement juridiques. Ainsi, d’un point de vue sociologique, une telle mesure serait en décalage avec les attentes qu’expriment le plus souvent les jeunes de moins de 18 ans. S’ils se sentent concernés par la politique, il leur arrive aussi de choisir d’autres modes d’engagement, que ce soit les défilés – je pense notamment aux manifestations pour le climat –, les prises de parole ou les interpellations. Cet aspect-là ne doit donc pas être négligé non plus.

Alors, quel est le bon âge pour disposer du droit de choisir ses représentants ? La question est compliquée, comme toute question portant sur une limite. Un jour, l’anniversaire de ses 18 ans, on est supposé soudain être éclairé ; c’est évidemment une conception dont on pourrait discuter à loisir.

À quelles conditions une personne peut-elle disposer de la capacité à intervenir dans les choix collectifs par son vote ? Selon moi, la solution est simplement de caler la majorité électorale sur la majorité civile.

J’estime surtout que la mesure ici proposée est une mesure de circonstance, qui vise peut-être simplement à secourir la candidate socialiste à l’élection présidentielle, laquelle est en état de déperdition et de déréliction… (Protestations sur les travées du groupe SER.) Si cela peut y contribuer, pourquoi pas ?